Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1883-07-11
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 79956 Nombre total de vues : 79956
Description : 11 juillet 1883 11 juillet 1883
Description : 1883/07/11 (N4870). 1883/07/11 (N4870).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540364p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/11/2012
Ne 4870 8 £ Mercredi it Juillet i883 Le numéro : Me. - Départements: 15 c. 23 Messidor àn 91. N> 4370
«ADMINISTRATION
- J8, HUE DE-VALOIS, IJI
ABONNEMENTS
PARIS
{Stois mois. 10 »
Six mois 20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 13 50
Six inoi s. e 22 Jf.
,,"
Aaresser lettres et manflaïs
A M. ERNEST LEFÈVRE
•âDMMSTHAIE'OIVGEBAOT
'-' J.
REDACTION -
S'adresser m Secrétaire 3e lâRéaaction.
- Bè 4 « 6 - heures du soir
i8» HUE 35JB VALOIS, 18
fIcs manuscrits non insérés ne seront pas rc2& £
V.
-
ANNONCES
b. Ch. IAGRANGE, CERF et Ce
6,j>]&cc de la Bourse, 6
LA CROIX AGRICOLE
Au lycée de Rouen, j'eus un éblouis-
iement. J'y étais depuis huit jours.
J'étais en septième. Dès le lendemain
de notre arrivée, on nous avait fait
composer. En thème. C'était un mardi.
La classe venait de commencer. Tout à
coup, le professeur se leva, et, sur son
geste, nous nous levâmes tous. Le pro-
viseur et le censeur entraient. Le pro-
visèur, solennel; le censeur, solennel
encore, mais moins. Le professeur prit -
un papier et lut les places de la. com-
- position. Premier, un tel. Alors, il prit
sur la chaire une croix qu'il tendit au
proviseur qui la remit majestueuse-
ment à l'élève nommé qui, superbe-
ment l'attacha à sa boutonnière et alla
s'asseoir triomphalement au banc d'hon-
neur. Puis, le proviseur et le censeur
sortirent avec la solennité de leur
entrée pour aller s'acquitter dans les
autres classes du lycée de la même
haute fonction. Et jusqu'à la compo-
sition prochaine l'élève décoré porta
sa décoration, en classe, en étude, en
récréation. Et il en fut de même de
tous les premiers de l'année. Et je vous
prie de croire que, quand c'était ma
boutonnière qui avait la croix, ma
boutonnière était d'une belle fierté. Et,
comme j'avais été le premier à la veille
de Pâques, j'emportai et je portai ma
décoration en vacances, et quand je
passais dans la rue de Villequier, il fal-
lait voir de quel œil je regardais les
pêcheurs et les pilotes !
Ce fut la même chose en sixième, et
en cinquième. En quatrième, on était
un peu blasé. En troisième, on l'était
tout à fait, et, quand le proviseur nous
décernait la croix — c'était cependant
une belle croix en argent, ou en métal
qui y ressemblait, et elle avait la forme
de la vraie, — nous la mettions dans la
poche de notre gilet. En seconde, ça
nous humiliait d'aller la recevoir. Je
suis venu faire ma rhétorique à Paris,
et ceux de mes camarades de Charle-
tnagne. à qui je racontais mes croix, je
les faisais bien rire 1
Le ministère de l'agriculture et du
commerce et, je regrette d'avoir à le
dire, le président de la République pa-
raissent croire que les agriculteurs sont
en septième. M. J. Méline vient de
faire signer à M. J. Grévy un décret
qui institue « un ordre du Mérite agri-
cole destiné à récompenser les services
rendus à l'agriculture ». Quelques Rer-
sonnes.avaient pensé que la - République -
supprimerait les décorations ; personne
n'avait pensé qu'elle en créerait.
Je n'ai pas besoin de dire si je m'as-
socie à tous les éloges que le ministre
fait de « cet immense personnel d'agri-
culteurs, d'agronomes, de savants dont
le labeur est incessant, les dévouements
nombreux et les récompenses rares ».
Qu'on multiplie les récompenses, ce
n'est certes pas moi qui m'y oppose-
rai ; mais est-ce qu'il était nécessaire
d'inventer une récompense spéciale ?N
Est-ce que la Légion d'honneur n'est
pas ouverte aux civils comme aux
militaires, aux hommes de la charrue
comme aux hommes du sabre? Oh ! dit
le rapport ministériel, la population
agricole est de plus de dix-huit millions,
et cette population dévorerait a elle
seule une douzaine de légions d'hon-
neur. Eh bien, est-ce qu'il n'y a pas la
médaille ? Les agriculteurs feraient-ils
fi de la médaille? Nous ne leur faisons
pas l'injure de supposer qu'ils auraient
honte de porter, pour avoir cultivé la
terre et élevé du bétail, ce que les sol-
dats et les sauveteurs sont fiers de por-
ter pour avoir risqué leur vie à défen-
dre la patrie et à arracher des exis-
tences à l'incendie et à la tempête.
M. Méline a jugé que ce qui suffit aux
soldats et aux sauveteurs ne suffit pas
aux agriculteurs. Aux cultivateurs du
1. sol et aux éleveurs de bestiaux, il donne,
non une médaille, mais « une étoile à
cinq rayons doubles, surmontés d'une
couronne de feuilles d'olivier; le centre
de J'étoile, entouré d'épis, présentera
d'un côté l'effigie de la République avec
la date de la fondation de l'ordre ; de
l'autre côté la devise : Mérite agricole.
L'étoile, émaillée de vert, sera en ar-
gent ; son diamètre sera de 40 millimè-
tres. Les chevaliers du Mérite agricole
(il y en aura mille) porteront la décora-
tion attachée par un ruban moiré vert
bordé d'un liseré de couleur amarante,
sans rosette, sur le côté gauche de la
poitrine. Le ruban peut également être
porté sans décoration. »
Donc, au prochain comice agricole,
on entendra le ministre s'écrier : « Quel
bœuf ! il mérite la croix ! » Pourvu que
M. Méline ne se trompe pas et ne dé-
core pas l'engraissé au lieu de l'en-
graisseur !
Je répète que je trouve excellent
qu'on récompense les agriculteurs ei,
qu'on les comble de médaillés, et qu'on
leur donne la croix de tout le monde;
mais si on invente une croix spéciale
pour eux, pourquoi pas pour d'au-
tres ? Les éleveurs de bestiaux ne font
que la moitié de la besogne. Pourquoi
engraissent-ils les bœufs et les mou-
tons? c'est pour qu'on les mange meil-
leurs. Or, on ne les mangerait pas meil-
leurs si, après de bons éleveurs pour les
engraisser, il n'y avait pas de - bons
cuisiniers pour les accommoder. La
croix du Mérite agricole, soit; mais il
faut maintenant que M. Méline crée
la croix du Mérite culinaire. Le nom
est tout trouvé : le Cordon bleu !
-
AUGUSTB VACQUERIE.
-————————- 1
A LA CHAMBRE
M. Barodet a déposé hier, en son
nom et au nom d'un certain nombre de
s £ s amis, une proposition d'amnistie
pour tous les crimes et délits politiques.
L'honorable membre a réclamé l'ur-
gence, en faisant valoir en termes me-
surés et habiles les raisons qui, à la
veille de la fête nationale, justifiaient
cet acte de clémence. M. Barodet a rap-
pelé que le précédent cabinet avait eu,
à un certain moment, le tort grave d'a-
giter le spectre rouge. De là, un cer-
tain trouble dans l'opinion et la sévé-
rité regrettable de quelques jugements.
M. Barodet a rappelé, d'ailleurs, que
le calme régnait partout et que lame-
sure d'apaisement proposée par ses
amis avait au moins le caractère de
l'opportunité. -
M. Waldeck a appuyé la discussion
d'urgence, mais pour combattra la pro-
position comme il l'avait déjà combat-
tue au mois de mars dernier quand la
manifestation des Invalides pouvait
fournir un prétexte à la politique de
rigueur. Aujourd'hui tout est calme,
mais la conclusion du ministre est la
même.
