Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1884-11-15
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 79956 Nombre total de vues : 79956
Description : 15 novembre 1884 15 novembre 1884
Description : 1884/11/15 (N5363). 1884/11/15 (N5363).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7540307n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
N9 6363 — Samedi 15 Novembre 1884 Le numéro - fOc. — Dépariemenis 1 IS» c« 25 Brumaire an 93 — R8 5363
JffiMINISTRATIOIT
58, KUE DE VALOIS, 18
ABONNEMENTS
fAlUS
Trois mois. 40 î)
Sisjaois ..20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 1350.
Six-mois. 2>? n
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LErÈVnd :
JœMESiaiRAÏEUPwGERâïïî 11
V*
9 - )
1
REDACTION"
S'adresser au Secrétaire 3e la Ré3â«f»lb
De 4 à 4 heures du 18, 31TJE IDE VALOIS, 18
a:=-
les manuscrits nonioseres ne seront cas ebbSSI
ANNONCES
Ior. Ch. liGRAUGE, CEEF et C.
6,l>-acc de la Bourse,G
LOBDS ET SÉMÎEliRS
La Chambre des lords est en train de
se mettre dans une situation qui nous
semMe de nature à faire réfléchir notre
Sénat.
On sait le conflit qui s'est élevé en-
tre le Sénat anglais et la Chambre des
communes. La Chambre des communes
et avec elle le gouvernement veulent
ajouter quelques milliers d'électeurs au
petit nombre que l'Angleterre en pos-
sède. Il ne s'agit pas d'universaliser le
suffrage, juste ciel ! mais de l'accroître
modestement. Il est difficile, même à
des lords, de refuser en face. Ils font
une réponse de coté. Ils ne refusent
pas d'étendre l'électorat, mais ils de-
mandent que l'on commence par le re-
maniement des collèges. — Etendez
d'abord, nous remanierons ensuite,
promet le gouvernement. — Remaniez
aujourd'hui, nous étendrons demain,
exigent les lords. Cette plaisanterie
dure depuis plus d'un an.
M. Gladstone n'est pas en humeur de
céder. Plus d'une fois, il a énergique-
ment fait remarquer à la Chambre qui
se dit plus haute que l'autre le danger
qu'il y a, lorsqu'on n'est pas déjà pro-
digieusement populaire, à contredire
la volonté nationale. Ses avertissements
répétés paraissaient, dans ces derniers
temps, avoir amené les opposants à des
idées plus prudentes. Mais un succès
électoral inespéré vient de leur rendre
toute leur morgue. Bien que la division
sud du comté de Warwick appartînt
aux tories, ils comptaient tout au plus
sur une majorité de cinq cents voix :
elte a été de onze cents ! Et voici qu'à
Hackney, où il va y avoir aussi une
élection, leur candidat a des chances
de passer, grâce au désaccord des libé-
raux et des radicaux. Pourquoi chan-
géraient-ils un état de choses dont ils
n'ont qu'à se féliciter ? Donc, après
avoir penché à se soumettre, ils se sont
- ré-insurgés.
Oui, mais, de son côté, la Chambre
des communes tient bon. C'est à une
majorité de cent quarante voix que le
bill vient d'être re-voté. Sur" ce point,
les Irlandais sont avec les Anglais. Les
lords ne peuvent plus se dissimuler
que, s'ils s'entêtent, c'est une lutte à
outrance. Ils feront ce qu'a fait chez
nous le Sénat en 1879 : la dissolution?
On sait comment le Seize-Mai a réussi
à nos tories. Il les a mis à la porte du
pouvoir, et ils n'y sont plus rentrés
depuis.
Un sénateur montre d'ici aux lords
le danger où ils se précipitent avec
-cet emportement qui est aussi pro-
pre à la sénilité qu'à la jeunesse. Il
adjure les « avisés du parti » de ne pas
suivre les' « cerveaux brûlés ». Il me-
nace les « héréditaires » de l'interven-
tion de leurs héritiers. S'ils s'obstinent
à mécontenter le pays, ils compromet-
tront une chose qui n'est pas à eux
seuls; la pairie, qui leur appartient
tant qu'ils sont au monde, appartient
après eux à 4eurs aînés ; ils n'ont pas
le droit de se comporter do telle façon
que le pays se soulève et détruise ce
qu'ils n'ont qu'en viager et ce qu'ils
doivent transmettre à leur fils comme
ils l'ont reçu de leur père. Et l'on voit
d'ici les aînés des lords les grondant
sévèrement, et, du to i dont on dit à un
enfant prodigue : Conduis-toi autre-
ment, polisson, ou je te déshérite ! leur
disant : — Votez autrement, ganaches,
ou vous nous déshéritez !
Le sénateur qui menace ainsi les
lords actuels des lords futurs et qui
trouve qu'ils se suicident en résis-
tant à la Chambre des communes, se
se souvient tout à coup qu'il trouve que
les sénateurs se conservent en résistant
à la Chambre des députés. Il se sou-
vient tout à coup que, lui qui blâme si
énergiquement les lords de ne pas con-
sentir à une petite extension du suf-
frage, il blâme non moins énergique-
ment les sénateurs d'avoir consenti à
une petite extension du suffrage et de
n'avoir maintenu l'inamovibilité qu'in-
directement. M. John Lemoinue essaye
de se rattraper : — « Qu'on ne cherche
point de similitude ni de ressemblance
photographique entre la Chambre des
pairs d'Angleterre et ce bon Sénat
français. » Sus à la pairie, c'est très
bien, mais respect à la sénatorerie !
Meure l'hérédité" vive l'inamovibilité !
Lorsqu'on parle de jeter les lords par
les fenêtres, M. John Lemoinne ricane
de ce petit ricanement sec qui est l'agré-
ment de son talent. Lorsqu'on parle lîc
toucher à un sénateur inamovible, M.
John Lemoine, qui c-t inamovible deux
fois, comme sénateur et comme acadé-
micien, prend la chose avec infiniment
moins de philosophie. John qui rit et
John qui pleure.
Il est naturel que les sénateurs ina-
movibles trouvent que tout est pour
le mieux dans le meilleur des Sénats
possibles, mais il le serait moins que
te pays trouvât que la résistance d'une
Chambre à la volonté nationale fût
bonne ou mauvaise selon qu'on est
d'un côté ou de l'autre de la Manches
<
- AUGUSTE VACQUERIE.
!■■»■■■■■■ » » mtu I mil
COULISSES DES CHAMBRES
Le président du conseil et le ministre de
l'intérieur doivent se rendre demain à la
commission de la Chambre chargée d'exa-
miner la proposition tendant au rétablis-
sement du scrutin de liste pour l'élection
des députés. Cette commission a manifesté
au gouvernement le désir de connaître son
avis sur diverses questions assez impor-
tantes que soulève la réforme électorale
de la Chambre.
Il s'agit notamment de'savoir quel ré-
gime électoral on adoptera pour la période
à courir entre le vote et l'application de la
réforme, c'est-à-dire entre le moment où
la nouvelle loi sera adoptée et l'expiration
du mandat de la Chambre. Cette question
en soulève elle-même une autre plus déli-
cate, celle de savoir s'il convient ou non
que la Chambre épuise ses pouvoirs jus-
qu'au terme légal. Enfin, la commission
voudrait connaître l'avis du gouvernement
sur la base à prendre pour le calcul du
nombre des députés, ainsi que sur le mode
de renouvellement de la Chambre et la
durée du mandat de celle-ci.
Le conseil des minisires, en prévision
de la conférence de MM. Jules Ferry et
Waldeck-Rousseau avec la commission, a
délibéré hier sur ces diverses questions.
En ce qui concerne le scrutin de liste, il
s'est prononcé en principe pour le réta-
blissement de ce mode électoral, et les
ministre:? le déclareront formellement à
la commission.
