Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1884-12-16
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 décembre 1884 16 décembre 1884
Description : 1884/12/16 (N5394). 1884/12/16 (N5394).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75403386
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
IV*$394 — Mardi 16 Décembre 1884
Le numéro : IO o. ©épartemenis s iS e
25 Frimaire an 93.- N8 5394
ABMIinSTKATIOK
58, RUE DE VALOIS, 18
AB ORNEMENTS
fAEIS
ffcoïsmois. 10 d
Sixinois. 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Sixmois. 23 JT
/<.",.
Ailresser lettres et manflats * -':,..:'
A M. ERNEST LEFÈVRBj ;¿. j
il ., - -
1
•ADMINISTRAIEUE-GÉRAKI
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Réfaction.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seronf rasre-zdim
ANNONCES
M. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, l»3ace de la Bourse, 6
BANQUET DU DIX DÉCEMBRE
« Beurre, radis, sardines, - pois-
son sauce aux câpres,— roastbeef à la
purée de pommes, — haricots pana-
chés, — volaille rôtie, — salade., —
fromage, fruits, — une bouteille de
vin, — un flacon de Madère (de l'île)
offert à chaque convive par Auguste
Chenard,— café, cognac », tel est le
menu du banquet où étaient conviés
hier, à midi précis, au Lac Saint-Far-
geau, les bonapartistes côté du père.
A propos de quoi les jérômistes ont-
ils banqueté? A propos de l'anniver-
saire du jour où a été nommé président
de la République, il y a trente-six ans.
celui qui, il y a quatorze ans, a donné
l'Alsace-Lorraine à la Prusse.
Les jérômistes désireraient que cette
histoire recommençât, et c'est pour ins-
pirer leur désir à la France qu'ils ont
bu chacun « un flacon de Madère (de
l'île) ».
Nous n'étions pas des convives et
nous n'avons pas entendu les discours
que n'a pu manquer de provoquer un
flacon si insulaire, mais nous venons
de lire le premier-Saint-Fargeau de la
feuille jérômist* officielle, lequel est
évidemment la substance des toasts.
Ce premier-Saint-Fargeau pose en
axiome que « le peuple doit élire son
chef». Tiens! nous qui croyions être
sous le régime de la souveraineté du
peuple! Son chef? alors le peuple se-
rait un souverain qui aurait un souve-
rain.
Le rédacteur du journal officiel du
banquet Saint-Fargeau ne s'arrête pas
à cette objection. Le peuple doit avoir
un chef, et il doit l'élire. « C'est le
droit éternel, inaliénable, imprescrip-
tible de sa souveraineté ». C'est purce
qu'il est maître qu'il doit se donner un
maître. « C'est un des principes fonda-
mentaux de la démocratie. » — « Et
le principe fondamental du césarisme »,
a dit à M. Paul Lenglé quelqu'un qu'il
réfute d'un mot : - « Imbécille ! » Et
le quelqu'un est pulvérisé.
Vous seriez aussi imbécilles que lui
lui si vous alliez vous imaginer que
c'est un césar que réclament les fidèles
du prince Jérôme. La preuve que ce
n'est pas un césar, c'est l'anniversaire
qu'ils choisissent pour leur réclama-
tion. Le passé répond de l'avenir.
Pour ceux qui lui feraient l'injure de
le soupçonner d'une arrière-pensée cé-
• sariste, le prince de M. Paul Lenglé est
prêt à répéter tous les serments de son
cousin.
Quand la République rouvrit à Louis
Bonaparte les portes de la France,
quelques journaux osèrent douter de
sa sincérité républicaine. Ah! comme il
protesta contre cette calomnie! « La
République m'a fait le bonheur de re-
trouver ma patrie et tous mes droits de
citoyen; qu'elle reçoive mon serment
de dévouement! Nul plus que moi n'est
résolu à se dévouer à la défense de
l'ordre et à l'affermissement de la Ré-
publique. » Quelques mois plus tard, il
flétrissait « ceux qui l'accusaient d'am-
bition, connaissant peu son cœur », et,
mettant la main à l'endroit où son cœur
aurait pu être : — « Jamais, disait-il en
essayant de larmoyer, jamais personne
n'a pu douter de ma parole ! » On n'en
douta pas, et le prince Louis devint
ce que le prince Jérôme voudrait bien
devenir. Le 20 décembre 1848, il monta
à la tribune de l'Assemblée consti-
tuante ; le président de l'Assemblée lut
cette formule du serment : — « En
présence de Dieu et devant le peuple
représenté par l'Assemblée nationale,
je jure d'être fidèle à la République
démocratique, une et indivisible, et de
remplir tous les devoirs que m'impose
la Constitution » ; Louis Bonaparte dit
d'une voix ferme et haute : — « Je le
jure ! » Boulay (de la Meurthe) s'écria :
— « C'est un honnête homme; il tiendra
son serment. » Le président de l'Assem-
blée reprit : « Nous prenons Dieu et les
hommes à témoin du serment qui vient
d'être prêté. » Louis Bonaparte ne se
crut pas encore assez lié. Sans y être
le moins du monde obligé, il ajouta :
— « Les suffrages de la nation et le
serment que je viens de prêter comman-
dent ma conduite future. Je le rempli-
rai en homme d'honneur. Je verrai des
ennemis de la patrie dans tous ceux
qui tenteraient de changer par des voies
illégales ce que la France a établi. »
Trois ans après, celui qui avait juré si
solennellement de défendre la Répu-
blique assassinait la République.
Il faudrait avoir le caractère bien mal
fait pour qu'un tel précédent ne parut
pas une raison déterminante de confier
la République à un Bonaparte.
Cependant, tout « imbécille » qu'est
le quelqu'un qui voit dans la doctrine
jérômiste « le principe fondamental du
césarisme, si le peuple exigeait que le
prince de M. Lenglé fût empereur, le
prince de M. Lenglé s'y résignerait. « Un
chef! nous demandons un chef, qu'on
l'appelle consul, président ou empe-
reur ! » Et il semble même qu'au fond
il préférerait l'empire à la présidence.
Car son journal tout à coup éclate
en glorification du « Bonaparte im-
mense » qui n'a pas été président,
de « ce Bonaparte que le peuple ai-
mait avec passion parce qu'il com-
prenait le peuple, parce qu'il péné-
trait comme un fer chaud dans ses
chairs et dans ses instincts ». Le Bona-
parte de M. Lenglé ne serait pas moins
immense, il ne comprendrait pas moins
le peuple, et le peuple serait le dernier
des peuples s'il ne s'empressait pas de
faire empereur un prince qui ne de-
mande qu'à pénétrer dans ses chairs
comme un fer chaud.
AUGUSTE VACQUERIE.
———————— «a»
Nous avons dit déjà que les puissances
européennes ont jusqu'à présent montré
peu d'empressement à examiner les pro-
positions anglaises au sujet de la question
financière égyptienne, mais qu'en re-
vanche deux puissances, l'Allemagne et la
Russie, avec l'appui de toutes les autres,
avaient réclamé le droit de se faire repré-
senter à l'administration de la Dette égyp-1
tienne.
Une dépêche du Caire nous apprend au-
jourd'hui que les puissances, sauf l'Angle-
terre, «adhèrent à la création de deux ad-
ministrateurs de la caisse de la Dette »,
c'est-à-dire, comme nous l'annoncions ces
jours derniers, appuient directement la
demande de la Russie et de l'Allemagne.
Le télégramme du Caire ajoute que « la
solution de cet incident est attendue avec
quelque anxiété M.