M. Clovis Hugues, après l'urgence
déclarée, a pris la parole pour défendre
le fond même de la proposition et,
sans rien ajouter aux considérations
politiques exposées par M. Barodet, il
a discuté la question avec la chaleur or-
dinaire de son langage. L'orateur ayant
rappelé, à la fin de son discours, que
M. Gambetta avait été l'éloquent dé-
fenseur de l'amnistie, le ministre de
l'intérieur a protesté contre tout rap-
prochement entre les condamnés d'au-
jourd'hui et les condamnés de la Com-
mune, hommes politiques égarés qui se
sont soulevés contre la société, en
obéissant à des convictions sincères.
On s'est étonné, sur le premier mo-
ment, que M. Waldeck-Rousseau s'ex-
primât avec tant de ménagement sur
des hommes qu'il eût probablement fait
fusiller. En réfléchissant un peu, on
s'est souvenu bien vite que l'un des
collègues du ministre, l'honorable M.
Méline,yle même qui vient de s'immor-
taliser en inventant 1 ordre du Mente
agricole, avait, il y a douze ans, salué
avec une ardeur sans égale le soulève-
ment du i8 mars, et fait partie « des
hommes égarés » signalés par M. Wal-
deck-Rousseau. Nous ne trouvons pas
d'ailleurs-que l'appréciation de M. le
ministre de l'intérieur, relativement
aux hommes de 1871, soit trop indul-
gente; nous nous étonnons seulement
que M. le ministre ne soit pas plus gé-
néreux pour les « égarés » de 1883.
M. Clovis Hugues, M. Courmeaux et
M, Gaillard ont répliqué à M. Waldeck-
Rousseau. Comme l'un de ces orateurs
parlait de la fête nationale du-14 juillet,
M. de la Rochefoucauld Bisaccia a crié,
de son banc, - crue c'était la fête de l'as-
sassinat etnon une fête nationale. Ce mot
ayant été frappé de la censure, un tu-
multe de quelques instants a interrompu
la séance. M. Paul de Cassagnac et M.
de la Rochefoucauld soutenaient qu'a-
vant d'appliquer la censure, des expl i-
cations devaient être entendues. Le pré-
sident n'a pas nié que tel fût l'esprit du
règlement, mais encore faut-il, d'après
lui, que le membre objet de la mesure
de rigueur réclame la parole. Or, c'est
ce que M. de la Rochefoucauld n'avait
pas fait.
La discussion ayant été close après
cet incident, le scrutin a donné 304 voix
contre le passage aux articles, et 89
pour.
La fin de la séance a été remplie par
une question que M. Paul de Cassagnac
a posée à M. Martin-Feuillée, ministre
de la justice. Il s'agissait de la nomina-
tion d'un juge de paix, frère d'un can-
didat qui se dispose, dans le même can-
ton, à disputer à M. de Cassagnac son
siège de conseiller général. L'orateur
r voit là un acte déloyal et une candida-
ture officielle des mieux caractérisées.
1 Le ministre s'est borné à répondre
éfnè, si le juge de paix nouvellement
nommé, et dont M. de Cassagnac ne
conteste pas le mérite, intervient dans
la lutte électorale, il n'hésitera pas à le
frapper.
Cette question vidée, et comme l'or-
dre du jour appelait la suite de la déli-
bération sur la loi municipale, M. de
Marcère, ainsi qu'on l'annonçait depuis
quelques jours, a proposé l'ajourne-
ment. La Chambre s'est prononcée con-
tre cette modification à son ordre du
jour. On a refusé ensuite de placer à
l'ordre du jour, après le Tonkin, le pro-
jet relatif à l'aliénation d'une partie du
parc de Saint-Cloud. A ce moment, on
a vu M. Méline monter a la tribune, et
tout le monde croyait que l'honorable
ministre, qui n'était pas présent au com-
mencement de la séance, venait faire
acte d'adhésion publique à la proposi-
tion d'amnistie ; c'était une erreur ;
M. Méline demandait seulement la mise
à l'ordre du jour d'une section du Code
rural. Décidément M. Méline n'a pas
de mémoire ; il a absolument oublié
qu'il a fait partie de la Commune avant
de marcher sur les traces du premier
consul en créant des œuvres de cheva-
lerie dans la France républicaine.
AV. GAULIER.
—————————— ,—————————
COULISSES DES CHAMBRES
C'est aujourd'hui que la Chambre doit
discuter les interpellations sur le Tonkin.
Ces interpellations sont au nombre de
deux : la première émane de M. Granet
qui, en cette circonstance, est l'organe
de l'extrême gauche ; la seconde émane
de M. Delafosse, le député bonapartiste,
qui agit en vertu d'une initiative toute per-
sonnelle.
MM. Granet et Delafosse exposeront
successivement leurs thèses respectives et
le. ministre des affaires étrangères répon-
dra aux deux en une seule fois.
M. Granet se propose d'adresser au gou-
vernement un certain nombre de ques-
tions précises, sans entrer dans aucun
débat rétrospectif. Il doit demander quel-
les limites aura l'action militaire actuelle-
ment engagée, si cette action militaire
sera suivie d'une occupation, et enfin
quelles notions le gouvernement possède à
l'égard de l'attitude réelle de la Chine. En-
fin, l'honorable député des Bouches-du-
Rhône doit demander au gouvernement de
prendre l'engagement de ne rien faire
pendant les vacances qui pût entraîner
l'entreprise en dehors des limites indi-
quées et d'associer les -Chambres à toute
mesure nouvelle dont la nécessité pourrait
être reconnue ultérieurement.
Quant à M. Delafosse, il se propose sur-
tout de critiquer la conduite du ministre
des affaires étrangères dans l'affaire de la
répudiation du traité Bourée.
D'après ce que l'on disait hier, le ministre
des aflaires étrangères réponrait que le gou- ,
vernement ne poursuit en rien l'annexion
et l'occupation du Tonkin, mais qu'il s'ef-
force de faire respecter et d'organiser le
protectorat que les traités ont attribué à
la France sur cette région.
Le gouvernement dirait qu'il ne deman-
dera aucun crédit nouveau aux Chambres;
ceux votés il y a deux mois suffiraient,
ainsi que les renforts envoyés au Tonkin
par les transports le Mytho et Y Annamite
qui doivent être rendus à destination à
1 heure actuelle.
Ajoutons que le paquebot des Message-
ries, roxus, arrivé dimanche matin à Mar-
seille, a apporté au gouvernement, qui les
a aujourd'hui, les rapports officiels et
circonstanciés sur les regrettables événe-
ments dans lesquels le commandant Ri-
vière a trouvé la mort. Le ministre des
affaires étrangères sera donc en mesure
de donner à la Chambre des détails com-
plets à ce sujet.
de
—e—
M. Rouvier doit lire aujourd'hui son
rapport à la commission des chemins de
fer. Ce rapport sera ensuite déposé au
cours de la séance sur le bureau de la.
Chambre, puis envoyé à l'impression. On
compte qu'il pourra être distribué jeudi
aux députés et alors se posera la question
de la mise à l'ordre du jour avant les va-
cances, qui doit être demandée par le
gouvernement.
Le ministère demandera que la discus-
sion des conventions commence le lundi
16 juillet et qu'elle soit continuée toute la
semaine sans interruption. C'est sur cette
motion que se livrera la grande bataille
politique qui est prévue et annoncée de-
puis plusieurs jours.
