Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-09-16
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 16 septembre 1886 16 septembre 1886
Description : 1886/09/16 (N6033). 1886/09/16 (N6033).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75400637
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/11/2012
F <6033 — Jeudi 18 Septembre tess
Le numéro s tOe. - Sépavtemenfs t 45 c. 30 Fructidor an 94 -5 N* 6033
ADJmUSTBATION
18, JVUE DE VALOIS, 13
AS ORNEMENTS
TARIS
TrOIS mois 10 n
Sis mois ..20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 1350
Six mois. 27 il
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE *
«àDMUdSTRATETJR GEKANÏ
REDACTION
.s'adres.er av. Seerêtaie cIe la RédacUgz
De 4 à 6 hevres du soir
j8, XOB MJC VALOIS, 18
les manuscrits non insérés ne seront pas tentefl
ANNONCES
3QT. Ch. LAGRANGE, CERF et ce
6, place de la Bourse, 6
L'ESCLAVAGE MONARCHIQUE
Nous n'avons pas été agréable
aux journaux royalistes en assimilant
la monarchie à l'esclavage. Un d'eux,
pour prouver que « l'esclavage monar-
chique est une plaisanterie qui ne peut
plus tromper même les plus naïfs»,
met dans la bouche des républicains ce
raisonnement :
« La liberté est un droit imprescrip-
tible et inaliénable; un homme ne peut
faire à autrui l'abandon de sa personne
ni se constituer l'esclave d'un autre
homme ; un tel contrat serait à la fois
odieux et sans valeur ; ce qu'un
homme ne peut faire, trente millions
d'hommes ne peuvent le faire davan-
tage; trente millions d'hommes ne
peuvent se constituer les esclaves d'un
homme et livrer à une famille la pro-
priété d'eux-mêmes et de leur patrie. »
Il faut que nous soyons plus naïf
que les naïfs, car ce raisonnement nous
semble la justesse même.
La monarchie l'esclavage? se récrie
notre contradicteur. Tout au contraire,
la monarchie est la liberté, et l'escla-
vage, c'est la République 1 La Républi-
que supprime toutes les libertés, à
commencer parla liberté de la presse.
Tiens ! mais ce qu'hier encore les
journaux royalistes reprochaient à la
République, c'était de ne pas gouver-
ner assez, de ne pas mettre ordre aux
excès de parole, de laisser prononcer et
imprimer les appels à l'insurrection,
au massacre et au pillage, de lâcher
sur la société toute la férocité des am-
bitions et des appétits. Et aujourd'hui
ce dont ils l'accusent, c'est de ne pas
donner assez de liberté. Voilà deux
accusations qu'il n'est pas très facile de
mettre d'accord. »
Pour ce qui est de la suppression de
la liberté de la presse par la Répu-
blique, les journaux royalistes ne lisent
donc pas les journaux bonapartistes ?
Ils ne se lbsr.it donc pas eux-mêmes ?
Et c'est la monarchie qui est la
liberté de la presse ? Par exemple la
monarchie-empire. Sous Napoléon-
premier, les propriétaires du Journal des
Débats n'évitaient d'en être volés qu'en
acceptant pour rédaction la valetaille
impériale. Sous Napoléon-dernier, il
fallait aux journaux une autorisation
préalable; les « avertissements », la
censure, la suppression sans procès,
étaient de tous les jours. Nous. en sa-
vons quelque chose, ayant vu deux
fois, au commencement et à la fin de
cet aimable règne, le matin du coup
d'Etat et la veille de Sedan, une troupe
ornée d'un commissaire de police en-
trer chez nous et en expulser rédacteurs
et compositeurs.
La royauté n'a pas été moins libé-
rale que l'empire. La royauté blanche
a, pour un article de journal, condamné
Fontan à tresser des chaussons de li-
sière à Poissy pendant dix ans. La
royauté tricolore, parce que Fieschi
avait tiré sur elle, a infligé aux jour-
naux les lois de septembre.
Voilà pour la liberté de la presse.
Quant aux autres libertés, on les con-
naissait vaguement de nom. Le droit
de réunion, notamment. C'est pour
n'avoir pas accepté qu'on eût le droit
de dîner avec qui l'on voulait que
Louis-Philippe est allé mourir à l'é-
tranger.
On n'est pas esclave en monarchie,
disent les monarchistes, on y est maî-
tre. Le monarque règne, mais c'est la
nation qui gouverne. Est-ce que le roi
ou l'empereur peut rien faire sans un
vote des Chambres ?
Ah! oui, le vote des Chambres mo-
narchiques ! C'était un joli porte-paroles
de la nation, le Corps législatif de l'em-
pire, quand non seulement les députés,
mais les candidats devaient commencer
par prêter serment d'obéissance à l'em-
pereur, C'était une digne représenta-
tion du pays, la Chambre des députés
de Lapis-Philippe, dont j'ai entendu
unmre, aa sortir d'une séance,
s'écrier piteusement : Je ne sais pas ce
qu'ils ne nous feront pas voter 1
Quelle résistance ces Chambres-là
opposaient-elles au bon plaisir du
porte-couronne? Est-ce que Louis-Phi-
lippe s'est contenté de régner? Est-ce
que ce n'est pas l'impératrice qui a
voulu la guerre de 1870 et qui l'a faite
malgré la volonté du pays constatée
dans les rapports de tous les préfets ?
Notre contradicteur nous cite spéciae-
ment « cette Angleterre où, depuis
deux cents ans, la France a constam-
ment cherché l'exemple et le modèle de
toutes les libertés » : est-ce que ce
n'est pas la reine d'Angleterre qui a
soufflé au frère de son gendre préféré
l'idée de s'annexer la Roumélie et qui
par là a valu à l'Angleterre l'humilia-
tion que l'impératrice a value à la
France?
On est si peu esclave en monarchie,
nous dit-on, qu'on n'y est pas même
sujet. Et on nous cite le mot des
« hommes de 1830 qui répondaient à
un ministre du roi Louis-Philippe : Les
hommes qui font des rois ne sont pas
des sujets. » Les hommes de 1830
n'étaient pas sujets quand ils faisaient
un roi, mais ils le devenaient en le
faisant. Dès lors, ils avaient un maître,
auquel et aux enfants duquel ils appar-
tenaient, eux, leurs enfants et les en-
fants de leurs enfants, à perpétuité. Si
ce n'est pas ce que les monarchistes
appellent être sujet, c'est ce que nous
appelons, nous, être esclave.
Notre contradicteur parle de « naï-
veté ». Les vrais naïfs sont ceux qui
espèrent faire croire que la monarchie,
fût-elle votée, serait légitime et que,
dans un pays où l'esclavage est aboli
et où personne ne peut .être proprié-
taire de personne, un homme a le droit
d'être propriétaire d'un peuple.
AUGUSTE VACQUBRIB.
La commission du budget est convo-
quée au palais Bourbon pour aujourd'hui,
à deux heures.
0.
LES CAISSES D'ÉPARGNE SCOLAIRES
C'est en France, en 1834, que fut, dans
une école municipale du Mans, fait le
premier essai de caisse d'épargne sco-
laire. Pendant quarante années, des tenta-
tives du même genre se succédèrent, mais
sans cohésion, partant sans grand succès.