L'Angleterre est donc complètement et
officiellement isolée dans cette question de
la Dette égyptienne.
———————— —————
DOUZIÈMES PROVISOIRES
Il no faut pas dire : Le vote du bud-
get par le Sénat et par la Chambre est
impossible. Il est possible, désirable et
nécessaire. La preuve qu'il est pos-
sible, c'est que l'année dernière le bud-
get a été apporté le 22 ou le 23 au Sé-
nat et qu'il a été voté ; la preuve qu'il
est désirable, c'est que tout le monde le
demande ; la preuve qu'il est néces-
saire, c'est que l'année 1885 verra se
renouveler la Chambre des députés et
le Sénat.
Les trois gros budgets sont votés : la
;uerre, la marine, les travaux publics.
Restent l'instruction publique et les
beaux-arts. Onpeut aller vile; puis, sur-
tout, on peut travailler. Qui empêche
de faire deux séances par jour? Qui
empêche d'en faire trois? La chose en
vaut, certes, la peine! Quand les dé-
putés passeraient tout leur temps à la
Chambre pendant une semaine, où se-
rait le mal?
Ce qui serait déplorable ce serait,
sous une forme quelconque, le vote de
douzièmes provisoires. Il produirait
dans le pays un effet funeste. Ce n'est
pas, certes, que le système des dou-
zièmes provisoires soit mauvais « en
soi ». L'Angleterre vit toute l'année
sur des douzièmes provisoires et s'en
trouve bien. Peut-être même ce sys-
tème des douzièmes provisoires est-il le
meilleur de tous, celui qui se prête le
plus au contrôle et le moins aux illu-
sions. Mais nous avons affaire à un pré-
jugé-
Unpréjugéest pire que tout. Et pour-
quoi? Parce qu'en politique il n'y a que
des apparences et des opinions. C'est
la marque qui fait le vin et l'étiquette
qui fait la drogue.
Le douzième provisoire est une mau-
vaise étiquette en France. Quand on
parle de douzièmes provisoires, il
semble que tout soit perdu et quo l'E-
tat marche à sa ruine. C'est l'abomina-
tion de la désolation; on aperçoit la
banqueroute à l'horizon, et la folie va
si loin que, dans beaucoup de cam-
pagnes, les paysans prennent les dou-
zièmes provisoires pour des douziè-
mes qu'on leur fera payer en sus
des impôts établis. Provisoire est,
pour eux, synonyme d'additionnel.
- Dans ces conditions, à la veille des
élections sénatoriales et à l'avant-veille
des élections législatives, ne pas voter
le budget à la fin de décembre serait
une faute colossale et impardonnable.
Nous avons assez des. conventions et du
Tonkin! N'ajoutons rien à cela. Arrê-
tons nous. La République est suffisam-
ment compromise.
Il ne faut pas laisser trop d'armes aux
adversaires du régime actuel, et celle-là
serait terrible. Comment! pas de budget
voté ! nous vivrions au jour le jour, au
milieu d'une crise industrielle, finan-
cière, agricole, pendant une guerre
dont l'issue préoccupe tout le pays! Ne
voyez-vous pas d'ici quels arguments
on pourrait tirer de cette situation ? Ne
voyez-vous pas quels coups on pourrait
porter, je ne dis pas au ministère, ce
qui ne serait rien, mais à la République
- ce qui est quelque chose.
Eh bien, qu'on travaille! que le Sénat
travaille et que la Chambre travaille!
qu'ils travaillent le jour et la nuit, s'il
le faut. Et quant à MM. les repré-
sentants des deux Chambres qui veu-
lent préparer leur candidature, qu'ils
soient bien pénétrés d'une chose : c'est
qu'ils la prépareront mieux en évitant les
douzièmes qu'en allant déclamer devant
les assemblées du suffrage universel.
EDOUARD LOCKROY.
—————————- —————————
MORT D'EUGÈNE PELLETAH
On nous apprend une triste nouvelle :
M. Eugène Pelietan vient de mourir.
Il est mort subitement, d'une attaque
d'apoplexie, au palais du Luxembourg.
Il avait soixante-et-onze ans.
C'est un des plus vaillants lutteurs de
ce temps qui nous quitte. Lutteur poli-
tique et lutteur littéraire.
On n'a pas oublié les beaux articles de
critique qu'il signait : Un inconnu. et qui
le firent rapidement connaître. Bientôt,
tous les journaux le disputèrent à la Presse.
Quand, en 1849, Lamartine publia le Bien
public, Eugène Pelietan fut son premier
collaborateur. Le Bien public disparu, il
revint à la Presse; puis ce fut Y Estafette
qui l'eut, puis le Siècle, puis le Courrier
du dimanche. Dans tous ces journaux,
il combattit aussi énergiquement contre
l'empire qu'il avait combattu pour la
grande littérature dont le dix-neuvième
siècle se glorifie.
Un de ses articles, la Liberté comme en
Autriche, lui valut trois mois de prison et
une amende considérable qu'il ne put
payer qu'en vendant ses livres. On sait la
généreuse manifestation que cette vente
provoqua : les trois premiers volumes mis
sur table furent poussés à un prix qui suf-
fit à l'amende.
Ce qu'il avait fait comme journa-
liste, il le fit comme orateur. E u en 1863
député de la neuvième circonscription
de Paris, et réélu en 1869, il était
un des plus éloquents porte-paroles de la
République lorsque le 4 septembre nous
la rendit. Il était naturellement désigné
pour faire partie du gouvernement de la
Défense nationale. Il eut le désintéresse-
ment de ne vouloir d'aucune fonction mi-
nistérielle et se consacra à l'organisation
des ambulances et de l'enseignement com-
munal.
Le département des Bouches-du-Rhône
le nomma, en février 1871, député, en
tête de la liste, et, en janvier 1876, séna-
teur, en tête de la liste également. Le
Sénat la nomma vice-président, puis ques-
teur, puis, le 24 juin dernier, sénateur
inamovible en remplacement de M. d'Haus-
sonville. Il aura été, avec l'amiral Peyron
nommé le même jour en remplacement
de M. Würtz, le dernier inamovible élu,
Eugène Pelietan est de ceux qui ne
meurent pas tout entiers. Il laisse des li-
vres qu'on relira longtemps avec au-
tant de plaisir que de profit : la Profes-
sion de foi du XIXe siècle, le Pasteur du
désert, les Rois philosophes, la Nouvelle
Babylone, etc. — L'écrivain en lui était
doublé d'un penseur, et son œuvre a tout
ce qu'une grande conviction ajoute à un
grand talent.
Eugène Pelletan survivra dans ses livres,
et il survivra dans ses fils, notamment
dans celui dont les lecteurs du Rappel
connaissent le talent éclatant et à qui
nous envoyons notre fraternel serrement
de main.
, , A. V. -
» ——
LE DROIT D'ASILE
Nous avons souvent signalé et tou-
jours condamné la tendance déplorable
de certains élus du suffrage universel à
fuir vers Je Luxembourg. Nous avons
dit que, de la part des députés, c'était
une reconnaissance, au moins inat-
tendue, de la suprématie du Sénat.
Jamais on n'a encore vu de sénateur
renonçant à son fauteuil pour deman-
der un mandat au suffrage universel.