11 y aura plusieurs motions a ajourne-
ment' : l'une notamment demandera le
renvoi après les vacances, par la simple
raison qu'il y a insuffisance de temps pour
traiter la question avec l'ampleur qu'elle
comporte; l'autre sera fondée sur ce que
les conventions ne sont pas encore approu-
vées par les assemblées générales des ac-
tionnaires et qu'il importe à la dignité de
la Chambre de ne pas donner la première
sa ratification.
Le ministère est décidé à poser la ques-
tion de confiance sur ce vote. S'il l'em-
porte et que la discussion soit fixée avant
lés vacances, il restera encore à régler plu-
sieurs questions très importantes : d'abord
celle de l'urgence pour supprimer l'une
des deux délibérations et ensuite celle de
l'ordre dans lequel les conventions devront
être discutées. Cet ordre n'est pas indiffé-
rent; il y a, en effet, telles conventions qui,
comme celle du Nord et de l'Est ne sou-
lèvent presque pas d'objections, tandis
qu'il en est d'autres comme celles de l'Or-
léans etdu Midi, mais surtout de l'Orléans,
qui provoquent de vives résistances et qui
donneront lieu à d'ardents débats.
Il s'agit donc de savoir si l'on abordera
le débat par les côtés les plus difficiles ou
si l'on réservera pour la fin l'examen des
questions les plus graves.
..,
UN PRÉTENDANT
Le comte de Chambord n'est pas encore
mort que l'on se demande quel sera son
héritier. Dans l'ordre ordinaire de succes-
sibilité, ce devait être M. le comte de Pa-
ris; mais ce prétendant va se trouver "dans
un singulier embarras. Nul n'ignore que
le parti royaliste se compose de deux frac-
tions absolument hétérogènes, dont l'une
tient pour le drapeau tricolore et l'autre
pour le drapeau blanc; le petit-fils de
Louis-Philippe ne peut se réconcilier avec
l'une qu'à la condition de se brouiller
avec l'autre. Toute la question est de sa-
voir si M. le comte de Paris sacrifiera les
trois douzaines d'orléanistes qu'il y a en
France aux deux quarterons de légitimis-
tes qui leur font pendant; s'il sera roi de
France honoraire ou roi des Français in
partibus. Le problème est grave, et, de
quelque façon qu'on le résolve, il y aura
des mécontents.
Dans le duel entre les habiles et les incu-
rables, toutes les chances sont en faveur
des habiles ; les incurables ne se le dissimu-
lent pas. Ils se doutent bien que le comte
de Paris, qui est allé jadis déchirer à
Frohsdorff le testament de son père,
n'aura rien de plus pressé que de déchirer
le testament de son cousin, une fois de
retour à Paris, et ils voudraient se mqnir
à l'avance d'un prétendant où incarner
leurs rancunes et leurs aspirations. Le
tout est de trouver un homme pour ce
métier peu avantageux. D'aucuns ont
pensé à don Carlos. A mon sens, ce choix
ne serait pas fort heureux. D'abord, ce
personnage a eu avec les conducteurs de
diligences du Guipuscoa et de la Biscaye
des démêlés qui ont jeté un jour défavo-
rable sur son nom. Ensuite, il est peu
vraisemblable que la France, déjà indiffé-
rente à ses dynasties nationales, s'éveille
r et se lève à l'appel d'un prince étranger.
Et le traité d'Utrecht, qui sépare à jamais
les deux couronnes, qu'en faites-vous?
Mais qui choisir alors? L'ex-roi de Na-
ples? un prince de Savoie! Pourquoi ne
pas faire revivre tout de suite le testament
de l'infortuné Charles VI et ouvrir au
prince de Galles les portes de Calais ?
Je ne comprends vraiment pas que les
légitimistes se cassent la tête et parcou-
rent les villes d'eaux et les bains de mer à
la recherche d'un prétendant insaisissable,
quand ils en ont un tout trouvé sous la
main. Je parle de Neubauer, l'ancien clieftt
de Jules Favre, le petit-fils plus ou moins
authentique de Louis XVII. On me dira
que les prétentions de ce personnage ne
sont rien moins que justifiées. Mais après
huit siècles de monarchie, de parties de
chasse et de fêtes de nuit, pensez-vous
que M. le comte de Chambord ait beau-
coup plus de droits de s'intituler « fils de
saint Louis » ? Si l'on admet la voix du
sang, il faut reconnaître qu'elle peut aussi,
bien révéler un père à son fils qu'un fils à
son père. Il suffit donc que les Neubauer
prétendent avoir dans les veines de l'hé-
matine de Louis XV et de François Iee
pour que je les croie immédiatement sur
parole.
- Ce n'est pas un vil appétit de lucre qui les
guide, car il n'y a nulle part de millions
en déshérence, M. le comte de Chambord
ayant légué sa fortune à son neveu, le
comte de Bardi. Ce n'est pas non plus une
vaine gloriole, car la Saint-Barthélemy,
les Dragonnades, le Pacte de famine, ne
sont pas, que je sache, de si brillants sou-
venirs. Est-ce la perspective d'un sceptre !
Quelque étranger qu'il puisse être à nos
affaires politiques, M. Neubauer n'ignore
pas que Louis-Philippe II a tout juste au-
tant de chances d'être sacré à Notre-Dame
que Henri VI ou Louis XIX. Evidemment
M. Neubauer est poussé dans ses revendi-,
cations par le sentiment d'un devoir et le
désir de faire éclater la vérité. Et quand
les légitimistes ont à portée, pour le rôle
ingrat qu'ils lui ménagent, un candidat
aussi accommodant, ils le dédaigneraient e«,
l'enverraient promener ! Est-ce parce qu'il
exerce quelque part la profession modeste
d'horloger? Mais d'abord Louis XVI excel-
lait dans la serrurerie, et puis un tel pré-
tendant donnerait à la monarchie légitime
une couleur démocratique qui ne peut que
lui faire du bien.
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
Peu de changement dans l'état du comte
de Chambord. Deux dépêches reçues par
M. de Dreux-Brezé indiquent que l'amélio-
ration signalée hier n'a point persisté.
Voici ces deux dépêches:
Vienne-Neustadt, 9 juillet, 9 h. rn"a¡
(Reçue à il h. 10 m.)
Nuit agitée et encore sans sommeil, léget
mouvement de fièvre; enfin, faiblesse ex-
trême. <
Signé : DE BLACAS.
Vienne, 2 h. 50, arrivée à 5 h. 45,
Consultation des docteurs Drasche et Mayer J
«Par suite d'une mauvaise nuit, les symp-
tômes dyspepsiques ont partiellement reparu ;
en conséquence, l'état général est moins favo-
rable, et les forces ont un peu diminué. » ,
Signé : DE BLACAS.
Vienne. 8 juillet.
Les membres de la famille d'Orléans passe-* ;
ront la journée de demain chez le prince Pbi-i
lippe de Cobourg, à Pesth.
Ils partiront après-demain pour Altsculh, où
habite leur cousin, l'archiduc Joseph. Ils re-
viendront mercredi soir à Pesth et rentreront
jeudi à Vienne.
MM. Bocher, d'Harcourt, de Beauvoir et de *
Bondy les accompagneront à Pesth, mais ils
n'iront pas jusqu'à Altscuth.
Vienne, 9 juillet.
Les Orléans sont partis ce matin pour Buda-
Pesth.
Buda-Pesth, 9 juillet.,
Le comte de Paris et les ducs de Nemours
et d'Alençon, accompagnés du vicomte de
Bondy, du marquis de Beauvoir, du comte
d'Harcourt et de MM. Emmanuel Bocher et
Morhain, sont arrivés ici à 1 heure 112 de l'a-
Feuilleton du RAPPEL
DU 11 JUILLET
n ■ ■■ m ■! i - ■% ■■ ■>» — —
21
LA VIE EN L'AIR
PREMIÈRE PARTIE
Ili (suite)
Juliette s'épanouissait à Vêilles. Le
grand souffle de la mer, les inhalations
salines, la douche des vagues, stimulaient
la montée de sève de sa riche jeunesse, et
le hâle du soleil, un peu bas, à l'arrière-
saison, la rendait jolie au possible.