Relativement au régime transitoire, le
conseil est d'avis que, vu l'impossibilité de
continuer à pratiquer le régime du scru-
tin d'arrondissement, une fois qu'il sera
condamné par un vote formel du Parle-
ment, le conseil a été d'avis qu'il serait
nécessaire d'introduire dans la nouvelle
loi une disposition transitoire portant que
jusqu'à l'expiration du mandat de * la
Chambre actuelle, il ne serait plus pro-
cédé à des élections partielles..
Relativement à la terminaison anticipée
du mandat de la Chambre, le gouverne-
ment estime qu'il n'a pas à s'expliquer sur
une question aussi délicate et il ne fera,
selon toutes probabilités, aucune déclara-
tion à ce sujet devant la commission;
mais la question ne tardera pas à s'impo-
ser d'elle-même, surtout si la Chambre
consent à la suppression provisoire des
élections partielles.
1 - JI - -- - l'lin
uesi a remarquer, en enet, qu après le
renouvellement sénatorial de janvier pro-
chain, il va se produire une vingtaine de
vacances de sièges à la Chambre, par suite
de la nomination d'un nombre égal de dé-
putés comme sénateurs. Si la suppression
des élections partielles était votée, sans
qu'il y eût une dissolution anticipée de la
Chambre, ces vingt sièges resteraient va-
cants jusqu'à la fin du mandat, c'est-à-
dire jusqu'au mois d'octobre 1885. Or, il
estimpossible d'admettre que des circon-
scriptions restent aussi longtemps sans
représentants. Il faudra donc nécessaire-
ment ou - que l'on continue à -- faire des - élec- -
tions partielles avec le système, désormais
condamné, du scrutin d'arrondissement,
ou qu'on supprime les élections partielles
provisoirement, mais en réduisant la du-
rée de cette suppression par un renouvel-
lement anticipé de la Chambre. Bien en-
tendu, cette question restera, de toutes
manières , subordonnée à l'assentiment
préalable de la Chambre. C'est-à-dire que
le gouvernement étant ¡ résQlu à ne pas
proposer de lui-même une dissolution an-
ticipée, il faudrait que ce fût la Chambre
elle-même qui sollicitât le président de la
République d'user de sa prérogative con-
stitutionnelle en demandant au Sénat de
prononcer la dissolution.
En ce qui concerne le calcul du nombre
des députés, soit d'après le nombre des
habitants, soit d'après le nombre des élec-
teurs, le gouvernement n'a pas, paraît-il,
de préférence déterminée pour un sys-
tème quelconque. Le choix du nombre
d'habitants comme base n'a d'importance
que pour quelques rares départements où
il y a un grand nombre d'étrangers qui ne
sont pas électeurs, comme los Bouches-du-
Rhône ou le Nord ; mais partout ailleurs,
la proportion des électeurs par rapport
aux habitants étant à peu près constante,
il est indifférent de prendre le nombre des
uns ou celui des autres pour base dû
calcul des députés.
-'0-
Le ministre des travaux-publics a été
entendu hier par la commission du budget
au sujet des grands travaux publics nou-
veaux reconnus nécessaires en dehors de
ceux prévus du programme de 1878, qui
est actuellement en cours d'exécution. La
commission avait réclamé ces explications
du gouvernement avant de statuer sur
divers projets relatifs aux ports de Bor-
deaux et de Rouen qui n'étaient pas com-
pris dans le programme primitif. Elle a
voulu savoir en présence de quelles néces-
sités on se trouverait et à quel ensemble
d'engagements on serait encore conduit.
M. Raynal a exposé qu'en, dehors des
chemins de fer — dont la construction, de
par les conventions, est remise aux gran-
des compagnies — il reste à exécuter 879
millions de travaux sur les canaux, les
ports et les rivières, qui soht compris dans
le plan Freycinet, mais qui ont dû être
ajournés en raison de la situation finan-
cière. 'Ces 870 millions se répartissent
ainsi : Canaux : 713 millions; ports, 100
millions; rivières, 66 millions, mais depuis
on a reconnu la nécessité d'ajouter à ce
reliquat 130 millions de travaux urgents
r dont environ 30 militons pour les canaux
et 400 millions pour les ports.
Ên ce qui concerne les ports, notam-
ment le Havre figure pour 61 mHJions, et
Bordeaux pour 20 millions.
En outre, il y a ies travaux déjà votés
ou qui vont être proposés et qui doivent
être effectués à l'aide d'avances faites à
l'Etat par les chambres de commerce,
avances remboursables en annuités éche-
lonnées sur des périodes de 10, 15 ou 20
ans, à partir de 1887. Le total des annui-
tés à inscrire de ce chef au budget s'élève
à 5,066,382 fr.
Les 130 millions de travaux nouveaux,
précédemment indiqués, doivent être ef-
fectués dans une période de 7 à 8 ans, et
ils seront faits sans avoir recours aux
avances.
De sorte qu'en 1885 le chiffre total des
grands travaux restant à exécuter, tant à
l'aide des ressources directes de l'Etat
qu'à l'aide d'avances faites au Trésor,
s'élèvera à 900 millions.
-0-
Après avoir entendu le ministre des tra-
vaux publics, la commission du budget
a statué sur divers amendements impor-
tants.
Elle a d'abord admis un amendement
de M. Paul Bert, tendant, à désaffecter les
propriétés de l'Etat affectées à des services
ecclésiastiques en dehors des prescriptions
concordataires.
Elle a ensuite écarté un amendement
de M. Paul Bert, tendant à élever, dès
1885, le traitement des instituteurs ; mais
elle a pris en considération, sous réserve
d'une décision définitive, un amendement
de M. Wilson, tendant à consacrer un pre-
mier crédit de 3 millions à l'amélioration
des plus faibles de ces traitements.
Enfin la commission, revenant sur une
décision antérieure, a rétabli les crédits
pour les facultés de théologie protestante
qu'elle avait supprimés, il y a assez long-
temps déjà. Cette détermination a été
prise après l'audition des représentants du
consistoire de l'Eglise réformée.
—o—
Les amendements au projet de la ré-
forme électorale du Sénat commencent à
se produire en assez grand nombre. Nous
avons déjà signalé hier celui de M. Joseph
Fabre. Deux autres ont été déposés hier.
L'un, de M. Roquet, propose de disjoin-
dre la question des inamovibles èt d'en
faire l'objet d'une loi spéciale qui serait
votée ultérieurement, l'urgence n'existant
pas au même degré pour les inamovibles
que pour les sénateurs des départements
qui eux sont soumis au renouvellement
partiel.
D'autre part, M. Corentin-Guyho propose,
comme lo faisait primitivement la com-
mission du Sénat, de supprimer les ina-
movibles par extinction et de rattacher
leurs sièges aux départements, mais en
adoptant un autre mode de répartition. Le
rattachement se ferait d'abord aux séries
sortant le plus prochainement, de ma-
nière à ne pas donner lieu à des élections
partielles dans les autres départements.
Enfin la gauche radicale s'est prononcée
hier pour l'élection du Sénat par le suf-
frage universel. En cas de rejet de cé sys-
tème, la gauche radicale se rabattra sur le
système de l'élection par le suffrage à
deux degrés.
i ijfr» iii
A LA CHAMBRE
Après quatre jours de discussion sur.
levinage, on arrive à un résultat nul.
C'est peut-être moins fàcheux qu'un
vote qui pouvait provoquer des récla-
mations de la part des nations avec
lesquelles nous sommes liés par des
traités de commerce. La Chambre a
donc tout rejeté, amendements, contre-
projets et projet de la commission. Il
reste une page blanche. Un moment,
sur cette page, on a failli écrire la
condamnation des bouilleurs de cru dont
le privilège -injustifiable fait perdre
gros au Trésor. M. Labuze, l'un des
rares sous-secrétaires d'Etat qui sem-
blent prendre leur rôle au sérieux et
r étudier les questions, M. Labuze a fait
cette démonstration avec beaucoup de
force et dans les meilleurs termes.
