Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-01-30
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 30 janvier 1883 30 janvier 1883
Description : 1883/01/30 (N4708). 1883/01/30 (N4708).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
i
rf-c 4708 W:ardi 30 - Janvier 1883 le numéro : IOe. - Départements - 13; e. 14 Pluviôse an 91 N® 4708
ADMIKISTRATIOïT
58, ïwa BE VAttog^lSj *
ABOTTNEMENTS
Trois mois.10 »
Six mois. 20 »
I »ipAIMEMXTS
Trois mois. 19
Sis mois
Adresser lettres et mandats
(1 M. ERNEST LEFÈVBjê
j&DMPflSTKATEPRr,^ niyp
*'
---..
REDACTIOH
s'dresser an. Secrétaire de la Bélactii*
J)c 4 à 6 heures du M&r
18, JEUJE 3MB VALOIS, 10
les manuscrits non. insérés ne seront pas renînS
; ANNONCES
U- MGRANGE, CEPJ et GO
v\ 6, place de la Bourse, 6
EN" FINIR
•4»
S'il est prouvé qu'il y a eu conspira-
tion, que les princes d'Orléans aient
embauché des généraux, que le comte
de Chambord ait réuni trente-trois
fnille hommes, six cents chevaux et
quinze cents poignards, les personnes
qui ont conservé quelque sang-froid
s'étonneront que la première idée d'un
certain nombre de républicains ait été
de demander l'expulsion des princes.
Car, d'abord, le plus terrible des
princes conspirateurs serait évidem-
ment celui qui aurait réuni tant d'hom-
mes, de chevaux et de poignards, et
te prince-là se soucierait comme un
poisson d'une pomme de la loi d'expul-
sion, puisqu'il s'expulse lui-même tous
les jours en mettant, avec une pru-
dence parfaite, la frontière entre la
République et lui. Et ensuite, ce que
mériteraient des princes qui auraient
commis ce dont on accuse le Bour-
bon et les Orléans, ce ne serait pas
l'expulsion, ce serait la mise en accu-
sation, et, puisque la peine de mort est
abolie en matière politique, la déporta-
tion.
Comment! des princes auraient pré-
médité avec cette effronterie la destruc-
tion des institutions que la France s'est
données ; l'un aurait organisé par toute
la France un vaste complot qui n'atten-
, drait qu'une occasion ; les autres, aux-
quels la République a rendu leur pa-
irie et leurs biens, l'en auraient remer-
ciée en insurgeant des généraux contre
elle, — et ces criminels en seraient
quittes pour aller faire à l'étranger un
de ces voyages dont on revient! On
ne peut pas empoigner, juger et dé-
porter le comte de Chambord, qui se
tient à une sage distance de la justice,
mais on peut juger ses trente-trois
mille hommes et ses six cents chevaux.
On ne s'étonnera pas seulement que
la mise en accusation des conspirateurs
n'ait pas été demandée au ministère, on
s'étonnera qu'elle ait eu besoin d'être
demandée. Pour une affiche devant la-
quelle les passants haussaient les épau-
les, un prétendant dont son parti lui-
même ne veut pas a été appréhendé au
corps, traîné à la Conciergerie, mis au
secret pendant plusieurs jours, et va
passer en jugement, — et le gouverne-
ment se serait croisé les bras devant un
leI embauchage de l'armée, devant
un tel rassemblemeat d'hommes et
de chevauxl
Si la grande conspiration orléaniste
It la plus grande conspiration légiti-
miste ne sont pas vraies ; s'il est re-
connu que le monarchisme blanc est
aujourd'hui ce qu'il est depuis cin-
quante-deux ans, qu'il crie beaucoup
et agit peu, que la meute de M. de
Baudry d'Asson continue à justifier le
proverbe : droit divin qui aboie ne
mord pas; que les princes d'Orléans,
quelque envie qu'ils puissent éprouver
de recoller les morceaux du trône cassé
en 1830, seront toujours retenus par la
crainte de compromettre dans une aven-
ture les immenses biens qu'ils possè-
dent en France et auxquels en a vu en
1871 qu'ils ne sont pas indifférents, —
alors, que penser du spectacle auquel
on nous fait assister depuis douze jours?
Un ministère par terre, ce n'est rien ;
mais ces propositions qui se font et se
défont ; ce gouvernement qui dit : non,
le matin, et : oui, le soir; ce vacarme
dans lequel on distingue un arrache-
ment de portefeuilles ; ce conflit qu'on
prépare entre la Chambre et le Sénat;
ces velléités effarées dont les impéria-
listes profitent pour se poser en dé-
fenseurs de la liberté de la. presse,
les royalistes blancs en défenseurs du
drapeau et les orléanistes en défenseurs
du suffrage universel ; cette importance
attribuée subitement à des prétendants
qui doivent en être aussi étonnés
qu'enorgueillis; cette majorité républi-
caine qui semble craindre pour la Ré-
publique, comme si les monarchismes
n'avaient pas démontré suffisamment,
au 24 et au 16 mai, qu'ils ne peuvent
rien. contre elle, — s'il n'y avait au
fond de tout cela que l'affiche du prince
Napoléon, il faudrait convenir que la
cause est à l'effet ce qu'une puce est à
un éléphant.
Donc, si l'on croit aux conspirations,
il fallait frapper; si l'on n'y croit pas,
il fallait se tenir tranquille. On a fait
trop peu, ou trop. Dans les deux cas, il
est temps de prendre un parti, et le
pays exige qu'on en finisse.
AUGUSTE VACQUERIK,
LA DÉMISSION DU MINISTÈRE
Le ministère a donné sa démission.
Voici dans quelles circonstances :
La crise ministérielle existait à l'état la-
tent depuis plusieurs jours ; nous avons eu
occasion de le dire à plusieurs reprises
en signalant le dissentiment qui existait
entre les huit ministres députés, d'une
part, et MM. Duclerc, le général Billot et
l'amiral Jauréguiberry de l'autre. Mais on
croyait encore que la dislocation du cabi-
net ne s'effectuerait qu'après le vote de la
Chambre sur la loi d'expulsion. Les événe-
ments ont marché plus vite qu'on ne le
pensait.
On a lu hier matin la note que nous
avait communiquée l'agence Havas et
qui constatait le refus par le président,
du conseil d'adhérer au projet transac-
tionnel accepté par les ministres députés.
C'est cette note qui a précipité la crise.
Par un procédé, au moins singulier, cette
note, émanée du cabinet de M. Duclerc, a
été livrée à la publicité sans avoir été préa-
lablement communiquée aux autres mi-
nistres. M. Duclerc et le général Billot en
connaissaient seuls l'existence samedi soir.
Il y a plus, le, président de la République,
lui-même, n'en avait pas reçu communi-
cation.
Hier matin à la première heure, M.
Grévy de son côté et les ministres députés
de l'autre apprirent par les journaux
l'existence de cette note. Au premier
abord, ils doutèrent qu'elle fût authentique,
tant les conditions de sa publication
étaient singulières et incorrectes. Pour
lever son incertitude, M. Grévy délégua le
général Pittié, secrétaire général de la
présidence, auprès de M. Duclerc, et il
put ainsi se convaincre que la note était
exacte et traduisait fidèlement la pensée
du ministre des affaires étrangères.
Immédiatement, M. Grévy convoqua le
conseil des ministres pour 10 heures du
matin. Le conseil se réunit, en effet, et
siégea jusqu'à onze heures et demie. La
discussion fut très vive. Si nous sommes
bien informés, plusieurs membres du cabi-
net se plaignirent de ce que le général
Billot, après avoir adhéré la veille à la
transaction acceptée par la commission de
la Chambre, eût aussi subitement fait
volte-face et permis qu'on le signalât dans
dans la note officieuse en question comme
opposé à la transaction.
Le conseil, dans cette situation, fut d'a-
vis que le cabinet ne pouvait pas plus long-
temps rester aux affaires, et tous les minis-
tres présents remirent leur démission à M.
Grévy. Mais, pour que la démission du
cabinet fût définitive, il fallait que le pré-
sident du conseil lui-même donnât la
sienne.
En conséquence, MM. Fallières et Devès
furent chargés de se rendre au ministère
des affaires étrangères pour avertir M.
Duclerc,. Mais, au quai d'Orsay, les deux
ministres ne purent être reçus. L'état de
santé de M. Duclerc était tel qu'aucune
visite n'était admise. MM. Fallières et De-
vès se bornèrent à avertir le chef du cabi-
net de M. Dllclerc.
Dans l'après-midi, M. Duclerc, quoique
très malade, fut informé de la situation, et,
immédiatement, il fit adresser sa démis-
sion au président de la République. Le
cabinet était donc tout entier démission-
naire.
Voir à notre seconde page les nouvelles
de la dernière heure.
—j———I I ■m-m ■
LA SITUATION
Un journal du matin déclare qu'en
somme, et malgré certaines fluctua-
tions, les dix derniers jours ont été
bons pour la République. On trouvera
peut être que c'est se contenter à bon
compte et nous demandons la permis-
sion d'être un peu plus difficile. Mais,
sans nous réjouir outre mesure, nous
croyons que, des incidents de la der-
nière semaine et de la crise qui semble
maintenant inévitable, va sortir une
situation plus nette pour tout le monde
et beaucoup meilleure pour le pays.
Au premier rang des incidents aux-
quels nous faisons ici allusion, l'opi-
nion placera, naturellement, l'affaire
des prétendants, et c'est, en effet, la cause
déterminante de la crise ministérielle.
Mais ce qui arrive à cette occasion se-
rait arrivé sous un autre prétexte, car
nous ne pensons pas que personne ait
jamais considéré comme sérieux le ca-
binet du 7 août. Ce n'est donc pas la
crise en elle-même, crise depuis long-
temps prévue et attendue, qui nous pa-
raît digne de fixer l'attention. Ce sont
les circonstances au milieu desquelles
elle se produit, les dispositions dans
lesquelles va se trouver la Chambre,
en face d'un nouveau cabinet, que nous
croyoas devoir signaler et dont, faute
de mieux, il y a lieu d'être satis-
fait.
Par le rejet de la réforme judiciaire,
par les applaudissements qui, à deux
reprises, ont accueilli les théories auto-
ritaires de M. Waldeck-Rousseau, la
Chambre a montré, d'une façon non
équivoque, sinon sa préférence décisive
et raisonnée pour ces idées, au moins
l'intention formelle de les mettr e à l'é-
preuve. Nous sommes à cent lieues
d'approuver la majorité de vouloir re-
commencer cette expérience, déjà tant
de lois condamnée; mais il serait en-
fantin de se boucher les yeux et les
oreilles et de ne pas voir que la pro-
chaine administration, pour répondre
à la tendance actuelle des députés, de-
vra être plus ou moins un ministère de
résistance, un ministère comprenant la
pratique de la liberté à la manière de
M. Waldeck-Rousseau, c'est-à-dire ne
la comprenant pas.
Assurément, et bien que la netteté
d'une telle situation comporte déjà cer-
tains avantages, si c'était là tout le
bilan des derniers jours, nous n'aurions
à exprimer qu'une satisfaction fort mé-
diocre. Mais, au même moment où M.
Waldeck, acclamé par les centres et par
la gauche, exposait, sans même essayer
de les rajeunir, les doctrines dévelop-
pées avant lui par M. Billault, par M.
de Forcade la Roquette, par M. Baro-
che, par M. Rouher et même par M.
Fialin de Persigny, l'extrême gauche,
qu'on avait souvent vue divisée en ces
derniers temps, se retrouvait unie et
ralliée tout entière sur le terrain de la
politique radicale et libérale, pour ap-
plaudir l'éloquente protestation de M.
Clémenceau.
C'est là un fait considérable, car c'est
évidemment de ce côté de la Chambre
que se tournent les espérances de l'a-
venir. C'est de là que doivent venir les
initiatives fécondes, les grands efforts
pour lesquels la défaite même est un
gage de triomphe prochain. Aussi est-
il fort important qu'un groupe, ainsi
placé à l'avant-garde, ne fasse jamais
fausse route et qu'il ne gaspille pas ses
forces en luttes intérieures. Or, si l'on
a pu craindre un instant, pendant les
derniers mois de l'année 82, que des
hésitations fâcheuses se produisissent
de ce côté, que, tandis que la majorité
du groupe regardait l'avenir, c'est-à-
dire la liberté, quelques-uns de ses
membres acceptassent encore, au moins
peur une partie, la conception autori-
taire de M. Waldeck, après les débats
de ces jours passés, après les déclara-
tions si précises, si catégoriques de M.
Clémenceau - déclaratiou;s nue per-
sonne n'a songé à désavouer — cette
crainte n'a plus de raison d'être. L'ex-
trême gauche retrouve son unité et sa
force sur le terrain des principes, sur le
terrain de la République libérale oppo-
sée à la République autoritaire.
C'est aux mains de cette dernière que
le pouvoir va passer, cela paraît cer-
tain. C'est assez dire que le rôle de
l'extrême gauche ne peut être qu'un
rôle d'opposition. Elle n'a nullement à
s'en plaindre et il dépend d'elle de ral-
lier le pays républicain derrière les
principes qu'on veut méconnaître et
qu'on ne méconnaît jamais impuné-
ment.
A. GAULIER.
»
LA CONFÉRENCE DE LONDRES
Le pangermanisme et le panslavisme
vont se trouver une fois de plus en pré-
sence à la conférence qui doit se réunir à
Londres le 3 février — si tant est qu'elle
se réunisse ! — pour le règlement de la
question danubienne. Il s'agit de détermi-
ner le règlement du cours moyen du Da-
nube et de compléter l'œuvre du traité de
Paris. Deux projets sont en présence, d'a-
bord ce qu'on a appelé le projet Barrère,
du nom de notre délégué, adopté par la
commission européenne de Galatz, et la
contre-proposition Stourdza, que ce diplo-
mate est allé négocier à Vienne sans grand
succès, à ce qu'il paraît.
Il existe entre les deux projets des diffé-
rences bien tranchées, su double point de
vue de la compétence et du recrutement
de la commission, lundis que l'article 97
du projet Barrère soumet l'exécution des
règlements de navigation à Yautorité de la
commission mixte, le projet roumain ne
parle que de surveillance et réserve ainsi la
souveraineté des Etats riverains. La police
du fleuve serait exercée par les agents de
chaque Etat et, au lieu que les contraven-
tions soient déférées è la commission
mixte, les tribunaux des pays riverains en
connaîtraient sans annal.
Quant à la composition de la commis-
sion mixte, le projet Stourdza propose de
la former de trois délégués des Etats rive-
rains, Roumanie, Serbie et Bulgarie, et de
deux membres de la commission de Galatz
nommés pour six mois, à l'exception de la
Roumanie qui, comme riveraine, aurait
déjà voix au chapitre. Le projet Barrère
donne au contraire à l'Autriche un siège
permanent et attribue aux deux puissances
qui viennent en tête de la liste par ordre
alphabétique (!!!) c est-à-dire à l'Alle-
magne et à l'Autriche-Hongrie, une voix
prépondérante pendant deux semestres. Si
l'on réfléchit que c'est justement pendant
la première année qu'on procèdera à la
rédaction du règlement et au recrutement
du personnel chargé de l'appliquer, on
comprend aussitôt l'empressement avec
lequel le projet Barrère a été accueilli à
Vienne et à Berlin.
0 chinoiseries internationales ! Comme
M. de Bismarck doit se féliciter aujour-
d'hui que la diplomatie parle français!
Supposez que l'allemand soit la langue
de la conférence, l'Allemagne qui s'appel-
lerait Deutschland et l'Autriche qui s'ap-
pellerait Oesterreick ne viendraient plus en
tête de la liste et céderaient la place à la
Bulgarie, c'est-à-dire à la Russie ; il fau-
drait s'aviser d'un autre détour.
La vérité est que, si nous avons pu
rêver à certaines époques de faire de la
Méditerranée un lac français, le Danube
est en train de devenir un fleuve allemand.
Cela regarde avant tout la Russie, mais
n'est-il pas étrange de voir au bas du pro-
jet Qui sanctionne cette prise de posses-
sion un nom français?"
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
LA GRÈVE DE LIMOGES
(Correspondance spéciale du Rappel)
Limoges, 28 janvier.
6 Les journaux de Paris qui se sont occu-
pés de la grève des ouvriers porcelainiers
de Limoges en ont parlé, pour la plupart,
sans connaître suffisamment les faits. Au
moment où cette grève jette sur le pavé
4,000 ouvriers environ et réduit à la mi-
sère 40,000 personnes; au moment où
l'industrie principale de la contrée semble
compromise, il peut être utile de remonter
à la source même du conflit et d'en ra-
conter les différentes phases.
C'est ce que nous nous proposons de
faire aujourd'hui. Nous nous efforcerons
d'être impartial, nous éviterons même de
prendre parti en nous bornant simplement
à faire connaître les griefs que les patrons
et les ouvriers croient-avoir les uns contre
les autres. Les contradictions, on le verra,
sont nombreuses et portent, pour la plu-
part, sur des questions de fait matériel
sur lesquels il eût été bien facile de faire
la lumière avec un peu de bonne volonté
de part et d'autre.
L'origine de la grève remonte au mois
de mai 1882. A cette époque les ouvriers
tourneurs de soucoupes, réunis en syndi-
cat, élaborèrent un tarif unifié qu'ils pré-
sentèrent successivement à la signature
de leurs patrons. Aux termes de ce nou-
veau tarif, le même article, exécuté dans
des conditions identiques, devait être payé
le même prix dans les différentes fabri-
ques. Dix-huit patrons acceptèrent ces
conditions. Plus tard, au mois de décem-
bre, lorsque les commandes se ralentirent,
que la morte-saison fut arrivée, les patrons
revinrent sur les concessions consenties
par eux et opposèrent à leur tour au tarif
des ouvriers un tarif inférieur élaboré par
leur propre chambre syndicale.
Pour justifier ce retrait de la parole
donnée, les patrons prétendent, il est
vrai,
donnée, qu'ils avaient continuellement à su-
bir des prétentions nouvelles de la part des
ouvriers ; que ceux-ci, mis en goût par
leurs premiers succès, accentuaient cha-
que jour leurs exigences. Cela, les ou-
vriers le nient formellement ; ils affirment
n'avoir jamais apporté une modification
quelconque au tarif commun, élaboré par
eux au mois de mai dernier. Qui a raison ?
il serait facile de le savoir si chacun vou-
lait bien donner des preuves de ce qu'il
avance.
Le nouveau tarif présenté par les pa-
trons, sans être aussi avantageux pour
l'ouvrier que le tarif du mois de mai, con-
stituait cependant, au dire des patrons,
une amélioration de 12 pour 100 sur les
prix des tarifs antérieurs. Les ouvriers,
eux, prétendent que ce tarif des patrons
les ramène de dix ans au moins en arrière,
qu'il fait revivre des prix que l'on ne
payait plus depuis des années. Encore une
question de chiffres sur laquelle il serait
facile de savoir qui a raison ou tort.
Les tourneurs de soucoupes, refusant le
travail aux nouvelles conditions imposées
par les patrons, quittèrent les fabriques.
Les patrons ayant besoin de soucoupes,
voulurent imposer à leurs tourneurs d'as-
siettes de tourner des soucoupes. Ceux-ci
ayant refusé, sous le prétexte que, le tra-
vail n'étant pas le même, ils auraient be-
soin pour s'y habituer d'un long appren-
tissage pendant lequel ils ne gagneraient
pas leur vie, les patrons les renvoyèrent.
N'ayant plus de soucoupes ni d'assiettes,
les patrons prétendirent n'avoir plus be.
soin d'ouvriers d'aucune sorte et fer.
mèrent pour la plupart leurs fabriques.
A cela les ouvriers répondent par
l'exemple de la grande maison Haviland
qui a conservé tout son personnel bfen
que les tourneurs de soucoupes l'aient
quittée. D'après eux, les patrons n'auraient
eu qu'un but en fermant leurs manufac-
tures : mettre le plus de monde possible
sur le pavé pour-affamer les grévistes et
les réduire à merci. Si tel était réellement
leur but, ils l'ont atteint, car à l'heure
actuelle on peut sans exagération estimer
à quarante mille le nombre des personnes
qui souffrent directement de la crise, sans
parler bien entendu du commerce en
général qui est aux abois.
Telle est la situation à Limoges. Au lieu
de s'améliorer, elle empire chaque jour.
Les uns tiennent pour la grève, les autres
contre; chacun répète ce qu'il entend dire,
et oe que l'on dit le plus, ce sont des
énormités. Ainsi, nous avons entendu te-
nir ce langage : « Quel intérêt voulez-vous
que nous inspirent ces tourneurs de sou-
coupes qui sont, en somme, les ouvriers
les plus heureux de toute la porcelaine,
puisqu'ils peuvent se faire facilement 8 et
10 francs par jour? » ,
Encore un point sur lequel il fallait faire
la lumière. Les ouvriers prétendent que
le meilleur tourneur de soucoupes ne peut
guère faire plus de 200 soucoupes par
jour, soit à 2 fr. 50, 5 fr., et, si l'on en dé-
duit les chances de casse, de fente, les
50 c. au batteur de pâte, la lumière, etc.,
cela revient à 4 fr. 25 par jour. En somme,
c'est une journée passable. Mais à côté du
bon ouvrier qui se fait cette somme, com-
bien y en a-t-il qui ne gagnent que 30 et
40 sous? La moyenne-est, d'après eux, de
2 fr. 50 au plus.
Encore là, de quel côté est la vérité t
Les patrons seuls peuvent le dire, leurs
livres en mains. Nous en avons vu, de ces
livres, et nous reconnaissons en effet que
feuilleton du RAPPEL
su 30 JANVIER
89
LA PATTE
TROISIÈME PARTIE
XXVI
'Paulette était restée dans les bras de
ion père, éplorée, et illa serrait contre lui,
comme s'il avait peur qu'elle voulût re-
joindre sa mère ; il ne la lâcha que lors-
gu' Alice eut disparu.
: Alors, l'embrassant avec effusion lon-
guement, à plusieurs reprises :
— Pauvre enfant, dit-il, quelle douleur
pour toi ! Que n'ai-je pu te l'éviter ? J'au-
rais tant voulu que tu ne fusses pas victi-
me de la même fatalité que moi. J'ai souf-
fert par mon père, toi tu souffres par.ta
mère.
Traduftfon interdite. — Reproduction auto-
risée pour les journaux qui ont un traité avec
,a Société des gens de lettres, mais seulement
MM la fin de la publication en feuilletonj
aans le Bappel. j
$oir k RaPVffdQUoctobrea\t fco janvier. I
Elle ne répondit pas; alors, relevant les
yeux sur elle, il la regarda :
— Et cruellement ! s'écria-t-il, en voyant
son visage convulsé. Ah ! pauvre enfant,
pauvre enfant l Mais que pouvais-je? Je te
jure que je n'ai pas pensé à moi. Je n'ai
pensé qu'à toi. Ne fallait-il pas te sauver ?
Je n'avais pas le choix des moyens, je n'ai
vu que celui-là, je l'ai pris.
Il s'arrêta, attendant une réponse ; mais
elle ne lui en fit une qu'en l'embrassant.
- Ma mère m'a tant aimé, dit-il ; elle a
été si bonne, si tendre pour moi qu'elle
m'a fait oublier bien souvent que je n'a-
vais pas de père ; je tâcherai d'être pour
toi ce qu'elle a été pour moi et de te faire
oublier aussi que tu n'as pas de mère ; tu
verras, tu verras 1
— Et que veux-tu donc que je voie ?
Peux-tu être meilleur que tu ne l'as été?
peux-tu être plus tendre que tu ne l'es ?
Ce fut pour lui une délivrance, car s'il
avait voulu que Paulette fût juge entre le
mari et la femme, c'était le père mainte-
nant qui attendait anxieusement le juge-
ment de sa fille. Le condamnait-elle, lu i
donnait-elle raison ? Ce mot le relevait.
— Tendre! s'écria-t-il, oui, je suis aussi
tendre, aussi passionné pour toi qu'un
père peut l'être, mais juste, je ne l'ai pas
été, et c'est là mon tort envers toi, c'est
là mon remords que je dois expier.
Ôhl père t
- Oui, chère fille. Et voilà ce qu'il y a
de grand dans la paternité, c'est que l'en-
fant, à chaque pas dans la vie, est le juge
du père et de la mère. Laissons la mère.
Mais pour le père, il a à expier, et il
l'avoue.
- Je t"en prie, ne dis pas cela.
- Je dois le dire, et je le dis. Non, mon
enfant, je n'ai pas été, en ces derniers
temps, ce que j'aurais dû être avec toi.
Par faiblesse, par tendresse j'ai été cou-
pable.
Elle voulut avec les mains lui fermer la
bouche, mais il continua :
— Laisse-moi parler. quand j'en aile
courage,, laisse-moi m'y engager pour
qu'il ne me soit plus possible de revenir
sur môn engagemeat. Le samedi où tu es
revenue de la campagne avec Badiche,
Rambure dans la visite qu'il m'avait faite
en votre absence, cette visite qui t'avait si
fort intriguée.
Il entassait les mots comme si cela
devait lui faciliter ce qu'il avait à dire.
-. Dans cette visite Rambure m'avait
demandé ta main.
Elle se cacha dans le cou de son père.
— Avant de répondre à cette demande
qui m'avait jeté dans une surprise ex-
trême, car je n'admettais pas que tu ne
fusses pas toujours une petite fille, je de-
vais savoir quels étaient tes sentiments
envers Rambure, si tu l'aimais ou si tu ne
l'aimais pas; car, en si haute estime que je
le tienne, c'était là pour moi le point es-
sentiel. Mais je n'ai pas osé t'interroger.
J'ai commencé cet interrogatoire, je ne l'ai
pas poussé jusqu'au bout. Et c'est là qu'a
été ma faute}» mon enfant. C'est là que
je n'ai pas été un bon père. Car ce qui
m'a retenu ç'a été la crainte de te perdre.
Quand on est bon père on n'aime pas ses
enfants pour soi, on les aime pour eux ;
on ne pense pas à sa propre tendresse, à
sa propre souffrance, on pense à leur
bonheur. Mais ce que je n'ai pas été, ma
mignonne, je veux l'être, et la question
que je n'ai pas osé te poser, je te l'adresse
maintenant franchement, en te disant à
l'avance que. si tu aimes Rambure et si tu
le veux pour mari, il est à toi, je te le
donne.
Elle se jeta dans ses bras :
— Je serais si heureuse 1 murmura-t-èlle
d'une voix que l'émotion brisait.
Il ne broncha pas : -
— Eh bien, quand il viendra tantôt, je
lui dirai que tu seras sa femme dans deux
mois.
- Oh ! si tu voulais.
- Quoi donc? N'est-ce pas assez ? Que
veux-tu dons?
— Tu es le meilleur des pères, et je n'ai
à te demander qu'une grâce quine te sera
pas un chagrin. Il n'y a pas qu'à dire
à M. Rambure que je serai sa femme, il y
a un contrat à faire avec lui, notre contrât
de mariage. Et tu ne peux pas, toi, lui en
poser les conditions.
— Quelles conditions?
— S'il t'en coûtait de me marier, c'était
pour que nous ne fussions pas séparés;
eh bien, pas plus que toi je ne veux cette
séparation. Mais cela tu ne peux pas l'exi- j
ger, tandis que moi, je peux le demander;
c'est ce que j'appelle les conditions de
notre contrat, et il ne les refusera pas.
— C'est chose grave, mon enfant.
— Comme tu es jeune, papa ! dit-elle en
souriant, si je parle ainsi c'est que je suis
sûre de lui.
— Te l'a-t-il promis?
— Cela c'est encore plus jeune. Il ne
m'a rien promis, et il ne m'a rien dit.
Mais est-il donc besoin qu'il parle pour
que je sache ce qu'il pense sur cela. et
sur bien d'autres choses encore. Ça voit
clair, les petites filles, et ça voit loin. J'ai
donc vu. et, pour ne parler que de cela,
j'ai vu qu'il serait heureux de vivre près
de toi, d'abord parce qu'il t'aime. pres-
que autant qu'il m'aime; ensuite parce
qu'il n'a pas de parents ; enfin parce qu'il
sera heureux de faire ce qui me rendra
heureuse.
En ce moment Badiche rentra. En quel-
ques mots Cintrât lui raconta ce qui s'é-
tait passé : la visite d'Alice, ses préten-
tions, ses exigences, ses menaces; et
Badiche en fut si bouleversé que, selon
son expression favorite, il fut sur le point
« de se fiche les quatre fers en l'air ». Il
ne fallut pas moins que l'annonce du ma-
riage de Paulette pour le remettre sur ses
jambes.
— Sauvés 1 s'écria-t-il.
Et il embrassa Paulette, il embrassa
Cintrât, il embrassa Barbouillou qui, le
voyant dans cette exaltation de joie, s'é-
tait jeté sur lui pour le caresser.
— Sera-t-il heureux cet animal-là d'à-
voir des marmots qui le tourmenteront,
et moi donc, et toi, Cintrât; nous rajeuni-
rons de vingt ans.
A deux heures Rambure arriva comme
tous les jours. Si Cintrat se conforma à
la recommandation de Paulette de ne rien
dire, il ne put. pas s'empêcher de regarder,
mais autant qu'il put à la dérobée, com-
ment les choses se passaient : c'était le
bonheur de ses dernières années qui se
décidait.
Rambure s'était installé auprès de Pau.
létte à sa place habituelle, et ils s'étaient
mis à causer à mi-voix, tandis que Cin-
trât et Badiche s'entretenaient, bu plu&V's«
tement tandis que Badiche parlait tout seul.,
Si encore Cintrat avait pu voir le visage
de Rambure; mais, justement, celui-ci
lui tournait le dos.
Au bout d'un certain temps, qui lui
parut terriblement long, Paulette se leva
vivement, le visage rayonnant, toute fré-
missante de joie, et prenant Rambure par
la main :
— Père, s'écria-t-elle, nous ne nous
quitterons jamais.
— Mlle Paulette a été au-devant de mon
désir le plus vif, dit Rambure
— Et pourquoi ne me l'avez-vous pas
dit, ce désir? s'écria Cintrât.
— Pouvais-je me permettre une pareille
proposition?
HKGTOR MALOT
(A 8ittvri.\
rf-c 4708 W:ardi 30 - Janvier 1883 le numéro : IOe. - Départements - 13; e. 14 Pluviôse an 91 N® 4708
ADMIKISTRATIOïT
58, ïwa BE VAttog^lSj *
ABOTTNEMENTS
Trois mois.10 »
Six mois. 20 »
I »ipAIMEMXTS
Trois mois. 19
Sis mois
Adresser lettres et mandats
(1 M. ERNEST LEFÈVBjê
j&DMPflSTKATEPRr,^ niyp
*'
---..
REDACTIOH
s'dresser an. Secrétaire de la Bélactii*
J)c 4 à 6 heures du M&r
18, JEUJE 3MB VALOIS, 10
les manuscrits non. insérés ne seront pas renînS
; ANNONCES
U- MGRANGE, CEPJ et GO
v\ 6, place de la Bourse, 6
EN" FINIR
•4»
S'il est prouvé qu'il y a eu conspira-
tion, que les princes d'Orléans aient
embauché des généraux, que le comte
de Chambord ait réuni trente-trois
fnille hommes, six cents chevaux et
quinze cents poignards, les personnes
qui ont conservé quelque sang-froid
s'étonneront que la première idée d'un
certain nombre de républicains ait été
de demander l'expulsion des princes.
Car, d'abord, le plus terrible des
princes conspirateurs serait évidem-
ment celui qui aurait réuni tant d'hom-
mes, de chevaux et de poignards, et
te prince-là se soucierait comme un
poisson d'une pomme de la loi d'expul-
sion, puisqu'il s'expulse lui-même tous
les jours en mettant, avec une pru-
dence parfaite, la frontière entre la
République et lui. Et ensuite, ce que
mériteraient des princes qui auraient
commis ce dont on accuse le Bour-
bon et les Orléans, ce ne serait pas
l'expulsion, ce serait la mise en accu-
sation, et, puisque la peine de mort est
abolie en matière politique, la déporta-
tion.
Comment! des princes auraient pré-
médité avec cette effronterie la destruc-
tion des institutions que la France s'est
données ; l'un aurait organisé par toute
la France un vaste complot qui n'atten-
, drait qu'une occasion ; les autres, aux-
quels la République a rendu leur pa-
irie et leurs biens, l'en auraient remer-
ciée en insurgeant des généraux contre
elle, — et ces criminels en seraient
quittes pour aller faire à l'étranger un
de ces voyages dont on revient! On
ne peut pas empoigner, juger et dé-
porter le comte de Chambord, qui se
tient à une sage distance de la justice,
mais on peut juger ses trente-trois
mille hommes et ses six cents chevaux.
On ne s'étonnera pas seulement que
la mise en accusation des conspirateurs
n'ait pas été demandée au ministère, on
s'étonnera qu'elle ait eu besoin d'être
demandée. Pour une affiche devant la-
quelle les passants haussaient les épau-
les, un prétendant dont son parti lui-
même ne veut pas a été appréhendé au
corps, traîné à la Conciergerie, mis au
secret pendant plusieurs jours, et va
passer en jugement, — et le gouverne-
ment se serait croisé les bras devant un
leI embauchage de l'armée, devant
un tel rassemblemeat d'hommes et
de chevauxl
Si la grande conspiration orléaniste
It la plus grande conspiration légiti-
miste ne sont pas vraies ; s'il est re-
connu que le monarchisme blanc est
aujourd'hui ce qu'il est depuis cin-
quante-deux ans, qu'il crie beaucoup
et agit peu, que la meute de M. de
Baudry d'Asson continue à justifier le
proverbe : droit divin qui aboie ne
mord pas; que les princes d'Orléans,
quelque envie qu'ils puissent éprouver
de recoller les morceaux du trône cassé
en 1830, seront toujours retenus par la
crainte de compromettre dans une aven-
ture les immenses biens qu'ils possè-
dent en France et auxquels en a vu en
1871 qu'ils ne sont pas indifférents, —
alors, que penser du spectacle auquel
on nous fait assister depuis douze jours?
Un ministère par terre, ce n'est rien ;
mais ces propositions qui se font et se
défont ; ce gouvernement qui dit : non,
le matin, et : oui, le soir; ce vacarme
dans lequel on distingue un arrache-
ment de portefeuilles ; ce conflit qu'on
prépare entre la Chambre et le Sénat;
ces velléités effarées dont les impéria-
listes profitent pour se poser en dé-
fenseurs de la liberté de la. presse,
les royalistes blancs en défenseurs du
drapeau et les orléanistes en défenseurs
du suffrage universel ; cette importance
attribuée subitement à des prétendants
qui doivent en être aussi étonnés
qu'enorgueillis; cette majorité républi-
caine qui semble craindre pour la Ré-
publique, comme si les monarchismes
n'avaient pas démontré suffisamment,
au 24 et au 16 mai, qu'ils ne peuvent
rien. contre elle, — s'il n'y avait au
fond de tout cela que l'affiche du prince
Napoléon, il faudrait convenir que la
cause est à l'effet ce qu'une puce est à
un éléphant.
Donc, si l'on croit aux conspirations,
il fallait frapper; si l'on n'y croit pas,
il fallait se tenir tranquille. On a fait
trop peu, ou trop. Dans les deux cas, il
est temps de prendre un parti, et le
pays exige qu'on en finisse.
AUGUSTE VACQUERIK,
LA DÉMISSION DU MINISTÈRE
Le ministère a donné sa démission.
Voici dans quelles circonstances :
La crise ministérielle existait à l'état la-
tent depuis plusieurs jours ; nous avons eu
occasion de le dire à plusieurs reprises
en signalant le dissentiment qui existait
entre les huit ministres députés, d'une
part, et MM. Duclerc, le général Billot et
l'amiral Jauréguiberry de l'autre. Mais on
croyait encore que la dislocation du cabi-
net ne s'effectuerait qu'après le vote de la
Chambre sur la loi d'expulsion. Les événe-
ments ont marché plus vite qu'on ne le
pensait.
On a lu hier matin la note que nous
avait communiquée l'agence Havas et
qui constatait le refus par le président,
du conseil d'adhérer au projet transac-
tionnel accepté par les ministres députés.
C'est cette note qui a précipité la crise.
Par un procédé, au moins singulier, cette
note, émanée du cabinet de M. Duclerc, a
été livrée à la publicité sans avoir été préa-
lablement communiquée aux autres mi-
nistres. M. Duclerc et le général Billot en
connaissaient seuls l'existence samedi soir.
Il y a plus, le, président de la République,
lui-même, n'en avait pas reçu communi-
cation.
Hier matin à la première heure, M.
Grévy de son côté et les ministres députés
de l'autre apprirent par les journaux
l'existence de cette note. Au premier
abord, ils doutèrent qu'elle fût authentique,
tant les conditions de sa publication
étaient singulières et incorrectes. Pour
lever son incertitude, M. Grévy délégua le
général Pittié, secrétaire général de la
présidence, auprès de M. Duclerc, et il
put ainsi se convaincre que la note était
exacte et traduisait fidèlement la pensée
du ministre des affaires étrangères.
Immédiatement, M. Grévy convoqua le
conseil des ministres pour 10 heures du
matin. Le conseil se réunit, en effet, et
siégea jusqu'à onze heures et demie. La
discussion fut très vive. Si nous sommes
bien informés, plusieurs membres du cabi-
net se plaignirent de ce que le général
Billot, après avoir adhéré la veille à la
transaction acceptée par la commission de
la Chambre, eût aussi subitement fait
volte-face et permis qu'on le signalât dans
dans la note officieuse en question comme
opposé à la transaction.
Le conseil, dans cette situation, fut d'a-
vis que le cabinet ne pouvait pas plus long-
temps rester aux affaires, et tous les minis-
tres présents remirent leur démission à M.
Grévy. Mais, pour que la démission du
cabinet fût définitive, il fallait que le pré-
sident du conseil lui-même donnât la
sienne.
En conséquence, MM. Fallières et Devès
furent chargés de se rendre au ministère
des affaires étrangères pour avertir M.
Duclerc,. Mais, au quai d'Orsay, les deux
ministres ne purent être reçus. L'état de
santé de M. Duclerc était tel qu'aucune
visite n'était admise. MM. Fallières et De-
vès se bornèrent à avertir le chef du cabi-
net de M. Dllclerc.
Dans l'après-midi, M. Duclerc, quoique
très malade, fut informé de la situation, et,
immédiatement, il fit adresser sa démis-
sion au président de la République. Le
cabinet était donc tout entier démission-
naire.
Voir à notre seconde page les nouvelles
de la dernière heure.
—j———I I ■m-m ■
LA SITUATION
Un journal du matin déclare qu'en
somme, et malgré certaines fluctua-
tions, les dix derniers jours ont été
bons pour la République. On trouvera
peut être que c'est se contenter à bon
compte et nous demandons la permis-
sion d'être un peu plus difficile. Mais,
sans nous réjouir outre mesure, nous
croyons que, des incidents de la der-
nière semaine et de la crise qui semble
maintenant inévitable, va sortir une
situation plus nette pour tout le monde
et beaucoup meilleure pour le pays.
Au premier rang des incidents aux-
quels nous faisons ici allusion, l'opi-
nion placera, naturellement, l'affaire
des prétendants, et c'est, en effet, la cause
déterminante de la crise ministérielle.
Mais ce qui arrive à cette occasion se-
rait arrivé sous un autre prétexte, car
nous ne pensons pas que personne ait
jamais considéré comme sérieux le ca-
binet du 7 août. Ce n'est donc pas la
crise en elle-même, crise depuis long-
temps prévue et attendue, qui nous pa-
raît digne de fixer l'attention. Ce sont
les circonstances au milieu desquelles
elle se produit, les dispositions dans
lesquelles va se trouver la Chambre,
en face d'un nouveau cabinet, que nous
croyoas devoir signaler et dont, faute
de mieux, il y a lieu d'être satis-
fait.
Par le rejet de la réforme judiciaire,
par les applaudissements qui, à deux
reprises, ont accueilli les théories auto-
ritaires de M. Waldeck-Rousseau, la
Chambre a montré, d'une façon non
équivoque, sinon sa préférence décisive
et raisonnée pour ces idées, au moins
l'intention formelle de les mettr e à l'é-
preuve. Nous sommes à cent lieues
d'approuver la majorité de vouloir re-
commencer cette expérience, déjà tant
de lois condamnée; mais il serait en-
fantin de se boucher les yeux et les
oreilles et de ne pas voir que la pro-
chaine administration, pour répondre
à la tendance actuelle des députés, de-
vra être plus ou moins un ministère de
résistance, un ministère comprenant la
pratique de la liberté à la manière de
M. Waldeck-Rousseau, c'est-à-dire ne
la comprenant pas.
Assurément, et bien que la netteté
d'une telle situation comporte déjà cer-
tains avantages, si c'était là tout le
bilan des derniers jours, nous n'aurions
à exprimer qu'une satisfaction fort mé-
diocre. Mais, au même moment où M.
Waldeck, acclamé par les centres et par
la gauche, exposait, sans même essayer
de les rajeunir, les doctrines dévelop-
pées avant lui par M. Billault, par M.
de Forcade la Roquette, par M. Baro-
che, par M. Rouher et même par M.
Fialin de Persigny, l'extrême gauche,
qu'on avait souvent vue divisée en ces
derniers temps, se retrouvait unie et
ralliée tout entière sur le terrain de la
politique radicale et libérale, pour ap-
plaudir l'éloquente protestation de M.
Clémenceau.
C'est là un fait considérable, car c'est
évidemment de ce côté de la Chambre
que se tournent les espérances de l'a-
venir. C'est de là que doivent venir les
initiatives fécondes, les grands efforts
pour lesquels la défaite même est un
gage de triomphe prochain. Aussi est-
il fort important qu'un groupe, ainsi
placé à l'avant-garde, ne fasse jamais
fausse route et qu'il ne gaspille pas ses
forces en luttes intérieures. Or, si l'on
a pu craindre un instant, pendant les
derniers mois de l'année 82, que des
hésitations fâcheuses se produisissent
de ce côté, que, tandis que la majorité
du groupe regardait l'avenir, c'est-à-
dire la liberté, quelques-uns de ses
membres acceptassent encore, au moins
peur une partie, la conception autori-
taire de M. Waldeck, après les débats
de ces jours passés, après les déclara-
tions si précises, si catégoriques de M.
Clémenceau - déclaratiou;s nue per-
sonne n'a songé à désavouer — cette
crainte n'a plus de raison d'être. L'ex-
trême gauche retrouve son unité et sa
force sur le terrain des principes, sur le
terrain de la République libérale oppo-
sée à la République autoritaire.
C'est aux mains de cette dernière que
le pouvoir va passer, cela paraît cer-
tain. C'est assez dire que le rôle de
l'extrême gauche ne peut être qu'un
rôle d'opposition. Elle n'a nullement à
s'en plaindre et il dépend d'elle de ral-
lier le pays républicain derrière les
principes qu'on veut méconnaître et
qu'on ne méconnaît jamais impuné-
ment.
A. GAULIER.
»
LA CONFÉRENCE DE LONDRES
Le pangermanisme et le panslavisme
vont se trouver une fois de plus en pré-
sence à la conférence qui doit se réunir à
Londres le 3 février — si tant est qu'elle
se réunisse ! — pour le règlement de la
question danubienne. Il s'agit de détermi-
ner le règlement du cours moyen du Da-
nube et de compléter l'œuvre du traité de
Paris. Deux projets sont en présence, d'a-
bord ce qu'on a appelé le projet Barrère,
du nom de notre délégué, adopté par la
commission européenne de Galatz, et la
contre-proposition Stourdza, que ce diplo-
mate est allé négocier à Vienne sans grand
succès, à ce qu'il paraît.
Il existe entre les deux projets des diffé-
rences bien tranchées, su double point de
vue de la compétence et du recrutement
de la commission, lundis que l'article 97
du projet Barrère soumet l'exécution des
règlements de navigation à Yautorité de la
commission mixte, le projet roumain ne
parle que de surveillance et réserve ainsi la
souveraineté des Etats riverains. La police
du fleuve serait exercée par les agents de
chaque Etat et, au lieu que les contraven-
tions soient déférées è la commission
mixte, les tribunaux des pays riverains en
connaîtraient sans annal.
Quant à la composition de la commis-
sion mixte, le projet Stourdza propose de
la former de trois délégués des Etats rive-
rains, Roumanie, Serbie et Bulgarie, et de
deux membres de la commission de Galatz
nommés pour six mois, à l'exception de la
Roumanie qui, comme riveraine, aurait
déjà voix au chapitre. Le projet Barrère
donne au contraire à l'Autriche un siège
permanent et attribue aux deux puissances
qui viennent en tête de la liste par ordre
alphabétique (!!!) c est-à-dire à l'Alle-
magne et à l'Autriche-Hongrie, une voix
prépondérante pendant deux semestres. Si
l'on réfléchit que c'est justement pendant
la première année qu'on procèdera à la
rédaction du règlement et au recrutement
du personnel chargé de l'appliquer, on
comprend aussitôt l'empressement avec
lequel le projet Barrère a été accueilli à
Vienne et à Berlin.
0 chinoiseries internationales ! Comme
M. de Bismarck doit se féliciter aujour-
d'hui que la diplomatie parle français!
Supposez que l'allemand soit la langue
de la conférence, l'Allemagne qui s'appel-
lerait Deutschland et l'Autriche qui s'ap-
pellerait Oesterreick ne viendraient plus en
tête de la liste et céderaient la place à la
Bulgarie, c'est-à-dire à la Russie ; il fau-
drait s'aviser d'un autre détour.
La vérité est que, si nous avons pu
rêver à certaines époques de faire de la
Méditerranée un lac français, le Danube
est en train de devenir un fleuve allemand.
Cela regarde avant tout la Russie, mais
n'est-il pas étrange de voir au bas du pro-
jet Qui sanctionne cette prise de posses-
sion un nom français?"
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
LA GRÈVE DE LIMOGES
(Correspondance spéciale du Rappel)
Limoges, 28 janvier.
6 Les journaux de Paris qui se sont occu-
pés de la grève des ouvriers porcelainiers
de Limoges en ont parlé, pour la plupart,
sans connaître suffisamment les faits. Au
moment où cette grève jette sur le pavé
4,000 ouvriers environ et réduit à la mi-
sère 40,000 personnes; au moment où
l'industrie principale de la contrée semble
compromise, il peut être utile de remonter
à la source même du conflit et d'en ra-
conter les différentes phases.
C'est ce que nous nous proposons de
faire aujourd'hui. Nous nous efforcerons
d'être impartial, nous éviterons même de
prendre parti en nous bornant simplement
à faire connaître les griefs que les patrons
et les ouvriers croient-avoir les uns contre
les autres. Les contradictions, on le verra,
sont nombreuses et portent, pour la plu-
part, sur des questions de fait matériel
sur lesquels il eût été bien facile de faire
la lumière avec un peu de bonne volonté
de part et d'autre.
L'origine de la grève remonte au mois
de mai 1882. A cette époque les ouvriers
tourneurs de soucoupes, réunis en syndi-
cat, élaborèrent un tarif unifié qu'ils pré-
sentèrent successivement à la signature
de leurs patrons. Aux termes de ce nou-
veau tarif, le même article, exécuté dans
des conditions identiques, devait être payé
le même prix dans les différentes fabri-
ques. Dix-huit patrons acceptèrent ces
conditions. Plus tard, au mois de décem-
bre, lorsque les commandes se ralentirent,
que la morte-saison fut arrivée, les patrons
revinrent sur les concessions consenties
par eux et opposèrent à leur tour au tarif
des ouvriers un tarif inférieur élaboré par
leur propre chambre syndicale.
Pour justifier ce retrait de la parole
donnée, les patrons prétendent, il est
vrai,
donnée, qu'ils avaient continuellement à su-
bir des prétentions nouvelles de la part des
ouvriers ; que ceux-ci, mis en goût par
leurs premiers succès, accentuaient cha-
que jour leurs exigences. Cela, les ou-
vriers le nient formellement ; ils affirment
n'avoir jamais apporté une modification
quelconque au tarif commun, élaboré par
eux au mois de mai dernier. Qui a raison ?
il serait facile de le savoir si chacun vou-
lait bien donner des preuves de ce qu'il
avance.
Le nouveau tarif présenté par les pa-
trons, sans être aussi avantageux pour
l'ouvrier que le tarif du mois de mai, con-
stituait cependant, au dire des patrons,
une amélioration de 12 pour 100 sur les
prix des tarifs antérieurs. Les ouvriers,
eux, prétendent que ce tarif des patrons
les ramène de dix ans au moins en arrière,
qu'il fait revivre des prix que l'on ne
payait plus depuis des années. Encore une
question de chiffres sur laquelle il serait
facile de savoir qui a raison ou tort.
Les tourneurs de soucoupes, refusant le
travail aux nouvelles conditions imposées
par les patrons, quittèrent les fabriques.
Les patrons ayant besoin de soucoupes,
voulurent imposer à leurs tourneurs d'as-
siettes de tourner des soucoupes. Ceux-ci
ayant refusé, sous le prétexte que, le tra-
vail n'étant pas le même, ils auraient be-
soin pour s'y habituer d'un long appren-
tissage pendant lequel ils ne gagneraient
pas leur vie, les patrons les renvoyèrent.
N'ayant plus de soucoupes ni d'assiettes,
les patrons prétendirent n'avoir plus be.
soin d'ouvriers d'aucune sorte et fer.
mèrent pour la plupart leurs fabriques.
A cela les ouvriers répondent par
l'exemple de la grande maison Haviland
qui a conservé tout son personnel bfen
que les tourneurs de soucoupes l'aient
quittée. D'après eux, les patrons n'auraient
eu qu'un but en fermant leurs manufac-
tures : mettre le plus de monde possible
sur le pavé pour-affamer les grévistes et
les réduire à merci. Si tel était réellement
leur but, ils l'ont atteint, car à l'heure
actuelle on peut sans exagération estimer
à quarante mille le nombre des personnes
qui souffrent directement de la crise, sans
parler bien entendu du commerce en
général qui est aux abois.
Telle est la situation à Limoges. Au lieu
de s'améliorer, elle empire chaque jour.
Les uns tiennent pour la grève, les autres
contre; chacun répète ce qu'il entend dire,
et oe que l'on dit le plus, ce sont des
énormités. Ainsi, nous avons entendu te-
nir ce langage : « Quel intérêt voulez-vous
que nous inspirent ces tourneurs de sou-
coupes qui sont, en somme, les ouvriers
les plus heureux de toute la porcelaine,
puisqu'ils peuvent se faire facilement 8 et
10 francs par jour? » ,
Encore un point sur lequel il fallait faire
la lumière. Les ouvriers prétendent que
le meilleur tourneur de soucoupes ne peut
guère faire plus de 200 soucoupes par
jour, soit à 2 fr. 50, 5 fr., et, si l'on en dé-
duit les chances de casse, de fente, les
50 c. au batteur de pâte, la lumière, etc.,
cela revient à 4 fr. 25 par jour. En somme,
c'est une journée passable. Mais à côté du
bon ouvrier qui se fait cette somme, com-
bien y en a-t-il qui ne gagnent que 30 et
40 sous? La moyenne-est, d'après eux, de
2 fr. 50 au plus.
Encore là, de quel côté est la vérité t
Les patrons seuls peuvent le dire, leurs
livres en mains. Nous en avons vu, de ces
livres, et nous reconnaissons en effet que
feuilleton du RAPPEL
su 30 JANVIER
89
LA PATTE
TROISIÈME PARTIE
XXVI
'Paulette était restée dans les bras de
ion père, éplorée, et illa serrait contre lui,
comme s'il avait peur qu'elle voulût re-
joindre sa mère ; il ne la lâcha que lors-
gu' Alice eut disparu.
: Alors, l'embrassant avec effusion lon-
guement, à plusieurs reprises :
— Pauvre enfant, dit-il, quelle douleur
pour toi ! Que n'ai-je pu te l'éviter ? J'au-
rais tant voulu que tu ne fusses pas victi-
me de la même fatalité que moi. J'ai souf-
fert par mon père, toi tu souffres par.ta
mère.
Traduftfon interdite. — Reproduction auto-
risée pour les journaux qui ont un traité avec
,a Société des gens de lettres, mais seulement
MM la fin de la publication en feuilletonj
aans le Bappel. j
$oir k RaPVffdQUoctobrea\t fco janvier. I
Elle ne répondit pas; alors, relevant les
yeux sur elle, il la regarda :
— Et cruellement ! s'écria-t-il, en voyant
son visage convulsé. Ah ! pauvre enfant,
pauvre enfant l Mais que pouvais-je? Je te
jure que je n'ai pas pensé à moi. Je n'ai
pensé qu'à toi. Ne fallait-il pas te sauver ?
Je n'avais pas le choix des moyens, je n'ai
vu que celui-là, je l'ai pris.
Il s'arrêta, attendant une réponse ; mais
elle ne lui en fit une qu'en l'embrassant.
- Ma mère m'a tant aimé, dit-il ; elle a
été si bonne, si tendre pour moi qu'elle
m'a fait oublier bien souvent que je n'a-
vais pas de père ; je tâcherai d'être pour
toi ce qu'elle a été pour moi et de te faire
oublier aussi que tu n'as pas de mère ; tu
verras, tu verras 1
— Et que veux-tu donc que je voie ?
Peux-tu être meilleur que tu ne l'as été?
peux-tu être plus tendre que tu ne l'es ?
Ce fut pour lui une délivrance, car s'il
avait voulu que Paulette fût juge entre le
mari et la femme, c'était le père mainte-
nant qui attendait anxieusement le juge-
ment de sa fille. Le condamnait-elle, lu i
donnait-elle raison ? Ce mot le relevait.
— Tendre! s'écria-t-il, oui, je suis aussi
tendre, aussi passionné pour toi qu'un
père peut l'être, mais juste, je ne l'ai pas
été, et c'est là mon tort envers toi, c'est
là mon remords que je dois expier.
Ôhl père t
- Oui, chère fille. Et voilà ce qu'il y a
de grand dans la paternité, c'est que l'en-
fant, à chaque pas dans la vie, est le juge
du père et de la mère. Laissons la mère.
Mais pour le père, il a à expier, et il
l'avoue.
- Je t"en prie, ne dis pas cela.
- Je dois le dire, et je le dis. Non, mon
enfant, je n'ai pas été, en ces derniers
temps, ce que j'aurais dû être avec toi.
Par faiblesse, par tendresse j'ai été cou-
pable.
Elle voulut avec les mains lui fermer la
bouche, mais il continua :
— Laisse-moi parler. quand j'en aile
courage,, laisse-moi m'y engager pour
qu'il ne me soit plus possible de revenir
sur môn engagemeat. Le samedi où tu es
revenue de la campagne avec Badiche,
Rambure dans la visite qu'il m'avait faite
en votre absence, cette visite qui t'avait si
fort intriguée.
Il entassait les mots comme si cela
devait lui faciliter ce qu'il avait à dire.
-. Dans cette visite Rambure m'avait
demandé ta main.
Elle se cacha dans le cou de son père.
— Avant de répondre à cette demande
qui m'avait jeté dans une surprise ex-
trême, car je n'admettais pas que tu ne
fusses pas toujours une petite fille, je de-
vais savoir quels étaient tes sentiments
envers Rambure, si tu l'aimais ou si tu ne
l'aimais pas; car, en si haute estime que je
le tienne, c'était là pour moi le point es-
sentiel. Mais je n'ai pas osé t'interroger.
J'ai commencé cet interrogatoire, je ne l'ai
pas poussé jusqu'au bout. Et c'est là qu'a
été ma faute}» mon enfant. C'est là que
je n'ai pas été un bon père. Car ce qui
m'a retenu ç'a été la crainte de te perdre.
Quand on est bon père on n'aime pas ses
enfants pour soi, on les aime pour eux ;
on ne pense pas à sa propre tendresse, à
sa propre souffrance, on pense à leur
bonheur. Mais ce que je n'ai pas été, ma
mignonne, je veux l'être, et la question
que je n'ai pas osé te poser, je te l'adresse
maintenant franchement, en te disant à
l'avance que. si tu aimes Rambure et si tu
le veux pour mari, il est à toi, je te le
donne.
Elle se jeta dans ses bras :
— Je serais si heureuse 1 murmura-t-èlle
d'une voix que l'émotion brisait.
Il ne broncha pas : -
— Eh bien, quand il viendra tantôt, je
lui dirai que tu seras sa femme dans deux
mois.
- Oh ! si tu voulais.
- Quoi donc? N'est-ce pas assez ? Que
veux-tu dons?
— Tu es le meilleur des pères, et je n'ai
à te demander qu'une grâce quine te sera
pas un chagrin. Il n'y a pas qu'à dire
à M. Rambure que je serai sa femme, il y
a un contrat à faire avec lui, notre contrât
de mariage. Et tu ne peux pas, toi, lui en
poser les conditions.
— Quelles conditions?
— S'il t'en coûtait de me marier, c'était
pour que nous ne fussions pas séparés;
eh bien, pas plus que toi je ne veux cette
séparation. Mais cela tu ne peux pas l'exi- j
ger, tandis que moi, je peux le demander;
c'est ce que j'appelle les conditions de
notre contrat, et il ne les refusera pas.
— C'est chose grave, mon enfant.
— Comme tu es jeune, papa ! dit-elle en
souriant, si je parle ainsi c'est que je suis
sûre de lui.
— Te l'a-t-il promis?
— Cela c'est encore plus jeune. Il ne
m'a rien promis, et il ne m'a rien dit.
Mais est-il donc besoin qu'il parle pour
que je sache ce qu'il pense sur cela. et
sur bien d'autres choses encore. Ça voit
clair, les petites filles, et ça voit loin. J'ai
donc vu. et, pour ne parler que de cela,
j'ai vu qu'il serait heureux de vivre près
de toi, d'abord parce qu'il t'aime. pres-
que autant qu'il m'aime; ensuite parce
qu'il n'a pas de parents ; enfin parce qu'il
sera heureux de faire ce qui me rendra
heureuse.
En ce moment Badiche rentra. En quel-
ques mots Cintrât lui raconta ce qui s'é-
tait passé : la visite d'Alice, ses préten-
tions, ses exigences, ses menaces; et
Badiche en fut si bouleversé que, selon
son expression favorite, il fut sur le point
« de se fiche les quatre fers en l'air ». Il
ne fallut pas moins que l'annonce du ma-
riage de Paulette pour le remettre sur ses
jambes.
— Sauvés 1 s'écria-t-il.
Et il embrassa Paulette, il embrassa
Cintrât, il embrassa Barbouillou qui, le
voyant dans cette exaltation de joie, s'é-
tait jeté sur lui pour le caresser.
— Sera-t-il heureux cet animal-là d'à-
voir des marmots qui le tourmenteront,
et moi donc, et toi, Cintrât; nous rajeuni-
rons de vingt ans.
A deux heures Rambure arriva comme
tous les jours. Si Cintrat se conforma à
la recommandation de Paulette de ne rien
dire, il ne put. pas s'empêcher de regarder,
mais autant qu'il put à la dérobée, com-
ment les choses se passaient : c'était le
bonheur de ses dernières années qui se
décidait.
Rambure s'était installé auprès de Pau.
létte à sa place habituelle, et ils s'étaient
mis à causer à mi-voix, tandis que Cin-
trât et Badiche s'entretenaient, bu plu&V's«
tement tandis que Badiche parlait tout seul.,
Si encore Cintrat avait pu voir le visage
de Rambure; mais, justement, celui-ci
lui tournait le dos.
Au bout d'un certain temps, qui lui
parut terriblement long, Paulette se leva
vivement, le visage rayonnant, toute fré-
missante de joie, et prenant Rambure par
la main :
— Père, s'écria-t-elle, nous ne nous
quitterons jamais.
— Mlle Paulette a été au-devant de mon
désir le plus vif, dit Rambure
— Et pourquoi ne me l'avez-vous pas
dit, ce désir? s'écria Cintrât.
— Pouvais-je me permettre une pareille
proposition?
HKGTOR MALOT
(A 8ittvri.\
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