Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1884-12-08
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 08 décembre 1884 08 décembre 1884
Description : 1884/12/08 (N5386). 1884/12/08 (N5386).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540330w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
N. 6386 — Lundi 8 Décembre 1884
Xe numépo ; fOc. — Hépartemeiifs s 19 c.
17 Primaire an 93 » N- 5386
.ADMINISTRATION
48, HUE DE VALOIS, 13
ABONNEMENTS
"PARIS
fcoîs mois 10 »
Six mois. 20 »
DEPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
Six mois £ 7 4
Adresser lettres et mandais
JL M. ERNEST LEFÈVRE
-
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du 80ip 1
18, HUE DE VALOIS, 18 (
f
les manuscrits non insérés ne seroaf _p asrefl ANNONCES ')
W. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce! >1
-- 6, ^ace de la Bourse,6'
LA GÉNÉROSITÉ DU SENAT
Ce que nous prédisions hier est arri-
vé : le Sénat a obéi. - f
Il n'a pas encore voté toute la loi que la
Chambre lui a ranvoyée dans «un drôle
d'état a, mais il en a voté l'essentiel. Il
votera le reste demain. "-.,
Il a commence par s'exécuter' galam-
ment sur la question des inamovibles.
— Qu'est devenu l'amendement Le-
noël ? a demandé tout à coup le géné-
ral Robert.
— Je ne suis saisi d'aucun amende-
ment, a répondu le président Le Royer.
Et c'a été un éclat de rire.
Pauvre amendement Lenoël ! Il a eu
ion qunrt d'heure de gloire. Et voici
que, sur le lieu même de son triomphe,
on demande qu'est-ce que c'est que ça,
l'amendement Lenoël?
Mais la grrnde question, c'était le
, suffrage universel.
Le président du conseil avait an-
noncé à la Chambre qu'il ne le défen-
drait pas. Il a tenu plus que sa parole.
tl l'a attaqué.
C'est une chose qui peut passer pour
drôle, le gouvernement de la Républi-
que attaquant le principe sur lequel la
République est basée.
Ce qui complète la drôlerie, c'est
l'amour subit que le suffrage universel
a inspiré à la droite.
Le centre gauche non plus ne nous
avait pas accoutumés à la passion éche-
velée que M. Léon Say ressent pour
îedit suffrage.
Mais si la droite et le centre gauche
s'unissaient à la gauche radicale, le mi-
nistère allait être exposé à cette chose
monstrueuse : le Sénat de la République
se prononçant pour le principe de la
République !
Pour empêcher cette monstruosité,
r M. Jules Ferry a trouvé un argument
ad homines : — « Si vous adoptiez le
suffrage universel, vous seriez obligés
de prononcer la dissolution du Sénat
tout entier, car on ne pourrait admet-
tre la co-existence des deux tiers du
Sénat élus d'après l'ancien système et
d'un tiers élu par le suffrage universel.»
Diable ! obligés do se dissoudre, et
de se faire réélire par qui ? par le suf-
frage universel ! Est-ce la peur d'avoir
affaire à un si terrible personnage qui a
fait reculer un certain nombre de séna-
teurs? Quelle qu'en soit la raison, la
majorité a passé du côté de M. Jules
Ferry, et l'amendement Floquet a re-
joint l'amendement Lenoël.
Il reste quelques amendements à exé-
cuter et quelques articles à bâcler.
Mais dès à présent la loi est votée. *
Et le Sénat a manqué une belle occa-
sion de jouer un bon tour à la Chambre
en la prenant au mol. S'il lui avait dit:
Tu me demandes de me faire nommer
comme toi par le vrai suffrage univer-
sel? eh bien, puisque c'est ton vœu,
je l'exauce! que seraient devenus des
députés élus pour quatre ans au scru-
Yin --xràrroiidissement auprès des séna-
teurs élus pour neuf ans au suffrage
universel et au scrutin de liste? C'est
alors que le Sénat aurait pu être appelé
la Chambre haute et que la Chambre
aurait mérité le nom de Chambre
basse, : ;
Le Sénat a mieux aimé rester le su-
balterne. Ce n'est pas la Chambre qui
lui en voudra de cette générosité.
AUGUSTE VACQUERIE.
COULISSES DES CHAMBRES
Contrairement aux prévisions, le Sénat
n'a pu achever dans la séance d'hier sa
seconde délibération sur la réforme élec-
torale.
Il devra la reprendre lundi pour la ter-
miner; mais il est désormais certain que
demain dans le mïieu de la journée le
vote final sera rendu au Luxembourg et
que la loi pourra être rapportée le même
jour au palais Bourbon.
Il ne reste plus à discuter que l'amen-
dement Marcel Barthe, qui propose l'élec-
tion par les conseillers municipaux, puis
les diverses échelles de proportionnalité
pour la fixation du nombre des délégués.
Enfin, il y aura déb-at sur la disposition
relative aux incompatibilités.
Mais ces diverses questions d'ordre se-
condaire - - maintenant que la question
du suffrage universel est résolue négati-
vement — ne donneront lieu qu'à une dis-
cussion restreinte.
Il est désormais certain que le Sénat
adoptera le projet de sa commission. C'est
donc de la Chambre seule que dépend
désormais le vote définitif de ce projet, et
la question de savoir s'il sera appliqué aux
prochaines élections sénatoriales.
Pour que cette dernière condition puisse
être remplie, il faudra que la Chambre ait
rendu son vote mercredi soir au plus tard.
C'est, en effet, le dimanche 14 décembre
qui est l'extrême limite légale comme
point de départ des opérations électorales
qui devront aboutir le 25 janvier à l'élec-
tion des sénateurs.
Il faudra que la loi nouvelle — si elle
est votée — soit au plus tard promulguée
jeudi matin 11 décembre au Journal offi-
ciel, et que le décret de convocation soit
publié le même jour. En tenant compte,
en effet, des délais qu'impose la loi, la
promulgation faite le l. i décembre, à Pa-
ris, ne produira son effet dans les dépar-
tements le plus éloignés que le dimanche
14 décembre.
Encore serait-on obligé pour la Corse
et l'Algérie de recourir au procédé excep-
tionnel de la promulgation par voie télé-
graphique à raison de l'éloignement de
ces départements et des difficultés de
transport.
Si, comme nous l'avons indiqué plus
haut, le Sénat rend son vote demain dans
l'après-midi, la Chambre sera appelée à
délibérer à son tour mardi sur la même
question.
La commission de la Chambre, dont le
sentiment est bien connu, n'aura pas en
effet à discuter longtemps et pourra faire
son rapport pour mardi au début de la
séance.
Mais en revanche on s'attend à un long
et vif débat à la Chambre, débat qui pour-
rait bien occuper deux séances.
———————— ————————.
-~BL.