Plus on voit de députés passer au Sé-
nat, plus on est porté à croire qu'ils y
entrent par une sorte d'avancement
hiérarchique. Le mal n'était pas grand
tant que les fuyards du suffrage uni-
versel étaient peu nombreux; mais au-
jourd'hui c'est un véritable exode et
c'est en foule que les hôtes du palais
Bourbon vont solliciter du petit suf-
frage un mandat de neuf années en
échange d'un mandat de quatre dont
leurs électeurs pourraient bien leur
refuser le renouvellement.
Le refus de M. Floquet, la lettre si
digne de M. Anatole de la Forge met-
traient peut-être un terme à ces défail-
lances et rappelleraient à la pudeur les
fuyards du palais Bourbon si, dans
cette question, l'intérêt personnel ne
parlait plus haut que toutes les candi-
datures. Pourquoi, en effet, le nombre
des députés résolus à faire défaut de-
vant le suffrage universel n'a-t-il jamais
été plus considérable ? C'est que jamais
majorité-n'a trompé plus complétement
les espérances du pays. La Chambre
prétendue réformatrice n'a réformé que
les vieux programmes républicains dont
elle a fait l'abandon. Elle a renié le
suffrage universel, d'abord en refusant
de l'appliquer aux élections du Sénat,
puis en laissant dire à M. le président
du conseil que, pour elle-même, c'était
uu mode de votation dont on pourrait
aussi bien se passer. Il est certain que
M Jules Ferry, pour lui faire voter un
projet de loi dans ce sens, n'aurait pas
eu besoin de la presser beaucoup.
Dans ces conditions, et en ajoutant à
ce triste dossier, qui est celui de la
majorité, l'approbation aveugle et per-
sistante de la politique d'aventures,
comment s'étonnerait-on de voir tant
de députés tourner des regards déses-
pérés vers le suffrage restreint, vers le
suffrage que les préfets vont manipuler
à loisir, pendant un mois? Responsa-
bles devant le suffrage universel, qui
devrait avoir le droit de les recher-
cher, comme contumaces, jusque sur
les bancs du Sénat, ils vont demander
l'absolution de leurs votes à qui ne
peut pas la leur donner. On ne peut
pas fouler aux pieds avec plus de sans-
gêne les principes qui, dans tout gou-
vernement libre, doivent régler les rap-
ports des électeurs et de l'élu.
Et si cette fuite des élus du suffrage
universel vers le suffrage restreint est
humiliante pour la Chambre, quelle est
la situation faite au Sénat, au Sénat
transformé définitivement en refuge de
tous les inéligibles? Le plus rude coup
porté à l'institution des inamovibles a
été le choix fait pour cette catégorie de
deux ou trois sénateurs ne pouvant plus
affronter même lo suffrage restreint.
Tel a été le cas de M. Voisins-Laver-
nière, déclaré législateur à perpétuité
par la seule raison que ses électeurs ne
voulaient plus de lui, même pour neuf
ans. Le plus rude coup qu'on puisse
maintenant porter au Sénat dans son
ensemble, c'est d'en faire un lieu de
refuge ouvert à toutes les défaillances.
Dans l'antiquité les temples, et au
moyen-âge les églises, pouvaient sous-
traire les coupables aux vengeances de
la justice publique. C'était le droit d'a.
sile, dont les abus sont connus, mais
qui, dans une organisation sociale
encore fort imparfaite, pouvait sembler
supportable et en partie justifié. Au
contraire, le droit d'asile qu'on vou-
drait conférer au Sénat, au suffrage
restreint, pour opposer comme une bar-
rière infranchissable aux fortes sévéri-
tés du suffrage universel, serait, à l'a-
dresse de celui-ci, une provocation sans
excuse et qui ne resterait pas longtemps
sans châtiment.
A. GAULIER.
La nouvelle traite des noirs à Nouméa
Il y a quelque temps, une maison de
commerce de Nouméa, la maison Ballande,
expédia un navire, le Ferdinand Lesseps,
avec un agent recruteur, Mr Kelgour,
pour aller chercher des travailleurs aux
Nouvelles-Hébrides. Sur ce navire, l'ad-
ministration locale embarqua M. Rousseil,
commissaire du gouvernement, auquel il
était expressément recommandé de ne
laisser engager que des émigrants de
bonne volonté. Plusieurs jours après, on
apprit que le Lesseps avait fait naufrage.
M. le gouverneur s'empressa d'envoyer le
Bruat, aviso de guerre de la station, au
secours des naufragés, et le Bruat les ra-
mena à Nouméa.
Mais bientôt le bruit se répandit dans la
ville que neuf Néo-Hébridais, qui se trou-
vaient sur le Lesseps, avaient été enlevés
de force et que, profitant du désordre du
naufrage, ils s'étaient; empressés de fuir.
Le chef de la colonie, justement ému de
ce bruit, institua une commission d'en-
quête pour en connaître.
Le recrutement aux îles Hébrides occupe
beaucoup l'opinion publique en Nouvelle-
Calédonie. Il n'a pas moins d'ardents ad-
versaires que de défenseurs passionnés.
On va en juger. « Pour qui a la patience
de jeter un coup d'œil sur la campagne
entreprise par le Progrès de Nouméa,
avant la suppression de l'immigration et
depuis son rétablissement, il ressort, dit
naïvement le Nouveau Calédonien (n° du
29 août), il ressort que toutes les atro-
cités énumérées par ce journal se ré-
duisent en somme à deux ou trois. » Deux
ou trois atrocités, cela valait-il la peine de ,
faire tant de bruit?
La vérité aurait beaucoup gagné à la
publication des procès-verbaux de la com-
mission d'enquête. Plus de doute alors sur
ce qui s'était réellement passé; chacun en
eût jugé par soi-même; l'administration
fermait la bouche aux critiques de bonne
ou de mauvaise foi en jouant cartes sur
table. Il est fâcheux pour elle qu'elle ne
l'ait pas voulu faire. Quoi qu'il en soit de
ce qui a transpiré du résultat de l'e n-
quête, il appert que les accusations por-
tées contre les opérations du Lesseps étaient
en partie bien fondées. Une chose non
contestée, par exemple, c'est que, devant
la coaim ssion, il a été révélé qu'à la prière
de M. Kelgour, l'agent recruteur de
MM. Ballande, le capitaine du Lesseps,
M. Cornu, avait e ijoint à son équipage de
dire aux Neo-Hébridais : a Nous allons à
Honolulu » (C'est la capitale des îles
Sandwich.) Pourquoi «à Honolulu», sinon
que les Néo-Hébridais redoutent d'être em-
menés à Nouméa? -
Devant la commission, il a été également
constaté qu'un homme armé d'un fusil
était placé la nuit à l'échelle du Fer-
dinand-de-Lesseps pour empêcher d'en
sortir les neuf recrues qu'il avait à bord.
Sont-ce des émigrants volontaires que
l'on fait garder par une sentinelle?
Enfin on a vu à Nouméa un enfant
de huit ou dix ans recueilli par le
capitaine du Bruat après le naufrage. Cet
enfant, sans parent, livré à un passager du
Ferdinand-de-Lesseps était-il un de « ces
travailleurs » dont les colons prétendent
ne pouvoir se passer ? Avait-il aussi con-
tracté un engagement volontaire? Ne faut-
Peuilleton du RAPPEL
DU 16 DÉCEMBRE
150
LE
ROI DES MENDIANTS
DEUXIÈME PARTIS
£ A MÈRE
XLIII
lia eODfesslon. — (Suite)
Inès poursuivit d'une voix grave :
— L'heure de l'expiation est venue. Je
la bénirais presque. si elle ne frappait
que moi. Mais le coup qui me tuera tra-
versera d'abord ton cœur. et c'est là ce
qui le rend cent fois plus cruel pour moi.
