Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-02-19
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 19 février 1887 19 février 1887
Description : 1887/02/19 (N6189). 1887/02/19 (N6189).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7539854j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/11/2012
î* 61 S1!? •— SaTttètîi lô Février 1887 ÎT/O •Tium^po 'IOc. •—• arS©rr;©xsîs s ÏTIsT c«. f«p iTentÔs© an. éa -- ?P 8189f.
ADMINISTRATION
i3, HUE DE VALOIS„ la
ABONNEMENTS
TPATJS
Trois mois. 10 »
£ ix iacis 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Six mois 22 4
Adresser lettres et manflats
A M. ERNEST LEFÈVRE
«AMIIM S TRÂTE UR ■ G lili AUX
LE RAPPEL -jjp
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la ILécîaciiçJk
De le à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seront j) as reiujSj?
ANNONCES
llU. Ch. LAGRANGE, CERF et G* ;
6, place de la Bourse, 6
Ils ÉLECTIONS ALLEMANDES
C'est dans trois jours que les élec-
teurs allemands vont élire le nouveau
iReichstag. Aura-t-il la docilité que dé-
Sire M. de Bismarck? En tous cas, le
grand chancelier n'aura pas à se re-
procher de n'avoir pas tout fait pour
que les électeurs votent à son gré. Oa
a parlé, sous notre dernier empire, des
préfets à poigne : leur poigne était une
menotte d'enfant à côté de la main de
ter de M. de Bismarck.
Etat de siège, visites domiciliaires,
arrestations, accusations de haute trahi-
son pour une médaille oubliée au fond
d'un vieux tiroir, tels sont les moyens
fle persuasion que « la Seconde Ma-
jesté » emploie à l'égard, notamment,
des électeurs de Metz et de Strasbourg.
Et puis, le spectre de la guerre. -
foulez-vous, demande aux électeurs le
gouverneur de l'Alsace-Lorraine, « vou-
lez-vous que l'Alsace-Lorraine soit de
nouveau exposée aux horreurs de la
guerre? Les élections fournissent à
chacun de vous l'occasion de collabo-
rer à l'œuvre de paix. Vous contribue-
rez à assurer la paix en élisant des
députés qui accordent à l'empire alle-
mand les ressources nécessaires pour
posséder d'une façon durable une forte
armée. Si, au contraire, vous envoyez
au Parlement des députés qui, sous
des prétextes futiles, repoussent la de-
mande du gouvernement, tremblez pour
te sol natal, pour vos familles et pour
vos biens! » Le vote ou la guerre!
C'est une variante de : la bourse ou la
vie!
Pourquoi y aurait-il la guerre si
au lieu d'avoir son augmentation
d'effectif pour sept ans, le grand chan-
celier l'avait pour trois ans? Car les
adversaires du septennat acceptent le
triennat.—«Parce que, répond le grand
chancelier, si je n'avais que le triennat,
la France attaquerait l'Allemagne. » Il
• nous est impossible de comprendre
pourquoi la France attaquerait l'Alle-
magne au printemps prochain parce
que l'augmentation de l'effectif alle-
mand serait voté pour trois ans au lieu
de sept. Est-ce qu'au printemps pro-
chain l'Allemagne aurait avec le trien-
nat un hommej de moins qu'avec le
septennat ?
: La vérité sur les risques de guerre a
~té dite par un candidat, M. Charles
Grad : — « Nous n'aurons pas la guerre
si l'Allemagne n'en veut pas, car c'est
d'Allemagne que nous viennent les
menaces contre le maintien de la paix,
non pas d'ailleurs. »
C'est de la France, disent M. de Bis-
marck et ses journaux. — « Remar-
quez », a dit le chancelier à un membre
de la Chambre prussienne, les prépara-
tifs de guerre que font les Français, la
construction de baraquements, l'attitude
du général Boulanger, les appels inces-1
sants de la Ligue des patriotes durant
les seize dernières années. » Et la
Gazette nationale de Berlin : — « Dans
quel pays s'est-il constitué une ligue
de guerre contre un Etat voisin, une
ligue comptant deux cent mille adhé-
rents? Est-ce en Allemagne qu'il a
surgi un Deroulède ? »—Une ligue qui,
en seize ans, a réuni, sur une popula-
tion de trente millions d'âmes, deux
cent mille adhésions, diable ! voilà, en
effet, de quoi faire frissonner cette
pauvre petite Allemagne.
M. Paul Déroulède sera flatté de se
voir devenu l'épouvantail de l'armée
allemande. Mais, tout en n'étant pas
de ceux qui le raillent et qui le blâ-
ment, tout en trouvant qu'il fait acte
de vaillant et de patriote, nous som-
mes obligés de reconnaître qu'il n'a
pas en France l'importance que lui
attribuent les journaux bismarkiens.
Un fait le prouve. Aux élections du
4 octobre 1885, il s'est présenté. Le
moment était bon pour lui. Les répu-
blicains étaient divisés" et dans ce
tiraillement des électeurs entre deux
listes, il y avait des chances pour que
beaucoup se rejetassent sur une candi-
dature qui signifiait simplement : pa-
triotisme. Dans ces conditions essen-
tiellement favorables, M. Déroulède a
échoué.
Il faut donc que M. de Bismarck et
ses journaux renoncent à faire de
M. Deroulède ce qu'ils ont essayé un
instant de faire du général Boulanger :
l'être terrrible dont un geste peut jeter
la France sur l'Allemagne. Personne
ne peut jeter la France sur personne
sans qu'elle y consente. Et M. de Bis-
marcket ses journaux savent aussi bien
que nous que la volonté de la France
est qu'on la laisse tranquille.
Ils en conviendront eux-mêmes après
les élections, si nous en croyons M.
Charles Grad : — « Tout ce tapage
belliqueux, soulevé chaque fois que le
gouvernement demande au Reichstag
une augmentation de l'armée, se cal-
mera après les élections. » Nous vou-
lons le croire. Alors l'Europe se re-
mettra à respirer, à travailler, à vivre.
Il restera à remercier le gouvernement
allemand d'avoir provoqué, dans un but
électoral, une crise qui n'a guère coûté
que deux ou trois milliards. M. de Bis-
marck aura la bénédiction des femmes
dont il a ruiné les maris, et les enfants
qu'il a mis sur la paille pourront con-
tribuer à l'armement de ses nouveaux
bataillons en lui envoyant les revolvers
avec lesquels leurs pères se sont brûlé
la cervelle.
AUGUSTE VACQUBRIE.
Au conseil des ministres tenu hier,
le ministre de l'intérieur a communi-
que les dépêches du préfet de la Corse au
sujet des incidents qui, d'après plusieurs
journaux, se seraient produits dans cette
île et dont il a été publié un récit visible-
ment exagéré. Un seul des faits qui ont
été rapportés est exact : celui de l'appo-
sition de placards insurrectionnels, par un
sieur Léandri, rédacteur d'un journal réac-1
tionnaire. En outre, six balles de revolverv
ont été tirées la nuit sur les fenêtres du
tribunal de Sartène. Les auteurs de cet
attentat, qui sont restés inconnus, ont
laissé un écrit portant que c'était là un
aver tissement sans frais.
On croit que Léandri est caché dans
l'arrondissement de Sartène.
■ lawinntnm
COULISSES DES CHAMBRES
LE NOUVEAU PROJET DAUPHIN
On se souvient qu'il y a quelques jours,
à la veille de la clôture de la discussion
du budget, le ministre des finances appelé
à s'expliquer au sujet d'une motion de
M. Georges Perin, tendant à inviter le
gouvernement à présenter un projet d'im-
pôt sur le revenu, a déclaré qu'il prépa-
rait un projet de loi ayant pour but d'as-
surer une répartition plus équitable des
charges qui pèsent sur le contribuable.