AU SÉN AT,
Si le régime parlementaire est autre
chose aujourd'hui qu'une comédie dé-
pourvue d'intérêt ; si la Chambre des
députés a conservé le moindre senti-
ment de sa dignité, le maintien aux af-
faires du cabinet actuel est devenu une
impossibilité. En déclarant à la Cham-
bre qu'il ne soutiendrait pas devant le
Sénat l'amendement voté par elle et re-
latif à l'élection du Sénat par le suffrage
universel, M. le président du conseil se
plaçait déjà sur un terrain bien dange-
reux et, il faut le dire, à peine consti-
tutionnel. Une telle attitude ne pouvait
être excusable que si, conformément
aux prévisions gouvernementales, l'hos-
tilité du Sénat contre toute proposition
de ce genre était manifeste j et si, en
sacrifiant le suffrage universel et ses
élus, M. Ferry obéissait à une invinci-
ble nécessité. ., ,-
Or, c'est tout le contraire qui s'est
produit. Loin de repousser sans exa-
men le- suffrage universel, la droite
sénatoriale, après quelques instants
d'hésitation. a vite compris qu'il n'y
avait pas, pour une opposition, de
plate-forme plus solide. D'autre part,
M. Léon Say et quelques-uns de ses
amis, également connus comme parti-
sans de l'unité d'origine pour les deux
Chambres, devaient, avec les trente ou
quarante voix de gauche déjà acquises
à l'amendement Naquet lors du dernier
débat, former, en comptant Fopposi-
tion, un total très approchant de la
moitié du Sénat. Ainsi, en dehors
de toute intervention ministérielle,
cent quinze à cent vingt voix étaient
prêtes à accepter le projet renvoyé
par la Chambre. Si le cabinet avait
seulement gardé le silence, ses amis se
seraient probablement divisés et au-
raient donné au suffrage .universel une
majorité assez forte ; si M. Ferry avait
parlé pour le suffrage universel au lieu
de parler contre, le vote eût été à peu
près unanime. Et qu'on ne dise pas que
dans ce cas la droite aurait voté inver-
sément. D'abord cela n'eût rien fait,
puisque la majorité est à gauche; en-
suite cette hypothèse ne repose sur
rien, puisque c'est après mûre délibéra-
tion que la droite a résolu de prendre
devant le pays le rôle toujours profita-
ble qu'elle va évidemment conserver
pendant la période électorale de 1885.
- Ainsi, c'est le cabinet seul, c'est M.
Jules Ferry seul qui crée entre les deux
Chambres un conflit qui sans lui n'exis-
terait pas. Sans lui le Sénat serait à
cette heure, sans trouble, sans agita-
tion, sans l'ombre de violence, soumis
à la loi commune de tous les corps lé-
gislatifs. La Chambre et le Sénat au-
raient fait ensemble en parfait accord,
en deux journées, cette révolution im-
portante à coup sûr, mais absolument
légale et pacifique. A cette heure, sans
l'obstination coupable et folle du minis-
tre, le suffrage universel serait affran-
chi de la tutelle à laquelle les consti-
tuants de Versailles l'avaient soumis.
La grandeur du résultat atteint ne pour-
rait être comparée qu'à la facilité ex-
trême avec laquelle on l'aurait obtenu.
Eh bien, rien n'est fait : un seul homme
s'est opposé à l'accord des deux assem-
blées ; un seul homme a voulu qu'un
germe funeste, une cause fatale de
conflits subsistàt dans nos institutions,
et cet homme, c'est M. Ferry.
Jusqu'à ce jour, quand la Chambre
avait voulu faire quelques pas en avant,
on lui avait toujours fait peur des résis-
tances invincibles du Sénat. Hier, pen-
dant une heure, et de quel droit, au
nom de qui, au nom de quoi, nous
l'ignorons, pendant une heure, M. le
président du conseil a conjuré le Sénat
de repousser le projet voté par l'autre
Chambre. Il a, pour nous servir d'un
terme employé dans les anciennes lois
sur la presse, excité les membres des
deux assemblées « à la haine les uns
contre les autres». Si un exemple d'une
conduite pareille peut être cité qu'on
nous le dise !
*
..e
C'est M. Naquet qui, dans une allo-
cution brève et cependant très pleine
d'arguments, a ouvert le débat relatif
au suffrage universel. Au début de la
séance, et dans la discussion générale,
M. de Kerdrel, au nom de ses amis,
avait annoncé que'bt,-droite entière vo-
terait le projet de la Chambre. Le mi-
nistre, à ce moment, était donc parfai-
tement maître de ses décisions. L'op-
position venait d'évoluer très habile-
ment, Qui l'empêchait d'être aussi ha-
bile et j au lieu de combattre à outrance
un projet qu il a vote autrefois, de ve-
nir à la tribune faire une déclaration à
peu près ainsi conçue :
« Le gouvernement pensait, et les
précédents l'y autorisaient, que le suf-
frage universel n'avait ici qu'un nom-
bre infiniment restreint de partisans.
C'est pourquoi il n'avait pu se charger
de défendre la résolution de la Cham-
bre. Des déclarations faites au cours de
la séance, il résulte qu'un grand nom-
bre de membres sont, au contraire, dis-
posés à accepter cette réforme.
» Nous prions nos amis de se joindre
à eux, heureux que nous sommes de
voir les deux Chambres rivaliser d'ar-
deur dans la voie des réformes démo-
cratiques. »
M. Ferry eùt pu mieux dire, assuré-
ment ; mais, s'il eût tenu un langage
analogue, le Sénat tout entier l'eût
suivi, et des questions de détail, seules,
resteraient à résoudre. Au lieu de cela,
il s'est enfoncé de plus en plus sur le
terrain déplorable qu'il avait d'abord
choisi et où il ne peut se mouvoir sans
faire de nouvelles pertes. Sa réponse à
l'habile discours de M. Naquet a paru,
même à ses amis les plus sûrs, une
collection de maladresses, dont l'accu-
mulation a fini par produire une im-
pression générale de malaise et d'em-
barras. On aurait cru, par moments,
que M. le président du conseil lançait
des phrases au hasard. Il a blessé le
Sénat à diverses reprises, il a légère-
ment parlé du suffrage universel et il
s'est même blessé lui-même. C'est
ainsi que, M. Naquet ayant terminé
son discours par un appel, très poli-
tique, à la conciliation de tous les ré-
publicains, M. Ferry, tout en se dé-
clarant partisan de cette conciliation,
a déclaré bien haut « que la force de
certains partis, du nôtre notamment,
était dans la diversité même des senti-
ments de ceux qui les composent a. M.
Ferry a sans doute voulu dire qu'il
était bon d'avoir des hommes à opinions
très accentuées, d'autres à opinionstrès
timides ; il peut avoir raison sur le prin-
cipe général, mais qui reconnaîtrait ici
l'orateur du Havre dénonçant le radi-
calisme et le péril qu'il aperçoit « à
gauchj » ? Et quelle étrange con-
ception M. le président du conseil ne
se fait-il pas du gouvernement et de la
marche des sociétés lorsqu'il dit que,
« dans les régimes parlementaires où
les partis sont organisés depuis long-
temps, il y a des heures pour le progrès
et des heures pour la sagesse ! Ainsi,
dans la pensée du ministre, et d'après
son aveu ingénu, le progrès est tou-
jours mêlée d'un peu de folie, et la sa-
gesse consiste à être -stationnaire. Nous
comprenons maintenant que le cabinet
actuel se donne volontiers pour une
réunion de sages. M. Ferry a cherché à
établir que les partisans d'une Chambre
unique pourraient seuls vouloir l'unité
d'origine électorale. Embarrassé par un
interrupteur qui lui rappelait son vote
de i875 et l'exemple de M. Thiers,
l'orateur a déclaré que les républicains,
a cette époque, avaient adopté une po-
litique peu pratique. Ils avaient avec
eux un certain nombre de membres de
la droite et cette confusion mit en péril
l'œuvre constitutionnelle. A cette épo-
que, la droite pouvait, en effet, en prê-
tant ou retirant ses votes, faire échouer
tous nos projets. Mais aujourd'hui, où
M. Ferry voit-il quelque chose de sem-
blable? La droite est impuissante et la
seule force qui puisse encore la servir,
elle la tirerait des principes que nous
aurions l'imprudence d'abandonner.