Et puis, les soins de l'intérieur de son
frère la faisaient femme tout doucement.
Parfois, Paul en plaisantant l'appelait :
« La bourgeoise ». Bourgeoise, oui, au
sens familial du mot; mais - une élégante
Ob
Reproduction et traduction interdites.
Voir le Rappel ûn i7 juin au 10 juillet.
bourgeoise, en tout cas; gamine d'hier
encore, enfant sur tant de points ; mais
très prévoyante, régulière et attentive sur
le surplus, sur Je côté pratique de la direc-
tion de la maison. Elle avait commencé
par « faire la dame » ; attrait de la nou-
veauté ! innocente vanité de commander,
de se sentir responsable !
Maintenant la sensation première usée,
elle subissait le charme que ressent toute
femme au rôle de maîtresse du logis. Ab-
solument maîtresse chez son frère. Il trou-
vait tout très bien ; de beaucoup mieux
qu'auparavant et, se voyant l'objet d'at-
tentions persistantes, il rêvait mariage,
entrevoyant en imagination des satisfac-
tions délicates, d'un ordre supérieur,
d'une poésie élevée, par le fait de son
union avec une brave et chaste fille, telle
que la sœurette la lui faisait concevoir.
Un drôle de garçon, peut-être, que ce
Paul. Tout comme les camarades d'atelier,
il avait pratiqué le monde féminin que
hantent les artistes. Soit disposition par-
ticulière d'esprit, soit souffrance latente
de sa condition exceptionnelle, soit com-
paraison involontaire, il n'avait pu se lier,
s'attacher. Les éclats de gaieté l'incom-
modaient, produisaient sur lui des réac-
tions étranges qui le rendaient mélanco-
lique et froid. Les libertés de langage, le
déjingandé de la tenue, le sans-gêne
général lui infligeaient des répulsions
qu'il n'analysait pas, mais dont il lui était
impossible de prendre son parti.
Un proverbe dit bien : « Tel père, tel fils »,
mais un autre proverbe dit aussi : « A père
avare, fils prodigue ». Lequel croire? Tous
les deux; et de fait quand les enfants
n'exagèrent pas les côtés distinctifs de
ceux qui les ont élevés, ils en sont l'anti-
thèse frappante. Les aspirations de Paul
allaient à l'extrême opposé des façons
d'être et de comprendre de sa mère. Pour
lui un coin bien clos, des relations res-
treintes, un train régulier, voilà l'idéal.
Quel autre comporte mieux l'édification
d'un nid étroit, où préside une femme
digne, paisible, aimante, parce qu'elle se
sent exclusivement aimée? Une épouse,
en fin.
Hélas ! ce rêve d'une réalisation si facile,
si simple, à la généralité des hommes
d'intelligence saine, prenait pour lui le ca-
ractère d'une ambition déraisonnable.
Quelle famille d'un certain niveau d'édu-
cation consentirait à confier leur enfant au
fils de mademoiselle Mathilde Aubervain,
dite Léa d'Asc, qui montrait ses jambes
sous un maillot rose, et de ses bras, de sa
poitrine nue, tout ce que la police tolère
qu'on exhibe aux feux de la rampe ?
Il avait beau se défendre de songer à
cela, il ne souffrait pas moins de l'obliga-
tion de renoncer à la destinée de tout le
monde. Ah 1 être et vivre comme tout le
monde ! ce lui semblait le souverain bien;
et la sœurette, en dirigeant si gentiment
leur ménage à Veules, lui donnait la me-
sure des joies qu'il estimait devoir lui être
interdites.
Comme il travaillait bien à côté d'elle et
quelle singulière jouissance de prendre
ses repas à heure dite, quand, chez ma-
man, du diable si l'on savait jamais quand
on se mettait à table 1 Que de fois le dîner,
annoncé pour sept heures, n'était servi
qu'à neuf, en dépit des invités plus ou
moins nombreux qui se morfondaient, at-
tendant qu'elle rentrât. Les avait-elle donc
oubliés? Nullement; mais toute à l'unique
idée qui l'occupait, elle s'était attardée à
cause d'un corsage dont la couturière ne
comprenait pas la façon. Mais la voilà
enfin souriante, s'excusant si bonne-
ment.
Impossible de lui en vouloir. On va se
mettre à table. Le temps de se passer de
l'eau sur les doigts, n'est-ce pas? Et,
montée à son cabinet de toilette, elle pre-
nait un bain, se faisait coiffer, changeait
de tout, reparaissant trois quarts d'heure
après, belle, affable, contente, ne se dou-
tant même pas qu'oa eût pu trouvpr le
temps long.
Rien de pareil avec Juliette ; à six heures
battant : — « A table 1 » Belle aussi,
affable aussi, Juliette, et si contente de
tout! Paul l'emmenait dans la campagne,
qui est magnifique aux alentours. Parfois,
c'étaient des trottes d'importance.
— Viens-tu déjeuner à Saint-Valery? lui
demandait Paul la veille. J'ai des couleurs
à acheter.
- Allons, Paulot.
- Il y a six kilomètres, tu sais. *
- Six et six, douze, trois lieues, aller et
retour, qu'est-ce que c'est que ça? - Les
jeudis de promenade, j en fais bien d au-
tres avec Mlle de Féverolles. Le jour de sa
fête, nous sommes allés, de Courbevoie
aux moulins de Sannois, manger de la ga-
lette. J'en ai eu des ampoules, c'est vrai,
mais je me suis bien amusée. Demain, à
sept heures, Paulot, je serai prête, et nous
déjeunerons à Saint-Valery.
Un jour qu'ils en revenaient, le ciel se
couvrit tout à coup. Le vent venant du
large souffla brusquement en tempête, et
trois coups de tonnerre, à mesure plus
rapprochés, mirent de l'inquiétude dans
l'esprit de Paul. Il allait tomber une
fière averse. Pas un abri sur la route.
A gauche une montée de prairie verte
jusqu'à la cassure de la falaise, plon-
geant droit comme un mur. Pas de
cahute de douanier. A droite, en con-
tre-bas, une vallée remontant à un pe-
tit bois au faîte du coteau opposé. Mais
loin ce bois, encore que pour y atteindre
le chemin serpente en courbures prolon-
gées, à cause de la pente raidillonne du
double mamelon. Mêmes circuits compli-,
qués si l'on veut gagner le village, dont oa
n'aperçoit que le haut du clocher. Que
faire ? Ah ! ma foi 1 rien : tendre le dos et
essuyer l'orage.
— Bah ! marchons toujours ! dit Juliette
riant sans savoir pourquoi. • —
— Mais tu vas être transpercée et tu es (
en nage. - T.
- La marche me préservera du froide
Sur le moment même la nuée creva et
l'effort du vent cingla de grosses gouttes !
de pluie tiède, faisant un tel vacarme que
les deux jeunes gens n'entendirent pas le,
roulement d'une voiture derrière eux. Au
moment où elle allait les dépasser, le co
cher arrêta, la portière s'ouvrit, et une.
voix de femme dit vivement :
— Monsieur Aubervain, montez.
— Mais, mesdames, nous allons inonder
la voiture. 1
— Qu'est-ce que ça fait? Montez, monter
vite.,
1
EDOUARD CADQL.
,4 suivre.}
«ADMINISTRATION
- J8, HUE DE-VALOIS, IJI
ABONNEMENTS
PARIS
{Stois mois. 10 »
Six mois 20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 13 50
Six inoi s. e 22 Jf.
,,"
Aaresser lettres et manflaïs
A M. ERNEST LEFÈVRE
•âDMMSTHAIE'OIVGEBAOT
'-' J.