A.h ! s'il n'y allait que de mon bonheur.
que de ma vie. je ne me plaindrais pas,
et je diraisseulemenl i - Justice est faite !
— Ta confession ?. reprit Je docteur.
Reproduction interdite.
Voirie Rappel du 9 juillet au 15 décembre.
Il interrogeait, maintenant, le visage de
cette femme aimée, de la compagne de
son existence, avec l'œil du médecin qui
analyse et du penseur qui conclut, lisant
dans cette âme à travers l'enveloppe où
le remords faisait, si l'on peut s'exprimer
ainsi, des trouées qui permettaient d'aller
jusqu'au cœur.
Il y eut un silence.
Mme Liébert sentait ce regard sur elle,
n'osant ni le braver, ni le fuir, se laissant
déchiffrer, pour ainsi dire, puisqu'elle était
décidée à être sincère, et à accepter l'expia-
tion à laquelle les évènements et sa cons-
cience réveillée d'une longue torpeur la
condamnaient tardivement.
Le docteur entrevit quelque catastrophe
de tout son bonheur, sans savoir au juste
laquelle. Mais la femme qui se tenait là,
devant lui, était une coupable, en effet; il
ne pouvait plus s'y tromper.
Le médecin, comme le prêtre, quand il
est doublé d'un homme supérieur, voit
ces choses au premier coup d'œil.
Il tira son mouchoir de sa poche et
essuya la sueur qui coulait sur son
front.
Il avait peur, et il souffrait.
— Parle ! reprit-il enfin. Parle, Inès. Tu
as prpnoncé ces mots de « coupable » et
« confessfofi ». Je suis prêt à tout entendre.
Peut-être t'exagères-tu la faute. quelle
qu'elle soit, crue tu te crois obligée de
m'avouer ; mais quelle qu'elle soit , tu
peux la dire en toute sincérité.
Il eut un triste et doux sourire.
- Tu sais que, pour toi, je n'ai jamais
été un mari, dans le sens étroit et cho-
quant du mot. Je ne me suis jamais re-
connu sur toi que les droits que m'accor-
daient ton cour et ta libre volonté! Tu
sais qu'au-dessus des lois des hommes, je
mets la nature et la vérité. Je t'ai aimée et
je t'aime encore passionnément. Mais, à
tout moment de notre existence com-
mune, si tu avais cessé de m'aimer, ja
n'aurais pas eu un mouvement de colère
ni un mot de reproche contre toi., car
on n'est pas maître de ces sentiments-là.
D'ailleurs, l'étendue de ma douleur ne
saurait être la limite de mon droit; ton
droit est égal au mien, la même fatalité
gouverne nos cœurs. Puisqu'il ne dépen-
dait pas de ma volonté de ne pas t'aimer,
il ne dépendait pas davantage de ta vo-
lonté de m'aimer de même ou de m'aimer
toujours. Ce que je voulais, ce que je veux,
c'est ton cœur, non ta soumission ; la
soumission est toujours abjecte, surtout
en ces matières. Je serais peut-être mort
de notre séparation, car j'avais enfermé
ma vie dans la tienne ; mais je n'eusse
point invoqué ces droits prétendug, ni
employé ces menaces et ces vioences,
que les maris qui regardent leur femme
mmme une propriété se croient permises.
sans s'inquiéter de la logique et de leur pro-
pre dignité. Quelle que soit donc la faute
dont tu as à t'accuser devant moi, car
c'est d'une faute qu'il s'agit, — je le lis
dans tes yeux et toute ton attitude, —
celui qui t'écoutera, c'est un homme qui
a beaucoup vu, beaucoup pensé, beaucoup
compris ; c'est un ami que son intérêt per-
sonnel, ou ses droits, ou son égoïsme, n'a-
veugleront pas; c'est un amant aussi,
permets-moi ce mot, malgré mon âge et
le long temps que nous avons passé en-
semble, que tu peux crucifier. mais qui
ne sera ni un juge, n'étant pas impecca-
ble lui-même, ni un maître, ni un bour-
reau. Parle donc, Inès, parle-moi, comme
tu parlerais au prêtre dans son confession-
nal. Je souffrirai plus que lui ; mais, s'il y
a lieu, aussi indulgent que lui, je t'absou-
drai, au nom de la liberté humaine,
comme il t'absoudrait au nom de la misé-
ricorde divine., si ta faute est de celles
que le cœur enfante et que la raison est
impuissante à empêcher.
Inès se laissa tomber sur ses genoux.
— Gaston, dit-elle, ma faute n'est pas
de ceil'os-là! Je ne t'ai jamais trouvé si
grand, si noble. je ne me suis jamais
trouvée si indigne de toi qu'en ce moment.
Si le repentir pouvait racheter !. Mais mon
repentir pourra-t-il éditer tout le mal que
je vais te faire.
- Je suis prêt, répondit-il simplement;
mais si la faute qu'une femme expie aux
genoux de son mari n'est pas de celles
que le cœur peut excuser, quelle est donc
cetta faute?
Et son grand œil lumineux se fixa, pen-
sif et douloureusement songeur, sur celle
qui s'inclinait à ses pieds.
- Cette faute. ou plutôt ce crime,
c'est une autre femme que celle qui est là
devant toi qui l'a commise. Et il faut
qu'elle soit bien changée, cette femme,
pour venir ainsi aujourd'hui révéler le se-
cret qu'elle a gardé vingt ans, briser d'un
mot sa vie si péniblement et si longuement
édifiée par le mensonge, pour qu'elle re-
nonce en une heure à toutes les choses
auxquelles elle tenait plus qu'à la vie : ton
amour, ton estime, ton bonheur et le
mien.
— Un mensonge de vingt ans! répéta le
docteur avec la douleur d'un immense
déchirement qui semblait le séparer à
jamais de ces vingt années, les meilleures
et les plus douces de sa vie, se disant :
- Est-ce que tout ce que j'ai cru n'était
au'illubkm et mon existence n'a-t-elle été
qu'un rêve flont le réveil est arrivé?
— Depuis le ;,)ur où j'ai :eçu ton nom,
poursuivit-elle, je p- le dire, le front
haut, sans crainte d'être (fémentie, je me
suis montrée digne de ce beau rôm, fait
de gloire et de science, dont tu m'avais
cônué le dépfct. Depuis ce jour ayant
même d'être changée dans le fond de mon
cœur, — car je suis restée bien dure, bien
égoïste, bien implacable aux autres, tdnt
que mon intérêt et ma vanité étaient en
jeu ; — depuis ce jour, je le jure devant
Dieu qui m'entend, j'ai tout fait pour ne
pas démériter de ton grand amour, de la
bonté de ton cœur, de la noblesse de ta
conduite envers moi.
Elle se tut un instant, reculant toujours
devant l'aveu net.
— Alors?. fit M. Liébert.
— Alors, n'ayant pas eu le courage de
te dire la vérité, lorsque tu vins à moi,
lorsque tu m'aimas, lorsque tu m'offris ta
main, je crus que c'était fini. que j'avais
triomphé, que le passé était mort et qu'il
ne reviendrait plus jamais. janlals 1 Je
me suis trompée!. Pour soutenir le men-
songe de ma vie, pour éviter les consé-
quences de mon crime. il faudrait d'au-
tres mensonges. il faudrait un autre
crime, celui-là, frappant des innocents.
ceux qui me sont les plus chers. Que
justice soit donc faite de moi.