Mais, comme M. Rouvier, qui n'avait
pas moins bien parlé, il a été battu à
une voix de majorité. La Chambre, sur
cette question, est littéralement coupée
en deux, selon les intérêts régionaux,
ou plutôt selon ce qu'on croit être les
intérêts régionaux.
On a parlé toute la journée de l'inter-
pellation annoncée sur les mandats
fictifs. Le centre gauche paraît vouloir
s'en charger, mais si ce groupe tarde à
se décider,. la question doit être posée
par d'autres.
A. GAULIBR.
«"»■ ■ i m T IÛI m, liim
Au conseil des ministres d'hier matin,
M. Jules Ferry a communiqué à ses col-
lègues une dépêche d'après. laquelle le
général Gordon aurait été fusillé, entre
Khartoum et Berber.
Les télégrammes reçus à Londres, à la
même heure, ne disaient rien de sem-
blable; tout au contraire ils parlaient d'un
engagement, près de Khartoum, dans
lequel le Mahdi aurait eu le dessous. A la
Chambre des communes, le ministère a
été interpellé sur le plus ou moins de
créance que mérite la nouvelle venue de
Paris. La réponse a été que le gouverne-
ment anglais n'avait reçu aucune infor-
mation pareille. « Il est inconcevable,
selon lui, que la nouvelle, si elle était
vraie, ne. fût pas connue par la voie de
Dongola. »
En réalité, on continue à ne rien savoir
de précis.
———————— »
LE COUP DES LUCQUOIS
Connaissez-vous le coup des Lucquois?
Il est simple comme toutes les grandes
choses. La Corse aura dans l'histoire la
gloire de l'avoir inventé. Voici en quoi il
consiste sommairement : La Corse offre
l'anomalie d'un pays où il y a moins
d'hommes que d'électeurs ; ce qui s'ex-
plique par ce motif que les premiers
sont sur le continent, soldats, agents de
police, ou tiennent le mâquis. Mais, ras-
surez-vous, leurs voix ne sont pas perdues
pour cela. En administrateurs intelligents,
les maires, vers le mois d'août, font venir
d'Italie des Lucquois qui commencent par
rentrer les récoltes et qui, le jour du vote,
vont faire office de citoyens français au
lieu et place des Morelli, Savelli, Sebas-
tiani, Pozzo, Pietri, etc., morts, absents ou
empêchés.
L'Amérique n'a pas inventé ce coup,
mais elle lui a donné les proportions qu'ê-
tres et choses acquièrent sous ces cli-
mats.
Que M. Cleveland l'emporlerait dans
l'Etat de New-York, cela ne faisait pas
l'ombre d'un doute. Il était sûr des voix
démocratiques qui contrebalancent les
voix républicaines ; de plus, le 26 octobre,
une belle procession s'était déployée dans
les rues de la grande cité comprenaut,
nous dit un témoin oculaire « 7,889 mar-
chands de nouveautés en gros, 1,480 mem-
bres de la bourse de la marine, 540 agents
de change, 1,560 clercs d'agents, 820 cour-
tiers d'assurances, 315 membres de la
bourse au coton, 630 membres de
la bourse au pétrole et aux mines,
475 membres de la bourse aux vins
et aux alcoools, 845 de la bourse au café,
735 gros bonnetiers, 190 lauréats du"1
collège Columbia, 700 joailliers et or-
fèvres. 480 entrepreneurs », des milliers
de chefs d'industries diverses, bref toutes
les notabilités du commerce, de l'indus-
trie, de la science, tous les bataillons mo-
dérés qui, en 1880, avaient voté pour Gar-
field et allaient en corps, cette fois, offrir
leurs 30,000 voix au gouverneur de New-
York.
r Le jour du vote arrive, et qu'est-eequ'on
apprend ? D'abord que les deux candidats
font dead-heat, puis que M. Blaine l'em-
porte, puis que M. Cleveland est élu, mais
à une imperceptible minorité. Qu'est-ce
qui s'est étonc passé?
*
Le voici. Quinze jours avant l'élection,
un homme de loi à la dévotion du parti
requiert l'inscription, sur les listes électo-
rales de New-York, d'Albany, de tBroock-
lyn, etc., de quelques milliers de lones,
de Smith., de Clarke, que l'administration
n'a garde de lui refuser. Le jour du vote,
des agents républicains vont rartfttsser dans
toutes les villes du Canada qui confinent"
à t Etat de New-York, *les sujets de la reine
Victoria dénués de préjugés et désireux
de faire un petit voyàge gratis tout en
gagnant un ou deux dollars? Des trains
frétés par les compagnies de chemins dé 1
fer amènent dans les bureaux de vote ces
électeurs improvisés, les remmènent, et'
c'est ainsi que l'Etat de New-York apprend-
le lendemain du vote que, tout en aymt;
donné 30j000 voix de majorité aux démo-
crates, il a failli envoyer à la Maison-
Blanche le candidat républicain. -
FRÉDÉRIC MOXrARGIS.
Le ministre de l'agriculture a été en-
tendu hier par la commission de la Cham-
bre chargée d'examiner le projet de loi
relevant les tarifs de douane sur les bes-
tiaux.
C'est particulièrement au sujet de la
question du droit sur les blés que M. Mé-
line a été entendu. On sait que le gouver-
nement n'a pas pris l'initiative de cette
question, mais il s'y déclare aujourd'hui
favorable. \-
M. Méline a dit hier à la commission que
le gouvernement considérait qu'un droit
sur les blés était justifié en principe, tal
le droit existant de 60 centimes n'en est
pas un. L'agriculture se plaint da ce
qu'elle n'est pas protégée comme l'indus-
trie, qui, elle, l'est par des droits de
10 0[0.
Le rèlevement du prix du blé ne sera
pas, suivant M. Méline, aussi grand que
le relèvement du tarif de douanes, mais il
aura un effet réel, et particulièrement un
effet moral. Il faut, en effet, rendre cou-
rage à l'agriculture qui réclame de toutes
parts.
Le ministre a ajouté que le gouverne-'
ment pensait que le droit sur le blé devait
être assez modéré, d'abord pour que le
prix du pain ne soit pas exagéré et ensuite
dans l'intérêt même de l'agriculture. car
s'il était trop élevé, on ne tarderait pas à
en demander la suppression.
Quant à la quotité du droit, le gouverne-
ment ne veut pas se prononcer aujour-
d'hui parce que ce'serait fournir un ali-
ment à la spéculation.
Il ne fera connaître son avis que lors-
qu'on discutera devant la Chambre ; mais
dès aujourd'hui il peut dire qu'un droit de
4 francs par quintal correspondant à 2U 010
serait exagéré.
M. Méline a enfin déclaré que le gou-
vernement appuierait l'établissement d'un
droit sur les farines et les autres céréales.
En réponse à certains membres qui,
comme MM. Duvivier et Raoul Ouvat
prétendaient qu'avec ce système on -amè-
nera les importateurs à renoncer à tout
commerce et qu'on s'exposera à créer lar
disette, le ministre a répondu qu'avec la
rapidité actuelle des transports, une di-
sette serait désormais impossible.
M. Frédéric Passy ayant demandé si le
gouvernement était partisan de l'échelle
mobile, le ministre a répondu que le con-
seil n'avait pas délibéré à ce sujet, mais
que personnellement il y était * opposé ;
quant au droit sur le blé, le gouverne-'
meut ne le considère que comme une
mesure transitoire à laquelle on pourra'
renoncer lorsque l'agriculture nationale
n'en aura plus besoin. s
Questionné sur l'époque à laquelle le'
projet pourrait être discuté, le ministre à
dit que le gouvernement serait à la dispo-'
siLion de la Chambre, qu'il ne voulait au-
cun retard, mais qu'il estimait que l'on'
ne pourrait mettre la question en délibéra-
tion au cours-de la session actuelle.
Feuilleton du RAPPEL
DU 15 NOVEMBRE
122
LE
ROI DES MENDIANTS
DEUXIÈME PARTIE
LA MÈRE
xxxn
Le eoup droit — (Suite)
Inès reprit baleine, puis ajouta :
— Je n'ignore point d'où tout cela vient.
Vous avez, pour une raison quelconque,
peut-être de simple humanité, tout d'abord
recueilli. il y a quelques semaines, un fou
échappé de son cabano:t. un Polonais,
autrefois artiste pei^trej nommé Rolland
Rodzinski. - Je jg sais, depuis le jour où
vous en avez. parlé à mon mari. qui es-
saye, et.- ftlinement, ce que d'autres ont
*enf*<3 avant lui : de rendre la raison à ce
Malheureux. Cet homme, qui connut jadis
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 9 juillet au 1.1 novembre.
ma famille, alors que j'étais encore jeune
fille., était devenu, paraît-il, amoureux
de moi..,. d'ailleurs, sans oscrr me le
dire. J'avais bien remarqué que, de même
qu'à la plupart des jeunes gens qui fré-
quentaient chez nous, je ne lui déplaisais
pas; mais, comme il me laissait parfaite-
ment indifférente, je n'y attachais aucune
importance, me contentant de ne point
l'encourager.
Elle reprit encore haleine.
Cependant elle parlait sans chercher ses
mots, avec une grande netteté, en femme
qui sait parfaitement ce qu'elle doit et ce
qu'elle veut dire, et qui se croit sûre d'a-
voir réponse à tout. ,
- Ce malheureux, poursuivit-elle, avait
Ja tête faible. Probablement, il y a eu
déjà des fous dans sa famille. Vous savez
que la folie est héréditaire. b) passion que
je lui inspirais. était peut-être aussi beau-
coup plus violente que je ne pouvais m'en
douter, puisqu'il ne m'en avait jamais
parlé clairement. Peut-être aussi avait-il
rêvé de demander ma main, un jour, quand
il aurait conquis une situation avec son
pinceau. Quoi qu'il en soit, le germe de
folie qui couvait en lui éclata brusque-
ment, par un accès fiévreux, au moihènt
où il apprit que j'allais me marier. Em-
porté par sa fièvre chaude, il. vint chez
mes parents, où, en proie au délire, il es-
saya de me tuer, çyi&ui 9Ml$i jtyajs
volé son enfant. et que j'étais sa maî-
tresse depuis longtemps. On eut toutes
les peines du monde à m'arracher de ses
mains, à me sauver de sa fureur et à s'em-
parer de lui. Sa folie fut parfaitement
constatée. et on le renferma.
Après une pause, elle reprit :
— Je vois, d'après vos discours, que ce
malheureux n'est point guéri. ne se gué-
rira jamais. C'est un monomane de la
plus dangereuse espèce. Voici vingt ans
qu'il répète la même histoire. sans que
personne y accorde la moindre atten-
tion. Et je suis étonnée, monsieur, qu'un
homme de votre esprit et de votre monde
prènne ou fasse semblant de prendre au
sérieux de pareilles billevisées, de si ridi-
cules divagations.
— Etes-vous bien certaine, madame,
que ce soient de pures divagations, de
simples billevesées?
— Ce point d'interrogation, monsieur,
est une grave insulte envers moi, fit-elle
avec une dignité menaçante. Et je ne sais
trop, ou plutôt je sais fort bien ce qu'en
penserait M. Liébert, mon mari, s'il ap-
prenait la singulière allure que vous pre-
nez avec moi, depuis une heure que j'ai
la patience de vous écouter, quand j'au-
rais dû rompre, au premier mot, cet en-
tretien odieux.
Rochegrise la considérait avec une yé-
ritebje admiration d'amateur.
— Je ne comprends pas le but de votre
conduite. que je ne veux point qualifier,
monsieur. Si j'avais pu supposer que les
discours de cet insensé agissent ainsi sur
votre esprit. j'aurais pris les devants de
cette explication. qui prouve seulement
que ce pauvre malade a recouvré, sans
doute, ia mémoire des noms.
— Et vous ne craignez pas qu'il les dise
à votre mari?
— Non, monsieur. Il y a vingt ans que
ce procès a été jagé et déeidé en ma fa-
veur. Je préférerais, je l'avoue, que mon
mari n'en entendît point parler: car il a
ignoré, jusqu'à présent, cette histoire qui
n'avait aucun intérêt pour lui.
Mme Liébert se leva pour la seconde fois.
— Vous voyez, monsieur, ajouta-t-elle
d'un ton mordant, avec une froide ironie,
que j'y mets de la bonne volonté. J'ai
bien voulu condescendre à une explica-
tion que vous eussiez pu obtenir de moi,
d'une façon beaucoup plus convenable,
mais je suis trop forte et je tiens trop à la
considération de tous, moins pour moi
que pour mon mari, pour n'avoir point
voulu, foulant aux pieds ma fierté et mon
indignation légitimes, répondre catégori-
quement, même à un étranger qui agissait
en ennemi et m'offensait avant de m'avoir
entendue.
Ilochegflse était toujours resté assis.
1 Ce que vous venez de me répondre,
madame, porte tous les caractères de la
vraisemblance ; et, si vuus n'aviez à com-
battre que les affirmations et les plaintes
de Rolland Rodzinski, il n'est pas douteux
que c'est vous que l'un croirait.et que j'au-
rais agi en sot d'y attacher quelque impor-
tance; en malotru d'être venu vous en parler.
- Alors, monsieur?.
- Alors, madame, Rolland n'a point
retrouvé la mémoire des noms. même
dans un éclair de raison.
Mme Liébert tressaillit violemment ;
pour la première fois, depuis le commen-
cement de ce long duel, elle parut atteinte
d'un coup qui entamait sa cuirasse. -
— Je comprends de moins en moins, fit-
elle d'une voix agitée. S'il ne m'a pas nom-
mée, qui a pu vous faire supposer. que c'é-
tait de moi que cet. aliéné voulait parler?
— Ceci, madame.
Le baron tira de son portefeuille le por-
trait tracé par Rolland et le présenta à la
femme du docteur.
Celle-ci le saisit avec une certaine vio-
lence et le considéra un instant, puis elle
eut un sourire rassuré.
— En effet, dit-elle, cela me ressemble.
C'est bien moi, telle que j'étais il y a
vingt ans, avant mon mariage.
Elle rendit le dessin à Rochegrise.
— Je n'ai, comme je vous l'ai dit, au-
cune raison de m'en défendre. Ce mal-
: heureux m'ahstait1..» il est devenu feu..,
qu'y puis--je?. Et pourquoi m'en in-
quièlerais-je? Bien que je ne lui dusse rien,
comme j'avais été, peut-être bien inno-
cemment, le grain de sable où avait tré-
buché sa faible raison, la goutte d'eau qui
avait fait déborder sa démence., je (l'ai
cessé de m'intéresser à lui, dans une cer-
taine mesure. Le sachant sans res sources,'
je payais, à l'insu de tous, sa pension dans
la maison de santé où il était renfermé.
Lorsque je sus qu'il s'était enfui et que
vous l'aviez recueilli, loin de dénoncer sa
retraite, de le faire incarcérer de iiouvêau
de vous faire demander compte par qSî*
de droit de la façon singulière, étrange,'
inexplicable, dont ce fou était arrivé chu
vous et des motifs qui vous faisaient le*
garder, contrairement aux prescriptionS-
de la loi et aux lois de la prudence, car.
c'est un fou dangereux qui a des accès de
fureur, j'ai fermé les yeux, pensant qu'au-
près d'un philanthrope tel que vous, i\
trouverait peut-être un adoucissement à
ses souffrances. que je plains fort., je
vous assure, convaincue qu'avec un homme
du monde, un ami, un ami de mon mar;,
une femme telle que moi n'aurait jamais
à se repentir de sa bonté et de la collabo-«
ration qu'elle accordait, sans s'en vanter,
à la bonne œuvre entreprise par vous.
A, MATEHEY.
t ÇA mvre.)
JffiMINISTRATIOIT
58, KUE DE VALOIS, 18
ABONNEMENTS
fAlUS
Trois mois. 40 î)
Sisjaois ..20 »
DEPARTEMENTS
Trois mois 1350.
Six-mois. 2>? n
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LErÈVnd :
JœMESiaiRAÏEUPwGERâïïî 11
V*
9 - )
1
REDACTION"
S'adresser au Secrétaire 3e la Ré3â«f»lb
De 4 à 4 heures du
a:=-
les manuscrits nonioseres ne seront cas ebbSSI
ANNONCES
Ior. Ch. liGRAUGE, CEEF et C.
6,l>-acc de la Bourse,G
LOBDS ET SÉMÎEliRS
La Chambre des lords est en train de
se mettre dans une situation qui nous
semMe de nature à faire réfléchir notre
Sénat.
On sait le conflit qui s'est élevé en-
tre le Sénat anglais et la Chambre des
communes. La Chambre des communes
et avec elle le gouvernement veulent
ajouter quelques milliers d'électeurs au
petit nombre que l'Angleterre en pos-
sède. Il ne s'agit pas d'universaliser le
suffrage, juste ciel ! mais de l'accroître
modestement. Il est difficile, même à
des lords, de refuser en face. Ils font
une réponse de coté. Ils ne refusent
pas d'étendre l'électorat, mais ils de-
mandent que l'on commence par le re-
maniement des collèges. — Etendez
d'abord, nous remanierons ensuite,
promet le gouvernement. — Remaniez
aujourd'hui, nous étendrons demain,
exigent les lords. Cette plaisanterie
dure depuis plus d'un an.
M. Gladstone n'est pas en humeur de
céder. Plus d'une fois, il a énergique-
ment fait remarquer à la Chambre qui
se dit plus haute que l'autre le danger
qu'il y a, lorsqu'on n'est pas déjà pro-
digieusement populaire, à contredire
la volonté nationale. Ses avertissements
répétés paraissaient, dans ces derniers
temps, avoir amené les opposants à des
idées plus prudentes. Mais un succès
électoral inespéré vient de leur rendre
toute leur morgue. Bien que la division
sud du comté de Warwick appartînt
aux tories, ils comptaient tout au plus
sur une majorité de cinq cents voix :
elte a été de onze cents ! Et voici qu'à
Hackney, où il va y avoir aussi une
élection, leur candidat a des chances
de passer, grâce au désaccord des libé-
raux et des radicaux. Pourquoi chan-
géraient-ils un état de choses dont ils
n'ont qu'à se féliciter ? Donc, après
avoir penché à se soumettre, ils se sont
- ré-insurgés.
Oui, mais, de son côté, la Chambre
des communes tient bon. C'est à une
majorité de cent quarante voix que le
bill vient d'être re-voté. Sur" ce point,
les Irlandais sont avec les Anglais. Les
lords ne peuvent plus se dissimuler
que, s'ils s'entêtent, c'est une lutte à
outrance. Ils feront ce qu'a fait chez
nous le Sénat en 1879 : la dissolution?
On sait comment le Seize-Mai a réussi
à nos tories. Il les a mis à la porte du
pouvoir, et ils n'y sont plus rentrés
depuis.
Un sénateur montre d'ici aux lords
le danger où ils se précipitent avec
-cet emportement qui est aussi pro-
pre à la sénilité qu'à la jeunesse. Il
adjure les « avisés du parti » de ne pas
suivre les' « cerveaux brûlés ». Il me-
nace les « héréditaires » de l'interven-
tion de leurs héritiers. S'ils s'obstinent
à mécontenter le pays, ils compromet-
tront une chose qui n'est pas à eux
seuls; la pairie, qui leur appartient
tant qu'ils sont au monde, appartient
après eux à 4eurs aînés ; ils n'ont pas
le droit de se comporter do telle façon
que le pays se soulève et détruise ce
qu'ils n'ont qu'en viager et ce qu'ils
doivent transmettre à leur fils comme
ils l'ont reçu de leur père. Et l'on voit
d'ici les aînés des lords les grondant
sévèrement, et, du to i dont on dit à un
enfant prodigue : Conduis-toi autre-
ment, polisson, ou je te déshérite ! leur
disant : — Votez autrement, ganaches,
ou vous nous déshéritez !
Le sénateur qui menace ainsi les
lords actuels des lords futurs et qui
trouve qu'ils se suicident en résis-
tant à la Chambre des communes, se
se souvient tout à coup qu'il trouve que
les sénateurs se conservent en résistant
à la Chambre des députés. Il se sou-
vient tout à coup que, lui qui blâme si
énergiquement les lords de ne pas con-
sentir à une petite extension du suf-
frage, il blâme non moins énergique-
ment les sénateurs d'avoir consenti à
une petite extension du suffrage et de
n'avoir maintenu l'inamovibilité qu'in-
directement. M. John Lemoinue essaye
de se rattraper : — « Qu'on ne cherche
point de similitude ni de ressemblance
photographique entre la Chambre des
pairs d'Angleterre et ce bon Sénat
français. » Sus à la pairie, c'est très
bien, mais respect à la sénatorerie !
Meure l'hérédité" vive l'inamovibilité !
Lorsqu'on parle de jeter les lords par
les fenêtres, M. John Lemoinne ricane
de ce petit ricanement sec qui est l'agré-
ment de son talent. Lorsqu'on parle lîc
toucher à un sénateur inamovible, M.
John Lemoine, qui c-t inamovible deux
fois, comme sénateur et comme acadé-
micien, prend la chose avec infiniment
moins de philosophie. John qui rit et
John qui pleure.
Il est naturel que les sénateurs ina-
movibles trouvent que tout est pour
le mieux dans le meilleur des Sénats
possibles, mais il le serait moins que
te pays trouvât que la résistance d'une
Chambre à la volonté nationale fût
bonne ou mauvaise selon qu'on est
d'un côté ou de l'autre de la Manches
<
- AUGUSTE VACQUERIE.
!■■»■■■■■■ » » mtu I mil
COULISSES DES CHAMBRES
Le président du conseil et le ministre de
l'intérieur doivent se rendre demain à la
commission de la Chambre chargée d'exa-
miner la proposition tendant au rétablis-
sement du scrutin de liste pour l'élection
des députés. Cette commission a manifesté
au gouvernement le désir de connaître son
avis sur diverses questions assez impor-
tantes que soulève la réforme électorale
de la Chambre.
Il s'agit notamment de'savoir quel ré-
gime électoral on adoptera pour la période
à courir entre le vote et l'application de la
réforme, c'est-à-dire entre le moment où
la nouvelle loi sera adoptée et l'expiration
du mandat de la Chambre. Cette question
en soulève elle-même une autre plus déli-
cate, celle de savoir s'il convient ou non
que la Chambre épuise ses pouvoirs jus-
qu'au terme légal. Enfin, la commission
voudrait connaître l'avis du gouvernement
sur la base à prendre pour le calcul du
nombre des députés, ainsi que sur le mode
de renouvellement de la Chambre et la
durée du mandat de celle-ci.
Le conseil des minisires, en prévision
de la conférence de MM. Jules Ferry et
Waldeck-Rousseau avec la commission, a
délibéré hier sur ces diverses questions.
En ce qui concerne le scrutin de liste, il
s'est prononcé en principe pour le réta-
blissement de ce mode électoral, et les
ministre:? le déclareront formellement à
la commission.
Relativement au régime transitoire, le
conseil est d'avis que, vu l'impossibilité de
continuer à pratiquer le régime du scru-
tin d'arrondissement, une fois qu'il sera
condamné par un vote formel du Parle-
ment, le conseil a été d'avis qu'il serait
nécessaire d'introduire dans la nouvelle
loi une disposition transitoire portant que
jusqu'à l'expiration du mandat de * la
Chambre actuelle, il ne serait plus pro-
cédé à des élections partielles..
Relativement à la terminaison anticipée
du mandat de la Chambre, le gouverne-
ment estime qu'il n'a pas à s'expliquer sur
une question aussi délicate et il ne fera,
selon toutes probabilités, aucune déclara-
tion à ce sujet devant la commission;
mais la question ne tardera pas à s'impo-
ser d'elle-même, surtout si la Chambre
consent à la suppression provisoire des
élections partielles.
1 - JI - -- - l'lin
uesi a remarquer, en enet, qu après le
renouvellement sénatorial de janvier pro-
chain, il va se produire une vingtaine de
vacances de sièges à la Chambre, par suite
de la nomination d'un nombre égal de dé-
putés comme sénateurs. Si la suppression
des élections partielles était votée, sans
qu'il y eût une dissolution anticipée de la
Chambre, ces vingt sièges resteraient va-
cants jusqu'à la fin du mandat, c'est-à-
dire jusqu'au mois d'octobre 1885. Or, il
estimpossible d'admettre que des circon-
scriptions restent aussi longtemps sans
représentants. Il faudra donc nécessaire-
ment ou - que l'on continue à -- faire des - élec- -
tions partielles avec le système, désormais
condamné, du scrutin d'arrondissement,
ou qu'on supprime les élections partielles
provisoirement, mais en réduisant la du-
rée de cette suppression par un renouvel-
lement anticipé de la Chambre. Bien en-
tendu, cette question restera, de toutes
manières , subordonnée à l'assentiment
préalable de la Chambre. C'est-à-dire que
le gouvernement étant ¡ résQlu à ne pas
proposer de lui-même une dissolution an-
ticipée, il faudrait que ce fût la Chambre
elle-même qui sollicitât le président de la
République d'user de sa prérogative con-
stitutionnelle en demandant au Sénat de
prononcer la dissolution.
En ce qui concerne le calcul du nombre
des députés, soit d'après le nombre des
habitants, soit d'après le nombre des élec-
teurs, le gouvernement n'a pas, paraît-il,
de préférence déterminée pour un sys-
tème quelconque. Le choix du nombre
d'habitants comme base n'a d'importance
que pour quelques rares départements où
il y a un grand nombre d'étrangers qui ne
sont pas électeurs, comme los Bouches-du-
Rhône ou le Nord ; mais partout ailleurs,
la proportion des électeurs par rapport
aux habitants étant à peu près constante,
il est indifférent de prendre le nombre des
uns ou celui des autres pour base dû
calcul des députés.
-'0-
Le ministre des travaux-publics a été
entendu hier par la commission du budget
au sujet des grands travaux publics nou-
veaux reconnus nécessaires en dehors de
ceux prévus du programme de 1878, qui
est actuellement en cours d'exécution. La
commission avait réclamé ces explications
du gouvernement avant de statuer sur
divers projets relatifs aux ports de Bor-
deaux et de Rouen qui n'étaient pas com-
pris dans le programme primitif. Elle a
voulu savoir en présence de quelles néces-
sités on se trouverait et à quel ensemble
d'engagements on serait encore conduit.
M. Raynal a exposé qu'en, dehors des
chemins de fer — dont la construction, de
par les conventions, est remise aux gran-
des compagnies — il reste à exécuter 879
millions de travaux sur les canaux, les
ports et les rivières, qui soht compris dans
le plan Freycinet, mais qui ont dû être
ajournés en raison de la situation finan-
cière. 'Ces 870 millions se répartissent
ainsi : Canaux : 713 millions; ports, 100
millions; rivières, 66 millions, mais depuis
on a reconnu la nécessité d'ajouter à ce
reliquat 130 millions de travaux urgents
r dont environ 30 militons pour les canaux
et 400 millions pour les ports.
Ên ce qui concerne les ports, notam-
ment le Havre figure pour 61 mHJions, et
Bordeaux pour 20 millions.
En outre, il y a ies travaux déjà votés
ou qui vont être proposés et qui doivent
être effectués à l'aide d'avances faites à
l'Etat par les chambres de commerce,
avances remboursables en annuités éche-
lonnées sur des périodes de 10, 15 ou 20
ans, à partir de 1887. Le total des annui-
tés à inscrire de ce chef au budget s'élève
à 5,066,382 fr.
Les 130 millions de travaux nouveaux,
précédemment indiqués, doivent être ef-
fectués dans une période de 7 à 8 ans, et
ils seront faits sans avoir recours aux
avances.
De sorte qu'en 1885 le chiffre total des
grands travaux restant à exécuter, tant à
l'aide des ressources directes de l'Etat
qu'à l'aide d'avances faites au Trésor,
s'élèvera à 900 millions.
-0-
Après avoir entendu le ministre des tra-
vaux publics, la commission du budget
a statué sur divers amendements impor-
tants.
Elle a d'abord admis un amendement
de M. Paul Bert, tendant, à désaffecter les
propriétés de l'Etat affectées à des services
ecclésiastiques en dehors des prescriptions
concordataires.
Elle a ensuite écarté un amendement
de M. Paul Bert, tendant à élever, dès
1885, le traitement des instituteurs ; mais
elle a pris en considération, sous réserve
d'une décision définitive, un amendement
de M. Wilson, tendant à consacrer un pre-
mier crédit de 3 millions à l'amélioration
des plus faibles de ces traitements.
Enfin la commission, revenant sur une
décision antérieure, a rétabli les crédits
pour les facultés de théologie protestante
qu'elle avait supprimés, il y a assez long-
temps déjà. Cette détermination a été
prise après l'audition des représentants du
consistoire de l'Eglise réformée.
—o—
Les amendements au projet de la ré-
forme électorale du Sénat commencent à
se produire en assez grand nombre. Nous
avons déjà signalé hier celui de M. Joseph
Fabre. Deux autres ont été déposés hier.
L'un, de M. Roquet, propose de disjoin-
dre la question des inamovibles èt d'en
faire l'objet d'une loi spéciale qui serait
votée ultérieurement, l'urgence n'existant
pas au même degré pour les inamovibles
que pour les sénateurs des départements
qui eux sont soumis au renouvellement
partiel.
D'autre part, M. Corentin-Guyho propose,
comme lo faisait primitivement la com-
mission du Sénat, de supprimer les ina-
movibles par extinction et de rattacher
leurs sièges aux départements, mais en
adoptant un autre mode de répartition. Le
rattachement se ferait d'abord aux séries
sortant le plus prochainement, de ma-
nière à ne pas donner lieu à des élections
partielles dans les autres départements.
Enfin la gauche radicale s'est prononcée
hier pour l'élection du Sénat par le suf-
frage universel. En cas de rejet de cé sys-
tème, la gauche radicale se rabattra sur le
système de l'élection par le suffrage à
deux degrés.
i ijfr» iii
A LA CHAMBRE
Après quatre jours de discussion sur.
levinage, on arrive à un résultat nul.
C'est peut-être moins fàcheux qu'un
vote qui pouvait provoquer des récla-
mations de la part des nations avec
lesquelles nous sommes liés par des
traités de commerce. La Chambre a
donc tout rejeté, amendements, contre-
projets et projet de la commission. Il
reste une page blanche. Un moment,
sur cette page, on a failli écrire la
condamnation des bouilleurs de cru dont
le privilège -injustifiable fait perdre
gros au Trésor. M. Labuze, l'un des
rares sous-secrétaires d'Etat qui sem-
blent prendre leur rôle au sérieux et
r étudier les questions, M. Labuze a fait
cette démonstration avec beaucoup de
force et dans les meilleurs termes.
Mais, comme M. Rouvier, qui n'avait
pas moins bien parlé, il a été battu à
une voix de majorité. La Chambre, sur
cette question, est littéralement coupée
en deux, selon les intérêts régionaux,
ou plutôt selon ce qu'on croit être les
intérêts régionaux.
On a parlé toute la journée de l'inter-
pellation annoncée sur les mandats
fictifs. Le centre gauche paraît vouloir
s'en charger, mais si ce groupe tarde à
se décider,. la question doit être posée
par d'autres.
A. GAULIBR.
«"»■ ■ i m T IÛI m, liim
Au conseil des ministres d'hier matin,
M. Jules Ferry a communiqué à ses col-
lègues une dépêche d'après. laquelle le
général Gordon aurait été fusillé, entre
Khartoum et Berber.
Les télégrammes reçus à Londres, à la
même heure, ne disaient rien de sem-
blable; tout au contraire ils parlaient d'un
engagement, près de Khartoum, dans
lequel le Mahdi aurait eu le dessous. A la
Chambre des communes, le ministère a
été interpellé sur le plus ou moins de
créance que mérite la nouvelle venue de
Paris. La réponse a été que le gouverne-
ment anglais n'avait reçu aucune infor-
mation pareille. « Il est inconcevable,
selon lui, que la nouvelle, si elle était
vraie, ne. fût pas connue par la voie de
Dongola. »
En réalité, on continue à ne rien savoir
de précis.
———————— »
LE COUP DES LUCQUOIS
Connaissez-vous le coup des Lucquois?
Il est simple comme toutes les grandes
choses. La Corse aura dans l'histoire la
gloire de l'avoir inventé. Voici en quoi il
consiste sommairement : La Corse offre
l'anomalie d'un pays où il y a moins
d'hommes que d'électeurs ; ce qui s'ex-
plique par ce motif que les premiers
sont sur le continent, soldats, agents de
police, ou tiennent le mâquis. Mais, ras-
surez-vous, leurs voix ne sont pas perdues
pour cela. En administrateurs intelligents,
les maires, vers le mois d'août, font venir
d'Italie des Lucquois qui commencent par
rentrer les récoltes et qui, le jour du vote,
vont faire office de citoyens français au
lieu et place des Morelli, Savelli, Sebas-
tiani, Pozzo, Pietri, etc., morts, absents ou
empêchés.
L'Amérique n'a pas inventé ce coup,
mais elle lui a donné les proportions qu'ê-
tres et choses acquièrent sous ces cli-
mats.
Que M. Cleveland l'emporlerait dans
l'Etat de New-York, cela ne faisait pas
l'ombre d'un doute. Il était sûr des voix
démocratiques qui contrebalancent les
voix républicaines ; de plus, le 26 octobre,
une belle procession s'était déployée dans
les rues de la grande cité comprenaut,
nous dit un témoin oculaire « 7,889 mar-
chands de nouveautés en gros, 1,480 mem-
bres de la bourse de la marine, 540 agents
de change, 1,560 clercs d'agents, 820 cour-
tiers d'assurances, 315 membres de la
bourse au coton, 630 membres de
la bourse au pétrole et aux mines,
475 membres de la bourse aux vins
et aux alcoools, 845 de la bourse au café,
735 gros bonnetiers, 190 lauréats du"1
collège Columbia, 700 joailliers et or-
fèvres. 480 entrepreneurs », des milliers
de chefs d'industries diverses, bref toutes
les notabilités du commerce, de l'indus-
trie, de la science, tous les bataillons mo-
dérés qui, en 1880, avaient voté pour Gar-
field et allaient en corps, cette fois, offrir
leurs 30,000 voix au gouverneur de New-
York.
r Le jour du vote arrive, et qu'est-eequ'on
apprend ? D'abord que les deux candidats
font dead-heat, puis que M. Blaine l'em-
porte, puis que M. Cleveland est élu, mais
à une imperceptible minorité. Qu'est-ce
qui s'est étonc passé?
*
Le voici. Quinze jours avant l'élection,
un homme de loi à la dévotion du parti
requiert l'inscription, sur les listes électo-
rales de New-York, d'Albany, de tBroock-
lyn, etc., de quelques milliers de lones,
de Smith., de Clarke, que l'administration
n'a garde de lui refuser. Le jour du vote,
des agents républicains vont rartfttsser dans
toutes les villes du Canada qui confinent"
à t Etat de New-York, *les sujets de la reine
Victoria dénués de préjugés et désireux
de faire un petit voyàge gratis tout en
gagnant un ou deux dollars? Des trains
frétés par les compagnies de chemins dé 1
fer amènent dans les bureaux de vote ces
électeurs improvisés, les remmènent, et'
c'est ainsi que l'Etat de New-York apprend-
le lendemain du vote que, tout en aymt;
donné 30j000 voix de majorité aux démo-
crates, il a failli envoyer à la Maison-
Blanche le candidat républicain. -
FRÉDÉRIC MOXrARGIS.
Le ministre de l'agriculture a été en-
tendu hier par la commission de la Cham-
bre chargée d'examiner le projet de loi
relevant les tarifs de douane sur les bes-
tiaux.
C'est particulièrement au sujet de la
question du droit sur les blés que M. Mé-
line a été entendu. On sait que le gouver-
nement n'a pas pris l'initiative de cette
question, mais il s'y déclare aujourd'hui
favorable. \-
M. Méline a dit hier à la commission que
le gouvernement considérait qu'un droit
sur les blés était justifié en principe, tal
le droit existant de 60 centimes n'en est
pas un. L'agriculture se plaint da ce
qu'elle n'est pas protégée comme l'indus-
trie, qui, elle, l'est par des droits de
10 0[0.
Le rèlevement du prix du blé ne sera
pas, suivant M. Méline, aussi grand que
le relèvement du tarif de douanes, mais il
aura un effet réel, et particulièrement un
effet moral. Il faut, en effet, rendre cou-
rage à l'agriculture qui réclame de toutes
parts.
Le ministre a ajouté que le gouverne-'
ment pensait que le droit sur le blé devait
être assez modéré, d'abord pour que le
prix du pain ne soit pas exagéré et ensuite
dans l'intérêt même de l'agriculture. car
s'il était trop élevé, on ne tarderait pas à
en demander la suppression.
Quant à la quotité du droit, le gouverne-
ment ne veut pas se prononcer aujour-
d'hui parce que ce'serait fournir un ali-
ment à la spéculation.
Il ne fera connaître son avis que lors-
qu'on discutera devant la Chambre ; mais
dès aujourd'hui il peut dire qu'un droit de
4 francs par quintal correspondant à 2U 010
serait exagéré.
M. Méline a enfin déclaré que le gou-
vernement appuierait l'établissement d'un
droit sur les farines et les autres céréales.
En réponse à certains membres qui,
comme MM. Duvivier et Raoul Ouvat
prétendaient qu'avec ce système on -amè-
nera les importateurs à renoncer à tout
commerce et qu'on s'exposera à créer lar
disette, le ministre a répondu qu'avec la
rapidité actuelle des transports, une di-
sette serait désormais impossible.
M. Frédéric Passy ayant demandé si le
gouvernement était partisan de l'échelle
mobile, le ministre a répondu que le con-
seil n'avait pas délibéré à ce sujet, mais
que personnellement il y était * opposé ;
quant au droit sur le blé, le gouverne-'
meut ne le considère que comme une
mesure transitoire à laquelle on pourra'
renoncer lorsque l'agriculture nationale
n'en aura plus besoin. s
Questionné sur l'époque à laquelle le'
projet pourrait être discuté, le ministre à
dit que le gouvernement serait à la dispo-'
siLion de la Chambre, qu'il ne voulait au-
cun retard, mais qu'il estimait que l'on'
ne pourrait mettre la question en délibéra-
tion au cours-de la session actuelle.
Feuilleton du RAPPEL
DU 15 NOVEMBRE
122
LE
ROI DES MENDIANTS
DEUXIÈME PARTIE
LA MÈRE
xxxn
Le eoup droit — (Suite)
Inès reprit baleine, puis ajouta :
— Je n'ignore point d'où tout cela vient.