REDACTION -
S'adresser m Secrétaire 3e lâRéaaction.
- Bè 4 « 6 - heures du soir
i8» HUE 35JB VALOIS, 18
fIcs manuscrits non insérés ne seront pas rc2& £
V.
-
ANNONCES
b. Ch. IAGRANGE, CERF et Ce
6,j>]&cc de la Bourse, 6
LA CROIX AGRICOLE
Au lycée de Rouen, j'eus un éblouis-
iement. J'y étais depuis huit jours.
J'étais en septième. Dès le lendemain
de notre arrivée, on nous avait fait
composer. En thème. C'était un mardi.
La classe venait de commencer. Tout à
coup, le professeur se leva, et, sur son
geste, nous nous levâmes tous. Le pro-
viseur et le censeur entraient. Le pro-
visèur, solennel; le censeur, solennel
encore, mais moins. Le professeur prit -
un papier et lut les places de la. com-
- position. Premier, un tel. Alors, il prit
sur la chaire une croix qu'il tendit au
proviseur qui la remit majestueuse-
ment à l'élève nommé qui, superbe-
ment l'attacha à sa boutonnière et alla
s'asseoir triomphalement au banc d'hon-
neur. Puis, le proviseur et le censeur
sortirent avec la solennité de leur
entrée pour aller s'acquitter dans les
autres classes du lycée de la même
haute fonction. Et jusqu'à la compo-
sition prochaine l'élève décoré porta
sa décoration, en classe, en étude, en
récréation. Et il en fut de même de
tous les premiers de l'année. Et je vous
prie de croire que, quand c'était ma
boutonnière qui avait la croix, ma
boutonnière était d'une belle fierté. Et,
comme j'avais été le premier à la veille
de Pâques, j'emportai et je portai ma
décoration en vacances, et quand je
passais dans la rue de Villequier, il fal-
lait voir de quel œil je regardais les
pêcheurs et les pilotes !
Ce fut la même chose en sixième, et
en cinquième. En quatrième, on était
un peu blasé. En troisième, on l'était
tout à fait, et, quand le proviseur nous
décernait la croix — c'était cependant
une belle croix en argent, ou en métal
qui y ressemblait, et elle avait la forme
de la vraie, — nous la mettions dans la
poche de notre gilet. En seconde, ça
nous humiliait d'aller la recevoir. Je
suis venu faire ma rhétorique à Paris,
et ceux de mes camarades de Charle-
tnagne. à qui je racontais mes croix, je
les faisais bien rire 1
Le ministère de l'agriculture et du
commerce et, je regrette d'avoir à le
dire, le président de la République pa-
raissent croire que les agriculteurs sont
en septième. M. J. Méline vient de
faire signer à M. J. Grévy un décret
qui institue « un ordre du Mérite agri-
cole destiné à récompenser les services
rendus à l'agriculture ». Quelques Rer-
sonnes.avaient pensé que la - République -
supprimerait les décorations ; personne
n'avait pensé qu'elle en créerait.
Je n'ai pas besoin de dire si je m'as-
socie à tous les éloges que le ministre
fait de « cet immense personnel d'agri-
culteurs, d'agronomes, de savants dont
le labeur est incessant, les dévouements
nombreux et les récompenses rares ».
Qu'on multiplie les récompenses, ce
n'est certes pas moi qui m'y oppose-
rai ; mais est-ce qu'il était nécessaire
d'inventer une récompense spéciale ?N
Est-ce que la Légion d'honneur n'est
pas ouverte aux civils comme aux
militaires, aux hommes de la charrue
comme aux hommes du sabre? Oh ! dit
le rapport ministériel, la population
agricole est de plus de dix-huit millions,
et cette population dévorerait a elle
seule une douzaine de légions d'hon-
neur. Eh bien, est-ce qu'il n'y a pas la
médaille ? Les agriculteurs feraient-ils
fi de la médaille? Nous ne leur faisons
pas l'injure de supposer qu'ils auraient
honte de porter, pour avoir cultivé la
terre et élevé du bétail, ce que les sol-
dats et les sauveteurs sont fiers de por-
ter pour avoir risqué leur vie à défen-
dre la patrie et à arracher des exis-
tences à l'incendie et à la tempête.
M. Méline a jugé que ce qui suffit aux
soldats et aux sauveteurs ne suffit pas
aux agriculteurs. Aux cultivateurs du
1. sol et aux éleveurs de bestiaux, il donne,
non une médaille, mais « une étoile à
cinq rayons doubles, surmontés d'une
couronne de feuilles d'olivier; le centre
de J'étoile, entouré d'épis, présentera
d'un côté l'effigie de la République avec
la date de la fondation de l'ordre ; de
l'autre côté la devise : Mérite agricole.
L'étoile, émaillée de vert, sera en ar-
gent ; son diamètre sera de 40 millimè-
tres. Les chevaliers du Mérite agricole
(il y en aura mille) porteront la décora-
tion attachée par un ruban moiré vert
bordé d'un liseré de couleur amarante,
sans rosette, sur le côté gauche de la
poitrine. Le ruban peut également être
porté sans décoration. »
Donc, au prochain comice agricole,
on entendra le ministre s'écrier : « Quel
bœuf ! il mérite la croix ! » Pourvu que
M. Méline ne se trompe pas et ne dé-
core pas l'engraissé au lieu de l'en-
graisseur !
Je répète que je trouve excellent
qu'on récompense les agriculteurs ei,
qu'on les comble de médaillés, et qu'on
leur donne la croix de tout le monde;
mais si on invente une croix spéciale
pour eux, pourquoi pas pour d'au-
tres ? Les éleveurs de bestiaux ne font
que la moitié de la besogne. Pourquoi
engraissent-ils les bœufs et les mou-
tons? c'est pour qu'on les mange meil-
leurs. Or, on ne les mangerait pas meil-
leurs si, après de bons éleveurs pour les
engraisser, il n'y avait pas de - bons
cuisiniers pour les accommoder. La
croix du Mérite agricole, soit; mais il
faut maintenant que M. Méline crée
la croix du Mérite culinaire. Le nom
est tout trouvé : le Cordon bleu !
-
AUGUSTB VACQUERIE.
-————————- 1
A LA CHAMBRE
M. Barodet a déposé hier, en son
nom et au nom d'un certain nombre de
s £ s amis, une proposition d'amnistie
pour tous les crimes et délits politiques.
L'honorable membre a réclamé l'ur-
gence, en faisant valoir en termes me-
surés et habiles les raisons qui, à la
veille de la fête nationale, justifiaient
cet acte de clémence. M. Barodet a rap-
pelé que le précédent cabinet avait eu,
à un certain moment, le tort grave d'a-
giter le spectre rouge. De là, un cer-
tain trouble dans l'opinion et la sévé-
rité regrettable de quelques jugements.
M. Barodet a rappelé, d'ailleurs, que
le calme régnait partout et que lame-
sure d'apaisement proposée par ses
amis avait au moins le caractère de
l'opportunité. -
M. Waldeck a appuyé la discussion
d'urgence, mais pour combattra la pro-
position comme il l'avait déjà combat-
tue au mois de mars dernier quand la
manifestation des Invalides pouvait
fournir un prétexte à la politique de
rigueur. Aujourd'hui tout est calme,
mais la conclusion du ministre est la
même.
M. Clovis Hugues, après l'urgence
déclarée, a pris la parole pour défendre
le fond même de la proposition et,
sans rien ajouter aux considérations
politiques exposées par M. Barodet, il
a discuté la question avec la chaleur or-
dinaire de son langage. L'orateur ayant
rappelé, à la fin de son discours, que
M. Gambetta avait été l'éloquent dé-
fenseur de l'amnistie, le ministre de
l'intérieur a protesté contre tout rap-
prochement entre les condamnés d'au-
jourd'hui et les condamnés de la Com-
mune, hommes politiques égarés qui se
sont soulevés contre la société, en
obéissant à des convictions sincères.