La Chambre a volé la motion de M.
Georges Perin en repoussant toutefois la
partie qui demandait que l'impôt sur le
revenu fût unique et progressif.
Le ministre, conformément à ses enga-
gements, a communiqué au conseil des
ministres hier matin le projet qu'il vient
d'élaborer et qu'il a l'intention de déposer
sur le bureau de la Chambre.
Ce projet établit une sorte d'impôt sur
le revenu sans en prononcer le nom. Ii a
pour titre : projet sur la contribution per-
sonnelle et mobilière. C'est, en eftet, par
une transformation de cette contribution
que le ministre des finances compte réa-
liser l'application, dans une certaine me-
sure, de l'impôt sur le revenu.
M. Dauphin ne voulant pas soumettre
le contribuable à l'obligation de déclarer
ses revenus et estimant d'autre part
qu'une estimation des revenus présumés
faite par l'administration aurait nécessai-
rement un caractère arbitraire, a pris la
valeur locative comme le signe le plus
certain des facultés du contribuable,
comme l'indice le plus voisin de l'exacti-
tude de son revenu.
Il s'est donc déterminé à transformer
la contribution personnelle et mobilière,
d'impôt de répartition qu'elle est actuelle-
ment, en impôt de quotité.
On sait quelle est la différence qui existe
entre ces deux catégories d'impôt. L'im -
pôt de répartition est celui dont le pro-
duit est fixé d'avance par la loi de finances
qui, en même temps, en répartit, par un
tableau spécial, le montant entre les dé-
partements. Les conseils généraux répar-
tissent le contingent de leurs, départe-
ments respectifs entre les arrondissements;
les conseils d'arrondissement font la ré-
partition entre les communes; enfin la
répartition se fait entre les habitants de
chaque commune proportionnellement à
la valeur locative de chacun d'eux, par
les soins de commissaires-répartiteurs
spéciaux.
L'impôt de quotité, au contraire, est
celui dont le produit n'est pas fixé d'a-
vance. Cet impôt est perçu d'après un
tarif et le produit en est variable suivant
le tarif et suivant les circonstances.
Le but du projet de M. Dauphin est de
faire de l'impôt mobilier un impôt de
quotité, basé sur la valeur locative. Le
tarif, ou le coefficient, pour employer
l'expression consacrée, ne serait pas fixé
par le projet lui-même. Il ne serait déter-
miné chaque année qu'au moment du
vote du budget. De la sorte, par une sim-
ple élévation ou un simple abaissement
de ce tarif, il serait possible, sans modi-
fier l'assiette de l'impôt, d'élever ou d'a-
baisser le produit de ce dernier suivant
les nécessités du Trésor.
C'est ce qui fait qu'on laisserait à la loi
de finances le soin de fixer chaque année
le coefficient de la contribution mobilière
en s'inspirant des conditions de la situa-
tion financière.
Le projet de M. Dauphin est accepté
en principe par les ministres. Toutefois,
les détails d'application ne sont pas en-
core réglés. C'est dans le conseil qui sera
tenu demain à l'Elysée que l'on arrêtera
définitivement le texte du projet.
Celui-cifsera déposé très promptement,
sur le bureau de la Chambre. Le ministre
peut, en effet, l'isoler du budget et autant
que possible le faire voter avant celui-ci.
Si les Chambres l'acceptent, il tiendra
compte de cette transformation fiscale
dans l'établissement du budget de 1888 et
déterminera le coefficient de la contribu-
tion d'après les nécessités du Trésor pour
l'année prochaine.
LA GAUCHE RADICALE
La gauche radicale a procédé hier au
renouvellement de son bureau.
M. Jullien a été élu président; M. Mon-
taut (Seine-et-Marne), a été élu vice-pré-
sident ; MM. Dupuis (Aisne), et .Brugeilles
ont été nommés secrétaires ; M. Viger,
questeur.
Il reste un second vice-président à
élire ; pour ce siège, M. Carret .(Savoie)
est en ballottage avec M. Colfavru.
ÉLECTION SÉNATORIALE
On a procédé hier au Sénat au tirage
au sort du département auquel devra
être annexé le siège d'inamovible trans-
formé en siège départemental par suite du
décès de M. Corne.
C'est le Cher qui a été désigné par le
sort. Le Cher possède déjà deux sénateurs
républicains, MM. Girault et Peaudecerf.
M. Corne, qui appartenait au centre gau-
che dissident, sera donc remplacé par un
sénateur de nuance plus avancée.
A LA CHAMBRE
La discussion de la loi sur les céréales
s'est ouverte hier, non sans une certaine
solennité. Comme pour mieux faire sentir
aux députés la gravité exceptionnelle, la
haute importance du débat qui commen-
çait, au moment précis où le premier
orateur inscrit montait à la tribune, plu-
sieurs délégations se présentaient au
palais Bourbon apportant aux pouvoirs
publics de nombreuses et vives protesta-
tions contre la loi du « pain cher ». — On
sait que, en juin dernier, après une lutte
oratoire des plus intéressantes, l'article 1er
de cette loi avait été renvoyé à la commis-
sion. Il eût semblé logique de rouvrir la
discussion générale, le projet rapporté, en
dernière analyse, par ladite commission,
n'étant nullement celui qu'on lui avait
retourné. Il en a été décidé autrement.
La discussion a pris pour base l'article Ier.
Mais M. Rouvier a pris soin de bien préci-
ser la situation, réclamant pour le débat
toute l'ampleur qu'il comporte; cela afin
de retirer, dès à présent, à la droite, l'en-
vie, qui aurait pu lui venir, de réclamer la
clôture après un ou deux discours.
C'est M. Lyonnais qui a ouvert le feu ;
M. Lyonnais parle bien. Avec parfois, ce-
pendant, un peu trop d'emphase. Il a fait
subir au projet de loi un rude assaut;
reprenant un à un les arguments déve-
loppés au cours de la dernière discussion
par MM. Deschanel, Beaucarne-Leroux et
Méline, et démontrant victorieusement
leur peu de solidité. Remercions M. Lyon-
nais d'avoir tout de suite placé la ques-
tion sur son véritable terrain. Si l'agri-
culture souffre d'une crise, ne peut-elle
trouver en elle-même, au lieu de recourir
à de vaines mesures de protection, les
remèdes à ces souffrances ? En France, le
rendement du blé est d'environ 15 hec-
tolitres par hectare en moyenne; il est,
en Angleterre et en Belgique, de 23 hecto-
litres. Pourquoi cette infériorité ? Le sol
de la France est-il moins fertile que celui
de l'Angleterre et de la Belgique? Qui ose-
rait le dire ? D'ailleurs, à.ceux qui assume-
raient la responsabilité d'une affirmation
aussi erronée, les faits se chargent de ré-
pondre. Dans la Bretagne, qui n'est certes
pas la contrée la plus favorable à la culture,
on est arrivé, grâce à l'emploi de méthodes
intelligentes et raisonnées, à un rendement
de 32 hectolitres. Il n'est donc nullement
exagéré de dire que la France pourrait
parvenir à un rendement moyen de
20 hectolitres. Eh bien ! si ce rendement
était obtenu, nous arriverions à produire
115 millions d'hecto'itres, c'est-à-dire
40 millions d'hectolitres de plus qu'il n'en
faut pour notre consommation. — Telle a
été, dans sa partie principale, l'argumen-
tation de M. Lyonnais, et comme elle
est, ou nous nous trompons fort, irréfu-
table, à droite on s'est contenté de répon-
dre par des interruptions en général inin-
telligibles.
A M. Lyonnais M. Deschanel a succédé.
On se rappelle que M. Deschanel ayant
fait son début à la tribune, l'an dernier,
précisément par un discours en faveur de
la loi sur les céréales, nous n'avons pas
marchandé les éloges au jeune orateur,
qui, en défendant une thèse contre la
quelle nous ne nous lasserons pas de
protester, avait au moins fait preuve
d'un très réel talent. Ces éloges, -notre
sincérité nous empêche de les reproduire
aujourd'hui. Oh 1 les discours appris par
cœur! Vous ne sauriez croire combien est
fatigant, à la la longue, un défilé de phra-
ses proprettes, peignées, pommadées. Ah!
qu'on aime mieux — que j'aime mieux —■*
ces incorrections de langage, ces périodes
mal bâties entassées, à la diable, que l'é-
motion de l'orateur entrecoupe et dislo-
que et qui vont, tant bien que mal, au
hasard de l'improvisatipn. Il y a en-
droit pour tout, que diable r la tri-
bune n'est pas une chaire; on y est
pour discuter, non pour prêcher ! — Si
encore, dans la conférence-sermon dont
il nous, a gratifiés, M. Deschanel avait
récité des choses intéressantes ; mais il
nous a semblé déplorablement banal,
parlant presque tout le temps en dehors
du sujet et insistant, par exemple, lon-
guement sur la protection dont jouit plus
ou moins légitimement l'industrie. Il ne
s'agit pas de cela. Il s'agit de savoir s'il y
a, oui ou non, du danger à établir une
taxe sur le blé, c'est-à-dire sur le pain ; il
s'agit de savoir si le Parlement a le droit
de décréter le renchérissement possible
du pain. Que viennent faire ici des dis-
cussions de principes et de doctrines ?
M. Deschanel n'en est pas sorti. Il n'est
guère descendu des hauteurs nébuleuses
de la théorie. Il a été dogmatique. Par-
fois, il a fait sourire ; quand il a montré
les agriculteurs que l'on exhorte à se
mettre au courant des progrès de la
science, disant aux législateurs : Et vous,
avez-vous renouvelé votre outillage ? -
A d'autres moments il a soulevé de vives
protestations, quand il a accusé le libre-
échange d'aller « fatalement contre l'idée
de patrie ». Nous n'insistons pas là-dessus
pour le moment ; nous y reviendrons.
M. Deschanel a terminé par une tirade
relative à « la lutte pour l'existence ».
Passons. Pour tout dire, enfin, l'orateur
a paru bien blond et bien rose pour jouer
les Nestor et si, à droite, on l'a chaleu-
reusement applaudi, la gauche est restée
beaucoup plus froide, ce que, pour notre
part, nous comprenons parfaitement.
Ç'a été un véritable plaisir après cela
d'entendre la parole ardente et colorée
de M. Thévenet. Avec une grande élo-
quence, l'honorable député du Rhône a
fait la critique décisive du projet de loi. Il
a montré, pendant qu'à l'étranger on se
préoccupe sans cesse de perfectionner les
méthodes et les procédés de culture, l'a-
griculteur français, à l'abri derrière ses
barricades douanières, s'encroûtant de
plus en plus dans sa routine et dans son
incurie. — Ce que vous demandez, s'est-
il écrié, c'est la protection de l'ignorance !
— Puis, s'adressant à ceux qui persistent
à réclamer ce qu'ils appellent « l'égalité
dans la protection » : - Que répondriez-
vous, leur a-t-il demandé, si nous, qtft
représentons les ouvriers de l'agglomérai
Lion lyonnaise, nous venions récW
mer de vous, pour ces populations s~
intéressantes, la protection des salaires^
l'établissement d'un salaire minimum? -;
I! a rappelé ensuite qu'au temps où la !
commission proposait un droit variable,
on présentait ce droit variable comme le'
moyen d'empêcher, en cas de disette, leu,,
désastreux effets de la protection. On aj
renoncé au droit variable. Que ferez-vous;
si, par suite d'une mauvaise récolte, leli
importations faisant défaut, une crise,j
une disette survient? L'orateur, soutenu,
par les applaudissements mérités de la-
gauche, a terminé sur cette interrogation
si inquiétante : « Prenez garde 1 s'est-il
écrié, votre loi du pain cher pourrait, en>
certaines occurrences fatales, devenir uq¡
prétexte aux colères populaires! » ,
Après ce très remarquable discours, là:
séance à été levée. Demain, les proteci
tionnistes essayeront de répondre; mais,^
sans plus attendre, nous avons le droit de
dire que, devant l'opinion publique, leur,
loi est jugée, — condamnée. j
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.} >
————-
., -. Au Sénat, le tirage au sort auquel il i
été procédé au début de la séance, s
désigné le département du Cher pout
donner un remplaçant à M. Corne, sénai
teur inamovible décédé. Puis on a repris:
la discussion de la loi sur les aliénés dont
plusieurs articles ont été adoptés. Sur la
demande de M. Dauphin, ministre des
finances, le Sénat a décidé de commencer
demain samedi la discussion du budget.
e
M QUESTION DE L'ESPIERRE
Bon ! un nouveau point noir à l'hori-
zon ! Il ne s'agit plus aujourd'hui d'une
difficulté avec l'Allemagne, à laquelle^
après tout nous ne sommes pas incapa^
bles de faire face ; la question est autrei
ment grave. C'est avec la Belgique que;
nous allons avoir affaire, et le motif du
conflit est un égout !
De France en Belgique coule une petite
rivière qui s'appelle I'Espierre et qui avant
de se jeter dans l'Escaut, au-dessous de
Tournai, est contaminée par tous les réi
sidus des usines que ses eaux contribuent
à faire marcher. Depuis une éternité le'
gouvernement belge demande que nous
portions remède à cette situation et que-
nous trouvions un moyèn moins primitif
de vidange que celui qui consiste à jeter
ses ordures chez le voisin. En cela le gou-
vernement belge a absolument raison,,
comme avait raison le département de
Seiue-el-Oise au sujet de l'empoisonner
ment de la Seine avant qu'il s'élevât con^'
tre le seul procédé sérieux d'assainisse-
ment et de désinfection qu'on ait trouvé
jusqu'à présent et qui est l'épuration par.
le sol. Si le gouvernement belge est dans
son droit, il est permis par contre de
trouver bizarre la façon dont un de ses
ministres, le sieur Moreau d'Audoy, a fait
choix pour nous rappeler à nos devoirs-
La Chambre, a-t-il répondu à une ques-
tion qu'on lui adressait peut compter sutf
la « fermeté » du gouvernement. Si la
Belgique n'obtient pas « pleine satisfac-
Lion », nous aviserons.
Il est des êtres timides auprès de qui
celangage a rdt l'office d'un épouvantai-
Déjà ils voyaient derrière le chevalier
Moreau s'agiter la main de M. de Bis-
marck, et, pour un peu, ils auraient
transformé la question de l'Espierre en un
pendant de celles des duchés ou de celle
du Luxembourg. Ces craintes se sont
apaisées, Dieu merci 1 Des gens de sens
i
Feuilleton du RAPPEL
¡'. DU 19 FÉVRIER ;,'
'1 1 r •
m
LA LI N DA
ROMAN PARISIEN
TROISIÈME PARTIE
1
CHAPITRE lot
tae représentation 4«
« Huguenots»
— Suite —
r La crise, qui pour tous était une ago"
nie, se prolongea encore plus de deux
semaines, pendant lesquelles Antonin ne
reconnaissait personne ; le délire ne dis-
continuait pas.