Dans l'une des plus mauvaises parties
de son discours, M. Ferry, après avoir
fait appel à l'esprit politique du Sénat
contre la résolution de la Chambre, a
déclaré qu'adopter cette résolution,
« c'était quitter le terrain de la revision
limitée pour se placer sur le terrain ré-
volutionnaire ». C'est ainsi qu'un mi-
nistre de la République parle du suf-
frage universel ! Les sénateurs eux-
mêmos ayant paru surpris, M. Ferry a
pensé que le mieux était de faire appel
aux petits intérêts personnels, et il a
demandé à ses auditeurs s'ils avaient
réfléchi que la conséquence de leur
vote pourrait être « la dissolution du
Sénat tout entier ». Rendons justice
même aux Luxembourgeois ; l'argu-
ment n'a pas eu grand succès. L ora-
teur s'est alors rejeté dans des considé-
rations théoriques qui ont encore été
plus mal accueillies, sur le rôle subor-
donné du Sénat, et, comme pour se
venger de la froideur de l'assemblée, il
lui a prodigué pendant quelques mi-
nutes les plus mauvais compliments.
En terminant et pour tâcher d'enlever à
gauche quelques applaudissements, M.
Ferry a rappelé que M. le duc de Bro-
glie allait voter le projet des députés.
Qu'est-ce que cela prouve? Sinon que
M. de Broglie a appris par expérience
qu'on ne réussit guère à se mettre en
travers du suffrage universel? M. Ferry
a-t-il besoin de subir une catastrophe
analogue pour acquérir à ses dépens la
même conviction?
»
a es
M. Ferry avait dit que l'élection du
Sénat par le suffrage universel ne pou-
vait être réclamée que par les partisans
de l'unité du pouvoir législatif. A ce
moment, M. Léon Say, qui s'est souvent
prononcé pour le système de l'amende-
ment Floquet, avait demandé la parole.
En quelques mots qui tous portaient, il
a montré qu'en fait M. Ferry, subor-
donnant toujours une Chambre à l'au-
tre, était un partisan inavoué de l'As-
semblée unique. Au Sénat, il conseille
de toujours céder, et, à la Chambre, il
invite ses amis à se déjuger. C'est sa
méthode d'éviter les conflits; mais il
est douteux, dit 1 orateur, que ce sys-
tème ajoute à l'autorité du Parlement,
ou même à l'autorité du ministre qui
est le chef de la majorité.
En 1875, ce n'est pas au hasard,
comme l'affirme le ministre, c'est après
de longues délibérations que des hom-
mes comme MM. Thiers et Dufaure ont
proposé l'élection du Sénat par le suf-
frage universel. Ils savaient cependant
bien alors qu'il y aurait deux Cham-
bres, et ils étaient, comme M. Léon
Say, partisans de cette dualité. Mais,
en gens avisée, ils ne voulaient pas or-
ganiser ce qu'on organise aujourd'hui,
« une sorte de pays légal, c'est-à-dire la
chose la plus dangereuse du monde,
surtout quand, par cette organisation,
on veut servir les intérêts d'une majo-
rité qui se croit sûre d'elle-même ;
quand on veut éliminer des électeurs
mal pensants d'un côté, en ajouter de
bien pensants d'un autre. »
Que vaut donc, c'est toujours M. Léon
Say qui parle, que vaut donc « cet
axiome nouveau » en vertu duquel la
République devrait renoncer à avoir un
Sénat représentant autre chose que des
minorités infimes? La question de la
réforme pouvait n'être pas posée, mais
« vous seriez des politiques à bien
courte vue si, en portant atteinte à l'u-
nité communale, en introduisant le
principe de la proportionnalité même
à un degré dérisoire, vous aviez cru
que le suffrage universel ne se dresse-
rait pas devant vous ».
L impression produite par ce discours;
dont les traits les plus uns nous échap4.
pent dans une analyse rapide, a étéj
d'autant plus grande que l'orateur ap-.
partient à une nuance très modérée de'
1 opinion républicaine. Le gouverne-
ment n'a essayé aucune réplique. Si le
vote qui a suivi avait pu avoir lieu au
scrutin, il est possible que la publicité
eût gagné au suffrage universel quel-'
ques adhérents de plus. Mais un article
bizarre, particulier au règlement du
Sénat, ne permet pas de voter autre-:
ment que par assis et levé quand il
s'agit d'une prise en considération. On
a donc procédé ainsi et, après deux
épreuves très douteuses l'une et l'autre,
le bureau, dont la décision nous a paru
correcte, a conclu à la non prise
en considération. L'écart des voix,
très faible de l'aveu unanime, nous a
semblé être d'environ quinze à vingt.,
Cela n'a d'ailleurs qu'une minime
importance, et ce qu'il faut rete-
nir, c'est que sans l'effort violent du
ministre, sans le vote de ses amis l'ae*1
cord était fait sur l'amendement Flo-
quet. Parmi ceux qui à gauche ont voté
la prise en considération, on a remarqué,
avec Victor Hugo, MM. Schœlcher, Cor-
bon, Labordère, Freycinet, Tolain,prési-;
dent de l'union républicaine, Léon
Say, président du centre gauche. Il ose
donc de toute évidence qu'un mot fa-
vorable du gouvernement ou même une
simple abstention de sa part aurait as-
suré la majorité au projet qui, rejeté;;
va devenir la plateforme des élections,
futures.
A. GAULIBR*,
1
A la Chambre, presque tous les députés
suivent la discussion engagée au Luxern
bourg. Il n'y a pas cent cinquante memi'
bres dans la salle.
C'est devant ces membres zélés qu'on a
continué ce qui ne peut guère s'appeler la
discussion du budget. On en est cepen-!
daut arrivé au ministère de la justice après
avoir expédié l'agriculture. A la fin de la
séance, à près de sept heures, une cin-
quantaine de membres intrépides restés
dans la salle voulaient même une séance
de nuit pour avancer la besogne. Ils ont
lâché pied. — A. c.
♦
D après le Times, une tentative officieuse
aurait eu lieu, il y a quelques semaines,
en vue d'amener un arrangement amia-
ble du conflit franco-chinois; mais cette
tentative aurait échoué « parce que les.
Chinois sont incapables de comprendre la'
situation véritable ». Pourtant l'espoiri
d'une solution pacifique « n'est pas en-;
tièrement abandonné ».
Le Mémorial diplomatique au contraire,,
publie une note de laquelle il résulterait
que M. Tseng a remis à lord Granville un
memorandum énonçant les nouvelles bases
proposées par la Chine. « On peut, ajoute..
t-il, considérer la médiation britannique
comme officiellement commencée. Le mi-
nistre de Chine a reçu de pleins pouvoirs
pour traiter avec le chef du Foreign-Of-
fice ». Ma s l'information du Mémorial di-
plomatique ne doit être accueillie que sous
certaines réserves.
UN CADEAU DE 25 MILLIARDS
Au cours du débat sur le budget de
l'agriculture, la Chambre s'est occupée
d'une proposition émanant d'un repré":
sentant de nos départements agricoles^
M. Fleury, député de l'Orne. Cette propo-
sition a pour but de mettre à la disposi-
tion de l'agriculteur français les capitaux
dont il a besoin pour améliorer ou trans-
former sa culture, et, par suite, pour lutter,
contre la concurrence étrangère. L'argeni
Feuilleton du RAPPEL
DU 8 DÉCEMBRE
142
LE
ROI DES MENDIANTS
DEUXIÈME PARTIR
LA MËRE
XL
L'amoureux. — (Suite)
Adrien s'arrêta, et, passant la main sur
son front.