En i874, sept écoles seulement étaient
pourvues de caisses d'épargne. Ce fut
alors qu'un homme dont le nom mérite
d'être conservé, M. de Malarce, conçut le
projet d'organiser cette institution sur la
base d'un système administratif et péda-
gogique bien défini et précis. Il réussit
au delà de ses espérances. Donnons rapi-
dement quelques chiffres. En France, dès
1877, on compte 8,033 caisses d'épargne
scolaires et 143,272 écoliers épargnants;
en 1880 : 14,272 caisses d'épargne et
304,485 écoliers épargnants; en 1883 :
19,433 caisses, 395,867 écoliers; enfin,
en 1886 : 23,980 caisses, 491,160 éco-
liers.
En janvier de l'année où nous sommes,
le total des sommes en dépôt était de onze
millions neuf cent trente-quatre mille
deux cent soixante-huit francs. Cette épar-
gne scolaire représente une économie de
trois sous par semaine. Bien entendu,
l'écolier est toujours libre de demander
un remboursement, soit pour s'acheter
des livres et des vêtements, soit pour ve-
nir en aide à sa .famille, soi t pour son
propre plaisir. Ce qui n'empêche pas
chaque livret de représenter aujourd'hui
une somme de vingt à vingt et un francs.
Mais l'ampleur du chiffre total accapare,
et justement, notre attention. Voici donc
un capital de douze millions créé par des
enfants qui, sur leurs sous de poche, se
sont imposé une retenue de quinze centi-
mes par semaine. N'y a-t-il pas là de quoi
faire réfléchir les rêveurs, les utopistes,
les bâtisseurs de nouveaux ordres sociaux,
parfaitement intentionnés.d'aillenrs, nous
voulons le croire, mais qui commettent
trop souvent cette faute d'aller chercher
bien loin aux grands problèmes une solu-
tion que nous avons sous la main.
Et ce résultat est acquis, disons-le,
sans subvention aucune de l'Etat, sans
nulle ingérence de l'administration. Tout
au plus quelques conseils municipaux ou
généraux accordent-ils chaque année une
médaille spéciale et des diplômes d'h on-
neur aux instituteurs qui se sont, avec le
plus de dévouement et de zèle, fait les
propagateurs des saines idées d'ordre et
d'économie. Il faudrait multiplier ces en-
couragements. L'œuvre est bonne et salu-
taire. Elle répand ses bienfaits en dehors
de l'école. Ce sont — chose curieuse et
bien digne de remarque — les enfants qui
édifient et enseignent leurs pères. De
l'école, les enfants rapportent au foyer de
famille des leçons d'ordre, de sobriété, de
prévoyance dont tous profitent. La caisse
d'épargne scolaire exerce une action mo-
ralisatrice que plusieurs fois les rapports
des inspecteurs d'académie et des inspec-
teurs de l'enseignement provisoire ont
solennellement constatée.
C'est à la France, on ne saurait trop y
insister, que revient l'honneur d'avoir, la
première entre toutes les nations, orga-
nisé un système national de caisses d'é-
pargne scolaires. Les autres pays d'Europe
ont marché dans la voie ouverte. En An-
gleterre, on compte déjà 2,105 écoles mu-
nies de caisses d'épargne; rien qu'à Liver-
pool, il y a 74 caisses et 7,329 écoliers
épargnants; à Birmingham, 68 caisses,
9,000 écoli ers. En Hongrie, depuis 1876,
on a organisé 691 caisses d'épargne sco-
laires, dont 157, qui ont produit leur sta-
tistique en i885, montrent 23,494 écoliers
épargnants avec un total de sommes en
dépôt de 381,185 francs. En Allemagne :
caisses, 717; écoliers, 54,850; sommes on
dépôt, 673,750 francs. En Italie, le nom-
bre des caisses d'épargne scolaires s'est
rapidement élevé à 3,556. Arrêtons ici
l'énumération ; cela suffit pour montrer
que l'exemple donné par la France a été
partout suivi ; et partout, ajoutons-le, le
même effet éducateur et moralisateur sur
les parents a été observé.
Un éminent économiste étranger a ré-
sumé son opinion sur cette question en
disant: - La caisse d'épargne scolaire est
la base et l'initiative de toutes les institu-
tions de prévoyance. — C'est l'exacte
vérité. L'enfant à qui on aura appris ce
que devient le sou mis de côté, placé en
réserve pour plus tard, homme, sera rangé
et économe. Il aura compris la puissance
de l'association ; il ne sera pas rebelle aux
vérités économiques qui, malheureuse-
ment, se heurtent encore dans les masses
populaires à tant de préjugés et d'erreurs.
Il aura contracté ces habitudes de pré-
voyance sans lesquelles il n'y a pas de
prospérité durable ni de progrès réel. Il
sera, enfin, apte à méditer ces graves et
saines paroles que le « bonhomme Ri-
chard », le grand Franklin, adressait aux
populations neuves de l'Amérique et qui,
tombées dans cette terre vierge, y ont
germé, poussé, grandi : — « Si quelqu'un
vous dit qu'on peut s'enrichir autrement
que par le travail et l'économie, ne l'écou-
tez pas; c'est un empoisonneur. »
o ■■ —
Les renseignements abondent aujour-
d'hui sur l'affaire des onze bateaux an-
glais retenus récemment au Havre.
Disons d'abord qu'ils sont relâchés. Ce
n'est pas une dépêche du Havre, c'est une
dépêche de Londres qui nous l'annonce,
car c'est assez l'usage, comme on sait,
que nous soyons renseignés surtout par la
télégraphie étrangère de ce qui se passe
chez nous.
Mais quelque peine que se soit donnée
la diplomatie anglaise pour obtenir ce
résultat, cela n'a pu se faire évidemment
qu'après reconnaissance formelle du droit
que nous avons exercé sur ces bateaux,
droit qui résulte d'une loi formelle. Au
reste, on verra plus loin, par l'extrait que
nous publions d'un incident qui s'est pro-
duit à ce sujet au Parlement anglais, que
la légitimité de l'embargo mis sur les na-
vires en contravention n'a pas été niée.un
instant par le cabinet de Londres.
En même temps que le compte-rendu
télégraphique de la séance de la Chambre
des communes, nous publions sur cette
même question des renseignements com-
plémentaires qui nous sont transmis par
le journal le Havre.
■■ ♦
La régence bulgare fait en ce moment
des démarches pour obtenir d'être recon-
nue par les grandes puissances. On avait
dit d'abord que la Russie soulevait cer-
taines objections à cette reconnaissance ;
qu'elle arguait notamment du mode, sui-
vant elle irrégulier, de la nomination des
régents. Elle réclamait, assurait-on, l'é-
lection des régents par la grande Assem-
blée. Ces nouvelles pessimistes ne se sont
pas confirmées. Et reconnaissons d'ail-
leurs que la cour de Saint-Pétersbourg
eût été bien mal avisée de se placer
sur ce terrain. Ses objections, en eflet,
l'eùssent amenée à réclamar d'abord des
élections immédiates pour constituer la
grande Assemblée, et, dans la situation du
pays, rien ne prouve que la constituante
élue aussitôt après le départ du prince de
Battemberg,eût nommé des régents agréa-
bles à la Russie. Le mieux pour elle est
de se contenter de ceux qui existent.
Nous publions plus loin une très lon-
gue et très intéressante dépêche de Sofia,
qui donne justement sur l'état d'esprit de
la population bulgare des renseignements
puisés à bonne source. Cette dépêche con-
firme ce que nous disions hier, à savoir
que la Russie a intérêt à ce que les élec-
tions de l'Assemblée chargée d'élire le
nouveau prince soient retardées le plus
possible.
bur le désir exprimé par le marquis de
Tseng, l'ambassade chinoise en France
nous prie de déclarer que, pendant son
court séjour à Paris, l'ancien ministre à
Londres n'a reçu aucun journaliste et que
les deux articles qui lui prêtent des ap-
préciations sur les hommes d'Etat de
France sont apocryphes.