On s'est étonné, sur le premier mo-
ment, que M. Waldeck-Rousseau s'ex-
primât avec tant de ménagement sur
des hommes qu'il eût probablement fait
fusiller. En réfléchissant un peu, on
s'est souvenu bien vite que l'un des
collègues du ministre, l'honorable M.
Méline,yle même qui vient de s'immor-
taliser en inventant 1 ordre du Mente
agricole, avait, il y a douze ans, salué
avec une ardeur sans égale le soulève-
ment du i8 mars, et fait partie « des
hommes égarés » signalés par M. Wal-
deck-Rousseau. Nous ne trouvons pas
d'ailleurs-que l'appréciation de M. le
ministre de l'intérieur, relativement
aux hommes de 1871, soit trop indul-
gente; nous nous étonnons seulement
que M. le ministre ne soit pas plus gé-
néreux pour les « égarés » de 1883.
M. Clovis Hugues, M. Courmeaux et
M, Gaillard ont répliqué à M. Waldeck-
Rousseau. Comme l'un de ces orateurs
parlait de la fête nationale du-14 juillet,
M. de la Rochefoucauld Bisaccia a crié,
de son banc, - crue c'était la fête de l'as-
sassinat etnon une fête nationale. Ce mot
ayant été frappé de la censure, un tu-
multe de quelques instants a interrompu
la séance. M. Paul de Cassagnac et M.
de la Rochefoucauld soutenaient qu'a-
vant d'appliquer la censure, des expl i-
cations devaient être entendues. Le pré-
sident n'a pas nié que tel fût l'esprit du
règlement, mais encore faut-il, d'après
lui, que le membre objet de la mesure
de rigueur réclame la parole. Or, c'est
ce que M. de la Rochefoucauld n'avait
pas fait.
La discussion ayant été close après
cet incident, le scrutin a donné 304 voix
contre le passage aux articles, et 89
pour.
La fin de la séance a été remplie par
une question que M. Paul de Cassagnac
a posée à M. Martin-Feuillée, ministre
de la justice. Il s'agissait de la nomina-
tion d'un juge de paix, frère d'un can-
didat qui se dispose, dans le même can-
ton, à disputer à M. de Cassagnac son
siège de conseiller général. L'orateur
r voit là un acte déloyal et une candida-
ture officielle des mieux caractérisées.
1 Le ministre s'est borné à répondre
éfnè, si le juge de paix nouvellement
nommé, et dont M. de Cassagnac ne
conteste pas le mérite, intervient dans
la lutte électorale, il n'hésitera pas à le
frapper.
Cette question vidée, et comme l'or-
dre du jour appelait la suite de la déli-
bération sur la loi municipale, M. de
Marcère, ainsi qu'on l'annonçait depuis
quelques jours, a proposé l'ajourne-
ment. La Chambre s'est prononcée con-
tre cette modification à son ordre du
jour. On a refusé ensuite de placer à
l'ordre du jour, après le Tonkin, le pro-
jet relatif à l'aliénation d'une partie du
parc de Saint-Cloud. A ce moment, on
a vu M. Méline monter a la tribune, et
tout le monde croyait que l'honorable
ministre, qui n'était pas présent au com-
mencement de la séance, venait faire
acte d'adhésion publique à la proposi-
tion d'amnistie ; c'était une erreur ;
M. Méline demandait seulement la mise
à l'ordre du jour d'une section du Code
rural. Décidément M. Méline n'a pas
de mémoire ; il a absolument oublié
qu'il a fait partie de la Commune avant
de marcher sur les traces du premier
consul en créant des œuvres de cheva-
lerie dans la France républicaine.
AV. GAULIER.
—————————— ,—————————
COULISSES DES CHAMBRES
C'est aujourd'hui que la Chambre doit
discuter les interpellations sur le Tonkin.
Ces interpellations sont au nombre de
deux : la première émane de M. Granet
qui, en cette circonstance, est l'organe
de l'extrême gauche ; la seconde émane
de M. Delafosse, le député bonapartiste,
qui agit en vertu d'une initiative toute per-
sonnelle.
MM. Granet et Delafosse exposeront
successivement leurs thèses respectives et
le. ministre des affaires étrangères répon-
dra aux deux en une seule fois.
M. Granet se propose d'adresser au gou-
vernement un certain nombre de ques-
tions précises, sans entrer dans aucun
débat rétrospectif. Il doit demander quel-
les limites aura l'action militaire actuelle-
ment engagée, si cette action militaire
sera suivie d'une occupation, et enfin
quelles notions le gouvernement possède à
l'égard de l'attitude réelle de la Chine. En-
fin, l'honorable député des Bouches-du-
Rhône doit demander au gouvernement de
prendre l'engagement de ne rien faire
pendant les vacances qui pût entraîner
l'entreprise en dehors des limites indi-
quées et d'associer les -Chambres à toute
mesure nouvelle dont la nécessité pourrait
être reconnue ultérieurement.
Quant à M. Delafosse, il se propose sur-
tout de critiquer la conduite du ministre
des affaires étrangères dans l'affaire de la
répudiation du traité Bourée.
D'après ce que l'on disait hier, le ministre
des aflaires étrangères réponrait que le gou- ,
vernement ne poursuit en rien l'annexion
et l'occupation du Tonkin, mais qu'il s'ef-
force de faire respecter et d'organiser le
protectorat que les traités ont attribué à
la France sur cette région.
Le gouvernement dirait qu'il ne deman-
dera aucun crédit nouveau aux Chambres;
ceux votés il y a deux mois suffiraient,
ainsi que les renforts envoyés au Tonkin
par les transports le Mytho et Y Annamite
qui doivent être rendus à destination à
1 heure actuelle.
Ajoutons que le paquebot des Message-
ries, roxus, arrivé dimanche matin à Mar-
seille, a apporté au gouvernement, qui les
a aujourd'hui, les rapports officiels et
circonstanciés sur les regrettables événe-
ments dans lesquels le commandant Ri-
vière a trouvé la mort. Le ministre des
affaires étrangères sera donc en mesure
de donner à la Chambre des détails com-
plets à ce sujet.
de
—e—
M. Rouvier doit lire aujourd'hui son
rapport à la commission des chemins de
fer. Ce rapport sera ensuite déposé au
cours de la séance sur le bureau de la.
Chambre, puis envoyé à l'impression. On
compte qu'il pourra être distribué jeudi
aux députés et alors se posera la question
de la mise à l'ordre du jour avant les va-
cances, qui doit être demandée par le
gouvernement.
Le ministère demandera que la discus-
sion des conventions commence le lundi
16 juillet et qu'elle soit continuée toute la
semaine sans interruption. C'est sur cette
motion que se livrera la grande bataille
politique qui est prévue et annoncée de-
puis plusieurs jours.
11 y aura plusieurs motions a ajourne-
ment' : l'une notamment demandera le
renvoi après les vacances, par la simple
raison qu'il y a insuffisance de temps pour
traiter la question avec l'ampleur qu'elle
comporte; l'autre sera fondée sur ce que
les conventions ne sont pas encore approu-
vées par les assemblées générales des ac-
tionnaires et qu'il importe à la dignité de
la Chambre de ne pas donner la première
sa ratification.
Le ministère est décidé à poser la ques-
tion de confiance sur ce vote. S'il l'em-
porte et que la discussion soit fixée avant
lés vacances, il restera encore à régler plu-
sieurs questions très importantes : d'abord
celle de l'urgence pour supprimer l'une
des deux délibérations et ensuite celle de
l'ordre dans lequel les conventions devront
être discutées. Cet ordre n'est pas indiffé-
rent; il y a, en effet, telles conventions qui,
comme celle du Nord et de l'Est ne sou-
lèvent presque pas d'objections, tandis
qu'il en est d'autres comme celles de l'Or-
léans etdu Midi, mais surtout de l'Orléans,
qui provoquent de vives résistances et qui
donneront lieu à d'ardents débats.
