Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-06-05
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 juin 1891 05 juin 1891
Description : 1891/06/05 (N7756). 1891/06/05 (N7756).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540874s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
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CINQ centimes le numéro
17 Prairial an 99 — Ne 7758
,'" ., RÉDACTION ,., *
> i8, BUE DE VALOlS, 18 "!
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: S'ADRESSER AU-SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION "î
De 4 à 6 heures du soir ?
o Et de 9 Iteures du soir à minuit , 4t ssxr*
• ta-i NON INSÈRES KE SERONT PAS MMtM
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APMmiSTRATIÔN
:, u 48, RUE DE VALOIS, 18
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATION -GERANT
, .hl ';.,..,..
1 : ANNONCES
- MM. Ch. LAGRANGE, CERF et G*
, 6, place de la Bourse,, 6 J
-. ABONNEMENTS ;
PARIS
V* mois - 2 rg";
TROIS MOIS. 5 -
SIX MOIS 9 Fa.
UN AN 18 -
1 Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
i ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS -
Ctf mais 2 FR.
TROIS MOIS 6 -
SIX MOIS. 11 ra
UN AN .: 20 —
Nos bons amis les Anglais
K*i janvier 1890, le prince Napoléon
causait avec le roi d'Italie. Le sujet de
la conversation était la guerre possible.
, Je n'ai rien à craindre pour la
, .sécurité des côtes italiennes, dit le roi.
J'ai du cabinet de Saint-James la pro-
: messe formelle que la flotte angolaise se
joindra à la mienne, le cas échéant,
pour couvrir l'Italie contre toute opé-
ration maritime. , 1
Le prince se récria : •
- Mais alors, c'est l'adhésion de
l'Angleterre it la triple alliance!
Le roi poursuivit: <
— Si la guerre éclate, je suis rassuré
du coté de la mer, et, grâce à la parti-,
cîpôiion de la flotte anglaise, je pourrai
mobiliser mon année en toute tran-
rjuiUilé.
-, Le prince fit une objection :
— Mais vous ne pouvez pas avoir de
; traité avec l'Angle terre : des engage-
; IHtÜts à échéance aussi longue et aussi
incertaine ne sont pas dans les tradi-
tions du Foreign-Office, et les traités,
secrets sont contraires à la Constitution
anglaise.
c' Le roi mit fin à reritrctieii : v ?
— Je n'ai pas a vous en dire davan-
tage. Ce que je puis vous affirmer,
c'est que les gouvernements anglais et
italicn ont échangé des dépêches qui
, contiennent des engagements précis ; et
j'ai pleine confiance dans la parole
écrite du gouvernement anglais.
Pourquoi le roi faisait-il cette confi-
doiioe au prince ? Probablement pour
xjîie le prince la répétât.
On a vu l'autre jour qu'en 1889 M.
Crispi croyait la France désireuse de
mettre le feu à l'Europe. Oui, cet homme
d'Etat, ce politique avise, plus qu'Italien,
Sicilien, s'était laissé persuader que la
France n'avait pas d'autre idée que de
tuer sa grande Exposition. Ce qu'on lui
avait fait accroire, il avait du le faire
accroire à son roi. L'Exposition passée,
la France ne pouvait qu'être davantage
décidée à la guerre. Et alors le roi n'é-
tait pas fâché de dire au prince Napo-
léon, qui le redirait, que, si la France
se ruait sur l'Italie.' elle trouverait entre
l'Italie - et elle — lAngleterre. Cela fe-
rait réfléchir la France, et l'Italie
pourrait continuer paisiblement de se
ruiner
i Le premier soin du prince fut, en effet,;
de redire ce que lui avait dit le roi.
* Oe retour à San Remo, il y manda
lJl, Lucien Millcvoyc, député de la
Somme, lui raconta la conversation du
Quirinal. et le chargea de prévenir le
gouvernement de la République. , -
Il ne trouva pas que M. Millevoye suf-
fil Quelques mois plus tard, il fit venir
lA Prangins M. Georges Poignant, qui
témoigne aujourd'hui :
—«Je m'entretenais avec le prince de
la situation de la France et des moyens
de résister à la triple alliance. - Dites
la quadruple alliance, s'écria le prince
: avec sa vivacité bien connue. Et il m'ap-
prit que l'Angleterre s'était engagée,
en cas de guerre, à protéger les côtes
italiennes contre toute attaque de la
flotte française et que ce pacte lui avait
été révélé par le roi Humbert lui-
111ème..) '.,' ¡
M. Millevoye s'acquitta de la com-
mission que son prince lui avait don-
née : il prévint le gouvernement de la
République. Avant prévenu la France,
il croit devoir aussi prévenir l'Angle-
terre. Il adresse à un membre de la
Chambre des communes, M. Labou-
chère, une lettre qu'il communique au
Figaro. Il espère que les Communes
vont mal prendre les engagements de
leur gouvernement et que l'Angleterre
va rougir et s'indigner de se voir la
complice des ennemis de la France. Il
s'imagine que l'Angleterre n'a pas ou-
blié que nos soldats et les siens ont été
compagnons d'armes en Crimée. Naïve
illusion. L'Angleterre se souvient de
Sébastopol comme l'Italie, se souvient
de Solférino.
- Les cotes italiennes ne pourraient
être en péril que si la France était atta-
quée. Car il n'y a que M. Crispi tpour
croire que c'est la France qui attaquera.
Par conséquent, en rassurant l'Italie
sur ses côtes, l'Angleterre encourage
l'Allemagne à nous attaquer. Est-ce
donc qu'elle désire la guerre ? Ce serait
trop dire. Mais quelques complications
à l'extérieur ne lui déplairaient peut-
être pas trop. Elles seraient une diversion
à l'effet produit par les choses qui se
passent chez elle. Yoilà bien des
scandales coup sur coup depuis les ré-
vélations de la Pall Mall Gazette. L'au-
tre mois, l'histoire du capitaine Verney
avec Nélie Baskettc ; le lendemain, celle
du pieux Edward de Cobain, qui tenait
dans sa maison une réunion de prières
hebdomadaires e l qui n'aurait pas a tten té,
lui, à la vertu des jeunes filles, préfé-
rant les jeunes garçons; aujourd'hui,
le baccarat du prince de Galles. L'An-
gleterre ne serait pas fâchée qu'on re-
gardât d'un autre côlé. -,,:";";if'. ,'
AUGUSTE VACQUERIE.
La question do l'aide promise par l'An-
gleterre à l'Italie est venue hier à la
Chambre des communes. Á une demande
de M. Labouchere, sir James Fergusson,
sous-secrétaire d'Etat aux affaires étran-
gères, a répondu que le gouvernement
s'était déjà expliqué là-dessus en 1888 et
qu'il n'avait rien à ajouter.
Ce n'est pas cette réponse qui empêchera
de croire à la réalité de l'entente secrète
dénoncée par le prince Napoléon, — pas
plus que l'affirmation du journal ministé-
riel le Alonliug Post déclarant que « l'on-
trée formelle de l'Angleterre dans la triple
alliance n'a jamais fait partie du pro-
gramme de lord Salisbury».
« Formelle » est d'un joli jésuitisme.
Mais il faudrait plus que de la candeur
pour ne pas voir dans ce démenti un aveu.
-——————•— :— ———•
COULISSES DES CHAMBRES
U 101 SUR LES SYNDICATS PROFESSIONNELS
On a distribué hier aux députés le projet
de loi sur les syndicats professionnels, dé-
posé par le ministre de la justice. Voici le
texte de l'article unique de ce projet :
Article unique. —: L'article 2 de la loi du
21 mars 1884 relative à la création des syndi-
cats professionnels est complété ainsi qu'il
suit:
« Peuvent également faire partie des syndi-
cats. ou associations professionnels les per-
sonnes qui ont exercé la môme profession, des
métiers similaires ou des professions connexes
pendant cinq ans au moins et qui n'ont pas
cessé l'exercice de ces professions ou métiers
depuis plus de dix ans. »
* La commission du travail s'est réunie
hier d'urgence pour examiner ce projet.