— Qu'aviez-vous à me cacher, lorsque
je vous épousai? demanda le docteur d'une
voix lente. -
A. MATTHEY,
(~t~
Le numéro : IO o. ©épartemenis s iS e
25 Frimaire an 93.- N8 5394
ABMIinSTKATIOK
58, RUE DE VALOIS, 18
AB ORNEMENTS
fAEIS
ffcoïsmois. 10 d
Sixinois. 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Sixmois. 23 JT
/<.",.
Ailresser lettres et manflats * -':,..:'
A M. ERNEST LEFÈVRBj ;¿. j
il ., - -
1
•ADMINISTRAIEUE-GÉRAKI
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Réfaction.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seronf rasre-zdim
ANNONCES
M. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, l»3ace de la Bourse, 6
BANQUET DU DIX DÉCEMBRE
« Beurre, radis, sardines, - pois-
son sauce aux câpres,— roastbeef à la
purée de pommes, — haricots pana-
chés, — volaille rôtie, — salade., —
fromage, fruits, — une bouteille de
vin, — un flacon de Madère (de l'île)
offert à chaque convive par Auguste
Chenard,— café, cognac », tel est le
menu du banquet où étaient conviés
hier, à midi précis, au Lac Saint-Far-
geau, les bonapartistes côté du père.
A propos de quoi les jérômistes ont-
ils banqueté? A propos de l'anniver-
saire du jour où a été nommé président
de la République, il y a trente-six ans.
celui qui, il y a quatorze ans, a donné
l'Alsace-Lorraine à la Prusse.
Les jérômistes désireraient que cette
histoire recommençât, et c'est pour ins-
pirer leur désir à la France qu'ils ont
bu chacun « un flacon de Madère (de
l'île) ».
Nous n'étions pas des convives et
nous n'avons pas entendu les discours
que n'a pu manquer de provoquer un
flacon si insulaire, mais nous venons
de lire le premier-Saint-Fargeau de la
feuille jérômist* officielle, lequel est
évidemment la substance des toasts.
Ce premier-Saint-Fargeau pose en
axiome que « le peuple doit élire son
chef». Tiens! nous qui croyions être
sous le régime de la souveraineté du
peuple! Son chef? alors le peuple se-
rait un souverain qui aurait un souve-
rain.
Le rédacteur du journal officiel du
banquet Saint-Fargeau ne s'arrête pas
à cette objection. Le peuple doit avoir
un chef, et il doit l'élire. « C'est le
droit éternel, inaliénable, imprescrip-
tible de sa souveraineté ». C'est purce
qu'il est maître qu'il doit se donner un
maître. « C'est un des principes fonda-
mentaux de la démocratie. » — « Et
le principe fondamental du césarisme »,
a dit à M. Paul Lenglé quelqu'un qu'il
réfute d'un mot : - « Imbécille ! » Et
le quelqu'un est pulvérisé.
Vous seriez aussi imbécilles que lui
lui si vous alliez vous imaginer que
c'est un césar que réclament les fidèles
du prince Jérôme. La preuve que ce
n'est pas un césar, c'est l'anniversaire
qu'ils choisissent pour leur réclama-
tion. Le passé répond de l'avenir.
Pour ceux qui lui feraient l'injure de
le soupçonner d'une arrière-pensée cé-
• sariste, le prince de M. Paul Lenglé est
prêt à répéter tous les serments de son
cousin.
Quand la République rouvrit à Louis
Bonaparte les portes de la France,
quelques journaux osèrent douter de
sa sincérité républicaine. Ah! comme il
protesta contre cette calomnie! « La
République m'a fait le bonheur de re-
trouver ma patrie et tous mes droits de
citoyen; qu'elle reçoive mon serment
de dévouement! Nul plus que moi n'est
résolu à se dévouer à la défense de
l'ordre et à l'affermissement de la Ré-
publique. » Quelques mois plus tard, il
flétrissait « ceux qui l'accusaient d'am-
bition, connaissant peu son cœur », et,
mettant la main à l'endroit où son cœur
aurait pu être : — « Jamais, disait-il en
essayant de larmoyer, jamais personne
n'a pu douter de ma parole ! » On n'en
douta pas, et le prince Louis devint
ce que le prince Jérôme voudrait bien
devenir. Le 20 décembre 1848, il monta
à la tribune de l'Assemblée consti-
tuante ; le président de l'Assemblée lut
cette formule du serment : — « En
présence de Dieu et devant le peuple
représenté par l'Assemblée nationale,
je jure d'être fidèle à la République
démocratique, une et indivisible, et de
remplir tous les devoirs que m'impose
la Constitution » ; Louis Bonaparte dit
d'une voix ferme et haute : — « Je le
jure ! » Boulay (de la Meurthe) s'écria :
— « C'est un honnête homme; il tiendra
son serment. » Le président de l'Assem-
blée reprit : « Nous prenons Dieu et les
hommes à témoin du serment qui vient
d'être prêté. » Louis Bonaparte ne se
crut pas encore assez lié. Sans y être
le moins du monde obligé, il ajouta :
— « Les suffrages de la nation et le
serment que je viens de prêter comman-
dent ma conduite future. Je le rempli-
rai en homme d'honneur. Je verrai des
ennemis de la patrie dans tous ceux
qui tenteraient de changer par des voies
illégales ce que la France a établi. »
Trois ans après, celui qui avait juré si
solennellement de défendre la Répu-
blique assassinait la République.
Il faudrait avoir le caractère bien mal
fait pour qu'un tel précédent ne parut
pas une raison déterminante de confier
la République à un Bonaparte.
Cependant, tout « imbécille » qu'est
le quelqu'un qui voit dans la doctrine
jérômiste « le principe fondamental du
césarisme, si le peuple exigeait que le
prince de M. Lenglé fût empereur, le
prince de M. Lenglé s'y résignerait. « Un
chef! nous demandons un chef, qu'on
l'appelle consul, président ou empe-
reur ! » Et il semble même qu'au fond
il préférerait l'empire à la présidence.
Car son journal tout à coup éclate
en glorification du « Bonaparte im-
mense » qui n'a pas été président,
de « ce Bonaparte que le peuple ai-
mait avec passion parce qu'il com-
prenait le peuple, parce qu'il péné-
trait comme un fer chaud dans ses
chairs et dans ses instincts ». Le Bona-
parte de M. Lenglé ne serait pas moins
immense, il ne comprendrait pas moins
le peuple, et le peuple serait le dernier
des peuples s'il ne s'empressait pas de
faire empereur un prince qui ne de-
mande qu'à pénétrer dans ses chairs
comme un fer chaud.
AUGUSTE VACQUERIE.
———————— «a»
Nous avons dit déjà que les puissances
européennes ont jusqu'à présent montré
peu d'empressement à examiner les pro-
positions anglaises au sujet de la question
financière égyptienne, mais qu'en re-
vanche deux puissances, l'Allemagne et la
Russie, avec l'appui de toutes les autres,
avaient réclamé le droit de se faire repré-
senter à l'administration de la Dette égyp-1
tienne.
Une dépêche du Caire nous apprend au-
jourd'hui que les puissances, sauf l'Angle-
terre, «adhèrent à la création de deux ad-
ministrateurs de la caisse de la Dette »,
c'est-à-dire, comme nous l'annoncions ces
jours derniers, appuient directement la
demande de la Russie et de l'Allemagne.
Le télégramme du Caire ajoute que « la
solution de cet incident est attendue avec
quelque anxiété M.
L'Angleterre est donc complètement et
officiellement isolée dans cette question de
la Dette égyptienne.
———————— —————
DOUZIÈMES PROVISOIRES
Il no faut pas dire : Le vote du bud-
get par le Sénat et par la Chambre est
impossible. Il est possible, désirable et
nécessaire. La preuve qu'il est pos-
sible, c'est que l'année dernière le bud-
get a été apporté le 22 ou le 23 au Sé-
nat et qu'il a été voté ; la preuve qu'il
est désirable, c'est que tout le monde le
demande ; la preuve qu'il est néces-
saire, c'est que l'année 1885 verra se
renouveler la Chambre des députés et
le Sénat.
Les trois gros budgets sont votés : la
;uerre, la marine, les travaux publics.
Restent l'instruction publique et les
beaux-arts. Onpeut aller vile; puis, sur-
tout, on peut travailler. Qui empêche
de faire deux séances par jour? Qui
empêche d'en faire trois? La chose en
vaut, certes, la peine! Quand les dé-
putés passeraient tout leur temps à la
Chambre pendant une semaine, où se-
rait le mal?
Ce qui serait déplorable ce serait,
sous une forme quelconque, le vote de
douzièmes provisoires. Il produirait
dans le pays un effet funeste. Ce n'est
pas, certes, que le système des dou-
zièmes provisoires soit mauvais « en
soi ». L'Angleterre vit toute l'année
sur des douzièmes provisoires et s'en
trouve bien. Peut-être même ce sys-
tème des douzièmes provisoires est-il le
meilleur de tous, celui qui se prête le
plus au contrôle et le moins aux illu-
sions. Mais nous avons affaire à un pré-
jugé-
Unpréjugéest pire que tout. Et pour-
quoi? Parce qu'en politique il n'y a que
des apparences et des opinions. C'est
la marque qui fait le vin et l'étiquette
qui fait la drogue.
Le douzième provisoire est une mau-
vaise étiquette en France. Quand on
parle de douzièmes provisoires, il
semble que tout soit perdu et quo l'E-
tat marche à sa ruine. C'est l'abomina-
tion de la désolation; on aperçoit la
banqueroute à l'horizon, et la folie va
si loin que, dans beaucoup de cam-
pagnes, les paysans prennent les dou-
zièmes provisoires pour des douziè-
mes qu'on leur fera payer en sus
des impôts établis. Provisoire est,
pour eux, synonyme d'additionnel.
- Dans ces conditions, à la veille des
élections sénatoriales et à l'avant-veille
des élections législatives, ne pas voter
le budget à la fin de décembre serait
une faute colossale et impardonnable.
Nous avons assez des. conventions et du
Tonkin! N'ajoutons rien à cela. Arrê-
tons nous. La République est suffisam-
ment compromise.
Il ne faut pas laisser trop d'armes aux
adversaires du régime actuel, et celle-là
serait terrible. Comment! pas de budget
voté ! nous vivrions au jour le jour, au
milieu d'une crise industrielle, finan-
cière, agricole, pendant une guerre
dont l'issue préoccupe tout le pays! Ne
voyez-vous pas d'ici quels arguments
on pourrait tirer de cette situation ? Ne
voyez-vous pas quels coups on pourrait
porter, je ne dis pas au ministère, ce
qui ne serait rien, mais à la République
- ce qui est quelque chose.
Eh bien, qu'on travaille! que le Sénat
travaille et que la Chambre travaille!
qu'ils travaillent le jour et la nuit, s'il
le faut. Et quant à MM. les repré-
sentants des deux Chambres qui veu-
lent préparer leur candidature, qu'ils
soient bien pénétrés d'une chose : c'est
qu'ils la prépareront mieux en évitant les
douzièmes qu'en allant déclamer devant
les assemblées du suffrage universel.
EDOUARD LOCKROY.
—————————- —————————
MORT D'EUGÈNE PELLETAH
On nous apprend une triste nouvelle :
M. Eugène Pelietan vient de mourir.
Il est mort subitement, d'une attaque
d'apoplexie, au palais du Luxembourg.
Il avait soixante-et-onze ans.
C'est un des plus vaillants lutteurs de
ce temps qui nous quitte. Lutteur poli-
tique et lutteur littéraire.
On n'a pas oublié les beaux articles de
critique qu'il signait : Un inconnu. et qui
le firent rapidement connaître. Bientôt,
tous les journaux le disputèrent à la Presse.
Quand, en 1849, Lamartine publia le Bien
public, Eugène Pelietan fut son premier
collaborateur. Le Bien public disparu, il
revint à la Presse; puis ce fut Y Estafette
qui l'eut, puis le Siècle, puis le Courrier
du dimanche. Dans tous ces journaux,
il combattit aussi énergiquement contre
l'empire qu'il avait combattu pour la
grande littérature dont le dix-neuvième
siècle se glorifie.
Un de ses articles, la Liberté comme en
Autriche, lui valut trois mois de prison et
une amende considérable qu'il ne put
payer qu'en vendant ses livres. On sait la
généreuse manifestation que cette vente
provoqua : les trois premiers volumes mis
sur table furent poussés à un prix qui suf-
fit à l'amende.
Ce qu'il avait fait comme journa-
liste, il le fit comme orateur. E u en 1863
député de la neuvième circonscription
de Paris, et réélu en 1869, il était
un des plus éloquents porte-paroles de la
République lorsque le 4 septembre nous
la rendit. Il était naturellement désigné
pour faire partie du gouvernement de la
Défense nationale. Il eut le désintéresse-
ment de ne vouloir d'aucune fonction mi-
nistérielle et se consacra à l'organisation
des ambulances et de l'enseignement com-
munal.
Le département des Bouches-du-Rhône
le nomma, en février 1871, député, en
tête de la liste, et, en janvier 1876, séna-
teur, en tête de la liste également. Le
Sénat la nomma vice-président, puis ques-
teur, puis, le 24 juin dernier, sénateur
inamovible en remplacement de M. d'Haus-
sonville. Il aura été, avec l'amiral Peyron
nommé le même jour en remplacement
de M. Würtz, le dernier inamovible élu,
Eugène Pelietan est de ceux qui ne
meurent pas tout entiers. Il laisse des li-
vres qu'on relira longtemps avec au-
tant de plaisir que de profit : la Profes-
sion de foi du XIXe siècle, le Pasteur du
désert, les Rois philosophes, la Nouvelle
Babylone, etc. — L'écrivain en lui était
doublé d'un penseur, et son œuvre a tout
ce qu'une grande conviction ajoute à un
grand talent.
Eugène Pelletan survivra dans ses livres,
et il survivra dans ses fils, notamment
dans celui dont les lecteurs du Rappel
connaissent le talent éclatant et à qui
nous envoyons notre fraternel serrement
de main.
, , A. V. -
» ——
LE DROIT D'ASILE
Nous avons souvent signalé et tou-
jours condamné la tendance déplorable
de certains élus du suffrage universel à
fuir vers Je Luxembourg. Nous avons
dit que, de la part des députés, c'était
une reconnaissance, au moins inat-
tendue, de la suprématie du Sénat.
Jamais on n'a encore vu de sénateur
renonçant à son fauteuil pour deman-
der un mandat au suffrage universel.
Plus on voit de députés passer au Sé-
nat, plus on est porté à croire qu'ils y
entrent par une sorte d'avancement
hiérarchique. Le mal n'était pas grand
tant que les fuyards du suffrage uni-
versel étaient peu nombreux; mais au-
jourd'hui c'est un véritable exode et
c'est en foule que les hôtes du palais
Bourbon vont solliciter du petit suf-
frage un mandat de neuf années en
échange d'un mandat de quatre dont
leurs électeurs pourraient bien leur
refuser le renouvellement.
Le refus de M. Floquet, la lettre si
digne de M. Anatole de la Forge met-
traient peut-être un terme à ces défail-
lances et rappelleraient à la pudeur les
fuyards du palais Bourbon si, dans
cette question, l'intérêt personnel ne
parlait plus haut que toutes les candi-
datures. Pourquoi, en effet, le nombre
des députés résolus à faire défaut de-
vant le suffrage universel n'a-t-il jamais
été plus considérable ? C'est que jamais
majorité-n'a trompé plus complétement
les espérances du pays. La Chambre
prétendue réformatrice n'a réformé que
les vieux programmes républicains dont
elle a fait l'abandon. Elle a renié le
suffrage universel, d'abord en refusant
de l'appliquer aux élections du Sénat,
puis en laissant dire à M. le président
du conseil que, pour elle-même, c'était
uu mode de votation dont on pourrait
aussi bien se passer. Il est certain que
M Jules Ferry, pour lui faire voter un
projet de loi dans ce sens, n'aurait pas
eu besoin de la presser beaucoup.
Dans ces conditions, et en ajoutant à
ce triste dossier, qui est celui de la
majorité, l'approbation aveugle et per-
sistante de la politique d'aventures,
comment s'étonnerait-on de voir tant
de députés tourner des regards déses-
pérés vers le suffrage restreint, vers le
suffrage que les préfets vont manipuler
à loisir, pendant un mois? Responsa-
bles devant le suffrage universel, qui
devrait avoir le droit de les recher-
cher, comme contumaces, jusque sur
les bancs du Sénat, ils vont demander
l'absolution de leurs votes à qui ne
peut pas la leur donner. On ne peut
pas fouler aux pieds avec plus de sans-
gêne les principes qui, dans tout gou-
vernement libre, doivent régler les rap-
ports des électeurs et de l'élu.
Et si cette fuite des élus du suffrage
universel vers le suffrage restreint est
humiliante pour la Chambre, quelle est
la situation faite au Sénat, au Sénat
transformé définitivement en refuge de
tous les inéligibles? Le plus rude coup
porté à l'institution des inamovibles a
été le choix fait pour cette catégorie de
deux ou trois sénateurs ne pouvant plus
affronter même lo suffrage restreint.
Tel a été le cas de M. Voisins-Laver-
nière, déclaré législateur à perpétuité
par la seule raison que ses électeurs ne
voulaient plus de lui, même pour neuf
ans. Le plus rude coup qu'on puisse
maintenant porter au Sénat dans son
ensemble, c'est d'en faire un lieu de
refuge ouvert à toutes les défaillances.
Dans l'antiquité les temples, et au
moyen-âge les églises, pouvaient sous-
traire les coupables aux vengeances de
la justice publique. C'était le droit d'a.
sile, dont les abus sont connus, mais
qui, dans une organisation sociale
encore fort imparfaite, pouvait sembler
supportable et en partie justifié. Au
contraire, le droit d'asile qu'on vou-
drait conférer au Sénat, au suffrage
restreint, pour opposer comme une bar-
rière infranchissable aux fortes sévéri-
tés du suffrage universel, serait, à l'a-
dresse de celui-ci, une provocation sans
excuse et qui ne resterait pas longtemps
sans châtiment.
A. GAULIER.
La nouvelle traite des noirs à Nouméa
Il y a quelque temps, une maison de
commerce de Nouméa, la maison Ballande,
expédia un navire, le Ferdinand Lesseps,
avec un agent recruteur, Mr Kelgour,
pour aller chercher des travailleurs aux
Nouvelles-Hébrides. Sur ce navire, l'ad-
ministration locale embarqua M. Rousseil,
commissaire du gouvernement, auquel il
était expressément recommandé de ne
laisser engager que des émigrants de
bonne volonté. Plusieurs jours après, on
apprit que le Lesseps avait fait naufrage.
M. le gouverneur s'empressa d'envoyer le
Bruat, aviso de guerre de la station, au
secours des naufragés, et le Bruat les ra-
mena à Nouméa.
Mais bientôt le bruit se répandit dans la
ville que neuf Néo-Hébridais, qui se trou-
vaient sur le Lesseps, avaient été enlevés
de force et que, profitant du désordre du
naufrage, ils s'étaient; empressés de fuir.
Le chef de la colonie, justement ému de
ce bruit, institua une commission d'en-
quête pour en connaître.
Le recrutement aux îles Hébrides occupe
beaucoup l'opinion publique en Nouvelle-
Calédonie. Il n'a pas moins d'ardents ad-
versaires que de défenseurs passionnés.
On va en juger. « Pour qui a la patience
de jeter un coup d'œil sur la campagne
entreprise par le Progrès de Nouméa,
avant la suppression de l'immigration et
depuis son rétablissement, il ressort, dit
naïvement le Nouveau Calédonien (n° du
29 août), il ressort que toutes les atro-
cités énumérées par ce journal se ré-
duisent en somme à deux ou trois. » Deux
ou trois atrocités, cela valait-il la peine de ,
faire tant de bruit?
La vérité aurait beaucoup gagné à la
publication des procès-verbaux de la com-
mission d'enquête. Plus de doute alors sur
ce qui s'était réellement passé; chacun en
eût jugé par soi-même; l'administration
fermait la bouche aux critiques de bonne
ou de mauvaise foi en jouant cartes sur
table. Il est fâcheux pour elle qu'elle ne
l'ait pas voulu faire. Quoi qu'il en soit de
ce qui a transpiré du résultat de l'e n-
quête, il appert que les accusations por-
tées contre les opérations du Lesseps étaient
en partie bien fondées. Une chose non
contestée, par exemple, c'est que, devant
la coaim ssion, il a été révélé qu'à la prière
de M. Kelgour, l'agent recruteur de
MM. Ballande, le capitaine du Lesseps,
M. Cornu, avait e ijoint à son équipage de
dire aux Neo-Hébridais : a Nous allons à
Honolulu » (C'est la capitale des îles
Sandwich.) Pourquoi «à Honolulu», sinon
que les Néo-Hébridais redoutent d'être em-
menés à Nouméa? -
Devant la commission, il a été également
constaté qu'un homme armé d'un fusil
était placé la nuit à l'échelle du Fer-
dinand-de-Lesseps pour empêcher d'en
sortir les neuf recrues qu'il avait à bord.
Sont-ce des émigrants volontaires que
l'on fait garder par une sentinelle?
Enfin on a vu à Nouméa un enfant
de huit ou dix ans recueilli par le
capitaine du Bruat après le naufrage. Cet
enfant, sans parent, livré à un passager du
Ferdinand-de-Lesseps était-il un de « ces
travailleurs » dont les colons prétendent
ne pouvoir se passer ? Avait-il aussi con-
tracté un engagement volontaire? Ne faut-
Peuilleton du RAPPEL
DU 16 DÉCEMBRE
150
LE
ROI DES MENDIANTS
DEUXIÈME PARTIS
£ A MÈRE
XLIII
lia eODfesslon. — (Suite)
Inès poursuivit d'une voix grave :
— L'heure de l'expiation est venue. Je
la bénirais presque. si elle ne frappait
que moi. Mais le coup qui me tuera tra-
versera d'abord ton cœur. et c'est là ce
qui le rend cent fois plus cruel pour moi.
A.h ! s'il n'y allait que de mon bonheur.
que de ma vie. je ne me plaindrais pas,
et je diraisseulemenl i - Justice est faite !
— Ta confession ?. reprit Je docteur.
Reproduction interdite.
Voirie Rappel du 9 juillet au 15 décembre.
Il interrogeait, maintenant, le visage de
cette femme aimée, de la compagne de
son existence, avec l'œil du médecin qui
analyse et du penseur qui conclut, lisant
dans cette âme à travers l'enveloppe où
le remords faisait, si l'on peut s'exprimer
ainsi, des trouées qui permettaient d'aller
jusqu'au cœur.
Il y eut un silence.
Mme Liébert sentait ce regard sur elle,
n'osant ni le braver, ni le fuir, se laissant
déchiffrer, pour ainsi dire, puisqu'elle était
décidée à être sincère, et à accepter l'expia-
tion à laquelle les évènements et sa cons-
cience réveillée d'une longue torpeur la
condamnaient tardivement.
Le docteur entrevit quelque catastrophe
de tout son bonheur, sans savoir au juste
laquelle. Mais la femme qui se tenait là,
devant lui, était une coupable, en effet; il
ne pouvait plus s'y tromper.
Le médecin, comme le prêtre, quand il
est doublé d'un homme supérieur, voit
ces choses au premier coup d'œil.
Il tira son mouchoir de sa poche et
essuya la sueur qui coulait sur son
front.
Il avait peur, et il souffrait.
— Parle ! reprit-il enfin. Parle, Inès. Tu
as prpnoncé ces mots de « coupable » et
« confessfofi ». Je suis prêt à tout entendre.
Peut-être t'exagères-tu la faute. quelle
qu'elle soit, crue tu te crois obligée de
m'avouer ; mais quelle qu'elle soit , tu
peux la dire en toute sincérité.
Il eut un triste et doux sourire.
- Tu sais que, pour toi, je n'ai jamais
été un mari, dans le sens étroit et cho-
quant du mot. Je ne me suis jamais re-
connu sur toi que les droits que m'accor-
daient ton cour et ta libre volonté! Tu
sais qu'au-dessus des lois des hommes, je
mets la nature et la vérité. Je t'ai aimée et
je t'aime encore passionnément. Mais, à
tout moment de notre existence com-
mune, si tu avais cessé de m'aimer, ja
n'aurais pas eu un mouvement de colère
ni un mot de reproche contre toi., car
on n'est pas maître de ces sentiments-là.
D'ailleurs, l'étendue de ma douleur ne
saurait être la limite de mon droit; ton
droit est égal au mien, la même fatalité
gouverne nos cœurs. Puisqu'il ne dépen-
dait pas de ma volonté de ne pas t'aimer,
il ne dépendait pas davantage de ta vo-
lonté de m'aimer de même ou de m'aimer
toujours. Ce que je voulais, ce que je veux,
c'est ton cœur, non ta soumission ; la
soumission est toujours abjecte, surtout
en ces matières. Je serais peut-être mort
de notre séparation, car j'avais enfermé
ma vie dans la tienne ; mais je n'eusse
point invoqué ces droits prétendug, ni
employé ces menaces et ces vioences,
que les maris qui regardent leur femme
mmme une propriété se croient permises.
sans s'inquiéter de la logique et de leur pro-
pre dignité. Quelle que soit donc la faute
dont tu as à t'accuser devant moi, car
c'est d'une faute qu'il s'agit, — je le lis
dans tes yeux et toute ton attitude, —
celui qui t'écoutera, c'est un homme qui
a beaucoup vu, beaucoup pensé, beaucoup
compris ; c'est un ami que son intérêt per-
sonnel, ou ses droits, ou son égoïsme, n'a-
veugleront pas; c'est un amant aussi,
permets-moi ce mot, malgré mon âge et
le long temps que nous avons passé en-
semble, que tu peux crucifier. mais qui
ne sera ni un juge, n'étant pas impecca-
ble lui-même, ni un maître, ni un bour-
reau. Parle donc, Inès, parle-moi, comme
tu parlerais au prêtre dans son confession-
nal. Je souffrirai plus que lui ; mais, s'il y
a lieu, aussi indulgent que lui, je t'absou-
drai, au nom de la liberté humaine,
comme il t'absoudrait au nom de la misé-
ricorde divine., si ta faute est de celles
que le cœur enfante et que la raison est
impuissante à empêcher.
Inès se laissa tomber sur ses genoux.
— Gaston, dit-elle, ma faute n'est pas
de ceil'os-là! Je ne t'ai jamais trouvé si
grand, si noble. je ne me suis jamais
trouvée si indigne de toi qu'en ce moment.
Si le repentir pouvait racheter !. Mais mon
repentir pourra-t-il éditer tout le mal que
je vais te faire.
- Je suis prêt, répondit-il simplement;
mais si la faute qu'une femme expie aux
genoux de son mari n'est pas de celles
que le cœur peut excuser, quelle est donc
cetta faute?
Et son grand œil lumineux se fixa, pen-
sif et douloureusement songeur, sur celle
qui s'inclinait à ses pieds.
- Cette faute. ou plutôt ce crime,
c'est une autre femme que celle qui est là
devant toi qui l'a commise. Et il faut
qu'elle soit bien changée, cette femme,
pour venir ainsi aujourd'hui révéler le se-
cret qu'elle a gardé vingt ans, briser d'un
mot sa vie si péniblement et si longuement
édifiée par le mensonge, pour qu'elle re-
nonce en une heure à toutes les choses
auxquelles elle tenait plus qu'à la vie : ton
amour, ton estime, ton bonheur et le
mien.
— Un mensonge de vingt ans! répéta le
docteur avec la douleur d'un immense
déchirement qui semblait le séparer à
jamais de ces vingt années, les meilleures
et les plus douces de sa vie, se disant :
- Est-ce que tout ce que j'ai cru n'était
au'illubkm et mon existence n'a-t-elle été
qu'un rêve flont le réveil est arrivé?
— Depuis le ;,)ur où j'ai :eçu ton nom,
poursuivit-elle, je p- le dire, le front
haut, sans crainte d'être (fémentie, je me
suis montrée digne de ce beau rôm, fait
de gloire et de science, dont tu m'avais
cônué le dépfct. Depuis ce jour ayant
même d'être changée dans le fond de mon
cœur, — car je suis restée bien dure, bien
égoïste, bien implacable aux autres, tdnt
que mon intérêt et ma vanité étaient en
jeu ; — depuis ce jour, je le jure devant
Dieu qui m'entend, j'ai tout fait pour ne
pas démériter de ton grand amour, de la
bonté de ton cœur, de la noblesse de ta
conduite envers moi.
Elle se tut un instant, reculant toujours
devant l'aveu net.
— Alors?. fit M. Liébert.
— Alors, n'ayant pas eu le courage de
te dire la vérité, lorsque tu vins à moi,
lorsque tu m'aimas, lorsque tu m'offris ta
main, je crus que c'était fini. que j'avais
triomphé, que le passé était mort et qu'il
ne reviendrait plus jamais. janlals 1 Je
me suis trompée!. Pour soutenir le men-
songe de ma vie, pour éviter les consé-
quences de mon crime. il faudrait d'au-
tres mensonges. il faudrait un autre
crime, celui-là, frappant des innocents.
ceux qui me sont les plus chers. Que
justice soit donc faite de moi.
— Qu'aviez-vous à me cacher, lorsque
je vous épousai? demanda le docteur d'une
voix lente. -
A. MATTHEY,
(~t~
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