Il s'agit donc de savoir si l'on abordera
le débat par les côtés les plus difficiles ou
si l'on réservera pour la fin l'examen des
questions les plus graves.
..,
UN PRÉTENDANT
Le comte de Chambord n'est pas encore
mort que l'on se demande quel sera son
héritier. Dans l'ordre ordinaire de succes-
sibilité, ce devait être M. le comte de Pa-
ris; mais ce prétendant va se trouver "dans
un singulier embarras. Nul n'ignore que
le parti royaliste se compose de deux frac-
tions absolument hétérogènes, dont l'une
tient pour le drapeau tricolore et l'autre
pour le drapeau blanc; le petit-fils de
Louis-Philippe ne peut se réconcilier avec
l'une qu'à la condition de se brouiller
avec l'autre. Toute la question est de sa-
voir si M. le comte de Paris sacrifiera les
trois douzaines d'orléanistes qu'il y a en
France aux deux quarterons de légitimis-
tes qui leur font pendant; s'il sera roi de
France honoraire ou roi des Français in
partibus. Le problème est grave, et, de
quelque façon qu'on le résolve, il y aura
des mécontents.
Dans le duel entre les habiles et les incu-
rables, toutes les chances sont en faveur
des habiles ; les incurables ne se le dissimu-
lent pas. Ils se doutent bien que le comte
de Paris, qui est allé jadis déchirer à
Frohsdorff le testament de son père,
n'aura rien de plus pressé que de déchirer
le testament de son cousin, une fois de
retour à Paris, et ils voudraient se mqnir
à l'avance d'un prétendant où incarner
leurs rancunes et leurs aspirations. Le
tout est de trouver un homme pour ce
métier peu avantageux. D'aucuns ont
pensé à don Carlos. A mon sens, ce choix
ne serait pas fort heureux. D'abord, ce
personnage a eu avec les conducteurs de
diligences du Guipuscoa et de la Biscaye
des démêlés qui ont jeté un jour défavo-
rable sur son nom. Ensuite, il est peu
vraisemblable que la France, déjà indiffé-
rente à ses dynasties nationales, s'éveille
r et se lève à l'appel d'un prince étranger.
Et le traité d'Utrecht, qui sépare à jamais
les deux couronnes, qu'en faites-vous?
Mais qui choisir alors? L'ex-roi de Na-
ples? un prince de Savoie! Pourquoi ne
pas faire revivre tout de suite le testament
de l'infortuné Charles VI et ouvrir au
prince de Galles les portes de Calais ?
Je ne comprends vraiment pas que les
légitimistes se cassent la tête et parcou-
rent les villes d'eaux et les bains de mer à
la recherche d'un prétendant insaisissable,
quand ils en ont un tout trouvé sous la
main. Je parle de Neubauer, l'ancien clieftt
de Jules Favre, le petit-fils plus ou moins
authentique de Louis XVII. On me dira
que les prétentions de ce personnage ne
sont rien moins que justifiées. Mais après
huit siècles de monarchie, de parties de
chasse et de fêtes de nuit, pensez-vous
que M. le comte de Chambord ait beau-
coup plus de droits de s'intituler « fils de
saint Louis » ? Si l'on admet la voix du
sang, il faut reconnaître qu'elle peut aussi,
bien révéler un père à son fils qu'un fils à
son père. Il suffit donc que les Neubauer
prétendent avoir dans les veines de l'hé-
matine de Louis XV et de François Iee
pour que je les croie immédiatement sur
parole.
- Ce n'est pas un vil appétit de lucre qui les
guide, car il n'y a nulle part de millions
en déshérence, M. le comte de Chambord
ayant légué sa fortune à son neveu, le
comte de Bardi. Ce n'est pas non plus une
vaine gloriole, car la Saint-Barthélemy,
les Dragonnades, le Pacte de famine, ne
sont pas, que je sache, de si brillants sou-
venirs. Est-ce la perspective d'un sceptre !
Quelque étranger qu'il puisse être à nos
affaires politiques, M. Neubauer n'ignore
pas que Louis-Philippe II a tout juste au-
tant de chances d'être sacré à Notre-Dame
que Henri VI ou Louis XIX. Evidemment
M. Neubauer est poussé dans ses revendi-,
cations par le sentiment d'un devoir et le
désir de faire éclater la vérité. Et quand
les légitimistes ont à portée, pour le rôle
ingrat qu'ils lui ménagent, un candidat
aussi accommodant, ils le dédaigneraient e«,
l'enverraient promener ! Est-ce parce qu'il
exerce quelque part la profession modeste
d'horloger? Mais d'abord Louis XVI excel-
lait dans la serrurerie, et puis un tel pré-
tendant donnerait à la monarchie légitime
une couleur démocratique qui ne peut que
lui faire du bien.
FRÉDÉRIC MONTARGIS.
Peu de changement dans l'état du comte
de Chambord. Deux dépêches reçues par
M. de Dreux-Brezé indiquent que l'amélio-
ration signalée hier n'a point persisté.
Voici ces deux dépêches:
Vienne-Neustadt, 9 juillet, 9 h. rn"a¡
(Reçue à il h. 10 m.)
Nuit agitée et encore sans sommeil, léget
mouvement de fièvre; enfin, faiblesse ex-
trême. <
Signé : DE BLACAS.
Vienne, 2 h. 50, arrivée à 5 h. 45,
Consultation des docteurs Drasche et Mayer J
«Par suite d'une mauvaise nuit, les symp-
tômes dyspepsiques ont partiellement reparu ;
en conséquence, l'état général est moins favo-
rable, et les forces ont un peu diminué. » ,
Signé : DE BLACAS.
Vienne. 8 juillet.
Les membres de la famille d'Orléans passe-* ;
ront la journée de demain chez le prince Pbi-i
lippe de Cobourg, à Pesth.
Ils partiront après-demain pour Altsculh, où
habite leur cousin, l'archiduc Joseph. Ils re-
viendront mercredi soir à Pesth et rentreront
jeudi à Vienne.
MM. Bocher, d'Harcourt, de Beauvoir et de *
Bondy les accompagneront à Pesth, mais ils
n'iront pas jusqu'à Altscuth.
Vienne, 9 juillet.
Les Orléans sont partis ce matin pour Buda-
Pesth.
Buda-Pesth, 9 juillet.,
Le comte de Paris et les ducs de Nemours
et d'Alençon, accompagnés du vicomte de
Bondy, du marquis de Beauvoir, du comte
d'Harcourt et de MM. Emmanuel Bocher et
Morhain, sont arrivés ici à 1 heure 112 de l'a-
Feuilleton du RAPPEL
DU 11 JUILLET
n ■ ■■ m ■! i - ■% ■■ ■>» — —
21
LA VIE EN L'AIR
PREMIÈRE PARTIE
Ili (suite)
Juliette s'épanouissait à Vêilles. Le
grand souffle de la mer, les inhalations
salines, la douche des vagues, stimulaient
la montée de sève de sa riche jeunesse, et
le hâle du soleil, un peu bas, à l'arrière-
saison, la rendait jolie au possible.
Et puis, les soins de l'intérieur de son
frère la faisaient femme tout doucement.
Parfois, Paul en plaisantant l'appelait :
« La bourgeoise ». Bourgeoise, oui, au
sens familial du mot; mais - une élégante
Ob
Reproduction et traduction interdites.
Voir le Rappel ûn i7 juin au 10 juillet.
bourgeoise, en tout cas; gamine d'hier
encore, enfant sur tant de points ; mais
très prévoyante, régulière et attentive sur
le surplus, sur Je côté pratique de la direc-
tion de la maison. Elle avait commencé
par « faire la dame » ; attrait de la nou-
veauté ! innocente vanité de commander,
de se sentir responsable !