— C'était, reprit-il, la tournure de Blan-
che 1 c'était son costume. ce ne pouvait
être qu'elle 1. bien que je n'eusse pas eu
le temps de distinguer SAS traits. D'ail-
leurs, j'étais trop i Je redoublai la ra-
pidité de ma course pour atteindre le co-
is il avait. fouetté
cher, l'interroger. M#i# il avait fouetté
son cheval, et, quand j'atteignis la mai-
Bepro^nclton interdite»
Voirie Rappel du 9 juillet au 6 décembre»
son, il n'était plus là, il avait tourné le
coin d'une rue. Disparu, lui aussi 1
Adrien reprit haleine.
— Sais-tu, mère, où j'étais? s'écria-t-il
violemment. J'étais rue du Pot-de-Fer-
Saint-Marcel! Sais-tu où Blanche était
entrée? Elle était entrée dans l'hôtel du
baron de Rochegrise !
— Ah! fit Mme Liébert, s'efforçant de
dominer son émotion et de paraître cal-
me, autant que cela était possible dans les
circonstances données. Eh bien! tu sais
où elle est, tu devrais être rassuré.
- Rassuré, répéta Adrien. Comment I
Blanche, malade, sans nous prévenir.
part subitement seule, ce qu'une jeune
fille ne doit jamais faire. Elle va dans
une maison où il ne se trouve pas de
femme, et tu trouves cela naturel 1
Mme Liébert ne savait que répondre.
Que dire ?
Comment annoncer à Adrien qu'il ne
reverrait probablement plus celle qu'il ai-
maiL., qu'il fallait renoncer à devenir
son mari?.
Plus la situation se dessinait., plus
les événements se succédaient et se pres-
saient, et mieux la malheureuse femme
mesurait la profondeur de l'abîme où elle
allait tomber 1
- Je ne dis pas relaJ balbutia-t-elle
enfin ; mais nous connaissons, elle con-
nait aussi le baron de Rochegrise., elle
peut avoir eu quelque communication à
lui faire.
- Ah 1 c'est que tune sais pas tout,
toi, ma mère ! c'est qu'il est un détail
qu'on t'a caché., que je n'ai jamais
voulu te raconter., que tu ignores., et
qui rend cette démarche de Blanche.
plus particulièrement étrange. inaccep-
table pour moi.
— Quel détail? demanda Inès, qui es-
sayait de gagner du temps et interrogeait
r.kur reculer l'instant fatal où elle serait
obligée de parler.
Les yeux du jeune homme s'emplirent
de colère, et le sang monta à. son visage.
— Ce détail, fit-il avec violence, c'est
que le fils du baron, ce M. Hector de
Rochegrise, est amoureux de Blanche, lui
a fait la cour. l'a insultée, le misérable,
et voulait en faire sa maîtresse!
— Sa maîtresse. lui 1
— Il lui avait tendu un piège. Je suis
arrivé à temps pour la sauver et corriger
le drôle ! Nous devions nous battre le len-
demain Mais il était venu me faire des
excuses, conduit par son père. 11 a de-
mandé humblement, platement, parlon à
Blanche en ma présence, étant ausiilâche
qu'il est vaniteux et bête ! Et j'ai accepté
ses excuses,uarce que je croyais que
Blanche le haïssait, le méprisait comme il
le mérite ! Je les ai acceptées surtout
pouf ne point compromettre par un éclat
celle que j'aimais, à qui je venais d'avouer
mon amour, à qui je rêvais de donner
mon nom,
— J'ai entendu parler de cela, répliqua
presqu'à voix basse Inès.
— Et c'est chez lui, chez son père, qu'elle
se rendait à notre insu, à tous, en femme
qui se cache. car elle se cachait!. Là,
dans celte maison. dont tout devrait
l'éloigner. qu'elle devrait fuir. quand
ce ne serait que par respect pour moi.
pour moi qui serai son mari dans quelques
jours!
— Adrien. n'accuse pas Blanche!
"- Je ne l'accuse pas. mais je ne com-
prends pas!,.. mais je souffre!. mais je
suis jaloux 1.
Il avait baissé la voix pour dire cela,
comme s'il en rougissait lui-même, comme
s'il craignait d'insulter celle qu'il aimait,
en la soupçonnant!
: - Et pourtant, reprit-il, non, je ne la
soupçonne pas, je ne le dois pas! je ne le
veux pas!. Mais. Ah! je n'y tiens plus 1
11 faut que j'aille chez le baron. Je vais
la chercher, la ramener. c'est mon
éroit ! N'est-elle pas déjà ma femme?. Il
faut que je sache!. Si ce drôle p.s» là il
peut encore lui manquer de respect. Je
serais entré à sa suite, sur le premier mo-
ment. Mais je n'étais pas sûr. Je n'en
croyais pas mes yeux.
Il fit un mouvement pour gagner la
porte.
— Arrête ! s'écria Inès, en se jetant de-
vant lui, Adrien, écoute-moi!
La voix de Mme Liébert avait quelque
chose de si tragique, son geste était si
suppliant, que le fiancé d'Irène s'arrêta
sur place, regardant sa belle-mère.
- Qu'y a-t-il? Tu sais quelque chose?
- Adrien, poursuivit Inès, haletante.
Tu l'as reconnu, toi-même, j'ai toujours
été bonne pour toi. Toujours j'ai fait
ce que j'ai pu pour t'épargner un chagrin,
pour te causer une joie. Depuis vingt
ans tu n'as jamais eu à te plaindre de
moi. Ne me refuse nas la première
grâce que je te demande.
— Quelle grâce?
- Sois calme, sois patienl, sois coura-
geux, quoi qu'il arrive !
- Quoi qu'il arrive?.
- La vie est souvent cruelle, va, mon
enfant. Tu es jeune, tu le sais par ouï-
dire. Plus tard, hélas! tu le sauras par
ta propre expérience. Tu ès un homme.
la souffrance est plus facile à supporter
pour toi que pour nne femme.
— Mais que veux-tu dire? Tu m'effraiesi
- Adrien. si Blanche. ne pouvait
plus être. ta femme!
— Blanche ! Oh !. Elle ne m'aime pasl|
Elle ne m'aime plus?.
— Je le jure qu'elle t'aime plus que ja1
mais!
- Eh bien?..
— Que si elle mourait aujourd'hui.I
que si elle mourait dans dix ans, ton nom
que si elle mourai
serait le dernier que prononceraient ses
lèvres. que ta pensée serait la dernièiy'
qui remplirait son cœur et son esprit.
- Eh bien?..
— Je te jure qu'elle est incapable d'une.
trahison, d'une lâcheté.
— Pourquoi la défends-tu ainsi? balbu-
tia le jeune homme, dont toute la surex-j
citation tombait, et qui porta les deux
mains à son cœur, afin, sans doute, d'y;
comprimer quelque douleur aiguë.
-. Mais enfin, mon pauvre enfant, si.;J
par suite de quelque circonstance, de
de quelque nécessité. qu'elle ne pour,
rait te révéler. que nul ne devrait con-
naître. pas même moi — ajouta-t-ellrç
avec effort — votre mariage était devenu
impossible. ,"
., : A. MATTHEYji
(4 suivre.) ■
Xe numépo ; fOc. — Hépartemeiifs s 19 c.
17 Primaire an 93 » N- 5386
.ADMINISTRATION
48, HUE DE VALOIS, 13
ABONNEMENTS
"PARIS
fcoîs mois 10 »
Six mois. 20 »
DEPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
Six mois £ 7 4
Adresser lettres et mandais
JL M. ERNEST LEFÈVRE
-
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du 80ip 1
18, HUE DE VALOIS, 18 (
f
les manuscrits non insérés ne seroaf _p asrefl
W. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce! >1
-- 6, ^ace de la Bourse,6'
LA GÉNÉROSITÉ DU SENAT
Ce que nous prédisions hier est arri-
vé : le Sénat a obéi. - f
Il n'a pas encore voté toute la loi que la
Chambre lui a ranvoyée dans «un drôle
d'état a, mais il en a voté l'essentiel. Il
votera le reste demain. "-.,
Il a commence par s'exécuter' galam-
ment sur la question des inamovibles.
— Qu'est devenu l'amendement Le-
noël ? a demandé tout à coup le géné-
ral Robert.
— Je ne suis saisi d'aucun amende-
ment, a répondu le président Le Royer.
Et c'a été un éclat de rire.
Pauvre amendement Lenoël ! Il a eu
ion qunrt d'heure de gloire. Et voici
que, sur le lieu même de son triomphe,
on demande qu'est-ce que c'est que ça,
l'amendement Lenoël?
Mais la grrnde question, c'était le
, suffrage universel.
Le président du conseil avait an-
noncé à la Chambre qu'il ne le défen-
drait pas. Il a tenu plus que sa parole.
tl l'a attaqué.
C'est une chose qui peut passer pour
drôle, le gouvernement de la Républi-
que attaquant le principe sur lequel la
République est basée.
Ce qui complète la drôlerie, c'est
l'amour subit que le suffrage universel
a inspiré à la droite.
Le centre gauche non plus ne nous
avait pas accoutumés à la passion éche-
velée que M. Léon Say ressent pour
îedit suffrage.
Mais si la droite et le centre gauche
s'unissaient à la gauche radicale, le mi-
nistère allait être exposé à cette chose
monstrueuse : le Sénat de la République
se prononçant pour le principe de la
République !
Pour empêcher cette monstruosité,
r M. Jules Ferry a trouvé un argument
ad homines : — « Si vous adoptiez le
suffrage universel, vous seriez obligés
de prononcer la dissolution du Sénat
tout entier, car on ne pourrait admet-
tre la co-existence des deux tiers du
Sénat élus d'après l'ancien système et
d'un tiers élu par le suffrage universel.»
Diable ! obligés do se dissoudre, et
de se faire réélire par qui ? par le suf-
frage universel ! Est-ce la peur d'avoir
affaire à un si terrible personnage qui a
fait reculer un certain nombre de séna-
teurs? Quelle qu'en soit la raison, la
majorité a passé du côté de M. Jules
Ferry, et l'amendement Floquet a re-
joint l'amendement Lenoël.
Il reste quelques amendements à exé-
cuter et quelques articles à bâcler.
Mais dès à présent la loi est votée. *
Et le Sénat a manqué une belle occa-
sion de jouer un bon tour à la Chambre
en la prenant au mol. S'il lui avait dit:
Tu me demandes de me faire nommer
comme toi par le vrai suffrage univer-
sel? eh bien, puisque c'est ton vœu,
je l'exauce! que seraient devenus des
députés élus pour quatre ans au scru-
Yin --xràrroiidissement auprès des séna-
teurs élus pour neuf ans au suffrage
universel et au scrutin de liste? C'est
alors que le Sénat aurait pu être appelé
la Chambre haute et que la Chambre
aurait mérité le nom de Chambre
basse, : ;
Le Sénat a mieux aimé rester le su-
balterne. Ce n'est pas la Chambre qui
lui en voudra de cette générosité.
AUGUSTE VACQUERIE.
COULISSES DES CHAMBRES
Contrairement aux prévisions, le Sénat
n'a pu achever dans la séance d'hier sa
seconde délibération sur la réforme élec-
torale.
Il devra la reprendre lundi pour la ter-
miner; mais il est désormais certain que
demain dans le mïieu de la journée le
vote final sera rendu au Luxembourg et
que la loi pourra être rapportée le même
jour au palais Bourbon.
Il ne reste plus à discuter que l'amen-
dement Marcel Barthe, qui propose l'élec-
tion par les conseillers municipaux, puis
les diverses échelles de proportionnalité
pour la fixation du nombre des délégués.
Enfin, il y aura déb-at sur la disposition
relative aux incompatibilités.
Mais ces diverses questions d'ordre se-
condaire - - maintenant que la question
du suffrage universel est résolue négati-
vement — ne donneront lieu qu'à une dis-
cussion restreinte.
Il est désormais certain que le Sénat
adoptera le projet de sa commission. C'est
donc de la Chambre seule que dépend
désormais le vote définitif de ce projet, et
la question de savoir s'il sera appliqué aux
prochaines élections sénatoriales.
Pour que cette dernière condition puisse
être remplie, il faudra que la Chambre ait
rendu son vote mercredi soir au plus tard.
C'est, en effet, le dimanche 14 décembre
qui est l'extrême limite légale comme
point de départ des opérations électorales
qui devront aboutir le 25 janvier à l'élec-
tion des sénateurs.
Il faudra que la loi nouvelle — si elle
est votée — soit au plus tard promulguée
jeudi matin 11 décembre au Journal offi-
ciel, et que le décret de convocation soit
publié le même jour. En tenant compte,
en effet, des délais qu'impose la loi, la
promulgation faite le l. i décembre, à Pa-
ris, ne produira son effet dans les dépar-
tements le plus éloignés que le dimanche
14 décembre.
Encore serait-on obligé pour la Corse
et l'Algérie de recourir au procédé excep-
tionnel de la promulgation par voie télé-
graphique à raison de l'éloignement de
ces départements et des difficultés de
transport.
Si, comme nous l'avons indiqué plus
haut, le Sénat rend son vote demain dans
l'après-midi, la Chambre sera appelée à
délibérer à son tour mardi sur la même
question.
La commission de la Chambre, dont le
sentiment est bien connu, n'aura pas en
effet à discuter longtemps et pourra faire
son rapport pour mardi au début de la
séance.
Mais en revanche on s'attend à un long
et vif débat à la Chambre, débat qui pour-
rait bien occuper deux séances.
———————— ————————.
-~BL.
AU SÉN AT,
Si le régime parlementaire est autre
chose aujourd'hui qu'une comédie dé-
pourvue d'intérêt ; si la Chambre des
députés a conservé le moindre senti-
ment de sa dignité, le maintien aux af-
faires du cabinet actuel est devenu une
impossibilité. En déclarant à la Cham-
bre qu'il ne soutiendrait pas devant le
Sénat l'amendement voté par elle et re-
latif à l'élection du Sénat par le suffrage
universel, M. le président du conseil se
plaçait déjà sur un terrain bien dange-
reux et, il faut le dire, à peine consti-
tutionnel. Une telle attitude ne pouvait
être excusable que si, conformément
aux prévisions gouvernementales, l'hos-
tilité du Sénat contre toute proposition
de ce genre était manifeste j et si, en
sacrifiant le suffrage universel et ses
élus, M. Ferry obéissait à une invinci-
ble nécessité. ., ,-
Or, c'est tout le contraire qui s'est
produit. Loin de repousser sans exa-
men le- suffrage universel, la droite
sénatoriale, après quelques instants
d'hésitation. a vite compris qu'il n'y
avait pas, pour une opposition, de
plate-forme plus solide. D'autre part,
M. Léon Say et quelques-uns de ses
amis, également connus comme parti-
sans de l'unité d'origine pour les deux
Chambres, devaient, avec les trente ou
quarante voix de gauche déjà acquises
à l'amendement Naquet lors du dernier
débat, former, en comptant Fopposi-
tion, un total très approchant de la
moitié du Sénat. Ainsi, en dehors
de toute intervention ministérielle,
cent quinze à cent vingt voix étaient
prêtes à accepter le projet renvoyé
par la Chambre. Si le cabinet avait
seulement gardé le silence, ses amis se
seraient probablement divisés et au-
raient donné au suffrage .universel une
majorité assez forte ; si M. Ferry avait
parlé pour le suffrage universel au lieu
de parler contre, le vote eût été à peu
près unanime. Et qu'on ne dise pas que
dans ce cas la droite aurait voté inver-
sément. D'abord cela n'eût rien fait,
puisque la majorité est à gauche; en-
suite cette hypothèse ne repose sur
rien, puisque c'est après mûre délibéra-
tion que la droite a résolu de prendre
devant le pays le rôle toujours profita-
ble qu'elle va évidemment conserver
pendant la période électorale de 1885.
- Ainsi, c'est le cabinet seul, c'est M.
Jules Ferry seul qui crée entre les deux
Chambres un conflit qui sans lui n'exis-
terait pas. Sans lui le Sénat serait à
cette heure, sans trouble, sans agita-
tion, sans l'ombre de violence, soumis
à la loi commune de tous les corps lé-
gislatifs. La Chambre et le Sénat au-
raient fait ensemble en parfait accord,
en deux journées, cette révolution im-
portante à coup sûr, mais absolument
légale et pacifique. A cette heure, sans
l'obstination coupable et folle du minis-
tre, le suffrage universel serait affran-
chi de la tutelle à laquelle les consti-
tuants de Versailles l'avaient soumis.
La grandeur du résultat atteint ne pour-
rait être comparée qu'à la facilité ex-
trême avec laquelle on l'aurait obtenu.
Eh bien, rien n'est fait : un seul homme
s'est opposé à l'accord des deux assem-
blées ; un seul homme a voulu qu'un
germe funeste, une cause fatale de
conflits subsistàt dans nos institutions,
et cet homme, c'est M. Ferry.
Jusqu'à ce jour, quand la Chambre
avait voulu faire quelques pas en avant,
on lui avait toujours fait peur des résis-
tances invincibles du Sénat. Hier, pen-
dant une heure, et de quel droit, au
nom de qui, au nom de quoi, nous
l'ignorons, pendant une heure, M. le
président du conseil a conjuré le Sénat
de repousser le projet voté par l'autre
Chambre. Il a, pour nous servir d'un
terme employé dans les anciennes lois
sur la presse, excité les membres des
deux assemblées « à la haine les uns
contre les autres». Si un exemple d'une
conduite pareille peut être cité qu'on
nous le dise !
*
..e
C'est M. Naquet qui, dans une allo-
cution brève et cependant très pleine
d'arguments, a ouvert le débat relatif
au suffrage universel. Au début de la
séance, et dans la discussion générale,
M. de Kerdrel, au nom de ses amis,
avait annoncé que'bt,-droite entière vo-
terait le projet de la Chambre. Le mi-
nistre, à ce moment, était donc parfai-
tement maître de ses décisions. L'op-
position venait d'évoluer très habile-
ment, Qui l'empêchait d'être aussi ha-
bile et j au lieu de combattre à outrance
un projet qu il a vote autrefois, de ve-
nir à la tribune faire une déclaration à
peu près ainsi conçue :
« Le gouvernement pensait, et les
précédents l'y autorisaient, que le suf-
frage universel n'avait ici qu'un nom-
bre infiniment restreint de partisans.
C'est pourquoi il n'avait pu se charger
de défendre la résolution de la Cham-
bre. Des déclarations faites au cours de
la séance, il résulte qu'un grand nom-
bre de membres sont, au contraire, dis-
posés à accepter cette réforme.
» Nous prions nos amis de se joindre
à eux, heureux que nous sommes de
voir les deux Chambres rivaliser d'ar-
deur dans la voie des réformes démo-
cratiques. »
M. Ferry eùt pu mieux dire, assuré-
ment ; mais, s'il eût tenu un langage
analogue, le Sénat tout entier l'eût
suivi, et des questions de détail, seules,
resteraient à résoudre. Au lieu de cela,
il s'est enfoncé de plus en plus sur le
terrain déplorable qu'il avait d'abord
choisi et où il ne peut se mouvoir sans
faire de nouvelles pertes. Sa réponse à
l'habile discours de M. Naquet a paru,
même à ses amis les plus sûrs, une
collection de maladresses, dont l'accu-
mulation a fini par produire une im-
pression générale de malaise et d'em-
barras. On aurait cru, par moments,
que M. le président du conseil lançait
des phrases au hasard. Il a blessé le
Sénat à diverses reprises, il a légère-
ment parlé du suffrage universel et il
s'est même blessé lui-même. C'est
ainsi que, M. Naquet ayant terminé
son discours par un appel, très poli-
tique, à la conciliation de tous les ré-
publicains, M. Ferry, tout en se dé-
clarant partisan de cette conciliation,
a déclaré bien haut « que la force de
certains partis, du nôtre notamment,
était dans la diversité même des senti-
ments de ceux qui les composent a. M.
Ferry a sans doute voulu dire qu'il
était bon d'avoir des hommes à opinions
très accentuées, d'autres à opinionstrès
timides ; il peut avoir raison sur le prin-
cipe général, mais qui reconnaîtrait ici
l'orateur du Havre dénonçant le radi-
calisme et le péril qu'il aperçoit « à
gauchj » ? Et quelle étrange con-
ception M. le président du conseil ne
se fait-il pas du gouvernement et de la
marche des sociétés lorsqu'il dit que,
« dans les régimes parlementaires où
les partis sont organisés depuis long-
temps, il y a des heures pour le progrès
et des heures pour la sagesse ! Ainsi,
dans la pensée du ministre, et d'après
son aveu ingénu, le progrès est tou-
jours mêlée d'un peu de folie, et la sa-
gesse consiste à être -stationnaire. Nous
comprenons maintenant que le cabinet
actuel se donne volontiers pour une
réunion de sages. M. Ferry a cherché à
établir que les partisans d'une Chambre
unique pourraient seuls vouloir l'unité
d'origine électorale. Embarrassé par un
interrupteur qui lui rappelait son vote
de i875 et l'exemple de M. Thiers,
l'orateur a déclaré que les républicains,
a cette époque, avaient adopté une po-
litique peu pratique. Ils avaient avec
eux un certain nombre de membres de
la droite et cette confusion mit en péril
l'œuvre constitutionnelle. A cette épo-
que, la droite pouvait, en effet, en prê-
tant ou retirant ses votes, faire échouer
tous nos projets. Mais aujourd'hui, où
M. Ferry voit-il quelque chose de sem-
blable? La droite est impuissante et la
seule force qui puisse encore la servir,
elle la tirerait des principes que nous
aurions l'imprudence d'abandonner.
Dans l'une des plus mauvaises parties
de son discours, M. Ferry, après avoir
fait appel à l'esprit politique du Sénat
contre la résolution de la Chambre, a
déclaré qu'adopter cette résolution,
« c'était quitter le terrain de la revision
limitée pour se placer sur le terrain ré-
volutionnaire ». C'est ainsi qu'un mi-
nistre de la République parle du suf-
frage universel ! Les sénateurs eux-
mêmos ayant paru surpris, M. Ferry a
pensé que le mieux était de faire appel
aux petits intérêts personnels, et il a
demandé à ses auditeurs s'ils avaient
réfléchi que la conséquence de leur
vote pourrait être « la dissolution du
Sénat tout entier ». Rendons justice
même aux Luxembourgeois ; l'argu-
ment n'a pas eu grand succès. L ora-
teur s'est alors rejeté dans des considé-
rations théoriques qui ont encore été
plus mal accueillies, sur le rôle subor-
donné du Sénat, et, comme pour se
venger de la froideur de l'assemblée, il
lui a prodigué pendant quelques mi-
nutes les plus mauvais compliments.
En terminant et pour tâcher d'enlever à
gauche quelques applaudissements, M.
Ferry a rappelé que M. le duc de Bro-
glie allait voter le projet des députés.
Qu'est-ce que cela prouve? Sinon que
M. de Broglie a appris par expérience
qu'on ne réussit guère à se mettre en
travers du suffrage universel? M. Ferry
a-t-il besoin de subir une catastrophe
analogue pour acquérir à ses dépens la
même conviction?
»
a es
M. Ferry avait dit que l'élection du
Sénat par le suffrage universel ne pou-
vait être réclamée que par les partisans
de l'unité du pouvoir législatif. A ce
moment, M. Léon Say, qui s'est souvent
prononcé pour le système de l'amende-
ment Floquet, avait demandé la parole.
En quelques mots qui tous portaient, il
a montré qu'en fait M. Ferry, subor-
donnant toujours une Chambre à l'au-
tre, était un partisan inavoué de l'As-
semblée unique. Au Sénat, il conseille
de toujours céder, et, à la Chambre, il
invite ses amis à se déjuger. C'est sa
méthode d'éviter les conflits; mais il
est douteux, dit 1 orateur, que ce sys-
tème ajoute à l'autorité du Parlement,
ou même à l'autorité du ministre qui
est le chef de la majorité.
En 1875, ce n'est pas au hasard,
comme l'affirme le ministre, c'est après
de longues délibérations que des hom-
mes comme MM. Thiers et Dufaure ont
proposé l'élection du Sénat par le suf-
frage universel. Ils savaient cependant
bien alors qu'il y aurait deux Cham-
bres, et ils étaient, comme M. Léon
Say, partisans de cette dualité. Mais,
en gens avisée, ils ne voulaient pas or-
ganiser ce qu'on organise aujourd'hui,
« une sorte de pays légal, c'est-à-dire la
chose la plus dangereuse du monde,
surtout quand, par cette organisation,
on veut servir les intérêts d'une majo-
rité qui se croit sûre d'elle-même ;
quand on veut éliminer des électeurs
mal pensants d'un côté, en ajouter de
bien pensants d'un autre. »
Que vaut donc, c'est toujours M. Léon
Say qui parle, que vaut donc « cet
axiome nouveau » en vertu duquel la
République devrait renoncer à avoir un
Sénat représentant autre chose que des
minorités infimes? La question de la
réforme pouvait n'être pas posée, mais
« vous seriez des politiques à bien
courte vue si, en portant atteinte à l'u-
nité communale, en introduisant le
principe de la proportionnalité même
à un degré dérisoire, vous aviez cru
que le suffrage universel ne se dresse-
rait pas devant vous ».
L impression produite par ce discours;
dont les traits les plus uns nous échap4.
pent dans une analyse rapide, a étéj
d'autant plus grande que l'orateur ap-.
partient à une nuance très modérée de'
1 opinion républicaine. Le gouverne-
ment n'a essayé aucune réplique. Si le
vote qui a suivi avait pu avoir lieu au
scrutin, il est possible que la publicité
eût gagné au suffrage universel quel-'
ques adhérents de plus. Mais un article
bizarre, particulier au règlement du
Sénat, ne permet pas de voter autre-:
ment que par assis et levé quand il
s'agit d'une prise en considération. On
a donc procédé ainsi et, après deux
épreuves très douteuses l'une et l'autre,
le bureau, dont la décision nous a paru
correcte, a conclu à la non prise
en considération. L'écart des voix,
très faible de l'aveu unanime, nous a
semblé être d'environ quinze à vingt.,
Cela n'a d'ailleurs qu'une minime
importance, et ce qu'il faut rete-
nir, c'est que sans l'effort violent du
ministre, sans le vote de ses amis l'ae*1
cord était fait sur l'amendement Flo-
quet. Parmi ceux qui à gauche ont voté
la prise en considération, on a remarqué,
avec Victor Hugo, MM. Schœlcher, Cor-
bon, Labordère, Freycinet, Tolain,prési-;
dent de l'union républicaine, Léon
Say, président du centre gauche. Il ose
donc de toute évidence qu'un mot fa-
vorable du gouvernement ou même une
simple abstention de sa part aurait as-
suré la majorité au projet qui, rejeté;;
va devenir la plateforme des élections,
futures.
A. GAULIBR*,
1
A la Chambre, presque tous les députés
suivent la discussion engagée au Luxern
bourg. Il n'y a pas cent cinquante memi'
bres dans la salle.
C'est devant ces membres zélés qu'on a
continué ce qui ne peut guère s'appeler la
discussion du budget. On en est cepen-!
daut arrivé au ministère de la justice après
avoir expédié l'agriculture. A la fin de la
séance, à près de sept heures, une cin-
quantaine de membres intrépides restés
dans la salle voulaient même une séance
de nuit pour avancer la besogne. Ils ont
lâché pied. — A. c.
♦
D après le Times, une tentative officieuse
aurait eu lieu, il y a quelques semaines,
en vue d'amener un arrangement amia-
ble du conflit franco-chinois; mais cette
tentative aurait échoué « parce que les.
Chinois sont incapables de comprendre la'
situation véritable ». Pourtant l'espoiri
d'une solution pacifique « n'est pas en-;
tièrement abandonné ».
Le Mémorial diplomatique au contraire,,
publie une note de laquelle il résulterait
que M. Tseng a remis à lord Granville un
memorandum énonçant les nouvelles bases
proposées par la Chine. « On peut, ajoute..
t-il, considérer la médiation britannique
comme officiellement commencée. Le mi-
nistre de Chine a reçu de pleins pouvoirs
pour traiter avec le chef du Foreign-Of-
fice ». Ma s l'information du Mémorial di-
plomatique ne doit être accueillie que sous
certaines réserves.
UN CADEAU DE 25 MILLIARDS
Au cours du débat sur le budget de
l'agriculture, la Chambre s'est occupée
d'une proposition émanant d'un repré":
sentant de nos départements agricoles^
M. Fleury, député de l'Orne. Cette propo-
sition a pour but de mettre à la disposi-
tion de l'agriculteur français les capitaux
dont il a besoin pour améliorer ou trans-
former sa culture, et, par suite, pour lutter,
contre la concurrence étrangère. L'argeni
Feuilleton du RAPPEL
DU 8 DÉCEMBRE
142
LE
ROI DES MENDIANTS
DEUXIÈME PARTIR
LA MËRE
XL
L'amoureux. — (Suite)
Adrien s'arrêta, et, passant la main sur
son front.