Le Journal ofifciel publiera aujourd'hui
un décret convoquant pour le 3 octobre
les électeurs du cinquième canton de
Lyon, à l'effet d'élire un conseiller gé-
néral en remplacement de M. Bousquet,
décédé.
Des élections au conseil d'arrondisse-
ment auront lieu le môme jour dans le
canton de Faou (Finistère), dans les can-
tons de Chatillon, Egusson, Saint-Benoît
(Indre), dans le canton de Belleville
(Rhône), et dans le troisième canton de
Lyon.
—————— ————.,
PAUL SOLEILLET
Quand on compare une carte actuelle
de l'Afrique avec une carte d'il y a vingt
ans, quand on songe que le continent que
l'on a appelé si justement le continent
mystérieux est en train de nous devenir
aussi familier que l'Europe ou l'Améri-
que, on se sent pris de reconnaissance à
l'égard de ces audacieux pionniers de la
civilisation qui, au péril de leur vie, sont
allés ouvrir de nouvelles voies au com-
merce et trouver pour la science de nou-
veaux objets. Parmi eux Paul Soleillet
brillait au premier rang.
Cameron, Schweinfurt, Serza Pinto ont
abordé l'Afrique par le sud; Speker, Ba-
ker, Livingstone par l'est; Stanley a fait la
traversée de l'orient à l'occident; Brazza
a porté son activité au Congo. Le princi-
pal objectif de Paul Soleillet a été le
Soudan.
Deux voyageurs l'avaient précédé dans
cette voie. L'un, l'anglais Laing, a fait un
voyage dont les résultats ont été à peu
près nuls pour la science ; l'autre, l'alle-
mand Gérard Rolhfs, s'est efforcé surtout
de battre en brèche l'influence française.
L'idée de Soleillet était la suivante : tes
caravanes parties du Soudan et arrivées à
à In-Çalahont le choix entre trois routes.
La première va au Maroc par Tafilafit, la
seconde dans la régence de Tripoli par
Ghadamès, la troisième en Algérie par
Goléah et Tougourt. Il s'agirait de détour-
ner tout ce trafic vers un port méditerra-
néen, et pour cela mettre la main sur
In-Çalah. Les Touaregs savent bien que,
du jour où nous serons les maîtres de ces
contrées, leurs rapines prendront fin.
Aussi font-ils tout au monde pour écarter
les voyageurs. Ils ont massacré Mlle Tinne,
l'intrépide Hol!andaise, le colonel Flat-
ters et sa mission, le lieutenant Palat,
Mais rien ne pouvait décourager Soleillet.
Le succès de son premier voyage excitait
son courage. Après avoir attaqué le Sou-
dan par le nord, il voulait l'attaquer par
l'ouest. Il méditait un voyage du Sénégal
en Algérie en passant par Tombouctou et
ne renonça à son projet que devant l'hos-
tilité des autorités françaises, soucieuses
avant tout, comme toutes les autorités
possibles, de ne pas s'attirer de désagré-
ments. Il se rabattit alors sur le pays de
Choa, pafrie du café, gagna l'amitié dU
roi Ménélik et marcha sur les traces de
Nachtigal, après avoir refait le voyage de
Rolhfs.
De telles expéditions ne vont passant
d'énormes dangers et fatigues. Le nom de
Soleillet est à ajouter au martyrologe du
patriotisme et de la science. Il est mort
de l'Afrique, on peut le dire, de son cli-
mat, de son soleil, mais son nom restera
comme celui des Duveyrier, des Revoil, -
des Brazza et autres explorateurs afri-
cains.
FBÉDÉRIC MONTARGIS.
LES ON-DIT
Si les jours sont beaux, nous avons des
nuits encore plus belles.
Les amants de la lune l'ont rarement
vue parcourir un ciel plus enchanté. Elle
était hier dans toute sa splendeur. C'était
la pleine. Un nimbe bleuâtre enveloppait
les arbres des jardins où les statues de
marbre mettaient leurs blancheurs. On
entendait la rosée tomber goutte à goutte
de feuille en feuille. C'est à faire revenir
les rossignols.
.,
S 55?
Le musée du Luxembourg, fermé de-
puis quinze jours, rouvrira ses portes de-
main jeudi.
Il y fera chaud.
»
00
Les remaniements pour la réinstalla.
tion des principales salles de l'école fran-
çaise au Louvre ont fait exhumer un cer-
tain nombre de toiles remisées depuis de
longues années dans des passages ou
réduits tout à fait inconnus du public et
qui existent dans l'épaisseur des murs du
vieux Louvre. Les portes de ces véritables
cachettes sont tellement bien dissimulées,
soit au milieu des boiseries, soit dans les
angles des salles, que c'est en vain que les
visiteurs en chercheraient la -moindre
trace. Les cachettes dont nous parlons
n'existent pas moins; on peut même y
accéder du rez-de-chaussée en passant
par des escaliers construits eux-mêmes
dans l'épaisseur des murs. Ce fut dans ces
réduits ignorés dont on ferma les issues
au moyen d'ouvrages en maçonnerie, de
façon à ne plus les reconnaître, que la
plupart des trésors artistiques des musées
du Louvre furent déposés, en 1871, quand
l'ennemi s'avança sur Paris.
48*
SS «
Le petit-fils du sculpteur Pradier vient
de mourir à Paris, des suites d'une ma-
ladie de poitrine. Cet enfant — il avait à
peine quinze ans — laisse des esquisses,
des dessins, des aquarelles où s'accusaient
les promesses d'un réel talent.
a 44 OF
La session du grand convent maçonni-
que s'est ouverte hier matin, à onze
heures, dans le temple de la rue Cadet.
De nombreux délégués de loges étaient
présents.
La session durera nuit jours.
ç
8 t"
On vient de commencer à l'Hôtel da
Ville les travaux d'établissement du sys-
tème d éclairage dans les nouveaux sa»
Ions. Seule, la salle Saint-Jean sera éclai-
rée au gaz.
L'éclairage électrique, admis pour les
salons de réception, est conçu de façon à
produire une intensité qui ne soit, en
aucun point, inférieure à celle que l'œil
peut supporter sans fatigue, soit une
lampe carcel à lm50 de ditance, dirigée et
distribuée de telle sorte que tout l'espace
soit illuminé. Pour remplir ces condi-
tions, l'ensemble comportera 2,000 lam-
pes Edison de 17 candles, égales à 1 car-
cel 77.
Feuilleton du RAPPEL
DU i6 SEPTEMBRE
64
LA
COMTE DU PARADIS
c >
XXIV
L'Etadva Djalika. — (Suite)
Bussy s'était exprimé d'une voix forte
eontrastant avec l'expression émue et ten-
dre de tout à l'heure ; un froncement de
sourcil avait changé aussi l'air de son
visage devenu volontaire et impérieux; la
reine le revoyait maintenant tel qu'il lui
était apparu la première fois pour l'arra-
cher à la mort; mais de nouveau un nnage
de poudre s'éleva, et, quand il se fut dis-
sipé en parfumant l'air, la vision s'était
dfacée.
- Le charme est rompu, dit Sala-
Reproduction interdite.
Voir le Rapftl du 12 juillet au 15 septembre.
Nanda en se rapprochant. Vous pouvez
sortir du cercle magique.
— Ah! mon père 1 s'écria la reine,
j'étouffe de honte et d'indignation; pour
t'obéir, j'ai écouté ces horribles discours,
je me suis laissée outrager sans laisser
éclater ma colère. Mais que vais-je deve-
nir maintenant? mon malheur est sans
remède.
— Comment, ma fille, dit le fakir, tu
n'es pas touchée de la douceur et de l'ab-
négation de cet homme? Il m'a paru à
moi comme un lion affamé qui se laisse
émouvoir par les pleurs d'une gazelle et
la laisse échapper.
— Quoil tu me conseillerais de lui ac-
corder ce qu'il demande?
— Sois heureuse qu'il attache tant de
prix à si peu de chose.
- Mais je ne m'appartiens pas, mon
fiancé aurait droit de me reprocher une
pareille fa ite.
— Dérober un baiser à celui qui parta-
gera son amour entre toi et les deux cents
femmes de son harem, me semble un
crime assez léger. Réfléchis cependant, ma
fille ; consulte ton guide ordinaire, le
saint vizir Panch-Anan, et ce que tu auras
décidé, fais-le savoir au jeune étranger;
tes assassins ont su le trouver; tu sauras
lui faire parvenir ta réponse. J'ai fait ce
que je pouvais pour toi. Je te laisse 'libre
à présent d'achever Foeuvre comme tu
l'entendras.
— Merci, saint gourou, dit-elle; je suis
pénétrée pour toi de gratitude ; je suivrai
ton conseil en prenant l'avis de Panch-
Anan. Je t'en prie, reconduis-nous jus-
qu'à ma tente, je suis brisée, et la nuit
est pleine d'épouvante.
Quand elle fut étendue sur les cous-
sins, débarrassée de ses parures, que les
servantes se furent retirées et qu'on eut
placé les gardes autour de la tente, à l'é-
clat voilé des lampes, la reine, se soule-
vant sur un coude, regarda Lila qui n'avait
pas dit un mot et se tenait accroupie
sur un genou, les regards rivés au sol.
— Eh bien, princesse, qu'as-tu donc ?
dit-elle, après l'avoir considérée un ins-
tant avec surprise, est-ce que le brahmane,
en te commandant le silence, t'a ravi pour
jamais la faculté de parler?
Mais Lila tourna vers la reine un regard
trouble qui semblait ne pas voir et ne
répondit rien.
— Que se passe-t-il donc en toi? Eil-tu
malade ? Je te trouve toute changée.
Et Ourvaci, inquiète, se leva vivement
et courut à son amie, qu'elle entoura de
ses bras.
- Je ne me trompais pas, tes yeux
sont pleins de larmes; qu'as-tu donc
enfin? Est-ce la terreur que t'a fait éprou-
ver cette scène magique qui te met dans
cet état?
— Ce que j'ai, dit Lila en secouant ses
larmes ; ce que j'ai, j'ose à peine te le
dire. C'est que je suis perdue à jamais !
Je demandais tout à l'heure à quels signes
on reconnaît l'amour. Je le sais mainte-
nant.
— Que veux-tu dire ? Deviens-tu folle ?
s'écria la reine en se relevant vivement.
La princesse cacha son visage dans ses
mains et courba la tête, les épaules se-
couées par des sanglots. Ourvaci laissait
tomber sur elle un regard dur qui finit
par s'amollir, cependant, devant cet orage
de larmes. Elle s'agenouilla près de Lila
et lui prit les mains.
— Voyons, dit-elle, j'ai mal entendu, tu
n'as pas voulu dire que tu es amcureuse
du barbare.
— C'est cela que je suis forcée d'avouer,
s'écria-t-elle d'une voix entrecoupée. Ah!
pourquoi ai-je voulu le voir? Je suis mor-
tellement punie de ma vaine curiosité.
— Il m'est impossible de croire à un
pareil malheur, dit la reine après un si-
lence ; comment se pourrait-il qu'en un
instant un être que tout désigne à ton
mépris t'ait fait perdre l'esprit à ce point?
moins qu'un être, même une ombre !
— Il faut le temps d'un éclair à la
foudre pour vous réduire en cendres et l'on
ne peut rien pour l'éviter.
— Laisse-moi m'imaginer que tu t'a-
buses, que tes nerfs surexcités te font
croire à l'apparence d'une folie passagère
que tu oublieras demain.
— Que ne donnerais-je pas pour ou-
blier, car mon malheur est complet, puis-
que je n'ai aucun espoir d'être aimée et
que c'est toi qu'il adore!
— Qu'oses-tu dire, Lila? Si vraiment un
pareil amour, pire que la peste et que la
lèpre, était en toi, au lieu de le cacher et
de l'étouffer dans ton cœur, tu proclame-
rais ta honte?
— Je n'éprouve pas de honte à aimer
un homme qui m'a paru plus aimable
qu'aucun que j'aie vu jamais. Si je croyais
son cœur libre, j'irais vers ce mortel aussi
beau que Rama-Tchandra et je lui dirais :
J'ai des jardins et des palais embaumés,
des éléphants et des esclaves nombreux,
des pierreries et des étoffes précieuses;
si ma personne plait à tes regards, prends-
moi pour ta femme ou comme ta ser-
vante. - Oh 1 non, je n'ai pas de honte, je
n'ai que de la douleur.
- Hélisl dit la reine, ce magicien a
jeté un charme sur toi, et c'est ma faute;
dans mon trouble, j'ai oublié de lui offrir
un présent.
— Le seul magicien c'est Kaura-Deva,
dit la jeune princesse, il ne faut accuser
nul autre que lui.
— Si je n'avais vu tes larmes, je croi-
rais que tu te moques. Comment veux-tu
que je puisse croire que toi, une brahmine
comme moi-même, tu songes, sans hor-
reur, à t'allier à un tchandala, moins que
cela encore, qui te ferait perdre ta caste
et te mettrait au dernier rang des êtres.
— Tu le sais, j'étais une des élèves pré-
férées du saint pandit Raynoldas, et beau-
coup de mes erreurs se sont fondues à la
chaleur de sa parole ; il m'a fait com-
prendre que la noblesse du cœur et de
l'esprit est plus précieuse que celle que
donne la naissance, et j'ai reconnu avec
lui qu'un soudras qui porte sous son
front l'intelligence, vaut mieux qu'un
brahmane stupide et avide de richesses.
— Vraiment, ce Raynoldas infestait ma
cour de ses idées sacrilèges, s'écria la
reine avec colère, et je suis bien aise
qu'il l'ait quittée. Si je n'avais pas pour
toi une affection de sœur qui m'entraîne
à une faiblesse coupable, après ce que je
viens d'apprendre, je ne pourrais pas te
garder près de moi; mais j'entends qu'il
ne soit plus parlé de cette démence.
— Si tu ne m'avais pas interrogée, tu
n'aurais jamais su mon secret, dit Lila;
mais tu n'en verras plus rien, il me con-
sumera en silence comme un incendie
qui couve dans un palais, sans rien trahir
à l'extérieur. Mais viens te reposer enfin,
je suis vraiment criminelle de te priver
de sommeil quand tu tombes de lassitude.
Elle reconduisit la reine à son lit moel-
leux et, pour l'endormir, lui caressa la
plante des pieds avec une plume de fran-
colin.
Les beaux yeux d'Ourvacise fermèrent;
bientôt le sourcil irrité se détendit, et un
souffle calme et léger entr'ouvrit ses lè-
vres. Alors Lila, avant de refermer la
moustiquaire de gaze, avec un sourire
étrange, attacha sur la reine endormie
un long regard plein de malice et de
finesse.
JUDITH GAUTIER*
(A suivre.)
Le numéro s tOe. - Sépavtemenfs t 45 c. 30 Fructidor an 94 -5 N* 6033
ADJmUSTBATION
18, JVUE DE VALOIS, 13
AS ORNEMENTS
TARIS
TrOIS mois 10 n
Sis mois ..20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 1350
Six mois. 27 il
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE *
«àDMUdSTRATETJR GEKANÏ
REDACTION
.s'adres.er av. Seerêtaie cIe la RédacUgz
De 4 à 6 hevres du soir
j8, XOB MJC VALOIS, 18
les manuscrits non insérés ne seront pas tentefl
ANNONCES
3QT. Ch. LAGRANGE, CERF et ce
6, place de la Bourse, 6
L'ESCLAVAGE MONARCHIQUE
Nous n'avons pas été agréable
aux journaux royalistes en assimilant
la monarchie à l'esclavage. Un d'eux,
pour prouver que « l'esclavage monar-
chique est une plaisanterie qui ne peut
plus tromper même les plus naïfs»,
met dans la bouche des républicains ce
raisonnement :
« La liberté est un droit imprescrip-
tible et inaliénable; un homme ne peut
faire à autrui l'abandon de sa personne
ni se constituer l'esclave d'un autre
homme ; un tel contrat serait à la fois
odieux et sans valeur ; ce qu'un
homme ne peut faire, trente millions
d'hommes ne peuvent le faire davan-
tage; trente millions d'hommes ne
peuvent se constituer les esclaves d'un
homme et livrer à une famille la pro-
priété d'eux-mêmes et de leur patrie. »
Il faut que nous soyons plus naïf
que les naïfs, car ce raisonnement nous
semble la justesse même.
La monarchie l'esclavage? se récrie
notre contradicteur. Tout au contraire,
la monarchie est la liberté, et l'escla-
vage, c'est la République 1 La Républi-
que supprime toutes les libertés, à
commencer parla liberté de la presse.
Tiens ! mais ce qu'hier encore les
journaux royalistes reprochaient à la
République, c'était de ne pas gouver-
ner assez, de ne pas mettre ordre aux
excès de parole, de laisser prononcer et
imprimer les appels à l'insurrection,
au massacre et au pillage, de lâcher
sur la société toute la férocité des am-
bitions et des appétits. Et aujourd'hui
ce dont ils l'accusent, c'est de ne pas
donner assez de liberté. Voilà deux
accusations qu'il n'est pas très facile de
mettre d'accord. »
Pour ce qui est de la suppression de
la liberté de la presse par la Répu-
blique, les journaux royalistes ne lisent
donc pas les journaux bonapartistes ?
Ils ne se lbsr.it donc pas eux-mêmes ?
Et c'est la monarchie qui est la
liberté de la presse ? Par exemple la
monarchie-empire. Sous Napoléon-
premier, les propriétaires du Journal des
Débats n'évitaient d'en être volés qu'en
acceptant pour rédaction la valetaille
impériale. Sous Napoléon-dernier, il
fallait aux journaux une autorisation
préalable; les « avertissements », la
censure, la suppression sans procès,
étaient de tous les jours. Nous. en sa-
vons quelque chose, ayant vu deux
fois, au commencement et à la fin de
cet aimable règne, le matin du coup
d'Etat et la veille de Sedan, une troupe
ornée d'un commissaire de police en-
trer chez nous et en expulser rédacteurs
et compositeurs.
La royauté n'a pas été moins libé-
rale que l'empire. La royauté blanche
a, pour un article de journal, condamné
Fontan à tresser des chaussons de li-
sière à Poissy pendant dix ans. La
royauté tricolore, parce que Fieschi
avait tiré sur elle, a infligé aux jour-
naux les lois de septembre.
Voilà pour la liberté de la presse.
Quant aux autres libertés, on les con-
naissait vaguement de nom. Le droit
de réunion, notamment. C'est pour
n'avoir pas accepté qu'on eût le droit
de dîner avec qui l'on voulait que
Louis-Philippe est allé mourir à l'é-
tranger.
On n'est pas esclave en monarchie,
disent les monarchistes, on y est maî-
tre. Le monarque règne, mais c'est la
nation qui gouverne. Est-ce que le roi
ou l'empereur peut rien faire sans un
vote des Chambres ?
Ah! oui, le vote des Chambres mo-
narchiques ! C'était un joli porte-paroles
de la nation, le Corps législatif de l'em-
pire, quand non seulement les députés,
mais les candidats devaient commencer
par prêter serment d'obéissance à l'em-
pereur, C'était une digne représenta-
tion du pays, la Chambre des députés
de Lapis-Philippe, dont j'ai entendu
unmre, aa sortir d'une séance,
s'écrier piteusement : Je ne sais pas ce
qu'ils ne nous feront pas voter 1
Quelle résistance ces Chambres-là
opposaient-elles au bon plaisir du
porte-couronne? Est-ce que Louis-Phi-
lippe s'est contenté de régner? Est-ce
que ce n'est pas l'impératrice qui a
voulu la guerre de 1870 et qui l'a faite
malgré la volonté du pays constatée
dans les rapports de tous les préfets ?
Notre contradicteur nous cite spéciae-
ment « cette Angleterre où, depuis
deux cents ans, la France a constam-
ment cherché l'exemple et le modèle de
toutes les libertés » : est-ce que ce
n'est pas la reine d'Angleterre qui a
soufflé au frère de son gendre préféré
l'idée de s'annexer la Roumélie et qui
par là a valu à l'Angleterre l'humilia-
tion que l'impératrice a value à la
France?
On est si peu esclave en monarchie,
nous dit-on, qu'on n'y est pas même
sujet. Et on nous cite le mot des
« hommes de 1830 qui répondaient à
un ministre du roi Louis-Philippe : Les
hommes qui font des rois ne sont pas
des sujets. » Les hommes de 1830
n'étaient pas sujets quand ils faisaient
un roi, mais ils le devenaient en le
faisant. Dès lors, ils avaient un maître,
auquel et aux enfants duquel ils appar-
tenaient, eux, leurs enfants et les en-
fants de leurs enfants, à perpétuité. Si
ce n'est pas ce que les monarchistes
appellent être sujet, c'est ce que nous
appelons, nous, être esclave.
Notre contradicteur parle de « naï-
veté ». Les vrais naïfs sont ceux qui
espèrent faire croire que la monarchie,
fût-elle votée, serait légitime et que,
dans un pays où l'esclavage est aboli
et où personne ne peut .être proprié-
taire de personne, un homme a le droit
d'être propriétaire d'un peuple.
AUGUSTE VACQUBRIB.
La commission du budget est convo-
quée au palais Bourbon pour aujourd'hui,
à deux heures.
0.
LES CAISSES D'ÉPARGNE SCOLAIRES
C'est en France, en 1834, que fut, dans
une école municipale du Mans, fait le
premier essai de caisse d'épargne sco-
laire. Pendant quarante années, des tenta-
tives du même genre se succédèrent, mais
sans cohésion, partant sans grand succès.
En i874, sept écoles seulement étaient
pourvues de caisses d'épargne. Ce fut
alors qu'un homme dont le nom mérite
d'être conservé, M. de Malarce, conçut le
projet d'organiser cette institution sur la
base d'un système administratif et péda-
gogique bien défini et précis. Il réussit
au delà de ses espérances. Donnons rapi-
dement quelques chiffres. En France, dès
1877, on compte 8,033 caisses d'épargne
scolaires et 143,272 écoliers épargnants;
en 1880 : 14,272 caisses d'épargne et
304,485 écoliers épargnants; en 1883 :
19,433 caisses, 395,867 écoliers; enfin,
en 1886 : 23,980 caisses, 491,160 éco-
liers.
En janvier de l'année où nous sommes,
le total des sommes en dépôt était de onze
millions neuf cent trente-quatre mille
deux cent soixante-huit francs. Cette épar-
gne scolaire représente une économie de
trois sous par semaine. Bien entendu,
l'écolier est toujours libre de demander
un remboursement, soit pour s'acheter
des livres et des vêtements, soit pour ve-
nir en aide à sa .famille, soi t pour son
propre plaisir. Ce qui n'empêche pas
chaque livret de représenter aujourd'hui
une somme de vingt à vingt et un francs.
Mais l'ampleur du chiffre total accapare,
et justement, notre attention. Voici donc
un capital de douze millions créé par des
enfants qui, sur leurs sous de poche, se
sont imposé une retenue de quinze centi-
mes par semaine. N'y a-t-il pas là de quoi
faire réfléchir les rêveurs, les utopistes,
les bâtisseurs de nouveaux ordres sociaux,
parfaitement intentionnés.d'aillenrs, nous
voulons le croire, mais qui commettent
trop souvent cette faute d'aller chercher
bien loin aux grands problèmes une solu-
tion que nous avons sous la main.
Et ce résultat est acquis, disons-le,
sans subvention aucune de l'Etat, sans
nulle ingérence de l'administration. Tout
au plus quelques conseils municipaux ou
généraux accordent-ils chaque année une
médaille spéciale et des diplômes d'h on-
neur aux instituteurs qui se sont, avec le
plus de dévouement et de zèle, fait les
propagateurs des saines idées d'ordre et
d'économie. Il faudrait multiplier ces en-
couragements. L'œuvre est bonne et salu-
taire. Elle répand ses bienfaits en dehors
de l'école. Ce sont — chose curieuse et
bien digne de remarque — les enfants qui
édifient et enseignent leurs pères. De
l'école, les enfants rapportent au foyer de
famille des leçons d'ordre, de sobriété, de
prévoyance dont tous profitent. La caisse
d'épargne scolaire exerce une action mo-
ralisatrice que plusieurs fois les rapports
des inspecteurs d'académie et des inspec-
teurs de l'enseignement provisoire ont
solennellement constatée.
C'est à la France, on ne saurait trop y
insister, que revient l'honneur d'avoir, la
première entre toutes les nations, orga-
nisé un système national de caisses d'é-
pargne scolaires. Les autres pays d'Europe
ont marché dans la voie ouverte. En An-
gleterre, on compte déjà 2,105 écoles mu-
nies de caisses d'épargne; rien qu'à Liver-
pool, il y a 74 caisses et 7,329 écoliers
épargnants; à Birmingham, 68 caisses,
9,000 écoli ers. En Hongrie, depuis 1876,
on a organisé 691 caisses d'épargne sco-
laires, dont 157, qui ont produit leur sta-
tistique en i885, montrent 23,494 écoliers
épargnants avec un total de sommes en
dépôt de 381,185 francs. En Allemagne :
caisses, 717; écoliers, 54,850; sommes on
dépôt, 673,750 francs. En Italie, le nom-
bre des caisses d'épargne scolaires s'est
rapidement élevé à 3,556. Arrêtons ici
l'énumération ; cela suffit pour montrer
que l'exemple donné par la France a été
partout suivi ; et partout, ajoutons-le, le
même effet éducateur et moralisateur sur
les parents a été observé.
Un éminent économiste étranger a ré-
sumé son opinion sur cette question en
disant: - La caisse d'épargne scolaire est
la base et l'initiative de toutes les institu-
tions de prévoyance. — C'est l'exacte
vérité. L'enfant à qui on aura appris ce
que devient le sou mis de côté, placé en
réserve pour plus tard, homme, sera rangé
et économe. Il aura compris la puissance
de l'association ; il ne sera pas rebelle aux
vérités économiques qui, malheureuse-
ment, se heurtent encore dans les masses
populaires à tant de préjugés et d'erreurs.
Il aura contracté ces habitudes de pré-
voyance sans lesquelles il n'y a pas de
prospérité durable ni de progrès réel. Il
sera, enfin, apte à méditer ces graves et
saines paroles que le « bonhomme Ri-
chard », le grand Franklin, adressait aux
populations neuves de l'Amérique et qui,
tombées dans cette terre vierge, y ont
germé, poussé, grandi : — « Si quelqu'un
vous dit qu'on peut s'enrichir autrement
que par le travail et l'économie, ne l'écou-
tez pas; c'est un empoisonneur. »
o ■■ —
Les renseignements abondent aujour-
d'hui sur l'affaire des onze bateaux an-
glais retenus récemment au Havre.
Disons d'abord qu'ils sont relâchés. Ce
n'est pas une dépêche du Havre, c'est une
dépêche de Londres qui nous l'annonce,
car c'est assez l'usage, comme on sait,
que nous soyons renseignés surtout par la
télégraphie étrangère de ce qui se passe
chez nous.
Mais quelque peine que se soit donnée
la diplomatie anglaise pour obtenir ce
résultat, cela n'a pu se faire évidemment
qu'après reconnaissance formelle du droit
que nous avons exercé sur ces bateaux,
droit qui résulte d'une loi formelle. Au
reste, on verra plus loin, par l'extrait que
nous publions d'un incident qui s'est pro-
duit à ce sujet au Parlement anglais, que
la légitimité de l'embargo mis sur les na-
vires en contravention n'a pas été niée.un
instant par le cabinet de Londres.
En même temps que le compte-rendu
télégraphique de la séance de la Chambre
des communes, nous publions sur cette
même question des renseignements com-
plémentaires qui nous sont transmis par
le journal le Havre.
■■ ♦
La régence bulgare fait en ce moment
des démarches pour obtenir d'être recon-
nue par les grandes puissances. On avait
dit d'abord que la Russie soulevait cer-
taines objections à cette reconnaissance ;
qu'elle arguait notamment du mode, sui-
vant elle irrégulier, de la nomination des
régents. Elle réclamait, assurait-on, l'é-
lection des régents par la grande Assem-
blée. Ces nouvelles pessimistes ne se sont
pas confirmées. Et reconnaissons d'ail-
leurs que la cour de Saint-Pétersbourg
eût été bien mal avisée de se placer
sur ce terrain. Ses objections, en eflet,
l'eùssent amenée à réclamar d'abord des
élections immédiates pour constituer la
grande Assemblée, et, dans la situation du
pays, rien ne prouve que la constituante
élue aussitôt après le départ du prince de
Battemberg,eût nommé des régents agréa-
bles à la Russie. Le mieux pour elle est
de se contenter de ceux qui existent.
Nous publions plus loin une très lon-
gue et très intéressante dépêche de Sofia,
qui donne justement sur l'état d'esprit de
la population bulgare des renseignements
puisés à bonne source. Cette dépêche con-
firme ce que nous disions hier, à savoir
que la Russie a intérêt à ce que les élec-
tions de l'Assemblée chargée d'élire le
nouveau prince soient retardées le plus
possible.
bur le désir exprimé par le marquis de
Tseng, l'ambassade chinoise en France
nous prie de déclarer que, pendant son
court séjour à Paris, l'ancien ministre à
Londres n'a reçu aucun journaliste et que
les deux articles qui lui prêtent des ap-
préciations sur les hommes d'Etat de
France sont apocryphes.
Le Journal ofifciel publiera aujourd'hui
un décret convoquant pour le 3 octobre
les électeurs du cinquième canton de
Lyon, à l'effet d'élire un conseiller gé-
néral en remplacement de M. Bousquet,
décédé.
Des élections au conseil d'arrondisse-
ment auront lieu le môme jour dans le
canton de Faou (Finistère), dans les can-
tons de Chatillon, Egusson, Saint-Benoît
(Indre), dans le canton de Belleville
(Rhône), et dans le troisième canton de
Lyon.
—————— ————.,
PAUL SOLEILLET
Quand on compare une carte actuelle
de l'Afrique avec une carte d'il y a vingt
ans, quand on songe que le continent que
l'on a appelé si justement le continent
mystérieux est en train de nous devenir
aussi familier que l'Europe ou l'Améri-
que, on se sent pris de reconnaissance à
l'égard de ces audacieux pionniers de la
civilisation qui, au péril de leur vie, sont
allés ouvrir de nouvelles voies au com-
merce et trouver pour la science de nou-
veaux objets. Parmi eux Paul Soleillet
brillait au premier rang.
Cameron, Schweinfurt, Serza Pinto ont
abordé l'Afrique par le sud; Speker, Ba-
ker, Livingstone par l'est; Stanley a fait la
traversée de l'orient à l'occident; Brazza
a porté son activité au Congo. Le princi-
pal objectif de Paul Soleillet a été le
Soudan.
Deux voyageurs l'avaient précédé dans
cette voie. L'un, l'anglais Laing, a fait un
voyage dont les résultats ont été à peu
près nuls pour la science ; l'autre, l'alle-
mand Gérard Rolhfs, s'est efforcé surtout
de battre en brèche l'influence française.
L'idée de Soleillet était la suivante : tes
caravanes parties du Soudan et arrivées à
à In-Çalahont le choix entre trois routes.
La première va au Maroc par Tafilafit, la
seconde dans la régence de Tripoli par
Ghadamès, la troisième en Algérie par
Goléah et Tougourt. Il s'agirait de détour-
ner tout ce trafic vers un port méditerra-
néen, et pour cela mettre la main sur
In-Çalah. Les Touaregs savent bien que,
du jour où nous serons les maîtres de ces
contrées, leurs rapines prendront fin.
Aussi font-ils tout au monde pour écarter
les voyageurs. Ils ont massacré Mlle Tinne,
l'intrépide Hol!andaise, le colonel Flat-
ters et sa mission, le lieutenant Palat,
Mais rien ne pouvait décourager Soleillet.
Le succès de son premier voyage excitait
son courage. Après avoir attaqué le Sou-
dan par le nord, il voulait l'attaquer par
l'ouest. Il méditait un voyage du Sénégal
en Algérie en passant par Tombouctou et
ne renonça à son projet que devant l'hos-
tilité des autorités françaises, soucieuses
avant tout, comme toutes les autorités
possibles, de ne pas s'attirer de désagré-
ments. Il se rabattit alors sur le pays de
Choa, pafrie du café, gagna l'amitié dU
roi Ménélik et marcha sur les traces de
Nachtigal, après avoir refait le voyage de
Rolhfs.
De telles expéditions ne vont passant
d'énormes dangers et fatigues. Le nom de
Soleillet est à ajouter au martyrologe du
patriotisme et de la science. Il est mort
de l'Afrique, on peut le dire, de son cli-
mat, de son soleil, mais son nom restera
comme celui des Duveyrier, des Revoil, -
des Brazza et autres explorateurs afri-
cains.
FBÉDÉRIC MONTARGIS.
LES ON-DIT
Si les jours sont beaux, nous avons des
nuits encore plus belles.
Les amants de la lune l'ont rarement
vue parcourir un ciel plus enchanté. Elle
était hier dans toute sa splendeur. C'était
la pleine. Un nimbe bleuâtre enveloppait
les arbres des jardins où les statues de
marbre mettaient leurs blancheurs. On
entendait la rosée tomber goutte à goutte
de feuille en feuille. C'est à faire revenir
les rossignols.
.,
S 55?
Le musée du Luxembourg, fermé de-
puis quinze jours, rouvrira ses portes de-
main jeudi.
Il y fera chaud.
»
00
Les remaniements pour la réinstalla.
tion des principales salles de l'école fran-
çaise au Louvre ont fait exhumer un cer-
tain nombre de toiles remisées depuis de
longues années dans des passages ou
réduits tout à fait inconnus du public et
qui existent dans l'épaisseur des murs du
vieux Louvre. Les portes de ces véritables
cachettes sont tellement bien dissimulées,
soit au milieu des boiseries, soit dans les
angles des salles, que c'est en vain que les
visiteurs en chercheraient la -moindre
trace. Les cachettes dont nous parlons
n'existent pas moins; on peut même y
accéder du rez-de-chaussée en passant
par des escaliers construits eux-mêmes
dans l'épaisseur des murs. Ce fut dans ces
réduits ignorés dont on ferma les issues
au moyen d'ouvrages en maçonnerie, de
façon à ne plus les reconnaître, que la
plupart des trésors artistiques des musées
du Louvre furent déposés, en 1871, quand
l'ennemi s'avança sur Paris.
48*
SS «
Le petit-fils du sculpteur Pradier vient
de mourir à Paris, des suites d'une ma-
ladie de poitrine. Cet enfant — il avait à
peine quinze ans — laisse des esquisses,
des dessins, des aquarelles où s'accusaient
les promesses d'un réel talent.
a 44 OF
La session du grand convent maçonni-
que s'est ouverte hier matin, à onze
heures, dans le temple de la rue Cadet.
De nombreux délégués de loges étaient
présents.
La session durera nuit jours.
ç
8 t"
On vient de commencer à l'Hôtel da
Ville les travaux d'établissement du sys-
tème d éclairage dans les nouveaux sa»
Ions. Seule, la salle Saint-Jean sera éclai-
rée au gaz.
L'éclairage électrique, admis pour les
salons de réception, est conçu de façon à
produire une intensité qui ne soit, en
aucun point, inférieure à celle que l'œil
peut supporter sans fatigue, soit une
lampe carcel à lm50 de ditance, dirigée et
distribuée de telle sorte que tout l'espace
soit illuminé. Pour remplir ces condi-
tions, l'ensemble comportera 2,000 lam-
pes Edison de 17 candles, égales à 1 car-
cel 77.
Feuilleton du RAPPEL
DU i6 SEPTEMBRE
64
LA
COMTE DU PARADIS
c >
XXIV
L'Etadva Djalika. — (Suite)
Bussy s'était exprimé d'une voix forte
eontrastant avec l'expression émue et ten-
dre de tout à l'heure ; un froncement de
sourcil avait changé aussi l'air de son
visage devenu volontaire et impérieux; la
reine le revoyait maintenant tel qu'il lui
était apparu la première fois pour l'arra-
cher à la mort; mais de nouveau un nnage
de poudre s'éleva, et, quand il se fut dis-
sipé en parfumant l'air, la vision s'était
dfacée.
- Le charme est rompu, dit Sala-
Reproduction interdite.
Voir le Rapftl du 12 juillet au 15 septembre.
Nanda en se rapprochant. Vous pouvez
sortir du cercle magique.
— Ah! mon père 1 s'écria la reine,
j'étouffe de honte et d'indignation; pour
t'obéir, j'ai écouté ces horribles discours,
je me suis laissée outrager sans laisser
éclater ma colère. Mais que vais-je deve-
nir maintenant? mon malheur est sans
remède.
— Comment, ma fille, dit le fakir, tu
n'es pas touchée de la douceur et de l'ab-
négation de cet homme? Il m'a paru à
moi comme un lion affamé qui se laisse
émouvoir par les pleurs d'une gazelle et
la laisse échapper.
— Quoil tu me conseillerais de lui ac-
corder ce qu'il demande?
— Sois heureuse qu'il attache tant de
prix à si peu de chose.
- Mais je ne m'appartiens pas, mon
fiancé aurait droit de me reprocher une
pareille fa ite.
— Dérober un baiser à celui qui parta-
gera son amour entre toi et les deux cents
femmes de son harem, me semble un
crime assez léger. Réfléchis cependant, ma
fille ; consulte ton guide ordinaire, le
saint vizir Panch-Anan, et ce que tu auras
décidé, fais-le savoir au jeune étranger;
tes assassins ont su le trouver; tu sauras
lui faire parvenir ta réponse. J'ai fait ce
que je pouvais pour toi. Je te laisse 'libre
à présent d'achever Foeuvre comme tu
l'entendras.
— Merci, saint gourou, dit-elle; je suis
pénétrée pour toi de gratitude ; je suivrai
ton conseil en prenant l'avis de Panch-
Anan. Je t'en prie, reconduis-nous jus-
qu'à ma tente, je suis brisée, et la nuit
est pleine d'épouvante.
Quand elle fut étendue sur les cous-
sins, débarrassée de ses parures, que les
servantes se furent retirées et qu'on eut
placé les gardes autour de la tente, à l'é-
clat voilé des lampes, la reine, se soule-
vant sur un coude, regarda Lila qui n'avait
pas dit un mot et se tenait accroupie
sur un genou, les regards rivés au sol.
— Eh bien, princesse, qu'as-tu donc ?
dit-elle, après l'avoir considérée un ins-
tant avec surprise, est-ce que le brahmane,
en te commandant le silence, t'a ravi pour
jamais la faculté de parler?
Mais Lila tourna vers la reine un regard
trouble qui semblait ne pas voir et ne
répondit rien.
— Que se passe-t-il donc en toi? Eil-tu
malade ? Je te trouve toute changée.
Et Ourvaci, inquiète, se leva vivement
et courut à son amie, qu'elle entoura de
ses bras.
- Je ne me trompais pas, tes yeux
sont pleins de larmes; qu'as-tu donc
enfin? Est-ce la terreur que t'a fait éprou-
ver cette scène magique qui te met dans
cet état?
— Ce que j'ai, dit Lila en secouant ses
larmes ; ce que j'ai, j'ose à peine te le
dire. C'est que je suis perdue à jamais !
Je demandais tout à l'heure à quels signes
on reconnaît l'amour. Je le sais mainte-
nant.
— Que veux-tu dire ? Deviens-tu folle ?
s'écria la reine en se relevant vivement.
La princesse cacha son visage dans ses
mains et courba la tête, les épaules se-
couées par des sanglots. Ourvaci laissait
tomber sur elle un regard dur qui finit
par s'amollir, cependant, devant cet orage
de larmes. Elle s'agenouilla près de Lila
et lui prit les mains.
— Voyons, dit-elle, j'ai mal entendu, tu
n'as pas voulu dire que tu es amcureuse
du barbare.
— C'est cela que je suis forcée d'avouer,
s'écria-t-elle d'une voix entrecoupée. Ah!
pourquoi ai-je voulu le voir? Je suis mor-
tellement punie de ma vaine curiosité.
— Il m'est impossible de croire à un
pareil malheur, dit la reine après un si-
lence ; comment se pourrait-il qu'en un
instant un être que tout désigne à ton
mépris t'ait fait perdre l'esprit à ce point?
moins qu'un être, même une ombre !
— Il faut le temps d'un éclair à la
foudre pour vous réduire en cendres et l'on
ne peut rien pour l'éviter.
— Laisse-moi m'imaginer que tu t'a-
buses, que tes nerfs surexcités te font
croire à l'apparence d'une folie passagère
que tu oublieras demain.
— Que ne donnerais-je pas pour ou-
blier, car mon malheur est complet, puis-
que je n'ai aucun espoir d'être aimée et
que c'est toi qu'il adore!
— Qu'oses-tu dire, Lila? Si vraiment un
pareil amour, pire que la peste et que la
lèpre, était en toi, au lieu de le cacher et
de l'étouffer dans ton cœur, tu proclame-
rais ta honte?
— Je n'éprouve pas de honte à aimer
un homme qui m'a paru plus aimable
qu'aucun que j'aie vu jamais. Si je croyais
son cœur libre, j'irais vers ce mortel aussi
beau que Rama-Tchandra et je lui dirais :
J'ai des jardins et des palais embaumés,
des éléphants et des esclaves nombreux,
des pierreries et des étoffes précieuses;
si ma personne plait à tes regards, prends-
moi pour ta femme ou comme ta ser-
vante. - Oh 1 non, je n'ai pas de honte, je
n'ai que de la douleur.
- Hélisl dit la reine, ce magicien a
jeté un charme sur toi, et c'est ma faute;
dans mon trouble, j'ai oublié de lui offrir
un présent.
— Le seul magicien c'est Kaura-Deva,
dit la jeune princesse, il ne faut accuser
nul autre que lui.
— Si je n'avais vu tes larmes, je croi-
rais que tu te moques. Comment veux-tu
que je puisse croire que toi, une brahmine
comme moi-même, tu songes, sans hor-
reur, à t'allier à un tchandala, moins que
cela encore, qui te ferait perdre ta caste
et te mettrait au dernier rang des êtres.
— Tu le sais, j'étais une des élèves pré-
férées du saint pandit Raynoldas, et beau-
coup de mes erreurs se sont fondues à la
chaleur de sa parole ; il m'a fait com-
prendre que la noblesse du cœur et de
l'esprit est plus précieuse que celle que
donne la naissance, et j'ai reconnu avec
lui qu'un soudras qui porte sous son
front l'intelligence, vaut mieux qu'un
brahmane stupide et avide de richesses.
— Vraiment, ce Raynoldas infestait ma
cour de ses idées sacrilèges, s'écria la
reine avec colère, et je suis bien aise
qu'il l'ait quittée. Si je n'avais pas pour
toi une affection de sœur qui m'entraîne
à une faiblesse coupable, après ce que je
viens d'apprendre, je ne pourrais pas te
garder près de moi; mais j'entends qu'il
ne soit plus parlé de cette démence.
— Si tu ne m'avais pas interrogée, tu
n'aurais jamais su mon secret, dit Lila;
mais tu n'en verras plus rien, il me con-
sumera en silence comme un incendie
qui couve dans un palais, sans rien trahir
à l'extérieur. Mais viens te reposer enfin,
je suis vraiment criminelle de te priver
de sommeil quand tu tombes de lassitude.
Elle reconduisit la reine à son lit moel-
leux et, pour l'endormir, lui caressa la
plante des pieds avec une plume de fran-
colin.
Les beaux yeux d'Ourvacise fermèrent;
bientôt le sourcil irrité se détendit, et un
souffle calme et léger entr'ouvrit ses lè-
vres. Alors Lila, avant de refermer la
moustiquaire de gaze, avec un sourire
étrange, attacha sur la reine endormie
un long regard plein de malice et de
finesse.
JUDITH GAUTIER*
(A suivre.)
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