Maintenant la sensation première usée,
elle subissait le charme que ressent toute
femme au rôle de maîtresse du logis. Ab-
solument maîtresse chez son frère. Il trou-
vait tout très bien ; de beaucoup mieux
qu'auparavant et, se voyant l'objet d'at-
tentions persistantes, il rêvait mariage,
entrevoyant en imagination des satisfac-
tions délicates, d'un ordre supérieur,
d'une poésie élevée, par le fait de son
union avec une brave et chaste fille, telle
que la sœurette la lui faisait concevoir.
Un drôle de garçon, peut-être, que ce
Paul. Tout comme les camarades d'atelier,
il avait pratiqué le monde féminin que
hantent les artistes. Soit disposition par-
ticulière d'esprit, soit souffrance latente
de sa condition exceptionnelle, soit com-
paraison involontaire, il n'avait pu se lier,
s'attacher. Les éclats de gaieté l'incom-
modaient, produisaient sur lui des réac-
tions étranges qui le rendaient mélanco-
lique et froid. Les libertés de langage, le
déjingandé de la tenue, le sans-gêne
général lui infligeaient des répulsions
qu'il n'analysait pas, mais dont il lui était
impossible de prendre son parti.
Un proverbe dit bien : « Tel père, tel fils »,
mais un autre proverbe dit aussi : « A père
avare, fils prodigue ». Lequel croire? Tous
les deux; et de fait quand les enfants
n'exagèrent pas les côtés distinctifs de
ceux qui les ont élevés, ils en sont l'anti-
thèse frappante. Les aspirations de Paul
allaient à l'extrême opposé des façons
d'être et de comprendre de sa mère. Pour
lui un coin bien clos, des relations res-
treintes, un train régulier, voilà l'idéal.
Quel autre comporte mieux l'édification
d'un nid étroit, où préside une femme
digne, paisible, aimante, parce qu'elle se
sent exclusivement aimée? Une épouse,
en fin.
Hélas ! ce rêve d'une réalisation si facile,
si simple, à la généralité des hommes
d'intelligence saine, prenait pour lui le ca-
ractère d'une ambition déraisonnable.
Quelle famille d'un certain niveau d'édu-
cation consentirait à confier leur enfant au
fils de mademoiselle Mathilde Aubervain,
dite Léa d'Asc, qui montrait ses jambes
sous un maillot rose, et de ses bras, de sa
poitrine nue, tout ce que la police tolère
qu'on exhibe aux feux de la rampe ?
Il avait beau se défendre de songer à
cela, il ne souffrait pas moins de l'obliga-
tion de renoncer à la destinée de tout le
monde. Ah 1 être et vivre comme tout le
monde ! ce lui semblait le souverain bien;
et la sœurette, en dirigeant si gentiment
leur ménage à Veules, lui donnait la me-
sure des joies qu'il estimait devoir lui être
interdites.
Comme il travaillait bien à côté d'elle et
quelle singulière jouissance de prendre
ses repas à heure dite, quand, chez ma-
man, du diable si l'on savait jamais quand
on se mettait à table 1 Que de fois le dîner,
annoncé pour sept heures, n'était servi
qu'à neuf, en dépit des invités plus ou
moins nombreux qui se morfondaient, at-
tendant qu'elle rentrât. Les avait-elle donc
oubliés? Nullement; mais toute à l'unique
idée qui l'occupait, elle s'était attardée à
cause d'un corsage dont la couturière ne
comprenait pas la façon. Mais la voilà
enfin souriante, s'excusant si bonne-
ment.
Impossible de lui en vouloir. On va se
mettre à table. Le temps de se passer de
l'eau sur les doigts, n'est-ce pas? Et,
montée à son cabinet de toilette, elle pre-
nait un bain, se faisait coiffer, changeait
de tout, reparaissant trois quarts d'heure
après, belle, affable, contente, ne se dou-
tant même pas qu'oa eût pu trouvpr le
temps long.
Rien de pareil avec Juliette ; à six heures
battant : — « A table 1 » Belle aussi,
affable aussi, Juliette, et si contente de
tout! Paul l'emmenait dans la campagne,
qui est magnifique aux alentours. Parfois,
c'étaient des trottes d'importance.
— Viens-tu déjeuner à Saint-Valery? lui
demandait Paul la veille. J'ai des couleurs
à acheter.
- Allons, Paulot.
- Il y a six kilomètres, tu sais. *
- Six et six, douze, trois lieues, aller et
retour, qu'est-ce que c'est que ça? - Les
jeudis de promenade, j en fais bien d au-
tres avec Mlle de Féverolles. Le jour de sa
fête, nous sommes allés, de Courbevoie
aux moulins de Sannois, manger de la ga-
lette. J'en ai eu des ampoules, c'est vrai,
mais je me suis bien amusée. Demain, à
sept heures, Paulot, je serai prête, et nous
déjeunerons à Saint-Valery.
Un jour qu'ils en revenaient, le ciel se
couvrit tout à coup. Le vent venant du
large souffla brusquement en tempête, et
trois coups de tonnerre, à mesure plus
rapprochés, mirent de l'inquiétude dans
l'esprit de Paul. Il allait tomber une
fière averse. Pas un abri sur la route.
A gauche une montée de prairie verte
jusqu'à la cassure de la falaise, plon-
geant droit comme un mur. Pas de
cahute de douanier. A droite, en con-
tre-bas, une vallée remontant à un pe-
tit bois au faîte du coteau opposé. Mais
loin ce bois, encore que pour y atteindre
le chemin serpente en courbures prolon-
gées, à cause de la pente raidillonne du
double mamelon. Mêmes circuits compli-,
qués si l'on veut gagner le village, dont oa
n'aperçoit que le haut du clocher. Que
faire ? Ah ! ma foi 1 rien : tendre le dos et
essuyer l'orage.
— Bah ! marchons toujours ! dit Juliette
riant sans savoir pourquoi. • —
— Mais tu vas être transpercée et tu es (
en nage. - T.
- La marche me préservera du froide
Sur le moment même la nuée creva et
l'effort du vent cingla de grosses gouttes !
de pluie tiède, faisant un tel vacarme que
les deux jeunes gens n'entendirent pas le,
roulement d'une voiture derrière eux. Au
moment où elle allait les dépasser, le co
cher arrêta, la portière s'ouvrit, et une.
voix de femme dit vivement :
— Monsieur Aubervain, montez.
— Mais, mesdames, nous allons inonder
la voiture. 1
— Qu'est-ce que ça fait? Montez, monter
vite.,
1
EDOUARD CADQL.
,4 suivre.}
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.17%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.17%.
- Collections numériques similaires Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas" or dc.contributor adj "Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas")Colnet du Ravel Charles Joseph Colnet du Ravel Charles Joseph /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Colnet du Ravel Charles Joseph" or dc.contributor adj "Colnet du Ravel Charles Joseph") Porthmann Jules Louis Melchior Porthmann Jules Louis Melchior /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Porthmann Jules Louis Melchior" or dc.contributor adj "Porthmann Jules Louis Melchior")
- Auteurs similaires Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas" or dc.contributor adj "Dusaulchoy de Bergemont Joseph François Nicolas")Colnet du Ravel Charles Joseph Colnet du Ravel Charles Joseph /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Colnet du Ravel Charles Joseph" or dc.contributor adj "Colnet du Ravel Charles Joseph") Porthmann Jules Louis Melchior Porthmann Jules Louis Melchior /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Porthmann Jules Louis Melchior" or dc.contributor adj "Porthmann Jules Louis Melchior")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7540364p/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7540364p/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7540364p/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7540364p/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7540364p
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7540364p
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7540364p/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest