Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-04-10
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 10 avril 1891 10 avril 1891
Description : 1891/04/10 (N7700). 1891/04/10 (N7700).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75408185
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
S* 7700 — Vendredi 10 Avril 1891
21 Germinal an 99 — N® 7700
CINQ centimes le, numéro
- ,-- * RËDACTION
18, RUE DE VALOIS, 18
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RL^CTTOÎT
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuii
lES MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SEIWXT PAS RENDtTf
AJIMIKlSTilATIOiV
18, RUE DE VALOIS, 18
Adresser lettres et mandats
ât L'ADMIKÏSTRATEUR-GÈHÂN'Ï
ANNONCES
MM. Cb. LAGRANGE, CERF et 0*
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
t UN MOIS 2 FB.
TROIS MOIS. 5 -
SIX MOIS. 9 FR.
UN AN .,. t8 -
Rédacteur en chef : AUGUSTE. VACQUERIE
-
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS «. 2 FR.
TROIS MOIS. 6-
SIX MOIS 11 FR.
ON !N,.,. 20 —
MM. les actionnaires (fii Rappel sont
convoqués en assemblée générale ordi-
naire pour le jeudi 30 avril courant,
à deux heures de l'après-midi, dans les
bureaux du journal, rue de Valois, 18.
Pour le conseil d'administration,
L administrateur-gérant,
AUGUSTE VACQUERIE.
01VEIVTBREJDTBSTAMIT
Si le prince Napoléon avait pu assis-
ter à l'ouverture do son testament, il
aurait joliment écume.
C'était avant-hier. La chose s'est faite
au château de Prangins. Les exécuteurs
testamentaires, MM. Adalbert Philis,
Maurice Cottin et le baron Brunet,
étaient arrivés le matin. Ils ont été pré-
sentés à la princesse Clotilde, à la prin-
cesse Lœtitia et au prince Victor, mais
ils avaient été trop amis du mort pour
être accueillis chaleureusement par sa
veuve, par sa fille et par son fils. Il leur
a fallu « une délicatesse exquise » pour
« effacer le passé ». Une dépêche dit
qu'une cho#J a contribué à rendre les
présentations moins « fraîches » : la
présence de deux dames que la prin-
cesse Clotilde avait amenées, la com-
tesse Coliide Pelezano et Mlle Damiani.
J'en conclus que ces deux dames sont
jolies et que MM. Brunet, Philis et Cot-
tin ne sont pas insensibles à la beauté.
La délicatesse exquise des exécuteurs
testamentaires n'empêchait pas le testa-
ment d'être raide.
J'aurais eu plaisir à contempler le nez
du prince Victor quand M. Audéoud,
notaire de Genève, a lu des phrases
comme celle-ci :
- « Le prince Victor a été un marn
vais fils; il s'est révolté contre l'autorité
paternelle; il a été rebelle et traître.
» Je le déshérite de tout ce que la loi
m'autorise à lui enlever.
» Je transmets à mon second fils tout
ce que je possède et tous mes droits
au pouvoir dans le cas où la volonté du
peuple français y appellerait un Napo-
léon.
» Je défends au prince Victor d'as-
sister à mes funérailles. »
Cette défense est répétée trois fois.
J'ai la vague conviction que même
la présence des jolies femmes amenées
pour diminuer la « fraîcheur » de la
séance, n"a pas empêché ces passages de
jeter un froid.
Le testament « n'est pas moins
cruel » pour la veuve que pour le fils :
— Je déshérite la princesse Clotilde
pour m'avoir abandonné au milieu de
la lutte et s'en être allée dans les temps
- où sa présence m'était le plus néces-
saire.
— Oui, mais il y a ici des meubles
qui sont à moi ! s'est écrire la princesse
Clotilde.
Ces meubles, et d'autres objets
qu' « elle a tout naturellement récla-
més », lui seront remis, et elle va les-
faire transporter à Moncalieri. Cela
peut étonner, de la part d'une princesse
tellement pieuse qu'elle a refusé d'as-
sister aux funérailles de son père, parce
,qu'en sa qualité de roi d'Italie et de dé-
tenteur de Rome il déplaisait au pape.
Comment une princesse si pieuse pour-
ra-t-elle avoir chez elle des meubles et
des objets qui ont cohabité avec un im-
pie comme le prince Napoléon, qu'il a
touchés, qu'il a imprégnés de son irré-
: ligion ? J'aurais cru que, loin de les ré-
clamer, elle les rejetterait avec horreur
Isionles lui offrait. Mais peut-être ne
les réclame-t-elle que pour les brûler.
Il a été décidé que le testament ne
serait pas publié. Il faut que la comtesse
Colli de Pelezano et Mlle Damiani soient
bien ravissantes pour que MM. Brunet,
Cottin et Philis aient consenti à ce huis-
clos. Mais, publié ou non, le testament
n'en existe pas moins. Et le devoir des
exécuteurs testamentaires est d'exécu-
ter les testaments.
, Mais à l'instant où MM. Cottin, Philis
et Brunet se disaient : A l'œuvre ! et
faisaient signe au prince Louis, le prince
Louis, leur tournant brusquement le
dos, « s'est jeté tout en larmes dans les
bras de sa mère et de son frère, comme
pour s'excuser auprès d'eux des éloges
dont il était couvert tandis qu'il n'y
avait pour eux qu'amertumes, repro-
ches et colères ». Il a déclaré qu'il ne
tiendrait aucun compte du testament et
il a dit au mort, comme le fils d'Har-
pagon à son père : - Je n'ai que faire
de vos dons.
Et quels nez aurais-je aimé contem-
pler à ce moment? Ceux de MM. Bru-
net, Philis et Cottin. Ils doivent à leur
ami défunt d'exécuter son testament, et
comment l'exécuteront-ils si l'héritier
le déchire? « Ils ne cachent pas les
ennuis et les difficultés de la tâche qui
leur incombe. » Ils ont tout fait pour
faire revenir le prince Louis sur sa
résolution : — Mais, monseigneur, ce
sont les dernières volontés de votre
père. — Je m'en fiche! Ils sont revenus
« navrés ».
Ces pauvres exécuteurs sans exécu-
tion sont encore moins à plaindre que
le prince Napoléon, renié même par le
seul des siens qu'il aimât, trahi par les
'autres quand au moins il était en vie et
pouvait se défendre, trahi par celui-là
jusque dans la mort.
AUGUSTE VACQUERIE.
L'ËXTSNCTÎON UES INAIO VIS LES
Le Sénat vient encore de perdre un de
ses membres inamovibles. M. de Pres-
sensé, sénateur républicain, a succombé
hier aux suites de la maladie dont il était
atteint depuis longtemps.
Le siège de M. de Pressensé va, confor-
mément à la loi du 9 décembre 1884, être
transformé en siège ordinaire et annexé à
un département.
C'est le trentième siège d'inamovible
ainsi supprimé par extinction depuis la
mise en vigueur de la loi du 9 décembre
1884. Il ne reste plus actuellement au
Sénat que 45 inamovibles — sur les 75
qu'avait créés la Constitution du 25 février
1875 - à savoir 26 datant de l'origine,
c'est-u-dire élus par l'Assemblée nationale
et 19 élus par le Sénat. lui-même.
Il nous paraît curieux d'indiquer les
diverses phases qu'a subies l'institution
:des inamovibles depuis l'origine jusqu'à
aujourd'hui.
L'Assemblée nationale avait élu 75 ina-
movibles, dont 56 républicains et 19 réac-
tionnaires. De décembre 1875 à aujour-
d'hui, 69 inamovibles ont disparu par dé-
cès, dont 49 des 75 membres primitifs et
20 élus par le Sénat pour les remplacer.
Le remplacement par le Sénat lui-même
ne s'est effectué que du 30 janvier 1876 au
9 décembre 1884, c'est-à dire pendant 9
ans. Durant cette période de 9 années, le
Sénat a élu 39 inamovibles, dont 19 seule-
ment subsistent aujourd'hui.
Voici la liste des 49 inamovibles datant
de l'origine qui sont décédés depuis 16 ans
que le Sé at existe :
Républicains. — Casimir-Perier. Wo-
lowski, de Tocqueville, Ernest Picard,
Edmond Adam, Lepetit, Lanfrey, général
Chareton, Léon de Maleville, Paul Morin,
Léonce de Lavergne, Crcmieux, Oscar de
Lafayette, Baze, Littré, Roger (du Nord),
Fourcaud, Bertauld, amiral Pothuau, gé-
néral Chanzy, Laboulaye, J. de Lasteyrie,
Gautthier de Rumilly, amiral Fourichon,
Foubert, Laurent Pichat, Corne, général
Frébault, Carnot père, Duclerc, Rampont,
amiral Jaurès, Scherer, général de Cha-
bron, marquis de Malleville, Calmon et
Corbon.
Ré'lctionnqÙ'es. — De la Rochette, géné-
ral Changarnier, marquis de Franclieu,
général d'Aurelles de Paladines, général
de Cissey, de Douhet, de Fréville, de Cor-
melier-Lucinière, Kolb-Bernard et de Lor-
geril.
- Voici 'maintenant la liste des inamo-
vibles élus par le Sénat lui-même, qui
sont décédés depuis seize ans :
Républicains. — Ricard, général Letel-
lier-Valazé, Renouard, de Montalivet, doc-
teur Broca, Dufaure, Victor Lefranc, Eu-
gène Pelletan, général Farre, amiral Jau-
régùiberry, Allou, général Gresley, général
Campenon et de Pressensé.
Réactionnaires. — Comte Greffulhe, de
Larcy, Ferdinand Barrot, Dupuy de Lôme,
général Chabaud-Latour, de Carayon-
Latour et Grandperret.
On remarquera que, quoique la Consti-
tution n'ait créé que 75 inamovibles et que
69 soient décédés, il en reste encore 45.
Cela tient à ce que durant les neuf années
pendant lesquelles le remplacement a
fonctionné, un même siège a vu disparaître
sucessivement plusieurs titulaires. -
C'est ainsi que l'un des inamovibles élus
à 1 origine, M. de la Rochette, est mort
avant la première réunion du Sénat et n'a
jamais siégé. Il a été remplacé par M. Ri-
card, qui lui-même décédé a eu M. Buffet
-
pour successeur. v
De même M. Paul Morin, décédé, a eu
pour successeur M. de Montalivet, qui a
été lui-même, après son décès, remplacé
par le docteur Broca, lequel a été remplacé
par le général Farre.
, Pour terminer cette nomenclature, il
nous reste à indiquer les noms des 45 ina-
movibles subsistant encore, et dont les
sièges seront supprimés par voie d'ex-
tinction.
Ces 45 membres se décomposent en 26
datant de l'origine (dont 19 de gauche et
7 de droite) et 19 élus par le Sénat (dont
14 de gauche et 5 de droite) :
Inamovibles de l'origine. — MM. Martel,
Krantz, Barthélemy Saint-IIilaire. Cordier,
colonel de Chadois, Humbert, Le Royer,
Luro, Tribert, Gouin, Scheurer-Kestner,
Testelin, Bérenger, Magnin, Dcnormandie,
Jules Simon, Scbœlcher, Cazot, général
Billot, de la gauche, et MM. d'Audiffret-
Pasquier, Dumon, Théry, Pajot, Hervé de
Saisy, Wallon et l'amiral de Montaignac,
de la droite.
Inamovibles élus par le Sénat. - MM. John
Lemoinne, Albert Grévy, Henry Didier,
Emile Deschanel, Berthelot, de Voisins-
Lavernière, Dietz-Monin, Bardoux, Clama-
geran, Lalanne, Tirard, Jean Macé, de
Marcère, l'amiral Peyron, de la gauche, et
MM. Buffet, Chesnelong, Lucien, Oscar de
Vallée, et Numa Baragnon, de la droite.
M. l'amiral Peyron est le dernier inamo-
vible élu avant la mise en vigueur de la loi
;qui a supprimé l'institution.
LE RENDEMENT DES IMPOTS
L'administration des finances vient de pu-
blier le rendement des impôts et revenus in-
directs ainsi que des monopoles de l'Etat pen-
dan le mois de mars 1891.
Les résultats accusent une plus-value de
92,500 fr. par rapport aux évaluations budgé-
taires et une augmentation de 5,177,500 par
rapport à la période correspondante de l'année
précédente.
Par rapport aux évaluations budgétaires, il
y a plus-vdlue sur : l'enregistrement (148,900);
les contributions indirectes 2,048,300); les sels
(247,000); les postes (1,293,300) ; les télégra-
phes (107,800).
Les moins-values portent sur : le timbre
(541,200); impôt de 4 0/0 sur les valeurs mo-
bilières (126,50 )) ; les douanes (2,259,100); les
sucres (373,300); les contributions indirectes-
monopoles (453,000).
Par rapport à la période correspondante de
1 &93, il y a plus-value sur : l'enregistrement
(683,500) ; l'impôt de 4 0/0 sur les valeurs mo-
bilières (202,000); les douanes (104,000) ; les
contributions indirectes (237,000); les sels
(341,000); les sucres (3,341,000) ; les contribu-
-. butions indirectes-monopoles (779,000); les
postes (53,600); les télégraphes (85,400).
Les moins-values portent sur : le timbre
(639,000).
LA SESSION DES CuNEILS GENÉRAUX
Dans la journée d'hier, mercredi, les
conseils généraux qui suivent ont clos
leur session :
Alpes-Maritimes, Ardèche, Aveyron ,
Calvados, Cher, Côtes-du-Nord, Doubs,
Eure, Indre, Indre-et-Loire, Landes,
Loiret, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Mo-
selle, Nièvre, Pas-de-Calais, Basses-Pyré-
nées, Hautes-Pyrénées, Saône-et-Loire,
Deux-Sèvres, Somme, Tarn, Tarn-et-Ga-
ronne, Vaucluse, Haute-Vienne.
A la liste que nous donnions hier des
conseils qui ont émis des vœux relatifs à
la question des courses, ajoutons les con-
seils suivants : Ardèche, Aveyron, Tarn,
Oise, Tarn-et-Garonne, Saône-et-Loire, In-
dre-et-Loire , Basses-Pyrénées , Meurthe-
et-Moselle, Gard, Calvados, Deux-Sèvres,
Mayenne, Nièvre, Loir-et-Cher, Vienne,
Alpes-Maritimes, Nord, Charente-Infé-
rieure, Ardennes, Haute-Vienne, Cher,
Lot, Morbihan, Doubs, Côte-d'Or, Landes.
Ces œux sont favorables soit au rétablis-
sement du piri mutuel, soit au projet de la
commission de la Chambre, soit au projet
du gouvernement. Notons toutefois que le
Gard se déclare hostile «au pari sous toutes
ses formes » ; que le Loir-et-Cher déclare
qu'il n'est « ni pour ni contre » dans la
question, et que le conseil des Alpes-Mari-
times se déclare « incompétent ».
Le conseil général de l'Ain a voté le vœu
de M. Pochon, « que nul ne soit investi de
fonctions publiques rétribuées par l'Etat,
s'il n'a fait, dans les écoles universitaires,
des études suffisantes. »
Deux incidents se sont produits ; l'un au
conseil général du Jura, l'autre au conseil
de la Loire-Inférieure. Voici les dépêches
qui nous les font connaître :
Lons-le-Saulnier, 8 avril,
Un conseiller, M. Macle, a accusé le préfet
d'empêcher les conseillers de pénétrer dans
les bureaux de la préfecture. Il a ajouté qu'il
était impossible de supporter plus longtemps
une administration tyrannique et a menacé de
quitter la séance en adjurant le conseil de le
suivre. Le calme a fini par se rétablir.
Nantes, 8 avril.
M. de Lareinty, fils, député, questionnant le
jpjfet au sujet de la nomination d'un officier
de santé comme médecin de l'hôpital de Blain,
localité qu'il réprésente au conseil général,
s'est plaint de n'avoir pas reçu df réponse à
;une lettre qu'il a adressée au préfet à ce sujet,
et il a ajouté : « Les représentants du peuple]
sont habitués à trouver plus de courtoisie'
auprès des représentants du gouvernement. »
Le préfet. — Je n'ai jamais reçu de leçons
de courtoisie.
M. de Lareinty. — Je vous en donne une,
que vous l'acceptiez ou non.
Le préfet. — Ce sont des questions qui se
règlent hors séance.
M. de Lareinty. — Où vous voudrez.
M. de la Noue-Billaut, président, essaie de
calmer le préfet. Mais celui-ci répond qu'il
n'est pas assez bon chrétien pour pratiquer
l'oubli des injures. Et sur ces mots, il quitte la
séance.
A la suite de l'incident, le préfet a envoyé
ses témoins à M. de Lareinty fils, qui a consti-
tué également les siens.
Les témoins ont arrangé l'affaire.
LES PARIS AUX COURSES ANGLAISES
TRENTE ARRESTATIONS
On nous télégraphie de Londres, 8
avril :
Une trentaine d'arrestations ont été opérées
aujourd'hui dans des salons de jeu où l'on se
livrait à des paris illégaux pour les courses
d'Epsom.
La plupart des personnes arrêtées appartien-
nent aux hautes classes de la société; elles
comparaîtront demain devant le tribunal.
.————————————
EDMOND DE PRESSENSB
M. Edmond de Pressensé, sénateur ina-
movible, est mort, hier matin, après une
longue et terrible agonie.
M. Edmond de Pressensé, né à Paris, en
1824, appartenait à la religion protestante.
Il fit ses études théologiques à Lausanne,
à Halle et à Berlin, fut consacré pasteur
en 1847 et appelé à desservir la chapelle
de la rue Taitbout.
A ce moment, MM. Scherer et Colani
s'étaient mis à la tête d'un mouvement
théologique libéral qui avait pour organe
la Revue de théologie. M. de Pressensé,
après avoir paru favorable à ce mouve-
ment, ne tarda pas à le combattre, pour
se rallier à des vues moins éloignées de
l'orthodoxie. Dans ce but, il fonda la
Revue chrétienne. Les idées qu'il y défendit
lui valurent tour à tour les attaques des
orthodoxes et des libéraux.
Vers 1869, M. de Pressensé se lança dans
la politique. C'est comme républicain
ferme et convaincu qu'il adhéra à la ligue
de la paix et qu'il se porta candidat, après
la Commune, à l'Assemblée nationale, le
2 juin 1871. Il fut élu et siégea à gauche.
Son premier soin fut de déposer une pro-
position d'amnistie en faveur des gardes
nationaux poursuivis ou condamnés à l'oc-
casion des événements de 1871 ; un peu
plus tard, il protesta contre l'arrêté du
préfet de Lyon au sujet des enterrements
civils et contre le projet qui avait pour but
de faire déclarer d'utilité publique l'érec-
tion d'une église du Sacré-Cœur à Paris.
Dans des lettres qui firent sensation, il
combattit, en 1873, les tentatives de res-
tauration monarchique. En 1875, il vota
pour la constitution, parla contre la loi sur
renseignement supérieur et fit une oppo-
sition énergique à l'administration de M.
Buffet.
L'Assemblée nationale dissoute, M. de
Pressensé fut candidat aux élections légis-
latives à Pontoise et à Courbevoie. 11
échoua, mais, le 23 novembre 1883, il fut
nommé sénateur inamovible. Le centre
gauche le choisit comme son président.
Au Sénat, M. de Pressensé a joué un
rôle assez actif, notamment à propos des
discussions sur le budget des cultes.
M. de Pressensé était un libéral sincère.
Il avait une nature généreuse et ardente,
une grande fierté d'âme et de caractère, la
conscience sévère et un fonds inép uisable
de bienveillance. C'était de plus un ora-
teur remarquable, orateur de la chaire
aussi bien que de la tribune parlementaire.
Avec lui, la religion protestante perd un
de ces pasteurs qui l'ont servie avec le plus
de talent et le plus de dévouement.
Logique avec lui-même, M. de Pressensé,
qui voulait l'Eglise libre dans l'Etat libre,
a été le pasteur d'une Eglise évangélique
libre qui n'a jamais reçu de subvention de
l'Etat.
M. de Pressensé laisse un certain nom-
bre d'ouvrages de valeur. L'histoire reli-
gieuse et les questions sociales l'ont sur..
tout attiré. Dans cet ordre d'idées, je ci-
terai: Conférences sur le christianisme dans
ses applications aux questions sociales, Vie de
Jésus, le Concile du Vatican, r Ancien monde
et le Christianisme, etc.
Les obsèques de M. de Pressensé auront
lieu demain, à deux heures de l'après-
midi, à la chapelle Taitbout, 42, rue de
Provence.
C. B.
■■ ■ ■» • ■ ■ - M,
LE RECENSEMENT
On sait que les opérations du recensement
de la population doivent avoir lieu le 12 avril
prochain. A ce propos, on s'est demandé
comment les réservistes et les territoriaux
qui se trouveraient à cette date sous les dra-
peaux devraient être portés sur les feuilles de
recensement.
Le nrnistre de l'intérieur, consulté à ce
sujet, a répondu que les réservistes et les ter-
ritoriaux devaient être recensés, dans les com-
munes où ils résident habituellement, comme
membres du ménage absents, et dans la ville
où ils seront présents au corps, comme hôtes
de passage.
CHRONIQUE DU JOUR
STATUE OU STATUETTE?
La ville de Paris a voté 200 francs poui
la statue d'Hégésippe Moreau. Le « Pas-
sant » du Rappel répondait hier spirituel-
lement et justement à un de nos confrères
se récriant : « Mais alors tous les amis de
poètes de second ordre ne seront-ils pas *
autorisés par la suite à revendiquer des
petites statues pour leurs idoles? » Hégé-
sippe Moreau ne fut pas, sans doute, un
poète puissant et sublime ; mais les poètes
de second ordre comme lui sont assez ra-
res, et sur les soctes glorieux on ne verra
pas d'encombrement.
C'est fort juste, d'ailleurs il ne faut pas
dédaigner les poètes de second ordre. Il y
a des choses charmantes dans les œuvres
des poetæ minores, et puis tout est relatif :
la France est si riche en poètes de génie
que le poète élevé par nous au second
rang serait au premier dans un autre pays.
L'Angleterre contemporaine, pour ne citer
que la nation littéraire qui a produit le
plus de grands et puissants poètes, l'An-
gleterre de Shakespeare, de Milton, de
Byron, demeurée l'Angleterre de l'agréable
Tennyson, si elle avait chez elle un Hégé-
sippe Moreau, ne le classerait-t-elle pas au
premier rang parmi les poètes de la pre-
mière moitié du dix-neuvième siècle? Cela
ne nous est pas permis : au milieu de la
forêt superbe de chênes poétiques que
domine l'ancêtre Hugo, Hégésippe Moreau
ne peut avoir que la taille d'un arbuste.
Loin de moi la pensée de diminuer l'au-
réole posthume qui ceint le po te mort à
l'âge où l'on entre dans la vie. Il fut un des
amis de ma pensée aux heures de jeunesse
poétique. Chose curieuse ce poète irrégu.
lier, peu classique, rentrant dans la caté-
gorie des chansonniers et des poètes-ou-
vriers par son éducation, son bagage litté-
raire et le sujet de nombre de ses œuvres,
me fut révélé au collège. Ce fut un univer-
sitaire renforcé, un fanatique de Racine,
M. Deltour, alors mon professeur de rhé-
torique à Condorcet-Bonaparte, aujour-:
d'hui inspecteur général de l'Université,
qui, en pleine classe, comparant, je crois,
les Adieux à la vie, du poète Gilbert, avec
Feuilleton du RAPPEL
DU 10 AVRIL]
27
L'ENDORMEUR
PREMIÈRE PARTIE
p.,VENGE-MOl!n
XIV (uite)
Marcel regarda la bonne femme avec
étonnement.
— Comment? qu'est-ce que tu dis?
qu'est-ce que ton départ peut faire à mon
père ?
— M. le baron ne voudra pas, je te disl
il ne voudra pas!
— En admettant qu'il n. ,,"cuiBe pas,
insista. Marcel, tu ne dépends plus de lui,
fiasque c'est moi Marcel qui t'assure cette
petite rente. Mon père n'est plus ton
maître, tu peux te passer de sa permis-
lion, tu es libre !
— Libre ? oh ! non ! reprit So^nte, dont
les mains étaient toutes tremblantes. Tais-
Reproduction interdite.
Voir le Ronpelllu 15 mars au 9 a'
toi, tais-toi, mon enfant! ne parlons plus
de ça. Ne dis même pas à M. le baron que
tu m'as fait cette proposition-là. Qu'il ne
sache pas 1 pour l'amour de Dieu, qu'il ne
sache pas !
— Tu as donc bien peur de lui?
- Ohl oui.
-'Mais, encore une fois, que peut-il te
faire ?
— Il peut. il peut. Oh! j'ai une vie si
malheureuse, je ne devrais pas beaucoup
y tenir, mais, je ne sais pourquoi, — c'est
absurde! — j'y tiens, j'y tiens encore.
— Ta vie?. Tu peux supposer que
le baron irait jusqu'à ?.
— Oh! je n'ai pas dit ça! tais-toi ! —
Parlons, je t'en prie, d'autre chose. Re-
nonce à me tirer d'ici. Ce serait me tuer.
Ma pauvre tête ne peut pas porter des idées
pareilles. Je n'ai pas pour deux sous de
vouloir. Et cependant, c'est étonnant, je
me souviens de tout, de tout. J'ai dû
prendre, dans ma maladie, des remèdes qui
étaient pires que le mal. Cette fois-ci, ce
serait la mort. Cet homme-là, vois-tu, il
ne faut pas jouer avec lui. Il veut que je
sois toujours sous sa main, il l'a dit. Il
saurait bien m'empêcher de m'en aller, je
t*fen réponds !
— Ne peux-tu t'en aller sans qu'il le
sache? dit Marcel qui réfléchissait.
— Oh ! non, comment veux-tu ? Mari-
gouin est là qui me garde.
1. - Est-ce que le baron ta,.t où demeure
I.'t. wiirî
- Non, il ne sait peut-être même pas
qu'elle existe.
— Eh bien, si on venait te prendre ici,
avec une cariole, le soir, quand tout le
monde dormirait ? si on te conduisait à la
station la plus proche du chemin de fer de
Lyon et, de là, au village de ta sœur. Tu y
serais le lendemain matin. Comment le
baron ourrait-il jamais te retrouver?
— On ! serait-ce Dieu possible? fit la
bonne femme en joignant les mains. Je
serais délivrée de cette peur affreuse qui
ne me quitte pas ? je serais cachée, per-
due pour lui 1
— C'est possible, c'est facile, dit Marcel,
et ce sera fait dès demain soir, si tu
veux.
— Mais ça se saurait dans le pays ; le
baron est si fort, si rusé, si habile !
— Ne crains rien, mes mesures seraient
bien prises. Nous avons mon ami, Jac-
ques Blandry, qui n'est pas de nos can-
tons. Il se rendrait chez son père, qui a
des chevaux, des voitures. C'est de là qu'il
partirait, sans éveiller de soupçon, pour
venir ici, de nuit. Rien ne transpirerait. Tu
aurais disparu on ne saurait comment.
— Ah ! mon bon Dieu! j'échapperais au
baron 1 Ah ! je ne peux pas y croire. Je n'o-
serai jamais. Je n'ai pas de force, pas de
courage, je te dis, pas de volonté.
— Tu n'a pas besoin de vouloir, tu n'as
qu'à laisser faire.
, — Saints du paradis! ie serais libre, ie
serais heureuse, et je te devrais ça, mon
Marcel !
Tout à coup elle s'arrêta, et, secouant
la tête :
— Non, j'y pense, c'est impossible t
— Allons ! que crains-tu encore 1
— Je crains. ce n'est plus pour moi,
c'est pour toi, mon pauvre enfant. Moi, je
serais loin, mais toi tu restes. Le baron se
demandera qui a fait ça, il cherchera, il
trouvera.
— Eh bien, après?
— Oh ! non, je ne veux pas t'exposer,
toi. Ce serait horrible 1
— M'exposer? Il n'y a pas de danger
pour moi, reprit Marcel en regardant fixe-
ment Sophie. Que veux-tu que le baron me
fasse, à moi, son fils?
— Ah! c'est égal ! ne t'y risque pas ! dit
la bonhe femme au comble de la terreur.
Ne brave pas la colère de cet homme-là,
mon pauvre enfant !
— Enfin, pourquoi me dis-tu ça ? Donne-
moi une raison ! As-tu une raison ?
— Je n'en ai pas, non, certainement, je
n'en ai pas. Mais.
— Si ! tu en as une! et, puisque tu me;
la dis pas, je vais te la dire.
- Non, non, inutile !
- JQ vais te la dire : le baron Brunoy
n'est pas mon père!
- — Ah ! malheureux, tais-toi ! Je ne t'ai
rien dit do, nareil. au moins 1
— Non, rassure-toi, ce n'est pas toi qui
me l'as dit.
— Qui donc ?
— C'est lui-même 1
- Lui ! oh ! s'il te l'a dit, si tu le sais,
prends garde à toi ! prends garde t
— Au contraire ! Si je l'ignorais, c'est
alors qu'il faudrait prendre garde. La
preuve en est que, lorsque cet aveu lui est
échappé dans un accès de fureur, il s'est
efforcé ensuite de le reprendre, de me
rassurer, d'affirmer que je m'étais trompé
sur le sens de ses paroles efcqu'il est bien
réellement mon père. C'est pourquoi, ma
bonne nourrice, je suis venu à toi pour
que tu me confirmes la vérité dont j'ai
toujours eu le secret pressentiment. Si je
la connais, cette vérité, je suis sur mes
gardes, je puis me défendre, je puis lutter
à armes égales contre un étranger; je
serais désarmé contre mon père.
— C'est vrai, dit Sophie; tu as d'ailleurs
pour veiller sur toi contre le baron Brunoy,
deux défenseurs.
— Lesquels ?
— D'abord ta tante, la comtesse d'Am-
blivet.
— La comtesse d'Amblivet? eh ! ne sais-
tu pas qu'elta est morte ?
1 — Morte ! la comtesse est morte aussi l'
Quand 8onc î
ri - Mais il y a un mois. Elle est morte
subitement.
L, - DiauJ et de auoi est-elle roortAl.
— On ne sait pas.
— Miséricorde ! c'est comme ta mère !.
Elle s'arrêta. Ils se regardèrent, épou-
vantés tous deux de cette parole, elle de
l'avoir dite, lui de l'avoir entendue.
Après un silence, Marcel reprit grave-
ment :
— Ma bonne Sophie, tu n'as plus à hé-
siter maintenant. Je ne suis instruit, je
ne suis éclairé, je ne suis armé qu'à moi
tié. Il faut tout me dire. Après-demain, tu
seras en sûreté, à l'abri de tout ce que
pourrais tenter contre toi le baron Brunoy.
Une lutte, une lutte terrible, est engagée
entre moi et cet homme que j'appelais
mon père. Il s'est pris d'amour, d'un
amour insensé, pour une jeune fille que
j'aime et qui m'aime. Il a surmoi bien des
avantages, il me tient par bien des côtés.
Il est nécessaire que moi aussi je sache
par où le tenir. Et pour cela il faut que
son passé ne reste pas obscur pour moi.*
Sauvons-nous l'un par l'autre. Je fais appel
à ton dévouement. Il me semble que, si ta
m'aimes, ton devoir est de me dévoiler tout
ce que lu sais de cet homme qui,n'estplusr
désormais pour moi que l'ennemi.
— Tu as raison, dit Sophie relevant la
tête, tu as raison et tu vas tout savoir. La
malheureux ! il a espéré, je cror, qu'il
tuerait en moi hi mémoire. Bésissons Die.
qui ae fa C._aeE i#r. £ ière ! Je v
tout te dire. Ecoute.
JULES DE GASTYNE. !
CA sidur^y
21 Germinal an 99 — N® 7700
CINQ centimes le, numéro
- ,-- * RËDACTION
18, RUE DE VALOIS, 18
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RL^CTTOÎT
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuii
lES MANUSCRITS NON INSÉRÉS NE SEIWXT PAS RENDtTf
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Adresser lettres et mandats
ât L'ADMIKÏSTRATEUR-GÈHÂN'Ï
ANNONCES
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ABONNEMENTS
PARIS
t UN MOIS 2 FB.
TROIS MOIS. 5 -
SIX MOIS. 9 FR.
UN AN .,. t8 -
Rédacteur en chef : AUGUSTE. VACQUERIE
-
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
UN MOIS «. 2 FR.
TROIS MOIS. 6-
SIX MOIS 11 FR.
ON !N,.,. 20 —
MM. les actionnaires (fii Rappel sont
convoqués en assemblée générale ordi-
naire pour le jeudi 30 avril courant,
à deux heures de l'après-midi, dans les
bureaux du journal, rue de Valois, 18.
Pour le conseil d'administration,
L administrateur-gérant,
AUGUSTE VACQUERIE.
01VEIVTBREJDTBSTAMIT
Si le prince Napoléon avait pu assis-
ter à l'ouverture do son testament, il
aurait joliment écume.
C'était avant-hier. La chose s'est faite
au château de Prangins. Les exécuteurs
testamentaires, MM. Adalbert Philis,
Maurice Cottin et le baron Brunet,
étaient arrivés le matin. Ils ont été pré-
sentés à la princesse Clotilde, à la prin-
cesse Lœtitia et au prince Victor, mais
ils avaient été trop amis du mort pour
être accueillis chaleureusement par sa
veuve, par sa fille et par son fils. Il leur
a fallu « une délicatesse exquise » pour
« effacer le passé ». Une dépêche dit
qu'une cho#J a contribué à rendre les
présentations moins « fraîches » : la
présence de deux dames que la prin-
cesse Clotilde avait amenées, la com-
tesse Coliide Pelezano et Mlle Damiani.
J'en conclus que ces deux dames sont
jolies et que MM. Brunet, Philis et Cot-
tin ne sont pas insensibles à la beauté.
La délicatesse exquise des exécuteurs
testamentaires n'empêchait pas le testa-
ment d'être raide.
J'aurais eu plaisir à contempler le nez
du prince Victor quand M. Audéoud,
notaire de Genève, a lu des phrases
comme celle-ci :
- « Le prince Victor a été un marn
vais fils; il s'est révolté contre l'autorité
paternelle; il a été rebelle et traître.
» Je le déshérite de tout ce que la loi
m'autorise à lui enlever.
» Je transmets à mon second fils tout
ce que je possède et tous mes droits
au pouvoir dans le cas où la volonté du
peuple français y appellerait un Napo-
léon.
» Je défends au prince Victor d'as-
sister à mes funérailles. »
Cette défense est répétée trois fois.
J'ai la vague conviction que même
la présence des jolies femmes amenées
pour diminuer la « fraîcheur » de la
séance, n"a pas empêché ces passages de
jeter un froid.
Le testament « n'est pas moins
cruel » pour la veuve que pour le fils :
— Je déshérite la princesse Clotilde
pour m'avoir abandonné au milieu de
la lutte et s'en être allée dans les temps
- où sa présence m'était le plus néces-
saire.
— Oui, mais il y a ici des meubles
qui sont à moi ! s'est écrire la princesse
Clotilde.
Ces meubles, et d'autres objets
qu' « elle a tout naturellement récla-
més », lui seront remis, et elle va les-
faire transporter à Moncalieri. Cela
peut étonner, de la part d'une princesse
tellement pieuse qu'elle a refusé d'as-
sister aux funérailles de son père, parce
,qu'en sa qualité de roi d'Italie et de dé-
tenteur de Rome il déplaisait au pape.
Comment une princesse si pieuse pour-
ra-t-elle avoir chez elle des meubles et
des objets qui ont cohabité avec un im-
pie comme le prince Napoléon, qu'il a
touchés, qu'il a imprégnés de son irré-
: ligion ? J'aurais cru que, loin de les ré-
clamer, elle les rejetterait avec horreur
Isionles lui offrait. Mais peut-être ne
les réclame-t-elle que pour les brûler.
Il a été décidé que le testament ne
serait pas publié. Il faut que la comtesse
Colli de Pelezano et Mlle Damiani soient
bien ravissantes pour que MM. Brunet,
Cottin et Philis aient consenti à ce huis-
clos. Mais, publié ou non, le testament
n'en existe pas moins. Et le devoir des
exécuteurs testamentaires est d'exécu-
ter les testaments.
, Mais à l'instant où MM. Cottin, Philis
et Brunet se disaient : A l'œuvre ! et
faisaient signe au prince Louis, le prince
Louis, leur tournant brusquement le
dos, « s'est jeté tout en larmes dans les
bras de sa mère et de son frère, comme
pour s'excuser auprès d'eux des éloges
dont il était couvert tandis qu'il n'y
avait pour eux qu'amertumes, repro-
ches et colères ». Il a déclaré qu'il ne
tiendrait aucun compte du testament et
il a dit au mort, comme le fils d'Har-
pagon à son père : - Je n'ai que faire
de vos dons.
Et quels nez aurais-je aimé contem-
pler à ce moment? Ceux de MM. Bru-
net, Philis et Cottin. Ils doivent à leur
ami défunt d'exécuter son testament, et
comment l'exécuteront-ils si l'héritier
le déchire? « Ils ne cachent pas les
ennuis et les difficultés de la tâche qui
leur incombe. » Ils ont tout fait pour
faire revenir le prince Louis sur sa
résolution : — Mais, monseigneur, ce
sont les dernières volontés de votre
père. — Je m'en fiche! Ils sont revenus
« navrés ».
Ces pauvres exécuteurs sans exécu-
tion sont encore moins à plaindre que
le prince Napoléon, renié même par le
seul des siens qu'il aimât, trahi par les
'autres quand au moins il était en vie et
pouvait se défendre, trahi par celui-là
jusque dans la mort.
AUGUSTE VACQUERIE.
L'ËXTSNCTÎON UES INAIO VIS LES
Le Sénat vient encore de perdre un de
ses membres inamovibles. M. de Pres-
sensé, sénateur républicain, a succombé
hier aux suites de la maladie dont il était
atteint depuis longtemps.
Le siège de M. de Pressensé va, confor-
mément à la loi du 9 décembre 1884, être
transformé en siège ordinaire et annexé à
un département.
C'est le trentième siège d'inamovible
ainsi supprimé par extinction depuis la
mise en vigueur de la loi du 9 décembre
1884. Il ne reste plus actuellement au
Sénat que 45 inamovibles — sur les 75
qu'avait créés la Constitution du 25 février
1875 - à savoir 26 datant de l'origine,
c'est-u-dire élus par l'Assemblée nationale
et 19 élus par le Sénat. lui-même.
Il nous paraît curieux d'indiquer les
diverses phases qu'a subies l'institution
:des inamovibles depuis l'origine jusqu'à
aujourd'hui.
L'Assemblée nationale avait élu 75 ina-
movibles, dont 56 républicains et 19 réac-
tionnaires. De décembre 1875 à aujour-
d'hui, 69 inamovibles ont disparu par dé-
cès, dont 49 des 75 membres primitifs et
20 élus par le Sénat pour les remplacer.
Le remplacement par le Sénat lui-même
ne s'est effectué que du 30 janvier 1876 au
9 décembre 1884, c'est-à dire pendant 9
ans. Durant cette période de 9 années, le
Sénat a élu 39 inamovibles, dont 19 seule-
ment subsistent aujourd'hui.
Voici la liste des 49 inamovibles datant
de l'origine qui sont décédés depuis 16 ans
que le Sé at existe :
Républicains. — Casimir-Perier. Wo-
lowski, de Tocqueville, Ernest Picard,
Edmond Adam, Lepetit, Lanfrey, général
Chareton, Léon de Maleville, Paul Morin,
Léonce de Lavergne, Crcmieux, Oscar de
Lafayette, Baze, Littré, Roger (du Nord),
Fourcaud, Bertauld, amiral Pothuau, gé-
néral Chanzy, Laboulaye, J. de Lasteyrie,
Gautthier de Rumilly, amiral Fourichon,
Foubert, Laurent Pichat, Corne, général
Frébault, Carnot père, Duclerc, Rampont,
amiral Jaurès, Scherer, général de Cha-
bron, marquis de Malleville, Calmon et
Corbon.
Ré'lctionnqÙ'es. — De la Rochette, géné-
ral Changarnier, marquis de Franclieu,
général d'Aurelles de Paladines, général
de Cissey, de Douhet, de Fréville, de Cor-
melier-Lucinière, Kolb-Bernard et de Lor-
geril.
- Voici 'maintenant la liste des inamo-
vibles élus par le Sénat lui-même, qui
sont décédés depuis seize ans :
Républicains. — Ricard, général Letel-
lier-Valazé, Renouard, de Montalivet, doc-
teur Broca, Dufaure, Victor Lefranc, Eu-
gène Pelletan, général Farre, amiral Jau-
régùiberry, Allou, général Gresley, général
Campenon et de Pressensé.
Réactionnaires. — Comte Greffulhe, de
Larcy, Ferdinand Barrot, Dupuy de Lôme,
général Chabaud-Latour, de Carayon-
Latour et Grandperret.
On remarquera que, quoique la Consti-
tution n'ait créé que 75 inamovibles et que
69 soient décédés, il en reste encore 45.
Cela tient à ce que durant les neuf années
pendant lesquelles le remplacement a
fonctionné, un même siège a vu disparaître
sucessivement plusieurs titulaires. -
C'est ainsi que l'un des inamovibles élus
à 1 origine, M. de la Rochette, est mort
avant la première réunion du Sénat et n'a
jamais siégé. Il a été remplacé par M. Ri-
card, qui lui-même décédé a eu M. Buffet
-
pour successeur. v
De même M. Paul Morin, décédé, a eu
pour successeur M. de Montalivet, qui a
été lui-même, après son décès, remplacé
par le docteur Broca, lequel a été remplacé
par le général Farre.
, Pour terminer cette nomenclature, il
nous reste à indiquer les noms des 45 ina-
movibles subsistant encore, et dont les
sièges seront supprimés par voie d'ex-
tinction.
Ces 45 membres se décomposent en 26
datant de l'origine (dont 19 de gauche et
7 de droite) et 19 élus par le Sénat (dont
14 de gauche et 5 de droite) :
Inamovibles de l'origine. — MM. Martel,
Krantz, Barthélemy Saint-IIilaire. Cordier,
colonel de Chadois, Humbert, Le Royer,
Luro, Tribert, Gouin, Scheurer-Kestner,
Testelin, Bérenger, Magnin, Dcnormandie,
Jules Simon, Scbœlcher, Cazot, général
Billot, de la gauche, et MM. d'Audiffret-
Pasquier, Dumon, Théry, Pajot, Hervé de
Saisy, Wallon et l'amiral de Montaignac,
de la droite.
Inamovibles élus par le Sénat. - MM. John
Lemoinne, Albert Grévy, Henry Didier,
Emile Deschanel, Berthelot, de Voisins-
Lavernière, Dietz-Monin, Bardoux, Clama-
geran, Lalanne, Tirard, Jean Macé, de
Marcère, l'amiral Peyron, de la gauche, et
MM. Buffet, Chesnelong, Lucien, Oscar de
Vallée, et Numa Baragnon, de la droite.
M. l'amiral Peyron est le dernier inamo-
vible élu avant la mise en vigueur de la loi
;qui a supprimé l'institution.
LE RENDEMENT DES IMPOTS
L'administration des finances vient de pu-
blier le rendement des impôts et revenus in-
directs ainsi que des monopoles de l'Etat pen-
dan le mois de mars 1891.
Les résultats accusent une plus-value de
92,500 fr. par rapport aux évaluations budgé-
taires et une augmentation de 5,177,500 par
rapport à la période correspondante de l'année
précédente.
Par rapport aux évaluations budgétaires, il
y a plus-vdlue sur : l'enregistrement (148,900);
les contributions indirectes 2,048,300); les sels
(247,000); les postes (1,293,300) ; les télégra-
phes (107,800).
Les moins-values portent sur : le timbre
(541,200); impôt de 4 0/0 sur les valeurs mo-
bilières (126,50 )) ; les douanes (2,259,100); les
sucres (373,300); les contributions indirectes-
monopoles (453,000).
Par rapport à la période correspondante de
1 &93, il y a plus-value sur : l'enregistrement
(683,500) ; l'impôt de 4 0/0 sur les valeurs mo-
bilières (202,000); les douanes (104,000) ; les
contributions indirectes (237,000); les sels
(341,000); les sucres (3,341,000) ; les contribu-
-. butions indirectes-monopoles (779,000); les
postes (53,600); les télégraphes (85,400).
Les moins-values portent sur : le timbre
(639,000).
LA SESSION DES CuNEILS GENÉRAUX
Dans la journée d'hier, mercredi, les
conseils généraux qui suivent ont clos
leur session :
Alpes-Maritimes, Ardèche, Aveyron ,
Calvados, Cher, Côtes-du-Nord, Doubs,
Eure, Indre, Indre-et-Loire, Landes,
Loiret, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Mo-
selle, Nièvre, Pas-de-Calais, Basses-Pyré-
nées, Hautes-Pyrénées, Saône-et-Loire,
Deux-Sèvres, Somme, Tarn, Tarn-et-Ga-
ronne, Vaucluse, Haute-Vienne.
A la liste que nous donnions hier des
conseils qui ont émis des vœux relatifs à
la question des courses, ajoutons les con-
seils suivants : Ardèche, Aveyron, Tarn,
Oise, Tarn-et-Garonne, Saône-et-Loire, In-
dre-et-Loire , Basses-Pyrénées , Meurthe-
et-Moselle, Gard, Calvados, Deux-Sèvres,
Mayenne, Nièvre, Loir-et-Cher, Vienne,
Alpes-Maritimes, Nord, Charente-Infé-
rieure, Ardennes, Haute-Vienne, Cher,
Lot, Morbihan, Doubs, Côte-d'Or, Landes.
Ces œux sont favorables soit au rétablis-
sement du piri mutuel, soit au projet de la
commission de la Chambre, soit au projet
du gouvernement. Notons toutefois que le
Gard se déclare hostile «au pari sous toutes
ses formes » ; que le Loir-et-Cher déclare
qu'il n'est « ni pour ni contre » dans la
question, et que le conseil des Alpes-Mari-
times se déclare « incompétent ».
Le conseil général de l'Ain a voté le vœu
de M. Pochon, « que nul ne soit investi de
fonctions publiques rétribuées par l'Etat,
s'il n'a fait, dans les écoles universitaires,
des études suffisantes. »
Deux incidents se sont produits ; l'un au
conseil général du Jura, l'autre au conseil
de la Loire-Inférieure. Voici les dépêches
qui nous les font connaître :
Lons-le-Saulnier, 8 avril,
Un conseiller, M. Macle, a accusé le préfet
d'empêcher les conseillers de pénétrer dans
les bureaux de la préfecture. Il a ajouté qu'il
était impossible de supporter plus longtemps
une administration tyrannique et a menacé de
quitter la séance en adjurant le conseil de le
suivre. Le calme a fini par se rétablir.
Nantes, 8 avril.
M. de Lareinty, fils, député, questionnant le
jpjfet au sujet de la nomination d'un officier
de santé comme médecin de l'hôpital de Blain,
localité qu'il réprésente au conseil général,
s'est plaint de n'avoir pas reçu df réponse à
;une lettre qu'il a adressée au préfet à ce sujet,
et il a ajouté : « Les représentants du peuple]
sont habitués à trouver plus de courtoisie'
auprès des représentants du gouvernement. »
Le préfet. — Je n'ai jamais reçu de leçons
de courtoisie.
M. de Lareinty. — Je vous en donne une,
que vous l'acceptiez ou non.
Le préfet. — Ce sont des questions qui se
règlent hors séance.
M. de Lareinty. — Où vous voudrez.
M. de la Noue-Billaut, président, essaie de
calmer le préfet. Mais celui-ci répond qu'il
n'est pas assez bon chrétien pour pratiquer
l'oubli des injures. Et sur ces mots, il quitte la
séance.
A la suite de l'incident, le préfet a envoyé
ses témoins à M. de Lareinty fils, qui a consti-
tué également les siens.
Les témoins ont arrangé l'affaire.
LES PARIS AUX COURSES ANGLAISES
TRENTE ARRESTATIONS
On nous télégraphie de Londres, 8
avril :
Une trentaine d'arrestations ont été opérées
aujourd'hui dans des salons de jeu où l'on se
livrait à des paris illégaux pour les courses
d'Epsom.
La plupart des personnes arrêtées appartien-
nent aux hautes classes de la société; elles
comparaîtront demain devant le tribunal.
.————————————
EDMOND DE PRESSENSB
M. Edmond de Pressensé, sénateur ina-
movible, est mort, hier matin, après une
longue et terrible agonie.
M. Edmond de Pressensé, né à Paris, en
1824, appartenait à la religion protestante.
Il fit ses études théologiques à Lausanne,
à Halle et à Berlin, fut consacré pasteur
en 1847 et appelé à desservir la chapelle
de la rue Taitbout.
A ce moment, MM. Scherer et Colani
s'étaient mis à la tête d'un mouvement
théologique libéral qui avait pour organe
la Revue de théologie. M. de Pressensé,
après avoir paru favorable à ce mouve-
ment, ne tarda pas à le combattre, pour
se rallier à des vues moins éloignées de
l'orthodoxie. Dans ce but, il fonda la
Revue chrétienne. Les idées qu'il y défendit
lui valurent tour à tour les attaques des
orthodoxes et des libéraux.
Vers 1869, M. de Pressensé se lança dans
la politique. C'est comme républicain
ferme et convaincu qu'il adhéra à la ligue
de la paix et qu'il se porta candidat, après
la Commune, à l'Assemblée nationale, le
2 juin 1871. Il fut élu et siégea à gauche.
Son premier soin fut de déposer une pro-
position d'amnistie en faveur des gardes
nationaux poursuivis ou condamnés à l'oc-
casion des événements de 1871 ; un peu
plus tard, il protesta contre l'arrêté du
préfet de Lyon au sujet des enterrements
civils et contre le projet qui avait pour but
de faire déclarer d'utilité publique l'érec-
tion d'une église du Sacré-Cœur à Paris.
Dans des lettres qui firent sensation, il
combattit, en 1873, les tentatives de res-
tauration monarchique. En 1875, il vota
pour la constitution, parla contre la loi sur
renseignement supérieur et fit une oppo-
sition énergique à l'administration de M.
Buffet.
L'Assemblée nationale dissoute, M. de
Pressensé fut candidat aux élections légis-
latives à Pontoise et à Courbevoie. 11
échoua, mais, le 23 novembre 1883, il fut
nommé sénateur inamovible. Le centre
gauche le choisit comme son président.
Au Sénat, M. de Pressensé a joué un
rôle assez actif, notamment à propos des
discussions sur le budget des cultes.
M. de Pressensé était un libéral sincère.
Il avait une nature généreuse et ardente,
une grande fierté d'âme et de caractère, la
conscience sévère et un fonds inép uisable
de bienveillance. C'était de plus un ora-
teur remarquable, orateur de la chaire
aussi bien que de la tribune parlementaire.
Avec lui, la religion protestante perd un
de ces pasteurs qui l'ont servie avec le plus
de talent et le plus de dévouement.
Logique avec lui-même, M. de Pressensé,
qui voulait l'Eglise libre dans l'Etat libre,
a été le pasteur d'une Eglise évangélique
libre qui n'a jamais reçu de subvention de
l'Etat.
M. de Pressensé laisse un certain nom-
bre d'ouvrages de valeur. L'histoire reli-
gieuse et les questions sociales l'ont sur..
tout attiré. Dans cet ordre d'idées, je ci-
terai: Conférences sur le christianisme dans
ses applications aux questions sociales, Vie de
Jésus, le Concile du Vatican, r Ancien monde
et le Christianisme, etc.
Les obsèques de M. de Pressensé auront
lieu demain, à deux heures de l'après-
midi, à la chapelle Taitbout, 42, rue de
Provence.
C. B.
■■ ■ ■» • ■ ■ - M,
LE RECENSEMENT
On sait que les opérations du recensement
de la population doivent avoir lieu le 12 avril
prochain. A ce propos, on s'est demandé
comment les réservistes et les territoriaux
qui se trouveraient à cette date sous les dra-
peaux devraient être portés sur les feuilles de
recensement.
Le nrnistre de l'intérieur, consulté à ce
sujet, a répondu que les réservistes et les ter-
ritoriaux devaient être recensés, dans les com-
munes où ils résident habituellement, comme
membres du ménage absents, et dans la ville
où ils seront présents au corps, comme hôtes
de passage.
CHRONIQUE DU JOUR
STATUE OU STATUETTE?
La ville de Paris a voté 200 francs poui
la statue d'Hégésippe Moreau. Le « Pas-
sant » du Rappel répondait hier spirituel-
lement et justement à un de nos confrères
se récriant : « Mais alors tous les amis de
poètes de second ordre ne seront-ils pas *
autorisés par la suite à revendiquer des
petites statues pour leurs idoles? » Hégé-
sippe Moreau ne fut pas, sans doute, un
poète puissant et sublime ; mais les poètes
de second ordre comme lui sont assez ra-
res, et sur les soctes glorieux on ne verra
pas d'encombrement.
C'est fort juste, d'ailleurs il ne faut pas
dédaigner les poètes de second ordre. Il y
a des choses charmantes dans les œuvres
des poetæ minores, et puis tout est relatif :
la France est si riche en poètes de génie
que le poète élevé par nous au second
rang serait au premier dans un autre pays.
L'Angleterre contemporaine, pour ne citer
que la nation littéraire qui a produit le
plus de grands et puissants poètes, l'An-
gleterre de Shakespeare, de Milton, de
Byron, demeurée l'Angleterre de l'agréable
Tennyson, si elle avait chez elle un Hégé-
sippe Moreau, ne le classerait-t-elle pas au
premier rang parmi les poètes de la pre-
mière moitié du dix-neuvième siècle? Cela
ne nous est pas permis : au milieu de la
forêt superbe de chênes poétiques que
domine l'ancêtre Hugo, Hégésippe Moreau
ne peut avoir que la taille d'un arbuste.
Loin de moi la pensée de diminuer l'au-
réole posthume qui ceint le po te mort à
l'âge où l'on entre dans la vie. Il fut un des
amis de ma pensée aux heures de jeunesse
poétique. Chose curieuse ce poète irrégu.
lier, peu classique, rentrant dans la caté-
gorie des chansonniers et des poètes-ou-
vriers par son éducation, son bagage litté-
raire et le sujet de nombre de ses œuvres,
me fut révélé au collège. Ce fut un univer-
sitaire renforcé, un fanatique de Racine,
M. Deltour, alors mon professeur de rhé-
torique à Condorcet-Bonaparte, aujour-:
d'hui inspecteur général de l'Université,
qui, en pleine classe, comparant, je crois,
les Adieux à la vie, du poète Gilbert, avec
Feuilleton du RAPPEL
DU 10 AVRIL]
27
L'ENDORMEUR
PREMIÈRE PARTIE
p.,VENGE-MOl!n
XIV (uite)
Marcel regarda la bonne femme avec
étonnement.
— Comment? qu'est-ce que tu dis?
qu'est-ce que ton départ peut faire à mon
père ?
— M. le baron ne voudra pas, je te disl
il ne voudra pas!
— En admettant qu'il n. ,,"cuiBe pas,
insista. Marcel, tu ne dépends plus de lui,
fiasque c'est moi Marcel qui t'assure cette
petite rente. Mon père n'est plus ton
maître, tu peux te passer de sa permis-
lion, tu es libre !
— Libre ? oh ! non ! reprit So^nte, dont
les mains étaient toutes tremblantes. Tais-
Reproduction interdite.
Voir le Ronpelllu 15 mars au 9 a'
toi, tais-toi, mon enfant! ne parlons plus
de ça. Ne dis même pas à M. le baron que
tu m'as fait cette proposition-là. Qu'il ne
sache pas 1 pour l'amour de Dieu, qu'il ne
sache pas !
— Tu as donc bien peur de lui?
- Ohl oui.
-'Mais, encore une fois, que peut-il te
faire ?
— Il peut. il peut. Oh! j'ai une vie si
malheureuse, je ne devrais pas beaucoup
y tenir, mais, je ne sais pourquoi, — c'est
absurde! — j'y tiens, j'y tiens encore.
— Ta vie?. Tu peux supposer que
le baron irait jusqu'à ?.
— Oh! je n'ai pas dit ça! tais-toi ! —
Parlons, je t'en prie, d'autre chose. Re-
nonce à me tirer d'ici. Ce serait me tuer.
Ma pauvre tête ne peut pas porter des idées
pareilles. Je n'ai pas pour deux sous de
vouloir. Et cependant, c'est étonnant, je
me souviens de tout, de tout. J'ai dû
prendre, dans ma maladie, des remèdes qui
étaient pires que le mal. Cette fois-ci, ce
serait la mort. Cet homme-là, vois-tu, il
ne faut pas jouer avec lui. Il veut que je
sois toujours sous sa main, il l'a dit. Il
saurait bien m'empêcher de m'en aller, je
t*fen réponds !
— Ne peux-tu t'en aller sans qu'il le
sache? dit Marcel qui réfléchissait.
— Oh ! non, comment veux-tu ? Mari-
gouin est là qui me garde.
1. - Est-ce que le baron ta,.t où demeure
I.'t. wiirî
- Non, il ne sait peut-être même pas
qu'elle existe.
— Eh bien, si on venait te prendre ici,
avec une cariole, le soir, quand tout le
monde dormirait ? si on te conduisait à la
station la plus proche du chemin de fer de
Lyon et, de là, au village de ta sœur. Tu y
serais le lendemain matin. Comment le
baron ourrait-il jamais te retrouver?
— On ! serait-ce Dieu possible? fit la
bonne femme en joignant les mains. Je
serais délivrée de cette peur affreuse qui
ne me quitte pas ? je serais cachée, per-
due pour lui 1
— C'est possible, c'est facile, dit Marcel,
et ce sera fait dès demain soir, si tu
veux.
— Mais ça se saurait dans le pays ; le
baron est si fort, si rusé, si habile !
— Ne crains rien, mes mesures seraient
bien prises. Nous avons mon ami, Jac-
ques Blandry, qui n'est pas de nos can-
tons. Il se rendrait chez son père, qui a
des chevaux, des voitures. C'est de là qu'il
partirait, sans éveiller de soupçon, pour
venir ici, de nuit. Rien ne transpirerait. Tu
aurais disparu on ne saurait comment.
— Ah ! mon bon Dieu! j'échapperais au
baron 1 Ah ! je ne peux pas y croire. Je n'o-
serai jamais. Je n'ai pas de force, pas de
courage, je te dis, pas de volonté.
— Tu n'a pas besoin de vouloir, tu n'as
qu'à laisser faire.
, — Saints du paradis! ie serais libre, ie
serais heureuse, et je te devrais ça, mon
Marcel !
Tout à coup elle s'arrêta, et, secouant
la tête :
— Non, j'y pense, c'est impossible t
— Allons ! que crains-tu encore 1
— Je crains. ce n'est plus pour moi,
c'est pour toi, mon pauvre enfant. Moi, je
serais loin, mais toi tu restes. Le baron se
demandera qui a fait ça, il cherchera, il
trouvera.
— Eh bien, après?
— Oh ! non, je ne veux pas t'exposer,
toi. Ce serait horrible 1
— M'exposer? Il n'y a pas de danger
pour moi, reprit Marcel en regardant fixe-
ment Sophie. Que veux-tu que le baron me
fasse, à moi, son fils?
— Ah! c'est égal ! ne t'y risque pas ! dit
la bonhe femme au comble de la terreur.
Ne brave pas la colère de cet homme-là,
mon pauvre enfant !
— Enfin, pourquoi me dis-tu ça ? Donne-
moi une raison ! As-tu une raison ?
— Je n'en ai pas, non, certainement, je
n'en ai pas. Mais.
— Si ! tu en as une! et, puisque tu me;
la dis pas, je vais te la dire.
- Non, non, inutile !
- JQ vais te la dire : le baron Brunoy
n'est pas mon père!
- — Ah ! malheureux, tais-toi ! Je ne t'ai
rien dit do, nareil. au moins 1
— Non, rassure-toi, ce n'est pas toi qui
me l'as dit.
— Qui donc ?
— C'est lui-même 1
- Lui ! oh ! s'il te l'a dit, si tu le sais,
prends garde à toi ! prends garde t
— Au contraire ! Si je l'ignorais, c'est
alors qu'il faudrait prendre garde. La
preuve en est que, lorsque cet aveu lui est
échappé dans un accès de fureur, il s'est
efforcé ensuite de le reprendre, de me
rassurer, d'affirmer que je m'étais trompé
sur le sens de ses paroles efcqu'il est bien
réellement mon père. C'est pourquoi, ma
bonne nourrice, je suis venu à toi pour
que tu me confirmes la vérité dont j'ai
toujours eu le secret pressentiment. Si je
la connais, cette vérité, je suis sur mes
gardes, je puis me défendre, je puis lutter
à armes égales contre un étranger; je
serais désarmé contre mon père.
— C'est vrai, dit Sophie; tu as d'ailleurs
pour veiller sur toi contre le baron Brunoy,
deux défenseurs.
— Lesquels ?
— D'abord ta tante, la comtesse d'Am-
blivet.
— La comtesse d'Amblivet? eh ! ne sais-
tu pas qu'elta est morte ?
1 — Morte ! la comtesse est morte aussi l'
Quand 8onc î
ri - Mais il y a un mois. Elle est morte
subitement.
L, - DiauJ et de auoi est-elle roortAl.
— On ne sait pas.
— Miséricorde ! c'est comme ta mère !.
Elle s'arrêta. Ils se regardèrent, épou-
vantés tous deux de cette parole, elle de
l'avoir dite, lui de l'avoir entendue.
Après un silence, Marcel reprit grave-
ment :
— Ma bonne Sophie, tu n'as plus à hé-
siter maintenant. Je ne suis instruit, je
ne suis éclairé, je ne suis armé qu'à moi
tié. Il faut tout me dire. Après-demain, tu
seras en sûreté, à l'abri de tout ce que
pourrais tenter contre toi le baron Brunoy.
Une lutte, une lutte terrible, est engagée
entre moi et cet homme que j'appelais
mon père. Il s'est pris d'amour, d'un
amour insensé, pour une jeune fille que
j'aime et qui m'aime. Il a surmoi bien des
avantages, il me tient par bien des côtés.
Il est nécessaire que moi aussi je sache
par où le tenir. Et pour cela il faut que
son passé ne reste pas obscur pour moi.*
Sauvons-nous l'un par l'autre. Je fais appel
à ton dévouement. Il me semble que, si ta
m'aimes, ton devoir est de me dévoiler tout
ce que lu sais de cet homme qui,n'estplusr
désormais pour moi que l'ennemi.
— Tu as raison, dit Sophie relevant la
tête, tu as raison et tu vas tout savoir. La
malheureux ! il a espéré, je cror, qu'il
tuerait en moi hi mémoire. Bésissons Die.
qui ae fa C._aeE i#r. £ ière ! Je v
tout te dire. Ecoute.
JULES DE GASTYNE. !
CA sidur^y
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