Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-02-19
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 19 février 1891 19 février 1891
Description : 1891/02/19 (N7650). 1891/02/19 (N7650).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540768q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
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se 1650 — Jeudi 19 Février 1S91
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CINQ centimes le numéro
23 Pluviôse an 99 «S N* l J
BtDACTIOH
18, HUE DE VALOIS, 18
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
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CBS HANCSCRITS NON INSÉRÉS NB SERONT ua HBNDCS
ADMINISTRATION
*0 19, BUB SE VALOIS, 18
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Adresser, lettres et mandata
VADMINISTRAT E UR-GÉ RANI
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
UN MOIS 2 FH.
nOls IIOIS. 5 -
SIX MOIS 9 FB.
UN AN t8 -
Rédacteur en chef IAUGUSTE VÀGQIIERIE -
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS -
ON VOIS 2 FB.
TROIS IIOIS 8-
SIX MOIS. lin.
CN .lN. 20 —
DOUBLE INTERVIEW
Mon article sur H le serment en justice»
„ a donné à un rédacteur de l'Echo de
Paris, M, Fernand Xau, l'idée d'inter-
viewer un député et un sénateur, tous
deux avocats à la cour d'appel de Paris,
MM. Millerand et Bozérian.
— « Je suis tout à fait de l'avis de
M. Vacquerie », lui a répondu M. Mil-
lerand. Et aux raisons que j'ai données
contre le serment religieux il en a
ajouté d'autres, notamment celle-ci qu'il
y a contradiction entre le maintien du
serment religieux au tribunal et la sup-
pression des emblèmes religieux à l'é-
cole, et que la neutralité de l'enseigne-
ment implique la neutralité de la jus-
tice.
D'ailleurs, M. Millerand est pour « la
suppression pure et simple de tout ser-
ment », pensant comme moi-et comme
- le bailliage de Villers-Cotterets, « que
la parole d'un homme doit suffire, s'il
est honnête, et que le serment n'y
ajoute qu'un crime, s'il ne l'est pas ».
M. Millerand a rappelé que le Code des
délits et des peines du 3 Brumaire an IV
n'exigeait qu'une simple promesse, de
même que les trois projets de Code ci-
> vil présentés après 4793, et que le ré-
tablissement du serment était d'origine
impériale. Ce n'est pas un titre auprès
de la République.
Après l'interview sérieuse, l'inter-
view comique. Je n'ai pas l'honneur de
connaître M. Bozérian, mais, si j'en
crois ses réponses au rédacteur de
l'Echo de Paris, ce sénateur doit être,
dans la vie privée, très drde.
- — « Si le serment religieux n'avait
jamais existé, a-t-il répondu, je ne de-
manderais certainement pas qu'on l'é-
tablit, mais puisqu'il est dans nos
usages, qu'il y reste. » ":
C',est comme pour les emblèmes reli-
gieux :
— « Je ne vois pas pourquoi on
les enlèverait. Ils n'ont jamais fait de
mal à personne. Jamais personne,
croyez-moi, n'a dit en entrant au tribu-
• nal : Cré nom ! le bon Dieu est là ; je
m'en vais. Par contre, si les emblèmes
religieux ne se trouvaient pas là, je
vous avoue que je ne demanderais pas
qu'on les y mît. D'autant plus que ce
sont généralement de mauvaises pein-
tures, ce qui fait dire à quelques-uns :
Il est bougrement laid, le bon Dieu ! »
C'est en ces termes que l'honorable
sénateur défend la religion en justice.
Elle y est, qu'elle y reste ! Il insiste
sur cet argument, qui est le fond de sa
doctrine : — « Je ne comprends pas du
tout ce- désir qu'on a .de tout changer,
de tout bouleverser. Laissez donc les
choses comme elles sont. Je suis parti-
san de ce qui existe. »
- D'où il semble résulter que, si la mo-
narchie existait encore, le « spirituel
jurisconsulte », comme l'appelle M. Fer-
nand Xau, serait partisan de la monar-
chie.
D'où il semble résulter que, si la
révolution de Février ne nous avait pas
donné le suffrage universel, le spirituel
jurisconsulte serait partisan du régime
censitaire. --'" - "_,_h ,-
Je ne veux pourtant pas croire que,
si la torture n'avait pas été abolie, le
spirituel jurisconsulte dirait à ceux
qui en réclameraient l'abolition :
Quelle est cette manie de vouloir tout
bouleverser? Laissez donc les choses
comme elles sont !
— Voyez-vous, a conclu le législa-
teur du Luxembourg, « tout ça, c'est
des balançoires ». Ceux qui refusent de
prêter le serment religieux parlent de
leur conscience : « je la connais, leur
conscience ; c'est la galerie ! » Leur
conscience, c'est « les frères et amis
auxquels ils veulent faire dire : C'est un
pur 1 » Je me résume : - « Laissez les
choses comme elles sont, ou alors. »
— Ou alors ? u"
— « Ou alors supprimez complète-
ment le serment et n'exigez qu'une
simple promesse. » 1
Mais c'est justement ce que nous de-
mandons, M. Millerand, le bailliage de
Villers-Cotterets et moi. Nous sommes
heureux de voir se rallier à nous un
sénateur qui prend si gaiment les choses
et qui fait d'une question de conscience
une bonne farce.
AUGUSTB v ACQUERIB.
COULISSES DES CHAMBRES
LA CENSURE DRAMATIQUE
Les bureaux de la Chambre ont nommé
hier la commission chargée d'examiner la
proposition de M. Antonin Proust, tendant
à la suppression de la censure drama-
tique.
Les commissaires élus sont : MM. Anto-
nin Proust, Tsambert, Dionys Ordinaire,
Dujardin-Beaumetz, Maujan, Martineau,
Leconte (Indre.), Hémon et Guillemet, de
la gauche, et MM. Le Roux et Dupuytrem,
de la droite. r
Six membres sont absolument opposés
à la proposition Proust et regardent le
maintien de la censure comme néces-
saire.
Trois membres seulement appuient la
proposition. Ce sont : MM. Proust, Maujan
et Dujardin-Beaumetz.
Enfin, deux membres ont une opinion
intermédiaire : tout en reconnaissant la
nécessité de réformer le régime existant,
ils croient qu'il faut rechercher certaines
garanties : l'abrogation pure et simple les
supprimant toutes, et le droit commun
étant ou inefficace ou trop rigoureux.
- X
LES DROITS DES ENFANTS NATURELS
Les bureaux de la Chambre ont égale-
ment nommé hier une commission char-
gée d'examiner l'intéressante proposition
de M. Letellier relative aux droits des en-
fants naturels dans la succession de leurs
père et mère.
* M. Letellier a demandé par sa proposi-
tion la modification des articles du Code
civil qui ont fait à l'enfant naturel reconnu
une situation inférieure au point de vue de
la capacité successorale.
Il voudrait l'égalité complète - avec l'en-
fant légitime..-- 9_. -
Les commissaires élus sont, à la presque
unanimité, favorables au prindpe e la
proposition; ils sont, par exemple, presque
tous d'avis de traiter l'enfant naturel re-
connu comme légitime lorsqu'il n'y a pas
d'enfant de cette dernière catégorie.
Mais ils pensent qu'on ne peut pas assi-
miler complètement les enfants naturels
et les enfants légitimes en cas de co-exis-
tence. Toutefois, ils reconnaissent qu'il y
a lieu de reviser la loi existante en vue de
la rendre plus favorable à l'enfant na-
turel.
Les commissaires élus sont : MM. Le-
tellier, Salis, Bejardin-Verkinder, Chiché,
Clausel de Coussergues, du Périer de Lar-
san, Jullien, Royer (Aube), Jacquemin,
Vival et Emile Ferry.
$- , ■
L'INCIDENT LA MARTINIÈRE
L'agence Havas publiait hier, sur l'a-
gression dont M. de la Maitinière a été
victime au Maroc, une note que nous avons
reproduite. A ce sujet, l'agence reçoit au-
jourd'hui la lettre suivante :
-> - Paris, 17 février 1891.
s* -- Monsieur le directeur,. , *
Vous avez publié hier, avec d'ailleurs d'au-
tres journaux du soir, une information rela-
tive à l'agression dont mon fils, M. Henry de
la Martinière, a été victime, le 21 janvier, aux
environs de Mogador.
Cette information est inexacte. Mon fils n'é-
tait pas en excursion. Il venait d'accomplir
une très périlleuse exploration du massif du
Haut-Atlas.
Sa blessure n'est point légère. Il ne pourra,
d'après un rapport orHciel remis à M. le con-
sul de France à Mogador, se servir de son bras
avant un mois.
En un mot, il l'a échappé belle.
Je vous serais reconnaissant d'insérer la
lettre ou l'esprit de cette rectification dans vo-
tre plus prochain numéro.
Agréez, monsieur le directeur, l'assurance
de mes sentiments distingués.
P. DE IA MARTINIÈRE.
» —
A LA CHAMBRE
Le projet de loi portant fixation du
budget général des dépenses et des recettes
de l'exercice 1892 a été déposé hier, tout
au début de la séance, sur le bureau de la
Chambre par M. Bouvier, ministre des
finances. Immédiatement M. Floquet a fait
connaître qu'il avait reçu, signée de M.
Léon Say et de plusieurs de ses collègues,
une proposition de résolution ainsi conçue :
« L'article 21 du règlement est modifié
ainsi qu'il suit :
» Une commission de 33 membres, nom-
mée par les bureaux, après discussion
préalable en séance publique, est chargée
de l'examen de la loi de finances.
» Après la clôture de la discussion préa-
lable, il pourra être déposé des ordres du
jour qui seront mis aux voix selon la forme
ordinaire. »
M. Léon Say est monté à la tribune pour
exposer les motifs de cette proposition ; il
l'a fait avec sa bonne grâce et son esprit
habituel , mais sans parvenir, m'a-t-il
semblé, à s'imposer à l'attention de son
auditoire. Il a dit, en substance, que ce
qu'il voulait c'était proposer à la Chambre
une nouvelle méthode de travail. De celle-
ci le ministre des finances a déclaré ne pas
voir les avantages, si les inconvénients lui
en apparaissaient, nombreux. Il a demandé
quelle sanction pourrait avoir cette dis-
cussion préalable, et si on ne pouvait pas
penser qu'elle se terminerait régulièrement
par une crise ministérielle périodique. Il a
montré que cette discussion, qui ne sup-
primerait ni la discussion dans les bureaux
ni la discussion générale ordinaire, n'au-
rait sans doute d'autre résultat appréciable
que de dévorer beaucoup de temps. « Je
vois ce que la proposition ferait perdre, a
dit en finissant M. Rouvier, je ne vois pas
ce - qu'elle - ferait gagner. à ,
Ici M. de Douville-Maillefeu est inter-
venu, toujours jovial, demandant que l'on
procédât en France comme on procède en
Angleterre où, à la Chambre des com-
munes, il n'y a pas de commission du
budget. Après une courte réplique de
M. Rouvier, M. Léon Say est revenu à la
charge, insistant sur l'intérêt que présen-
terait, à ses yeux, l'exposé que le ministre
des finances, au cours de la discussion
préalable, ferait, à la tribune, de l'idée-
mère, des principes, des grandes lignes de
son projet de budget. vais le président du
conseil est venu démontrer que forcément
la discussion ne se tiendrait pas dans les
généralités, que les orateurs se trouveraient
fatalement amenés à descendre aux plus
petits détails. M. Loekroy qui a pris la
parole le dernier, a contesté cette affirma-
tion, montrant avec vigueur combien est
défectueuse la méthode de travail actuel-
lement suivie qui permet à grand'peine,
chaque année, de boucler le budget en
temps utile. Mais la question était tout
:eri{ière de savoir si la méthode proposée
par M. Léon Say serait préférable. La
Chambre ne l'a pas pensé, car la proposi-
tion a été finalement repoussée par 307
voix contre 215. Il n'y aura pas de dis-
cussion préalable. !
Après avoir validé, sans débats, l'élec-
tion de M. Bory, dans l'arrondissement de
Saint-Flour, la Chambre s'est remise à la
première délibération sur la proposition
relative aux justices de paix. Longuement,
très longuement, on a discuté un amen-
dement de M. Darland, toujours sur le
taux de la compétence des juges de paix à
charge d'appel. Au train dont on y va,
cette loi menace de durer des mois. Il
faudrait activer un peu le mouvement. Le
ministre de la justice a appuyé le chiffre
de la commission : 1,500 ff. Finalement,
c'est ce chiffre qui a été adopté, par 280
voix contre 237. Après avoir adopté l'en-
semble de l'article 1er, on a remis la suite
à demain jeudi.
- LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
■ ujfcw i ■ —
AU SÉNAT
Le Sénat a discuté hier, en première
lecture, le projet de loi voté par la Cham-
bre ayant pour objet l'adoption de l'heure
temps moyen de Paris comme heure légale
en France et en Algérie. Sur ce sujet peu
passionnant en lui-même, il y a eu un
assez long échange d'observations auquel
ont pris part M. Faye, commissaire du
gouvernement, l'amiral Peyron, M. La-
combe, M. Bozérian, le ministre de l'ins-
truction publique et M. Albert Grévy.
Finalement, le Sénat a décidé de passer à
une deuxième délibération. On a validé,
sans débats, M. Godin, sénateur de l'Inde
française, et fixé au 26 février la discussion
de l'interpellation de M. Dide sur la situa-
tion de l'Algérie. Séance jeudi à trois
heures.
•» '■ "——«Il
LE CONSEIL DES MINISTRES
Les ministres se sont réunis hier matin à
l'Elysée, sous la présidence de M. Carnot.
Ils se sont entretenus du projet de budget
qui va être déposé aujourd'hui par M. Rouvicr.
Plusieurs ministres ont consenti à opérer de
nouvelles réductions sur les dépenses de leurs
départements respectifs.
- M. de Freycinet, ministre de la guerre, a fait
connaître les dispositions prises relativement
aux grandes manœuvres de cette année. Indé-
pendamment des manœuvres habituelles de
divisions et de brigades qui s'effectueront dans
les diverses régions, quatre corps d'armée, les
5e, 6", 7° et 8e corps participeront à des ma-
nœuvres d'ensemble. Ces corps seront groupés
en deux armées, commandées respectivement
par les généraux Davoust et de Galliffet.
Les deux armées elles-mêmes, renforcées
chacune par une division de cavalerie indé-
pendante, seront runies.soûs le commande-
ment supérieur du général Saussier, auprès
duquel le général de Miribel remplira les fonc-
tions de major général.
La durée des manœuvres sera de seize jours,
non compris le temps nécessaire à la concen-
tration et à la dislocation des troupes.
M. Fallières, garde des sceaux, a soumis à la
signature du président de la République un
mouvement judiciaire aux termes duquel sont
nommés:
Conseiller à la cour de Paris, M. Grehen,
vice-président du tribunal de la Seine ;
Vice-président du tribunal de la Seine, M.
Thureau, juge au même siège.
Juge au tribunal delà Seine, M. Planteau,
président du tribunal d'Auxerre.
Conseiller à Toulouse, M. Nolé, vice-prési-
dent du tribunal de Toulouse.
Vice-président du tribunal de Toulouse,
M. Martin, juge d'instruction au même siège.
Juge d'instruction à Toulouse, M. Chauson,
président du tribunal de Foix.
M. Constans, ministre de l'intérieur, a été
autorisé à préparer un projet de loi portant
ouverture d'un crédit de 50,000 fr. pour le
grand concours des sociétés de tir qni aura
lieu cette année à Lyon.
Enfin M. Yves Guyot, ministre des travaux
publics, a fait signer un projet de loi approu-
vant la convention provisoire passée avec la
compagnie d'Orléans et concédant à cette com-
pagnie l'exécution :
4 8 A voie large, de 267 kilomètres ;
23 A voie d'un mètre, de 410 kilomètres;
3° A voie de soixante-dix centimètres, de 53
kilomètres.
Les lignes du Blanc à Argent et d'Argenton
à La Châtre ayant 208 kilomètres et précédem-
ment concédées à voie large seront construites
à voie d'un mètre.
Sur les 19 lignes nouvelles, quatre sont con-
cédées définitivement; 15 sont concédées à
titre éventuel.
LIRE PLUS LOIN:
Lettres de Londres : Jaek l'éven-
trcMiy swîÉe de l'enquête.
Un fiSgame de bonne toI.
80 luilUou. de déficit; Nouveaux
détails.
Nos feuilletons (3* page) : Le
capitaine Jean.
VOIR A LA 4* PAGE
LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIMES GRl TUITES
que nous offrons à nos abonnés
LES CONFÉRENCES POPULAIRES
A propos de l'article que j'ai consacré
récemment, dans le Rappel, à la Société
des conférences populaires fondée par M.
Guérin-Catelain, j'ai reçu deux lettres où
l'on proteste, de la façon la plus courtoise
d'ailleurs, contre la qualification de « neuve
et originale » que ravais attribuée à l'idée
qui consiste à envoyer dans les départe-
ments, pour être lues par des « conféren-
ciers communaux », les conférences faites
à Paris et dans la banlieue par les mem-
bres de la société.
L'une de ces lettres est d'un étudiant,
M. Gimet, qui déclare avoir essayé déjà de
lancer une idée semblable et qui se met,
avec une bonne grâce dont je le remercie,
à la disposition du conseil d'administra-
tion de la société; l'autre a pour auteur
M. Boutot, qui revendique pour le Cercle
républicain du Berry la priorité de l'idée,
tout en reconnaissant d'ailleurs que « cette
tentative—qui remonte, parait-il, à i886
— n'a malheureusement abouti qu'à la
plus grande indifférence » et que «I le
cercle n'a reçu que de rares adhésions
Je me permets, simplement, de souhai-
ter meilleure fortune à la Société des conV
férences populaires. :.
L. V.-M.
CHRONIQUE DU JOUR
UN EXPLORATEUR PACIFIQUE
Le capitaine Trivier vient de se remettre
en route pour l'Afrique. Il s'est embarqué
hier à Marseille, à destination du Gabon.
L'Afrique est capiteuse. Elle grise ceux
qui l'ont approchée. Une fermentation
attirante se dégage de ses forêts aux pro-
fondeurs mystérieuses, de ses fleuves aux;
nappes formidables. De l'Afrique surtout
l'on peut dire : qui a bu boira, et ses ex-
plorateurs semblent tous incorrigibles.
On pouvait penser que le capitaine Tri-
vier s'en tiendrait à son merveilleux exploit,
un coup d'essai qui fut un coup de maître.
Du premier bond, sautant dans l'inconnu
et dans le danger, il a atteint et surpassé
tous les hardis parcoureurs du continent
noir. Stanley même lui apparaît inférieur,
car son voyage fameux à la recherche de
Livingstone, le second voyage par rou..
ganda et la descente du Congo, le troi-
sième enfin à la recherche d'Emin par la
remonte de FArrouhimi et la marche dans
la forêt ténébreuse, pour extraordinaires
et saisissants qu'ils soient, apparaissent
comme explicables et relativement aisés,
étant donnée l'abondance des ressources
dont le grand explorateur anglais disposait.
Il conduisait toute une armée. Il avait des
armes et des munitions en quantité assez
considérable pour livrer de véritables ba-
tailles tant sur le fleuve qu'aux environs
du lac Albert-Edouard. Il traînait avec lui
des ballots d'étoffes en nombre énorme,
permettan t d'acheter le passage et de sa
concilier l'amitié des roitelets nègres. En
vérité, Stanley tout admirable que soit son
parcours à travers l'Afrique, avait des élé-
ments de succès et des moyens de défense
qui faisaient absolument défaut & notre
compatriote le capitaire Trivier.
C'est avec des ressources fort modestes'
qu'il a pu se mettre en route. Un grand
journal de province, la Gironde, fit les frais
de l'expédition, c'est-à-dire qu'il fournit
à M. Trivier les marchandises d'échange,
les armes et les menus objets qu'il lui
fallait empçtrter avec lui pour se nourrir,
se concilier l'amitié des chefs et au besoin
se défendre dupant son aventureuse en-
treprise. Le capitaine Trivier avait résolu
en effet de traverser l'Afrique de l'ouest à
l'est. Son projet avait paru aventureux à
l'extrême à M. de Brazza, qu'il avait con-
sulté, et impraticable au gouvernement,
car il n'obtenait du ministère que de cour-
toises fins de non recevoir. L'originalité de
l'entreprise de Trivier, c'est qu'il voulait
traverser seul l'Afrique. Tel il l'avait dit,
tel il le fit. Sa solitude n'était pas absolue,
car il s'était décidé à accepter un compa-
gnon, M. Emile Weissemburger, né à la
Rochelle en 1849, d'origine alsacienne,
ayant servi aux chasseurs d'Afrique, et
qui, possédé du goût des voyages et favo-
risé d'une certaine fortune, avait pareôuru
la Plata en amateur. C'est deas m &and
Chaco que le capitaine Trivier araît fait sa
connaissance. C est donc à deux Français
que devait revenir l'honneur d'accomplir
le tour de force de la traversée de l'Afrique.
Mais la destinée en avait décidé autrement.
Partis deux de Loango sur l'océan Atlan-
tique, un seul explorateur atteignit Quili-
mane, sur l'océan Indien. Le malheureux
compagnon du capitaine Trivier périt en
route.
: C'est auprès de Fouambo, sur les bords
du lac Tanganika, lorsque déjà la plus
Feuilleton du RAPPEL
• DU 19 FÉVRIER
21
HONNEUR D'ARTISTE
VIII
Harcelle. - (Suite)
Le jour ou Mme de Montauron avait
Imposé à Béatrice le sacrifice définitif de
son amour pour Pierrepont, elle lui avait
enlevé, en réalité, le seul motif que pût
avoir l'orpheline de supporter l'existence
misérable qu'elle menait auprès d'elle.
Dès cet instant, le sentiment très com-
préhensible de sourde irritation que la
jeune fille nourrissait à l'égard de sa dure
protectrice s'était changé dans cette âme
contenue, mais ardemment passionnée,
en une véritable horreur. La vue même de
fa baronne lui était devenue odieuse. Sa
résolution de la quitter était absolument
arrêtée, et elle n'hésitait plus que sur
l'heure et sur le choix de sa retraite.
Sa première pensée, on s'en souvient,
avait été de s'ensevelir par une sorte de
luicide dans une communauté de l'ordre
le plus austère. !
Reproduction interdite.
Ycir le Rappel du 30 janvier au 18 février.
Elle avait parlé de nouveau à son amie,
Mme d'Aymaret, de sa prochaine entrée
au Carmel, et c'était avec sincérité qu'elle
s'y préparait en s'efforçant de reporter
vers le ciel un amour qui n'avait plus
aucun avenir terrestre.
Mais il n'est pas si difficile de faire un
sacrifice que de le soutenir : à mesure
qu'elle y songeait plus posément, la pauvre
fille trouvait dans son attachement naturel
à la vie et au monde, dans son énergique
et florissante jeunesse, des résistances qui
lui rendaient bien douloureux l'éternel
renoncement.
Et cependant que faire ? où aller ?
La lettre et la déclaration de Fabrice
vinrent la surprendre au milieu de ses
cruelles indécisions.
Fort étonnée d'abord, et même froissée,
elle voulut , pourtant prendre quelques
heures pour y penser.
Elle eut à vaincre plus d'une révolte se-
crète. Mais enfin, dans l'extrémité où elle
était réduite, comment ne pas se jeter
dans ce refuge, honorable après tout, que
lui ouvrait une main affectueuse et dé-
vouée ?
Pour une naufragée comme elle, c'é-
tait la vie du moins, sinon le bonheur.
C'était surtout le terme certain, immédiat
de son pesant esclavage. En outre, ello
n'ignorait pas que la nouvelle de son ma-
riage et de son départ serait horriblement
désagréable à Mme de Montauron, et le
plaisir de le lui annoncer satisfaisait chez
Mlle de Sardonne le sentiment le plus vio-
lent peut-être qu'il y ait au monde, la
haine d'une femme contre une femme.
Mme de Montauron, cependant, venait
de faire paisiblement sa sieste dans un
boudoir attenant à son grand salon.
Elle avait, en général, la digestion
lourde et le réveil maussade ; dès qu'elle
vit entrer Béatrice :
— Il me semble, ma chère, lui dit-elle,
que vous vous attardez beaucoup avec
votre professeur?. J'ai déjà eu le temps
de lire la moitié de mon journal. mes
yeux en pleurent. Tenez. prenez aux
faits divers. ou plutôt non, lisez-moi le
feuilleton. voyons ce que devient cette
étonnante duchesse. que l'auteur fait
parlercomme une marchande depommes.
Eh'bien, lisez donc !
- Pardon, madame, dit la jeune fille
avec une extrême politesse, puis-je vous
dire quelques mots auparavant?
La baronne la regarda avec une vague
inquiétude :
- Quoi donc? dit-elle sèchement.
— Madame, reprit Béatrice, me permet-
tez-vous de vous rappeler la conversation
qui a eu lieu entre nous dans votre cham-
bre, il y a une quinzaine de jours? Vous
avez bien voulu me dire que si jamais
quelque galant homme, quelque homme
de cœur me demandait en mariage, non-
seulement je n'aurais à craindre aucune
difficulté de votre part, mais que je pour-
rais compter sur votre concours le plus
empressé. Ces paroles, madame, m'é-
taient trop précieuses pour qu'il me fût
possible de les oublier. Avez-vous, vous-
même, la bonté de vous en souvenir?
La baronne, qu'il n'était pas facile de
déconcerter, perdit cependant contenance
à l'audition de cet exorde, et ce fut pres-
que en balbutiant qu'elle répondit :
— Mon Dieu. c'est possible. oui. J'ai
pu dire quelque chose d'approchant. mais
non sans réserves.
C'estvrai, madame, 0 v avait qp"'-
ques réserves. Vous mettiez en effet à votre
bienveillant concours deux conditions : la
première était que votre neveu serait ex-
cepté du nombre de ceux parmi lesquels
j« pourrais choisir mon mari : je l'ai res-
pectée. La seconde, madame, était que
je ne prendrais jamais d'engagement
sans vous en avertir. c'est ce que je viens
faire.
— Eh bien ! j'écoute.
— Madame, poursuivit Mlle de Sardonne
sur le même ton de parfaite urbanité, la
circonstance que vous m'aviez fait l'amitié
de prévoir et de désirer pour moi se pré-
sente aujourd'hui.
— Ah !
- Et je viens vous prier d'agréer la
recherche dont M. Fabrice veut bien m'ho-
norer.
— Il vous demande, Fabrice ?
- Oui, madame.
— Il me semble qu'il aurait pu com-
mencer par s'adresser à moi. C'était d'un
savoir vivre élémentaire.
- Il l'aurait pu sans doute, madame;
mais il a jugé inutile de vous tourmenter
à ce sujet avant de s'être assuré de mes
sentiments personnels. qui lui impor-
taient avant tout.
— Et ça vous plaît, ce mariage-là ?
— Oui, madame. M. Fabrice est un
honnête homme et un homme de ta-
lent dont je serai heureuse de porter
lenom.
- Vous savez, je suppose, à qui vous
succédez?. il avait épousé en premières
noces une blanchisseuse.
- Pardon, madame, c'était une fleuriste.
—r C'est tout comme. Vous verrez une
drôle dA société dans ce monde-là.
— Je me trouverai assez heureuse,
madame, si j'y suis traitée avec égards.
— Et ainsi. vous me plantez là, moi,
tout bonnement, oubliant tout ce que j'ai
fait pour vous depuis que je vous ai re-
cueillie comme une amie, comme une
fine. -
— Soyez sûre, madame, que je n'oublie
aucune des bontés singulières que vous
avez eues pour moi depuis que vous m'avez
prise à votre service.
Il y avait cela d'agréable avec Mme de
Montauron, qu'elle saisissait les moindres
nuances de langage : aucune des imperti-
nences correctes et des ironies vengeresses
que lui décochait sa lectrice n'était perdue
pour elle.
Sur cette dernière et sanglante réplique,
la baronne s'était levée : si elle eût disposé
de la foudre, il est vraisemblable que Mlle
de Sardonne n'aurait pas vécu deux se-
condes de plus.
Faute de mieux, elle pouvait la chasser
ignominieusement de chez elle : elle y
songea. Un peu de réflexion lui montra tous
les inconvénients d'un éclat de ce genre.
Les mauvaises langues pourraient l'ac-
cuser de s'opposer, par un sentiment
d'égoïsme tyrannique, au mariage -après
tout fort convenable — de sa protégée.
Quoi qu'elle pût faire d'ailleurs désor-
mais, Béatrice lui échappait. Si irréparable
que fût sa perte, il fallait donc en prendre
son parti et se donner au moins les appa-
rences et le mérite de la bonne grâce.
Enfin, ce sot mariage avait au moins un
bon côté : il délivrait à jamais Mme de Mon-
tauron de la terreur de voir son neveu
Pierrepont epouser cette fille ruinée.
En vertu de ces diverse COJUi_ra_\
l'entretien belliqueux de la baronne et de
sa lectrice allaient avoir un dénouement
assez inattendu, quoique parfaitement f-
minin.
Mme de Montauron, qui avait fait quel-
ques pas avec agitation dans son boudoir,
posa doucement sa main sur l'épaule de
Béatrice :
— Ma chère enfant, lui dit-elle, vous ne
devez pas vous étonner que mon premier
mouvement, en apprenant que vous ma
quittiez, ait été un mouvement d'humeur.
Car j'ai des regrets, moi, quoique vous
n'en ayez guère. Voyons, ma chère pe
tite, embrassez-moi 1
Mlle de Sardonne se rendit à ce vœu;
et, tout en la serrant sur son cœur, la ba-
ronne, qui avait les nerfs très montés,
fondit en larmes.
Ce fut pour elle un soulagement.
, - Savez-vous, reprit-elle à travers se>
sanglots, combien il gagne par an ?
— Je ne le lui ai pas demandé, ma-
dame.
— Ces peintres, une fois qu'ils ont là
vogue, gagnent ce qu'ils veulent. Vous
serez riche, ma chère. c'est toujours ça 1
— Puis-je dire maintenant à M. Fabrice,
madame, que vous voulez bien le ret
cevoir?
— Mais sans doute. à l'heure ordinaire
de nos séances. Il faut bien, d'ailleurs,
qu'il termine mon portrait. Je l'attendrai
dans une demi-heure.
Béatrice lui présenta de nouveau sou
front et se retira. «
OCTAVE FEUILLET.
, (A fWOTjpJ
se 1650 — Jeudi 19 Février 1S91
■i+ - -& Ué-* *tu -
CINQ centimes le numéro
23 Pluviôse an 99 «S N* l J
BtDACTIOH
18, HUE DE VALOIS, 18
S'ADRESSER AU SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 4 à 6 heures du soir
Et de 9 heures du soir à minuit
vvvww
CBS HANCSCRITS NON INSÉRÉS NB SERONT ua HBNDCS
ADMINISTRATION
*0 19, BUB SE VALOIS, 18
0> 1 4
Adresser, lettres et mandata
VADMINISTRAT E UR-GÉ RANI
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et C
6, place de la Bourse, 6
ABONNEMENTS
PARIS
UN MOIS 2 FH.
nOls IIOIS. 5 -
SIX MOIS 9 FB.
UN AN t8 -
Rédacteur en chef IAUGUSTE VÀGQIIERIE -
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS -
ON VOIS 2 FB.
TROIS IIOIS 8-
SIX MOIS. lin.
CN .lN. 20 —
DOUBLE INTERVIEW
Mon article sur H le serment en justice»
„ a donné à un rédacteur de l'Echo de
Paris, M, Fernand Xau, l'idée d'inter-
viewer un député et un sénateur, tous
deux avocats à la cour d'appel de Paris,
MM. Millerand et Bozérian.
— « Je suis tout à fait de l'avis de
M. Vacquerie », lui a répondu M. Mil-
lerand. Et aux raisons que j'ai données
contre le serment religieux il en a
ajouté d'autres, notamment celle-ci qu'il
y a contradiction entre le maintien du
serment religieux au tribunal et la sup-
pression des emblèmes religieux à l'é-
cole, et que la neutralité de l'enseigne-
ment implique la neutralité de la jus-
tice.
D'ailleurs, M. Millerand est pour « la
suppression pure et simple de tout ser-
ment », pensant comme moi-et comme
- le bailliage de Villers-Cotterets, « que
la parole d'un homme doit suffire, s'il
est honnête, et que le serment n'y
ajoute qu'un crime, s'il ne l'est pas ».
M. Millerand a rappelé que le Code des
délits et des peines du 3 Brumaire an IV
n'exigeait qu'une simple promesse, de
même que les trois projets de Code ci-
> vil présentés après 4793, et que le ré-
tablissement du serment était d'origine
impériale. Ce n'est pas un titre auprès
de la République.
Après l'interview sérieuse, l'inter-
view comique. Je n'ai pas l'honneur de
connaître M. Bozérian, mais, si j'en
crois ses réponses au rédacteur de
l'Echo de Paris, ce sénateur doit être,
dans la vie privée, très drde.
- — « Si le serment religieux n'avait
jamais existé, a-t-il répondu, je ne de-
manderais certainement pas qu'on l'é-
tablit, mais puisqu'il est dans nos
usages, qu'il y reste. » ":
C',est comme pour les emblèmes reli-
gieux :
— « Je ne vois pas pourquoi on
les enlèverait. Ils n'ont jamais fait de
mal à personne. Jamais personne,
croyez-moi, n'a dit en entrant au tribu-
• nal : Cré nom ! le bon Dieu est là ; je
m'en vais. Par contre, si les emblèmes
religieux ne se trouvaient pas là, je
vous avoue que je ne demanderais pas
qu'on les y mît. D'autant plus que ce
sont généralement de mauvaises pein-
tures, ce qui fait dire à quelques-uns :
Il est bougrement laid, le bon Dieu ! »
C'est en ces termes que l'honorable
sénateur défend la religion en justice.
Elle y est, qu'elle y reste ! Il insiste
sur cet argument, qui est le fond de sa
doctrine : — « Je ne comprends pas du
tout ce- désir qu'on a .de tout changer,
de tout bouleverser. Laissez donc les
choses comme elles sont. Je suis parti-
san de ce qui existe. »
- D'où il semble résulter que, si la mo-
narchie existait encore, le « spirituel
jurisconsulte », comme l'appelle M. Fer-
nand Xau, serait partisan de la monar-
chie.
D'où il semble résulter que, si la
révolution de Février ne nous avait pas
donné le suffrage universel, le spirituel
jurisconsulte serait partisan du régime
censitaire. --'" - "_,_h ,-
Je ne veux pourtant pas croire que,
si la torture n'avait pas été abolie, le
spirituel jurisconsulte dirait à ceux
qui en réclameraient l'abolition :
Quelle est cette manie de vouloir tout
bouleverser? Laissez donc les choses
comme elles sont !
— Voyez-vous, a conclu le législa-
teur du Luxembourg, « tout ça, c'est
des balançoires ». Ceux qui refusent de
prêter le serment religieux parlent de
leur conscience : « je la connais, leur
conscience ; c'est la galerie ! » Leur
conscience, c'est « les frères et amis
auxquels ils veulent faire dire : C'est un
pur 1 » Je me résume : - « Laissez les
choses comme elles sont, ou alors. »
— Ou alors ? u"
— « Ou alors supprimez complète-
ment le serment et n'exigez qu'une
simple promesse. » 1
Mais c'est justement ce que nous de-
mandons, M. Millerand, le bailliage de
Villers-Cotterets et moi. Nous sommes
heureux de voir se rallier à nous un
sénateur qui prend si gaiment les choses
et qui fait d'une question de conscience
une bonne farce.
AUGUSTB v ACQUERIB.
COULISSES DES CHAMBRES
LA CENSURE DRAMATIQUE
Les bureaux de la Chambre ont nommé
hier la commission chargée d'examiner la
proposition de M. Antonin Proust, tendant
à la suppression de la censure drama-
tique.
Les commissaires élus sont : MM. Anto-
nin Proust, Tsambert, Dionys Ordinaire,
Dujardin-Beaumetz, Maujan, Martineau,
Leconte (Indre.), Hémon et Guillemet, de
la gauche, et MM. Le Roux et Dupuytrem,
de la droite. r
Six membres sont absolument opposés
à la proposition Proust et regardent le
maintien de la censure comme néces-
saire.
Trois membres seulement appuient la
proposition. Ce sont : MM. Proust, Maujan
et Dujardin-Beaumetz.
Enfin, deux membres ont une opinion
intermédiaire : tout en reconnaissant la
nécessité de réformer le régime existant,
ils croient qu'il faut rechercher certaines
garanties : l'abrogation pure et simple les
supprimant toutes, et le droit commun
étant ou inefficace ou trop rigoureux.
- X
LES DROITS DES ENFANTS NATURELS
Les bureaux de la Chambre ont égale-
ment nommé hier une commission char-
gée d'examiner l'intéressante proposition
de M. Letellier relative aux droits des en-
fants naturels dans la succession de leurs
père et mère.
* M. Letellier a demandé par sa proposi-
tion la modification des articles du Code
civil qui ont fait à l'enfant naturel reconnu
une situation inférieure au point de vue de
la capacité successorale.
Il voudrait l'égalité complète - avec l'en-
fant légitime..-- 9_. -
Les commissaires élus sont, à la presque
unanimité, favorables au prindpe e la
proposition; ils sont, par exemple, presque
tous d'avis de traiter l'enfant naturel re-
connu comme légitime lorsqu'il n'y a pas
d'enfant de cette dernière catégorie.
Mais ils pensent qu'on ne peut pas assi-
miler complètement les enfants naturels
et les enfants légitimes en cas de co-exis-
tence. Toutefois, ils reconnaissent qu'il y
a lieu de reviser la loi existante en vue de
la rendre plus favorable à l'enfant na-
turel.
Les commissaires élus sont : MM. Le-
tellier, Salis, Bejardin-Verkinder, Chiché,
Clausel de Coussergues, du Périer de Lar-
san, Jullien, Royer (Aube), Jacquemin,
Vival et Emile Ferry.
$- , ■
L'INCIDENT LA MARTINIÈRE
L'agence Havas publiait hier, sur l'a-
gression dont M. de la Maitinière a été
victime au Maroc, une note que nous avons
reproduite. A ce sujet, l'agence reçoit au-
jourd'hui la lettre suivante :
-> - Paris, 17 février 1891.
s* -- Monsieur le directeur,. , *
Vous avez publié hier, avec d'ailleurs d'au-
tres journaux du soir, une information rela-
tive à l'agression dont mon fils, M. Henry de
la Martinière, a été victime, le 21 janvier, aux
environs de Mogador.
Cette information est inexacte. Mon fils n'é-
tait pas en excursion. Il venait d'accomplir
une très périlleuse exploration du massif du
Haut-Atlas.
Sa blessure n'est point légère. Il ne pourra,
d'après un rapport orHciel remis à M. le con-
sul de France à Mogador, se servir de son bras
avant un mois.
En un mot, il l'a échappé belle.
Je vous serais reconnaissant d'insérer la
lettre ou l'esprit de cette rectification dans vo-
tre plus prochain numéro.
Agréez, monsieur le directeur, l'assurance
de mes sentiments distingués.
P. DE IA MARTINIÈRE.
» —
A LA CHAMBRE
Le projet de loi portant fixation du
budget général des dépenses et des recettes
de l'exercice 1892 a été déposé hier, tout
au début de la séance, sur le bureau de la
Chambre par M. Bouvier, ministre des
finances. Immédiatement M. Floquet a fait
connaître qu'il avait reçu, signée de M.
Léon Say et de plusieurs de ses collègues,
une proposition de résolution ainsi conçue :
« L'article 21 du règlement est modifié
ainsi qu'il suit :
» Une commission de 33 membres, nom-
mée par les bureaux, après discussion
préalable en séance publique, est chargée
de l'examen de la loi de finances.
» Après la clôture de la discussion préa-
lable, il pourra être déposé des ordres du
jour qui seront mis aux voix selon la forme
ordinaire. »
M. Léon Say est monté à la tribune pour
exposer les motifs de cette proposition ; il
l'a fait avec sa bonne grâce et son esprit
habituel , mais sans parvenir, m'a-t-il
semblé, à s'imposer à l'attention de son
auditoire. Il a dit, en substance, que ce
qu'il voulait c'était proposer à la Chambre
une nouvelle méthode de travail. De celle-
ci le ministre des finances a déclaré ne pas
voir les avantages, si les inconvénients lui
en apparaissaient, nombreux. Il a demandé
quelle sanction pourrait avoir cette dis-
cussion préalable, et si on ne pouvait pas
penser qu'elle se terminerait régulièrement
par une crise ministérielle périodique. Il a
montré que cette discussion, qui ne sup-
primerait ni la discussion dans les bureaux
ni la discussion générale ordinaire, n'au-
rait sans doute d'autre résultat appréciable
que de dévorer beaucoup de temps. « Je
vois ce que la proposition ferait perdre, a
dit en finissant M. Rouvier, je ne vois pas
ce - qu'elle - ferait gagner. à ,
Ici M. de Douville-Maillefeu est inter-
venu, toujours jovial, demandant que l'on
procédât en France comme on procède en
Angleterre où, à la Chambre des com-
munes, il n'y a pas de commission du
budget. Après une courte réplique de
M. Rouvier, M. Léon Say est revenu à la
charge, insistant sur l'intérêt que présen-
terait, à ses yeux, l'exposé que le ministre
des finances, au cours de la discussion
préalable, ferait, à la tribune, de l'idée-
mère, des principes, des grandes lignes de
son projet de budget. vais le président du
conseil est venu démontrer que forcément
la discussion ne se tiendrait pas dans les
généralités, que les orateurs se trouveraient
fatalement amenés à descendre aux plus
petits détails. M. Loekroy qui a pris la
parole le dernier, a contesté cette affirma-
tion, montrant avec vigueur combien est
défectueuse la méthode de travail actuel-
lement suivie qui permet à grand'peine,
chaque année, de boucler le budget en
temps utile. Mais la question était tout
:eri{ière de savoir si la méthode proposée
par M. Léon Say serait préférable. La
Chambre ne l'a pas pensé, car la proposi-
tion a été finalement repoussée par 307
voix contre 215. Il n'y aura pas de dis-
cussion préalable. !
Après avoir validé, sans débats, l'élec-
tion de M. Bory, dans l'arrondissement de
Saint-Flour, la Chambre s'est remise à la
première délibération sur la proposition
relative aux justices de paix. Longuement,
très longuement, on a discuté un amen-
dement de M. Darland, toujours sur le
taux de la compétence des juges de paix à
charge d'appel. Au train dont on y va,
cette loi menace de durer des mois. Il
faudrait activer un peu le mouvement. Le
ministre de la justice a appuyé le chiffre
de la commission : 1,500 ff. Finalement,
c'est ce chiffre qui a été adopté, par 280
voix contre 237. Après avoir adopté l'en-
semble de l'article 1er, on a remis la suite
à demain jeudi.
- LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
■ ujfcw i ■ —
AU SÉNAT
Le Sénat a discuté hier, en première
lecture, le projet de loi voté par la Cham-
bre ayant pour objet l'adoption de l'heure
temps moyen de Paris comme heure légale
en France et en Algérie. Sur ce sujet peu
passionnant en lui-même, il y a eu un
assez long échange d'observations auquel
ont pris part M. Faye, commissaire du
gouvernement, l'amiral Peyron, M. La-
combe, M. Bozérian, le ministre de l'ins-
truction publique et M. Albert Grévy.
Finalement, le Sénat a décidé de passer à
une deuxième délibération. On a validé,
sans débats, M. Godin, sénateur de l'Inde
française, et fixé au 26 février la discussion
de l'interpellation de M. Dide sur la situa-
tion de l'Algérie. Séance jeudi à trois
heures.
•» '■ "——«Il
LE CONSEIL DES MINISTRES
Les ministres se sont réunis hier matin à
l'Elysée, sous la présidence de M. Carnot.
Ils se sont entretenus du projet de budget
qui va être déposé aujourd'hui par M. Rouvicr.
Plusieurs ministres ont consenti à opérer de
nouvelles réductions sur les dépenses de leurs
départements respectifs.
- M. de Freycinet, ministre de la guerre, a fait
connaître les dispositions prises relativement
aux grandes manœuvres de cette année. Indé-
pendamment des manœuvres habituelles de
divisions et de brigades qui s'effectueront dans
les diverses régions, quatre corps d'armée, les
5e, 6", 7° et 8e corps participeront à des ma-
nœuvres d'ensemble. Ces corps seront groupés
en deux armées, commandées respectivement
par les généraux Davoust et de Galliffet.
Les deux armées elles-mêmes, renforcées
chacune par une division de cavalerie indé-
pendante, seront runies.soûs le commande-
ment supérieur du général Saussier, auprès
duquel le général de Miribel remplira les fonc-
tions de major général.
La durée des manœuvres sera de seize jours,
non compris le temps nécessaire à la concen-
tration et à la dislocation des troupes.
M. Fallières, garde des sceaux, a soumis à la
signature du président de la République un
mouvement judiciaire aux termes duquel sont
nommés:
Conseiller à la cour de Paris, M. Grehen,
vice-président du tribunal de la Seine ;
Vice-président du tribunal de la Seine, M.
Thureau, juge au même siège.
Juge au tribunal delà Seine, M. Planteau,
président du tribunal d'Auxerre.
Conseiller à Toulouse, M. Nolé, vice-prési-
dent du tribunal de Toulouse.
Vice-président du tribunal de Toulouse,
M. Martin, juge d'instruction au même siège.
Juge d'instruction à Toulouse, M. Chauson,
président du tribunal de Foix.
M. Constans, ministre de l'intérieur, a été
autorisé à préparer un projet de loi portant
ouverture d'un crédit de 50,000 fr. pour le
grand concours des sociétés de tir qni aura
lieu cette année à Lyon.
Enfin M. Yves Guyot, ministre des travaux
publics, a fait signer un projet de loi approu-
vant la convention provisoire passée avec la
compagnie d'Orléans et concédant à cette com-
pagnie l'exécution :
4 8 A voie large, de 267 kilomètres ;
23 A voie d'un mètre, de 410 kilomètres;
3° A voie de soixante-dix centimètres, de 53
kilomètres.
Les lignes du Blanc à Argent et d'Argenton
à La Châtre ayant 208 kilomètres et précédem-
ment concédées à voie large seront construites
à voie d'un mètre.
Sur les 19 lignes nouvelles, quatre sont con-
cédées définitivement; 15 sont concédées à
titre éventuel.
LIRE PLUS LOIN:
Lettres de Londres : Jaek l'éven-
trcMiy swîÉe de l'enquête.
Un fiSgame de bonne toI.
80 luilUou. de déficit; Nouveaux
détails.
Nos feuilletons (3* page) : Le
capitaine Jean.
VOIR A LA 4* PAGE
LA NOMENCLATURE DES
NOUVELLES PRIMES GRl TUITES
que nous offrons à nos abonnés
LES CONFÉRENCES POPULAIRES
A propos de l'article que j'ai consacré
récemment, dans le Rappel, à la Société
des conférences populaires fondée par M.
Guérin-Catelain, j'ai reçu deux lettres où
l'on proteste, de la façon la plus courtoise
d'ailleurs, contre la qualification de « neuve
et originale » que ravais attribuée à l'idée
qui consiste à envoyer dans les départe-
ments, pour être lues par des « conféren-
ciers communaux », les conférences faites
à Paris et dans la banlieue par les mem-
bres de la société.
L'une de ces lettres est d'un étudiant,
M. Gimet, qui déclare avoir essayé déjà de
lancer une idée semblable et qui se met,
avec une bonne grâce dont je le remercie,
à la disposition du conseil d'administra-
tion de la société; l'autre a pour auteur
M. Boutot, qui revendique pour le Cercle
républicain du Berry la priorité de l'idée,
tout en reconnaissant d'ailleurs que « cette
tentative—qui remonte, parait-il, à i886
— n'a malheureusement abouti qu'à la
plus grande indifférence » et que «I le
cercle n'a reçu que de rares adhésions
Je me permets, simplement, de souhai-
ter meilleure fortune à la Société des conV
férences populaires. :.
L. V.-M.
CHRONIQUE DU JOUR
UN EXPLORATEUR PACIFIQUE
Le capitaine Trivier vient de se remettre
en route pour l'Afrique. Il s'est embarqué
hier à Marseille, à destination du Gabon.
L'Afrique est capiteuse. Elle grise ceux
qui l'ont approchée. Une fermentation
attirante se dégage de ses forêts aux pro-
fondeurs mystérieuses, de ses fleuves aux;
nappes formidables. De l'Afrique surtout
l'on peut dire : qui a bu boira, et ses ex-
plorateurs semblent tous incorrigibles.
On pouvait penser que le capitaine Tri-
vier s'en tiendrait à son merveilleux exploit,
un coup d'essai qui fut un coup de maître.
Du premier bond, sautant dans l'inconnu
et dans le danger, il a atteint et surpassé
tous les hardis parcoureurs du continent
noir. Stanley même lui apparaît inférieur,
car son voyage fameux à la recherche de
Livingstone, le second voyage par rou..
ganda et la descente du Congo, le troi-
sième enfin à la recherche d'Emin par la
remonte de FArrouhimi et la marche dans
la forêt ténébreuse, pour extraordinaires
et saisissants qu'ils soient, apparaissent
comme explicables et relativement aisés,
étant donnée l'abondance des ressources
dont le grand explorateur anglais disposait.
Il conduisait toute une armée. Il avait des
armes et des munitions en quantité assez
considérable pour livrer de véritables ba-
tailles tant sur le fleuve qu'aux environs
du lac Albert-Edouard. Il traînait avec lui
des ballots d'étoffes en nombre énorme,
permettan t d'acheter le passage et de sa
concilier l'amitié des roitelets nègres. En
vérité, Stanley tout admirable que soit son
parcours à travers l'Afrique, avait des élé-
ments de succès et des moyens de défense
qui faisaient absolument défaut & notre
compatriote le capitaire Trivier.
C'est avec des ressources fort modestes'
qu'il a pu se mettre en route. Un grand
journal de province, la Gironde, fit les frais
de l'expédition, c'est-à-dire qu'il fournit
à M. Trivier les marchandises d'échange,
les armes et les menus objets qu'il lui
fallait empçtrter avec lui pour se nourrir,
se concilier l'amitié des chefs et au besoin
se défendre dupant son aventureuse en-
treprise. Le capitaine Trivier avait résolu
en effet de traverser l'Afrique de l'ouest à
l'est. Son projet avait paru aventureux à
l'extrême à M. de Brazza, qu'il avait con-
sulté, et impraticable au gouvernement,
car il n'obtenait du ministère que de cour-
toises fins de non recevoir. L'originalité de
l'entreprise de Trivier, c'est qu'il voulait
traverser seul l'Afrique. Tel il l'avait dit,
tel il le fit. Sa solitude n'était pas absolue,
car il s'était décidé à accepter un compa-
gnon, M. Emile Weissemburger, né à la
Rochelle en 1849, d'origine alsacienne,
ayant servi aux chasseurs d'Afrique, et
qui, possédé du goût des voyages et favo-
risé d'une certaine fortune, avait pareôuru
la Plata en amateur. C'est deas m &and
Chaco que le capitaine Trivier araît fait sa
connaissance. C est donc à deux Français
que devait revenir l'honneur d'accomplir
le tour de force de la traversée de l'Afrique.
Mais la destinée en avait décidé autrement.
Partis deux de Loango sur l'océan Atlan-
tique, un seul explorateur atteignit Quili-
mane, sur l'océan Indien. Le malheureux
compagnon du capitaine Trivier périt en
route.
: C'est auprès de Fouambo, sur les bords
du lac Tanganika, lorsque déjà la plus
Feuilleton du RAPPEL
• DU 19 FÉVRIER
21
HONNEUR D'ARTISTE
VIII
Harcelle. - (Suite)
Le jour ou Mme de Montauron avait
Imposé à Béatrice le sacrifice définitif de
son amour pour Pierrepont, elle lui avait
enlevé, en réalité, le seul motif que pût
avoir l'orpheline de supporter l'existence
misérable qu'elle menait auprès d'elle.
Dès cet instant, le sentiment très com-
préhensible de sourde irritation que la
jeune fille nourrissait à l'égard de sa dure
protectrice s'était changé dans cette âme
contenue, mais ardemment passionnée,
en une véritable horreur. La vue même de
fa baronne lui était devenue odieuse. Sa
résolution de la quitter était absolument
arrêtée, et elle n'hésitait plus que sur
l'heure et sur le choix de sa retraite.
Sa première pensée, on s'en souvient,
avait été de s'ensevelir par une sorte de
luicide dans une communauté de l'ordre
le plus austère. !
Reproduction interdite.
Ycir le Rappel du 30 janvier au 18 février.
Elle avait parlé de nouveau à son amie,
Mme d'Aymaret, de sa prochaine entrée
au Carmel, et c'était avec sincérité qu'elle
s'y préparait en s'efforçant de reporter
vers le ciel un amour qui n'avait plus
aucun avenir terrestre.
Mais il n'est pas si difficile de faire un
sacrifice que de le soutenir : à mesure
qu'elle y songeait plus posément, la pauvre
fille trouvait dans son attachement naturel
à la vie et au monde, dans son énergique
et florissante jeunesse, des résistances qui
lui rendaient bien douloureux l'éternel
renoncement.
Et cependant que faire ? où aller ?
La lettre et la déclaration de Fabrice
vinrent la surprendre au milieu de ses
cruelles indécisions.
Fort étonnée d'abord, et même froissée,
elle voulut , pourtant prendre quelques
heures pour y penser.
Elle eut à vaincre plus d'une révolte se-
crète. Mais enfin, dans l'extrémité où elle
était réduite, comment ne pas se jeter
dans ce refuge, honorable après tout, que
lui ouvrait une main affectueuse et dé-
vouée ?
Pour une naufragée comme elle, c'é-
tait la vie du moins, sinon le bonheur.
C'était surtout le terme certain, immédiat
de son pesant esclavage. En outre, ello
n'ignorait pas que la nouvelle de son ma-
riage et de son départ serait horriblement
désagréable à Mme de Montauron, et le
plaisir de le lui annoncer satisfaisait chez
Mlle de Sardonne le sentiment le plus vio-
lent peut-être qu'il y ait au monde, la
haine d'une femme contre une femme.
Mme de Montauron, cependant, venait
de faire paisiblement sa sieste dans un
boudoir attenant à son grand salon.
Elle avait, en général, la digestion
lourde et le réveil maussade ; dès qu'elle
vit entrer Béatrice :
— Il me semble, ma chère, lui dit-elle,
que vous vous attardez beaucoup avec
votre professeur?. J'ai déjà eu le temps
de lire la moitié de mon journal. mes
yeux en pleurent. Tenez. prenez aux
faits divers. ou plutôt non, lisez-moi le
feuilleton. voyons ce que devient cette
étonnante duchesse. que l'auteur fait
parlercomme une marchande depommes.
Eh'bien, lisez donc !
- Pardon, madame, dit la jeune fille
avec une extrême politesse, puis-je vous
dire quelques mots auparavant?
La baronne la regarda avec une vague
inquiétude :
- Quoi donc? dit-elle sèchement.
— Madame, reprit Béatrice, me permet-
tez-vous de vous rappeler la conversation
qui a eu lieu entre nous dans votre cham-
bre, il y a une quinzaine de jours? Vous
avez bien voulu me dire que si jamais
quelque galant homme, quelque homme
de cœur me demandait en mariage, non-
seulement je n'aurais à craindre aucune
difficulté de votre part, mais que je pour-
rais compter sur votre concours le plus
empressé. Ces paroles, madame, m'é-
taient trop précieuses pour qu'il me fût
possible de les oublier. Avez-vous, vous-
même, la bonté de vous en souvenir?
La baronne, qu'il n'était pas facile de
déconcerter, perdit cependant contenance
à l'audition de cet exorde, et ce fut pres-
que en balbutiant qu'elle répondit :
— Mon Dieu. c'est possible. oui. J'ai
pu dire quelque chose d'approchant. mais
non sans réserves.
C'estvrai, madame, 0 v avait qp"'-
ques réserves. Vous mettiez en effet à votre
bienveillant concours deux conditions : la
première était que votre neveu serait ex-
cepté du nombre de ceux parmi lesquels
j« pourrais choisir mon mari : je l'ai res-
pectée. La seconde, madame, était que
je ne prendrais jamais d'engagement
sans vous en avertir. c'est ce que je viens
faire.
— Eh bien ! j'écoute.
— Madame, poursuivit Mlle de Sardonne
sur le même ton de parfaite urbanité, la
circonstance que vous m'aviez fait l'amitié
de prévoir et de désirer pour moi se pré-
sente aujourd'hui.
— Ah !
- Et je viens vous prier d'agréer la
recherche dont M. Fabrice veut bien m'ho-
norer.
— Il vous demande, Fabrice ?
- Oui, madame.
— Il me semble qu'il aurait pu com-
mencer par s'adresser à moi. C'était d'un
savoir vivre élémentaire.
- Il l'aurait pu sans doute, madame;
mais il a jugé inutile de vous tourmenter
à ce sujet avant de s'être assuré de mes
sentiments personnels. qui lui impor-
taient avant tout.
— Et ça vous plaît, ce mariage-là ?
— Oui, madame. M. Fabrice est un
honnête homme et un homme de ta-
lent dont je serai heureuse de porter
lenom.
- Vous savez, je suppose, à qui vous
succédez?. il avait épousé en premières
noces une blanchisseuse.
- Pardon, madame, c'était une fleuriste.
—r C'est tout comme. Vous verrez une
drôle dA société dans ce monde-là.
— Je me trouverai assez heureuse,
madame, si j'y suis traitée avec égards.
— Et ainsi. vous me plantez là, moi,
tout bonnement, oubliant tout ce que j'ai
fait pour vous depuis que je vous ai re-
cueillie comme une amie, comme une
fine. -
— Soyez sûre, madame, que je n'oublie
aucune des bontés singulières que vous
avez eues pour moi depuis que vous m'avez
prise à votre service.
Il y avait cela d'agréable avec Mme de
Montauron, qu'elle saisissait les moindres
nuances de langage : aucune des imperti-
nences correctes et des ironies vengeresses
que lui décochait sa lectrice n'était perdue
pour elle.
Sur cette dernière et sanglante réplique,
la baronne s'était levée : si elle eût disposé
de la foudre, il est vraisemblable que Mlle
de Sardonne n'aurait pas vécu deux se-
condes de plus.
Faute de mieux, elle pouvait la chasser
ignominieusement de chez elle : elle y
songea. Un peu de réflexion lui montra tous
les inconvénients d'un éclat de ce genre.
Les mauvaises langues pourraient l'ac-
cuser de s'opposer, par un sentiment
d'égoïsme tyrannique, au mariage -après
tout fort convenable — de sa protégée.
Quoi qu'elle pût faire d'ailleurs désor-
mais, Béatrice lui échappait. Si irréparable
que fût sa perte, il fallait donc en prendre
son parti et se donner au moins les appa-
rences et le mérite de la bonne grâce.
Enfin, ce sot mariage avait au moins un
bon côté : il délivrait à jamais Mme de Mon-
tauron de la terreur de voir son neveu
Pierrepont epouser cette fille ruinée.
En vertu de ces diverse COJUi_ra_\
l'entretien belliqueux de la baronne et de
sa lectrice allaient avoir un dénouement
assez inattendu, quoique parfaitement f-
minin.
Mme de Montauron, qui avait fait quel-
ques pas avec agitation dans son boudoir,
posa doucement sa main sur l'épaule de
Béatrice :
— Ma chère enfant, lui dit-elle, vous ne
devez pas vous étonner que mon premier
mouvement, en apprenant que vous ma
quittiez, ait été un mouvement d'humeur.
Car j'ai des regrets, moi, quoique vous
n'en ayez guère. Voyons, ma chère pe
tite, embrassez-moi 1
Mlle de Sardonne se rendit à ce vœu;
et, tout en la serrant sur son cœur, la ba-
ronne, qui avait les nerfs très montés,
fondit en larmes.
Ce fut pour elle un soulagement.
, - Savez-vous, reprit-elle à travers se>
sanglots, combien il gagne par an ?
— Je ne le lui ai pas demandé, ma-
dame.
— Ces peintres, une fois qu'ils ont là
vogue, gagnent ce qu'ils veulent. Vous
serez riche, ma chère. c'est toujours ça 1
— Puis-je dire maintenant à M. Fabrice,
madame, que vous voulez bien le ret
cevoir?
— Mais sans doute. à l'heure ordinaire
de nos séances. Il faut bien, d'ailleurs,
qu'il termine mon portrait. Je l'attendrai
dans une demi-heure.
Béatrice lui présenta de nouveau sou
front et se retira. «
OCTAVE FEUILLET.
, (A fWOTjpJ
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