Vous avez, pour une raison quelconque,
peut-être de simple humanité, tout d'abord
recueilli. il y a quelques semaines, un fou
échappé de son cabano:t. un Polonais,
autrefois artiste pei^trej nommé Rolland
Rodzinski. - Je jg sais, depuis le jour où
vous en avez. parlé à mon mari. qui es-
saye, et.- ftlinement, ce que d'autres ont
*enf*<3 avant lui : de rendre la raison à ce
Malheureux. Cet homme, qui connut jadis
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 9 juillet au 1.1 novembre.
ma famille, alors que j'étais encore jeune
fille., était devenu, paraît-il, amoureux
de moi..,. d'ailleurs, sans oscrr me le
dire. J'avais bien remarqué que, de même
qu'à la plupart des jeunes gens qui fré-
quentaient chez nous, je ne lui déplaisais
pas; mais, comme il me laissait parfaite-
ment indifférente, je n'y attachais aucune
importance, me contentant de ne point
l'encourager.
Elle reprit encore haleine.
Cependant elle parlait sans chercher ses
mots, avec une grande netteté, en femme
qui sait parfaitement ce qu'elle doit et ce
qu'elle veut dire, et qui se croit sûre d'a-
voir réponse à tout. ,
- Ce malheureux, poursuivit-elle, avait
Ja tête faible. Probablement, il y a eu
déjà des fous dans sa famille. Vous savez
que la folie est héréditaire. b) passion que
je lui inspirais. était peut-être aussi beau-
coup plus violente que je ne pouvais m'en
douter, puisqu'il ne m'en avait jamais
parlé clairement. Peut-être aussi avait-il
rêvé de demander ma main, un jour, quand
il aurait conquis une situation avec son
pinceau. Quoi qu'il en soit, le germe de
folie qui couvait en lui éclata brusque-
ment, par un accès fiévreux, au moihènt
où il apprit que j'allais me marier. Em-
porté par sa fièvre chaude, il. vint chez
mes parents, où, en proie au délire, il es-
saya de me tuer, çyi&ui 9Ml$i jtyajs
volé son enfant. et que j'étais sa maî-
tresse depuis longtemps. On eut toutes
les peines du monde à m'arracher de ses
mains, à me sauver de sa fureur et à s'em-
parer de lui. Sa folie fut parfaitement
constatée. et on le renferma.
Après une pause, elle reprit :
— Je vois, d'après vos discours, que ce
malheureux n'est point guéri. ne se gué-
rira jamais. C'est un monomane de la
plus dangereuse espèce. Voici vingt ans
qu'il répète la même histoire. sans que
personne y accorde la moindre atten-
tion. Et je suis étonnée, monsieur, qu'un
homme de votre esprit et de votre monde
prènne ou fasse semblant de prendre au
sérieux de pareilles billevisées, de si ridi-
cules divagations.
— Etes-vous bien certaine, madame,
que ce soient de pures divagations, de
simples billevesées?
— Ce point d'interrogation, monsieur,
est une grave insulte envers moi, fit-elle
avec une dignité menaçante. Et je ne sais
trop, ou plutôt je sais fort bien ce qu'en
penserait M. Liébert, mon mari, s'il ap-
prenait la singulière allure que vous pre-
nez avec moi, depuis une heure que j'ai
la patience de vous écouter, quand j'au-
rais dû rompre, au premier mot, cet en-
tretien odieux.
Rochegrise la considérait avec une yé-
ritebje admiration d'amateur.
— Je ne comprends pas le but de votre
conduite. que je ne veux point qualifier,
monsieur. Si j'avais pu supposer que les
discours de cet insensé agissent ainsi sur
votre esprit. j'aurais pris les devants de
cette explication. qui prouve seulement
que ce pauvre malade a recouvré, sans
doute, ia mémoire des noms.
— Et vous ne craignez pas qu'il les dise
à votre mari?
— Non, monsieur. Il y a vingt ans que
ce procès a été jagé et déeidé en ma fa-
veur. Je préférerais, je l'avoue, que mon
mari n'en entendît point parler: car il a
ignoré, jusqu'à présent, cette histoire qui
n'avait aucun intérêt pour lui.
Mme Liébert se leva pour la seconde fois.
— Vous voyez, monsieur, ajouta-t-elle
d'un ton mordant, avec une froide ironie,
que j'y mets de la bonne volonté. J'ai
bien voulu condescendre à une explica-
tion que vous eussiez pu obtenir de moi,
d'une façon beaucoup plus convenable,
mais je suis trop forte et je tiens trop à la
considération de tous, moins pour moi
que pour mon mari, pour n'avoir point
voulu, foulant aux pieds ma fierté et mon
indignation légitimes, répondre catégori-
quement, même à un étranger qui agissait
en ennemi et m'offensait avant de m'avoir
entendue.
Ilochegflse était toujours resté assis.
1 Ce que vous venez de me répondre,
madame, porte tous les caractères de la
vraisemblance ; et, si vuus n'aviez à com-
battre que les affirmations et les plaintes
de Rolland Rodzinski, il n'est pas douteux
que c'est vous que l'un croirait.et que j'au-
rais agi en sot d'y attacher quelque impor-
tance; en malotru d'être venu vous en parler.
- Alors, monsieur?.
- Alors, madame, Rolland n'a point
retrouvé la mémoire des noms. même
dans un éclair de raison.
Mme Liébert tressaillit violemment ;
pour la première fois, depuis le commen-
cement de ce long duel, elle parut atteinte
d'un coup qui entamait sa cuirasse. -
— Je comprends de moins en moins, fit-
elle d'une voix agitée. S'il ne m'a pas nom-
mée, qui a pu vous faire supposer. que c'é-
tait de moi que cet. aliéné voulait parler?
— Ceci, madame.
Le baron tira de son portefeuille le por-
trait tracé par Rolland et le présenta à la
femme du docteur.
Celle-ci le saisit avec une certaine vio-
lence et le considéra un instant, puis elle
eut un sourire rassuré.
— En effet, dit-elle, cela me ressemble.
C'est bien moi, telle que j'étais il y a
vingt ans, avant mon mariage.
Elle rendit le dessin à Rochegrise.
— Je n'ai, comme je vous l'ai dit, au-
cune raison de m'en défendre. Ce mal-
: heureux m'ahstait1..» il est devenu feu..,
qu'y puis--je?. Et pourquoi m'en in-
quièlerais-je? Bien que je ne lui dusse rien,
comme j'avais été, peut-être bien inno-
cemment, le grain de sable où avait tré-
buché sa faible raison, la goutte d'eau qui
avait fait déborder sa démence., je (l'ai
cessé de m'intéresser à lui, dans une cer-
taine mesure. Le sachant sans res sources,'
je payais, à l'insu de tous, sa pension dans
la maison de santé où il était renfermé.
Lorsque je sus qu'il s'était enfui et que
vous l'aviez recueilli, loin de dénoncer sa
retraite, de le faire incarcérer de iiouvêau
de vous faire demander compte par qSî*
de droit de la façon singulière, étrange,'
inexplicable, dont ce fou était arrivé chu
vous et des motifs qui vous faisaient le*
garder, contrairement aux prescriptionS-
de la loi et aux lois de la prudence, car.
c'est un fou dangereux qui a des accès de
fureur, j'ai fermé les yeux, pensant qu'au-
près d'un philanthrope tel que vous, i\
trouverait peut-être un adoucissement à
ses souffrances. que je plains fort., je
vous assure, convaincue qu'avec un homme
du monde, un ami, un ami de mon mar;,
une femme telle que moi n'aurait jamais
à se repentir de sa bonté et de la collabo-«
ration qu'elle accordait, sans s'en vanter,
à la bonne œuvre entreprise par vous.
A, MATEHEY.
t ÇA mvre.)
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.67%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.67%.
- Collections numériques similaires Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "BnPlCo00"
- Auteurs similaires
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7540307n/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7540307n/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7540307n/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7540307n/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7540307n
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7540307n
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7540307n/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest