Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-07-28
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 juillet 1883 28 juillet 1883
Description : 1883/07/28 (N4887). 1883/07/28 (N4887).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/11/2012
N" 4887 Ii- Samedi 28 Juillet i883 Le numéro: lOc. — Départements : 15; c. 10 Ifhermmor an 91 ., N=> 4887
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, t*
»»-. -M
ABONNEMENTS
PARIS
!'rls mois. 10 »
six 20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 13 5
Six mois £ 7 Jf
Adresser lettres et manflafs
A M. ERNEST LEFÈVRE
JffiJUISISXRATErE. GÉRASI
Y REDACTION
'a.dresser au. Secrétaire de la ftétbeiion.
De 4 à 6 heures dit soir
98,t
V Nl/e|s manuscrits BOB m seres ne seroni pas rEB^i^
-
ANNONCES
W. Ch. lAGRANGE^ CERF et ce
V. G, place de la Bourse, G
LE BACCARAT
Si nous en croyons deux de nos con-
frères, le jour du baccarat serait arrivé
dans les casinos d'un grand nombre de
stations balnéaires de France.- D'où
sortez-vous? répondent les joueurs.
Vous croyez que c'est d'aujourd'hui
que nous tirons à cinq ? De tout temps,
le baccarat a eu ses entrées dans tous les
casinos, en France comme ailleurs. Que
faire dans un casino, à moins que l'on
n'y joue? En êtes-vous à cette candeur
de vous figurer qu'on vient aux stations
balnéaires pour y prendre des bains?
Quand même on en prendrait, deux par
jour, si vous voulez, c'est deux heures
au plus que cela occupe, il reste, au
minimum, une douzaine d'heures à
tuer. Saint Baccarat, protégez-nous !
C'est vrai, joueurs, ce n'est pas d'au-
jourd'hui que vous employez vos esti-
mables loisirs à cette occupation, quel-
quefois honnête. Mais jusqu'à présent,
pour pénétrer dans les salons réservés
à vos hauts faits, il fallait un : Sésame,
ouvre-toi. Il fallait une carte spéciale
signée du gérant du cercle et contre-
signée par une tierce personne. Les
mineurs étaient exclus. Les joueurs
par trop soupçonnés de corriger le ha-
sard étaient priés d'aller exercer ailleurs
leur dextérité. Et puis, avant d'en-
trer, on savait où l'on entrait. Mainte-
nant, rien ne vous prévient, la porte
-est toute grande ouverte, comme celle
11u salon de lecture, comme celle du
jalon de musique; vous entrez là inno-
cemment, la tentation vous prend en
trailr, vous vous trouvez brusquement
en face du jeu, et d'un jeu que per-
sonne ne surveille ; vous vous croyez
en France et vous êtes en pleine
Grèce.
A Monte-Carlo, il y a des inspecteurs
dont l'œil ne quitte pas les joueurs
trop constamment heureux. Dans les
casinos dont nous parlons, personne.
Et même sans escrocs, n'est-ce pas
une chose suffisamment redoutable par
elle-même que le jeu? Alfred de Musset
en a fait une peinture saisissante dans
un de ses plus jolis poèmes : Une bonne
fortune. La rime n'est pas millionnaire
et je ne suis pas enthousiaste du sujet.
L'auteur est à Bade, il sort de la
maison de jeu, rencontre une petite
fille qui pleure, lui demande ce qu'elle
a : elle n'a pas d'argent pour un
mendiant. Il a perdu, il lui reste juste
deux écus pour dîner, il les donne
à la petite fille. Cette petite fille a une
mère, qui le remercie et qui, un soir
qu'il traverse avec elle le salon de jeu,
'ui dit de jouer et lui conseille les nu-
méros : il gagne à tous coups, et rat-
trape vingt fois plus qu'il n'a donné.
le demande la permission de n'avoir
qu'une admiration extrêmement mo-
dérée pour cette religion de tripot qui
fait rendre par le jeu ce qui est donné à
4a pauvreté et qui fait de Dieu un crou-
pier de roulette.
Mais cela ne m'empêche pas de lire
avec émotion les strophes suivantes :
L'abreuvoir est public, et qui veut vient y boire.
J'ai vu les paysans, fils de la Forêt-Noire,
Leur bâton à la main, entrer dans ce réduit;
Je les ai vus penchés sur la biiie d'ivoire,
Ayant à travers champs couru toute la nuit,
Fuyards désespérés de quelque honnête lit;
Je les ai vus debout, sous la lampe enfumée,
Avec leur veste rouge et leurs souliers boueux,
Tournant leurs grands chapeaux entre leurs doigts calleux,
Poser sous les râteaux la sueur d'une année,
Et là, muets d'horreur devant la destinée,
Suivre des yeux leur pain qui courait devant eux !
Dirai-je qu'ils perdaient? Hélas! ce n'était guères.
C'était bien vite fait de leur vider les mains.
Ils regardaient alors toutes ces étrangères,
Cet or, ces voluptés, ces belles passagères,
Tout ce monde enchanté de la saison des bains
Qui s'en va sans poser le pied sur les chemins.
Ils couraient, ils partaient, tout ivres de lumière,
Et là nuit sur leurs yeux posait son noir bandeau.
Ces mains vides, ces mains qur labourent la terre,
Il fallait les étendre en rentrant au hameau,
Pour trouver à tâtons les murs de la chaumière,
L'aïeule au coin du feu, les enfants au berceau 1
Tels sont les produits des maisons
surveillées et « garanties par le gouver-
nement ». Quels doivent donc être
ceux des maisons contre lesquelles au-
cune précaution n'est prise ? Le Parle-
ment en dit quelque chose : « Chacun
pellt entrer, s'asseoir, perdre son ar-
gent, de deux heures de l'après-midi à
cinq heures du matin. Les mineurs, et
même les enfants, jouent ce qu'ils
veulent et comme ils veulent. Nous
avons vu un jeune homme de quinze
ans à peine risquer et perdre une
somme relativement importante. A dix
lieues à la ronde, on signale , dans
toutes les classes de la société, des
ruines et des scandales. De là aussi des
morts tragiques autour desquelles on
s'empresse de faire un silence pru-
dent.
Il y a des lois et des ordonnances
contre les maisons de jeu. Si le gouver-
nement, désormais prévenu, ne les
appliquait pas, il serait le premier
auteur des ruines et des morts ; il serait
le voleur des dupes ; il serait l'assassin
des suicidés.
AUGUSTE VACQUERIE.
»■ Il I I. 1,1 .n ,1 I, ■ —
Les amendements proposés sur la
convention conclue avec la compagnie
de Paris-Lyon-Méditerranée ayant tous
été repoussés, sauf un seul, que la
Chambre a renvoyé à la commission,
on a voté l'article ter du projet de loi
par 339 voix contre 136.
L'amendement sur lequel la commis-
sion fera aujourd'hui son rapport à la
Chambra a été déposé par M. Rousseau
et a trait aux membres du Parlement,
nommés administrateurs des compa-
gnies au cours de leur mandat. M.
Rousseau demande qu'ils soient sou-
mis à la réélection.
Cette solution pourrait sans doute
sembler satisfaisante au point de vue
des électeurs, dont la souveraineté se-
rait à peu près respectée. Mais le cumul
n'en existerait pas moins, et il est con-
traire à tous les principes démocrati-
ques, aussi bien qu'au bon sens, d'ad-
mettre qu'une même personne puisse
exercer des fonctions distinctes dont
chacune réclame une assiduité entière.
Parmi les amendements que la Cham-
bre a rejetés, il en est un qu'elle avait
d'abord renvoyé à la commission et qui
avait pour objet d'exclure les mécani-
ciens étrangers employés dans les com-
pagnies. Renseignements pris, le mi-
nistre a fait savoir que le nombre de
ces étrangers était infiniment restreint.
