Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-12-29
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 29 décembre 1883 29 décembre 1883
Description : 1883/12/29 (N5041). 1883/12/29 (N5041).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540535n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/11/2012
tic 5041 — Samedi 29 Décembre 1883
le numéro : lOc. — Départements s IL 5; e.
9 Kivdse an 92 — Ne 5041
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ADMINISTRATION
18, JUJE DE valois , fR
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PARIS
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Trois mois. 13 §if
Six mois 22
A3rcsser Mires et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE
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REDACTION ~-
S'adresser au Secrétaire 3e 3a Réâaeiioa
-\ J?c4«6 heures du soir
i iSt HUE - DE VALOIS, 18
.^e» manuscrits nonioséresne seroaipos icûîua
i - - ANNONGES —
vV "3S1T. Cil. IAGRANGE, CERF et C®
\X 6j jlace de la Bourse,6
COME ET DAMIEN
Il y a deux cents ans, une fille, nom-
mée Marie Alacoque, donnait des ren-
dez-vous à Jésus-Christ, qui y venait,
et qui lui disait :
— Aimes-tu le fromage ?
— Je l'exècre.
— Manges-en.
Elle en mangeait. Pour la récompen-
ser de son obéissance, Jésus-Christ
s'ouvrait la poitrine, lui montrait son
cœur saignant comme un quartier de
viande au crochet des bouchers, et lui
disait :
— Donne-moi le tien.
Marie Alacoque le donnait, et les
deux cœurs se baisaient. Quand le
cœur de Marie Alacoque en avait assez,
Jésus le lui rendait, refermait son trou,
et retournait an paradis.
L'Assemblée du jour de malheur se
dit que co fromage et ce trou devaient
être la religion de la France. Elle se
dit qu'il était temps de bâtir une église
où l'on adorerait ce trou et ce fromage.
En quel endroit cette église serait-elle
mieux placée que sur la butte Mont-
martre, d'où elle dominerait, d'où elle
écraserait cet abominable libre-penseur,
Paris?
Tant que l'assemblée monarchico-
eléricale a vécu, il a été publiquement
avoué que le but de l'église alacoquine
était de peser sur la grande ville révo-
lutionnaire, de la couvrir de son om-
bre, de lui faire baisser la tête. Lorsque
l'assemblée du fromage a fait place aux
Chambres républicaines, ce sont les
alacoquins qui ont baissé le ton et ils
out protesté pudiquement que ce n'était
pas contre Paris, ni contre la libre-
pensée, ni contre la République qu'ils
avaient voté l'église du trou.
Malheureusement pour cette protes-
tation en retard, deux faits étaient là.
Deux mois jour pour jour avant de vo-
ter leur église, les alacoquins avaient
fait un suprême effort pour jeter la Ré-
publique par terre." Gênés dans ., cette
honorable opération par le présidenl
d'alors, ils l'avaient mis à la porte et
remplacé par un président à eux. Ils
avaient remplacé le président-grue qui
• croquait les grenouilles par un prési-
dent-soliveau qui les laisserait deman-
der tous les rois qu'elles voudraient.
L'empêchement des grenouilles avait
été que les unes avaient demandé un
roi blanc et les autres un roi trico-
lore, si bien que leur succès avait été
do n'avoir pas de roi du tout. — Le
même jour (24 mai 1873), l'assemblée
générale des catholiques avait voté un
pèlerinage au lieu où Marie Alacoque
et Jésus ont eu leurs rendez-vous. Et
c'est un mois après le jour où les ala-
coquins de l'Assemblée de Versailles,
bannières en mains, croix rouges sur
!a poitrine, s'étaient agenouillés de-
vant le Jésus troué de Paray-le-
Monial et s'étaient consacrés à lui,
que l'Assemblée dont ils étaient Je
plus bel ornement avait décerné à
l'église de la butte Montmartre la dé-
claration d'utilité publique. Il serait
difficile de nier la corrélation qu'il y a
eu entre cette déclaration et l'essai de
renversement de la République, et Tar-
tuffe lui-même serait obligé de confes-
ser que l'église du Sacré-Cœur est une
église de combat.
Le combat semble devoir finir faute
de combattants. « Hélas ! l'argent me
manque ! » s'écrie douloureusement
don César. Les alacoquins poussent les
mêmes gémissements. Nous venons de
lire l'appel qu'adressent aux médecins
et aux pharmaciens de France quatre
docteurs de Rennes, un docteur d'An-
gers et un docteur de Cbàtcau-Gon-
tier. Cette demi-douzaine de docteurs
invite « tous les médecins français sym-
pathiques à l'œuvre de foi et de patrio-
tisme et aussi MM. les pharmaciens à
lui faire parvenir leurs offrandes ou,
s'ils le préfèrent, au secrétariat de l'é-
vêché du Mans ». En remerciement de
leur argent, l'archevêque de Paris
« mettra une des chapelles de la crypte
sous l'invocation des saints Côme et
Damien, patrons de la médecine ».
Ce sera de l'argent bien placé. Saint
Côme et saint Damien seraient les plus
ingrats des saints s'ils ne récompen-
saient pas ceux qui leur auront donné
une chapelle de la crypte en envoyant
à leurs clients des tas de maladies, en
les comblant de fièvres typhoïdes, en
accablant leur quartier d'épidémies. Et
les pharmaciens, quelle vente de re-
mèdes cela leur promet! quels purga-
tifs à composer! quels lavements à
inculquer! Quels horizons cela ouvre
aux Diafoirus et aux Purgons cléri-
caux !
Je ne doute pas un seul instant
que tout ce qu'il y a en France de Pur-
gons et de Diafoirus bien pensants ne
s'empressent de prodiguer des sommes
à la chapelle de deux saints qui les leur
rendront en épidémies. Et à la place de
l'archevêque de Paris, j'étendrais ce
moyen de me procurer les fonds dont a
grandement besoin l'église qui doit ter-
rasser Paris comme l'archange a Satan
sous son talon. Après la chapelle des
médecins et des apothicaires, j'invente-
rais la chapelle des chapeliers, la cha-
pelle des épiciers, la chapelle des cor-
royeurs, la chapelle des halayeurs, etc.
Pourquoi pas la chapelle des vidan-
geurs? Ça varierait l'encens.
Toutes ces chapelles, dont le besoin
ne peul manquer de se faire sentir,
auront leur tour. C'était par les méde-
cins et les pharmaciens que l'église
devait commencer, étant malade. Ils ne
la guériront pas.
AUGUSTE VACQUERIE.
La discussion du budget s'achèvera
aujourd'hui au Sénat. Les budgets des
différents ministères votés hier et avant-
hier par le Sénat, ne comportent que deux
modifications : l'une ayant trait aux
bourses des séminaires et l'autre au trai-
tement des archevêques. Deux autres
amendements proposés par la commission
sénatoriale n'ont pas été adoptés par
l'assemblée. Dans ces conditions et avec
ces deux augmentations, le budget poutta:
être rapporté aujourd'hui à la Chambre.
Dans ces deux jours de discussion ou
plutôt d'observations échangées, il n'y a
guère à signaler que les critiques adressées
au garde des sceaux par M. Denormandie
au sujet du renouvellement du personnel
judiciaire. Il faut aussi constater que la
commission des finances du Sénat et le
ministre de la guerre se sont accordés à
rendre pleine justice à la prévoyance et à
l'initiative patriotique du général Billot, a
propos des marchés de concentration. Le
sous-secrétaire d'Etat à la guerre, M. Ca-
simir-Perier, peu au courant sans doute
de la question, et le rapporteur de lacom-
mission du budget avaient, à la Chambre,
critiqué les mesures prises. Le général
Campenon. qui n'était pas présent.à la
Chambre, lors de ce débat, n'a pas hésité,
dans le sein de la commission sénatoriale
et en séance publique, à reconnaître le
service rendu par son honorable prédéces-
seur et a félicité le général Billot d'avoir
pris, dans l'intérêt général , la respon-
sabilité d'un complément d'organisation
trop longtemps différé.
A. G.
'* ^a—»
A LA CHAMBRE -
La Chambre avait hier à son ordre
du jour le projet de loi relatif à la colo-
nisation algérienne, à laquelle une
nouvelle somme de cinquante millions
serait consacrée. Il s'agit, d'après le
projet, d'acheter 300,000 hectares de
terre, soit environ pour vingt-cinq mil-
lions. L'autre moitié de la somme
serait consacrée à la création de vil-
lages. C'est ce qu'on appelle la coloni-
sation officielle.
Le premier orateur, M. Ballue, a lon-
guement et fortement combattu le pro-
jet. M. Ballue ne croit qu'à la colonisa-
tion libre et, à l'appui de son opinion,
il invoque les expériences déjà faites.
D'autre part, l'honorable orateur estime
qu'il est impolitique et dangereux de
spolier les indigènes. Or, quoi que
prétendent les auteurs du projet, c'est
à la spoliation qu'ils aboutissent. La
somme qu'on paiera aux Arabes, en
échange du sol qui les nourrit, sera
bientôt perdue, dissipée, car l'Arabe ne
sait pas faire valoir un capital. C'est la
misère des indigènes qu'on organise
ainsi, et, par suite, on multiplie dans
la colonie les chances de crimes et
même d'insurrection. Quel serait, dit
M. Ballue, le résultat de cette loi si elle
était votée? En dix ans, elle augmen-
terait de dix-huit mille individus la
population européenne. La colonisa-
tion, livrée à elle-même, n'arrivera-t-elle
pas à un développement au moins équi-
valent ?
Pourquoi d'ailleurs, puisque le do-
maine possède huit cent mille hectares,
ne commence-t-il pas par puiser dans
cet énorme fonds? Est-il donc dé-
montré que les Arabes cultivent si
mal? Parmi les terres en friche, M.
Ballue affirme qu'il y en a un plus grand
nombre appartenant aux colons qu'aux
indigènes. L'orateur est convaincu que
des spéculations malsaines seront fa-
vorisées par ces achats de terrain. Ce
n'est pas de cette façon qu'on peut
réellement mettre en valeur le sol algé-
rien. Si l'Etat y dépense de l'argent,
que ce soit en travaux productifs, en
amenant de l'eau surtout ; c'est là la
richesse et la civilisation.
Tous les hommes qui ont étudié
l'Algérie ont déclaré qu'il était néces-
saire que les Arabes restassent proprié-
taires fonciers. C'est là la meilleure
garantie d'ordre. M. Ballue, qui a cité
nombre d'opinions en ce sens, estime
aussi que la confraternité d'armes avec
une race qui combat si volontiers sous
nos drapeaux, qui s'y conduit si vail-
laiiïfeént, -nous oblige à quelques égards
dont le projet semble ne pas tenir
compte. L orateur, qui a été écouté avec
beaucoup d'attention, a terminé en
priant la Chambre de ne pas passer à la
discussion des articles.
M. Tirman, gouverneur général de
l'Algérie et commissaire du gouverne-
ment, s'est efforcé de détruire l'impres-
sion produite par le discours de M.
Ballue. Il a protesté qu'il ne s'agissait
pas de dépouiller les indigènes et que,
par conséquent, leur mécontentement
n'était point à craindre. M. le gouver-
neur général n'est même pas éloigné
de penser, du moins d'après son lan-
gage, que plus on prendra de terré aux
Arabes, plus ils auront lieu d'être
satisfaits. La raison qu'il donne de cette
opinion bizarre, c'est que la terre à eux
laissée vaudra davantage. M. Tirman ne
nie pas qu'il n'y ait eu des fautes com-
mises dans l'œuvre de la colonisation
officielle. Il promet seulement que ces
fautes ne seront pas renouvelées. Obligé
de reconnaître qu'il y a eu quelques
exemples regrettables de spéculation,
M. Tirman s'engage à surveiller les cas
semblables qui pourraient se produire.
Au reste, le gouverneur général n'é-
pargne pas les promesses et les enga-
gements : il affirme à la Chambre que,
d'ici à vingt-cinq ans, on ne lui de-
mandera plus rien du tout pour la co-
lonisation.
Relativement aux terres du domaine,
M. Tirman explique que, si on ne les
prend pas, c'est que toutes ne sont pas
bonnes. Il reconnaît toutefois, chose à
noter, qu'il y en a 180,000 hectares
d'excellentes. Pourquoi ne eommenee-
t-on pas la colonisation avec cela, au
lieu de réclamer cinquante millions
pour en acheter d'autres? M. Tirman
n'a pas répondu à cette objection, qui
saute aux yeux. M. Tirman, qui n'a
obtenu qu'un succès fort médiocre, a
essayé d'intéresser la Chambre à son
projet en lui parlant des souffrances des
départements viticoles et des tentatives
heureuses qui pourraient être faites en
Algérie par nos vignerons appauvris,
qui, dit-il, s'apprêtent à partir pour
l'Amérique. Cet argument a été ac-
cueilli avec une certaine incrédulité.
, Comme M. le gouverneur général fi-
nissait de débiter son discours légère-
ment terne et monotone, la tribune a
été prise d'assaut par un orateur à la
voix retentissante et au geste éner-
gique. C'est un jeune homme sans
doute? Non; c'est le doyen de la Cham-
bre, c'est M. Guichard qui vient, avec
sa conviction honnête et ardente, avec
sa parole pleine de flammes, donner à
ce débat la passion et la vie qui ont
manqué jusqu'ici. En même temps,
l'honorable orateur a su se placer au
point de vue de ces principes que la
France républicaine était fière, autre-
fois, de répandre par le monde et qui
ne sauraient s'accorder avec l'exploita-
tion d'un peuple vaincu.
M. Guichard est l'adversaire résolu
de la colonisation officielle : elle a
coûté deux milliards et elle en réclame-
rait encore autant pour mettre un mil-
lion d'Européens en Algérie. M. Tir-
man célèbre les résultats acquis qu'il
croit supérieurs à ceux que les Anglais
et les Hollandais ont obtenus dans leurs
colonies; mais la mère-patrie avait-elle
fait des sacrifices comparables à ceux
que la France s'est imposés ? On nous
parle des besoins de l'agriculture algé-
rienne. Et l'agriculture française est-
elle donc si prospère qu'il faille, en lui
enlevant des bras, faire encore hausser
le prix de la majn-d'œuvre ? Sans doute,
il y a un certain commerce en Algérie.
Est-ce étonnant? Nous y entretenons
une garnison de soixante mille hom-
mes. La moitié devrait suffire ; mais,
pour cela, il faudrait ne pas irriter les
Arabes, les assimiler au lieu de les dé-
pouiller.
Les cinquante millions qu'on de-
mande à la mère-patrie ne feront qu'a-
mener des colons plus disposés à culti-
ver le bureau de bienfaisance qu'à cul-
tiver la terre. Et quant à la manière
dont on se procure cette somme, M.
Guichard la trouve fort irrégulière. On
dit qu'il y a au budget algérien un cré-
dit annuel dont on n'a pas besoin, et
on propose d en taire le gage cl un ca-
pital de cinquante millions, payables
en vingt annuités. C'est un exemple fi-
nancier qui parait fort mauvais à M.
Guichard, et, de plus, il est certain que
le crédit provisoirement supprimé, et
qui servait bien à quelque chose, ne
manquera pas de reparaître prochaine-
ment. En somme, selon l'orateur, on
propose à la France de manger son
bien vingt ans d'avance. Ce n'est pas
ainsi que la colonisation peut être com-
prise; ce n'est pas ainsi que nous pou-
vons nous conduire avec ceux qui com-
battraient demain dans nos rangs, si
nous venions à être attaqués en Europe.
Après ce discours, interrompu à plu-
sieurs reprises par de vifs applaudisse
ments, la remise de la discussion
été demandée et obtenue, après deux
épreuves par assis et levé. L'impres-
sion générale est que le projet ne sera
pas voté.
- Nous espérons que la Chambre se
souviendra que, selon le mot profond
d'un officier général de l'ancienne ar-
mée d'Afrique, il y a autre chose, en
Algérie, que des terres à conquérir :
il y a, il y a surtout des hommes, sol-
dats sans pareil, race essentiellement
belliqueuse. C'est là— disait le général
Molière, il y a déjà près d'un demi-
siècle — les vraies richesses que nous
offre l'Algérie. Bugeaud était du
même avis. Mais pour mettre à profit
cette richesse que le vieux maréchal
jugeait presque inépuisable, il ne
faut pas s'aliéner, à plaisir, l'esprit des
indigènes. Or le projet en discussion
pourrait-il avoir un autre résultat quand,
de l'aveu de ses partisans, les terres qui
seraient enlevées aux Arabes seraient
non pas des terres en friche; mais des
terres cultivées ou améliorées par eux.
Et ici on touche à un point fort intéres-
sant de la question. On sait que la
population indigène augmente ; on sait
qu'elle adopte, peu à peu, des moyens
de culture perfectionnée. Et dans
quelles conditions s'accomplissent ces
progrès? Sous Yempire du régime de
l'expropriation ; sous cette menace per-
manente, bien faite pour détourner les
détenteurs actuels du sol de toute amé-
lioration productive, puisque cette amé-
lioration pourrait ne pas leur profiter.
Ce n'est donc pas au développement
du système d'expropriation qu'il faut
songer, c'est à sa suppression, et, puis-
que le projet aurait pour résultat de
distribuer 300,000 hectares en vingt
années, qu'on distribue d'abord les
180,000 hectares de bonnes terres dont
M. Tirman a avoué qu'il ne faisait rien.
A. GAULIER.
-
COULISSES DES CHAMBRES
-
- Les questions et interpellations qui de-
vaient venir en discussion hier, à la Cham-
bre, ont été remises à demain samedi.
Nous les avons énumérées avant-hier ; nous
devons dire aujourd'hui que la nomencla-
ture en est quelque peu modifiée.,
En particulier, la question que M,
Edouard Lockroy devait poser au ministre
de la justice au sujet de la non-réintégra-
tion de certains amnistiés dans les cadres
de la Légion d'honneur, devient aujour-
d'hui sans objet, la distinction que le con-
seil supérieur de la Légion d'honneur
avait voulu établir entre les amnistiés étant
effacée. Nous pouvons dire, en effet, que
le président de la République a signé, sur
la proposition du grand-chancelier de la
Légion d'honneur et après en avoir con-
féré avec le garde des sceaux, des décrets
qui réintègrent directement tes amnistiés
qui avaient été laissés en dehors des ca-
dres. La loi d'amnistie ayant replacé tous
ceux qui en ont bénéficié dans la situation
antérieure à leur condamnation, la dis-
tinction que le conseil supérieur avait
voulu établir était la négation même de la
loi. Aussi le président de la République
n'a-t-il pas hésité à signer les décrets de
réintégration.
Si cette question disparaît de l'ordre du
jour parlementaire, une autre prend la
place.
M. de Janzé a écrit hier à M. Tirard pour
l'avertir qu'il lui poserait samedi une ques-
tion au sujet du monopole de la fabrication
dies allumettes.
On sait que ce monopole, si justement
impopulaire, a été voté par l'Assemblée de
Versailles en 1873. La concession à la
compagnie qui fabrique aujourd'hui les
allumettes a été faite pour une période de
quinze années, avec faculté pour l'Etat de
dénoncer le traité cinq ans d'avance. Si la
dénonciation n'est pas faite d'ici au 31 dé-
cembre, c'est-à-dire dans un délai de qua-
tre jours, le traité continuera par voie de
tacite reconduction pendant dix ans au
moins. Il a, en effet, cinq années à courir,
et la dénonciation n'étant pas faite avant le
1er janvier 1883 ne pourra être faite aua
dans cinq années. - ¿
M. de Janzé, par sa question, veut savoir
quel parti le ministre des finances a pris
dans cette affaire.
Demain samedi, également, M. Dalattre;
député de la Seine, doit adresser aux mi-
nistres de l'intérieur et de la justice une
question pour leur demander quel traite-
ment on appliquera à un commissaire de
Saint-Denis qui se serait rendu coupable
d'abus de pouvoir ou qui aurait profité de
l'autorité qu'il détenait dans son intérêt
personnel.
Rappelons qu'il reste une question de
M. Bisseuil, sur les agissements de M.
Thomas, ancien évêque de la Rochelle/
aujourd'hui archevêque de Rouen, et deux
interpellations : l'une de M. Proust, sur
les travaux du mont Saint-Michel ; l'autre,
de M. de Colbert-Laplace-et non M. de
Ladoucette, comme on l'avait dit par er-,
reur—sur la caisse des chemins vicinaux ;"
-0-
Les ministres de la guerre et de la ma-
rine ont déposé hier, sur le bureau de la
Chambre, trois projets de loi ayant pour
objet d'organiser l'armée coloniale. En
même temps, les deux ministres opéraient
le retrait des projets analogues déposés par"
leurs prédécesseurs. •
De ces trois projets, l'un organise l'ar-
mée d'Afrique, les deux autres sont con-
nexes et ont pour but commun la réorga-
nisation de l'infanterie de marine. L'un de
ces deux derniers a pour objet de renfor-
cer les cadres de l'infanterie de marine,
l'autre de modifier le système de recrute-
ment de cette arme.
Pour renforcer les cadres, on établit un
roulement entre les officiers de l'armée
de terre et ceux de l'infanterie de marine,
en permettant aux premiers d'entrer dans
la catégorie des seconds, sous conditions
de certains avantages et sans perdre les
droits attachés à leur situation pri-
mitive.
Pour le recrutement de la troupe même,
on s'efforce d'obtenir par de hautes payes
et des primes, l'engagement dans l'infan-
terie de marine d'anciens soldats, ou de
soldats ayant déjà accompli un certain
temps de service dans l'armée de terre.
Ces projets, au reste, ne diffèrent que
par des détails de ceux qu'avaient pré-
sentés antérieurement M. Charles Brun et
le général Thibaudin et que la commission
de l'armée avaient déjà examinés et re-
poussés..
Feuilleton du RAPPEL
DU 29 DÉCEMBRE
80
LA
GOUTTE DE SANG
c
L'INSTITUTRICE
IX
Le docteur Laguionie était un grand
tmateur de rosiers, un horticulteur vigi-
ant, et c'était chez lui que fleurissaient
oujours les premières roses du printemps.
3cs Portland étaient célèbres, et, dans la
corbeille des hybrides remontants, il pos-
sédait surtout un Empereur du Maroc, une
Comtesse de Chabrillan et un Lord Palmo's-
:on qui faisaient l'admiration d'Antoinette
et lajoie d'Ange de Phalaris.
Aussi choisissait-on fréquemment sa
maison comme lieu de promenade, et les
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 23 septembre au 28 Mcmhrç,
jeunes filles revenaient toujours de chez
le bon docteur avec une riche moisson de
fleurs.
Il habitait, à l'extrémité du bourg de
Phalaris, un grand chalet bien aménagé
sur les bords de la Douzelle qui se jette
dans la Dronne quelques cents mètres
plus loin. Du château pour aller chez lui,
on pouvait prendre à volonté la grande
voie carrossable qui aboutissait à la grille
et qui montait du bourg par une pente
douce, ou bien le sentier des chèvres qui
s'amorçait à la route à cinquante pas de
l'entrée principale, et serpentait entre deux
haies de mûriers, de ronces à grandes
épines et de buissons, au milieu des plants
de vignes qui, couvraient tout le flanc de
la montagne.
Ange aimait ce chemin, dont les acci-
dents lui étaient familiers et qui l'amusait
avec ses circuits de labyrinthe ; et, quand
le sol était suffisamment sec, Antoinette,
pour lui complaire, ne demandait pas
mieux que de l'y suivre.
Un jour, le comte Guy, forcé de se ren-
dre à Bussac chez un de ses fermiers, pro-
mit de les rejoindre dans l'après-midi chez
le docteur, et chargea Baricand de les ac-
compagner jusqu'au chalet Laguionie.
Comme le temps était clair, le soleil déjà
plein d'ardeur, on décida qu'on prendrait
le sentier des chèvres, plus ombreux que
la route, et déjà Ange Vllait s'y engager,
quand elle reççïa effarée, et, revenant à
Antoinette : - ',0
zz j'ai eu peur, dit-elle|
- Et pourquoi ?
- Il y a un homme étendu sans mouve-
ment au bord de la grande route, en tra-
vers du sentier.
— Endormi?.
— Il semble être tombé là de fatigue et
d'épuisement. Mais je n'ai pas osé regar-
der davantage.
Baricand s'était approché.
— Quelque maraudeur, quelque ivro-
gne, qui va tôt déguerpir en m'apercevant!
s'écria-t-il; vous allez voir ça.
Et il passa devant, suivi par les deux
jeunes fillesv qu'une sorte de pitié entraî-
nait après lui plus encore que la curio-
sité. -
Du premier coup d'œil, Baricand com-
prit qu'il n'avait pas affaire à quelqu'un
de ses justiciables ordinaires. Bien que ses
habits fripés et souillés de poussière ne
prévinssent pas en sa faveur, ils révélaient
pour le garde le bourgeois et même l'hom-
me élégant.
L'inconnu était tombé sur le flanc, te-
nant encore une canne sur laquelle il s'é-
tait appuyé sans doute. Et, trop faible ou
trop malade pour se relever, il était resté
sur place; le visage effleurant le sol, les
mains crispées, et respirant à peine.
Baricand le releva à demi, lui appuyant
la tête sur son genou pour l'examiner.
— Qu'est-ce qu'il a, ce particulier-là?
Les yeux étaient tournés, la face pâle,
les lèvres sans couleur.
Pourtant, ainsi remis sur son séant, il
parut se ranimer, le râle fit place à une
respiration moins pénible, et il balbutia
quelques mots à peu près inintelligibles,
où Baricand crut distinguer cette plainte :
- J'ai froid !
Le malheureux en effet grelottait la
fièvre.
— Voilà de quoi te réchauffer, mon gar-
çon, dit Baricand en tirant sa gourde.
Et il lui versa quelques gouttes d'eau-de-
vie de marc sur les lèvres.
Antoinette et Ange s'étaient approchées,
mais le garde leur cachait alors de son
bras le visage du malade.
Sans doute le cordial était énergique,
car il 'lui fit faire un haut-le-corps ner-
veux, et Baricand le démasqua.
11 avait ouvert les yeux et aperçut aussi-
tôt Antoinette à deux pas de lui. Il fut pris
alors d'un frisson soudain, et, se cachant
la figure de ses mains :
— ElleI s'écria-t-il, elle, toujours!.
Grâce! Je suis venu. mourir. ici!
Chacun de ces mots s'exhalait avec
peine. L'homme suppliait et vraiment sem-
blait n'avoir que le souffle; si bien qu'a-
près avoir dit, il retomba inerte en arrière
et ses mains, en glissant le long du corps,
lui laissèrent le visage en pleine lumière.
A sa vue, à son cri, Mlle Biron, ne pou-
vant se maîtriser, avait eu un mouvement
d'épouvante instinctif et avait saisi dans
ses bras, comme pour la sauvegarder;
Ange, toute surprise. Mais elle sut bien
vite commander à son émotion, et, reve-
nant à Baricand qui ouvrait de grands
yeux, elle lui dit avec calme :
— Voici fort à propos des gens du châ-
teau qui viennent à nous, ils vous aideront
à transporter le malade. Nous allons, Ange
et moi, prévenir le docteur et nous le ra-
mènerons.
— Le transporter au château? demanda
Baricand étonné, et dans quelle chambre
donc?
— A l'appartement qu'occupait, avant
son départ de Phalaris, le vicomte Mical,
mon ami, répondit Antoinette.
Baricand eut un soubresaut de retraite
comme pour échapper à un contact im-
possible; mais, arrêté par la présence
d'Antoinette, il se contint, et, dévisageant
mieux celui qu'il soutenait :
— C'est vrai, murmura-t-il, ciest pour-
tant vrai!. C'est bien lui. Je le reconnais
à présent.
Il ne l'avait pas vu depuis sa désertion
en 1870, et Mical, après dix ans, s'était
presque effacé de son souvenir. Comment
s'attendre d'ailleurs à le retrouver dans
cette situation de misérable agonisant?
Ange s'était penchée aussitôt pour mieux
voir cette face décomposée.
— Mical ! murmura-t-elle, mon frère 1.,.
Rarement elle avait eu l'occasion d'en-
tendre parler de lui. On ne le nommait
guère devant elle. Et pourtant elle avait
conservé le souvenir de la sombre tris-
tesse qui se lisait sur le visage de son père,
chaque fois qu'il avait été question du vi-
comte. Parfois elle avait naïvement désiré
le connaître, et voilà qu'à son premier as-
pect elle éprouvait une sorte de stupeur
craintive; bien plus, presque une souf-
france. Peut-être quelqu'un des traits de
son frère lui rappelait-il vaguement la
physionomie de Micaela et sçs rages de
marâtre.
Ange saisit la main d'Antoinette, et, se
glissant dans le sentier, en se tenant le
plus loin possible du vicomte de façon à
ne pas même l'effleurer de sa jupe, elle
entraîna Mlle Biron, en lui disant d'une
voix mal assurée :
— Le docteur J. Allons prévenir le
docteur.
Si elles n'avaient pas été si troublées ,..1',;,
l'une et l'autre, elles auraient pu voir un
homme se dissimulant derrière la haie
d'aubépine et au milieu des tiges sarmen-
teuses de la vigne, et, les regardant courir
pour chercher les secours du docteur,
avec un sourire étrange aux lèvres. C'é-
tait Sicaire, qui avait suivi toute la scène
avec une attention passionnée.
— Le truc a réussi ! grommela-t-il, les
voilà tous aux champs ! et, grâce à sa
comédie de lamentations, il pénètre dans
la place. Je l'y rejoindrai ce soir.
MAURICE DRACK»J
(4 suÜ;,'e.)
le numéro : lOc. — Départements s IL 5; e.
9 Kivdse an 92 — Ne 5041
,, J
ADMINISTRATION
18, JUJE DE valois , fR
--
abonnements -
PARIS
rroism
DÉPARTBjUEMS
Trois mois. 13 §if
Six mois 22
A3rcsser Mires et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE
wiDilXXISTrLVIEXmGÉEANT
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BH HisS1 -- VSl» #- l iga ■I^BÉ
mH» w ftiRgWgjttaU fl nfip^aT f?rl8i *• 1iBP3- HH ■ £ »[ nS9 HtaH 1^9 éE^-:j®H
Ciirr^ j rTTHrTTi ffiai i ^rîÉh^igTtî['iiT?ift^5sBs filfifltflBBB ■ H beGui £ B3 bHsBËbhSI B8B3BBh99r39BBB SJBbHEShBSHSBWV
REDACTION ~-
S'adresser au Secrétaire 3e 3a Réâaeiioa
-\ J?c4«6 heures du soir
i iSt HUE - DE VALOIS, 18
.^e» manuscrits nonioséresne seroaipos icûîua
i - - ANNONGES —
vV "3S1T. Cil. IAGRANGE, CERF et C®
\X 6j jlace de la Bourse,6
COME ET DAMIEN
Il y a deux cents ans, une fille, nom-
mée Marie Alacoque, donnait des ren-
dez-vous à Jésus-Christ, qui y venait,
et qui lui disait :
— Aimes-tu le fromage ?
— Je l'exècre.
— Manges-en.
Elle en mangeait. Pour la récompen-
ser de son obéissance, Jésus-Christ
s'ouvrait la poitrine, lui montrait son
cœur saignant comme un quartier de
viande au crochet des bouchers, et lui
disait :
— Donne-moi le tien.
Marie Alacoque le donnait, et les
deux cœurs se baisaient. Quand le
cœur de Marie Alacoque en avait assez,
Jésus le lui rendait, refermait son trou,
et retournait an paradis.
L'Assemblée du jour de malheur se
dit que co fromage et ce trou devaient
être la religion de la France. Elle se
dit qu'il était temps de bâtir une église
où l'on adorerait ce trou et ce fromage.
En quel endroit cette église serait-elle
mieux placée que sur la butte Mont-
martre, d'où elle dominerait, d'où elle
écraserait cet abominable libre-penseur,
Paris?
Tant que l'assemblée monarchico-
eléricale a vécu, il a été publiquement
avoué que le but de l'église alacoquine
était de peser sur la grande ville révo-
lutionnaire, de la couvrir de son om-
bre, de lui faire baisser la tête. Lorsque
l'assemblée du fromage a fait place aux
Chambres républicaines, ce sont les
alacoquins qui ont baissé le ton et ils
out protesté pudiquement que ce n'était
pas contre Paris, ni contre la libre-
pensée, ni contre la République qu'ils
avaient voté l'église du trou.
Malheureusement pour cette protes-
tation en retard, deux faits étaient là.
Deux mois jour pour jour avant de vo-
ter leur église, les alacoquins avaient
fait un suprême effort pour jeter la Ré-
publique par terre." Gênés dans ., cette
honorable opération par le présidenl
d'alors, ils l'avaient mis à la porte et
remplacé par un président à eux. Ils
avaient remplacé le président-grue qui
• croquait les grenouilles par un prési-
dent-soliveau qui les laisserait deman-
der tous les rois qu'elles voudraient.
L'empêchement des grenouilles avait
été que les unes avaient demandé un
roi blanc et les autres un roi trico-
lore, si bien que leur succès avait été
do n'avoir pas de roi du tout. — Le
même jour (24 mai 1873), l'assemblée
générale des catholiques avait voté un
pèlerinage au lieu où Marie Alacoque
et Jésus ont eu leurs rendez-vous. Et
c'est un mois après le jour où les ala-
coquins de l'Assemblée de Versailles,
bannières en mains, croix rouges sur
!a poitrine, s'étaient agenouillés de-
vant le Jésus troué de Paray-le-
Monial et s'étaient consacrés à lui,
que l'Assemblée dont ils étaient Je
plus bel ornement avait décerné à
l'église de la butte Montmartre la dé-
claration d'utilité publique. Il serait
difficile de nier la corrélation qu'il y a
eu entre cette déclaration et l'essai de
renversement de la République, et Tar-
tuffe lui-même serait obligé de confes-
ser que l'église du Sacré-Cœur est une
église de combat.
Le combat semble devoir finir faute
de combattants. « Hélas ! l'argent me
manque ! » s'écrie douloureusement
don César. Les alacoquins poussent les
mêmes gémissements. Nous venons de
lire l'appel qu'adressent aux médecins
et aux pharmaciens de France quatre
docteurs de Rennes, un docteur d'An-
gers et un docteur de Cbàtcau-Gon-
tier. Cette demi-douzaine de docteurs
invite « tous les médecins français sym-
pathiques à l'œuvre de foi et de patrio-
tisme et aussi MM. les pharmaciens à
lui faire parvenir leurs offrandes ou,
s'ils le préfèrent, au secrétariat de l'é-
vêché du Mans ». En remerciement de
leur argent, l'archevêque de Paris
« mettra une des chapelles de la crypte
sous l'invocation des saints Côme et
Damien, patrons de la médecine ».
Ce sera de l'argent bien placé. Saint
Côme et saint Damien seraient les plus
ingrats des saints s'ils ne récompen-
saient pas ceux qui leur auront donné
une chapelle de la crypte en envoyant
à leurs clients des tas de maladies, en
les comblant de fièvres typhoïdes, en
accablant leur quartier d'épidémies. Et
les pharmaciens, quelle vente de re-
mèdes cela leur promet! quels purga-
tifs à composer! quels lavements à
inculquer! Quels horizons cela ouvre
aux Diafoirus et aux Purgons cléri-
caux !
Je ne doute pas un seul instant
que tout ce qu'il y a en France de Pur-
gons et de Diafoirus bien pensants ne
s'empressent de prodiguer des sommes
à la chapelle de deux saints qui les leur
rendront en épidémies. Et à la place de
l'archevêque de Paris, j'étendrais ce
moyen de me procurer les fonds dont a
grandement besoin l'église qui doit ter-
rasser Paris comme l'archange a Satan
sous son talon. Après la chapelle des
médecins et des apothicaires, j'invente-
rais la chapelle des chapeliers, la cha-
pelle des épiciers, la chapelle des cor-
royeurs, la chapelle des halayeurs, etc.
Pourquoi pas la chapelle des vidan-
geurs? Ça varierait l'encens.
Toutes ces chapelles, dont le besoin
ne peul manquer de se faire sentir,
auront leur tour. C'était par les méde-
cins et les pharmaciens que l'église
devait commencer, étant malade. Ils ne
la guériront pas.
AUGUSTE VACQUERIE.
La discussion du budget s'achèvera
aujourd'hui au Sénat. Les budgets des
différents ministères votés hier et avant-
hier par le Sénat, ne comportent que deux
modifications : l'une ayant trait aux
bourses des séminaires et l'autre au trai-
tement des archevêques. Deux autres
amendements proposés par la commission
sénatoriale n'ont pas été adoptés par
l'assemblée. Dans ces conditions et avec
ces deux augmentations, le budget poutta:
être rapporté aujourd'hui à la Chambre.
Dans ces deux jours de discussion ou
plutôt d'observations échangées, il n'y a
guère à signaler que les critiques adressées
au garde des sceaux par M. Denormandie
au sujet du renouvellement du personnel
judiciaire. Il faut aussi constater que la
commission des finances du Sénat et le
ministre de la guerre se sont accordés à
rendre pleine justice à la prévoyance et à
l'initiative patriotique du général Billot, a
propos des marchés de concentration. Le
sous-secrétaire d'Etat à la guerre, M. Ca-
simir-Perier, peu au courant sans doute
de la question, et le rapporteur de lacom-
mission du budget avaient, à la Chambre,
critiqué les mesures prises. Le général
Campenon. qui n'était pas présent.à la
Chambre, lors de ce débat, n'a pas hésité,
dans le sein de la commission sénatoriale
et en séance publique, à reconnaître le
service rendu par son honorable prédéces-
seur et a félicité le général Billot d'avoir
pris, dans l'intérêt général , la respon-
sabilité d'un complément d'organisation
trop longtemps différé.
A. G.
'* ^a—»
A LA CHAMBRE -
La Chambre avait hier à son ordre
du jour le projet de loi relatif à la colo-
nisation algérienne, à laquelle une
nouvelle somme de cinquante millions
serait consacrée. Il s'agit, d'après le
projet, d'acheter 300,000 hectares de
terre, soit environ pour vingt-cinq mil-
lions. L'autre moitié de la somme
serait consacrée à la création de vil-
lages. C'est ce qu'on appelle la coloni-
sation officielle.
Le premier orateur, M. Ballue, a lon-
guement et fortement combattu le pro-
jet. M. Ballue ne croit qu'à la colonisa-
tion libre et, à l'appui de son opinion,
il invoque les expériences déjà faites.
D'autre part, l'honorable orateur estime
qu'il est impolitique et dangereux de
spolier les indigènes. Or, quoi que
prétendent les auteurs du projet, c'est
à la spoliation qu'ils aboutissent. La
somme qu'on paiera aux Arabes, en
échange du sol qui les nourrit, sera
bientôt perdue, dissipée, car l'Arabe ne
sait pas faire valoir un capital. C'est la
misère des indigènes qu'on organise
ainsi, et, par suite, on multiplie dans
la colonie les chances de crimes et
même d'insurrection. Quel serait, dit
M. Ballue, le résultat de cette loi si elle
était votée? En dix ans, elle augmen-
terait de dix-huit mille individus la
population européenne. La colonisa-
tion, livrée à elle-même, n'arrivera-t-elle
pas à un développement au moins équi-
valent ?
Pourquoi d'ailleurs, puisque le do-
maine possède huit cent mille hectares,
ne commence-t-il pas par puiser dans
cet énorme fonds? Est-il donc dé-
montré que les Arabes cultivent si
mal? Parmi les terres en friche, M.
Ballue affirme qu'il y en a un plus grand
nombre appartenant aux colons qu'aux
indigènes. L'orateur est convaincu que
des spéculations malsaines seront fa-
vorisées par ces achats de terrain. Ce
n'est pas de cette façon qu'on peut
réellement mettre en valeur le sol algé-
rien. Si l'Etat y dépense de l'argent,
que ce soit en travaux productifs, en
amenant de l'eau surtout ; c'est là la
richesse et la civilisation.
Tous les hommes qui ont étudié
l'Algérie ont déclaré qu'il était néces-
saire que les Arabes restassent proprié-
taires fonciers. C'est là la meilleure
garantie d'ordre. M. Ballue, qui a cité
nombre d'opinions en ce sens, estime
aussi que la confraternité d'armes avec
une race qui combat si volontiers sous
nos drapeaux, qui s'y conduit si vail-
laiiïfeént, -nous oblige à quelques égards
dont le projet semble ne pas tenir
compte. L orateur, qui a été écouté avec
beaucoup d'attention, a terminé en
priant la Chambre de ne pas passer à la
discussion des articles.
M. Tirman, gouverneur général de
l'Algérie et commissaire du gouverne-
ment, s'est efforcé de détruire l'impres-
sion produite par le discours de M.
Ballue. Il a protesté qu'il ne s'agissait
pas de dépouiller les indigènes et que,
par conséquent, leur mécontentement
n'était point à craindre. M. le gouver-
neur général n'est même pas éloigné
de penser, du moins d'après son lan-
gage, que plus on prendra de terré aux
Arabes, plus ils auront lieu d'être
satisfaits. La raison qu'il donne de cette
opinion bizarre, c'est que la terre à eux
laissée vaudra davantage. M. Tirman ne
nie pas qu'il n'y ait eu des fautes com-
mises dans l'œuvre de la colonisation
officielle. Il promet seulement que ces
fautes ne seront pas renouvelées. Obligé
de reconnaître qu'il y a eu quelques
exemples regrettables de spéculation,
M. Tirman s'engage à surveiller les cas
semblables qui pourraient se produire.
Au reste, le gouverneur général n'é-
pargne pas les promesses et les enga-
gements : il affirme à la Chambre que,
d'ici à vingt-cinq ans, on ne lui de-
mandera plus rien du tout pour la co-
lonisation.
Relativement aux terres du domaine,
M. Tirman explique que, si on ne les
prend pas, c'est que toutes ne sont pas
bonnes. Il reconnaît toutefois, chose à
noter, qu'il y en a 180,000 hectares
d'excellentes. Pourquoi ne eommenee-
t-on pas la colonisation avec cela, au
lieu de réclamer cinquante millions
pour en acheter d'autres? M. Tirman
n'a pas répondu à cette objection, qui
saute aux yeux. M. Tirman, qui n'a
obtenu qu'un succès fort médiocre, a
essayé d'intéresser la Chambre à son
projet en lui parlant des souffrances des
départements viticoles et des tentatives
heureuses qui pourraient être faites en
Algérie par nos vignerons appauvris,
qui, dit-il, s'apprêtent à partir pour
l'Amérique. Cet argument a été ac-
cueilli avec une certaine incrédulité.
, Comme M. le gouverneur général fi-
nissait de débiter son discours légère-
ment terne et monotone, la tribune a
été prise d'assaut par un orateur à la
voix retentissante et au geste éner-
gique. C'est un jeune homme sans
doute? Non; c'est le doyen de la Cham-
bre, c'est M. Guichard qui vient, avec
sa conviction honnête et ardente, avec
sa parole pleine de flammes, donner à
ce débat la passion et la vie qui ont
manqué jusqu'ici. En même temps,
l'honorable orateur a su se placer au
point de vue de ces principes que la
France républicaine était fière, autre-
fois, de répandre par le monde et qui
ne sauraient s'accorder avec l'exploita-
tion d'un peuple vaincu.
M. Guichard est l'adversaire résolu
de la colonisation officielle : elle a
coûté deux milliards et elle en réclame-
rait encore autant pour mettre un mil-
lion d'Européens en Algérie. M. Tir-
man célèbre les résultats acquis qu'il
croit supérieurs à ceux que les Anglais
et les Hollandais ont obtenus dans leurs
colonies; mais la mère-patrie avait-elle
fait des sacrifices comparables à ceux
que la France s'est imposés ? On nous
parle des besoins de l'agriculture algé-
rienne. Et l'agriculture française est-
elle donc si prospère qu'il faille, en lui
enlevant des bras, faire encore hausser
le prix de la majn-d'œuvre ? Sans doute,
il y a un certain commerce en Algérie.
Est-ce étonnant? Nous y entretenons
une garnison de soixante mille hom-
mes. La moitié devrait suffire ; mais,
pour cela, il faudrait ne pas irriter les
Arabes, les assimiler au lieu de les dé-
pouiller.
Les cinquante millions qu'on de-
mande à la mère-patrie ne feront qu'a-
mener des colons plus disposés à culti-
ver le bureau de bienfaisance qu'à cul-
tiver la terre. Et quant à la manière
dont on se procure cette somme, M.
Guichard la trouve fort irrégulière. On
dit qu'il y a au budget algérien un cré-
dit annuel dont on n'a pas besoin, et
on propose d en taire le gage cl un ca-
pital de cinquante millions, payables
en vingt annuités. C'est un exemple fi-
nancier qui parait fort mauvais à M.
Guichard, et, de plus, il est certain que
le crédit provisoirement supprimé, et
qui servait bien à quelque chose, ne
manquera pas de reparaître prochaine-
ment. En somme, selon l'orateur, on
propose à la France de manger son
bien vingt ans d'avance. Ce n'est pas
ainsi que la colonisation peut être com-
prise; ce n'est pas ainsi que nous pou-
vons nous conduire avec ceux qui com-
battraient demain dans nos rangs, si
nous venions à être attaqués en Europe.
Après ce discours, interrompu à plu-
sieurs reprises par de vifs applaudisse
ments, la remise de la discussion
été demandée et obtenue, après deux
épreuves par assis et levé. L'impres-
sion générale est que le projet ne sera
pas voté.
- Nous espérons que la Chambre se
souviendra que, selon le mot profond
d'un officier général de l'ancienne ar-
mée d'Afrique, il y a autre chose, en
Algérie, que des terres à conquérir :
il y a, il y a surtout des hommes, sol-
dats sans pareil, race essentiellement
belliqueuse. C'est là— disait le général
Molière, il y a déjà près d'un demi-
siècle — les vraies richesses que nous
offre l'Algérie. Bugeaud était du
même avis. Mais pour mettre à profit
cette richesse que le vieux maréchal
jugeait presque inépuisable, il ne
faut pas s'aliéner, à plaisir, l'esprit des
indigènes. Or le projet en discussion
pourrait-il avoir un autre résultat quand,
de l'aveu de ses partisans, les terres qui
seraient enlevées aux Arabes seraient
non pas des terres en friche; mais des
terres cultivées ou améliorées par eux.
Et ici on touche à un point fort intéres-
sant de la question. On sait que la
population indigène augmente ; on sait
qu'elle adopte, peu à peu, des moyens
de culture perfectionnée. Et dans
quelles conditions s'accomplissent ces
progrès? Sous Yempire du régime de
l'expropriation ; sous cette menace per-
manente, bien faite pour détourner les
détenteurs actuels du sol de toute amé-
lioration productive, puisque cette amé-
lioration pourrait ne pas leur profiter.
Ce n'est donc pas au développement
du système d'expropriation qu'il faut
songer, c'est à sa suppression, et, puis-
que le projet aurait pour résultat de
distribuer 300,000 hectares en vingt
années, qu'on distribue d'abord les
180,000 hectares de bonnes terres dont
M. Tirman a avoué qu'il ne faisait rien.
A. GAULIER.
-
COULISSES DES CHAMBRES
-
- Les questions et interpellations qui de-
vaient venir en discussion hier, à la Cham-
bre, ont été remises à demain samedi.
Nous les avons énumérées avant-hier ; nous
devons dire aujourd'hui que la nomencla-
ture en est quelque peu modifiée.,
En particulier, la question que M,
Edouard Lockroy devait poser au ministre
de la justice au sujet de la non-réintégra-
tion de certains amnistiés dans les cadres
de la Légion d'honneur, devient aujour-
d'hui sans objet, la distinction que le con-
seil supérieur de la Légion d'honneur
avait voulu établir entre les amnistiés étant
effacée. Nous pouvons dire, en effet, que
le président de la République a signé, sur
la proposition du grand-chancelier de la
Légion d'honneur et après en avoir con-
féré avec le garde des sceaux, des décrets
qui réintègrent directement tes amnistiés
qui avaient été laissés en dehors des ca-
dres. La loi d'amnistie ayant replacé tous
ceux qui en ont bénéficié dans la situation
antérieure à leur condamnation, la dis-
tinction que le conseil supérieur avait
voulu établir était la négation même de la
loi. Aussi le président de la République
n'a-t-il pas hésité à signer les décrets de
réintégration.
Si cette question disparaît de l'ordre du
jour parlementaire, une autre prend la
place.
M. de Janzé a écrit hier à M. Tirard pour
l'avertir qu'il lui poserait samedi une ques-
tion au sujet du monopole de la fabrication
dies allumettes.
On sait que ce monopole, si justement
impopulaire, a été voté par l'Assemblée de
Versailles en 1873. La concession à la
compagnie qui fabrique aujourd'hui les
allumettes a été faite pour une période de
quinze années, avec faculté pour l'Etat de
dénoncer le traité cinq ans d'avance. Si la
dénonciation n'est pas faite d'ici au 31 dé-
cembre, c'est-à-dire dans un délai de qua-
tre jours, le traité continuera par voie de
tacite reconduction pendant dix ans au
moins. Il a, en effet, cinq années à courir,
et la dénonciation n'étant pas faite avant le
1er janvier 1883 ne pourra être faite aua
dans cinq années. - ¿
M. de Janzé, par sa question, veut savoir
quel parti le ministre des finances a pris
dans cette affaire.
Demain samedi, également, M. Dalattre;
député de la Seine, doit adresser aux mi-
nistres de l'intérieur et de la justice une
question pour leur demander quel traite-
ment on appliquera à un commissaire de
Saint-Denis qui se serait rendu coupable
d'abus de pouvoir ou qui aurait profité de
l'autorité qu'il détenait dans son intérêt
personnel.
Rappelons qu'il reste une question de
M. Bisseuil, sur les agissements de M.
Thomas, ancien évêque de la Rochelle/
aujourd'hui archevêque de Rouen, et deux
interpellations : l'une de M. Proust, sur
les travaux du mont Saint-Michel ; l'autre,
de M. de Colbert-Laplace-et non M. de
Ladoucette, comme on l'avait dit par er-,
reur—sur la caisse des chemins vicinaux ;"
-0-
Les ministres de la guerre et de la ma-
rine ont déposé hier, sur le bureau de la
Chambre, trois projets de loi ayant pour
objet d'organiser l'armée coloniale. En
même temps, les deux ministres opéraient
le retrait des projets analogues déposés par"
leurs prédécesseurs. •
De ces trois projets, l'un organise l'ar-
mée d'Afrique, les deux autres sont con-
nexes et ont pour but commun la réorga-
nisation de l'infanterie de marine. L'un de
ces deux derniers a pour objet de renfor-
cer les cadres de l'infanterie de marine,
l'autre de modifier le système de recrute-
ment de cette arme.
Pour renforcer les cadres, on établit un
roulement entre les officiers de l'armée
de terre et ceux de l'infanterie de marine,
en permettant aux premiers d'entrer dans
la catégorie des seconds, sous conditions
de certains avantages et sans perdre les
droits attachés à leur situation pri-
mitive.
Pour le recrutement de la troupe même,
on s'efforce d'obtenir par de hautes payes
et des primes, l'engagement dans l'infan-
terie de marine d'anciens soldats, ou de
soldats ayant déjà accompli un certain
temps de service dans l'armée de terre.
Ces projets, au reste, ne diffèrent que
par des détails de ceux qu'avaient pré-
sentés antérieurement M. Charles Brun et
le général Thibaudin et que la commission
de l'armée avaient déjà examinés et re-
poussés..
Feuilleton du RAPPEL
DU 29 DÉCEMBRE
80
LA
GOUTTE DE SANG
c
L'INSTITUTRICE
IX
Le docteur Laguionie était un grand
tmateur de rosiers, un horticulteur vigi-
ant, et c'était chez lui que fleurissaient
oujours les premières roses du printemps.
3cs Portland étaient célèbres, et, dans la
corbeille des hybrides remontants, il pos-
sédait surtout un Empereur du Maroc, une
Comtesse de Chabrillan et un Lord Palmo's-
:on qui faisaient l'admiration d'Antoinette
et lajoie d'Ange de Phalaris.
Aussi choisissait-on fréquemment sa
maison comme lieu de promenade, et les
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 23 septembre au 28 Mcmhrç,
jeunes filles revenaient toujours de chez
le bon docteur avec une riche moisson de
fleurs.
Il habitait, à l'extrémité du bourg de
Phalaris, un grand chalet bien aménagé
sur les bords de la Douzelle qui se jette
dans la Dronne quelques cents mètres
plus loin. Du château pour aller chez lui,
on pouvait prendre à volonté la grande
voie carrossable qui aboutissait à la grille
et qui montait du bourg par une pente
douce, ou bien le sentier des chèvres qui
s'amorçait à la route à cinquante pas de
l'entrée principale, et serpentait entre deux
haies de mûriers, de ronces à grandes
épines et de buissons, au milieu des plants
de vignes qui, couvraient tout le flanc de
la montagne.
Ange aimait ce chemin, dont les acci-
dents lui étaient familiers et qui l'amusait
avec ses circuits de labyrinthe ; et, quand
le sol était suffisamment sec, Antoinette,
pour lui complaire, ne demandait pas
mieux que de l'y suivre.
Un jour, le comte Guy, forcé de se ren-
dre à Bussac chez un de ses fermiers, pro-
mit de les rejoindre dans l'après-midi chez
le docteur, et chargea Baricand de les ac-
compagner jusqu'au chalet Laguionie.
Comme le temps était clair, le soleil déjà
plein d'ardeur, on décida qu'on prendrait
le sentier des chèvres, plus ombreux que
la route, et déjà Ange Vllait s'y engager,
quand elle reççïa effarée, et, revenant à
Antoinette : - ',0
zz j'ai eu peur, dit-elle|
- Et pourquoi ?
- Il y a un homme étendu sans mouve-
ment au bord de la grande route, en tra-
vers du sentier.
— Endormi?.
— Il semble être tombé là de fatigue et
d'épuisement. Mais je n'ai pas osé regar-
der davantage.
Baricand s'était approché.
— Quelque maraudeur, quelque ivro-
gne, qui va tôt déguerpir en m'apercevant!
s'écria-t-il; vous allez voir ça.
Et il passa devant, suivi par les deux
jeunes fillesv qu'une sorte de pitié entraî-
nait après lui plus encore que la curio-
sité. -
Du premier coup d'œil, Baricand com-
prit qu'il n'avait pas affaire à quelqu'un
de ses justiciables ordinaires. Bien que ses
habits fripés et souillés de poussière ne
prévinssent pas en sa faveur, ils révélaient
pour le garde le bourgeois et même l'hom-
me élégant.
L'inconnu était tombé sur le flanc, te-
nant encore une canne sur laquelle il s'é-
tait appuyé sans doute. Et, trop faible ou
trop malade pour se relever, il était resté
sur place; le visage effleurant le sol, les
mains crispées, et respirant à peine.
Baricand le releva à demi, lui appuyant
la tête sur son genou pour l'examiner.
— Qu'est-ce qu'il a, ce particulier-là?
Les yeux étaient tournés, la face pâle,
les lèvres sans couleur.
Pourtant, ainsi remis sur son séant, il
parut se ranimer, le râle fit place à une
respiration moins pénible, et il balbutia
quelques mots à peu près inintelligibles,
où Baricand crut distinguer cette plainte :
- J'ai froid !
Le malheureux en effet grelottait la
fièvre.
— Voilà de quoi te réchauffer, mon gar-
çon, dit Baricand en tirant sa gourde.
Et il lui versa quelques gouttes d'eau-de-
vie de marc sur les lèvres.
Antoinette et Ange s'étaient approchées,
mais le garde leur cachait alors de son
bras le visage du malade.
Sans doute le cordial était énergique,
car il 'lui fit faire un haut-le-corps ner-
veux, et Baricand le démasqua.
11 avait ouvert les yeux et aperçut aussi-
tôt Antoinette à deux pas de lui. Il fut pris
alors d'un frisson soudain, et, se cachant
la figure de ses mains :
— ElleI s'écria-t-il, elle, toujours!.
Grâce! Je suis venu. mourir. ici!
Chacun de ces mots s'exhalait avec
peine. L'homme suppliait et vraiment sem-
blait n'avoir que le souffle; si bien qu'a-
près avoir dit, il retomba inerte en arrière
et ses mains, en glissant le long du corps,
lui laissèrent le visage en pleine lumière.
A sa vue, à son cri, Mlle Biron, ne pou-
vant se maîtriser, avait eu un mouvement
d'épouvante instinctif et avait saisi dans
ses bras, comme pour la sauvegarder;
Ange, toute surprise. Mais elle sut bien
vite commander à son émotion, et, reve-
nant à Baricand qui ouvrait de grands
yeux, elle lui dit avec calme :
— Voici fort à propos des gens du châ-
teau qui viennent à nous, ils vous aideront
à transporter le malade. Nous allons, Ange
et moi, prévenir le docteur et nous le ra-
mènerons.
— Le transporter au château? demanda
Baricand étonné, et dans quelle chambre
donc?
— A l'appartement qu'occupait, avant
son départ de Phalaris, le vicomte Mical,
mon ami, répondit Antoinette.
Baricand eut un soubresaut de retraite
comme pour échapper à un contact im-
possible; mais, arrêté par la présence
d'Antoinette, il se contint, et, dévisageant
mieux celui qu'il soutenait :
— C'est vrai, murmura-t-il, ciest pour-
tant vrai!. C'est bien lui. Je le reconnais
à présent.
Il ne l'avait pas vu depuis sa désertion
en 1870, et Mical, après dix ans, s'était
presque effacé de son souvenir. Comment
s'attendre d'ailleurs à le retrouver dans
cette situation de misérable agonisant?
Ange s'était penchée aussitôt pour mieux
voir cette face décomposée.
— Mical ! murmura-t-elle, mon frère 1.,.
Rarement elle avait eu l'occasion d'en-
tendre parler de lui. On ne le nommait
guère devant elle. Et pourtant elle avait
conservé le souvenir de la sombre tris-
tesse qui se lisait sur le visage de son père,
chaque fois qu'il avait été question du vi-
comte. Parfois elle avait naïvement désiré
le connaître, et voilà qu'à son premier as-
pect elle éprouvait une sorte de stupeur
craintive; bien plus, presque une souf-
france. Peut-être quelqu'un des traits de
son frère lui rappelait-il vaguement la
physionomie de Micaela et sçs rages de
marâtre.
Ange saisit la main d'Antoinette, et, se
glissant dans le sentier, en se tenant le
plus loin possible du vicomte de façon à
ne pas même l'effleurer de sa jupe, elle
entraîna Mlle Biron, en lui disant d'une
voix mal assurée :
— Le docteur J. Allons prévenir le
docteur.
Si elles n'avaient pas été si troublées ,..1',;,
l'une et l'autre, elles auraient pu voir un
homme se dissimulant derrière la haie
d'aubépine et au milieu des tiges sarmen-
teuses de la vigne, et, les regardant courir
pour chercher les secours du docteur,
avec un sourire étrange aux lèvres. C'é-
tait Sicaire, qui avait suivi toute la scène
avec une attention passionnée.
— Le truc a réussi ! grommela-t-il, les
voilà tous aux champs ! et, grâce à sa
comédie de lamentations, il pénètre dans
la place. Je l'y rejoindrai ce soir.
MAURICE DRACK»J
(4 suÜ;,'e.)
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