Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-12-31
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 31 décembre 1883 31 décembre 1883
Description : 1883/12/31 (N5043). 1883/12/31 (N5043).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540537g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/11/2012
Nil 5043 — Lundi 31 Décembre 1883 Le mimaro : lOe. - Départements 2 IN c. Il Nivôse an 92 - No 5043
ADMINISTRATION
Î8, :RUE DE VALOIS. V1
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PARIS
Î5roisiooïs. 10 w
Sismois,20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Six mois 22 u
Aïresseï- lciires et mauvais :
A M. ERNEST LEEÈVRE -
iADMEmSTRAIEm GÉEAKî
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RÉDACTION"
S'adresser au. Secrétaire 3e la RéSâtiioa,
De it à 6 heures du soir
48, BEE DE VALOIS, 18
Xcs manuscrits non insérés ne seront p as reSL^BS
ANNONCES
anr. Cil. IAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
ÉCHANGE i~ f~MOM~C
Ça devient de plus en plus drôle. On
sait la bataille homérique qui s'est en-
gagée entre jérômistes et victoriens
autour d'une note publiée par le Pays et
par le Petit Caporal. Dans cette note, le
prince Victor autorisait les deux jour-
naux à déclarer que la lettre où il avait
écrit qu'il n'avait pas de rôle politique
à jouer et qu'on l'offensait en le met-
tant en compétilion avec son père,
signifiait qu'il avait un rôle politique
à jouer et qu'en le mettant en compé-
tition avec son père on lui faisait plai-
sir. Ce démenti que le fils se donnait à
lui-même fut démenti par les partisans
du père. Les partisans du fils ayant in-
sisté, il fut démenti par le fils en per-
sonne. Le prince Victor écrivit une
seconde lettre dans laquelle il affirma
n'avoir donné mandat à qui que ce
fût et désavoua carrément la note qui
« lui attribuait un rôle aussi odieux vis-
à-vis de son père que peu honorable
devant son pays ».
Quoi : les victoriens avaient donc dit
le contraire delà vérité? Ils n'acceptèrent
pas un démenti de leur prince. M. Paul
de Cassagnac répondit qu' « il n'avait
publié la note qu'avec l'adhésion per-
sonnelle, l'autorisation formelle et après
les corrections préalables du prince
Victor Napoléon ». M. Henry Dichard
précisa les faits : « Le premier projet
de note a été rédigé par moi, puis porté
à M. de Cassagnac, qui l'a, de concert
avec M. Georges Amigues et une tierce
personne qu'il est inutile de nommer
ici, modifié et augmenté dans sa partie
finale; le projet a été ensuite soumis au
prince Victor, qui y a fait quelques
changements et en a autorisé lapublica-
cation». M. Georges Amigues ne fut
pas moins net : «J'ai dit, et je le main-
tiens, avoir mandat du prince Victor.
11 ne saurait convenir à ma dignité de
rester sous le coup d'une accusation de
mensonge, de si haut qu'elle puisse par-
tir. » Et M. Amigues offrait la preuve.
Et ce n'aura pas été un des moins amu-
sants épisodes de la chose, les victo-
riens appliquant ce triple démenti à
leur Victor.
Une chose également amusante, c'est
que ce furent les jérômistes qui défen-
dirent le Victor des autres. — Le prince
Victor a dit vrai ! imprima M. Pascal.
Il n'a pas donné mandat à M. Georges
Amigues. Il n'a pas corrigé, il n'a pas
autorisé la note du Petit Caporal- et du
Pays. «Montrez nous cette autorisation,
montrez-nous ces corrections, une ligne,
un mot, nous vous en défions ! » Et M.
Pascal ne se priva pas d'ajouter que les
victoriens traitaient étrangement leur
propre. prétendant : « Je n'ai pas
de rôle politique à remplir, a dit le
prince Victor, et au même moment oq
se dit autorisé à jeter dans le public un
programme politique qui est le démenti
brutal donné à sa déclaration. Ne
voyez-vous pas que, si la faction a dit
vrai, le prince a menti? Il a menti à son
père. Il a menti à son pays. » Evidem-
ment. Mais si le prince avait dit vrai.1
c'était la faction qui. — La faction
prit mal cette alternative.
M. Paul de Cassagnac répondit que
« l'original même de la note, revu,
corrigé de la main du prince, était en
sa possession et y avait toujours été »,
et il ajouta que, si M. Pascal doutait de
sa parole, ce ne serait plus avec la
plume qu'il discuterait. Et hier matin
encore, M. Henry Dichard adressait à
M. Pascal cette réponse courtoise :
« M. Pascal a la prétention d'enfermer
les victoriens dans ce dilemme : ou
vous mentez, ou c'est le prince Victor
qui ment. Tout beau, monsieur Pascal,
vous oubliez un troisième terme, à sa-
voir que M. Pascal et ses acolytes pour-
raient bien avoir menti, et c'est ce qui
semble le plus probable. »
L'affaire en était là, quand, à l'heure
même où le Petit Caporal publiait ces
lignes, le Figaro a publié cette lettre du
prince Victor :
&
« Moncalieri, 21 décembre {883.
» Mon cher papa,
» J'ai reçu votre lettre ce matin ; je
tiens à y répondre par la poste pour
éviter toute fausse interprétation de ce
que je pourrais dire. Je réponds à vos
trois questions :
» — As-tu signé un papier quelcon-
que ? - ivoîz.
» — As-tu corrigé de ta main la note
que tu connais? — Non.
» — Y a-t-il un mot de ton écriture?
— Non.»
Diable ! mais que devient l'assertion
de M. Henry Dichard que c'est M. Pas-
cal qui a menti? Que devient l'affirma-
tion de M. Paul de Cassagnac qu'il a en
sa possession la note corrigée de la
main du prince ? Que devient la preuve
offerte par M. Georges Amigues?
La sincérité de MM." Georges Ami-
gues; Paul de Cassageac et Henry Di-
chard est hors de cause. Il est évident
qu'ils n'auraient pas affirmé publique-
ment et à plusieurs reprises une chose
à laquelle ils n'auraient pas cru. On ne
peut pas admettre davantage que le
prince Victor ait nié publiquement une
chose dont MM. de Cassagnac, Ami-
gues et Dichard auraient la preuve
entre les mains, pourquoi ? pour of-
fenser et déconsidérer ses seuls parti-
sans. Cependant, le prince Victor ne
peut pas avoir donné mandat et ne
l'avoir pas donné, avoir autorisé la note
et ne l'avoir pas autorisée,, avoir fait
les corrections et ne les avoir pas faites.
Quel est donc ce mystère? Une fée
jérômiste a-t-elle fait boire au prince
Victor un philtre qui lui a fait oublier
sa collaboration à la note? Un enchan-
teur victorien la lui a-t-il fait autoriser
et corriger sans qu'il eneûtconscience ?
Nous sommes dans un temps où l'on
croit difficilement aux fées, et les vic-
toriens n'ont jusqu'à présent enchanté
personne. Ce n'est ni par une féerie ni
par un enchantement que la plupart des
gens expliqueront le mystère de la note,
c'est par une mystification. On se dira
généralement qu'un intermédiaire far-
ceur a, comme on dit vulgairement,
mis dedans le Petit Caporal et le Pays
et leur a fait prendre pour des correc-
tions de la main du prince des correc-
tions de sa main à lui.
« Le débat est clos », dit le Figaro
en publiant la troisième lettre du petit
prince. Nous espérons que non, et que
les victoriens vont redire de la troi-
sième lettre ce qu'ils ont dit de la se-
conde, que leur prince ment effronté-
ment.