Sur l'Est, il n'y en .a'pas ; sur le Lyon,
il y a quelques Suisses, chose natu-
relle, puisque le service s'étend de Pa-
ris à Genève. D'autre part, à l'étranger,
beaucoup de mécaniciens français sont
employés. Doit-on les exposer à des re-
présailles ? La Chambre ne l'a pas pensé
et il est d'autant plus difficile de l'en
blâmer que le rapporteur a lu un dé-
cret de 1852 qui autorise le gouverne-
ment à exiger le renvoi de tout étranger
des compagnies.
Les autres amendements que la
Chambre a entendu développer avaient
trait surtout h. l'amélioration du ser-
vice. Presque tous ont été retirés, sur
les assurances données par le ministre
qu'il serait tenu compte de ces obser-
vations. Ainsi, M. Tony Révillon a
parlé en faveur de la réduction des prix
pour les ouvriers de Paris et de la ban-
lieue. M. Rivet a fait valoir la situation
difficile des fonctionnaires, notamment
des instituteurs, auxquels des réduc-
tions devraient être accordées. D'autres
membres ont parlé des voitures de troi-
sième elasse et de la nécessité de les
rendre plus confortables. Le ministre a
déclaré que ce progrès était déjà, en
grande partie, réalisé.
Le seul débat un peu important de la
séance a eu lieu entre M. de la Porte,
M. Pelletan, le rapporteur et le ministre
au sujet des clauses concernant l'éven-
tualité du rachat. Les arguments ap-
portés, de part et d'autre, n'ont rien
appris à la Chambre. Constatons seule-
ment, entre l'opinion du ministre des
travaux publics et celle du rapporteur,
une légère différence que M. Raynal a
signalée lui-même à la tribune. Tandis
que M. Rouvier pense que le rachat,
plus facile dans les cinq années qui
suivront les conventions, sera moins
aisé dans les dix années suivantes, le
ministre prétendl par un calcul, prou-
ver que le rachat, même dans la seconde
de ces périodes, coûtera deux millions
de moins. L'écart est insignifiant, com-
me on voit.
A. GAULIBR.
.————————— tflu ■
COULISSES DES CHAMBRES
La Chambre n'a plus à voter aujourd'hui
qu'un article de la convention de Paris-
Lyon-Méditerranée, c'est l'article 5, relatif
aux incompatibilités. La commission a
ajouté, en effet, au projet du gouvernement
un article qui interdit aux députés et aux
sénateurs de faire partie des conseils d'ad-
miiv'.ouation des compagnies de chemins
de fer. M. Rousseau, ancien sous-secré-
taire d'Etat aux travaux publics, a pré-
senté hier un amendement à cette dispo-
tion, qui a été prise en considération et
qui reviendra aujourd'hui en discussion
devant la Chambre. Cet amendement assi-
mile le poste d'administrateur de che-
mins de fer aux fonctions publiques —
rares d'ailleurs — qui sont compatibles
avec le mandat de député. Il se borne à
demander, par assimilation, que tout dé-
puté nommé administrateur des chemins
de fer se soumette à une réélection.
C'est entre ces deux systèmes de l'in-
terdiction absolue et de la réélection que
la Chambre aura à opter aujourd'hui.
Si l'interdiction absolue était votée,
elle s'appliquerait à quelques députés,
mais à un assez grand nombre de séna-
teurs.
vParmi les députés, nous signalerons
MM. René Brice et le baron Gérard, admi-
nistrateurs de l'Ouest; le baron Reille et
M. Thoinnet de la Turmelière, administra-
teurs de l'Orléans.
Au Sénat, il y a M. le général de Cha-
baud-Latour, administrateur de l'Ouest;
MM. Bardoux et de Fourtou, administra-
teurs de l'Orléans, etc.
Tous ces membres seraient mis dans
l'obligation d'opter entre leur mandat lé-
gislatif et leurs fonctions d'administra-
teurs.
-0-
Dès que la convention de Paris-Lyon
sera votée, le gouvernement demandera
qu'on donne à la convention d'Orléans un
tour de faveur et qu'on la discute immé-
diatement. Cette convention étant celle
qui, après la convention de Paris-Lyon,
soulève le plus de grosses questions, le
gouvernement a préféré la faire venir en
discussion le plus tôt possible.
Les quatre autres conventions ne don-
neront lieu ensuite qu'à un débat res-
treint.
-0.-
Le conseil des ministres d'hier a été
presque entièrement consacré à la prépa-
ration du budget extraordinaire. Ce bud-
get sera définitivement arrêté dans le con-
seil de demain et, selon toutes probabilités,
sera déposé le même jour sur le bureau de
la Chambre. Le gouvernement tient, en ef-
fet, à ce que la commission du budget
soit saisie de ce projet pendant les vacan-
ces, car seul il permettra de faire une
étude complète de l'ensemble de notre si-
tuation financière. De la sorte la commis-
sion du budget sera en état de déposer ses
rapports à la rentrée de la Chambre.
Les crédits de ce budget extraordinaire
ont été réduits au strict nécessaire, de ma-
nière à ce que le total ne dépasse pas 300
millions. Cette somme sera consacrée aux
ports, canaux, voies navigables, guerre,
marine, lignes télégraphiques souterraines
et construction des écoles et lycées.
—o—
Le ministre de la guerre avait écrit à la
commission du budget pour lui demander
son avis sur un certain nombre de ques-
tions que soulève le renouvellement pro-
chain des marchés de l'habillement et de
l'équipement militaires.
Ces questions concernaient : 1° la rétro-
cession éventuelle des usines des adjudi-
cataires, arrivant à l'expiration de leur
concession, aux nouveaux adjudicataires ;
2° le caractère général ou restreint de
l'adjudication; 3° la répartition des lots
d'adjudication ; 4° la fusion de la fabrica-
tion des draps avec la fabrication de l'é-
quipement.
La commission, après une longue dis-
cussion, a décidé qu'elle n'était pas com-
pétente pour donner l'avis demandé, parce
qu'elle n'était pas un comité consultatif et
qu'elle ne pouvait prendre des résolutions
sur lesquelles la Chambre n'aurait pas été
appelée à statuer. Par ces raisons et pour
ne pas substituer sa responsabilité à celle
du ministre, elle a chargé son président
de faire savoir au général Thibaudin
qu'aucune suite ne pourrait être donnée à
sa lettre.
-0-
La gauche radicale a été appelée hier,
par un de ses membres, à s'occuper des
accusations formulées devant les tribu-
naux belges, au cours d'un procès récent,
et desquelles il semblerait résulter que
des sommes d'argent auraient été données
à deux députés français dans le but d'ac-
quérir leur influence au profit d'affaires
privées. Voici le procès-verbal officiel de
la réunion, qui est communiqué à la
presse par le bureau du groupe :
La gauche radicale a examiné la demande
d'enquête parlementaire faite par M. Jules Car-
ret, député de la Savoie, sur l'incident qui s'est
produit devant un tribunal étranger dont il ré-
sulterait une accusation de corruption contre
deux des membres de la Chambre des députés.
On a décidé qu'avant de prendre une résolu-
tion, il y avait lieu d'examiner les documents
qui peuvent être fournis et notamment la dé-
cision rendue par le tribunal belge. Une réu-
nion ultérieure prendra la décision que com-
portera la production de ces documents.
Nous devons faire remarquer qu'aucun
nom n'a été formulé dans la réunion. Cel-
le-ci dès lors n'a pas voulu s'engager sur
des dénonciations vagues, alors que la
seule assertion, comme l'ont fait remar-
quer MM. Jallien, Rivière et Viette, émane
de l'individu poursuivi devant les tribu-
naux belges.
Le Sénat n'y va pas de main morte;
heureusement que ses votes ne sont que
provisoires. D'un seul coup de scrutin, il a
rejeté cinq articles : d'abord l'article 7;
puis les articles 8, 9, i7 et 18, qui dépen-
daient du premier. Il s'agissait des petits
tribunaux, jugeant moins de 150 affaires
par an. M. Ninard, M. Lamorte ont com-
battu cette suppression, en faisant surtout
valoir les petits intérêts qui seraient at-
teints par la réforme. En vain a-t-on cité
l'opinion de M- Dufaure, à l'appui de cette
simplification.
Le Sénat, à l'énorme majorité de 175
voix contre 86, a repoussé la suppression
réclamée.
A. G.
L'AFFAIRE BRIALMONT
Depuis quelques années la Roumanie
n'a pas eu beaucoup à se louer de ses voi-
sins. On l'a bien érigée en principauté,
mais la Russie a profité de cet avance-
ment honorifique pour troquer la stérile
Dobrudja contre la féconde Bessarabie;
l'Autriche, pour mettre embargo sur le
Danube sans aucune espèce de compen-
sation. Ainsi échaudée, il est tout naturel
que la Roumanie se soit dit que la bien-
veillance de l'Europe ne valait pas une
ceinture de bonnes forteresses et de soli-
des bastions.
Il s'agissait de trouver quelqu'un pour
les construire. Il parait que l'état-major
roumain, qui abonde en stratégistes et
tacticiens fort passables, est moins riche
en fait de constructeurs. Par contre, il y a
en Belgique un général dont le nom fait
autorité en pareille matière, c'est le géné-
ral Brialmont. On s'adressa à lui et on le
pria de rendre la Roumanie inexpugnable
moyennant juste et subséquente indem-
nité.
Il semblait que le gouvernement belge
dût faire d'autant moins d'opposition à
cette requête si honorable pour son armée,
que des ouvertures analogues faites jadis
au même général par la Grèce l'avaient
trouvé absolument bienveillant. Ce n'est
pas plus la faute de M. Frère-Orban s'il
n'y a pas eu de mission Brialmont, que ce
ne fut celle de Gambetta s'il n'y pas eu de
mission Thomassin. Pour plus de sûreté,
cependant, il fut convenu que l'affaire
resterait officieuse, et c'est en simple tou-
riste que le général Brialmont parcourut,
l'été dernier, la Roumanie, dissimulant
son télescope sous son cache-poussière et
ayant l'air de noter des paysages là où il
levait des plans.
Conformément au même système, le
général Brialmont demanda, cette année, à
son gouvernement un congé de deux mois
pour aller à Gastein. A moins de suppeser
au ministre de la guerre belge une naïveté
considérable, on ne peut s'empêcher de
croire qu'il savait parfaitement de quoi il
retournait. Les eaux de Gastein, en ef-
fet, sont une invention, non de la théra-
peutique, mais de la diplomatie. Ce n'est
pas une piscine, c'est un terrain neutre,
un lieu de rendez-vous. Les rois et les
hommes d'Etat vont à Gastein comme les
pères et les mères de famille vont à l'O-
péra-Comique pour y comploter quelque
alliance et s'aboucher. Dans l'espèce, Gas-
tein était un prétexte,, un mot de passe;
cela voulait dire : « On me réclame quel-
que part, vous seriez bien aimable pen-
dant deux mois de ne pas vous occuper de
moi. » Le gouvernement belge cligna de
l'œil et il fut convenu que le général avait
1 les digestions difficiles et un commence-
ment de maladie de cœur.
Et pendant que le général faisait sa cure
à grand renfort de demi-lunes, de paral-
lèles, chevaux de frise, etc., l'Autri-
che apprit avec stupéfaction une chose
que toute l'Europe savait depuis un an.
Grande fut sa colère : Aider la .Roumanie
à se mettre en état de défense, s'est-elle
écriée, c'est m'empêcher de la dévorer;
c'est-à-dire, ô Belgique, rompre la neutra-
lité que vous imposent les traités. Vous
avez beau prétendre que votre général n'a
aucune mission officielle, qu'on s'est
adressé à lui, non pas en tant que Belge, •;
mais en tant qu'homme expert ven son
métier, qu'on lui a demandé des plans de :
forteresse comme on demande une con-
sultation à M. Vulpian ou un aria à Mlle
Patti ; je vous répondrai qu'un général
n'est ni un médecin ni une cantatrice et
que, si on défend à vos officiers de tra-
vailler pour votre propre compte, ce n'est
pas pour leur permettre de travailler au
compte d'autrui.
A ces observations sévères, mais justes,
il n'y avait rien à répliquer. Le gouverne-
ment belge s'est tiré d'affaire en protes-
tant de son innocence et en mettant le gé-
néral Brialmont en non-activité.
Une telle destitution est de celles qui
honorent un homme.Car enfin, si M. Briat- :
mont était un imbécile, il est peu proba- .-
ble que l'Autriche eût témoigné une telle
susceptibilité à son endroit. Combien de
généraux, hélas ! dans notre armée qui
resteront éternellement à l'abri de sem-,
blables réclamations 1 r
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
Un républicain d'un grand cœuret d'une
vaillance modeste, le docteur Paul Dubois,. :
vient d'être inopinément enlevé à ses amis,
c'est-à-dire à tous ceux qui avaient ee.
l'occasion de le rencontrer. Ferme autant 1
qu'on peut l'être, mais d'une nature tou-
jours ouverte et cordiale, il disparaît pro- ;
bablement sans laisser à qui que ce soit !
un mauvais souvenir. Etant de ceux que
le danger attire, il fut des premiers à s'en-
gager contre le régime de Décembre dans i
une lutte, d'abord désespérée et hasar-
deuse, puis bientôt moins inégale. A la
guerre, il partit, comme médecin, pas-,
sant d'un corps d'armée à l'autre âr
mesure que notre organisation militaire'
s'effoadrait, et, prisonnier deux fois, deux
fois il s'échappait pour retrouver de nou-
veaux champs de bataille où, avec un cou- ?
rage dont tous ceux qui l'ont vu ont té-j
moigné, il se prodiguait simplemen
héroïquement. Après la guerre, la Com-
mune; et, de la part de Paul Dubois, mémo ',
dévouement intrépide et superbe. Au- j
dehors des murs, à Issy, sous les obus, et >
dansla ville même, pendant la lutte qui sui-M
vit l'entrée des troupes de Versailles, le doe-j
teur Dubois se multipliait, bravant la mort
que le hasard pouvait lui envoyer, aussi ;
bien que l'implacable rigueur dont plu
sieurs ont été les victimes en ces jours de
représailles sanglantes. L'estime de sesl
concitoyens l'avait appelé au conseil mu
nicipal pour représenter le quartier au
milieu duquel il vivait depuis longtemps ; :
sa mémoire vivra dans leur souvenir re-J
connaissant. «' j
A: G. j
T
LES ON-DIT
Nous avons dit que l'inauguration du
monument commémoratif de la Défense
nationale, élevé au rond-point de Courbe-
voie, aurait lieu le dimanche 5 août.
Cette inauguration a été renvoyée à une
époque ultérieure pour que le président
de la République y puisse assister.
On sait en effet que M. Jules Grévy doit
partir pour Mont-sous-Vaudrey dans les
derniers jours de la semaine prochaine..
V
CO
Nous avons donné, il y a quelque tempsi
Peuilleton du RAPPEL
DU 28 JUILLET
35 -
LA VIE EN L'AIR
DEUXIÈME PARTIE
n
Un malin, Paul, dans son atelier de
Vavenue Trudaine, achevait de déjeuner
an compagnie d'Henri Gendrel, venu pour
lui soumettre l'ébauche d'un petit tableau
et, tout en prenant le café, en fumant ci-
girette sur cigarette, on causait de Léa,
dont Henri avait demandé des nouvelles.
— Excellentes, répondit le peint:e. On
a traite en reine, là-bas. Elle a joué à la
zour et l'empereur du Brésil la fait pro-
nener dans les chars officiels. Elle est
Reproduction et traduction interdites.
Voir le Rappel du 17 Hun au 27 juillet.
"1.. ,. ", -
ravie. Elle me conte des choses féeriques,
invraisemblables et même. qu'elle fait
des économies.
Henri se crut autorisé à sourire discrète-
ment.
- Vous n'en revenez pas? continua Paul
du même ton. Moi non plus; mais tante
Ursule me le confirme en me donnant le
nom du banquier de Boston à qui l'on en-
voie chaque semaine la somme étonnante
que maman met de côté. Ça doit tenir au
climat, je suppose; il lui est favorable.
Par contre, tante Ursule n'arrête pas de
déclarer le pays abominable, à son usage
du moins3. Outre que les nègres lui font
peur, elle a trouve un joli serpent, très
venimeux, paraît-il, dans le tiroir de sa
commode, et ça lui a déparé le paysage.
Comme ils en étaient là, on sonna vio-
lemment et presque aussitôt Juliette, pâle,
animée, se précipita dans l'escalier.
— Toi! s'écria Paul. Qu'as-tu?. Que
t'a-t-on fait! Qu'y a-t-il, mignonne?
— Il y a, répondit-elle, en se jetant
dans les bras de son frère, que j'ai quitté
le pensionnat, malgré mademoiselle, mal-
gré tout le monde, sur l'heure 1
— Pourquoi 1
— Parce qu'on a insulté maman.
- Qui?
— L'abbé. L'ancien vicaire qui vient
toujours à la maison.
Paul consterné
— Est-ce que tu me blâmes? demanda
Juliette anxieuse.
— Tu as bien fait, sœurette I répliqua
Paul en l'embrassant. Assieds-toi, remets-
toi ; tu me conteras cela tout à l'heure.
Tout à l'heure ? Ah bien oui ! Ce n'était
pas possible à l'enfant. Son grand frère
l'approuvait de confiance, par affection. Ce
n'était pas suffisant pour elle. Il fallait
qu'il sût tout, qu'il lui donnât raison en
connaissance de cause!
Et, sans s'arrêter à la présence d'Henri,
elle laissa déborder le trop plein de son
indignation.
Un incident sot et banal, en apparence ;
mais au fond une tentative de captation,
en vue des projets de mariage que Mlle de
Féverolles et l'abbé n'avaient pas abandon-
nés. Ils s'étaient imaginé réussir par une
sorte d'intimidation, s'appliquant à frap-
per l'esprit de la jeune fille, à la détacher
de l'autorité, de la direction des siens, en
l'épouvantant sur la damnation de sa mère.
On l'invitait à envisager les tortures épou-
vantables, atroces, qu'un Diei» cl&fùent
tout de bonté, comme de jU";te lui l'éser..
vait de toute éternité.
Certes ! on :endgeait à la plaindre,
cette malheurp,- 'u se mère, à prier pour elle,
se faira ':.1 D'~n venir de tous les saints du
paradis - qu'ils intercédassent auprès de
rinûniment-Bon et obtinssent qu'il se re-
t lâchât un peu des châtiments inouïs, sau-
vages, qu'en sa tendresse, il a édictés,
paraît-il, contré les faibles humains. La pré-
caution la plus efficace, certainement, était
de s'en remettre sur ces différents points aux
avis des bons prêtres, de personnes édi-
fiantes qui, d'une âme absolument désinté-
ressée, c'est bien connu, se feraient un
devoir de guider la chère enfant dans ses
principales résolutions. C'était bien gen-
til de leur part, n'est-ce pas ?
Eh bien ! voyez si l'esprit du démon est
subtil, cette adolescente n'avait pas goûté
le sermon. La douceur dont on usait pour
la convaincre l'avait mise en défiance.
Puis elle avait répondu des énormités, re-
fusant d'admettre que Dieu fût si cruel et
rancunier; niant, d'ailleurs, avec une
scandaleuse énergie, une indignation in-
convenante, que sa mère méritât la colère
du ciel, ajoutant, avec effronterie, qu'elle
honorait cette mère si bonne, si aimante
et qui méritait si bien d'être aimée, res-
pectée de ses enfants-
Se dérober à son autorité, décliner, élu-
der ses conseils, lui marchander la sou-
mission confiante? Autant d'indignités, au
sentiment de Juliette, qui l'exalta plutôt,
cette mère, qu'on tentait d'amoindrir à ses
yeux de brave et reconnaissante enfant.
Cela piqua l'abbé, vous pensez bien.
Qu'est-ce à dire? Lui tenir tête à lui qui
n'en faisait rien que par charité chré-
tienne, amour du nrochain ; à lui revêtu
d'un caractère sacré, un ordonné, ton-
suré, en robe, en rabat, qui avait par
brevet, le droit de lier et de délier, d'ab-
soudre les plus grands criminels (sans
garantie du gouvernement, il est vrai) et
de fouetter les petits garçons ; lui tenir
tête, à lui enfin qui, ni plus ni moins,
était le représentant de Dieu sur la terre,
comme vous savez tout aussi bien que
moi 1 Voilà de la rébellion impertinente.
Aussi le vicaire se fit-il sévère.
Tant qu'il se borna à tarabuster Juliette,
ma foi! ça alla encore. Elle se tut par ha-
bitude de déférence envers l'habit. Mais
quand, s'encourageant de ce silence mê-
me, l'abbé pensant l'impressionner, la
dompter, s'enhardit à définir la personna-
lité de Léa en termes insuffisamment équi-
voques, la jeune fille lui coupa la parole.
— Ce que vous faites là, monsieur
l'abbé, lui dit-elle nettement, est une mau-
vaise action.
— Vous dites? exclama le prêtre suffo-
qué.
— Je dis que je vous interdis de me
parler ainsi de ma mère, qui vaut mieux
que vous.
— Qui est une fille ! hurla l'homme de
Dieu, aveuglé par la colère naturelle à
cette catégorie de citoyens.
Juliette ne répéta pas le mot; mais au
flot de sang qui lui empourprait le visage,
> aux larmes dont ses cils s'humectèrent. at\
sanglot qui semblait l'arrêter dans sa
gorge, ce mot odieux, Paul et Henri devi-
nèrent ce qu'il pouvait être.
Ce fut une douleur déchirante qui con^
tracta le cœur de Paul. D'un mouvement
spontané, il s'agenouilla devant sa sœur
qui pleurait, l'entourant de ses bras, s'ef-
forçant de lui sourire, buvant ses pleurs:
en des baisers.
— Calme-toi, sœurette, c'est à cet j
homme de rougir et de pleurer. Sois fié re, j
toi, ma chérie, tu as fait ton devoir. Il y a
là-dessous, je le sais, des vilenies téné- (
breuses que tu ne peux comprendre de j
toi-même, parce que tu es honnête et'
droite. Il n'y a, dans ce qui arrive, que la
dépit de voir échouer un complot par i
lequel cette mère qu'ils insultent fût de- ;
venue leur alliée, leur parente, en enri
chissant quelque bon sujet de leur fabri-j
que. Je le sais, te dis-je. Je t'édifierai à
loisir là-dessus. Relève la tête, mignonne,
regarde-moi de tes beaux yeux souriants ;
je t'approuve et je t'aime 1
gDOUARD CAQOL.
1
{ $uÙtJ
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, t*
»»-. -M
ABONNEMENTS
PARIS
!'rls mois. 10 »
six 20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 13 5
Six mois £ 7 Jf
Adresser lettres et manflafs
A M. ERNEST LEFÈVRE
JffiJUISISXRATErE. GÉRASI
Y REDACTION
'a.dresser au. Secrétaire de la ftétbeiion.
De 4 à 6 heures dit soir
98,t
V Nl/e|s manuscrits BOB m seres ne seroni pas rEB^i^
-
ANNONCES
W. Ch. lAGRANGE^ CERF et ce
V. G, place de la Bourse, G
LE BACCARAT
Si nous en croyons deux de nos con-
frères, le jour du baccarat serait arrivé
dans les casinos d'un grand nombre de
stations balnéaires de France.- D'où
sortez-vous? répondent les joueurs.
Vous croyez que c'est d'aujourd'hui
que nous tirons à cinq ? De tout temps,
le baccarat a eu ses entrées dans tous les
casinos, en France comme ailleurs. Que
faire dans un casino, à moins que l'on
n'y joue? En êtes-vous à cette candeur
de vous figurer qu'on vient aux stations
balnéaires pour y prendre des bains?
Quand même on en prendrait, deux par
jour, si vous voulez, c'est deux heures
au plus que cela occupe, il reste, au
minimum, une douzaine d'heures à
tuer. Saint Baccarat, protégez-nous !
C'est vrai, joueurs, ce n'est pas d'au-
jourd'hui que vous employez vos esti-
mables loisirs à cette occupation, quel-
quefois honnête. Mais jusqu'à présent,
pour pénétrer dans les salons réservés
à vos hauts faits, il fallait un : Sésame,
ouvre-toi. Il fallait une carte spéciale
signée du gérant du cercle et contre-
signée par une tierce personne. Les
mineurs étaient exclus. Les joueurs
par trop soupçonnés de corriger le ha-
sard étaient priés d'aller exercer ailleurs
leur dextérité. Et puis, avant d'en-
trer, on savait où l'on entrait. Mainte-
nant, rien ne vous prévient, la porte
-est toute grande ouverte, comme celle
11u salon de lecture, comme celle du
jalon de musique; vous entrez là inno-
cemment, la tentation vous prend en
trailr, vous vous trouvez brusquement
en face du jeu, et d'un jeu que per-
sonne ne surveille ; vous vous croyez
en France et vous êtes en pleine
Grèce.
A Monte-Carlo, il y a des inspecteurs
dont l'œil ne quitte pas les joueurs
trop constamment heureux. Dans les
casinos dont nous parlons, personne.
Et même sans escrocs, n'est-ce pas
une chose suffisamment redoutable par
elle-même que le jeu? Alfred de Musset
en a fait une peinture saisissante dans
un de ses plus jolis poèmes : Une bonne
fortune. La rime n'est pas millionnaire
et je ne suis pas enthousiaste du sujet.
L'auteur est à Bade, il sort de la
maison de jeu, rencontre une petite
fille qui pleure, lui demande ce qu'elle
a : elle n'a pas d'argent pour un
mendiant. Il a perdu, il lui reste juste
deux écus pour dîner, il les donne
à la petite fille. Cette petite fille a une
mère, qui le remercie et qui, un soir
qu'il traverse avec elle le salon de jeu,
'ui dit de jouer et lui conseille les nu-
méros : il gagne à tous coups, et rat-
trape vingt fois plus qu'il n'a donné.
le demande la permission de n'avoir
qu'une admiration extrêmement mo-
dérée pour cette religion de tripot qui
fait rendre par le jeu ce qui est donné à
4a pauvreté et qui fait de Dieu un crou-
pier de roulette.
Mais cela ne m'empêche pas de lire
avec émotion les strophes suivantes :
L'abreuvoir est public, et qui veut vient y boire.
J'ai vu les paysans, fils de la Forêt-Noire,
Leur bâton à la main, entrer dans ce réduit;
Je les ai vus penchés sur la biiie d'ivoire,
Ayant à travers champs couru toute la nuit,
Fuyards désespérés de quelque honnête lit;
Je les ai vus debout, sous la lampe enfumée,
Avec leur veste rouge et leurs souliers boueux,
Tournant leurs grands chapeaux entre leurs doigts calleux,
Poser sous les râteaux la sueur d'une année,
Et là, muets d'horreur devant la destinée,
Suivre des yeux leur pain qui courait devant eux !
Dirai-je qu'ils perdaient? Hélas! ce n'était guères.
C'était bien vite fait de leur vider les mains.
Ils regardaient alors toutes ces étrangères,
Cet or, ces voluptés, ces belles passagères,
Tout ce monde enchanté de la saison des bains
Qui s'en va sans poser le pied sur les chemins.
Ils couraient, ils partaient, tout ivres de lumière,
Et là nuit sur leurs yeux posait son noir bandeau.
Ces mains vides, ces mains qur labourent la terre,
Il fallait les étendre en rentrant au hameau,
Pour trouver à tâtons les murs de la chaumière,
L'aïeule au coin du feu, les enfants au berceau 1
Tels sont les produits des maisons
surveillées et « garanties par le gouver-
nement ». Quels doivent donc être
ceux des maisons contre lesquelles au-
cune précaution n'est prise ? Le Parle-
ment en dit quelque chose : « Chacun
pellt entrer, s'asseoir, perdre son ar-
gent, de deux heures de l'après-midi à
cinq heures du matin. Les mineurs, et
même les enfants, jouent ce qu'ils
veulent et comme ils veulent. Nous
avons vu un jeune homme de quinze
ans à peine risquer et perdre une
somme relativement importante. A dix
lieues à la ronde, on signale , dans
toutes les classes de la société, des
ruines et des scandales. De là aussi des
morts tragiques autour desquelles on
s'empresse de faire un silence pru-
dent.
Il y a des lois et des ordonnances
contre les maisons de jeu. Si le gouver-
nement, désormais prévenu, ne les
appliquait pas, il serait le premier
auteur des ruines et des morts ; il serait
le voleur des dupes ; il serait l'assassin
des suicidés.
AUGUSTE VACQUERIE.
»■ Il I I. 1,1 .n ,1 I, ■ —
Les amendements proposés sur la
convention conclue avec la compagnie
de Paris-Lyon-Méditerranée ayant tous
été repoussés, sauf un seul, que la
Chambre a renvoyé à la commission,
on a voté l'article ter du projet de loi
par 339 voix contre 136.
L'amendement sur lequel la commis-
sion fera aujourd'hui son rapport à la
Chambra a été déposé par M. Rousseau
et a trait aux membres du Parlement,
nommés administrateurs des compa-
gnies au cours de leur mandat. M.
Rousseau demande qu'ils soient sou-
mis à la réélection.
Cette solution pourrait sans doute
sembler satisfaisante au point de vue
des électeurs, dont la souveraineté se-
rait à peu près respectée. Mais le cumul
n'en existerait pas moins, et il est con-
traire à tous les principes démocrati-
ques, aussi bien qu'au bon sens, d'ad-
mettre qu'une même personne puisse
exercer des fonctions distinctes dont
chacune réclame une assiduité entière.
Parmi les amendements que la Cham-
bre a rejetés, il en est un qu'elle avait
d'abord renvoyé à la commission et qui
avait pour objet d'exclure les mécani-
ciens étrangers employés dans les com-
pagnies. Renseignements pris, le mi-
nistre a fait savoir que le nombre de
ces étrangers était infiniment restreint.
Sur l'Est, il n'y en .a'pas ; sur le Lyon,
il y a quelques Suisses, chose natu-
relle, puisque le service s'étend de Pa-
ris à Genève. D'autre part, à l'étranger,
beaucoup de mécaniciens français sont
employés. Doit-on les exposer à des re-
présailles ? La Chambre ne l'a pas pensé
et il est d'autant plus difficile de l'en
blâmer que le rapporteur a lu un dé-
cret de 1852 qui autorise le gouverne-
ment à exiger le renvoi de tout étranger
des compagnies.
Les autres amendements que la
Chambre a entendu développer avaient
trait surtout h. l'amélioration du ser-
vice. Presque tous ont été retirés, sur
les assurances données par le ministre
qu'il serait tenu compte de ces obser-
vations. Ainsi, M. Tony Révillon a
parlé en faveur de la réduction des prix
pour les ouvriers de Paris et de la ban-
lieue. M. Rivet a fait valoir la situation
difficile des fonctionnaires, notamment
des instituteurs, auxquels des réduc-
tions devraient être accordées. D'autres
membres ont parlé des voitures de troi-
sième elasse et de la nécessité de les
rendre plus confortables. Le ministre a
déclaré que ce progrès était déjà, en
grande partie, réalisé.
Le seul débat un peu important de la
séance a eu lieu entre M. de la Porte,
M. Pelletan, le rapporteur et le ministre
au sujet des clauses concernant l'éven-
tualité du rachat. Les arguments ap-
portés, de part et d'autre, n'ont rien
appris à la Chambre. Constatons seule-
ment, entre l'opinion du ministre des
travaux publics et celle du rapporteur,
une légère différence que M. Raynal a
signalée lui-même à la tribune. Tandis
que M. Rouvier pense que le rachat,
plus facile dans les cinq années qui
suivront les conventions, sera moins
aisé dans les dix années suivantes, le
ministre prétendl par un calcul, prou-
ver que le rachat, même dans la seconde
de ces périodes, coûtera deux millions
de moins. L'écart est insignifiant, com-
me on voit.
A. GAULIBR.
.————————— tflu ■
COULISSES DES CHAMBRES
La Chambre n'a plus à voter aujourd'hui
qu'un article de la convention de Paris-
Lyon-Méditerranée, c'est l'article 5, relatif
aux incompatibilités. La commission a
ajouté, en effet, au projet du gouvernement
un article qui interdit aux députés et aux
sénateurs de faire partie des conseils d'ad-
miiv'.ouation des compagnies de chemins
de fer. M. Rousseau, ancien sous-secré-
taire d'Etat aux travaux publics, a pré-
senté hier un amendement à cette dispo-
tion, qui a été prise en considération et
qui reviendra aujourd'hui en discussion
devant la Chambre. Cet amendement assi-
mile le poste d'administrateur de che-
mins de fer aux fonctions publiques —
rares d'ailleurs — qui sont compatibles
avec le mandat de député. Il se borne à
demander, par assimilation, que tout dé-
puté nommé administrateur des chemins
de fer se soumette à une réélection.
C'est entre ces deux systèmes de l'in-
terdiction absolue et de la réélection que
la Chambre aura à opter aujourd'hui.
Si l'interdiction absolue était votée,
elle s'appliquerait à quelques députés,
mais à un assez grand nombre de séna-
teurs.
vParmi les députés, nous signalerons
MM. René Brice et le baron Gérard, admi-
nistrateurs de l'Ouest; le baron Reille et
M. Thoinnet de la Turmelière, administra-
teurs de l'Orléans.
Au Sénat, il y a M. le général de Cha-
baud-Latour, administrateur de l'Ouest;
MM. Bardoux et de Fourtou, administra-
teurs de l'Orléans, etc.
Tous ces membres seraient mis dans
l'obligation d'opter entre leur mandat lé-
gislatif et leurs fonctions d'administra-
teurs.
-0-
Dès que la convention de Paris-Lyon
sera votée, le gouvernement demandera
qu'on donne à la convention d'Orléans un
tour de faveur et qu'on la discute immé-
diatement. Cette convention étant celle
qui, après la convention de Paris-Lyon,
soulève le plus de grosses questions, le
gouvernement a préféré la faire venir en
discussion le plus tôt possible.
Les quatre autres conventions ne don-
neront lieu ensuite qu'à un débat res-
treint.
-0.-
Le conseil des ministres d'hier a été
presque entièrement consacré à la prépa-
ration du budget extraordinaire. Ce bud-
get sera définitivement arrêté dans le con-
seil de demain et, selon toutes probabilités,
sera déposé le même jour sur le bureau de
la Chambre. Le gouvernement tient, en ef-
fet, à ce que la commission du budget
soit saisie de ce projet pendant les vacan-
ces, car seul il permettra de faire une
étude complète de l'ensemble de notre si-
tuation financière. De la sorte la commis-
sion du budget sera en état de déposer ses
rapports à la rentrée de la Chambre.
Les crédits de ce budget extraordinaire
ont été réduits au strict nécessaire, de ma-
nière à ce que le total ne dépasse pas 300
millions. Cette somme sera consacrée aux
ports, canaux, voies navigables, guerre,
marine, lignes télégraphiques souterraines
et construction des écoles et lycées.
—o—
Le ministre de la guerre avait écrit à la
commission du budget pour lui demander
son avis sur un certain nombre de ques-
tions que soulève le renouvellement pro-
chain des marchés de l'habillement et de
l'équipement militaires.
Ces questions concernaient : 1° la rétro-
cession éventuelle des usines des adjudi-
cataires, arrivant à l'expiration de leur
concession, aux nouveaux adjudicataires ;
2° le caractère général ou restreint de
l'adjudication; 3° la répartition des lots
d'adjudication ; 4° la fusion de la fabrica-
tion des draps avec la fabrication de l'é-
quipement.
La commission, après une longue dis-
cussion, a décidé qu'elle n'était pas com-
pétente pour donner l'avis demandé, parce
qu'elle n'était pas un comité consultatif et
qu'elle ne pouvait prendre des résolutions
sur lesquelles la Chambre n'aurait pas été
appelée à statuer. Par ces raisons et pour
ne pas substituer sa responsabilité à celle
du ministre, elle a chargé son président
de faire savoir au général Thibaudin
qu'aucune suite ne pourrait être donnée à
sa lettre.
-0-
La gauche radicale a été appelée hier,
par un de ses membres, à s'occuper des
accusations formulées devant les tribu-
naux belges, au cours d'un procès récent,
et desquelles il semblerait résulter que
des sommes d'argent auraient été données
à deux députés français dans le but d'ac-
quérir leur influence au profit d'affaires
privées. Voici le procès-verbal officiel de
la réunion, qui est communiqué à la
presse par le bureau du groupe :
La gauche radicale a examiné la demande
d'enquête parlementaire faite par M. Jules Car-
ret, député de la Savoie, sur l'incident qui s'est
produit devant un tribunal étranger dont il ré-
sulterait une accusation de corruption contre
deux des membres de la Chambre des députés.
On a décidé qu'avant de prendre une résolu-
tion, il y avait lieu d'examiner les documents
qui peuvent être fournis et notamment la dé-
cision rendue par le tribunal belge. Une réu-
nion ultérieure prendra la décision que com-
portera la production de ces documents.
Nous devons faire remarquer qu'aucun
nom n'a été formulé dans la réunion. Cel-
le-ci dès lors n'a pas voulu s'engager sur
des dénonciations vagues, alors que la
seule assertion, comme l'ont fait remar-
quer MM. Jallien, Rivière et Viette, émane
de l'individu poursuivi devant les tribu-
naux belges.
Le Sénat n'y va pas de main morte;
heureusement que ses votes ne sont que
provisoires. D'un seul coup de scrutin, il a
rejeté cinq articles : d'abord l'article 7;
puis les articles 8, 9, i7 et 18, qui dépen-
daient du premier. Il s'agissait des petits
tribunaux, jugeant moins de 150 affaires
par an. M. Ninard, M. Lamorte ont com-
battu cette suppression, en faisant surtout
valoir les petits intérêts qui seraient at-
teints par la réforme. En vain a-t-on cité
l'opinion de M- Dufaure, à l'appui de cette
simplification.
Le Sénat, à l'énorme majorité de 175
voix contre 86, a repoussé la suppression
réclamée.
A. G.
L'AFFAIRE BRIALMONT
Depuis quelques années la Roumanie
n'a pas eu beaucoup à se louer de ses voi-
sins. On l'a bien érigée en principauté,
mais la Russie a profité de cet avance-
ment honorifique pour troquer la stérile
Dobrudja contre la féconde Bessarabie;
l'Autriche, pour mettre embargo sur le
Danube sans aucune espèce de compen-
sation. Ainsi échaudée, il est tout naturel
que la Roumanie se soit dit que la bien-
veillance de l'Europe ne valait pas une
ceinture de bonnes forteresses et de soli-
des bastions.
Il s'agissait de trouver quelqu'un pour
les construire. Il parait que l'état-major
roumain, qui abonde en stratégistes et
tacticiens fort passables, est moins riche
en fait de constructeurs. Par contre, il y a
en Belgique un général dont le nom fait
autorité en pareille matière, c'est le géné-
ral Brialmont. On s'adressa à lui et on le
pria de rendre la Roumanie inexpugnable
moyennant juste et subséquente indem-
nité.
Il semblait que le gouvernement belge
dût faire d'autant moins d'opposition à
cette requête si honorable pour son armée,
que des ouvertures analogues faites jadis
au même général par la Grèce l'avaient
trouvé absolument bienveillant. Ce n'est
pas plus la faute de M. Frère-Orban s'il
n'y a pas eu de mission Brialmont, que ce
ne fut celle de Gambetta s'il n'y pas eu de
mission Thomassin. Pour plus de sûreté,
cependant, il fut convenu que l'affaire
resterait officieuse, et c'est en simple tou-
riste que le général Brialmont parcourut,
l'été dernier, la Roumanie, dissimulant
son télescope sous son cache-poussière et
ayant l'air de noter des paysages là où il
levait des plans.
Conformément au même système, le
général Brialmont demanda, cette année, à
son gouvernement un congé de deux mois
pour aller à Gastein. A moins de suppeser
au ministre de la guerre belge une naïveté
considérable, on ne peut s'empêcher de
croire qu'il savait parfaitement de quoi il
retournait. Les eaux de Gastein, en ef-
fet, sont une invention, non de la théra-
peutique, mais de la diplomatie. Ce n'est
pas une piscine, c'est un terrain neutre,
un lieu de rendez-vous. Les rois et les
hommes d'Etat vont à Gastein comme les
pères et les mères de famille vont à l'O-
péra-Comique pour y comploter quelque
alliance et s'aboucher. Dans l'espèce, Gas-
tein était un prétexte,, un mot de passe;
cela voulait dire : « On me réclame quel-
que part, vous seriez bien aimable pen-
dant deux mois de ne pas vous occuper de
moi. » Le gouvernement belge cligna de
l'œil et il fut convenu que le général avait
1 les digestions difficiles et un commence-
ment de maladie de cœur.
Et pendant que le général faisait sa cure
à grand renfort de demi-lunes, de paral-
lèles, chevaux de frise, etc., l'Autri-
che apprit avec stupéfaction une chose
que toute l'Europe savait depuis un an.
Grande fut sa colère : Aider la .Roumanie
à se mettre en état de défense, s'est-elle
écriée, c'est m'empêcher de la dévorer;
c'est-à-dire, ô Belgique, rompre la neutra-
lité que vous imposent les traités. Vous
avez beau prétendre que votre général n'a
aucune mission officielle, qu'on s'est
adressé à lui, non pas en tant que Belge, •;
mais en tant qu'homme expert ven son
métier, qu'on lui a demandé des plans de :
forteresse comme on demande une con-
sultation à M. Vulpian ou un aria à Mlle
Patti ; je vous répondrai qu'un général
n'est ni un médecin ni une cantatrice et
que, si on défend à vos officiers de tra-
vailler pour votre propre compte, ce n'est
pas pour leur permettre de travailler au
compte d'autrui.
A ces observations sévères, mais justes,
il n'y avait rien à répliquer. Le gouverne-
ment belge s'est tiré d'affaire en protes-
tant de son innocence et en mettant le gé-
néral Brialmont en non-activité.
Une telle destitution est de celles qui
honorent un homme.Car enfin, si M. Briat- :
mont était un imbécile, il est peu proba- .-
ble que l'Autriche eût témoigné une telle
susceptibilité à son endroit. Combien de
généraux, hélas ! dans notre armée qui
resteront éternellement à l'abri de sem-,
blables réclamations 1 r
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
Un républicain d'un grand cœuret d'une
vaillance modeste, le docteur Paul Dubois,. :
vient d'être inopinément enlevé à ses amis,
c'est-à-dire à tous ceux qui avaient ee.
l'occasion de le rencontrer. Ferme autant 1
qu'on peut l'être, mais d'une nature tou-
jours ouverte et cordiale, il disparaît pro- ;
bablement sans laisser à qui que ce soit !
un mauvais souvenir. Etant de ceux que
le danger attire, il fut des premiers à s'en-
gager contre le régime de Décembre dans i
une lutte, d'abord désespérée et hasar-
deuse, puis bientôt moins inégale. A la
guerre, il partit, comme médecin, pas-,
sant d'un corps d'armée à l'autre âr
mesure que notre organisation militaire'
s'effoadrait, et, prisonnier deux fois, deux
fois il s'échappait pour retrouver de nou-
veaux champs de bataille où, avec un cou- ?
rage dont tous ceux qui l'ont vu ont té-j
moigné, il se prodiguait simplemen
héroïquement. Après la guerre, la Com-
mune; et, de la part de Paul Dubois, mémo ',
dévouement intrépide et superbe. Au- j
dehors des murs, à Issy, sous les obus, et >
dansla ville même, pendant la lutte qui sui-M
vit l'entrée des troupes de Versailles, le doe-j
teur Dubois se multipliait, bravant la mort
que le hasard pouvait lui envoyer, aussi ;
bien que l'implacable rigueur dont plu
sieurs ont été les victimes en ces jours de
représailles sanglantes. L'estime de sesl
concitoyens l'avait appelé au conseil mu
nicipal pour représenter le quartier au
milieu duquel il vivait depuis longtemps ; :
sa mémoire vivra dans leur souvenir re-J
connaissant. «' j
A: G. j
T
LES ON-DIT
Nous avons dit que l'inauguration du
monument commémoratif de la Défense
nationale, élevé au rond-point de Courbe-
voie, aurait lieu le dimanche 5 août.
Cette inauguration a été renvoyée à une
époque ultérieure pour que le président
de la République y puisse assister.
On sait en effet que M. Jules Grévy doit
partir pour Mont-sous-Vaudrey dans les
derniers jours de la semaine prochaine..
V
CO
Nous avons donné, il y a quelque tempsi
Peuilleton du RAPPEL
DU 28 JUILLET
35 -
LA VIE EN L'AIR
DEUXIÈME PARTIE
n
Un malin, Paul, dans son atelier de
Vavenue Trudaine, achevait de déjeuner
an compagnie d'Henri Gendrel, venu pour
lui soumettre l'ébauche d'un petit tableau
et, tout en prenant le café, en fumant ci-
girette sur cigarette, on causait de Léa,
dont Henri avait demandé des nouvelles.
— Excellentes, répondit le peint:e. On
a traite en reine, là-bas. Elle a joué à la
zour et l'empereur du Brésil la fait pro-
nener dans les chars officiels. Elle est
Reproduction et traduction interdites.
Voir le Rappel du 17 Hun au 27 juillet.
"1.. ,. ", -
ravie. Elle me conte des choses féeriques,
invraisemblables et même. qu'elle fait
des économies.
Henri se crut autorisé à sourire discrète-
ment.
- Vous n'en revenez pas? continua Paul
du même ton. Moi non plus; mais tante
Ursule me le confirme en me donnant le
nom du banquier de Boston à qui l'on en-
voie chaque semaine la somme étonnante
que maman met de côté. Ça doit tenir au
climat, je suppose; il lui est favorable.
Par contre, tante Ursule n'arrête pas de
déclarer le pays abominable, à son usage
du moins3. Outre que les nègres lui font
peur, elle a trouve un joli serpent, très
venimeux, paraît-il, dans le tiroir de sa
commode, et ça lui a déparé le paysage.
Comme ils en étaient là, on sonna vio-
lemment et presque aussitôt Juliette, pâle,
animée, se précipita dans l'escalier.
— Toi! s'écria Paul. Qu'as-tu?. Que
t'a-t-on fait! Qu'y a-t-il, mignonne?
— Il y a, répondit-elle, en se jetant
dans les bras de son frère, que j'ai quitté
le pensionnat, malgré mademoiselle, mal-
gré tout le monde, sur l'heure 1
— Pourquoi 1
— Parce qu'on a insulté maman.
- Qui?
— L'abbé. L'ancien vicaire qui vient
toujours à la maison.
Paul consterné
— Est-ce que tu me blâmes? demanda
Juliette anxieuse.
— Tu as bien fait, sœurette I répliqua
Paul en l'embrassant. Assieds-toi, remets-
toi ; tu me conteras cela tout à l'heure.
Tout à l'heure ? Ah bien oui ! Ce n'était
pas possible à l'enfant. Son grand frère
l'approuvait de confiance, par affection. Ce
n'était pas suffisant pour elle. Il fallait
qu'il sût tout, qu'il lui donnât raison en
connaissance de cause!
Et, sans s'arrêter à la présence d'Henri,
elle laissa déborder le trop plein de son
indignation.
Un incident sot et banal, en apparence ;
mais au fond une tentative de captation,
en vue des projets de mariage que Mlle de
Féverolles et l'abbé n'avaient pas abandon-
nés. Ils s'étaient imaginé réussir par une
sorte d'intimidation, s'appliquant à frap-
per l'esprit de la jeune fille, à la détacher
de l'autorité, de la direction des siens, en
l'épouvantant sur la damnation de sa mère.
On l'invitait à envisager les tortures épou-
vantables, atroces, qu'un Diei» cl&fùent
tout de bonté, comme de jU";te lui l'éser..
vait de toute éternité.
Certes ! on :endgeait à la plaindre,
cette malheurp,- 'u se mère, à prier pour elle,
se faira ':.1 D'~n venir de tous les saints du
paradis - qu'ils intercédassent auprès de
rinûniment-Bon et obtinssent qu'il se re-
t lâchât un peu des châtiments inouïs, sau-
vages, qu'en sa tendresse, il a édictés,
paraît-il, contré les faibles humains. La pré-
caution la plus efficace, certainement, était
de s'en remettre sur ces différents points aux
avis des bons prêtres, de personnes édi-
fiantes qui, d'une âme absolument désinté-
ressée, c'est bien connu, se feraient un
devoir de guider la chère enfant dans ses
principales résolutions. C'était bien gen-
til de leur part, n'est-ce pas ?
Eh bien ! voyez si l'esprit du démon est
subtil, cette adolescente n'avait pas goûté
le sermon. La douceur dont on usait pour
la convaincre l'avait mise en défiance.
Puis elle avait répondu des énormités, re-
fusant d'admettre que Dieu fût si cruel et
rancunier; niant, d'ailleurs, avec une
scandaleuse énergie, une indignation in-
convenante, que sa mère méritât la colère
du ciel, ajoutant, avec effronterie, qu'elle
honorait cette mère si bonne, si aimante
et qui méritait si bien d'être aimée, res-
pectée de ses enfants-
Se dérober à son autorité, décliner, élu-
der ses conseils, lui marchander la sou-
mission confiante? Autant d'indignités, au
sentiment de Juliette, qui l'exalta plutôt,
cette mère, qu'on tentait d'amoindrir à ses
yeux de brave et reconnaissante enfant.
Cela piqua l'abbé, vous pensez bien.
Qu'est-ce à dire? Lui tenir tête à lui qui
n'en faisait rien que par charité chré-
tienne, amour du nrochain ; à lui revêtu
d'un caractère sacré, un ordonné, ton-
suré, en robe, en rabat, qui avait par
brevet, le droit de lier et de délier, d'ab-
soudre les plus grands criminels (sans
garantie du gouvernement, il est vrai) et
de fouetter les petits garçons ; lui tenir
tête, à lui enfin qui, ni plus ni moins,
était le représentant de Dieu sur la terre,
comme vous savez tout aussi bien que
moi 1 Voilà de la rébellion impertinente.
Aussi le vicaire se fit-il sévère.
Tant qu'il se borna à tarabuster Juliette,
ma foi! ça alla encore. Elle se tut par ha-
bitude de déférence envers l'habit. Mais
quand, s'encourageant de ce silence mê-
me, l'abbé pensant l'impressionner, la
dompter, s'enhardit à définir la personna-
lité de Léa en termes insuffisamment équi-
voques, la jeune fille lui coupa la parole.
— Ce que vous faites là, monsieur
l'abbé, lui dit-elle nettement, est une mau-
vaise action.
— Vous dites? exclama le prêtre suffo-
qué.
— Je dis que je vous interdis de me
parler ainsi de ma mère, qui vaut mieux
que vous.
— Qui est une fille ! hurla l'homme de
Dieu, aveuglé par la colère naturelle à
cette catégorie de citoyens.
Juliette ne répéta pas le mot; mais au
flot de sang qui lui empourprait le visage,
> aux larmes dont ses cils s'humectèrent. at\
sanglot qui semblait l'arrêter dans sa
gorge, ce mot odieux, Paul et Henri devi-
nèrent ce qu'il pouvait être.
Ce fut une douleur déchirante qui con^
tracta le cœur de Paul. D'un mouvement
spontané, il s'agenouilla devant sa sœur
qui pleurait, l'entourant de ses bras, s'ef-
forçant de lui sourire, buvant ses pleurs:
en des baisers.
— Calme-toi, sœurette, c'est à cet j
homme de rougir et de pleurer. Sois fié re, j
toi, ma chérie, tu as fait ton devoir. Il y a
là-dessous, je le sais, des vilenies téné- (
breuses que tu ne peux comprendre de j
toi-même, parce que tu es honnête et'
droite. Il n'y a, dans ce qui arrive, que la
dépit de voir échouer un complot par i
lequel cette mère qu'ils insultent fût de- ;
venue leur alliée, leur parente, en enri
chissant quelque bon sujet de leur fabri-j
que. Je le sais, te dis-je. Je t'édifierai à
loisir là-dessus. Relève la tête, mignonne,
regarde-moi de tes beaux yeux souriants ;
je t'approuve et je t'aime 1
gDOUARD CAQOL.
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