Mais cette prolongation même était une
espérance; et le vingt-cinquième jour,
les médecins purent dire:. Peut-êtret Ce
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 8 janvier au 18 février.
ne fut que le quarantième qu'ils dirent :
Il est sauvé 1
Ce jour-là, en effet, Antonin parut
avoir quelque conscience de lui-même. Il
regarda son père et lui sourit. Il serra
doucement la main de sa sœur. Puis ses
yeux cherchèrent autour de lui, et il mur-
mura un nom : Laura?..
Mais sa pensée, heureusement, était
encore vague et faible, et il retomba pres-
que aussitôt dans la torpeur, qui était son
salut. La nature, cette merveilleuse garde-
malade, ne lui rendit toute sa raison que
lorsqu'il fut en état de supporter la vérité.
Alors il se souvint. — Laura, sa Laura,
qu'il nommait sans cesse dans sa fièvre,
elle n'était pas là 1 elle l'avait abandonné !
Quand donc ? A quel moment ? Ah 1 oui,
un matin, elle s'était enfuie. Est-ce
qu'elle s'était enfuie seule?
Il se rappelait la fatale dépêche. Mais il
se rappela aussi cette lettre, — une lettre
d'elle, — qu'il n'avait pas eu le temps
d'ouvrir.
Il interrogea. Et son père lui remit
alors les deux lettres de Laura, qui ne
pouvaient lui [faire que du bien.
Elles lui firent du bien, en effet : il put
enfin pleurer, pleurer à chaudes larmes.
— Ah! tu vois, mon père, elle m'aime!
disait-il ; elle m'aime toujours, elle m'ap-
pelle, elle m'attend ! Et tu me dis qu'il y
a près de deux mois qu'elle m'attend?
Mais comment se fait-il que, pendant tout j
ce temps, elle soit restée loin de moi qui J
me mourais ? Elle ne sait donc rien? elle
n'a donc pas eu de mes nouvelles?
Le comte dut lui avouer comment, dans
une minute d'affolement où la mort
d'Antonin apparaissait à tous comme iné-
vitable et prochaine, il avait fait à Laura
cette réponse implacable qui lui interdi-
sait tout nouvel appel et lui fermait tout
retour.
D'ailleurs, il en convenait, il avait
ajouté foi à la dépêche anonyme, et elle
lui avait fait croire que la lettre de Laura
mentait.
— Non! non! c'est la dépêche qui
mentait t s'écria Antonin. Laura dit vrai,
puisqu'elle dit qu'elle m'aime. Ah ! tu ne
la connais pas ! c'est l'âme la plus sin-
cère et la plus loyale ! Et quant à ce Lau-
retto Mina, je sais, je suis sûr qu'elle l'a
en mépris et en horreur.
Le comte de Bizeux, n'eût-il été qu'à
demi-convaincu, n'aurait pas voulu con-
tredire ou décourager son fils.
Antonin voulait écrire tout de suite
à Laura, la demander, l'appeler auprès
de lui sans retard. Mais le médecin dé-
c'ara que cette émotion était encore au-
dessus de ses forces, et qu'il y aurait
danger de rechute à la risquer.
Dès lors, il valait mieux ne pas avertir
Laura. Antonin, dès qu'il serait rétabli,
dès qu'il pourrait partir, voulait courir
lui-même à elle et la surprendre.
Ce fut vers ce temps-là que les jour-
naux annoncèrent les représentations de
la Linda à l'Opéra.
— Ne la troublons pas, disait Antonin;
laissons-la satisfaire à son désir; laissons-
la revenir à son rêve. Elle reviendra plus
calme ensuite à son amour.
Le comte, après avoir désespéré, était
si heureux de ravoir son fils bien aimé,
qu'il voulait croire et espérer avec lui.
Son généreux cœur avait, d'ailleurs, vis-
à-vis de Laura, des reproches à se faire ;
il avait été injuste, il avait été cruel pour
elle. Lui aussi, il avait hâte de la revoir
pour lui demander noblement pardon.
Il eut pourtant encore un moment d'in-
quiétude en voyant parfois, dans les
comptes-rendus de théâtre, le nom de
Lauretto Mina auprès du nom de la
Linda. Il se garda d'en parler à son fils ;
ce fut Antonin qui en parla le premier.
Il n'avait, pas, lui, l'ombre d'un doute.
Avec cette intuition qui est comme la
seconde vue de l'amour, il avait la con-
viction absolue que cet homme, ce Lau-
retto, n'était rien, ne serait jamais rien
pour Laura. Lui si ombrageux, si jaloux,
comme tous ceux qui aiment vémùNe-
ment, il se sentait profondément aimê.
Il se rappelait leurs dernières jour-
nées, leurs dernières caresses, et, quel-
ques torts que Laura crût avoir à lui re-
procher, il savait, en interrogeant son
cœur, qu'elle était toujours à lui et à lui
seul.
Il avait raison. Non seulement la Linda
n'aimait pas le ténor, mais elle le détes-
tait.
Elle le détestait, et, de plus, elle le lui
faisait voir.
C'était trop, vis-à-vis d'un homme au-
quel manquait à ce point le sens moral.
Laura avait un soupçon vague que Lau-
retto Mina était pour quelque chose dans
le délaissement d'Antonin. Le soir du con-
cert, il n'était pas si loin de Remissy sur
l'estrade qu'il n'eût pu lui donner un
rapide avertissement. Laura se rappelait
aussi avec quel sourire narquois et mé-
chant, le jour de sa fuite, il l'avait sa-
luée en silence, à l'arrivée du train à
Paris ; elle avait aussitôt deviné quelque
trahison.
Cependant la fatuité de Lauretto Mina
ne se décourageait pas aisément, et, quand
il avait revu la Linda au théâtre, il avait
essayé encore, avec des formes plus ré-
servées et presque respectueuses, de lui
faire agréer sa cour.
S'il n'aimait pas la Linda, il la désirait
avec violence, et, comme il le lui avait
dit, plus qu'il n'avait désiré aucune
femme. Il lui exprima cet amour d'un ton
sérieux qui ne lui était pas habituel.
- Il la voyait, disait-il, isolée et comme
abandonnée ; celui qu'elle appelait à
Saint-Malo son *Z?ari semblait l'avoir dé-
laissée ; si elle voulait d'un ami, d'un ami
dévoué, qui se ferait tuer avec joie pour
elle, elle n'avait qu'à mettre à l'épreuve
son camarade Lauretto Mina.
La prudence eût voulu que la Lindà
refusât les avances de Lauretto Mina avec
une certaine douceur, sans l'irriter, sans
le blesser. Mais sa répugnance fut la plus
forte, et elle la laissa percer un peu trop
visiblement dans sa réponse.
De ce jour, Lauretto Mina ajouta à son
amour la haine et devint l'ennemi mortel
de la Linda. -
— Ah! elle me méprise! se dit-il, eh
bien, je jure qu'elle sera à moi !
D'anciens camarades, qui avaient passS
des Italiens à l'Opéra, se rappelaient d'ail-
leurs, et lui rappelaient en riant, qu'il
s'était autrefois vanté, ne pouvant être le
premier dans le cœur de la Linda, d'y ar-
river du moins un jour bon second. —
Mais, remarquait-on, il n'y paraissait
guère, et l'accueil glacé que lui faisait la
diva ne devait pas lui laisser beaucoup
d'espérances !
— C'est bon ! c'est bon ! répliqu ait-il en
se mordant la lèvre, tout vient à point à
qui sait attendre; le vicomte absent, je
n'ai pas du moins de rival, et je vous
parie tout ce que vous voudrez que vous
verrez se vérifier quelque jour, ou quelque
nuit, la prédiction de notre ancien patron
Pozzoli : Il l'aura, Laura!
