Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-04-17
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 17 avril 1891 17 avril 1891
Description : 1891/04/17 (N7707). 1891/04/17 (N7707).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75408259
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
Bf 7707 — Vendredi 17 Avril 1891
-
CINQ centimes le numéro ■
23 Germinal an W ~-ir TW
- dDACTIOIl
18, BUB M VALOIS, fa
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S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
11' De là 6 heures du soir ,
Et de 9 heures du soir à minuit
LBS MANUSCRITS NON INSÉRÉS KB SEhONT PAS RENDUS
LE , RIII iil APP«Bl EB^BBbL
AD^SiïSTaÀTiOH :
48, RuE DE V ALOIS, 18
Adresser lettres et ruancLate
a VADMINISTltATEUR-GÉRANî?
ANNONCES
D. Ch. LAGHANGE, CERF et 0*
6, placc de la Bourse, 8
ABONNEMENTS
PARIS -
UN MOIS 2 FR. 1 SIX MOIS.. OFB.
TROIS MOtS. 5— t ON AN 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS. 2 FB. 1 SIX MOIS lin.
YBOIS mois 8 - UN An 20-
< I!)tMMA V DÉPUTES ANGLAIS.
Il s'est fondé en Angleterre une com-
pagnie d'assurance contre le vice. Elle
s'intitule : « Société de vigilance natio-
nale ». Un de ses membres les plus pu-
ritains est le capitaine Edmond Hope
Verney, député d'une circonscription
du Buckingham-shire.
Dernièrement, la Société de vigilance
était appelée au secours par une jeune
jj fille. Voici, d'après un correspondant
du Matin, a quelle occasion.
Nélie Baskettc, en quête d'une place
pour gagner sa vie, s'était adressée à
une femme Florent qui l'avait casée
comme gouvernante chez un M. Wil-
son. Il ne fallut pas longtemps à Nélie
pour s'apercevoir que, dans l'intention
de ce Wilson, sa fonction dans la mai-
son devait être moins de gouverner des
- enfants que d'en faire. A la première
ouverture qu'il lui fit, elle s'enfuit et
alla porter plainte à là-Société de vigi-
! lance, qui se ehargea de FaHaire. La
Florent fut arrêtée, et l'on saisit chez
elle des lettres qui ne laissaient aucun
! doute sur ce qu'elle et Wilson enten-
daient par une gouvernante.
On voulut arrêter aussi Wilson, mais,
le jour même où la Florent avait été
mise en prison, il avait décampé. Une
chose curieuse, c'est que, depuis ce
jour-là, on n'a pas revu à la Chambre,
ni à Londres, le capitaine Edmond
Hope Verney. De sorte que pas mal de
gens se figurent que Wilson et le capi-
taine Verney sont une seule personne.
Quoi ! ce serait le membre si puritain
de la Société de vigilance que la Société
de vigilance poursuivrait? Pas mal de
gens se le figurent.
* M. Edward de Cobain est un des re-
présentants de Belfast. Il appartient au
parti conservateur. Il s'est fait remar-
quer par son austérité. Il a eu la pieuse
idée de tenir dans sa maison une réu-
- nion de prière hebdomadaire ; il est,
depuis cinq ans, grand-maître des oran-
gistes de Belfast et directeur de la So-
ciété de tempérance et de la Société
évangélique. Ce n'est pas ce saint per-
sonnage qui attenterait à la vertu des
jeunes filles: Il préfère les jeunes gar-
çons.
Le bruit de cette préférence s'était
répandu dans ces derniers temps; la
police irlandaise épiait ; quand elle a
pensé que c'était le moment d'agir, le
chef constable Hussey est parti avec
des détectives pour Goole, où M. de
Cobain était allé passer ses vacances de
Pâques, et - est arrivé trop tard. Le
député de Belfast avait trouvé l'exem-
ple du député de Buckingham excellent
à suivre.
Ça fait deux sièges vides à la Cham-
bre des communes. Ce double scandale,
ail lendemain du scandale du baccarat, j
met, paraît-il, une certaine émotion
dans la population de Londres. Elle est
bien bonne de s'émouvoir. Qu'est-ce
que trois scandales, après l'avalanche
de révélations de la Pall-Mail-Gazette ?
Si ce n'est pas sans quelque plaisir
que nous relevons les faits d'immora-
lité et d'obscénité qui éclatent si sou-
vent chez nos voisins d'outre-Manche,
c'est qu'il est aussi juste qu'agréable de
montrer le dessous de la pruderie de
ceux qui nous dénoncent comme pour-
ris de toutes les corruptions et qui
vont jusqu'à nous attribuer les leurs.
Supposez que ce fût un député fran-
çais qui eût acheté une jeune fille
à une proxénète, que ce fût un député
français qui eût mêlé à une réunion de
prière hebdomadaireyin sérail de jeunes
garçons, que ce fût à Paris qu'on jouât
le baccarat de la manière dont on le joue
à Londres, et vous verriez ce que nous
serions dans les journaux anglais ! So-
dome et Gomorrhe seraient à côté de
Paris des écoles de mœurs.
Mais Londres, quelle ville pure et
chaste! Ne nous prêtons pas à cette
hypocrisie, que l'Angleterre n'a pas
seulement en morale, qu'elle a en poli-
tique; car, au moment même où son
premier ministre la dit notre meilleure
ainie, elle se met contre nous avec
l'Italie, c'est-à-dire avec la triple al-
liance. Nous serions donc bien naïfs de
ne pas la voir et de ne pas la montrer
telle qu'elle est. Otons-lui son masque,
ne fût-ce que pour ne pas paraître ses
dupes.
AUGUSTE v ACQUERIR.
LA QUESTION DES COURSES
A l'occasion du concours hippique, cha-
que année, un grand nombre d'éleveurs
appartenant à tous les départements se
rendent à Paris.
Une pétition, adressée au ministre de la
guerre, dans laquelle ils font ressortir les
graves conséquences résultant, pour la
production du cheval de guerre, de la
situation faite aux hippodromes depuis
quelque temps, aussi bien en province
qu'ii Paris, a été signée par eux.
Une délégation, composée des princi-
paux éleveurs,. a été choisie pour remettre
celle pétition au ministre de la guerre.
M. de Freycinet a répondu qu'il rece-
vrait, vendredi matin, les représentants
de l'élevage français, qui ont demandé en
même temps, pour le môme jour, aux
ministres de l'agriculture et de l'intérieur
une audience qui a été aussitôt accordée.
—— o ——————————
Les Conseils généraux et les courses
On connaît aujourd'hui le résultat com-
plet de la consultation des conseils géné-
raux sur la question des courses et du
pari dans leurs rapports avec l'éevage.
Si l'on excepte la Seine, dont le conseil
général, soustrait au droit commun, n'é-
tait pas convoqué en même temps que les
autres assemblées départementales et les
trois départements algériens où n'existent
pas de courses et qui sont, par suite, dé-
sintéressés dans la question, 86 conseils
généraux étaient appelés à faire connaître
leur avis.
63 se sont déclarés favorables au main-
tien des courses et du pari avec une ré-
glementation à déterminer, 10 se sont
prononcés formellement contre le pari.
Les treize autres conseils ou se sont dé-
clarés indifférents, ou n'ont pas jugé utile
de délibérer à ccr sujet.
Un calcul que nous avons fait montre
que les 63 départements dont les conseils
généraux se sont prononcés en faveur de
la réglementation des courses et du pari
sont représentée à la. Chambre par 331
députés, c'est-à-dire que leurs députés
représentent et au-delà la majorité.
Les 10 départements hostiles sont au
contraire représentés seulement par 84
députés.
A supposer que les députés représen-
tant les départements dont les conseils
généraux se sont montrés indifférents ou
n'ont pas délibéré, se joignent aux 84 dé-
putés représentant les départements
hostiles, la majorité resterait encore, avec
un grand écart aux départements favo-
rables. A supposer, bien entendu, que les
députés suivent à la Chambre une ligne
de conduite conforme aux vœux émis par
leurs conseils généraux respectifs.
La constatation n'en était pas moins
intéressante à faire.
LIRE PLUS LOIN:
l'n d«iii|>lciia>a«»saiisia: Le drame
de la rue Letort.
1*2 eus de M. de lIoiitef»qn £ o«a.
Incendie en Belgique: Nonnbren-
ses victimes.
Un Inecudie à Marseille.
Ne-d feulMelam (3* page) : I..e
Chevalier d'ilaraiental.
LES TOURS
L'Académie de medecine vient de se
prononcer pour le rétablissement des
tours.
Lors de la discussion du budget de 1891
M. de la Ferronays demanda 100,000 fr.
pour l'ouverture d'un tour à Paris. Cet
amendement, appuyé en quelques paroles
émues par M. de Lacretelle, et combattu
par le rapporteur du ministère de l'inté-
rieur, M. Joseph Reinach, et par notre ami
M. Gustave Rivet, fut provisoirement
écarté, le gouvernement, par l'organe du
directeur de l'Assistance publique, M.
Henri Monod, ayant simplement demandé
à la Chambre d'ajourner sa décision.
L'opinion exprimée par l'Académie de
médecine était attendue; elle sera sans
doute de nature à faire réfléchir beaucoup
de ceux qui, un peu à la légère peut-être,
s'étaient déclarés contre les tours.
Une chose est à remarquer, tout d'abord
c'est que s'il se trouve aujourd'hui comme
il y a trente ans des adversaires des tours,
leurs arguments, par un phénomène assez
singulier, diffèrent complètement de ceux
que leurs devanciers faisaient valoir.
Je dis, il y a trente ans, parce que je
pense au rapport fait en 1861, au Sénat,
par M. Goulhot de Saint-Germain sur di-
verses pétitions relatives au rétablissement
des tours. M. Goulhot de Saint-Germain
qui concluait d'uileurs à ce rétablisse-
ment, énumérait les raisons données par
ceux qui professaient l'opinion opposée.
Le secret qu'assurent les tours, disaient
ceux-ci, est de nature à couvrir la faute,
donc à en encourager le renouvellement;
et ils voyaient là « un péril pour les grands
principes d'ordre social »; et ils déplo-
raient la perte qui devait en résulter « de
l'exemple des beaux dévouements mater-
nels. » — Hâtons-nous de constater qu'au-
jourd'hui il n'est plus question de tout
cela.
On a renoncé sur ce point, comme sur
bien d'autres, à vouloir réformer les
mœurs au moyen de dispositions légales
restrictives et oppressives; on a compris
qu'il y avait un intérêt de premier ordre,
intérêt social, intérêt patriotique, à assu-
r 1er le secret aux femmes qui, pour une
r .raison ou pour une autre, ne veulent ou
ae peuvent garder avec elles leurs enfants.
!:Dans la discussion à laquelle je faisais
.allusion plus haut. M. Joseph Reinach le
reconnaissait au début de son discours :
.« Nous en sommes arrivés à cette néces-
sité cruelle qu'il convient de faciliter
l'abandon des enfants aux mères coupa-
,bles qui veulent dissimuler une faute, et
aux mères malheureuses que la misère
met dans l'impossibilité d'élever leurs
enfants. 1) — Ceci étant posé, le débat ne
petit plus porter que sur le point de sa-
voir lequel du système actuel ou du sys-
tème ancien, le tour, est le meilleur pour
faciliter cet abandon.
Une chose qui me parait hors de doute,
c'est que le secret, cet indispensable se-
cret qu'il faut assurer avant tout, n'est pas
suffisamment garanti avec l'organisation
actuelle. La femme qui se présente au bu-
reau d'abandon, à l'hospice, au commis-
sariat de police, pour y laisser son enfant,
est pressée de questions. Sans doute, elle
peut ne pas y répondre; un avis placardé
au mur l'en avertit charitablement — et
ironiquement. Pense-t-on que les gens
auxquels elle s'adresse soient toujours des
modèles de discrétion? Dernèrement,
dans une commune du département de
la Seine — je pourrais citer des noms —
un commissaire de police reportait l'enfant
sdoni e le avait voulu se séparer à une fille-
mère et l'accablait de reproches. Com-
bien défaits analogues ne pourrait-on citer,
sans doute? Pour faire apparaître claire-
ment les inconvénients de cette manière de
procéder, il suffira de citer ces paroles de
M. le docteur Gueniot, à l'Académie de;
médecine : « On a vu fonctionner les bu-
reaux ouverts; quand on a exigé que les
mères vinssent elles-mêmes apporter l'en-
fant qu'elles abandonnaient, il y a eu 3,000;
abandons seulement; quand on a autorisé
l'abandon par des tierces personnes, le
chiffre a augmenté de 1,000 à 1,500; rem-
placez le bureau et ses colloques et ses;
offres de secours par le tour qui ne parle
pas, qui ne voit pas, qui n'offre rien, mais
qui accepte toujours, et le chiffre des
abandons s'élèvera encore de 1,000 à 1,500;
autant de moins pour les tables de morta-
lité et pour les infanticides. »
Je sais bien qu'on a prétendu que les
tours eux-mêmes n'assuraient pas le secret.
M. Joseph Reinach a parlé de la surveil-
lance que la police exerç ât sur les tours
« pour empêcher, dans la mesure du pos-
sible, qu'on n'y déposât des enfants », et
aussi «des individus qui rôdaient aux en-
virons, suivaient les mères ou les inter-
médiaires et exerçaient ensuite près des
familles de longs et cruels chantages. »
Mais si on peut faire « ch mter » une
femme qu'on aura suivie lorsqu'elle se ren-
dait au tour, ne pourra-t-on avec au moins
autant de facilités, exercer la même in-
dustrie auprès de celle que l'on aura vu
entrer, son enfant dans les bras, au bureau
d'abandon, et ressortir les mains vides ? Ce
qui est plus sérieux, c'est que, d'après
les deux derniers rapports sur l'admi-
nistration de la justice criminelle en
France, adressés au président de la Ré-
publique pour les années i887 et 18S8,
et que j'ai là sous les yeux, l'infanticide et
l'avortement ne bénéficient pas du mouve-
vement de décroissance observé pour plu-
sieurs catégories de crimes. Ainsi on comp-
tait, en t884, 17 parricides déférés au jury;
il n'y en a eu que 14 en 1888, pendant la
môme année, on relève 6 empoisonne-
ments, contre 8 en 1884 ; 214 assassinats au
lieu de 234 ; 179 meurtres au lieu de 191;
116 coups ayant occasionné la mort sans
intention de la donner, au lieu de 121; 64
vio:s et attentats à la pudeur sur des
adultes au lieu de 83; 572 attentats à la
pudeur sur des enfants au lieu de 705,
etc ; tandis que l'on constate, en 1888,183
infanticides, contre 170 en 1884, 173 en
1885, 166 en 1886 et 160 en 1887 ; quant
aux avortements, le jury a eu à statuer
en J884 sur 25 affaires, en 1885 sur 21,
en 1886 sur 22, en 1887 et en IM
sur 26. C'est le contraire d'une diminu-
tion. Et cela ne semble-t-il pas indiquer
que l'on fera bien de suivre l'avis donné
par l'Académie de médecine et de re-
mettre en @ vigueur le décret de 1811 qui
instituait tours; décret non. abrogé,
mais fâcheusement tombé en désuétude.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
.-
UNE HISTOIRE SINGULIERE
Griefs contre un conseiller municipal
boulangiste -Oa demande
une réponse
Un de nos lecteurs nous écrit pour se
plaindre d'un fdit tellement extraordinaire que
nous attendrons, avant d'en tirer les consé-
quences qu'il comporte, d'avoir une réponse
du conseiller municipal mis en cause.
Ce conseiller municipal est M. Prunières,
l'un des deux boulangistes de l'Hôtel de Ville.
Un commun ami lui ayant présenté un ou-
vrier terrassier, M. Manigand, il l'aurait en-
gagé à quitter immédiatement son travail, lui
donnant sa parole qu'avant deux ou trois jours
il serait embauché, à de plus avantageuses
conditions, par son beau-frère M. Rutter.
M. Manigand, confiant en lui, aurait suivi
de point en point son conseil, mais il aurait
été désagréablement surpris, lorsqu'il se pré-
senta, 42, rue du Louvre, chez M. Rutter, d être
éconduit poliment. Non seulement il n'y avait
pas de place pour lui, mais encore il apprit
que, depuis plusieurs jours, M. Prunières au-
rait envoyé à son beau-frère, qui n'avait pu
les embaucher, un nombre respectable d'ou-
vriers.
Telle qu'elle est présentée, n'est-ce pas que
l'histoire est singulière? Nous attendons une
réponse de M. Prunières.
H. D.
————————————— —————————————
CHRONIQUE DU JOUR
UN LIEUTENANT DE POLICE
On meurt beaucoup en ce moment, el
le journaliste, sans négliger les vivants,
doit faire un bout de conduite aux défunts.
Il est juste que la presse, qui tant de fois
s'est occupée, parfois indiscrètement, d'un
homme en place, lui consacre, sur le bord
de la tombe, les lignes dernières, entonne
le De profundis de la publicité derrière le
corbillard emportant un homme de bien.
Hier, je parlais d'un grand-prévôt tré-
passé, le général Appert; voici aujour-
d'hui que la mort inexorable amène sous
la plume le nom de mon vieil ami Caubet,
un policier aussi, mais qui lui du moins
était républicain et n'arrêta jamais que
des coquins.
Caubet était l'honnête homme et le
digne fonctionnaire dans toute l'acception
du mot. La République perd en lui un
serviteur qui fut longtemps actif, un ci-
toyen qui fut toujours militant. Il n'était
pas très aimé, dit-on, dans les bureaux de
la préfecture. C'est peut-être sa meilleure
note et la plus belle épitaphe à mettre sur
sa tombe. Tous les bonapartistes impéni-
tents qui encombrent encore l'administra-
tion policière le prenaient pour bête noire.
Il leur rendait la pareille. Ce n'est pas sous
son administration que l'on eût toléré le
dévergondage moral des agents, si inquié-
tant, si menaçant au c#urs de la folie bou-
langiste.
L'un de ses détracteurs les plus acharnés
M. Macé, chet de la sûreté honoraire, qui
prend sa revanche des arrestations de cri-
minels qu'il a manquées en disant du mat,
dans ses livres de pacotille, de son ancien
chef, a été obligé de rendre hommage à la
façon digne, correcte, sévère dont Caubet
remplissait ses difficiles fonctions. Dans sa
longue diatribe en plusieurs volumes, il
lui a surtout reproché d'être républicain,
franc-maçon et libre-penseur. Ce ne doit
pas être à nos yeux un grief suffisant.
La carrière administrative de Caubet
pour avoir commencé tard, a été bien
remplie. Nommé chef et secrétaire de là
préfecture de police le 4 septembre, il fut,
lorsque la réaction triompha, mis à l'écart.
Il avait débuté dans sa jeunesse comme
publiciste philosophe, il reprit sa plume
et travailla avec Littré. Il devint l'un des
.directeurs, avec Wyroubolf, de la Phi-
losophie positive. Elu conseiller municipal
dans le 5" arrondissement, il siégea au
conseil jusqu'en 1877. M. Andrieux. qui
n'eut pas toujours des idées excentriques,
eut la sagesse de le prendre pour secré-
taire et chef de cabinet. Il passa de là
bientôt au poste important de chef de la
police municipale.
Pendant dix ans, il fut le véritable chef
de la police parisienne, le lieutenant de
police de la République.
Il apporta dans ces rudes fonctions son
esprit d'examen, sa haute moralité et son
amour de la démocratie. Il réforma bien
des abus et parvint à inspirer à ses subal-
ternes, sinon l'amour, ce qui était impos-
sible avec ces hommes imbus des tradi-
tions de la monarchie, le respect tout au
moins du gouvernement et des institutions
de la République. Il était arrivé à donner
à la police parisienne une impulsion éner-
gique, en même temps qu'il lui imposait
les égards pour la population et les ména-
gements envers les particuliers, qui sont
indispensables pour ôter à la police son
renom mauvais qu'elle s'efforce trop sou-
vent de justifier. Sa retraite volontaire, il
y a trois ans, fut une véritable perte. De-
puis lui, d'ailleurs, les fonctions de chef
de la police municipale ont été réduites et
amoindries.
Caubet était un philosophe. Elève et
ami de Massol, il appartenait à cette grande
et belle école de la morale indépendante,
— dogme des honnêtes gens, principes du
libre penseur. Il était dignitaire de la franc-
maçonnerie où il a laissé de grands souve-
nirs. Il avait été longtemps membre du
conseil de l'ordre. Son nom et ses œuvres
appartiennent au livre d'or du Grand-
Orient de France.
Un seul reproche peut lui être adressé :
Caubet était un peu en dehors du mouve-
ment contemporain et ne vivait pas assez
de la vie extérieure, boulevardière, mon-
daine et noctambule. Un véritable lieute-
nant de police doit être à Paris un peu tout
cela et ne pas mener l'existence patriarcale
d'un philosophe retiré. Il avait d'ailleurs
compris que son calme et sa régularité de
penser s'aHiaient mal avec ses fonctions
essentiellement actives, lorsqu'il prit sa
retraite après l'Exposition. C'est un digne
et loyal serviteur de la République que
nous perdons : ses amis n'oublieront jamais
ses vertus, et les Parisiens se souvien-
dront qu'avec lui la police, instrument
dangereux, n'a jamais été que l'outil de la
préservation sociale et de la défense répu-
blicaine.
GRIF.
.—————————————— —————————————
LES ON-DIT
Hier j'entendais chanter :
Le printemps chasse les hivers.
avec musique de Gounod, s. v. p. Elle
manquait vraiment d'actualité la romance,
et paroles et musique peuvent encore res-
ter dans leur étui.
C'est franchement à désespérer — à
croire que le susdit printemps recule de-
vant la besogne. Le fait est qu'il a de quoi
faire et que, s'il veut être prêt pour l'ou-
verture du Salon, il n'a qu'à se hâter de
préparer son cadre, de composer sa pa-
lette, de peindre son tableau.
La toile est vierge — ou à peu près.
L'hiver, qui d'habitude ne s'en va pas
sans lui laisser quelque ébauche, quelques
légères touches de verdure, est parti cette
année sans mettre la main à la pâte.
Feuilleton du RAPPEL
DU 17 AVRIL
34
L'EN DORMEUR
DEUXIÈME PARTIE
LE3 PUNISSEURS
II
Raphaël aida M. de Saze à mettre son
pardessus et bientôt ils se trouvèrent seuls
sur le boulevard Rochechouart, le peintre
tenant le marquis accroché sous son bras
gauche et lui serrant, de plus, le poignet
de la main droite.
— Où allons-nous? demanda le marquis
d'une voix tremblante.
- Chez Marcel.
- Ah 1 chez Marcel !. Nous ne prenons
pas une voiture?
— Non, ce n'est pas très loin. Et j'ai
besoin de marcher et de respirer, au sortir
ie cet air empesté.
—- C'est. que je suis un peu las,
- Pas moi 1 Allons 1 hop donc! je vous
}orte aux trois quarts 1
i
Reproduction interdite.
Voirie liajyel du 15 mars au 16 avril.
- Comment avez-vous fait pour me
retrouver ? osa encore interroger le mar-
quis.
— Ah I depuis quinze jours nous vous
avons assez cherché 1 Nous savions bien
qu'on ne vous retrouverait pas dans les
salons du noble faubourg ou de la haute
banque. Les lieux de plaisir, les boites à
femmes, voilà où vous deviez être. J'ai
fouillé les tripots ; j'allais, chaque soir,
dans les petits théâtres, scruter du regard
les baignoires et passer en revue les fau-
teuils d'orchestre. Rien 1 Alors j'ai inspecté
les bastringues et les bals des boulevards
extérieurs. Quand j'ai vu l'affiche annon-
çant la fête de nuit de l'Elysée-Montmar-
tre, j'ai flairé la piste. Elle était bonne.
Le boulevard s'allongeait hideux, entre
deux rangées d'arbres maladifs, sous la
lueur roussâtre des becs de gaz dont le
reflet s'écrasait sur la boue des allées. Les
cabarets laissaient partir des éclats de
dispute et des odeurs de vin rouge ; des
filles en cheveux passaient, très affairées ;
et, d'un concert, le public sortait, fredon-
nant des refrains idiots.
Puis la longue ligne des murs de l'hô-
pital Lariboisière et, en face, une série
d'hôtels meublas borgnes; le pont du
chemin de fer et ses affiches multicolores,
(si un carrefour avec une sorte de square
et d'abri pour les vagabonds.
Le marquis se demandait s'il n'allait pas
être assassiné an coin d'une borne, ou dans
le couloir d'une de ces maisons gluantes.
On arriva devant une porte de la rue
Pliilippc-de-Girard.
! Raphaël fit monter deux étages au mar-
quis et le poussa dans une pièce d'un
appartement assez confortable.
Un jeune homme veillait, assis devant le
feu. C'était Marcel Brunoy.
— En voilà toujours un ! dit Pierre
Mainger.
— M. de Saze 1 fit Marcel se dressant en
sursaut.
Et tout de suite :
— Où est Etiennette?
— Je ne sais pas, dit piteusement le
marquis.
— Comment! vous ne savez pas où est
votre fille? -
— Mon Dieu, non! je vous jure que
non 1
- Et le baron Brunoy?
- Il est avec elle. Il me l'a enlevée.
Depuis quinze jours déjà.
— Et vous n'avez plus entendu parler de
lui ni d'elle?
— Plus du tout.
— Oh 1 c'est atroce !
Marcel écrasé tomba dans un fauteuil et
prit sa tête dans ses mains. Plus de doute!
plus d'espoir I Depuis quinze jours, sa
jbien-aimée, son Etiennette, seule, faible,
sans défense, était entre les mains de ce
misérable qu'il avait appelé son père 1
Après quelques minutes de silence, il
passa la main sur son front et interrogea
le marquis. Il voulait savoir.
- Et vous, où demeurez-vous? — Où
l'avez-vous trouvé? demanda-t-il à Raphaël.
- Ah J il ne s'ennuyait pas! une dou-
zaine de femmes au moins ! Mais question-
nez-le vous-même sur votre fiancée. Je îe
questionnerai après sur mon père.
— Ohl messieurs! s'écria le marquis
joignant les mains, je suis moins coupable
que vous ne pensez. Je ne suis pas très
brave, c'est vrai, et pas très vertueux, sans
doute; — mais je ne suis pas un criminel.
— Le criminel, quel est-il?
— Le baron Brunoy ! le baron Brunoy
seul! Sauvez-moi de lui, je vous dirai
tout.
— Voyons, parlez, reprit Marcel, com-
ment tout s'est-il passé depuis que vous
avez quitté les Lucains ?
— Voilà. Il m'a forcé à quitter le châ-
teau et à emmener Etiennette. J'ai dû
obéir ; il me tient, je vous dirai comment.
— Mais Etiennette? elle ne consentait
pas ?
- Je l'ai trompée, nous étions censés
aller aux Lucains. Le baron nous a re-
joints sur la route et nous a conduits au
chemin de fer de Lyon. Etiennette vou-
lait s'y opposer, résister. Mais je la sup-
pliais tout bas, je la rassurais, je lui di-
sais : Je suis là 1
.¡- Oui, elle est jolie, la protection !
dit Raphaël.
— Je vous assure, et ma fille le sait
bien, qu'au foiid je suis avec elle, avec
vous, contre Brunoy. Mais je vous dis que
je suis au pouvoir de cet homme. Ah ! il
est fort, allez ! il est très fort! Arrivés à'
Paris, il nous a installés dans un apparte-
ment meublé de la rue de Constantinople,
que j'habite encore. Son logement à lui
était à part. Je conseillais Etiennette de
mon mieux; je lui disais : — Ne lui tiens.
pas tête si tu ne veux pas qu'il use de
'tïbhmos. Ne le désespère ças, laisse-lui
croire qu'avec le temps tu pourras re-
venir pour lui à des sentiments plus
doux. — Et je lui représentais, à lui, qu'il
n'aurait pas besoin de recourir à la con-
trainte, qu'Etiennette me parlait déjà bien
plus favorablement de lui. — Ce n'était pas
vrai, monsieur Marcel ; elle ne me parlait
que de vous.
— Mais, pourquoi ne pas m'avertir, ne
pas m'écrire?
— Vous avertir 1 pour vous voir arriver
à Paris ! pour risquer de vous mettre aux
prises avec le baron 1 Ah 1 je sentais que
c'était là le danger 1 je le démontrais à
Etiennette, et vous allez voir que j'avais
raison. Tout allait assez bien, Brunoy était
plus calme et patientait. Chaque jour il re-
cevait une dépêche des Lucains, qui le met-
tait sans doute au courant de tous vos faits
et gestes. Il paraissait rassuré. C'est juste-
ment votre départ pour Paris qui a tout
perdu.
— Comment cela ?
— Un jour, j'étais sorti pour aller faire
une visite, dans le quartier Bréda, à une
ancienne petite amie à moi, et j'avais averti
Brunoy que je ne rentrerais peut-être pas
déjeuner. Je ne suis revenu, en effet, que
vers cinq heures. J'ai trouvé sur ma table
une lettre du baron. Je vous la montre-
rai. Il me disait qu'il avait reçu une dépê-
che de la Chacal, que vous étiez en route,
monsieur Marcel, pour venir à Paris avec
M. Raphaël et M. Jacques Blandry, qu'il
avait une cachette plus sûre que cet ap-
partement meublé en plein Paris, et qu'il y
emmenait Etiennette.
— L'infâme 1
— Oui, l'infâme ! car je ne vous cacherai
pas que la lettre se terminait par des pa-
roles de fureur et par de bien abominables
menaces : — Ah ! on venait lui arracher
Etiennette ? Eh bien, on arriverait trop
tard ! Il n'était plus question d'attendre 1 il
voulait qu'Etiennette fût à lui ! et elle
serait à lui avant que ses libérateurs eus-
sent dépassé le seuil de la gare ! ,
Un cri de rage sortit à la fois de la poi-
trine des deux jeunes gens.
— Mais comment Etiennette l'a-t-elle
suivi ? fit Marcel.
— Je ne vous ai pas dit que lorsque
j'étais rentré, le concierge s'était écrié : —
Monsieur n'était donc pas malade! Un
homme de mine respectable s'était pré-
senté dans la journée, disant qu'il venait
d'une pharmacie du quartier Bréda, avertir
ma fille que son père, frappé d'une attaque
d'apoplexie, dans une maison de la rue
Labruyère, la mandait en hâte auprès de
lui. Là-dessus ma pauvre Etiennette tout
éperdue est montée sans défiance dans la
voiture qu'amenait l'homme, avec sa
femme de chambre, qui n'a pas reparu.
— Je sais, dit Marcel avec une lueur
d'espoir, qu'Etiennette portait toujours sur
elle un petit couteau catalan ; elle me l'a
montré une fois.
— Oh ! le baron ne l'aura pas violentée,
ce n'est pas sa manière.
— Qu'aura-t-il fait ?
r — il l'aura endormie.
IULES DE GASTYNB.
(A suivrt.)
-
CINQ centimes le numéro ■
23 Germinal an W ~-ir TW
- dDACTIOIl
18, BUB M VALOIS, fa
f
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
11' De là 6 heures du soir ,
Et de 9 heures du soir à minuit
LBS MANUSCRITS NON INSÉRÉS KB SEhONT PAS RENDUS
LE , RIII iil APP«Bl EB^BBbL
AD^SiïSTaÀTiOH :
48, RuE DE V ALOIS, 18
Adresser lettres et ruancLate
a VADMINISTltATEUR-GÉRANî?
ANNONCES
D. Ch. LAGHANGE, CERF et 0*
6, placc de la Bourse, 8
ABONNEMENTS
PARIS -
UN MOIS 2 FR. 1 SIX MOIS.. OFB.
TROIS MOtS. 5— t ON AN 18 —
Rédacteur en chef : AUGUSTE VACQUERIE
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS. 2 FB. 1 SIX MOIS lin.
YBOIS mois 8 - UN An 20-
< I!)tMMA V DÉPUTES ANGLAIS.
Il s'est fondé en Angleterre une com-
pagnie d'assurance contre le vice. Elle
s'intitule : « Société de vigilance natio-
nale ». Un de ses membres les plus pu-
ritains est le capitaine Edmond Hope
Verney, député d'une circonscription
du Buckingham-shire.
Dernièrement, la Société de vigilance
était appelée au secours par une jeune
jj fille. Voici, d'après un correspondant
du Matin, a quelle occasion.
Nélie Baskettc, en quête d'une place
pour gagner sa vie, s'était adressée à
une femme Florent qui l'avait casée
comme gouvernante chez un M. Wil-
son. Il ne fallut pas longtemps à Nélie
pour s'apercevoir que, dans l'intention
de ce Wilson, sa fonction dans la mai-
son devait être moins de gouverner des
- enfants que d'en faire. A la première
ouverture qu'il lui fit, elle s'enfuit et
alla porter plainte à là-Société de vigi-
! lance, qui se ehargea de FaHaire. La
Florent fut arrêtée, et l'on saisit chez
elle des lettres qui ne laissaient aucun
! doute sur ce qu'elle et Wilson enten-
daient par une gouvernante.
On voulut arrêter aussi Wilson, mais,
le jour même où la Florent avait été
mise en prison, il avait décampé. Une
chose curieuse, c'est que, depuis ce
jour-là, on n'a pas revu à la Chambre,
ni à Londres, le capitaine Edmond
Hope Verney. De sorte que pas mal de
gens se figurent que Wilson et le capi-
taine Verney sont une seule personne.
Quoi ! ce serait le membre si puritain
de la Société de vigilance que la Société
de vigilance poursuivrait? Pas mal de
gens se le figurent.
* M. Edward de Cobain est un des re-
présentants de Belfast. Il appartient au
parti conservateur. Il s'est fait remar-
quer par son austérité. Il a eu la pieuse
idée de tenir dans sa maison une réu-
- nion de prière hebdomadaire ; il est,
depuis cinq ans, grand-maître des oran-
gistes de Belfast et directeur de la So-
ciété de tempérance et de la Société
évangélique. Ce n'est pas ce saint per-
sonnage qui attenterait à la vertu des
jeunes filles: Il préfère les jeunes gar-
çons.
Le bruit de cette préférence s'était
répandu dans ces derniers temps; la
police irlandaise épiait ; quand elle a
pensé que c'était le moment d'agir, le
chef constable Hussey est parti avec
des détectives pour Goole, où M. de
Cobain était allé passer ses vacances de
Pâques, et - est arrivé trop tard. Le
député de Belfast avait trouvé l'exem-
ple du député de Buckingham excellent
à suivre.
Ça fait deux sièges vides à la Cham-
bre des communes. Ce double scandale,
ail lendemain du scandale du baccarat, j
met, paraît-il, une certaine émotion
dans la population de Londres. Elle est
bien bonne de s'émouvoir. Qu'est-ce
que trois scandales, après l'avalanche
de révélations de la Pall-Mail-Gazette ?
Si ce n'est pas sans quelque plaisir
que nous relevons les faits d'immora-
lité et d'obscénité qui éclatent si sou-
vent chez nos voisins d'outre-Manche,
c'est qu'il est aussi juste qu'agréable de
montrer le dessous de la pruderie de
ceux qui nous dénoncent comme pour-
ris de toutes les corruptions et qui
vont jusqu'à nous attribuer les leurs.
Supposez que ce fût un député fran-
çais qui eût acheté une jeune fille
à une proxénète, que ce fût un député
français qui eût mêlé à une réunion de
prière hebdomadaireyin sérail de jeunes
garçons, que ce fût à Paris qu'on jouât
le baccarat de la manière dont on le joue
à Londres, et vous verriez ce que nous
serions dans les journaux anglais ! So-
dome et Gomorrhe seraient à côté de
Paris des écoles de mœurs.
Mais Londres, quelle ville pure et
chaste! Ne nous prêtons pas à cette
hypocrisie, que l'Angleterre n'a pas
seulement en morale, qu'elle a en poli-
tique; car, au moment même où son
premier ministre la dit notre meilleure
ainie, elle se met contre nous avec
l'Italie, c'est-à-dire avec la triple al-
liance. Nous serions donc bien naïfs de
ne pas la voir et de ne pas la montrer
telle qu'elle est. Otons-lui son masque,
ne fût-ce que pour ne pas paraître ses
dupes.
AUGUSTE v ACQUERIR.
LA QUESTION DES COURSES
A l'occasion du concours hippique, cha-
que année, un grand nombre d'éleveurs
appartenant à tous les départements se
rendent à Paris.
Une pétition, adressée au ministre de la
guerre, dans laquelle ils font ressortir les
graves conséquences résultant, pour la
production du cheval de guerre, de la
situation faite aux hippodromes depuis
quelque temps, aussi bien en province
qu'ii Paris, a été signée par eux.
Une délégation, composée des princi-
paux éleveurs,. a été choisie pour remettre
celle pétition au ministre de la guerre.
M. de Freycinet a répondu qu'il rece-
vrait, vendredi matin, les représentants
de l'élevage français, qui ont demandé en
même temps, pour le môme jour, aux
ministres de l'agriculture et de l'intérieur
une audience qui a été aussitôt accordée.
—— o ——————————
Les Conseils généraux et les courses
On connaît aujourd'hui le résultat com-
plet de la consultation des conseils géné-
raux sur la question des courses et du
pari dans leurs rapports avec l'éevage.
Si l'on excepte la Seine, dont le conseil
général, soustrait au droit commun, n'é-
tait pas convoqué en même temps que les
autres assemblées départementales et les
trois départements algériens où n'existent
pas de courses et qui sont, par suite, dé-
sintéressés dans la question, 86 conseils
généraux étaient appelés à faire connaître
leur avis.
63 se sont déclarés favorables au main-
tien des courses et du pari avec une ré-
glementation à déterminer, 10 se sont
prononcés formellement contre le pari.
Les treize autres conseils ou se sont dé-
clarés indifférents, ou n'ont pas jugé utile
de délibérer à ccr sujet.
Un calcul que nous avons fait montre
que les 63 départements dont les conseils
généraux se sont prononcés en faveur de
la réglementation des courses et du pari
sont représentée à la. Chambre par 331
députés, c'est-à-dire que leurs députés
représentent et au-delà la majorité.
Les 10 départements hostiles sont au
contraire représentés seulement par 84
députés.
A supposer que les députés représen-
tant les départements dont les conseils
généraux se sont montrés indifférents ou
n'ont pas délibéré, se joignent aux 84 dé-
putés représentant les départements
hostiles, la majorité resterait encore, avec
un grand écart aux départements favo-
rables. A supposer, bien entendu, que les
députés suivent à la Chambre une ligne
de conduite conforme aux vœux émis par
leurs conseils généraux respectifs.
La constatation n'en était pas moins
intéressante à faire.
LIRE PLUS LOIN:
l'n d«iii|>lciia>a«»saiisia: Le drame
de la rue Letort.
1*2 eus de M. de lIoiitef»qn £ o«a.
Incendie en Belgique: Nonnbren-
ses victimes.
Un Inecudie à Marseille.
Ne-d feulMelam (3* page) : I..e
Chevalier d'ilaraiental.
LES TOURS
L'Académie de medecine vient de se
prononcer pour le rétablissement des
tours.
Lors de la discussion du budget de 1891
M. de la Ferronays demanda 100,000 fr.
pour l'ouverture d'un tour à Paris. Cet
amendement, appuyé en quelques paroles
émues par M. de Lacretelle, et combattu
par le rapporteur du ministère de l'inté-
rieur, M. Joseph Reinach, et par notre ami
M. Gustave Rivet, fut provisoirement
écarté, le gouvernement, par l'organe du
directeur de l'Assistance publique, M.
Henri Monod, ayant simplement demandé
à la Chambre d'ajourner sa décision.
L'opinion exprimée par l'Académie de
médecine était attendue; elle sera sans
doute de nature à faire réfléchir beaucoup
de ceux qui, un peu à la légère peut-être,
s'étaient déclarés contre les tours.
Une chose est à remarquer, tout d'abord
c'est que s'il se trouve aujourd'hui comme
il y a trente ans des adversaires des tours,
leurs arguments, par un phénomène assez
singulier, diffèrent complètement de ceux
que leurs devanciers faisaient valoir.
Je dis, il y a trente ans, parce que je
pense au rapport fait en 1861, au Sénat,
par M. Goulhot de Saint-Germain sur di-
verses pétitions relatives au rétablissement
des tours. M. Goulhot de Saint-Germain
qui concluait d'uileurs à ce rétablisse-
ment, énumérait les raisons données par
ceux qui professaient l'opinion opposée.
Le secret qu'assurent les tours, disaient
ceux-ci, est de nature à couvrir la faute,
donc à en encourager le renouvellement;
et ils voyaient là « un péril pour les grands
principes d'ordre social »; et ils déplo-
raient la perte qui devait en résulter « de
l'exemple des beaux dévouements mater-
nels. » — Hâtons-nous de constater qu'au-
jourd'hui il n'est plus question de tout
cela.
On a renoncé sur ce point, comme sur
bien d'autres, à vouloir réformer les
mœurs au moyen de dispositions légales
restrictives et oppressives; on a compris
qu'il y avait un intérêt de premier ordre,
intérêt social, intérêt patriotique, à assu-
r 1er le secret aux femmes qui, pour une
r .raison ou pour une autre, ne veulent ou
ae peuvent garder avec elles leurs enfants.
!:Dans la discussion à laquelle je faisais
.allusion plus haut. M. Joseph Reinach le
reconnaissait au début de son discours :
.« Nous en sommes arrivés à cette néces-
sité cruelle qu'il convient de faciliter
l'abandon des enfants aux mères coupa-
,bles qui veulent dissimuler une faute, et
aux mères malheureuses que la misère
met dans l'impossibilité d'élever leurs
enfants. 1) — Ceci étant posé, le débat ne
petit plus porter que sur le point de sa-
voir lequel du système actuel ou du sys-
tème ancien, le tour, est le meilleur pour
faciliter cet abandon.
Une chose qui me parait hors de doute,
c'est que le secret, cet indispensable se-
cret qu'il faut assurer avant tout, n'est pas
suffisamment garanti avec l'organisation
actuelle. La femme qui se présente au bu-
reau d'abandon, à l'hospice, au commis-
sariat de police, pour y laisser son enfant,
est pressée de questions. Sans doute, elle
peut ne pas y répondre; un avis placardé
au mur l'en avertit charitablement — et
ironiquement. Pense-t-on que les gens
auxquels elle s'adresse soient toujours des
modèles de discrétion? Dernèrement,
dans une commune du département de
la Seine — je pourrais citer des noms —
un commissaire de police reportait l'enfant
sdoni e le avait voulu se séparer à une fille-
mère et l'accablait de reproches. Com-
bien défaits analogues ne pourrait-on citer,
sans doute? Pour faire apparaître claire-
ment les inconvénients de cette manière de
procéder, il suffira de citer ces paroles de
M. le docteur Gueniot, à l'Académie de;
médecine : « On a vu fonctionner les bu-
reaux ouverts; quand on a exigé que les
mères vinssent elles-mêmes apporter l'en-
fant qu'elles abandonnaient, il y a eu 3,000;
abandons seulement; quand on a autorisé
l'abandon par des tierces personnes, le
chiffre a augmenté de 1,000 à 1,500; rem-
placez le bureau et ses colloques et ses;
offres de secours par le tour qui ne parle
pas, qui ne voit pas, qui n'offre rien, mais
qui accepte toujours, et le chiffre des
abandons s'élèvera encore de 1,000 à 1,500;
autant de moins pour les tables de morta-
lité et pour les infanticides. »
Je sais bien qu'on a prétendu que les
tours eux-mêmes n'assuraient pas le secret.
M. Joseph Reinach a parlé de la surveil-
lance que la police exerç ât sur les tours
« pour empêcher, dans la mesure du pos-
sible, qu'on n'y déposât des enfants », et
aussi «des individus qui rôdaient aux en-
virons, suivaient les mères ou les inter-
médiaires et exerçaient ensuite près des
familles de longs et cruels chantages. »
Mais si on peut faire « ch mter » une
femme qu'on aura suivie lorsqu'elle se ren-
dait au tour, ne pourra-t-on avec au moins
autant de facilités, exercer la même in-
dustrie auprès de celle que l'on aura vu
entrer, son enfant dans les bras, au bureau
d'abandon, et ressortir les mains vides ? Ce
qui est plus sérieux, c'est que, d'après
les deux derniers rapports sur l'admi-
nistration de la justice criminelle en
France, adressés au président de la Ré-
publique pour les années i887 et 18S8,
et que j'ai là sous les yeux, l'infanticide et
l'avortement ne bénéficient pas du mouve-
vement de décroissance observé pour plu-
sieurs catégories de crimes. Ainsi on comp-
tait, en t884, 17 parricides déférés au jury;
il n'y en a eu que 14 en 1888, pendant la
môme année, on relève 6 empoisonne-
ments, contre 8 en 1884 ; 214 assassinats au
lieu de 234 ; 179 meurtres au lieu de 191;
116 coups ayant occasionné la mort sans
intention de la donner, au lieu de 121; 64
vio:s et attentats à la pudeur sur des
adultes au lieu de 83; 572 attentats à la
pudeur sur des enfants au lieu de 705,
etc ; tandis que l'on constate, en 1888,183
infanticides, contre 170 en 1884, 173 en
1885, 166 en 1886 et 160 en 1887 ; quant
aux avortements, le jury a eu à statuer
en J884 sur 25 affaires, en 1885 sur 21,
en 1886 sur 22, en 1887 et en IM
sur 26. C'est le contraire d'une diminu-
tion. Et cela ne semble-t-il pas indiquer
que l'on fera bien de suivre l'avis donné
par l'Académie de médecine et de re-
mettre en @ vigueur le décret de 1811 qui
instituait tours; décret non. abrogé,
mais fâcheusement tombé en désuétude.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
.-
UNE HISTOIRE SINGULIERE
Griefs contre un conseiller municipal
boulangiste -Oa demande
une réponse
Un de nos lecteurs nous écrit pour se
plaindre d'un fdit tellement extraordinaire que
nous attendrons, avant d'en tirer les consé-
quences qu'il comporte, d'avoir une réponse
du conseiller municipal mis en cause.
Ce conseiller municipal est M. Prunières,
l'un des deux boulangistes de l'Hôtel de Ville.
Un commun ami lui ayant présenté un ou-
vrier terrassier, M. Manigand, il l'aurait en-
gagé à quitter immédiatement son travail, lui
donnant sa parole qu'avant deux ou trois jours
il serait embauché, à de plus avantageuses
conditions, par son beau-frère M. Rutter.
M. Manigand, confiant en lui, aurait suivi
de point en point son conseil, mais il aurait
été désagréablement surpris, lorsqu'il se pré-
senta, 42, rue du Louvre, chez M. Rutter, d être
éconduit poliment. Non seulement il n'y avait
pas de place pour lui, mais encore il apprit
que, depuis plusieurs jours, M. Prunières au-
rait envoyé à son beau-frère, qui n'avait pu
les embaucher, un nombre respectable d'ou-
vriers.
Telle qu'elle est présentée, n'est-ce pas que
l'histoire est singulière? Nous attendons une
réponse de M. Prunières.
H. D.
————————————— —————————————
CHRONIQUE DU JOUR
UN LIEUTENANT DE POLICE
On meurt beaucoup en ce moment, el
le journaliste, sans négliger les vivants,
doit faire un bout de conduite aux défunts.
Il est juste que la presse, qui tant de fois
s'est occupée, parfois indiscrètement, d'un
homme en place, lui consacre, sur le bord
de la tombe, les lignes dernières, entonne
le De profundis de la publicité derrière le
corbillard emportant un homme de bien.
Hier, je parlais d'un grand-prévôt tré-
passé, le général Appert; voici aujour-
d'hui que la mort inexorable amène sous
la plume le nom de mon vieil ami Caubet,
un policier aussi, mais qui lui du moins
était républicain et n'arrêta jamais que
des coquins.
Caubet était l'honnête homme et le
digne fonctionnaire dans toute l'acception
du mot. La République perd en lui un
serviteur qui fut longtemps actif, un ci-
toyen qui fut toujours militant. Il n'était
pas très aimé, dit-on, dans les bureaux de
la préfecture. C'est peut-être sa meilleure
note et la plus belle épitaphe à mettre sur
sa tombe. Tous les bonapartistes impéni-
tents qui encombrent encore l'administra-
tion policière le prenaient pour bête noire.
Il leur rendait la pareille. Ce n'est pas sous
son administration que l'on eût toléré le
dévergondage moral des agents, si inquié-
tant, si menaçant au c#urs de la folie bou-
langiste.
L'un de ses détracteurs les plus acharnés
M. Macé, chet de la sûreté honoraire, qui
prend sa revanche des arrestations de cri-
minels qu'il a manquées en disant du mat,
dans ses livres de pacotille, de son ancien
chef, a été obligé de rendre hommage à la
façon digne, correcte, sévère dont Caubet
remplissait ses difficiles fonctions. Dans sa
longue diatribe en plusieurs volumes, il
lui a surtout reproché d'être républicain,
franc-maçon et libre-penseur. Ce ne doit
pas être à nos yeux un grief suffisant.
La carrière administrative de Caubet
pour avoir commencé tard, a été bien
remplie. Nommé chef et secrétaire de là
préfecture de police le 4 septembre, il fut,
lorsque la réaction triompha, mis à l'écart.
Il avait débuté dans sa jeunesse comme
publiciste philosophe, il reprit sa plume
et travailla avec Littré. Il devint l'un des
.directeurs, avec Wyroubolf, de la Phi-
losophie positive. Elu conseiller municipal
dans le 5" arrondissement, il siégea au
conseil jusqu'en 1877. M. Andrieux. qui
n'eut pas toujours des idées excentriques,
eut la sagesse de le prendre pour secré-
taire et chef de cabinet. Il passa de là
bientôt au poste important de chef de la
police municipale.
Pendant dix ans, il fut le véritable chef
de la police parisienne, le lieutenant de
police de la République.
Il apporta dans ces rudes fonctions son
esprit d'examen, sa haute moralité et son
amour de la démocratie. Il réforma bien
des abus et parvint à inspirer à ses subal-
ternes, sinon l'amour, ce qui était impos-
sible avec ces hommes imbus des tradi-
tions de la monarchie, le respect tout au
moins du gouvernement et des institutions
de la République. Il était arrivé à donner
à la police parisienne une impulsion éner-
gique, en même temps qu'il lui imposait
les égards pour la population et les ména-
gements envers les particuliers, qui sont
indispensables pour ôter à la police son
renom mauvais qu'elle s'efforce trop sou-
vent de justifier. Sa retraite volontaire, il
y a trois ans, fut une véritable perte. De-
puis lui, d'ailleurs, les fonctions de chef
de la police municipale ont été réduites et
amoindries.
Caubet était un philosophe. Elève et
ami de Massol, il appartenait à cette grande
et belle école de la morale indépendante,
— dogme des honnêtes gens, principes du
libre penseur. Il était dignitaire de la franc-
maçonnerie où il a laissé de grands souve-
nirs. Il avait été longtemps membre du
conseil de l'ordre. Son nom et ses œuvres
appartiennent au livre d'or du Grand-
Orient de France.
Un seul reproche peut lui être adressé :
Caubet était un peu en dehors du mouve-
ment contemporain et ne vivait pas assez
de la vie extérieure, boulevardière, mon-
daine et noctambule. Un véritable lieute-
nant de police doit être à Paris un peu tout
cela et ne pas mener l'existence patriarcale
d'un philosophe retiré. Il avait d'ailleurs
compris que son calme et sa régularité de
penser s'aHiaient mal avec ses fonctions
essentiellement actives, lorsqu'il prit sa
retraite après l'Exposition. C'est un digne
et loyal serviteur de la République que
nous perdons : ses amis n'oublieront jamais
ses vertus, et les Parisiens se souvien-
dront qu'avec lui la police, instrument
dangereux, n'a jamais été que l'outil de la
préservation sociale et de la défense répu-
blicaine.
GRIF.
.—————————————— —————————————
LES ON-DIT
Hier j'entendais chanter :
Le printemps chasse les hivers.
avec musique de Gounod, s. v. p. Elle
manquait vraiment d'actualité la romance,
et paroles et musique peuvent encore res-
ter dans leur étui.
C'est franchement à désespérer — à
croire que le susdit printemps recule de-
vant la besogne. Le fait est qu'il a de quoi
faire et que, s'il veut être prêt pour l'ou-
verture du Salon, il n'a qu'à se hâter de
préparer son cadre, de composer sa pa-
lette, de peindre son tableau.
La toile est vierge — ou à peu près.
L'hiver, qui d'habitude ne s'en va pas
sans lui laisser quelque ébauche, quelques
légères touches de verdure, est parti cette
année sans mettre la main à la pâte.
Feuilleton du RAPPEL
DU 17 AVRIL
34
L'EN DORMEUR
DEUXIÈME PARTIE
LE3 PUNISSEURS
II
Raphaël aida M. de Saze à mettre son
pardessus et bientôt ils se trouvèrent seuls
sur le boulevard Rochechouart, le peintre
tenant le marquis accroché sous son bras
gauche et lui serrant, de plus, le poignet
de la main droite.
— Où allons-nous? demanda le marquis
d'une voix tremblante.
- Chez Marcel.
- Ah 1 chez Marcel !. Nous ne prenons
pas une voiture?
— Non, ce n'est pas très loin. Et j'ai
besoin de marcher et de respirer, au sortir
ie cet air empesté.
—- C'est. que je suis un peu las,
- Pas moi 1 Allons 1 hop donc! je vous
}orte aux trois quarts 1
i
Reproduction interdite.
Voirie liajyel du 15 mars au 16 avril.
- Comment avez-vous fait pour me
retrouver ? osa encore interroger le mar-
quis.