Mais, contrairement à ce que l'on pensait
à la Chambre, elle n'a pas pu arrêter im-
médiatement ses résolutions. La discus-
sion a démontré, en effet, que la question,
en. apparence très simple, soulevait des
considérations variées et des difficultés
nombreuses.
Certains membres, tels que M. de Mun,
trouvent le projet du ministre insuffisant
et voudraient en écarter toute restriction.
Quant à la durée d'exercice de la profes-
sion, M. de Mun propose, en effet, d'ouvrir
l'accès des syndicats à tous les ouvriers
appartenant à une profession. Les mots ap-
partenant s'appliquant indistinctement aux
ouvriers en exercice ou à ceux qui n'exer-
cent plus.
D'autres membres, au contraire, M. Sc-
bitte, par exemple, voudraient préciser
davantage le projet de loi, en excluant des
syndicats les anciens ouvriers qui, ayant
quitté la profession, exerceraient un autre
métier depuis un nombre d'années déter-
miné.
lin présence de ces divergences, la com-
mission a ajourné sa délibération jusqu'a-
près l'audition du gouvernement. Elle
entendra aujourd'hui le ministre de la
justice. •
LE MONUMENT DE VICTOR NOIR
Le comité formé, pour élever un monu-
ment à la mémoire de Victor Noir s'est
réuni hier dans les bureaux du Rappel.
On.a vu, l'année dernière, à l'exposition
du. Cbamp de Mars, le modèle en plâtre
de la belle et saisissante statue de Dalou.
Elle a été fondue, h cire perdue par
Bingen. La fonte a admirablement réussi.
L'emplacement choisi est. au cimetière
du non loin du monument
de Blanqui.
■ Le comité a décidé que l'inauguration se
ferait le 12 juillet, à deux heures.
LA GREVE DES OMNIBUS
AL
CONSEIL MUNICIPAL
La question de la grève des employés
de la Compagnie générale des omnibus
est venue hier devant le conseil muni-
cipal.
Le débat a été des plus animés, et ne
s'est pas terminé, comme on va le voir, à
l'avantage de l'administration préfectorale
dont l'attitude, avant et pendant la grèvè,
a été déplorable.
M. Lcvraud, qui présidait a. lu la lettre
de remerciements du bureau du syndicat
des Omnibus, lettre que nous avons publiée
l'autre jour. Puis., il a exposé "brièvement
les circonstances dans lesquelles le bureau
du conseil a dû intervenir. Il a terminé en
disant que l'intervention du préfet de la
Seine, contrairement à celle du conseil,
s'était exercée contre les intérêts de la
ville et l'assemblée municipale elle-même.
«Le préfet - ce sont les termes exacts dont
s'est servi M. Levraud — n'a pas pris d'arrêté
motivé, en dépit de la loi et a refusé au
conseil le droit des'occuper delà question
des omnibus. Une pareille attitude est
«• «
surprenante; nous devions la signaler, à
l'opinion publique. »
Un quelques mots, nets et rapides, M.
Alphonse Ilumbert a appuyé les paroles
du président. Il a critiqué vivement, mais
justement, l'administration de M. Poubelle,
faite de lenteurs et d'impertinences au
conseil, lui a reproché d'avoir Violé la loi
et d'être un fonctionnaire qui fonctionne
peu, un préfet qui ne se mêle pas de ce
qui le regarde. M. Humbert a proposé
l'ordre du jour suivant, qui, disons-le tout
de suite, a été adopté par 48 voix sur 51
votants: -
« Le conseil, considérant que le préfet
de la Seine n'était pas à son poste au mo-
ment de la grève des employés des Omni-
bus, et constatant les lenteurs systémati-
ques qu'il apporte dans le règlement des
affaires municipales, invite le bureau à
faire une démarche auprès des sénateurs
et députés de Paris pour mettre un terme
à cette - situation. - »
On attendait avec une certaine curiosité
la défense de M. Poubelle. Elle a été pi-
teuse. A en croire le préfet de la Seine,
c'est lui qui, de Carcassonne, a tout prévu
et tout aplani, et s'il veut bien réserver au
ministre de l'intérieur l'honneur et le bé.
néfice d'avoir mis fin à la grève, c'est que
sa situation hiérarchique ne lui permet
P$ de les revendiquer pour lui-même.
C'est lui, par exemple, qui a envoyé M.
Alphand à la Compagnie des omnibus
pour déclarer que les revendications des
employés étaient justes, qui a suggéré
l'idée de recourir à l'intermédiaire du bu-
reau du conseil municipal et qui, finale-
ment, a menacé la compagnie de la mise
en régie de son monopole si elle ne cédait
pas. ".i
Nous devons constater que ce plaidoyer
pro' domo a été accueilli par des sourires
significatifs et n'a pas obtenu le succès
qu'en attendait son auteur. '-
• Il ne pouvait en être autrement.
Après le préfet de la Seine, le préfet de
police est à son tour mis sur la sellette par
M. Rouanet. 11 l'accuse d'avoir favorisé la
Compagnie des omnibus, en délivrant des
permis de conduire sans aucun contrôle
et même en autorisant les cochers non
munis de ces permis, de circuler, contrai-
rement à tous les règlements en vigueur.
Incidemment, M. Rouanet parle des
« liens trop intimes, des relations trop
étroites, existant entre la préfecture et le
conseil d'administration de la compagnie. »
Finalement, il dépose la. proposition
suivante, qu'il avait eu soin de taire signer
par soixante-deux de ses collègues :
« Article 1er. - Les cochers d'omnibus
seront soumis, pour l'obtention du permis
de conduire délivré par la préfecture de
police aux mêmes conditions d'examen
que les cochers de fiacre.
»Art. 2. — Les cochers révoqués par la
Compagnie des omnibus depuis le ln mai
et dont les livrets auraient été remis par
la compagnie à la préfecture de police
seront exemptés de ces formalités. »
Inutile d'ajouter .que cette proposition,
dont l'application supprime la faculté
laissée jusqu'ici à la compagnie d'obtenir
tous les permis de conduire sollicités, a
été votée à l'unanimité par le conseil mu-
nicipal.
Après M. Rouanet, MM. Vaillant, Cau-
meau et Prudent-Dervillers ont protesté
contre les violences commises par certains
agents des brigades centrales.
Le débat a été clos sur ces observations.
En somme, il résulte de la séance du
conseil; et c'est co qu'il faut retenir, que
le préfet, pour la première fois, a pro-
clamé légitimes les revendications du con-
seil contre la Compagnie des omnibus, Qt
qu'il n'est pas éloigné de mettre ti exécu-
tion les votes de déchéance antérieurs.
C'est une conversion tardive ; mais
mieux vaut tard que jamais, et si, comme
tout porte à le croire, les conclusions du
rapport de M. Rouanet sont adoptées, et
si surtout le préfet de la Seine les faif
appliquer, il sera pardonné beaucoup à
M. Poubelle parce' qu'il ja beaucoup
péché..
-. CïïAKÎ.ES nos.
V /■«». 4 -
LES TRAMWAYS NORD ET SUD
Nous avons dit hier que les délégués des
dépôts de la Compagnie des tramways
Nord ont été reçus par M. Broca, direc-
teur. • -
M. Broca leur a fait des promesses. Nous
sommes convaincu qu'il fera tout son
possible pour que le conseil d'administra-
tion lui donne les moyens de les réaliser.
M. Broca; depuis longtemps déjà, sait
combien le personnel de la compagnie
souffre et a essayé à maintes reprises
d'obtenir des améliorations sérieuses. Il
n'a pas réussi parce qu'il s'est heurté à
l'opposition systématique de M. de Guerle,
président du conseil d'administration.
M. de Guerlo est un ancien préfet du
24 mai, par suite un parfait réaction-
naire. Il n'est donc pas surprenant qu'il
ne veuille rien faire en faveur de ses em-
ployés. 4
Nous serions heureux de voir le conseil
d'administration de la Compagnie des
tramways Sud persévérer dans la voie des
réformes et nous espérons qu'il compren-
dra qu'au moment où les employés des
Omnibus vont être mieux traités, il est
inadmissible que ceux des tramways Sud
ne jouissent pas des mêmes avantages. -
Cotte observation s'adresse également à
M. de Guerle.
..- C. B,
VIVE LA MOUSTACHEh
La réunion de la Bourse du travail
Garçons limonadiers et patrons
Tout le monde est d'accord
- Une simple, question pour commencer
Allons-nous dans un restaurant parce que.
le bifteck y est bon ou bien parce que les
maîtres d'hôtel ont un visage -plus ou
moins à notre convenance? -
Mon Dieu ! je crois ne pas m'avancer
beaucoup, en déclarant au nom de la ma-
jorité, sinon de la totalité des lecteurs du
Rappel, que la saveur du bifteck a, dans
ce cas, la priorité sur le facièg du garçon
qui le sert.
Alors pourquoi diable, depuis long-
temps. depuis toujours, les limonadiers et
les restaurateurs imposent-ils à leur per-
sonnel de faire prospérer outre mesure
l'industrie des barbiers en bannissant ri-
goureusement de leur lëvre supérieure
l'ornement que les militaires portent en
croc et que les Chinois portent en berne?
C'est ce que je me suis demandé hier à
la Bourse du travail avec le millier de gar-
çons restaurateurs et limonadiers qui y
étaient réunis et qui représentaient leurs
vingt mille collègues, empêchés par leur
devoir professionnel de venir, se le de-
mander avec eux.
Un des leurs, un jeune homme, M. Au-
guste Thone, a exposé la question très
éloquemment, très spirituellement même.
Ma parole, cela faisait plaisir de voir
tous ces protestataires suivre scrupuleu-
sement la consigne de leur président, M.
Simon Bigex, qui leur avait dit : — Sur-
tout, pas de violence! Comptons sur le
temps et sur la bonne volonté de nos pa-
trous pour arriver à ce que nous deman- '-
dons. Mais ne recourons pas aux voies
anti-parlementaires. Du calme! et tout le
monde sera avec .nous!
Ils l'étaient calmes, et leurs ; plus
bruyantes manifestations étaient d'una-
nimes applaudissements en l'honncurlde'
tous, ceux qui avaient .jusqu'ici travaillé
pour eux, leur bureau en tèie.
Et tout le monde était avec eux, même
les patrons. ,co
j
: Mais oui les patrons; il y avait là M.
Catèlain, M. Marguery, M. Vianey, M.
Gillet, -des représentàhts du café do la
Paix, du restaurant Voisin. Que sais-jy
encore! *
Alors, me direz vous, puisque les pa-
trons sont avec eux, demain nous serons
servis par des garçons moustachusl
Eh bien, pas du tout. Cela peut vous
étonner, mais il n'y a encore rien de
fait.
, Pourquoi? c',
Oh! c'est très simple, M. Marguery
pris la peine de nous l'expliquer lui-même.
Certes il est des patrons qui sont remplis
de bonne vo'onté et ce ne sont pas des
moindres puisque, parmi eux, il y a tous
ceux que je viens d'énumérer et bien
d'autres encore tels que : le restaurant
Durand où depuis dimanche les garçons
portent la moustache, le restaurant Foyot.
le restaurant Barbotte, le café de Paris,
le restaurant de France, etc. - L ,---
Mais à côté de ceux-là il en est d'autres
qui ne véulent pas, qui hésitent, qui ont
peur que leurs clients ne les abandonnent,
parce qu'il sera loisible au garçon d'avoir
un visage aussi apollonesque que ceux
qu'ils servent.
Ces patrons i à sont, d'après le plébiscite
fait par la chambre syndicale, dont M.
Marguery est le président, beaucoup l)'U
nombreux, paraît-il, que les patrons con-
ciliants.
Et dam!. vouj comprenez. devant b
majorité.
Bref! il faudra attendre encore.
Pourquoi cela?
Je ne connais pas les noms des patrom.
récalcitrants, mais je connais ceux des
patrons bienveillants, et je remarque qu'ils
représentent les premières maisons de
Paris.
Eh bien, qu'ils se disent que le jour où,
tous enSemble, ils seront conséquents
avec leurs excellentes intentions et laisse-
ront la moustache de leurs garçons pous-
ser, qu'ils se disent bien que, ce jour-là,
leurs clients ne les quitteront pas pour
allér chercher dans une maison de second
ou de troisième ordre un mauvais bifteck
servi par un garçon épilé.
Qu'ils se disent bien cela et qu'ils com-
mencent, eux les forts !.. les autres les
suivront ét, bientôt, les garçons de café
et de restaurant pourront être des hommes
comme les autres et accommoder leur
visage au goût de leur femme et non au
goût de leur patron. ,
Mon avis est donc que la délégation
nommée pour convertir les patrons récal-
citrants, commission composée1 de MM.
Moulis, Bigex, Dessaux, Paul Heymann,
Marius Dure-ux. Serrier, Geniel et Auguste
Thone n'a pas grand'chose à faire.
C'est aux patrons qu'il appartient a pré-
sent de prendre une généreuse initiative
et puisque M. Marguery est une autorité
dans le monde des restaurateurs, qu'il se
mette courageusement à la tête du mou-
vement. •
Qu'il convoque ses confrères, qu'ils
prennent tous ensemble la bonne résolu-
tion dont je parle, et je leur garantis que
le public ne leur en voudra pas 1 et que
vingt mille honnêtes travailleurs les re-
mercieront et acclameront leurs noms.
Allons, messieurs les patrons, un bon
mouvement.
> HJKXRI DREYEUS.
4b
A LA CHAMBRE
La Chambre a discuté hier l>s conclu-
sions du rapport de M. Maruéjouls sur la
proposition de M. Lagrange, tendant h
appliquer l'article premier du décret du
9 septembre 1848 aux employés des en-
-treprises de transport en commun et sur
la proposition de M. Laur portant modifi-
cation de la loi de 1848 sur h durée des
heures de travail. oit sait que ces propoii-
Feuilleton du RAPPEL.
DU 5 JUIN
!
: 23
LEONARD AUBRY
DEUXIÈME PARTIE
ACTION
- V (suite)
L? lendemain matin , Pierre était a
Bfttges- ,.
qaiis se laisser troubler par l'ombre
d'un doute dans ce steeple-chase entre la
rthatse de poste et la patache, dans ce
duel de vitesse entre une tortue et un oi-
seau," Pierre loua une carriole qui, en
trois heures, le mena à Ostende. Sa pre-
mière question fut sur l'heure de la ma-
tée. Nej>tune le favorisait : le paquebot
- pour i'Angtetçrie ne partait qu'à , deux
iietwes. ',
- J'ai deux heures à moi, se dit Pierre.
1.1 se fit indiquer le premier hôtel d'Os-
tende.
— M. Delvir? demanda-t-il à un garçon.
- - Il est allé faire un tour sur la jetée,
va _:-,.,'",
_.p.!1 iuerdiie.:,;., ':",
V" te ftltu,}t du 11 mai au 4 iuia : ',.
• ■_ # i- ': ; :
- Bien! je l'attendrai, dit Pierre.
Au bout d'un quart d'heure, Delvil pa-
rut, appela sous le vestibule un grand
domestique en livrée, et monta, tout en lui
donnant des ordres, à son appartement,
,au premier étage.
Pierre les suivit et se promena pendant
quelques minutes dans le couloir jusqu'à
ce qu'il vit sortir le domestique. Alors il
relira la clef de la serrure, entra douce-
ment dans la chambre, ferma la porte à
double tour en dedans, mit la clef dans sa
poche, et se retourna vers Delvil. Il tenait
à la main sa boite de pistolets.
La scène entre l'ex-dragon et le ban-
quier ne fut pas indigne de la sobriété, on
peut dire de la naïveté, des moyens c-
ployés jusque-là par Pierre. -
—r Monsieur, j'ai bien-l'honneur de vous
saluer. Vous me me remettez pas?
— Je n'ai pas cet avantage, monsieur.
— Pierre Aubrv, un de vos clients.
- Ah ! fort bien, dit le banquier très
surpris. Qu'y a-t-il pour votre service,
monsieur? -,
— Voici, monsieur : vous nous devez, à
mon père et à moi, 38,000 fr., tant capital
qu'intérêts. Je ne sais pas au juste quelle
est la fraction ; n'en parlons pas. Je vous
serais obligé, monsieur, de vouloir bien
me rendre immédiatement cette somme,
Il y eut de la part du banquier un silence
de stupéfaction.
- Je vois, monsieur reprit-il enfin, que
vous ignorez encore le désastre qui m'a
frappé. Mon bilan a déposé avant-hier
•^^îailUtè déclarée hii^r A Paris..
- Je le sais, monsieur, et c'est pour
ça que j'ai couru après vous jusqu'ici.
— Mais, monsieur Aubrv, je ne puis ni
ne dois vous payer en ce moment. Plus
tard, je ne dis pas. J'espère donner à mes
créanciers 25 et peut-être 30 0/0.
- Vous avez donc de l'argent? reprit
Pierre; alors, donnez-men,
— Impossible !
Pierre posa et ouvrit sa boite, prit un
pistolet dans chaque main, et, visant tran-
quillement le banquier :
— Donnez-m'en, ou je tire, reprit-il.
Le banquier, se dressa, effaré :
— Comment ! quoi? s'écria-l-il, quelle
est cette violence?. Ne tirez pas!.
Qu'est-ce que vous voulez, malheureux?
M'assassiner el vous tuer ensuite ?
— Non pas! dit Pierre paisiblement;
les deux pistolets sont pour vous. J'ai cal-'
culé mon affaire ; il a fallu vingt ans à mon'
Tlèro et dix ans a moi pour amasser l'ar-
gent que vous nous emportez. On ne me
condamnera toujours pas à plus do trente
ans pour avoir tué mon voleur. — Allons !
décidez-vous, ou je tire.
— Ah î mais je vais crier, appeler !
— Je tire.
— Arrêtez ! s'écria le banquier, pâle
comme un mort ; savez-vous bien au moins
ce que vous faites là ? Vous me demandez
la bourse ou la vie.
Pierre resta un moment étourdi du re-
proché. Mais, à force de se-ils commun, il
fut presque spirituel :
— Eh ! non, dit-il ; je vous démande:
Ma. Bourse pu la yie.t.. .- • » :
,. - - -'
Il y avait dans son attitude tant d'assu-
rance, et, pour ainsi dire, de sécurité ; sa
tournure d'ancien soldat, son ruban rouge,
ses pistolets braqués, les verrous de la
porte tirés, tout cela parlait si éloquem-
ment, que le banqueroutier, frémissant de
peur et de rage, se dit:
- Cette brute va évidemment m'estro-
pier ou me tuer; exécutons-nous!
Il tenta pourtant un dernier effort :
— Enfin, dit-il, on ne colporte pas avec
soi une somme aussi forte ! Si je n'ai pas
votre argent pourtant?
- Je tire, reprit Pierre sans sourciller.
Le banquier proféra un horrible jure-
ment; mais, sous l'état de siège de ces
-formidables .pistolets,: il alla à une petite
malle doublée de cuivre,.y prit un porte-
feuille à fermoir d'acier, et en tira quatre:
paquets de billets de banque, dont il déta-
cha seulement deux billets.
—. Voici vos trente-huit mille francs,
dit-il en jetant les autres devant Pierre.
- Merci, reprit Pierre après avoir
compté. Je vais, vous donner un reçu,
— Inutile. Pour vous comme pour moi,
il vaut mieux qu'on ne sache pas à quelle
violence j'ai cédé.
— Pardon, mais j'y tiens.
— Alors, antidatez du moins votre reçu
de trois jours.. ,
Soit.; voilà ma quittance. — Ah ça r
ne vous avisez pas de me chercher chicane
quand je vais être sorti d'ici.
— Eh ! monsieur, reprit le banquier fu-
rieux, il est une heure et demie, je m'em-
barque à deux heures. Vous figurez-vous
que ie vais faire un procès, un csçlandfe,
pour quarante misérables mille francs?
- Ah s'écria superbement Pierre, vos
autres créanciers sont-ils bêles !
Il serra ses pistolets, ouvrit la porte, sa-
lua gravement le banquier et sortit.
Le lendemain soir, il était à Paris. Il
n'avait été absent que quatre jours.
Il trouva autour du poêle toute la fa-
mille, plus Daniel.
— Voiti l'argent, dit-il avec majesté.
Pressé de questions, il raconta toute son
odyssée.
— C'est prodigieux ! s'écria Daniel. Vous
ave/, trouvé - moyen, monsieur Pierre, de
tirer (t vue slvr un banqueroutier. ;
Pierre ne comprit pas le calembour de
Daniel ; mais Daniel comprenait-il rac,
tion de Pierre ? Pour Brigitte, cUe adm-ira
profondément son ainé,
Les dés étaient pour Pierre : la semaine
d'après, arriva la réponse de Natalis. ;
Marie, attristée, et sa mère, allèrent, le
jour même, la porter a Châtenay.
- '-.. Une lettre de Natalis, Va la lire dans
ta chambre, dit Marie à Marthe.
Souvent la Providence nous donne à:
porter, à nous aulres pauvres vivants
aveugles, des ordres cachetés que nous ne
devons lire et exécuter, qu'à des endroits et
à des temps indéterminés. Ce fut d'une
main tremblante que Marthe ouvrit un de
ces plis divins. Son cœur n'avait jamais été
bien lucide; elle l'avait écouté d'instinct,
innocemment, naïvement, sans savoir le
raisonner; elle s'était laissé bercer 0"
cette vague musique intérieure, sans for-
muler elle même aucune idée précise
-: ,-;.,' ''; "';. Æ,
aucun espoir certain. EUe avait toujours.
été, vis-à-vis de Natalis, comme ceu-z qui
dorment et qui rêvent; 115 croient mai-ciier
et ne bougent pas ; ils croient parler et la
voix leur. manque. La lettre de Natalis
réveilla en sursaut la pauvre âme.somnam-
bule.
Allons! elle avait songé à lui, mais lui
n'avait pas pensé h elle ! Au fait, lui avait-il
jamais dit un mot qui justifiât ses illu-
sions? C'était la réalité, cela! c'était 1.1
vie! Eh bien, elle s'y conformait, elle s'y
résignait avec la candeur ci la simplicité
qui lui étaient nàtufcHea. HUc ouvrait les
yeux, elle passait la main sur son front,
elle disait adieu aux beaux mensonges du
sommeil, et elle se remettait avec courage
et douceur au train des. iiécess'lés du
monde positif. En un instant, tout son
rêve fut pour elle comme s'il n'avait ja-
mais été; -*"• 1
Au bout d'un quart d'heure, elle revint
pfès de Brigitte èt dô Marie, un peu pile
et le regard encore tristement interdit,
mais armée de calme et de sérénité :
.:".:!ton. cousin .Natalis a raison, dit-elle ;
je ne peux pas et je ne veux pas faire at-
tendra plus longtemps ma réponse à mon
cousin Pierre, qui a été si bon et si géné-
reux pour moi. Qu'il fixe donc lui-même
le jour où je serai sa femme.
On était alors à la fin de janvier, Pierre,
enchanté, mais nullement surpris, fit le
compte dès formalités à remplir et fixa du
20 au 25 février la date de son mariage
PAUL Mguniri&"
[A tyiyréi
- - - — - -.
CINQ centimes le numéro
17 Prairial an 99 — Ne 7758
,'" ., RÉDACTION ,., *
> i8, BUE DE VALOlS, 18 "!
- ,.. t~"- :1 ,.--
: S'ADRESSER AU-SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION "î
De 4 à 6 heures du soir ?
o Et de 9 Iteures du soir à minuit , 4t ssxr*
• ta-i NON INSÈRES KE SERONT PAS MMtM
"Ir.. >
APMmiSTRATIÔN
:, u 48, RUE DE VALOIS, 18
Adresser lettres et mandats
A L'ADMINISTRATION -GERANT
, .hl ';.,..,..
1 : ANNONCES
- MM. Ch. LAGRANGE, CERF et G*
, 6, place de la Bourse,, 6 J
-. ABONNEMENTS ;
PARIS
V* mois - 2 rg";
TROIS MOIS. 5 -
SIX MOIS 9 Fa.
UN AN 18 -
1 Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
i ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS -
Ctf mais 2 FR.
TROIS MOIS 6 -
SIX MOIS. 11 ra
UN AN .: 20 —
Nos bons amis les Anglais
K*i janvier 1890, le prince Napoléon
causait avec le roi d'Italie. Le sujet de
la conversation était la guerre possible.
, Je n'ai rien à craindre pour la
, .sécurité des côtes italiennes, dit le roi.
J'ai du cabinet de Saint-James la pro-
: messe formelle que la flotte angolaise se
joindra à la mienne, le cas échéant,
pour couvrir l'Italie contre toute opé-
ration maritime. , 1
Le prince se récria : •
- Mais alors, c'est l'adhésion de
l'Angleterre it la triple alliance!
Le roi poursuivit: <
— Si la guerre éclate, je suis rassuré
du coté de la mer, et, grâce à la parti-,
cîpôiion de la flotte anglaise, je pourrai
mobiliser mon année en toute tran-
rjuiUilé.
-, Le prince fit une objection :
— Mais vous ne pouvez pas avoir de
; traité avec l'Angle terre : des engage-
; IHtÜts à échéance aussi longue et aussi
incertaine ne sont pas dans les tradi-
tions du Foreign-Office, et les traités,
secrets sont contraires à la Constitution
anglaise.
c' Le roi mit fin à reritrctieii : v ?
— Je n'ai pas a vous en dire davan-
tage. Ce que je puis vous affirmer,
c'est que les gouvernements anglais et
italicn ont échangé des dépêches qui
, contiennent des engagements précis ; et
j'ai pleine confiance dans la parole
écrite du gouvernement anglais.
Pourquoi le roi faisait-il cette confi-
doiioe au prince ? Probablement pour
xjîie le prince la répétât.
On a vu l'autre jour qu'en 1889 M.
Crispi croyait la France désireuse de
mettre le feu à l'Europe. Oui, cet homme
d'Etat, ce politique avise, plus qu'Italien,
Sicilien, s'était laissé persuader que la
France n'avait pas d'autre idée que de
tuer sa grande Exposition. Ce qu'on lui
avait fait accroire, il avait du le faire
accroire à son roi. L'Exposition passée,
la France ne pouvait qu'être davantage
décidée à la guerre. Et alors le roi n'é-
tait pas fâché de dire au prince Napo-
léon, qui le redirait, que, si la France
se ruait sur l'Italie.' elle trouverait entre
l'Italie - et elle — lAngleterre. Cela fe-
rait réfléchir la France, et l'Italie
pourrait continuer paisiblement de se
ruiner
i Le premier soin du prince fut, en effet,;
de redire ce que lui avait dit le roi.
* Oe retour à San Remo, il y manda
lJl, Lucien Millcvoyc, député de la
Somme, lui raconta la conversation du
Quirinal. et le chargea de prévenir le
gouvernement de la République. , -
Il ne trouva pas que M. Millevoye suf-
fil Quelques mois plus tard, il fit venir
lA Prangins M. Georges Poignant, qui
témoigne aujourd'hui :
—«Je m'entretenais avec le prince de
la situation de la France et des moyens
de résister à la triple alliance. - Dites
la quadruple alliance, s'écria le prince
: avec sa vivacité bien connue. Et il m'ap-
prit que l'Angleterre s'était engagée,
en cas de guerre, à protéger les côtes
italiennes contre toute attaque de la
flotte française et que ce pacte lui avait
été révélé par le roi Humbert lui-
111ème..) '.,' ¡
M. Millevoye s'acquitta de la com-
mission que son prince lui avait don-
née : il prévint le gouvernement de la
République. Avant prévenu la France,
il croit devoir aussi prévenir l'Angle-
terre. Il adresse à un membre de la
Chambre des communes, M. Labou-
chère, une lettre qu'il communique au
Figaro. Il espère que les Communes
vont mal prendre les engagements de
leur gouvernement et que l'Angleterre
va rougir et s'indigner de se voir la
complice des ennemis de la France. Il
s'imagine que l'Angleterre n'a pas ou-
blié que nos soldats et les siens ont été
compagnons d'armes en Crimée. Naïve
illusion. L'Angleterre se souvient de
Sébastopol comme l'Italie, se souvient
de Solférino.
- Les cotes italiennes ne pourraient
être en péril que si la France était atta-
quée. Car il n'y a que M. Crispi tpour
croire que c'est la France qui attaquera.
Par conséquent, en rassurant l'Italie
sur ses côtes, l'Angleterre encourage
l'Allemagne à nous attaquer. Est-ce
donc qu'elle désire la guerre ? Ce serait
trop dire. Mais quelques complications
à l'extérieur ne lui déplairaient peut-
être pas trop. Elles seraient une diversion
à l'effet produit par les choses qui se
passent chez elle. Yoilà bien des
scandales coup sur coup depuis les ré-
vélations de la Pall Mall Gazette. L'au-
tre mois, l'histoire du capitaine Verney
avec Nélie Baskettc ; le lendemain, celle
du pieux Edward de Cobain, qui tenait
dans sa maison une réunion de prières
hebdomadaires e l qui n'aurait pas a tten té,
lui, à la vertu des jeunes filles, préfé-
rant les jeunes garçons; aujourd'hui,
le baccarat du prince de Galles. L'An-
gleterre ne serait pas fâchée qu'on re-
gardât d'un autre côlé. -,,:";";if'. ,'
AUGUSTE VACQUERIE.
La question do l'aide promise par l'An-
gleterre à l'Italie est venue hier à la
Chambre des communes. Á une demande
de M. Labouchere, sir James Fergusson,
sous-secrétaire d'Etat aux affaires étran-
gères, a répondu que le gouvernement
s'était déjà expliqué là-dessus en 1888 et
qu'il n'avait rien à ajouter.
Ce n'est pas cette réponse qui empêchera
de croire à la réalité de l'entente secrète
dénoncée par le prince Napoléon, — pas
plus que l'affirmation du journal ministé-
riel le Alonliug Post déclarant que « l'on-
trée formelle de l'Angleterre dans la triple
alliance n'a jamais fait partie du pro-
gramme de lord Salisbury».
« Formelle » est d'un joli jésuitisme.
Mais il faudrait plus que de la candeur
pour ne pas voir dans ce démenti un aveu.
-——————•— :— ———•
COULISSES DES CHAMBRES
U 101 SUR LES SYNDICATS PROFESSIONNELS
On a distribué hier aux députés le projet
de loi sur les syndicats professionnels, dé-
posé par le ministre de la justice. Voici le
texte de l'article unique de ce projet :
Article unique. —: L'article 2 de la loi du
21 mars 1884 relative à la création des syndi-
cats professionnels est complété ainsi qu'il
suit:
« Peuvent également faire partie des syndi-
cats. ou associations professionnels les per-
sonnes qui ont exercé la môme profession, des
métiers similaires ou des professions connexes
pendant cinq ans au moins et qui n'ont pas
cessé l'exercice de ces professions ou métiers
depuis plus de dix ans. »
* La commission du travail s'est réunie
hier d'urgence pour examiner ce projet.
Mais, contrairement à ce que l'on pensait
à la Chambre, elle n'a pas pu arrêter im-
médiatement ses résolutions. La discus-
sion a démontré, en effet, que la question,
en. apparence très simple, soulevait des
considérations variées et des difficultés
nombreuses.
Certains membres, tels que M. de Mun,
trouvent le projet du ministre insuffisant
et voudraient en écarter toute restriction.
Quant à la durée d'exercice de la profes-
sion, M. de Mun propose, en effet, d'ouvrir
l'accès des syndicats à tous les ouvriers
appartenant à une profession. Les mots ap-
partenant s'appliquant indistinctement aux
ouvriers en exercice ou à ceux qui n'exer-
cent plus.
D'autres membres, au contraire, M. Sc-
bitte, par exemple, voudraient préciser
davantage le projet de loi, en excluant des
syndicats les anciens ouvriers qui, ayant
quitté la profession, exerceraient un autre
métier depuis un nombre d'années déter-
miné.
lin présence de ces divergences, la com-
mission a ajourné sa délibération jusqu'a-
près l'audition du gouvernement. Elle
entendra aujourd'hui le ministre de la
justice. •
LE MONUMENT DE VICTOR NOIR
Le comité formé, pour élever un monu-
ment à la mémoire de Victor Noir s'est
réuni hier dans les bureaux du Rappel.
On.a vu, l'année dernière, à l'exposition
du. Cbamp de Mars, le modèle en plâtre
de la belle et saisissante statue de Dalou.
Elle a été fondue, h cire perdue par
Bingen. La fonte a admirablement réussi.
L'emplacement choisi est. au cimetière
du non loin du monument
de Blanqui.
■ Le comité a décidé que l'inauguration se
ferait le 12 juillet, à deux heures.
LA GREVE DES OMNIBUS
AL
CONSEIL MUNICIPAL
La question de la grève des employés
de la Compagnie générale des omnibus
est venue hier devant le conseil muni-
cipal.
Le débat a été des plus animés, et ne
s'est pas terminé, comme on va le voir, à
l'avantage de l'administration préfectorale
dont l'attitude, avant et pendant la grèvè,
a été déplorable.
M. Lcvraud, qui présidait a. lu la lettre
de remerciements du bureau du syndicat
des Omnibus, lettre que nous avons publiée
l'autre jour. Puis., il a exposé "brièvement
les circonstances dans lesquelles le bureau
du conseil a dû intervenir. Il a terminé en
disant que l'intervention du préfet de la
Seine, contrairement à celle du conseil,
s'était exercée contre les intérêts de la
ville et l'assemblée municipale elle-même.
«Le préfet - ce sont les termes exacts dont
s'est servi M. Levraud — n'a pas pris d'arrêté
motivé, en dépit de la loi et a refusé au
conseil le droit des'occuper delà question
des omnibus. Une pareille attitude est
«• «
surprenante; nous devions la signaler, à
l'opinion publique. »
Un quelques mots, nets et rapides, M.
Alphonse Ilumbert a appuyé les paroles
du président. Il a critiqué vivement, mais
justement, l'administration de M. Poubelle,
faite de lenteurs et d'impertinences au
conseil, lui a reproché d'avoir Violé la loi
et d'être un fonctionnaire qui fonctionne
peu, un préfet qui ne se mêle pas de ce
qui le regarde. M. Humbert a proposé
l'ordre du jour suivant, qui, disons-le tout
de suite, a été adopté par 48 voix sur 51
votants: -
« Le conseil, considérant que le préfet
de la Seine n'était pas à son poste au mo-
ment de la grève des employés des Omni-
bus, et constatant les lenteurs systémati-
ques qu'il apporte dans le règlement des
affaires municipales, invite le bureau à
faire une démarche auprès des sénateurs
et députés de Paris pour mettre un terme
à cette - situation. - »
On attendait avec une certaine curiosité
la défense de M. Poubelle. Elle a été pi-
teuse. A en croire le préfet de la Seine,
c'est lui qui, de Carcassonne, a tout prévu
et tout aplani, et s'il veut bien réserver au
ministre de l'intérieur l'honneur et le bé.
néfice d'avoir mis fin à la grève, c'est que
sa situation hiérarchique ne lui permet
P$ de les revendiquer pour lui-même.
C'est lui, par exemple, qui a envoyé M.
Alphand à la Compagnie des omnibus
pour déclarer que les revendications des
employés étaient justes, qui a suggéré
l'idée de recourir à l'intermédiaire du bu-
reau du conseil municipal et qui, finale-
ment, a menacé la compagnie de la mise
en régie de son monopole si elle ne cédait
pas. ".i
Nous devons constater que ce plaidoyer
pro' domo a été accueilli par des sourires
significatifs et n'a pas obtenu le succès
qu'en attendait son auteur. '-
• Il ne pouvait en être autrement.
Après le préfet de la Seine, le préfet de
police est à son tour mis sur la sellette par
M. Rouanet. 11 l'accuse d'avoir favorisé la
Compagnie des omnibus, en délivrant des
permis de conduire sans aucun contrôle
et même en autorisant les cochers non
munis de ces permis, de circuler, contrai-
rement à tous les règlements en vigueur.
Incidemment, M. Rouanet parle des
« liens trop intimes, des relations trop
étroites, existant entre la préfecture et le
conseil d'administration de la compagnie. »
Finalement, il dépose la. proposition
suivante, qu'il avait eu soin de taire signer
par soixante-deux de ses collègues :
« Article 1er. - Les cochers d'omnibus
seront soumis, pour l'obtention du permis
de conduire délivré par la préfecture de
police aux mêmes conditions d'examen
que les cochers de fiacre.
»Art. 2. — Les cochers révoqués par la
Compagnie des omnibus depuis le ln mai
et dont les livrets auraient été remis par
la compagnie à la préfecture de police
seront exemptés de ces formalités. »
Inutile d'ajouter .que cette proposition,
dont l'application supprime la faculté
laissée jusqu'ici à la compagnie d'obtenir
tous les permis de conduire sollicités, a
été votée à l'unanimité par le conseil mu-
nicipal.
Après M. Rouanet, MM. Vaillant, Cau-
meau et Prudent-Dervillers ont protesté
contre les violences commises par certains
agents des brigades centrales.
Le débat a été clos sur ces observations.
En somme, il résulte de la séance du
conseil; et c'est co qu'il faut retenir, que
le préfet, pour la première fois, a pro-
clamé légitimes les revendications du con-
seil contre la Compagnie des omnibus, Qt
qu'il n'est pas éloigné de mettre ti exécu-
tion les votes de déchéance antérieurs.
C'est une conversion tardive ; mais
mieux vaut tard que jamais, et si, comme
tout porte à le croire, les conclusions du
rapport de M. Rouanet sont adoptées, et
si surtout le préfet de la Seine les faif
appliquer, il sera pardonné beaucoup à
M. Poubelle parce' qu'il ja beaucoup
péché..
-. CïïAKÎ.ES nos.
V /■«». 4 -
LES TRAMWAYS NORD ET SUD
Nous avons dit hier que les délégués des
dépôts de la Compagnie des tramways
Nord ont été reçus par M. Broca, direc-
teur. • -
M. Broca leur a fait des promesses. Nous
sommes convaincu qu'il fera tout son
possible pour que le conseil d'administra-
tion lui donne les moyens de les réaliser.
M. Broca; depuis longtemps déjà, sait
combien le personnel de la compagnie
souffre et a essayé à maintes reprises
d'obtenir des améliorations sérieuses. Il
n'a pas réussi parce qu'il s'est heurté à
l'opposition systématique de M. de Guerle,
président du conseil d'administration.
M. de Guerlo est un ancien préfet du
24 mai, par suite un parfait réaction-
naire. Il n'est donc pas surprenant qu'il
ne veuille rien faire en faveur de ses em-
ployés. 4
Nous serions heureux de voir le conseil
d'administration de la Compagnie des
tramways Sud persévérer dans la voie des
réformes et nous espérons qu'il compren-
dra qu'au moment où les employés des
Omnibus vont être mieux traités, il est
inadmissible que ceux des tramways Sud
ne jouissent pas des mêmes avantages. -
Cotte observation s'adresse également à
M. de Guerle.
..- C. B,
VIVE LA MOUSTACHEh
La réunion de la Bourse du travail
Garçons limonadiers et patrons
Tout le monde est d'accord
- Une simple, question pour commencer
Allons-nous dans un restaurant parce que.
le bifteck y est bon ou bien parce que les
maîtres d'hôtel ont un visage -plus ou
moins à notre convenance? -
Mon Dieu ! je crois ne pas m'avancer
beaucoup, en déclarant au nom de la ma-
jorité, sinon de la totalité des lecteurs du
Rappel, que la saveur du bifteck a, dans
ce cas, la priorité sur le facièg du garçon
qui le sert.
Alors pourquoi diable, depuis long-
temps. depuis toujours, les limonadiers et
les restaurateurs imposent-ils à leur per-
sonnel de faire prospérer outre mesure
l'industrie des barbiers en bannissant ri-
goureusement de leur lëvre supérieure
l'ornement que les militaires portent en
croc et que les Chinois portent en berne?
C'est ce que je me suis demandé hier à
la Bourse du travail avec le millier de gar-
çons restaurateurs et limonadiers qui y
étaient réunis et qui représentaient leurs
vingt mille collègues, empêchés par leur
devoir professionnel de venir, se le de-
mander avec eux.
Un des leurs, un jeune homme, M. Au-
guste Thone, a exposé la question très
éloquemment, très spirituellement même.
Ma parole, cela faisait plaisir de voir
tous ces protestataires suivre scrupuleu-
sement la consigne de leur président, M.
Simon Bigex, qui leur avait dit : — Sur-
tout, pas de violence! Comptons sur le
temps et sur la bonne volonté de nos pa-
trous pour arriver à ce que nous deman- '-
dons. Mais ne recourons pas aux voies
anti-parlementaires. Du calme! et tout le
monde sera avec .nous!
Ils l'étaient calmes, et leurs ; plus
bruyantes manifestations étaient d'una-
nimes applaudissements en l'honncurlde'
tous, ceux qui avaient .jusqu'ici travaillé
pour eux, leur bureau en tèie.
Et tout le monde était avec eux, même
les patrons. ,co
j
: Mais oui les patrons; il y avait là M.
Catèlain, M. Marguery, M. Vianey, M.
Gillet, -des représentàhts du café do la
Paix, du restaurant Voisin. Que sais-jy
encore! *
Alors, me direz vous, puisque les pa-
trons sont avec eux, demain nous serons
servis par des garçons moustachusl
Eh bien, pas du tout. Cela peut vous
étonner, mais il n'y a encore rien de
fait.
, Pourquoi? c',
Oh! c'est très simple, M. Marguery
pris la peine de nous l'expliquer lui-même.
Certes il est des patrons qui sont remplis
de bonne vo'onté et ce ne sont pas des
moindres puisque, parmi eux, il y a tous
ceux que je viens d'énumérer et bien
d'autres encore tels que : le restaurant
Durand où depuis dimanche les garçons
portent la moustache, le restaurant Foyot.
le restaurant Barbotte, le café de Paris,
le restaurant de France, etc. - L ,---
Mais à côté de ceux-là il en est d'autres
qui ne véulent pas, qui hésitent, qui ont
peur que leurs clients ne les abandonnent,
parce qu'il sera loisible au garçon d'avoir
un visage aussi apollonesque que ceux
qu'ils servent.
Ces patrons i à sont, d'après le plébiscite
fait par la chambre syndicale, dont M.
Marguery est le président, beaucoup l)'U
nombreux, paraît-il, que les patrons con-
ciliants.
Et dam!. vouj comprenez. devant b
majorité.
Bref! il faudra attendre encore.
Pourquoi cela?
Je ne connais pas les noms des patrom.
récalcitrants, mais je connais ceux des
patrons bienveillants, et je remarque qu'ils
représentent les premières maisons de
Paris.
Eh bien, qu'ils se disent que le jour où,
tous enSemble, ils seront conséquents
avec leurs excellentes intentions et laisse-
ront la moustache de leurs garçons pous-
ser, qu'ils se disent bien que, ce jour-là,
leurs clients ne les quitteront pas pour
allér chercher dans une maison de second
ou de troisième ordre un mauvais bifteck
servi par un garçon épilé.
Qu'ils se disent bien cela et qu'ils com-
mencent, eux les forts !.. les autres les
suivront ét, bientôt, les garçons de café
et de restaurant pourront être des hommes
comme les autres et accommoder leur
visage au goût de leur femme et non au
goût de leur patron. ,
Mon avis est donc que la délégation
nommée pour convertir les patrons récal-
citrants, commission composée1 de MM.
Moulis, Bigex, Dessaux, Paul Heymann,
Marius Dure-ux. Serrier, Geniel et Auguste
Thone n'a pas grand'chose à faire.
C'est aux patrons qu'il appartient a pré-
sent de prendre une généreuse initiative
et puisque M. Marguery est une autorité
dans le monde des restaurateurs, qu'il se
mette courageusement à la tête du mou-
vement. •
Qu'il convoque ses confrères, qu'ils
prennent tous ensemble la bonne résolu-
tion dont je parle, et je leur garantis que
le public ne leur en voudra pas 1 et que
vingt mille honnêtes travailleurs les re-
mercieront et acclameront leurs noms.
Allons, messieurs les patrons, un bon
mouvement.
> HJKXRI DREYEUS.
4b
A LA CHAMBRE
La Chambre a discuté hier l>s conclu-
sions du rapport de M. Maruéjouls sur la
proposition de M. Lagrange, tendant h
appliquer l'article premier du décret du
9 septembre 1848 aux employés des en-
-treprises de transport en commun et sur
la proposition de M. Laur portant modifi-
cation de la loi de 1848 sur h durée des
heures de travail. oit sait que ces propoii-
Feuilleton du RAPPEL.
DU 5 JUIN
!
: 23
LEONARD AUBRY
DEUXIÈME PARTIE
ACTION
- V (suite)
L? lendemain matin , Pierre était a
Bfttges- ,.
qaiis se laisser troubler par l'ombre
d'un doute dans ce steeple-chase entre la
rthatse de poste et la patache, dans ce
duel de vitesse entre une tortue et un oi-
seau," Pierre loua une carriole qui, en
trois heures, le mena à Ostende. Sa pre-
mière question fut sur l'heure de la ma-
tée. Nej>tune le favorisait : le paquebot
- pour i'Angtetçrie ne partait qu'à , deux
iietwes. ',
- J'ai deux heures à moi, se dit Pierre.
1.1 se fit indiquer le premier hôtel d'Os-
tende.
— M. Delvir? demanda-t-il à un garçon.
- - Il est allé faire un tour sur la jetée,
va _:-,.,'",
_.p.!1 iuerdiie.:,;., ':",
V" te ftltu,}t du 11 mai au 4 iuia : ',.
• ■_ # i- ': ; :
- Bien! je l'attendrai, dit Pierre.
Au bout d'un quart d'heure, Delvil pa-
rut, appela sous le vestibule un grand
domestique en livrée, et monta, tout en lui
donnant des ordres, à son appartement,
,au premier étage.
Pierre les suivit et se promena pendant
quelques minutes dans le couloir jusqu'à
ce qu'il vit sortir le domestique. Alors il
relira la clef de la serrure, entra douce-
ment dans la chambre, ferma la porte à
double tour en dedans, mit la clef dans sa
poche, et se retourna vers Delvil. Il tenait
à la main sa boite de pistolets.
La scène entre l'ex-dragon et le ban-
quier ne fut pas indigne de la sobriété, on
peut dire de la naïveté, des moyens c-
ployés jusque-là par Pierre. -
—r Monsieur, j'ai bien-l'honneur de vous
saluer. Vous me me remettez pas?
— Je n'ai pas cet avantage, monsieur.
— Pierre Aubrv, un de vos clients.
- Ah ! fort bien, dit le banquier très
surpris. Qu'y a-t-il pour votre service,
monsieur? -,
— Voici, monsieur : vous nous devez, à
mon père et à moi, 38,000 fr., tant capital
qu'intérêts. Je ne sais pas au juste quelle
est la fraction ; n'en parlons pas. Je vous
serais obligé, monsieur, de vouloir bien
me rendre immédiatement cette somme,
Il y eut de la part du banquier un silence
de stupéfaction.
- Je vois, monsieur reprit-il enfin, que
vous ignorez encore le désastre qui m'a
frappé. Mon bilan a déposé avant-hier
•^^îailUtè déclarée hii^r A Paris..
- Je le sais, monsieur, et c'est pour
ça que j'ai couru après vous jusqu'ici.
— Mais, monsieur Aubrv, je ne puis ni
ne dois vous payer en ce moment. Plus
tard, je ne dis pas. J'espère donner à mes
créanciers 25 et peut-être 30 0/0.
- Vous avez donc de l'argent? reprit
Pierre; alors, donnez-men,
— Impossible !
Pierre posa et ouvrit sa boite, prit un
pistolet dans chaque main, et, visant tran-
quillement le banquier :
— Donnez-m'en, ou je tire, reprit-il.
Le banquier, se dressa, effaré :
— Comment ! quoi? s'écria-l-il, quelle
est cette violence?. Ne tirez pas!.
Qu'est-ce que vous voulez, malheureux?
M'assassiner el vous tuer ensuite ?
— Non pas! dit Pierre paisiblement;
les deux pistolets sont pour vous. J'ai cal-'
culé mon affaire ; il a fallu vingt ans à mon'
Tlèro et dix ans a moi pour amasser l'ar-
gent que vous nous emportez. On ne me
condamnera toujours pas à plus do trente
ans pour avoir tué mon voleur. — Allons !
décidez-vous, ou je tire.
— Ah î mais je vais crier, appeler !
— Je tire.
— Arrêtez ! s'écria le banquier, pâle
comme un mort ; savez-vous bien au moins
ce que vous faites là ? Vous me demandez
la bourse ou la vie.
Pierre resta un moment étourdi du re-
proché. Mais, à force de se-ils commun, il
fut presque spirituel :
— Eh ! non, dit-il ; je vous démande:
Ma. Bourse pu la yie.t.. .- • » :
,. - - -'
Il y avait dans son attitude tant d'assu-
rance, et, pour ainsi dire, de sécurité ; sa
tournure d'ancien soldat, son ruban rouge,
ses pistolets braqués, les verrous de la
porte tirés, tout cela parlait si éloquem-
ment, que le banqueroutier, frémissant de
peur et de rage, se dit:
- Cette brute va évidemment m'estro-
pier ou me tuer; exécutons-nous!
Il tenta pourtant un dernier effort :
— Enfin, dit-il, on ne colporte pas avec
soi une somme aussi forte ! Si je n'ai pas
votre argent pourtant?
- Je tire, reprit Pierre sans sourciller.
Le banquier proféra un horrible jure-
ment; mais, sous l'état de siège de ces
-formidables .pistolets,: il alla à une petite
malle doublée de cuivre,.y prit un porte-
feuille à fermoir d'acier, et en tira quatre:
paquets de billets de banque, dont il déta-
cha seulement deux billets.
—. Voici vos trente-huit mille francs,
dit-il en jetant les autres devant Pierre.
- Merci, reprit Pierre après avoir
compté. Je vais, vous donner un reçu,
— Inutile. Pour vous comme pour moi,
il vaut mieux qu'on ne sache pas à quelle
violence j'ai cédé.
— Pardon, mais j'y tiens.
— Alors, antidatez du moins votre reçu
de trois jours.. ,
Soit.; voilà ma quittance. — Ah ça r
ne vous avisez pas de me chercher chicane
quand je vais être sorti d'ici.
— Eh ! monsieur, reprit le banquier fu-
rieux, il est une heure et demie, je m'em-
barque à deux heures. Vous figurez-vous
que ie vais faire un procès, un csçlandfe,
pour quarante misérables mille francs?
- Ah s'écria superbement Pierre, vos
autres créanciers sont-ils bêles !
Il serra ses pistolets, ouvrit la porte, sa-
lua gravement le banquier et sortit.
Le lendemain soir, il était à Paris. Il
n'avait été absent que quatre jours.
Il trouva autour du poêle toute la fa-
mille, plus Daniel.
— Voiti l'argent, dit-il avec majesté.
Pressé de questions, il raconta toute son
odyssée.
— C'est prodigieux ! s'écria Daniel. Vous
ave/, trouvé - moyen, monsieur Pierre, de
tirer (t vue slvr un banqueroutier. ;
Pierre ne comprit pas le calembour de
Daniel ; mais Daniel comprenait-il rac,
tion de Pierre ? Pour Brigitte, cUe adm-ira
profondément son ainé,
Les dés étaient pour Pierre : la semaine
d'après, arriva la réponse de Natalis. ;
Marie, attristée, et sa mère, allèrent, le
jour même, la porter a Châtenay.
- '-.. Une lettre de Natalis, Va la lire dans
ta chambre, dit Marie à Marthe.
Souvent la Providence nous donne à:
porter, à nous aulres pauvres vivants
aveugles, des ordres cachetés que nous ne
devons lire et exécuter, qu'à des endroits et
à des temps indéterminés. Ce fut d'une
main tremblante que Marthe ouvrit un de
ces plis divins. Son cœur n'avait jamais été
bien lucide; elle l'avait écouté d'instinct,
innocemment, naïvement, sans savoir le
raisonner; elle s'était laissé bercer 0"
cette vague musique intérieure, sans for-
muler elle même aucune idée précise
-: ,-;.,' ''; "';. Æ,
aucun espoir certain. EUe avait toujours.
été, vis-à-vis de Natalis, comme ceu-z qui
dorment et qui rêvent; 115 croient mai-ciier
et ne bougent pas ; ils croient parler et la
voix leur. manque. La lettre de Natalis
réveilla en sursaut la pauvre âme.somnam-
bule.
Allons! elle avait songé à lui, mais lui
n'avait pas pensé h elle ! Au fait, lui avait-il
jamais dit un mot qui justifiât ses illu-
sions? C'était la réalité, cela! c'était 1.1
vie! Eh bien, elle s'y conformait, elle s'y
résignait avec la candeur ci la simplicité
qui lui étaient nàtufcHea. HUc ouvrait les
yeux, elle passait la main sur son front,
elle disait adieu aux beaux mensonges du
sommeil, et elle se remettait avec courage
et douceur au train des. iiécess'lés du
monde positif. En un instant, tout son
rêve fut pour elle comme s'il n'avait ja-
mais été; -*"• 1
Au bout d'un quart d'heure, elle revint
pfès de Brigitte èt dô Marie, un peu pile
et le regard encore tristement interdit,
mais armée de calme et de sérénité :
.:".:!ton. cousin .Natalis a raison, dit-elle ;
je ne peux pas et je ne veux pas faire at-
tendra plus longtemps ma réponse à mon
cousin Pierre, qui a été si bon et si géné-
reux pour moi. Qu'il fixe donc lui-même
le jour où je serai sa femme.
On était alors à la fin de janvier, Pierre,
enchanté, mais nullement surpris, fit le
compte dès formalités à remplir et fixa du
20 au 25 février la date de son mariage
PAUL Mguniri&"
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