C'est dans ces dispositions menaçantes
que se trouvait le haineux adorateur de
Laura au moment où Antonin arriva t
Paris. --. i
ALFRED SIRYEN.
LA luillrtJ.
ADMINISTRATION
i3, HUE DE VALOIS„ la
ABONNEMENTS
TPATJS
Trois mois. 10 »
£ ix iacis 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Six mois 22 4
Adresser lettres et manflats
A M. ERNEST LEFÈVRE
«AMIIM S TRÂTE UR ■ G lili AUX
LE RAPPEL -jjp
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la ILécîaciiçJk
De le à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seront j) as reiujSj?
ANNONCES
llU. Ch. LAGRANGE, CERF et G* ;
6, place de la Bourse, 6
Ils ÉLECTIONS ALLEMANDES
C'est dans trois jours que les élec-
teurs allemands vont élire le nouveau
iReichstag. Aura-t-il la docilité que dé-
Sire M. de Bismarck? En tous cas, le
grand chancelier n'aura pas à se re-
procher de n'avoir pas tout fait pour
que les électeurs votent à son gré. Oa
a parlé, sous notre dernier empire, des
préfets à poigne : leur poigne était une
menotte d'enfant à côté de la main de
ter de M. de Bismarck.
Etat de siège, visites domiciliaires,
arrestations, accusations de haute trahi-
son pour une médaille oubliée au fond
d'un vieux tiroir, tels sont les moyens
fle persuasion que « la Seconde Ma-
jesté » emploie à l'égard, notamment,
des électeurs de Metz et de Strasbourg.
Et puis, le spectre de la guerre. -
foulez-vous, demande aux électeurs le
gouverneur de l'Alsace-Lorraine, « vou-
lez-vous que l'Alsace-Lorraine soit de
nouveau exposée aux horreurs de la
guerre? Les élections fournissent à
chacun de vous l'occasion de collabo-
rer à l'œuvre de paix. Vous contribue-
rez à assurer la paix en élisant des
députés qui accordent à l'empire alle-
mand les ressources nécessaires pour
posséder d'une façon durable une forte
armée. Si, au contraire, vous envoyez
au Parlement des députés qui, sous
des prétextes futiles, repoussent la de-
mande du gouvernement, tremblez pour
te sol natal, pour vos familles et pour
vos biens! » Le vote ou la guerre!
C'est une variante de : la bourse ou la
vie!
Pourquoi y aurait-il la guerre si
au lieu d'avoir son augmentation
d'effectif pour sept ans, le grand chan-
celier l'avait pour trois ans? Car les
adversaires du septennat acceptent le
triennat.—«Parce que, répond le grand
chancelier, si je n'avais que le triennat,
la France attaquerait l'Allemagne. » Il
• nous est impossible de comprendre
pourquoi la France attaquerait l'Alle-
magne au printemps prochain parce
que l'augmentation de l'effectif alle-
mand serait voté pour trois ans au lieu
de sept. Est-ce qu'au printemps pro-
chain l'Allemagne aurait avec le trien-
nat un hommej de moins qu'avec le
septennat ?
: La vérité sur les risques de guerre a
~té dite par un candidat, M. Charles
Grad : — « Nous n'aurons pas la guerre
si l'Allemagne n'en veut pas, car c'est
d'Allemagne que nous viennent les
menaces contre le maintien de la paix,
non pas d'ailleurs. »
C'est de la France, disent M. de Bis-
marck et ses journaux. — « Remar-
quez », a dit le chancelier à un membre
de la Chambre prussienne, les prépara-
tifs de guerre que font les Français, la
construction de baraquements, l'attitude
du général Boulanger, les appels inces-1
sants de la Ligue des patriotes durant
les seize dernières années. » Et la
Gazette nationale de Berlin : — « Dans
quel pays s'est-il constitué une ligue
de guerre contre un Etat voisin, une
ligue comptant deux cent mille adhé-
rents? Est-ce en Allemagne qu'il a
surgi un Deroulède ? »—Une ligue qui,
en seize ans, a réuni, sur une popula-
tion de trente millions d'âmes, deux
cent mille adhésions, diable ! voilà, en
effet, de quoi faire frissonner cette
pauvre petite Allemagne.
M. Paul Déroulède sera flatté de se
voir devenu l'épouvantail de l'armée
allemande. Mais, tout en n'étant pas
de ceux qui le raillent et qui le blâ-
ment, tout en trouvant qu'il fait acte
de vaillant et de patriote, nous som-
mes obligés de reconnaître qu'il n'a
pas en France l'importance que lui
attribuent les journaux bismarkiens.
Un fait le prouve. Aux élections du
4 octobre 1885, il s'est présenté. Le
moment était bon pour lui. Les répu-
blicains étaient divisés" et dans ce
tiraillement des électeurs entre deux
listes, il y avait des chances pour que
beaucoup se rejetassent sur une candi-
dature qui signifiait simplement : pa-
triotisme. Dans ces conditions essen-
tiellement favorables, M. Déroulède a
échoué.
Il faut donc que M. de Bismarck et
ses journaux renoncent à faire de
M. Deroulède ce qu'ils ont essayé un
instant de faire du général Boulanger :
l'être terrrible dont un geste peut jeter
la France sur l'Allemagne. Personne
ne peut jeter la France sur personne
sans qu'elle y consente. Et M. de Bis-
marcket ses journaux savent aussi bien
que nous que la volonté de la France
est qu'on la laisse tranquille.
Ils en conviendront eux-mêmes après
les élections, si nous en croyons M.
Charles Grad : — « Tout ce tapage
belliqueux, soulevé chaque fois que le
gouvernement demande au Reichstag
une augmentation de l'armée, se cal-
mera après les élections. » Nous vou-
lons le croire. Alors l'Europe se re-
mettra à respirer, à travailler, à vivre.
Il restera à remercier le gouvernement
allemand d'avoir provoqué, dans un but
électoral, une crise qui n'a guère coûté
que deux ou trois milliards. M. de Bis-
marck aura la bénédiction des femmes
dont il a ruiné les maris, et les enfants
qu'il a mis sur la paille pourront con-
tribuer à l'armement de ses nouveaux
bataillons en lui envoyant les revolvers
avec lesquels leurs pères se sont brûlé
la cervelle.
AUGUSTE VACQUBRIE.
Au conseil des ministres tenu hier,
le ministre de l'intérieur a communi-
que les dépêches du préfet de la Corse au
sujet des incidents qui, d'après plusieurs
journaux, se seraient produits dans cette
île et dont il a été publié un récit visible-
ment exagéré. Un seul des faits qui ont
été rapportés est exact : celui de l'appo-
sition de placards insurrectionnels, par un
sieur Léandri, rédacteur d'un journal réac-1
tionnaire. En outre, six balles de revolverv
ont été tirées la nuit sur les fenêtres du
tribunal de Sartène. Les auteurs de cet
attentat, qui sont restés inconnus, ont
laissé un écrit portant que c'était là un
aver tissement sans frais.
On croit que Léandri est caché dans
l'arrondissement de Sartène.
■ lawinntnm
COULISSES DES CHAMBRES
LE NOUVEAU PROJET DAUPHIN
On se souvient qu'il y a quelques jours,
à la veille de la clôture de la discussion
du budget, le ministre des finances appelé
à s'expliquer au sujet d'une motion de
M. Georges Perin, tendant à inviter le
gouvernement à présenter un projet d'im-
pôt sur le revenu, a déclaré qu'il prépa-
rait un projet de loi ayant pour but d'as-
surer une répartition plus équitable des
charges qui pèsent sur le contribuable.
La Chambre a volé la motion de M.
Georges Perin en repoussant toutefois la
partie qui demandait que l'impôt sur le
revenu fût unique et progressif.
Le ministre, conformément à ses enga-
gements, a communiqué au conseil des
ministres hier matin le projet qu'il vient
d'élaborer et qu'il a l'intention de déposer
sur le bureau de la Chambre.
Ce projet établit une sorte d'impôt sur
le revenu sans en prononcer le nom. Ii a
pour titre : projet sur la contribution per-
sonnelle et mobilière. C'est, en eftet, par
une transformation de cette contribution
que le ministre des finances compte réa-
liser l'application, dans une certaine me-
sure, de l'impôt sur le revenu.
M. Dauphin ne voulant pas soumettre
le contribuable à l'obligation de déclarer
ses revenus et estimant d'autre part
qu'une estimation des revenus présumés
faite par l'administration aurait nécessai-
rement un caractère arbitraire, a pris la
valeur locative comme le signe le plus
certain des facultés du contribuable,
comme l'indice le plus voisin de l'exacti-
tude de son revenu.
Il s'est donc déterminé à transformer
la contribution personnelle et mobilière,
d'impôt de répartition qu'elle est actuelle-
ment, en impôt de quotité.
On sait quelle est la différence qui existe
entre ces deux catégories d'impôt. L'im -
pôt de répartition est celui dont le pro-
duit est fixé d'avance par la loi de finances
qui, en même temps, en répartit, par un
tableau spécial, le montant entre les dé-
partements. Les conseils généraux répar-
tissent le contingent de leurs, départe-
ments respectifs entre les arrondissements;
les conseils d'arrondissement font la ré-
partition entre les communes; enfin la
répartition se fait entre les habitants de
chaque commune proportionnellement à
la valeur locative de chacun d'eux, par
les soins de commissaires-répartiteurs
spéciaux.
L'impôt de quotité, au contraire, est
celui dont le produit n'est pas fixé d'a-
vance. Cet impôt est perçu d'après un
tarif et le produit en est variable suivant
le tarif et suivant les circonstances.
Le but du projet de M. Dauphin est de
faire de l'impôt mobilier un impôt de
quotité, basé sur la valeur locative. Le
tarif, ou le coefficient, pour employer
l'expression consacrée, ne serait pas fixé
par le projet lui-même. Il ne serait déter-
miné chaque année qu'au moment du
vote du budget. De la sorte, par une sim-
ple élévation ou un simple abaissement
de ce tarif, il serait possible, sans modi-
fier l'assiette de l'impôt, d'élever ou d'a-
baisser le produit de ce dernier suivant
les nécessités du Trésor.
C'est ce qui fait qu'on laisserait à la loi
de finances le soin de fixer chaque année
le coefficient de la contribution mobilière
en s'inspirant des conditions de la situa-
tion financière.
Le projet de M. Dauphin est accepté
en principe par les ministres. Toutefois,
les détails d'application ne sont pas en-
core réglés. C'est dans le conseil qui sera
tenu demain à l'Elysée que l'on arrêtera
définitivement le texte du projet.
Celui-cifsera déposé très promptement,
sur le bureau de la Chambre. Le ministre
peut, en effet, l'isoler du budget et autant
que possible le faire voter avant celui-ci.
Si les Chambres l'acceptent, il tiendra
compte de cette transformation fiscale
dans l'établissement du budget de 1888 et
déterminera le coefficient de la contribu-
tion d'après les nécessités du Trésor pour
l'année prochaine.
LA GAUCHE RADICALE
La gauche radicale a procédé hier au
renouvellement de son bureau.
M. Jullien a été élu président; M. Mon-
taut (Seine-et-Marne), a été élu vice-pré-
sident ; MM. Dupuis (Aisne), et .Brugeilles
ont été nommés secrétaires ; M. Viger,
questeur.
Il reste un second vice-président à
élire ; pour ce siège, M. Carret .(Savoie)
est en ballottage avec M. Colfavru.
ÉLECTION SÉNATORIALE
On a procédé hier au Sénat au tirage
au sort du département auquel devra
être annexé le siège d'inamovible trans-
formé en siège départemental par suite du
décès de M. Corne.
C'est le Cher qui a été désigné par le
sort. Le Cher possède déjà deux sénateurs
républicains, MM. Girault et Peaudecerf.
M. Corne, qui appartenait au centre gau-
che dissident, sera donc remplacé par un
sénateur de nuance plus avancée.
A LA CHAMBRE
La discussion de la loi sur les céréales
s'est ouverte hier, non sans une certaine
solennité. Comme pour mieux faire sentir
aux députés la gravité exceptionnelle, la
haute importance du débat qui commen-
çait, au moment précis où le premier
orateur inscrit montait à la tribune, plu-
sieurs délégations se présentaient au
palais Bourbon apportant aux pouvoirs
publics de nombreuses et vives protesta-
tions contre la loi du « pain cher ». — On
sait que, en juin dernier, après une lutte
oratoire des plus intéressantes, l'article 1er
de cette loi avait été renvoyé à la commis-
sion. Il eût semblé logique de rouvrir la
discussion générale, le projet rapporté, en
dernière analyse, par ladite commission,
n'étant nullement celui qu'on lui avait
retourné. Il en a été décidé autrement.
La discussion a pris pour base l'article Ier.
Mais M. Rouvier a pris soin de bien préci-
ser la situation, réclamant pour le débat
toute l'ampleur qu'il comporte; cela afin
de retirer, dès à présent, à la droite, l'en-
vie, qui aurait pu lui venir, de réclamer la
clôture après un ou deux discours.
C'est M. Lyonnais qui a ouvert le feu ;
M. Lyonnais parle bien. Avec parfois, ce-
pendant, un peu trop d'emphase. Il a fait
subir au projet de loi un rude assaut;
reprenant un à un les arguments déve-
loppés au cours de la dernière discussion
par MM. Deschanel, Beaucarne-Leroux et
Méline, et démontrant victorieusement
leur peu de solidité. Remercions M. Lyon-
nais d'avoir tout de suite placé la ques-
tion sur son véritable terrain. Si l'agri-
culture souffre d'une crise, ne peut-elle
trouver en elle-même, au lieu de recourir
à de vaines mesures de protection, les
remèdes à ces souffrances ? En France, le
rendement du blé est d'environ 15 hec-
tolitres par hectare en moyenne; il est,
en Angleterre et en Belgique, de 23 hecto-
litres. Pourquoi cette infériorité ? Le sol
de la France est-il moins fertile que celui
de l'Angleterre et de la Belgique? Qui ose-
rait le dire ? D'ailleurs, à.ceux qui assume-
raient la responsabilité d'une affirmation
aussi erronée, les faits se chargent de ré-
pondre. Dans la Bretagne, qui n'est certes
pas la contrée la plus favorable à la culture,
on est arrivé, grâce à l'emploi de méthodes
intelligentes et raisonnées, à un rendement
de 32 hectolitres. Il n'est donc nullement
exagéré de dire que la France pourrait
parvenir à un rendement moyen de
20 hectolitres. Eh bien ! si ce rendement
était obtenu, nous arriverions à produire
115 millions d'hecto'itres, c'est-à-dire
40 millions d'hectolitres de plus qu'il n'en
faut pour notre consommation. — Telle a
été, dans sa partie principale, l'argumen-
tation de M. Lyonnais, et comme elle
est, ou nous nous trompons fort, irréfu-
table, à droite on s'est contenté de répon-
dre par des interruptions en général inin-
telligibles.
A M. Lyonnais M. Deschanel a succédé.
On se rappelle que M. Deschanel ayant
fait son début à la tribune, l'an dernier,
précisément par un discours en faveur de
la loi sur les céréales, nous n'avons pas
marchandé les éloges au jeune orateur,
qui, en défendant une thèse contre la
quelle nous ne nous lasserons pas de
protester, avait au moins fait preuve
d'un très réel talent. Ces éloges, -notre
sincérité nous empêche de les reproduire
aujourd'hui. Oh 1 les discours appris par
cœur! Vous ne sauriez croire combien est
fatigant, à la la longue, un défilé de phra-
ses proprettes, peignées, pommadées. Ah!
qu'on aime mieux — que j'aime mieux —■*
ces incorrections de langage, ces périodes
mal bâties entassées, à la diable, que l'é-
motion de l'orateur entrecoupe et dislo-
que et qui vont, tant bien que mal, au
hasard de l'improvisatipn. Il y a en-
droit pour tout, que diable r la tri-
bune n'est pas une chaire; on y est
pour discuter, non pour prêcher ! — Si
encore, dans la conférence-sermon dont
il nous, a gratifiés, M. Deschanel avait
récité des choses intéressantes ; mais il
nous a semblé déplorablement banal,
parlant presque tout le temps en dehors
du sujet et insistant, par exemple, lon-
guement sur la protection dont jouit plus
ou moins légitimement l'industrie. Il ne
s'agit pas de cela. Il s'agit de savoir s'il y
a, oui ou non, du danger à établir une
taxe sur le blé, c'est-à-dire sur le pain ; il
s'agit de savoir si le Parlement a le droit
de décréter le renchérissement possible
du pain. Que viennent faire ici des dis-
cussions de principes et de doctrines ?
M. Deschanel n'en est pas sorti. Il n'est
guère descendu des hauteurs nébuleuses
de la théorie. Il a été dogmatique. Par-
fois, il a fait sourire ; quand il a montré
les agriculteurs que l'on exhorte à se
mettre au courant des progrès de la
science, disant aux législateurs : Et vous,
avez-vous renouvelé votre outillage ? -
A d'autres moments il a soulevé de vives
protestations, quand il a accusé le libre-
échange d'aller « fatalement contre l'idée
de patrie ». Nous n'insistons pas là-dessus
pour le moment ; nous y reviendrons.
M. Deschanel a terminé par une tirade
relative à « la lutte pour l'existence ».
Passons. Pour tout dire, enfin, l'orateur
a paru bien blond et bien rose pour jouer
les Nestor et si, à droite, on l'a chaleu-
reusement applaudi, la gauche est restée
beaucoup plus froide, ce que, pour notre
part, nous comprenons parfaitement.
Ç'a été un véritable plaisir après cela
d'entendre la parole ardente et colorée
de M. Thévenet. Avec une grande élo-
quence, l'honorable député du Rhône a
fait la critique décisive du projet de loi. Il
a montré, pendant qu'à l'étranger on se
préoccupe sans cesse de perfectionner les
méthodes et les procédés de culture, l'a-
griculteur français, à l'abri derrière ses
barricades douanières, s'encroûtant de
plus en plus dans sa routine et dans son
incurie. — Ce que vous demandez, s'est-
il écrié, c'est la protection de l'ignorance !
— Puis, s'adressant à ceux qui persistent
à réclamer ce qu'ils appellent « l'égalité
dans la protection » : - Que répondriez-
vous, leur a-t-il demandé, si nous, qtft
représentons les ouvriers de l'agglomérai
Lion lyonnaise, nous venions récW
mer de vous, pour ces populations s~
intéressantes, la protection des salaires^
l'établissement d'un salaire minimum? -;
I! a rappelé ensuite qu'au temps où la !
commission proposait un droit variable,
on présentait ce droit variable comme le'
moyen d'empêcher, en cas de disette, leu,,
désastreux effets de la protection. On aj
renoncé au droit variable. Que ferez-vous;
si, par suite d'une mauvaise récolte, leli
importations faisant défaut, une crise,j
une disette survient? L'orateur, soutenu,
par les applaudissements mérités de la-
gauche, a terminé sur cette interrogation
si inquiétante : « Prenez garde 1 s'est-il
écrié, votre loi du pain cher pourrait, en>
certaines occurrences fatales, devenir uq¡
prétexte aux colères populaires! » ,
Après ce très remarquable discours, là:
séance à été levée. Demain, les proteci
tionnistes essayeront de répondre; mais,^
sans plus attendre, nous avons le droit de
dire que, devant l'opinion publique, leur,
loi est jugée, — condamnée. j
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.} >
————-
., -. Au Sénat, le tirage au sort auquel il i
été procédé au début de la séance, s
désigné le département du Cher pout
donner un remplaçant à M. Corne, sénai
teur inamovible décédé. Puis on a repris:
la discussion de la loi sur les aliénés dont
plusieurs articles ont été adoptés. Sur la
demande de M. Dauphin, ministre des
finances, le Sénat a décidé de commencer
demain samedi la discussion du budget.
e
M QUESTION DE L'ESPIERRE
Bon ! un nouveau point noir à l'hori-
zon ! Il ne s'agit plus aujourd'hui d'une
difficulté avec l'Allemagne, à laquelle^
après tout nous ne sommes pas incapa^
bles de faire face ; la question est autrei
ment grave. C'est avec la Belgique que;
nous allons avoir affaire, et le motif du
conflit est un égout !
De France en Belgique coule une petite
rivière qui s'appelle I'Espierre et qui avant
de se jeter dans l'Escaut, au-dessous de
Tournai, est contaminée par tous les réi
sidus des usines que ses eaux contribuent
à faire marcher. Depuis une éternité le'
gouvernement belge demande que nous
portions remède à cette situation et que-
nous trouvions un moyèn moins primitif
de vidange que celui qui consiste à jeter
ses ordures chez le voisin. En cela le gou-
vernement belge a absolument raison,,
comme avait raison le département de
Seiue-el-Oise au sujet de l'empoisonner
ment de la Seine avant qu'il s'élevât con^'
tre le seul procédé sérieux d'assainisse-
ment et de désinfection qu'on ait trouvé
jusqu'à présent et qui est l'épuration par.
le sol. Si le gouvernement belge est dans
son droit, il est permis par contre de
trouver bizarre la façon dont un de ses
ministres, le sieur Moreau d'Audoy, a fait
choix pour nous rappeler à nos devoirs-
La Chambre, a-t-il répondu à une ques-
tion qu'on lui adressait peut compter sutf
la « fermeté » du gouvernement. Si la
Belgique n'obtient pas « pleine satisfac-
Lion », nous aviserons.
Il est des êtres timides auprès de qui
celangage a rdt l'office d'un épouvantai-
Déjà ils voyaient derrière le chevalier
Moreau s'agiter la main de M. de Bis-
marck, et, pour un peu, ils auraient
transformé la question de l'Espierre en un
pendant de celles des duchés ou de celle
du Luxembourg. Ces craintes se sont
apaisées, Dieu merci 1 Des gens de sens
i
Feuilleton du RAPPEL
¡'. DU 19 FÉVRIER ;,'
'1 1 r •
m
LA LI N DA
ROMAN PARISIEN
TROISIÈME PARTIE
1
CHAPITRE lot
tae représentation 4«
« Huguenots»
— Suite —
r La crise, qui pour tous était une ago"
nie, se prolongea encore plus de deux
semaines, pendant lesquelles Antonin ne
reconnaissait personne ; le délire ne dis-
continuait pas.
Mais cette prolongation même était une
espérance; et le vingt-cinquième jour,
les médecins purent dire:. Peut-êtret Ce
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 8 janvier au 18 février.
ne fut que le quarantième qu'ils dirent :
Il est sauvé 1
Ce jour-là, en effet, Antonin parut
avoir quelque conscience de lui-même. Il
regarda son père et lui sourit. Il serra
doucement la main de sa sœur. Puis ses
yeux cherchèrent autour de lui, et il mur-
mura un nom : Laura?..
Mais sa pensée, heureusement, était
encore vague et faible, et il retomba pres-
que aussitôt dans la torpeur, qui était son
salut. La nature, cette merveilleuse garde-
malade, ne lui rendit toute sa raison que
lorsqu'il fut en état de supporter la vérité.
Alors il se souvint. — Laura, sa Laura,
qu'il nommait sans cesse dans sa fièvre,
elle n'était pas là 1 elle l'avait abandonné !
Quand donc ? A quel moment ? Ah 1 oui,
un matin, elle s'était enfuie. Est-ce
qu'elle s'était enfuie seule?
Il se rappelait la fatale dépêche. Mais il
se rappela aussi cette lettre, — une lettre
d'elle, — qu'il n'avait pas eu le temps
d'ouvrir.
Il interrogea. Et son père lui remit
alors les deux lettres de Laura, qui ne
pouvaient lui [faire que du bien.
Elles lui firent du bien, en effet : il put
enfin pleurer, pleurer à chaudes larmes.
— Ah! tu vois, mon père, elle m'aime!
disait-il ; elle m'aime toujours, elle m'ap-
pelle, elle m'attend ! Et tu me dis qu'il y
a près de deux mois qu'elle m'attend?
Mais comment se fait-il que, pendant tout j
ce temps, elle soit restée loin de moi qui J
me mourais ? Elle ne sait donc rien? elle
n'a donc pas eu de mes nouvelles?
Le comte dut lui avouer comment, dans
une minute d'affolement où la mort
d'Antonin apparaissait à tous comme iné-
vitable et prochaine, il avait fait à Laura
cette réponse implacable qui lui interdi-
sait tout nouvel appel et lui fermait tout
retour.
D'ailleurs, il en convenait, il avait
ajouté foi à la dépêche anonyme, et elle
lui avait fait croire que la lettre de Laura
mentait.
— Non! non! c'est la dépêche qui
mentait t s'écria Antonin. Laura dit vrai,
puisqu'elle dit qu'elle m'aime. Ah ! tu ne
la connais pas ! c'est l'âme la plus sin-
cère et la plus loyale ! Et quant à ce Lau-
retto Mina, je sais, je suis sûr qu'elle l'a
en mépris et en horreur.
Le comte de Bizeux, n'eût-il été qu'à
demi-convaincu, n'aurait pas voulu con-
tredire ou décourager son fils.
Antonin voulait écrire tout de suite
à Laura, la demander, l'appeler auprès
de lui sans retard. Mais le médecin dé-
c'ara que cette émotion était encore au-
dessus de ses forces, et qu'il y aurait
danger de rechute à la risquer.
Dès lors, il valait mieux ne pas avertir
Laura. Antonin, dès qu'il serait rétabli,
dès qu'il pourrait partir, voulait courir
lui-même à elle et la surprendre.
Ce fut vers ce temps-là que les jour-
naux annoncèrent les représentations de
la Linda à l'Opéra.
— Ne la troublons pas, disait Antonin;
laissons-la satisfaire à son désir; laissons-
la revenir à son rêve. Elle reviendra plus
calme ensuite à son amour.
Le comte, après avoir désespéré, était
si heureux de ravoir son fils bien aimé,
qu'il voulait croire et espérer avec lui.
Son généreux cœur avait, d'ailleurs, vis-
à-vis de Laura, des reproches à se faire ;
il avait été injuste, il avait été cruel pour
elle. Lui aussi, il avait hâte de la revoir
pour lui demander noblement pardon.
Il eut pourtant encore un moment d'in-
quiétude en voyant parfois, dans les
comptes-rendus de théâtre, le nom de
Lauretto Mina auprès du nom de la
Linda. Il se garda d'en parler à son fils ;
ce fut Antonin qui en parla le premier.
Il n'avait, pas, lui, l'ombre d'un doute.
Avec cette intuition qui est comme la
seconde vue de l'amour, il avait la con-
viction absolue que cet homme, ce Lau-
retto, n'était rien, ne serait jamais rien
pour Laura. Lui si ombrageux, si jaloux,
comme tous ceux qui aiment vémùNe-
ment, il se sentait profondément aimê.
Il se rappelait leurs dernières jour-
nées, leurs dernières caresses, et, quel-
ques torts que Laura crût avoir à lui re-
procher, il savait, en interrogeant son
cœur, qu'elle était toujours à lui et à lui
seul.
Il avait raison. Non seulement la Linda
n'aimait pas le ténor, mais elle le détes-
tait.
Elle le détestait, et, de plus, elle le lui
faisait voir.
C'était trop, vis-à-vis d'un homme au-
quel manquait à ce point le sens moral.
Laura avait un soupçon vague que Lau-
retto Mina était pour quelque chose dans
le délaissement d'Antonin. Le soir du con-
cert, il n'était pas si loin de Remissy sur
l'estrade qu'il n'eût pu lui donner un
rapide avertissement. Laura se rappelait
aussi avec quel sourire narquois et mé-
chant, le jour de sa fuite, il l'avait sa-
luée en silence, à l'arrivée du train à
Paris ; elle avait aussitôt deviné quelque
trahison.
Cependant la fatuité de Lauretto Mina
ne se décourageait pas aisément, et, quand
il avait revu la Linda au théâtre, il avait
essayé encore, avec des formes plus ré-
servées et presque respectueuses, de lui
faire agréer sa cour.
S'il n'aimait pas la Linda, il la désirait
avec violence, et, comme il le lui avait
dit, plus qu'il n'avait désiré aucune
femme. Il lui exprima cet amour d'un ton
sérieux qui ne lui était pas habituel.
- Il la voyait, disait-il, isolée et comme
abandonnée ; celui qu'elle appelait à
Saint-Malo son *Z?ari semblait l'avoir dé-
laissée ; si elle voulait d'un ami, d'un ami
dévoué, qui se ferait tuer avec joie pour
elle, elle n'avait qu'à mettre à l'épreuve
son camarade Lauretto Mina.
La prudence eût voulu que la Lindà
refusât les avances de Lauretto Mina avec
une certaine douceur, sans l'irriter, sans
le blesser. Mais sa répugnance fut la plus
forte, et elle la laissa percer un peu trop
visiblement dans sa réponse.
De ce jour, Lauretto Mina ajouta à son
amour la haine et devint l'ennemi mortel
de la Linda. -
— Ah! elle me méprise! se dit-il, eh
bien, je jure qu'elle sera à moi !
D'anciens camarades, qui avaient passS
des Italiens à l'Opéra, se rappelaient d'ail-
leurs, et lui rappelaient en riant, qu'il
s'était autrefois vanté, ne pouvant être le
premier dans le cœur de la Linda, d'y ar-
river du moins un jour bon second. —
Mais, remarquait-on, il n'y paraissait
guère, et l'accueil glacé que lui faisait la
diva ne devait pas lui laisser beaucoup
d'espérances !
— C'est bon ! c'est bon ! répliqu ait-il en
se mordant la lèvre, tout vient à point à
qui sait attendre; le vicomte absent, je
n'ai pas du moins de rival, et je vous
parie tout ce que vous voudrez que vous
verrez se vérifier quelque jour, ou quelque
nuit, la prédiction de notre ancien patron
Pozzoli : Il l'aura, Laura!
C'est dans ces dispositions menaçantes
que se trouvait le haineux adorateur de
Laura au moment où Antonin arriva t
Paris. --. i
ALFRED SIRYEN.
LA luillrtJ.
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