— C'était, reprit-il, la tournure de Blan-
che 1 c'était son costume. ce ne pouvait
être qu'elle 1. bien que je n'eusse pas eu
le temps de distinguer SAS traits. D'ail-
leurs, j'étais trop i Je redoublai la ra-
pidité de ma course pour atteindre le co-
is il avait. fouetté
cher, l'interroger. M#i# il avait fouetté
son cheval, et, quand j'atteignis la mai-
Bepro^nclton interdite»
Voirie Rappel du 9 juillet au 6 décembre»
son, il n'était plus là, il avait tourné le
coin d'une rue. Disparu, lui aussi 1
Adrien reprit haleine.
— Sais-tu, mère, où j'étais? s'écria-t-il
violemment. J'étais rue du Pot-de-Fer-
Saint-Marcel! Sais-tu où Blanche était
entrée? Elle était entrée dans l'hôtel du
baron de Rochegrise !
— Ah! fit Mme Liébert, s'efforçant de
dominer son émotion et de paraître cal-
me, autant que cela était possible dans les
circonstances données. Eh bien! tu sais
où elle est, tu devrais être rassuré.
- Rassuré, répéta Adrien. Comment I
Blanche, malade, sans nous prévenir.
part subitement seule, ce qu'une jeune
fille ne doit jamais faire. Elle va dans
une maison où il ne se trouve pas de
femme, et tu trouves cela naturel 1
Mme Liébert ne savait que répondre.
Que dire ?
Comment annoncer à Adrien qu'il ne
reverrait probablement plus celle qu'il ai-
maiL., qu'il fallait renoncer à devenir
son mari?.
Plus la situation se dessinait., plus
les événements se succédaient et se pres-
saient, et mieux la malheureuse femme
mesurait la profondeur de l'abîme où elle
allait tomber 1
- Je ne dis pas relaJ balbutia-t-elle
enfin ; mais nous connaissons, elle con-
nait aussi le baron de Rochegrise., elle
peut avoir eu quelque communication à
lui faire.
- Ah 1 c'est que tune sais pas tout,
toi, ma mère ! c'est qu'il est un détail
qu'on t'a caché., que je n'ai jamais
voulu te raconter., que tu ignores., et
qui rend cette démarche de Blanche.
plus particulièrement étrange. inaccep-
table pour moi.
— Quel détail? demanda Inès, qui es-
sayait de gagner du temps et interrogeait
r.kur reculer l'instant fatal où elle serait
obligée de parler.
Les yeux du jeune homme s'emplirent
de colère, et le sang monta à. son visage.
— Ce détail, fit-il avec violence, c'est
que le fils du baron, ce M. Hector de
Rochegrise, est amoureux de Blanche, lui
a fait la cour. l'a insultée, le misérable,
et voulait en faire sa maîtresse!
— Sa maîtresse. lui 1
— Il lui avait tendu un piège. Je suis
arrivé à temps pour la sauver et corriger
le drôle ! Nous devions nous battre le len-
demain Mais il était venu me faire des
excuses, conduit par son père. 11 a de-
mandé humblement, platement, parlon à
Blanche en ma présence, étant ausiilâche
qu'il est vaniteux et bête ! Et j'ai accepté
ses excuses,uarce que je croyais que
Blanche le haïssait, le méprisait comme il
le mérite ! Je les ai acceptées surtout
pouf ne point compromettre par un éclat
celle que j'aimais, à qui je venais d'avouer
mon amour, à qui je rêvais de donner
mon nom,
— J'ai entendu parler de cela, répliqua
presqu'à voix basse Inès.
— Et c'est chez lui, chez son père, qu'elle
se rendait à notre insu, à tous, en femme
qui se cache. car elle se cachait!. Là,
dans celte maison. dont tout devrait
l'éloigner. qu'elle devrait fuir. quand
ce ne serait que par respect pour moi.
pour moi qui serai son mari dans quelques
jours!
— Adrien. n'accuse pas Blanche!
"- Je ne l'accuse pas. mais je ne com-
prends pas!,.. mais je souffre!. mais je
suis jaloux 1.
Il avait baissé la voix pour dire cela,
comme s'il en rougissait lui-même, comme
s'il craignait d'insulter celle qu'il aimait,
en la soupçonnant!
: - Et pourtant, reprit-il, non, je ne la
soupçonne pas, je ne le dois pas! je ne le
veux pas!. Mais. Ah! je n'y tiens plus 1
11 faut que j'aille chez le baron. Je vais
la chercher, la ramener. c'est mon
éroit ! N'est-elle pas déjà ma femme?. Il
faut que je sache!. Si ce drôle p.s» là il
peut encore lui manquer de respect. Je
serais entré à sa suite, sur le premier mo-
ment. Mais je n'étais pas sûr. Je n'en
croyais pas mes yeux.
Il fit un mouvement pour gagner la
porte.
— Arrête ! s'écria Inès, en se jetant de-
vant lui, Adrien, écoute-moi!
La voix de Mme Liébert avait quelque
chose de si tragique, son geste était si
suppliant, que le fiancé d'Irène s'arrêta
sur place, regardant sa belle-mère.
- Qu'y a-t-il? Tu sais quelque chose?
- Adrien, poursuivit Inès, haletante.
Tu l'as reconnu, toi-même, j'ai toujours
été bonne pour toi. Toujours j'ai fait
ce que j'ai pu pour t'épargner un chagrin,
pour te causer une joie. Depuis vingt
ans tu n'as jamais eu à te plaindre de
moi. Ne me refuse nas la première
grâce que je te demande.
— Quelle grâce?
- Sois calme, sois patienl, sois coura-
geux, quoi qu'il arrive !
- Quoi qu'il arrive?.
- La vie est souvent cruelle, va, mon
enfant. Tu es jeune, tu le sais par ouï-
dire. Plus tard, hélas! tu le sauras par
ta propre expérience. Tu ès un homme.
la souffrance est plus facile à supporter
pour toi que pour nne femme.
— Mais que veux-tu dire? Tu m'effraiesi
- Adrien. si Blanche. ne pouvait
plus être. ta femme!
— Blanche ! Oh !. Elle ne m'aime pasl|
Elle ne m'aime plus?.
— Je le jure qu'elle t'aime plus que ja1
mais!
- Eh bien?..
— Que si elle mourait aujourd'hui.I
que si elle mourait dans dix ans, ton nom
que si elle mourai
serait le dernier que prononceraient ses
lèvres. que ta pensée serait la dernièiy'
qui remplirait son cœur et son esprit.
- Eh bien?..
— Je te jure qu'elle est incapable d'une.
trahison, d'une lâcheté.
— Pourquoi la défends-tu ainsi? balbu-
tia le jeune homme, dont toute la surex-j
citation tombait, et qui porta les deux
mains à son cœur, afin, sans doute, d'y;
comprimer quelque douleur aiguë.
-. Mais enfin, mon pauvre enfant, si.;J
par suite de quelque circonstance, de
de quelque nécessité. qu'elle ne pour,
rait te révéler. que nul ne devrait con-
naître. pas même moi — ajouta-t-ellrç
avec effort — votre mariage était devenu
impossible. ,"
., : A. MATTHEYji
(4 suivre.) ■
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