N'importe, les voilà lâchés par leur
prétendant, et sans équivoque cette
fois. Il est triste, disent les Feuilles
d'automne, de voir le printemps sans
fleurs, la ruche sans abeilles et la mai-
son sans enfants; mais il est gai de voir
les victoriens sans victor.
AUGUSTE VACQUBRIB.
■— ■■■!!■! ■ ■ —■ 1
A LA CHAMBRE
La session est close. Grâce à une tac-
tique trop familière à M. le président
du conseil, cette dernière séance a été
tumultueuse;.. mais ce n'est pas du ta-
page qu'il a provoqué, c'est de la pe-
tite comédie qu'il a jouée devant la
Chambre que nous voulons nous occu-
per. Essayons d'en indiquer la mise en
scène.
Il s'agissait, on le sait, de statuer sur
le budget, revenant du Sénat, avec
quelques amendements favorables aux
prétentions cléricales. Le Sénat, en ef-
fet, ne retrouve son énergie que pour
s'opposer aux réformes, surtout aux
réformes qui entament les intérêts du
clergé. S'opposer aux aventures loin-
taines, il n'y pense pas. Se fâcher con-
tre ceux qui lui donnent, le 26 décem-
bre, un budget qui doit être voté le 29,
ce n'est pas dans son caractère, car le
Sénat est docile. Seulement, il n'oublie
pas de faire payer cette docilité par une
somme plus ou moins forte, qu'il oblige
le Trésor à verser au clergé. Là-dessus,
c.Liusîlll; à ;prÚsent, le Sénat est intrai-
table.
Celte situation étant donnée, que fe-
rait un ministre républicain soucienx
des droits de la Chambre? Il ne songe-
rait pas à imposer à celle-ci une pali-
nodie. Il chercherait à peser sur le
Sénat, à lui faire comprendre qu'il
brave l'opinion publique, que le terme
approche où, de gré ou de force, il fau-
dra que le Congrès se réunisse pour
réélire M. Grévy ou son successeur, et
que, sous la pression d'un courant
irrésistible, le Congrès pourrait bien
décider qu'il vaut mieux supprimer le
Sénat que de déménager le musée du
Luxembourg.
M. Jules Ferry procède autrement.
Ce n'est pas le parti de la Chambre qu'il
prend contre le Sénat, c'est le parti du
Sénat qu'il prend contre la Chambre.
M. Jules Ferry fait mieux. Connaissant
les sympathies ardentes du Sénat pour
tout ce qui touche au clergé, il affirme
aux hôtes du Luxembourg qu'ils ont, à
cette heure, des droits égaux à ceux de
la Chambre en matière de budget et il
leur fait comprendre que, pour leur en-
lever ces prétendus droits, il faut la
revision, le Congrès, c'est-à-dire leur
bonne volonté.
Puis, se retournant vers la Chambre,
M. Ferry lui dit : Ne chicanez pas le
Sénat à propos de ces prétentions bud-
gétaires, autrement il ne consentirait
jamais à venir au Congrès et il n'y
aurait pas moyen de faire la revision.
Comme si, une fois prévenu qu'on tient
pour valables ses prétentions, préten-
tions dont il use pour augmenter le
traitement des évêques, le Sénat allait
être assez sot pour sortir de la forte-
resse élevée, à son profit, contre la
Chambre et contre la Constitution par
un ministre républicain !
Le comble, c'est que la majorité, qui
continue à voter pour les ministres,
tout en les accueillant fort mal, a paru
croire qu'en sacrifiant ses droits, elle
avançait l'heure de la revision. C'est
tout le contraire, et on peut dire que
M. Jules Ferry, en abaissant les élus
du suffrage universel devant une as-
semblée qui ne représente rien ou à
peu près, a indiqué à celle-ci la voie
qu'elle devait suivre pour braver quel-
que temps encore, avec impunité, la
volonté nationale et le bon sens public.
Nous disons quelque temps encore, car,
ainsi que nous l'avons toujours sou-
tenu, au terme du mandat de M. Grévy,
il faudra bien compter avec le Congrès,
forcément réuni et nécessairement sou-
verain.
On voit que si, au lieu d'interrup-
tions tumultueuses, toujours regretta-
bles, mais que M-. Jules Ferry a provo-
quées à dessein, on avait pris la peine
de répondre à M. le président du con-
seil, il eût été facile de déjouer ses pe-
tites combinaisons et de montrer avec
évidence que ses engagements en fa-
veur de la revision étaient absolument
illusoires. Jugeant un peu les autres
d'après lui-même et pensant sans doute
au fameux programme des destructions
nécessaires M. Jules Ferry avait parié
de ceux qui réclamaient la revision
sans sincérité, qui la réclamaient pour
ne pas l'obtenir. N"'aurait-on pas pu lui
répondre en mettant à nu son procédé,
en lui démontrant qu'il n'avait agité,
Uninstant; le drapeau révisionniste que
pour rappeler au Sénat combien ses
sympathies cléricales pourraient souf-
frir" de cette réforme et pour le mettre,
une fois de plus, en garde contre ks
conséquences possibles de la réunion
du Congrès?
Au reste, aussi bien dans cette ques-
tion que dans les autres, et, comme le
disait l'autre jour M. Clémenceau, il n'y
a plus de dupes que ceux qui veulent
être trompés. Les députés qui ont ainsi
abaissé les droits de la Chambre en ac-
ceptant les iimendements cléricaux du
Sénat, diront qu'ils ont agi de la sorte
pour ne pas compromettre la revision.
Les députés qui ont donné, il y a huit
jours, un blanc-seing pour la guerre,
diront qu'ils ont voté ainsi par amour
de la paix. Le suffrage universel fera
un cas égal de ces excuses de même
valeur.
A. GAULIER.
- ..-
- COULISSES DES CHAMBRES
La session extraordinaire de 1883 a été
close hier soir, par décret présidentiel.
Ouverte le 23 octobre dernier, elle a com-
pris quarante-cinq séances. L'œuvre prin-
cipale de cette session a été la discussion
des affaires du Tonkin et celle du budget
de 1884 pour l'a Chambre, celle des con-
ventions de chemins de fer pour le Sénat.
La session ordinaire de 1884 s'ouvrira
de plein droit, sans décret préalable, le
second mardi de janvier, c'est-à-dire le
8 janvier prochain. Mais la session effec-
tive ne commencera, suivant l'usage, que
quelques jours après, lorsque les Chambres
auront procédé à la réélection de leurs
bureaux respectifs..
-0-
M; Clovis Hugues a été frappé de la peine
de la censure avec exclusion temporaire, à
la suite du vif incident qui a marqué la
séance d'hier à la Chambre. Aux termes
du règlement intérieur de la Chambre,
cette peine emporte comme conséquence
« l'interdiction de prendre part aux tra-
vaux de la Chambre et de reparaître dans
le palais législatif jusqu'à l'expiration du
jour de la quinzième séance qui suivra
celle où la mesure aura été prononcée. »
En outre, la censure avec exclusion
temporaire emporte de droit la privation
de moitié de l'indemnité pendant deux
mois, ainsi que l'impression ef l'affichage
à 200 exemplaires, aux frais du député,
de l'extrait du procès-verbal mentionnant
la censure. Les affiches seront apposées
d;I)B toutes les communes de la circons-
cription.
La question se posait, mer, ae savoir si
la peine disciplinaire dont a été frappé
M. Clovis Hugues, et qui a été prononcée
au cours de la session extraordinaire de
1883, pouvait continuer à produire ses
effets pendant la session ordinaire de
1884. Le président, consulté, a interprété
le règlement dans le sens affirmatif. Par
suite, M. Clovis Hugues ne pourra pas re-
venir siéger avant la fin du mois de jan-
vier. Du 8 au 31 janvier, si l'on défalque
1 s mercredis, vendredis et dimanches,
jours auxquels la Chambre ne siège pas,
il reste quatorze séances M. Clovis Hugues
ne pourra donc reprendre sa place au pa-
lais Bourbon qu'à la deuxième séance de
février, c'est-à-dire le 4 février prochain.
Oa verra, par le compte-rendu de la
séance d'hier, que M. Jules Ferry a déclaré
à la Chambre que le gouvernement ne de-
manderait plus de crédits pour entretenir
de nouvelle- bourses dans les séminaires.
Le crédit rétabli hier par la Chambre, à la
suite du Sénat ne servira qu'à entretenir
les boursiers jusqu'à la fin de leurs études.
La durée de ces dernières étant de trois
ans, c'est le budget de 1885 qui contiendra
le der; ier crédit de ce chef.
Le gouvernement va présenter soit par
voie de projet de loi distinct, soit par voie
d'amendement au projet Paul Bert sur le
Concordat, u;, système qui permettra aux
séminaires de se subventionner mutuelle-
ment, et à l'Etat de supprimer le concours
pécuniaire qu'il a accordé jusqu'à ce jour
à ces établissements.
Ces séminaires possèdent, on le sait, *
une personnalité civile et des biens parti-
culiers ; mais il leur est interdit de faire
servir les biens de 1 un à l'entretien de
l'autre. Le projet qu'élabore le gouverne-
ment aurait pour but de supprimer ces
délimitations et de créer une caisse com-
mune où les séminaires les plus riches
verseraient leurs excédents de ressources
de manière à ce qu'ils pussent être mis à
profit par les séminaires les plus pauvres.
De la sorte, l'Etat n'aura pas à inter-
venir.
Des diverses questions qui devaient être
posées au gouvernement dans la journée
d'hier, une seule, celle de M. de Janzé, sur
le monopole des allumettes, a pu être
débattue. Les autres ont été renvoyées au
mois de janvier. Outre celles que nous
avons énumérées ces jours derniers, M.
Clovis Hugues devait en poser une au mi-
nistre de la marine au sujet de la grève
des chauffeurs et matelots du port de
Marseille. L'amiral Peyron avait accepté de
répondre immédiatement. Mais la - peine
disciplinaire qui a atteint M. Clovis Hu-
gues, a empêché le député des Bouches-
du-Rhône de donner suite à son projet.
Quant à la question du monopole des
allumettes, on verra, par le compte-rendu
de la séance, que M. Labuze, sous-seôré-
taire d'Etat aux finances, a répondu que
le gouvernement comptait user de la fa-
culté de dénonciation qu'il possède jus-
qu'au 31 décembre prochain c'est-à-dire
pendant deux jours encore, mais avec la
pensée de conclure un nouveau traité.
Nous pouvons ajouter, ce que le repré-
sentant du ministre des finances n'a pas
dit, qu'il s'agit d'imposer à la compagnie
concessionnaire de nouvelles conditions
plus avantageuses pour l'Etat. Le gouver^
nement réclame soit une augmentation
de la redevance que la compagnie paye
annuellement à l'Etat, soit une part dans
les bénéfices au delà d'un certain chiffre.
Ce traité devra d'ailleurs être soumià
la ratification des Chambres.
♦
L'ARBITRAGE
On lit dans les journaux de droite qu'ail
certain nombre d'habitants de Lille, mé-
contents de la justice officielle, viennent
d'en créer une autre pour leur usage per-
sonnel. Ils se sont engagés à porter devant
cette Thémis facultative, sinon gratuife-
toutes leurs querelles et contestations, eî
déjà on nous annonce que d'importantes,
affaires financières et commerciales sont
sur le point d'être soumises à ses déliai
rations.
Encore que cet essai soit fait par des
adversaires politiques, nous nous en vau-
drions de le laisser passer inaperçu, Cac
nous estimons que la véritable solution au
problème de l'organisation judiciaire dans
une démocratie n'est ni le remplacement
d'un personnel par un autre, ni même le
jury civil, mais la dislocation graduée du
corps judiciaire et la substitution de l'air
bitrage volontaire à la justice imposée-.
« Devant le tribunal arbitral, dit jU$
tement un journal parisien, plus de
frais d'avoués, plus de paperasserie juri-
dique, plus de lenteurs frisant le déni de
justice. Les procès sont tranchés rapide-
ment, selon l'équité, sans que les gens de
loi aient la possibilité de s'abriter derrière
de mauvaises exceptions de procédure,
sans que le papier timbré absorbe les c £ t<.
pitaux, ne laissant aux malheureux plai-
deurs que les écailles de l'huître. OU);"
c'est bien là le tribunal de l'avenir. »
Nous partageons cette opinion ; lia >
malheur est qu'entre l'arbitrage et ce qtfoa
tente à Lille, il n'y a qu'une similitude cfe
noms.
Sous la -diversité de ses formes, TarBîi
trage revient à ceci : deux citoyens ont
une contestation; tant pour éviter les frais
de procédure que pour avoir une solution
expéditive, ils conviennent de nommer cha-
cun un expert; les deux experts en nomment
un troisième pour les départager. Mais if
va de soi que ce jury peut varier avec les
affaires, que ces experts ou arbitres sont':
de simples jurisconsultes qui ne tiennent
pas boutique et qui n'ont de pouvoirs que
ceux que nous leur conférons et pour le
cas où nous les leur conférons. Le nou-
veau tribunal de Lille est tout autre
chose; c'est une cour comme les aU":':'
très, avec cette seule différence que Içs;
juges, au lieu d'être nommés par le
garde des sceaux, se sont nommés eux-
mêmes, qu'ils siègent en redingote gurt.,
lieu de porter la toge, et que leurs jU-t
gements ne sont exécutoires que pour
ceux qui voudront bien les laisser exécu-
ter. C'est une magistrature honoraire pour
de rire, qui est à la vraie magistrature ce
que la petite guerre est à la grande, ce
que le Conservatoire est au Théâtre-Fran..
çais ou à l'Opéra, ce que la conférence
Tocqueville est au Parlement.
Ce n'est pas même une magistrature
d'amateurs ou d'élèves; c'est une magis-
trature de refusés. Jetez, s'il vous plaît,
un coup d'oeil sur la composition de cette
Chambre : tous magistrats démissionnaires
Penilleton du RAPPEL
DU 31 DÉCEMBRE
82
LA
GOUTTE DE SANG
L'INSTITUTRICE
IX (suite)
Mical, tenu de près, surveillé tout le
jour, forcé de prolonger sa fièvre factice
pour triompher des défiances du docteur,
n'avait de répit qu'aux heures de nuit où
il se retrouvait enfin bien seul, les portes
closes, avec Sicaire. Et tout d'abord il se
fit i'elïet du renard pris à son propre
piège. Mais cette contrainte le servit, car
il s'observa davantage et joua mieux son
rôle. Si bien que le bon docteur trouva en
conscience le nom spécial de la fièvre qui
le dévorait, et, l'ayant défini et classé, ne
douta plus de la réalité du mal.
Le vicomte n'avait jamais vu Laguio-
Reproduction interdite.
Voir le Jiappe', àu'43 septembre m 30 déeCffiÈrft
nie avant qu'il se présentât au chevet de
son lit; mais, depuis longtemps, il savait,
par la correspondance des Sicaire, sa
grande influence sur le comte et ses assi-
duités au chêteau. Or, dès sa première
visite, il l'avait vu hostile et défiant, il
comprit donc qu'il était important, sinon
de le conquérir, au moins de le neutra-
liser.
Et, il se fit si souple, si docile aux in-
jonctions, si reconnaissant des soins don-
nés, il sut mettre tant de sincérité dans le
récit des souffrances éprouvées, attacher
un :i haut prix au moindre soulagement
qu'il disait éprouver, en l'attribuant à la
science du médecin, que, malgré ses pré-
ventions, Laguionie se laissa prendre d'in-
térêt pour ce malade plein de déférence.
D'ailleurs, ce n'était pas là un simple jeu,
les premiers symptômes avaient persisté :
fièvre intense, pouls désordonné, faiblesse
extrême, sueurs abondantes, hallucina-
tions passagères, et spasmes suffocants à
certaines heures du jour. Comment, après
de telles constatations plusieurs fois re-
nouvelées, conserver ses premiers soup-
çons ?
Mical, au bout de huit jours, littérale-
ment épuisé par ce régime et l'effet de sa
drogue, sentit le moment venu de laisser
triompher le docteur. Jusqu'à ce moment,
il avait feint de ne pas se rendre compte
de ce qui se passait autour de lui et d'i-
gnorer où il était. Sa fièvre eut des inter-
mittences, et la connaissance lui revint.
SientOA jjt en Tint aux questions, et, com-
me s'il n'eût eu confiance qu'aux paroles
du docteur, c'est lui qu'ij interrogea de
préférence. Quand il l'eut amené à lui dire
qu'il était à Phalaris, il joua si bien l'é-
pouvante et fit si bien mine de vouloir
sortir du lit pour se sauver que le docteur
s'empressa de le contenir et de l'apaiser.
Alors, le souvenir lui revint, et, regar-
dant avec émotion la chambre où il était
couché, sa chambre de jeune homme, il
reconnut toutes choses autour de lui et il
désigna la fenêtre d'où l'on devait aperce-
voir, quand le ciel était clair, Périgueux
dominé par le clocher byzantin de Saint-
Front. Puis il lui sembla que toute une
longue suite d'événements se fût tout à
coup déroulée, en une minute, à sa pen-
sée, pour le ramener aux tristesses de
l'heure présente; car, après être resté
quelques instants le regard vague et dans
une sorte de contemplation intérieure, il
poussa un soupir qui se termina par un
sanglot, et, se cachant la tête dans son
oreiller, il murmura avec une véritable
angoisse :
- Phalaris!. Je suis à Phalarisî
Ce fut admirablement joué, et le docteur
en fut remué. Si bien qu'il céda aux ins-
tances du vicomte qui, chaque jour, le re-
tenait après sa visite, ne se lassant pas de
lui parler de son père, de sa sœur, et s'en-
hardissant peu à peu à l'entretenir de lui-
même, de ses erreurs, de ses fautes, dont
il se repentait, de son passé qui lui faisait
horreur.
Laguionie consentait à l'écouter, se pré.
tant à cette fantaisie du malade, mais il le
laissait s'accuser désespérément sans se
risquer à lui donner la moindre espérance
de pardon. Car, s'il avait cru à la maladie
et s'il était disposé à s'attribuer la guéri-
son, il était beaucoup moins édifié sur la
sincérité de ces confidences. Pour lui,
Mical parlait trop en avocat stylé qui dé-
fend une cause, à l'aide d'un plaidoyer
préparé et appris d'avance. Certaines
phrases sonnaient faux à l'oreille du doc-
teur et l'empêchaient de croire à ce flux
de protestations, à ce luxe de remords, à
cet excès d'humiliation.
Le comte, qu'il informait minutieuse-
ment de tout ce qui se passait et se disait
entre eux, n'était pas plus que Laguionie
touché de cette conversion subite.
- Je veux bien accepter, comme vous
et d'après vos observations, que les an-
nées, le contrecoup de sa blessure, la
ruine aient pu produire cette fièvre quasi-
cérébrale qui l'a conduit ici. Mais, depuis
qu'il a repris sa connaissance, le désir de
tirer un avantage quelconque de son acci-
dent domine sa pensée et lui inspire cette
comédie. C'est de toute évidence. Aussi,
puisqu'il reprend ses forces et que vous
croyez qu'il sera bientôt remis sur pied,
je vous autorise, mon ami, à lui faire
part de mes intentions que vous con-
naissez. Je sais, par ce Sicaire, qu'il est
aujourd'hui sans ressources. Eh bien S
qu'il parte d'ici, en s'engageant à n'y
pius revenir, et il emportera une lettre
autorisant taon notaire à lui servir, par
payements trimestriels, une pension an-
nuelle de vingt-quatre mille francs. In-
formez-le de ma décision à votre pro-
chaine visite, je serais bien étonné si ce
dictame n'achève pas miraculeusement sa
guérison.
Le docteur ne put s'empêcher de sou-
rire. Il croyait bien un peu à la thérapeu-
tique, mais il avait évidemment encore
plus de foi aux topiques du comte, dès
lors qu'il s'agissait de Mical.
Aussi eut-il lieu d'être profondément
surpris du peu de succès de son ambas-
sade.
Mical l'avait écouté avec une impatience
visible. Pourtant il le laissa aller jusqu'au
bout; mais, dès qu'il eut achevé :
— De l'argent 1 dit-il avec une amer-
tume profonde, oui, c'est tout ce que j'ai
le droit d'attendre. Et il ne vient à la
pensée de personne que je puisse souhai-
ter autre chose 1
Et comme le docteur avait un geste de
protestation :
— Oh! je n'accuse pas, ajouta-t-il, je
n'en ai pas le droit. C'est moi qui ai fait la
situation telle qu'elle est, et je n'ai
qu'à courber la tête sous un affront mé-
rité. Comment donc ! je dois même me
montrer reconnaissant, l'aumône est ma-
gnifique, et, sans doute, en y mettant
pour condition mon départ de Phalaris et
la promesse que je ferais de n'y jamais
revenir, on a cru aller au devant de mes
-vœux. Comment supposer, en effet, qu'un
homme tel que je suis ne se montre pas.
bien aise de s'enfuir avec un tel butin
pour aller le dévorer à sa guise bien loin?
Et pourtant, docteur, ce n'est pas là ce
que j'espérais, malgré moi, tout bas. Une.-
seule visite du comte .de Phalaris, de
mon père, quelque accablante que soit
pour moi sa présence, eût eu plus :
de prix à mes yeux que toutes ses
promesses de pension. De l'argent 1 Ali f:
mon cœur se soulève ! C'est de pitié que,
j'ai besoin. Mais il lui semble plus facile:
de m'ouvrir sa bourse que de me tendre
la main. Ehbjenl je lui prouverai que je
méritais mie ux1 qu'un pareil traitement.-
S'il a cru que j'étais venu à Phalaris ævee,:-
l'idée cynique, de lui arracher encore ujv
morceau de son bien, il s'est trompé. ôui;
j'ai hâte de reprendre mes forces. Guéris- ,
sez-moi vite, docteur, vous m'épargnerez
ainsi des jours d'humiliation. Et que mon
père se rassure, dès que j'aurai la possibilité
de me mettre en route, je sortirai de Pha-
laris pour n'y jamais rentrer, ainsi qu'il le:
désire, mais j'en sortirai les mains nettes.
Et je l'obtiendrai seul, par mon travail,.
par la lutte obstinée, en dépit de la mi-
sère et sans souci du mépris, cette réhabi-
litation qui me fût devenue si facile avec
son appui ! Si je succombe à la tâche.
peut-être un jour, rendant justice à mes
efforts, à mon repentir, regrettera-t-il de
m'avoir déshérité de son pardon et chafsf
de son foyer.
PRICE DHACK.
(ll$ub.",e.t
ADMINISTRATION
Î8, :RUE DE VALOIS. V1
abonnements -
PARIS
Î5roisiooïs. 10 w
Sismois,20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Six mois 22 u
Aïresseï- lciires et mauvais :
A M. ERNEST LEEÈVRE -
iADMEmSTRAIEm GÉEAKî
, Umm
; ,
y : • : '■ X
s
RÉDACTION"
S'adresser au. Secrétaire 3e la RéSâtiioa,
De it à 6 heures du soir
48, BEE DE VALOIS, 18
Xcs manuscrits non insérés ne seront p as reSL^BS
ANNONCES
anr. Cil. IAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
ÉCHANGE i~ f~MOM~C
Ça devient de plus en plus drôle. On
sait la bataille homérique qui s'est en-
gagée entre jérômistes et victoriens
autour d'une note publiée par le Pays et
par le Petit Caporal. Dans cette note, le
prince Victor autorisait les deux jour-
naux à déclarer que la lettre où il avait
écrit qu'il n'avait pas de rôle politique
à jouer et qu'on l'offensait en le met-
tant en compétilion avec son père,
signifiait qu'il avait un rôle politique
à jouer et qu'en le mettant en compé-
tition avec son père on lui faisait plai-
sir. Ce démenti que le fils se donnait à
lui-même fut démenti par les partisans
du père. Les partisans du fils ayant in-
sisté, il fut démenti par le fils en per-
sonne. Le prince Victor écrivit une
seconde lettre dans laquelle il affirma
n'avoir donné mandat à qui que ce
fût et désavoua carrément la note qui
« lui attribuait un rôle aussi odieux vis-
à-vis de son père que peu honorable
devant son pays ».
Quoi : les victoriens avaient donc dit
le contraire delà vérité? Ils n'acceptèrent
pas un démenti de leur prince. M. Paul
de Cassagnac répondit qu' « il n'avait
publié la note qu'avec l'adhésion per-
sonnelle, l'autorisation formelle et après
les corrections préalables du prince
Victor Napoléon ». M. Henry Dichard
précisa les faits : « Le premier projet
de note a été rédigé par moi, puis porté
à M. de Cassagnac, qui l'a, de concert
avec M. Georges Amigues et une tierce
personne qu'il est inutile de nommer
ici, modifié et augmenté dans sa partie
finale; le projet a été ensuite soumis au
prince Victor, qui y a fait quelques
changements et en a autorisé lapublica-
cation». M. Georges Amigues ne fut
pas moins net : «J'ai dit, et je le main-
tiens, avoir mandat du prince Victor.
11 ne saurait convenir à ma dignité de
rester sous le coup d'une accusation de
mensonge, de si haut qu'elle puisse par-
tir. » Et M. Amigues offrait la preuve.
Et ce n'aura pas été un des moins amu-
sants épisodes de la chose, les victo-
riens appliquant ce triple démenti à
leur Victor.
Une chose également amusante, c'est
que ce furent les jérômistes qui défen-
dirent le Victor des autres. — Le prince
Victor a dit vrai ! imprima M. Pascal.
Il n'a pas donné mandat à M. Georges
Amigues. Il n'a pas corrigé, il n'a pas
autorisé la note du Petit Caporal- et du
Pays. «Montrez nous cette autorisation,
montrez-nous ces corrections, une ligne,
un mot, nous vous en défions ! » Et M.
Pascal ne se priva pas d'ajouter que les
victoriens traitaient étrangement leur
propre. prétendant : « Je n'ai pas
de rôle politique à remplir, a dit le
prince Victor, et au même moment oq
se dit autorisé à jeter dans le public un
programme politique qui est le démenti
brutal donné à sa déclaration. Ne
voyez-vous pas que, si la faction a dit
vrai, le prince a menti? Il a menti à son
père. Il a menti à son pays. » Evidem-
ment. Mais si le prince avait dit vrai.1
c'était la faction qui. — La faction
prit mal cette alternative.
M. Paul de Cassagnac répondit que
« l'original même de la note, revu,
corrigé de la main du prince, était en
sa possession et y avait toujours été »,
et il ajouta que, si M. Pascal doutait de
sa parole, ce ne serait plus avec la
plume qu'il discuterait. Et hier matin
encore, M. Henry Dichard adressait à
M. Pascal cette réponse courtoise :
« M. Pascal a la prétention d'enfermer
les victoriens dans ce dilemme : ou
vous mentez, ou c'est le prince Victor
qui ment. Tout beau, monsieur Pascal,
vous oubliez un troisième terme, à sa-
voir que M. Pascal et ses acolytes pour-
raient bien avoir menti, et c'est ce qui
semble le plus probable. »
L'affaire en était là, quand, à l'heure
même où le Petit Caporal publiait ces
lignes, le Figaro a publié cette lettre du
prince Victor :
&
« Moncalieri, 21 décembre {883.
» Mon cher papa,
» J'ai reçu votre lettre ce matin ; je
tiens à y répondre par la poste pour
éviter toute fausse interprétation de ce
que je pourrais dire. Je réponds à vos
trois questions :
» — As-tu signé un papier quelcon-
que ? - ivoîz.
» — As-tu corrigé de ta main la note
que tu connais? — Non.
» — Y a-t-il un mot de ton écriture?
— Non.»
Diable ! mais que devient l'assertion
de M. Henry Dichard que c'est M. Pas-
cal qui a menti? Que devient l'affirma-
tion de M. Paul de Cassagnac qu'il a en
sa possession la note corrigée de la
main du prince ? Que devient la preuve
offerte par M. Georges Amigues?
La sincérité de MM." Georges Ami-
gues; Paul de Cassageac et Henry Di-
chard est hors de cause. Il est évident
qu'ils n'auraient pas affirmé publique-
ment et à plusieurs reprises une chose
à laquelle ils n'auraient pas cru. On ne
peut pas admettre davantage que le
prince Victor ait nié publiquement une
chose dont MM. de Cassagnac, Ami-
gues et Dichard auraient la preuve
entre les mains, pourquoi ? pour of-
fenser et déconsidérer ses seuls parti-
sans. Cependant, le prince Victor ne
peut pas avoir donné mandat et ne
l'avoir pas donné, avoir autorisé la note
et ne l'avoir pas autorisée,, avoir fait
les corrections et ne les avoir pas faites.
Quel est donc ce mystère? Une fée
jérômiste a-t-elle fait boire au prince
Victor un philtre qui lui a fait oublier
sa collaboration à la note? Un enchan-
teur victorien la lui a-t-il fait autoriser
et corriger sans qu'il eneûtconscience ?
Nous sommes dans un temps où l'on
croit difficilement aux fées, et les vic-
toriens n'ont jusqu'à présent enchanté
personne. Ce n'est ni par une féerie ni
par un enchantement que la plupart des
gens expliqueront le mystère de la note,
c'est par une mystification. On se dira
généralement qu'un intermédiaire far-
ceur a, comme on dit vulgairement,
mis dedans le Petit Caporal et le Pays
et leur a fait prendre pour des correc-
tions de la main du prince des correc-
tions de sa main à lui.
« Le débat est clos », dit le Figaro
en publiant la troisième lettre du petit
prince. Nous espérons que non, et que
les victoriens vont redire de la troi-
sième lettre ce qu'ils ont dit de la se-
conde, que leur prince ment effronté-
ment.
N'importe, les voilà lâchés par leur
prétendant, et sans équivoque cette
fois. Il est triste, disent les Feuilles
d'automne, de voir le printemps sans
fleurs, la ruche sans abeilles et la mai-
son sans enfants; mais il est gai de voir
les victoriens sans victor.
AUGUSTE VACQUBRIB.
■— ■■■!!■! ■ ■ —■ 1
A LA CHAMBRE
La session est close. Grâce à une tac-
tique trop familière à M. le président
du conseil, cette dernière séance a été
tumultueuse;.. mais ce n'est pas du ta-
page qu'il a provoqué, c'est de la pe-
tite comédie qu'il a jouée devant la
Chambre que nous voulons nous occu-
per. Essayons d'en indiquer la mise en
scène.
Il s'agissait, on le sait, de statuer sur
le budget, revenant du Sénat, avec
quelques amendements favorables aux
prétentions cléricales. Le Sénat, en ef-
fet, ne retrouve son énergie que pour
s'opposer aux réformes, surtout aux
réformes qui entament les intérêts du
clergé. S'opposer aux aventures loin-
taines, il n'y pense pas. Se fâcher con-
tre ceux qui lui donnent, le 26 décem-
bre, un budget qui doit être voté le 29,
ce n'est pas dans son caractère, car le
Sénat est docile. Seulement, il n'oublie
pas de faire payer cette docilité par une
somme plus ou moins forte, qu'il oblige
le Trésor à verser au clergé. Là-dessus,
c.Liusîlll; à ;prÚsent, le Sénat est intrai-
table.
Celte situation étant donnée, que fe-
rait un ministre républicain soucienx
des droits de la Chambre? Il ne songe-
rait pas à imposer à celle-ci une pali-
nodie. Il chercherait à peser sur le
Sénat, à lui faire comprendre qu'il
brave l'opinion publique, que le terme
approche où, de gré ou de force, il fau-
dra que le Congrès se réunisse pour
réélire M. Grévy ou son successeur, et
que, sous la pression d'un courant
irrésistible, le Congrès pourrait bien
décider qu'il vaut mieux supprimer le
Sénat que de déménager le musée du
Luxembourg.
M. Jules Ferry procède autrement.
Ce n'est pas le parti de la Chambre qu'il
prend contre le Sénat, c'est le parti du
Sénat qu'il prend contre la Chambre.
M. Jules Ferry fait mieux. Connaissant
les sympathies ardentes du Sénat pour
tout ce qui touche au clergé, il affirme
aux hôtes du Luxembourg qu'ils ont, à
cette heure, des droits égaux à ceux de
la Chambre en matière de budget et il
leur fait comprendre que, pour leur en-
lever ces prétendus droits, il faut la
revision, le Congrès, c'est-à-dire leur
bonne volonté.
Puis, se retournant vers la Chambre,
M. Ferry lui dit : Ne chicanez pas le
Sénat à propos de ces prétentions bud-
gétaires, autrement il ne consentirait
jamais à venir au Congrès et il n'y
aurait pas moyen de faire la revision.
Comme si, une fois prévenu qu'on tient
pour valables ses prétentions, préten-
tions dont il use pour augmenter le
traitement des évêques, le Sénat allait
être assez sot pour sortir de la forte-
resse élevée, à son profit, contre la
Chambre et contre la Constitution par
un ministre républicain !
Le comble, c'est que la majorité, qui
continue à voter pour les ministres,
tout en les accueillant fort mal, a paru
croire qu'en sacrifiant ses droits, elle
avançait l'heure de la revision. C'est
tout le contraire, et on peut dire que
M. Jules Ferry, en abaissant les élus
du suffrage universel devant une as-
semblée qui ne représente rien ou à
peu près, a indiqué à celle-ci la voie
qu'elle devait suivre pour braver quel-
que temps encore, avec impunité, la
volonté nationale et le bon sens public.
Nous disons quelque temps encore, car,
ainsi que nous l'avons toujours sou-
tenu, au terme du mandat de M. Grévy,
il faudra bien compter avec le Congrès,
forcément réuni et nécessairement sou-
verain.
On voit que si, au lieu d'interrup-
tions tumultueuses, toujours regretta-
bles, mais que M-. Jules Ferry a provo-
quées à dessein, on avait pris la peine
de répondre à M. le président du con-
seil, il eût été facile de déjouer ses pe-
tites combinaisons et de montrer avec
évidence que ses engagements en fa-
veur de la revision étaient absolument
illusoires. Jugeant un peu les autres
d'après lui-même et pensant sans doute
au fameux programme des destructions
nécessaires M. Jules Ferry avait parié
de ceux qui réclamaient la revision
sans sincérité, qui la réclamaient pour
ne pas l'obtenir. N"'aurait-on pas pu lui
répondre en mettant à nu son procédé,
en lui démontrant qu'il n'avait agité,
Uninstant; le drapeau révisionniste que
pour rappeler au Sénat combien ses
sympathies cléricales pourraient souf-
frir" de cette réforme et pour le mettre,
une fois de plus, en garde contre ks
conséquences possibles de la réunion
du Congrès?
Au reste, aussi bien dans cette ques-
tion que dans les autres, et, comme le
disait l'autre jour M. Clémenceau, il n'y
a plus de dupes que ceux qui veulent
être trompés. Les députés qui ont ainsi
abaissé les droits de la Chambre en ac-
ceptant les iimendements cléricaux du
Sénat, diront qu'ils ont agi de la sorte
pour ne pas compromettre la revision.
Les députés qui ont donné, il y a huit
jours, un blanc-seing pour la guerre,
diront qu'ils ont voté ainsi par amour
de la paix. Le suffrage universel fera
un cas égal de ces excuses de même
valeur.
A. GAULIER.
- ..-
- COULISSES DES CHAMBRES
La session extraordinaire de 1883 a été
close hier soir, par décret présidentiel.
Ouverte le 23 octobre dernier, elle a com-
pris quarante-cinq séances. L'œuvre prin-
cipale de cette session a été la discussion
des affaires du Tonkin et celle du budget
de 1884 pour l'a Chambre, celle des con-
ventions de chemins de fer pour le Sénat.
La session ordinaire de 1884 s'ouvrira
de plein droit, sans décret préalable, le
second mardi de janvier, c'est-à-dire le
8 janvier prochain. Mais la session effec-
tive ne commencera, suivant l'usage, que
quelques jours après, lorsque les Chambres
auront procédé à la réélection de leurs
bureaux respectifs..
-0-
M; Clovis Hugues a été frappé de la peine
de la censure avec exclusion temporaire, à
la suite du vif incident qui a marqué la
séance d'hier à la Chambre. Aux termes
du règlement intérieur de la Chambre,
cette peine emporte comme conséquence
« l'interdiction de prendre part aux tra-
vaux de la Chambre et de reparaître dans
le palais législatif jusqu'à l'expiration du
jour de la quinzième séance qui suivra
celle où la mesure aura été prononcée. »
En outre, la censure avec exclusion
temporaire emporte de droit la privation
de moitié de l'indemnité pendant deux
mois, ainsi que l'impression ef l'affichage
à 200 exemplaires, aux frais du député,
de l'extrait du procès-verbal mentionnant
la censure. Les affiches seront apposées
d;I)B toutes les communes de la circons-
cription.
La question se posait, mer, ae savoir si
la peine disciplinaire dont a été frappé
M. Clovis Hugues, et qui a été prononcée
au cours de la session extraordinaire de
1883, pouvait continuer à produire ses
effets pendant la session ordinaire de
1884. Le président, consulté, a interprété
le règlement dans le sens affirmatif. Par
suite, M. Clovis Hugues ne pourra pas re-
venir siéger avant la fin du mois de jan-
vier. Du 8 au 31 janvier, si l'on défalque
1 s mercredis, vendredis et dimanches,
jours auxquels la Chambre ne siège pas,
il reste quatorze séances M. Clovis Hugues
ne pourra donc reprendre sa place au pa-
lais Bourbon qu'à la deuxième séance de
février, c'est-à-dire le 4 février prochain.
Oa verra, par le compte-rendu de la
séance d'hier, que M. Jules Ferry a déclaré
à la Chambre que le gouvernement ne de-
manderait plus de crédits pour entretenir
de nouvelle- bourses dans les séminaires.
Le crédit rétabli hier par la Chambre, à la
suite du Sénat ne servira qu'à entretenir
les boursiers jusqu'à la fin de leurs études.
La durée de ces dernières étant de trois
ans, c'est le budget de 1885 qui contiendra
le der; ier crédit de ce chef.
Le gouvernement va présenter soit par
voie de projet de loi distinct, soit par voie
d'amendement au projet Paul Bert sur le
Concordat, u;, système qui permettra aux
séminaires de se subventionner mutuelle-
ment, et à l'Etat de supprimer le concours
pécuniaire qu'il a accordé jusqu'à ce jour
à ces établissements.
Ces séminaires possèdent, on le sait, *
une personnalité civile et des biens parti-
culiers ; mais il leur est interdit de faire
servir les biens de 1 un à l'entretien de
l'autre. Le projet qu'élabore le gouverne-
ment aurait pour but de supprimer ces
délimitations et de créer une caisse com-
mune où les séminaires les plus riches
verseraient leurs excédents de ressources
de manière à ce qu'ils pussent être mis à
profit par les séminaires les plus pauvres.
De la sorte, l'Etat n'aura pas à inter-
venir.
Des diverses questions qui devaient être
posées au gouvernement dans la journée
d'hier, une seule, celle de M. de Janzé, sur
le monopole des allumettes, a pu être
débattue. Les autres ont été renvoyées au
mois de janvier. Outre celles que nous
avons énumérées ces jours derniers, M.
Clovis Hugues devait en poser une au mi-
nistre de la marine au sujet de la grève
des chauffeurs et matelots du port de
Marseille. L'amiral Peyron avait accepté de
répondre immédiatement. Mais la - peine
disciplinaire qui a atteint M. Clovis Hu-
gues, a empêché le député des Bouches-
du-Rhône de donner suite à son projet.
Quant à la question du monopole des
allumettes, on verra, par le compte-rendu
de la séance, que M. Labuze, sous-seôré-
taire d'Etat aux finances, a répondu que
le gouvernement comptait user de la fa-
culté de dénonciation qu'il possède jus-
qu'au 31 décembre prochain c'est-à-dire
pendant deux jours encore, mais avec la
pensée de conclure un nouveau traité.
Nous pouvons ajouter, ce que le repré-
sentant du ministre des finances n'a pas
dit, qu'il s'agit d'imposer à la compagnie
concessionnaire de nouvelles conditions
plus avantageuses pour l'Etat. Le gouver^
nement réclame soit une augmentation
de la redevance que la compagnie paye
annuellement à l'Etat, soit une part dans
les bénéfices au delà d'un certain chiffre.
Ce traité devra d'ailleurs être soumià
la ratification des Chambres.
♦
L'ARBITRAGE
On lit dans les journaux de droite qu'ail
certain nombre d'habitants de Lille, mé-
contents de la justice officielle, viennent
d'en créer une autre pour leur usage per-
sonnel. Ils se sont engagés à porter devant
cette Thémis facultative, sinon gratuife-
toutes leurs querelles et contestations, eî
déjà on nous annonce que d'importantes,
affaires financières et commerciales sont
sur le point d'être soumises à ses déliai
rations.
Encore que cet essai soit fait par des
adversaires politiques, nous nous en vau-
drions de le laisser passer inaperçu, Cac
nous estimons que la véritable solution au
problème de l'organisation judiciaire dans
une démocratie n'est ni le remplacement
d'un personnel par un autre, ni même le
jury civil, mais la dislocation graduée du
corps judiciaire et la substitution de l'air
bitrage volontaire à la justice imposée-.
« Devant le tribunal arbitral, dit jU$
tement un journal parisien, plus de
frais d'avoués, plus de paperasserie juri-
dique, plus de lenteurs frisant le déni de
justice. Les procès sont tranchés rapide-
ment, selon l'équité, sans que les gens de
loi aient la possibilité de s'abriter derrière
de mauvaises exceptions de procédure,
sans que le papier timbré absorbe les c £ t<.
pitaux, ne laissant aux malheureux plai-
deurs que les écailles de l'huître. OU);"
c'est bien là le tribunal de l'avenir. »
Nous partageons cette opinion ; lia >
malheur est qu'entre l'arbitrage et ce qtfoa
tente à Lille, il n'y a qu'une similitude cfe
noms.
Sous la -diversité de ses formes, TarBîi
trage revient à ceci : deux citoyens ont
une contestation; tant pour éviter les frais
de procédure que pour avoir une solution
expéditive, ils conviennent de nommer cha-
cun un expert; les deux experts en nomment
un troisième pour les départager. Mais if
va de soi que ce jury peut varier avec les
affaires, que ces experts ou arbitres sont':
de simples jurisconsultes qui ne tiennent
pas boutique et qui n'ont de pouvoirs que
ceux que nous leur conférons et pour le
cas où nous les leur conférons. Le nou-
veau tribunal de Lille est tout autre
chose; c'est une cour comme les aU":':'
très, avec cette seule différence que Içs;
juges, au lieu d'être nommés par le
garde des sceaux, se sont nommés eux-
mêmes, qu'ils siègent en redingote gurt.,
lieu de porter la toge, et que leurs jU-t
gements ne sont exécutoires que pour
ceux qui voudront bien les laisser exécu-
ter. C'est une magistrature honoraire pour
de rire, qui est à la vraie magistrature ce
que la petite guerre est à la grande, ce
que le Conservatoire est au Théâtre-Fran..
çais ou à l'Opéra, ce que la conférence
Tocqueville est au Parlement.
Ce n'est pas même une magistrature
d'amateurs ou d'élèves; c'est une magis-
trature de refusés. Jetez, s'il vous plaît,
un coup d'oeil sur la composition de cette
Chambre : tous magistrats démissionnaires
Penilleton du RAPPEL
DU 31 DÉCEMBRE
82
LA
GOUTTE DE SANG
L'INSTITUTRICE
IX (suite)
Mical, tenu de près, surveillé tout le
jour, forcé de prolonger sa fièvre factice
pour triompher des défiances du docteur,
n'avait de répit qu'aux heures de nuit où
il se retrouvait enfin bien seul, les portes
closes, avec Sicaire. Et tout d'abord il se
fit i'elïet du renard pris à son propre
piège. Mais cette contrainte le servit, car
il s'observa davantage et joua mieux son
rôle. Si bien que le bon docteur trouva en
conscience le nom spécial de la fièvre qui
le dévorait, et, l'ayant défini et classé, ne
douta plus de la réalité du mal.
Le vicomte n'avait jamais vu Laguio-
Reproduction interdite.
Voir le Jiappe', àu'43 septembre m 30 déeCffiÈrft
nie avant qu'il se présentât au chevet de
son lit; mais, depuis longtemps, il savait,
par la correspondance des Sicaire, sa
grande influence sur le comte et ses assi-
duités au chêteau. Or, dès sa première
visite, il l'avait vu hostile et défiant, il
comprit donc qu'il était important, sinon
de le conquérir, au moins de le neutra-
liser.
Et, il se fit si souple, si docile aux in-
jonctions, si reconnaissant des soins don-
nés, il sut mettre tant de sincérité dans le
récit des souffrances éprouvées, attacher
un :i haut prix au moindre soulagement
qu'il disait éprouver, en l'attribuant à la
science du médecin, que, malgré ses pré-
ventions, Laguionie se laissa prendre d'in-
térêt pour ce malade plein de déférence.
D'ailleurs, ce n'était pas là un simple jeu,
les premiers symptômes avaient persisté :
fièvre intense, pouls désordonné, faiblesse
extrême, sueurs abondantes, hallucina-
tions passagères, et spasmes suffocants à
certaines heures du jour. Comment, après
de telles constatations plusieurs fois re-
nouvelées, conserver ses premiers soup-
çons ?
Mical, au bout de huit jours, littérale-
ment épuisé par ce régime et l'effet de sa
drogue, sentit le moment venu de laisser
triompher le docteur. Jusqu'à ce moment,
il avait feint de ne pas se rendre compte
de ce qui se passait autour de lui et d'i-
gnorer où il était. Sa fièvre eut des inter-
mittences, et la connaissance lui revint.
SientOA jjt en Tint aux questions, et, com-
me s'il n'eût eu confiance qu'aux paroles
du docteur, c'est lui qu'ij interrogea de
préférence. Quand il l'eut amené à lui dire
qu'il était à Phalaris, il joua si bien l'é-
pouvante et fit si bien mine de vouloir
sortir du lit pour se sauver que le docteur
s'empressa de le contenir et de l'apaiser.
Alors, le souvenir lui revint, et, regar-
dant avec émotion la chambre où il était
couché, sa chambre de jeune homme, il
reconnut toutes choses autour de lui et il
désigna la fenêtre d'où l'on devait aperce-
voir, quand le ciel était clair, Périgueux
dominé par le clocher byzantin de Saint-
Front. Puis il lui sembla que toute une
longue suite d'événements se fût tout à
coup déroulée, en une minute, à sa pen-
sée, pour le ramener aux tristesses de
l'heure présente; car, après être resté
quelques instants le regard vague et dans
une sorte de contemplation intérieure, il
poussa un soupir qui se termina par un
sanglot, et, se cachant la tête dans son
oreiller, il murmura avec une véritable
angoisse :
- Phalaris!. Je suis à Phalarisî
Ce fut admirablement joué, et le docteur
en fut remué. Si bien qu'il céda aux ins-
tances du vicomte qui, chaque jour, le re-
tenait après sa visite, ne se lassant pas de
lui parler de son père, de sa sœur, et s'en-
hardissant peu à peu à l'entretenir de lui-
même, de ses erreurs, de ses fautes, dont
il se repentait, de son passé qui lui faisait
horreur.
Laguionie consentait à l'écouter, se pré.
tant à cette fantaisie du malade, mais il le
laissait s'accuser désespérément sans se
risquer à lui donner la moindre espérance
de pardon. Car, s'il avait cru à la maladie
et s'il était disposé à s'attribuer la guéri-
son, il était beaucoup moins édifié sur la
sincérité de ces confidences. Pour lui,
Mical parlait trop en avocat stylé qui dé-
fend une cause, à l'aide d'un plaidoyer
préparé et appris d'avance. Certaines
phrases sonnaient faux à l'oreille du doc-
teur et l'empêchaient de croire à ce flux
de protestations, à ce luxe de remords, à
cet excès d'humiliation.
Le comte, qu'il informait minutieuse-
ment de tout ce qui se passait et se disait
entre eux, n'était pas plus que Laguionie
touché de cette conversion subite.
- Je veux bien accepter, comme vous
et d'après vos observations, que les an-
nées, le contrecoup de sa blessure, la
ruine aient pu produire cette fièvre quasi-
cérébrale qui l'a conduit ici. Mais, depuis
qu'il a repris sa connaissance, le désir de
tirer un avantage quelconque de son acci-
dent domine sa pensée et lui inspire cette
comédie. C'est de toute évidence. Aussi,
puisqu'il reprend ses forces et que vous
croyez qu'il sera bientôt remis sur pied,
je vous autorise, mon ami, à lui faire
part de mes intentions que vous con-
naissez. Je sais, par ce Sicaire, qu'il est
aujourd'hui sans ressources. Eh bien S
qu'il parte d'ici, en s'engageant à n'y
pius revenir, et il emportera une lettre
autorisant taon notaire à lui servir, par
payements trimestriels, une pension an-
nuelle de vingt-quatre mille francs. In-
formez-le de ma décision à votre pro-
chaine visite, je serais bien étonné si ce
dictame n'achève pas miraculeusement sa
guérison.
Le docteur ne put s'empêcher de sou-
rire. Il croyait bien un peu à la thérapeu-
tique, mais il avait évidemment encore
plus de foi aux topiques du comte, dès
lors qu'il s'agissait de Mical.
Aussi eut-il lieu d'être profondément
surpris du peu de succès de son ambas-
sade.
Mical l'avait écouté avec une impatience
visible. Pourtant il le laissa aller jusqu'au
bout; mais, dès qu'il eut achevé :
— De l'argent 1 dit-il avec une amer-
tume profonde, oui, c'est tout ce que j'ai
le droit d'attendre. Et il ne vient à la
pensée de personne que je puisse souhai-
ter autre chose 1
Et comme le docteur avait un geste de
protestation :
— Oh! je n'accuse pas, ajouta-t-il, je
n'en ai pas le droit. C'est moi qui ai fait la
situation telle qu'elle est, et je n'ai
qu'à courber la tête sous un affront mé-
rité. Comment donc ! je dois même me
montrer reconnaissant, l'aumône est ma-
gnifique, et, sans doute, en y mettant
pour condition mon départ de Phalaris et
la promesse que je ferais de n'y jamais
revenir, on a cru aller au devant de mes
-vœux. Comment supposer, en effet, qu'un
homme tel que je suis ne se montre pas.
bien aise de s'enfuir avec un tel butin
pour aller le dévorer à sa guise bien loin?
Et pourtant, docteur, ce n'est pas là ce
que j'espérais, malgré moi, tout bas. Une.-
seule visite du comte .de Phalaris, de
mon père, quelque accablante que soit
pour moi sa présence, eût eu plus :
de prix à mes yeux que toutes ses
promesses de pension. De l'argent 1 Ali f:
mon cœur se soulève ! C'est de pitié que,
j'ai besoin. Mais il lui semble plus facile:
de m'ouvrir sa bourse que de me tendre
la main. Ehbjenl je lui prouverai que je
méritais mie ux1 qu'un pareil traitement.-
S'il a cru que j'étais venu à Phalaris ævee,:-
l'idée cynique, de lui arracher encore ujv
morceau de son bien, il s'est trompé. ôui;
j'ai hâte de reprendre mes forces. Guéris- ,
sez-moi vite, docteur, vous m'épargnerez
ainsi des jours d'humiliation. Et que mon
père se rassure, dès que j'aurai la possibilité
de me mettre en route, je sortirai de Pha-
laris pour n'y jamais rentrer, ainsi qu'il le:
désire, mais j'en sortirai les mains nettes.
Et je l'obtiendrai seul, par mon travail,.
par la lutte obstinée, en dépit de la mi-
sère et sans souci du mépris, cette réhabi-
litation qui me fût devenue si facile avec
son appui ! Si je succombe à la tâche.
peut-être un jour, rendant justice à mes
efforts, à mon repentir, regrettera-t-il de
m'avoir déshérité de son pardon et chafsf
de son foyer.
PRICE DHACK.
(ll$ub.",e.t
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