— Ah I depuis quinze jours nous vous
avons assez cherché 1 Nous savions bien
qu'on ne vous retrouverait pas dans les
salons du noble faubourg ou de la haute
banque. Les lieux de plaisir, les boites à
femmes, voilà où vous deviez être. J'ai
fouillé les tripots ; j'allais, chaque soir,
dans les petits théâtres, scruter du regard
les baignoires et passer en revue les fau-
teuils d'orchestre. Rien 1 Alors j'ai inspecté
les bastringues et les bals des boulevards
extérieurs. Quand j'ai vu l'affiche annon-
çant la fête de nuit de l'Elysée-Montmar-
tre, j'ai flairé la piste. Elle était bonne.
Le boulevard s'allongeait hideux, entre
deux rangées d'arbres maladifs, sous la
lueur roussâtre des becs de gaz dont le
reflet s'écrasait sur la boue des allées. Les
cabarets laissaient partir des éclats de
dispute et des odeurs de vin rouge ; des
filles en cheveux passaient, très affairées ;
et, d'un concert, le public sortait, fredon-
nant des refrains idiots.
Puis la longue ligne des murs de l'hô-
pital Lariboisière et, en face, une série
d'hôtels meublas borgnes; le pont du
chemin de fer et ses affiches multicolores,
(si un carrefour avec une sorte de square
et d'abri pour les vagabonds.
Le marquis se demandait s'il n'allait pas
être assassiné an coin d'une borne, ou dans
le couloir d'une de ces maisons gluantes.
On arriva devant une porte de la rue
Pliilippc-de-Girard.
! Raphaël fit monter deux étages au mar-
quis et le poussa dans une pièce d'un
appartement assez confortable.
Un jeune homme veillait, assis devant le
feu. C'était Marcel Brunoy.
— En voilà toujours un ! dit Pierre
Mainger.
— M. de Saze 1 fit Marcel se dressant en
sursaut.
Et tout de suite :
— Où est Etiennette?
— Je ne sais pas, dit piteusement le
marquis.
— Comment! vous ne savez pas où est
votre fille? -
— Mon Dieu, non! je vous jure que
non 1
- Et le baron Brunoy?
- Il est avec elle. Il me l'a enlevée.
Depuis quinze jours déjà.
— Et vous n'avez plus entendu parler de
lui ni d'elle?
— Plus du tout.
— Oh 1 c'est atroce !
Marcel écrasé tomba dans un fauteuil et
prit sa tête dans ses mains. Plus de doute!
plus d'espoir I Depuis quinze jours, sa
jbien-aimée, son Etiennette, seule, faible,
sans défense, était entre les mains de ce
misérable qu'il avait appelé son père 1
Après quelques minutes de silence, il
passa la main sur son front et interrogea
le marquis. Il voulait savoir.
- Et vous, où demeurez-vous? — Où
l'avez-vous trouvé? demanda-t-il à Raphaël.
- Ah J il ne s'ennuyait pas! une dou-
zaine de femmes au moins ! Mais question-
nez-le vous-même sur votre fiancée. Je îe
questionnerai après sur mon père.
— Ohl messieurs! s'écria le marquis
joignant les mains, je suis moins coupable
que vous ne pensez. Je ne suis pas très
brave, c'est vrai, et pas très vertueux, sans
doute; — mais je ne suis pas un criminel.
— Le criminel, quel est-il?
— Le baron Brunoy ! le baron Brunoy
seul! Sauvez-moi de lui, je vous dirai
tout.
— Voyons, parlez, reprit Marcel, com-
ment tout s'est-il passé depuis que vous
avez quitté les Lucains ?
— Voilà. Il m'a forcé à quitter le châ-
teau et à emmener Etiennette. J'ai dû
obéir ; il me tient, je vous dirai comment.
— Mais Etiennette? elle ne consentait
pas ?
- Je l'ai trompée, nous étions censés
aller aux Lucains. Le baron nous a re-
joints sur la route et nous a conduits au
chemin de fer de Lyon. Etiennette vou-
lait s'y opposer, résister. Mais je la sup-
pliais tout bas, je la rassurais, je lui di-
sais : Je suis là 1
.¡- Oui, elle est jolie, la protection !
dit Raphaël.
— Je vous assure, et ma fille le sait
bien, qu'au foiid je suis avec elle, avec
vous, contre Brunoy. Mais je vous dis que
je suis au pouvoir de cet homme. Ah ! il
est fort, allez ! il est très fort! Arrivés à'
Paris, il nous a installés dans un apparte-
ment meublé de la rue de Constantinople,
que j'habite encore. Son logement à lui
était à part. Je conseillais Etiennette de
mon mieux; je lui disais : — Ne lui tiens.
pas tête si tu ne veux pas qu'il use de
'tïbhmos. Ne le désespère ças, laisse-lui
croire qu'avec le temps tu pourras re-
venir pour lui à des sentiments plus
doux. — Et je lui représentais, à lui, qu'il
n'aurait pas besoin de recourir à la con-
trainte, qu'Etiennette me parlait déjà bien
plus favorablement de lui. — Ce n'était pas
vrai, monsieur Marcel ; elle ne me parlait
que de vous.
— Mais, pourquoi ne pas m'avertir, ne
pas m'écrire?
— Vous avertir 1 pour vous voir arriver
à Paris ! pour risquer de vous mettre aux
prises avec le baron 1 Ah 1 je sentais que
c'était là le danger 1 je le démontrais à
Etiennette, et vous allez voir que j'avais
raison. Tout allait assez bien, Brunoy était
plus calme et patientait. Chaque jour il re-
cevait une dépêche des Lucains, qui le met-
tait sans doute au courant de tous vos faits
et gestes. Il paraissait rassuré. C'est juste-
ment votre départ pour Paris qui a tout
perdu.
— Comment cela ?
— Un jour, j'étais sorti pour aller faire
une visite, dans le quartier Bréda, à une
ancienne petite amie à moi, et j'avais averti
Brunoy que je ne rentrerais peut-être pas
déjeuner. Je ne suis revenu, en effet, que
vers cinq heures. J'ai trouvé sur ma table
une lettre du baron. Je vous la montre-
rai. Il me disait qu'il avait reçu une dépê-
che de la Chacal, que vous étiez en route,
monsieur Marcel, pour venir à Paris avec
M. Raphaël et M. Jacques Blandry, qu'il
avait une cachette plus sûre que cet ap-
partement meublé en plein Paris, et qu'il y
emmenait Etiennette.
— L'infâme 1
— Oui, l'infâme ! car je ne vous cacherai
pas que la lettre se terminait par des pa-
roles de fureur et par de bien abominables
menaces : — Ah ! on venait lui arracher
Etiennette ? Eh bien, on arriverait trop
tard ! Il n'était plus question d'attendre 1 il
voulait qu'Etiennette fût à lui ! et elle
serait à lui avant que ses libérateurs eus-
sent dépassé le seuil de la gare ! ,
Un cri de rage sortit à la fois de la poi-
trine des deux jeunes gens.
— Mais comment Etiennette l'a-t-elle
suivi ? fit Marcel.
— Je ne vous ai pas dit que lorsque
j'étais rentré, le concierge s'était écrié : —
Monsieur n'était donc pas malade! Un
homme de mine respectable s'était pré-
senté dans la journée, disant qu'il venait
d'une pharmacie du quartier Bréda, avertir
ma fille que son père, frappé d'une attaque
d'apoplexie, dans une maison de la rue
Labruyère, la mandait en hâte auprès de
lui. Là-dessus ma pauvre Etiennette tout
éperdue est montée sans défiance dans la
voiture qu'amenait l'homme, avec sa
femme de chambre, qui n'a pas reparu.
— Je sais, dit Marcel avec une lueur
d'espoir, qu'Etiennette portait toujours sur
elle un petit couteau catalan ; elle me l'a
montré une fois.
— Oh ! le baron ne l'aura pas violentée,
ce n'est pas sa manière.
— Qu'aura-t-il fait ?
r — il l'aura endormie.
IULES DE GASTYNB.
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