Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-01-13
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 janvier 1887 13 janvier 1887
Description : 1887/01/13 (N6152). 1887/01/13 (N6152).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75398178
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/11/2012
N 6152 - jeudi 13 Janvier 1887 Le numero : 10 c. - ®épai»temeiits : iS c. 24 Nivôse an 95 6 152
jamNISTRATIOK
i8. RUE DE VALOIS, 4&
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 10 »
Sis mois. 20 »
DÉPAt .ALiTS ,.
Trois 13 50
Six inoi s. 22 JÊ
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE
«ADMIOTSTRAXETOv GE3RAHI il
REDACTION
S'adresser au Secrétaire «Le laRéSaetioa,
De ità 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seront pasrellam,
ANNONCES
3»r. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
SESSION ROUVERTE
La Chambre est revenue. Dans les
compliments dont on salue sa rentrée,
le mot qui revient le plus souvent
çst : dissolution. Elle peut s'écrier,
comme le personnage de Théodore
Barrière : — « Mais il n'est question
que de ma mort là-dedans! » La disso-
lution est la fin de toutes les phrases.
La droite en menace la gauche. Le
Soleil : — « La concentration est une
nécessité de gouvernement ; si les deux
fractions de la majorité républicaine
ne peuvent pas parvenir à s'entendre,
et elles ne le pourront pas, la dissolu-
tion deviendra inévitable. »
Les opportunistes en menacent l'ex-
trême gauche. La République française:
- « Ce qu'il est essentiel de bien mar-
quer au début de la session, c'est que
la crainte de la dissolution est devenue,
-. au palais Bourbon, l'un des principaux
J facteurs de la situation politique. Cette
peur de la dissolution qu'a l'extrême
gauche serà-t-elle salutaire? Sera-t-elle,
comme la crainte de Dieu et celle du
gendarme, le commencement de la sa-
gesse pour les intransigeants? Il faut
l'espérer. »
Les centrt'gauchers en menacent
l'extrême gauche et la droite. Le Jour-
nal des Débats : — « Si l'extrême gau-
che et la droite ne veulent pas per-
mettre au gouvernement d'écarter ré-
solument les prétendues réformes radi-
cales et de n'avoir d'autre préoccupation
que d'équilibrer le budget, elles en au-
ront la responsabilité et elles en sup-
porteront les conséquences. Peut-être
réfléchiront-elles avant de jouer cette
dangereuse partie. »
C'est dans ces aimables et frater-
nelles dispositions qu'on se retrouve
après trois setfiaines de vacances. On
s'entre-met la dissolution sur la gorge.
Le vote ou la vie 1
Ceux qui menacent les autres de la
Dissolution'seraient peu charmés d'être
pris au mot.
+' La droite d'abord. Elle nous fait bien
rire quand elle affecte d'être crâne et
de nous donner rendez-vous devant le
suffrage universel. Souvenez-vous du
4 octobre! nous dit-elle. Nous nous
aouvenons du 4 — et du 18. Nous nous
soutenons du pseudo-succès qu'elle a
dû à une supercherie, à; un mensonge,
à un déguisement des royalistes ét des
bonapartistes en conservateurs ; mais
nous, nous souvenons aussi que, ses
élus ayant eu l'imprudence d'ôter leur
masque, le suffrage universel a, dès le
ballottage, pris sa revanche et la nôtre,
et que, depuis, toutes les élections
partielles ont vengé la République. En
novembre dernier , un des départe-
ments abusés, le Nord, avait un dé-
puté à élire : le candidat monarchiste
a - eu beau se remasquer en conser-
vateur, afficher sur les murs que « la
forme du gouvernement n'était pas
en cause qu'on le calomniait en
'le soupçonnant d'aspirer à « dé-
truire la République » , qu'il n'était
le très humble sujet que de la bette-
rave : les électeurs lui ont répondu que
ces plaisanteries-là ne se recommençaient
pas, et il en a été pour les frais de son
faux-nez. 1887 a débuté comme 1886
avait fini; le 2 janvier, la Loire et Bel-
fort avaient à remplacer deux sénateurs
monarchistes : el:es les ont remplacés
par deux républicains. La droite voit
donc que les électeurs ne sont plus fa-
ciles à duper, et elle est peu tentée de
jouer la partie qu'elle n'a gagnée, le 4
octobre, qu'en trichant.
Les opportunistes et les centregau-
chers ne sont pas beaucoup plus sincères
que les monarchistes en menaçant de
la dissolution l'extrême gauche si elle
ne se fait pas leur très humble servante.
Qui est-ce qui a le plus souffert de la
méprise du 4 octobre? Les centre-
gauchers et les opportunistes. On surfe-
rait les centregauchers en les évaluant
à quatre hommes et un caporal, car
leur caporal, M. Ribot, a été congédié
par les électeurs. C'est sur les opportu-
nistes qu'ont été gagnés presque tous les
sièges dont se sont accrues les droites.
Si, aux ballottages, ils ont réparé une
partie de leurs pertes, c'est grâce à
leur alliance avec les radicaux. Le jour
où ils feraient la dissolution contre
leurs alliés du 18, ils auraient leur
succès du 4. Il leur arriverait ce qui est
arrivé à ce gardien de ménagerie qui,
dans une querelle avec un camarade,
voulut lâcher sur lui le lion, ouvrit la
cage, et fut dévoré.
Les opportunistes et les centregau-
chers, pas plus que lies droitiers, n'ont
envie, au fond, de la dissolution. Ils y
perdraient plus que l'extrême gauche.
Si nous ne la voulons pas, ce n'est pas
par peur qu'elle n'éclaircît nos rangs,
c'est par la raison qui a fait dire qu'un
mauvais arrangement vaut mieux qu'un
bon procès. C'est parce que le pays n'a
pas besoin d'agitations répétées. C'est
parce qu'il est bon pour les institutions
qu'elles fassent preuve de stabilité et
de durée. C'est parce qu'il y a un inté-
rêt que nous mettons avant le nôtre,
celui de la France et de la République.
AUGUSTE VACQUERIE.
„ ,t , Jt—»— —^ .;
COULISSES DES CHAMBRES
Le bureau de la Chambre est, ainsi que
nous l'avions fait prévoir, presque entiè-
rement réélu.
M. Floquet est renommé' président;
MM. Anatole de la Forge, Ernest Lefèvre,
Buyat et Casimir Perier (Aube) sont réélus
vice-présidents.
Sur les huit secrétaires, un seul, ap-
partenant à la droite, est changé. M. Le-
cour remplace M. de Lamarzelle, qui s'est
retiré; l'autre secrétaire de droite, M. Ar-
nous, est réélu.
Les six secrétaires sortants de gauche :
MM. Bovier-Lapierre, Brousse, Dutailly,
Compayre, Etienne et Thévenet, sont
réélus.
M. Etienne avait offert sa démission,
suivant l'usage; mais l'accord n'ayant pu
s'établir pour le choix de son successeur,
le groupe de l'union t des gauches auquel
il appartient a décidé de maintenir sa
candidature.
Les trois questeurs 5 MM. Margaine,
Nadaud et Madier de Montjau, sont
réélus.
Le bureau étant constitué, avis va en
être donné au président de la République
et au Sénat. La Chambra pourra commen-
cer jeudi ses délibérations.
Quant au Sénat, il ne procédera que
demain à l'élection de son bureau. Tous
les membres sortant se représentent et
seront réélus, à l'exception de M. Barbey,
l'un des secrétaires de gauche, qui se re-
tire.
Le gauche a décidé de porter à sa place
M. Loubet, sénateur de la Drôme.
Le conseil des ministres a arrêté défini-
tivement hier matin le projet rectificatif
du budget de 1887, préparé par M. Diu-
phin. Ce projet sera déposé samedi pro-
chain sur le bureau de la Chambre.
Dès aujourd'hui, nous pouvons donner
des renseignements détaillés sur ce projet.
Ainsi que nous l'avons déjà dit, le ca-
binet actuel, revenant sur une décision
du ministère précédent, a décidé de main-
tenir un budget extraordinaire distinct du
Dudget ordinaire.
En ce qui concerne le budget ordinaire,
la question n'est plus entière pour les dé-
penses. La Chambre a déjà voté les mi-
nistères des finances, de la guerre, de la
justice, des affaires étrangères et com-
mencé l'examen du ministère de l'inté-
rieur.
Le nouveau projet de M. Dauphin com-
porte provisoirement les crédits déjà
votés par la Chambre sous réserve de
demander au Sénat et ensuite à la Cham-
bre, lorsque le projet y reviendra, le
rétablissement de certains crédits trop
réduits, tels que celui de l'administration
centrale des finances, ou totalement sup-
primés tel que celui des sous-préfets.
Pour les dépenses non encore votées par
la Chambre, le nouveau projet apporte
quelques réductions, notamment sur les
percepteurs.
Quant à la partie des recettes, elle est
totalement modifiée. M. Dauphin renonce
à toutes les augmentations d'impôts et à
toutes les propositions d'emprunt conte-
nues dans le projet de son prédécesseur
ou proposées par la commission du
budget. Il abandonne notamment la sur-
taxe sur l'alcool, la suppression du privi-
lège des bouilleurs de cru et en général
la réforme de l'impôt des boissons.
M. Dauphin se borne à maintenir les
impôts existants; mais comme les res-
sources fournies par ces impôts, même
en tenant compte des économies déjà ef-
fectuées ou restant à réaliser sur les dé-
penses sont insuffisantes, il propose d'é-
quilibrer le budget par une réduction du
crédit de l'amortissement.
La dotation annuelle de l'amortisse-
ment inscrite au chapitre V du ministère
des finances s'élève, on le sait, à 100 mil-
! Cm. Le nouveau projet réduit cette do-
tation à 25 millions pour 1887. Les 75
millions ainsi prélevés servent à équili-
brer le budget de 1887.
Le crédit de l'amortissement est des-
tiné, on le sait, à rembourser les obliga-
tions sexennaires créées précédemment
pour le service du budget extraordinaire
et qui arrivait à échéance chaque année
jusqu'à concurrence de 100 millions.
Pour faire face aux 75 millions d'obli-
gations sexennaires à l'échéance de 1887
qui ne peuvent être remboursées par suite
de la réduction du fonds d'amortissement,
M. Dauphin propose de créer des obliga-
tions du type de celles émises par les
compagnies de chemins de fer.
Ces obligations seraient productrices
d'un, intérêt de 3 0[0 et remboursables en
66 ans, au capital nominal de 500 fr. par
tirage au sort annuel, à partir de 1888
jusqu'en i953, c'est-à-dire en 66 ans.
Il n'y aurait pas d'émissions publiques
en une ou plusieurs fois. Ces obligations
seraient émises au guichet des trésoriers
généraux, au fur et à mesure des besoins
et à un prix calculé d'après les condi-
tions du marché financier.
Ajoutons que ces obligations jpuiraient
de tous les privilèges accordés à la rente
de l'Etat français, c'est-à-dire qu'elles se-
raient insaisissables.
Les déposants des caisses d'épargne
dont le crédit serait suffisant pourraient
obtenir la transformation de leur capital
en obligations nouvelles sans frais, sur
simple demande de leur part.,
Ce nouveau type d'obligations est éga-
lement proposé par le ministre des finan-
ces pour l'alimentation du budget extra-
ordinaire de 1887.
Nous arrivons ici à la troisième partie
dn budget rectificatif de M. Dauphin.
On sait que la Chambre, sur la proposi-
tion du ministère Freycinet, avait fait un
premier pas dans la voie de la suppres-
sion du budget extraordinaire.
Elle avait décidé de prélever sur l'em-
prunt de 500 millions du mois de mai
1888, une somme de 105 millions qui
serait inscrite parmi les ressources du
budget ordinaire de 1887 et qui serait
applicable aux dépenses extraordinaires
de la guerre, réintégrées désormais parmi
les dépenses ordinaires.
Le cabinet Freycinet proposait de sui-
vre le mène procédé pour les dépenses
extraordinaires des travaux publics. Ces
dépenses fixées à 70 millions devaient être
inscrites au budget ordinaire et soldées
avec les ressources ordinaires, c'est-à-dire
avec le produit de l'impôt. C'est dans le
but de couvrir le surcroît de dépenses or-
dinaires que M. Sadi-Carnot proposait la
réforme de l'impôt des boissons et enpar-
ticulinr la surtaxe de l'alcool.
M. Dauphin institue à nouveau le bud-
get extraordinaire; il en modifie les chif-
fres et le mode d'alimentation.
Les dépenses de la guerre, évaluées
primitivement à 105 millions, sont aug-
mentées de 86 millions et portées à 191
millions pour 1887, afin de pouvoir exé-
cuter les travaux d'armement que l'inté-
rêt de la défense nationale commande et
à l'exemple de ceux qu'exécutent actuel-
lement toutes les grandes puissances
étrangères.
Quant aux travaux publics, au contraire,
le chiffre des dépenses est réduit de 70 à
55 millions.
En tenant compte du prélèvement de
105 millions sur l'emprunt de 1886 déjà
affecté à la guerre, il faut pourvoir à 86
millions d'une part et à 55 de l'autre, soit
à 141 millions. Pour faire face à cette dé-
pense, le ministre des finances propose
de créer des obligations du type nouveau
qu1 nous avons exposé plus haut.
Enfin, pour compléter le règlement de
la situation financière, il faut fournir au
compte d'avance des garanties d'intérêt
de chemins de fer 63 millions pour l'exer-
cice 1885 et 104 millions pour l'exercice
1886. La loi de finances de l'exercice 1886
et le projet de budget de 1887 proposait
de faire face à ces dépenses par la créa-
tion d'obligations sexennaires. M. Dau-
phin propose de substituer à ces titres
non encore émis des obligations du type
nouveau proposé pour le buiget extraor-
dinaire et le solde de l'amortissement de
1887.
De sorte que finalement les nouvelles
obligations qu'il s'agirait d'émettre s'élè-
veraient en totalité à 400 millions envi-
ron, y compris les charges des intérêts et
de l'amortissement.
En réalité, c'est un emprunt de 400
millions du type 3 0[0 amortissable que
M. Dauphin propose d'émettre. La seule
différence réside dans le type de la cou-
pure qui diffère de celui adopté par M.
Léon Say lors de la création du 3 0(0
amortissable en 1878. En outre, comme
nous l'avons dit, au lieu d'une souscrip-
tion publique, on fait des émissions suc-
cessives au guichet des trésoriers géné-
raux, de manière à compléter la ressem-
blance avec les obligations émises par les
compagnies de chemins de fer.
Le projet rectificatif de budget de M.
Dauphin est complété par un projet de loi
spécial augmentant de 10 fr. par 100 kil.
le droit sur les sucres raffinés pour l'exer-
cice 1887 seulement, de manière à com-
penser pour partie la moins-value que les
prévisions du rendement effectif de la
campagne 1886-87 font pressentir sur l'é-
valuation de la recette de l'impôt des
sucres telle qu'elle avait été établie au
projet de M. Sadi-Carnot. Cette augmen-
tation de droit sur les sucres raffinés ces-
sera d'ailleurs lorsque le projet relatif à la
modification de la loi de 1884 sur le ré-
gime des sucres que le gouvernement va
déposer sera voté.
Tel est le nouveau projet de budget. Ce
projet, comme nous l'avons dit plus haut,
sera déposé samedi sur le bureau de la
Chambre. La commission du budget se
réunira le jour même pour l'examiner.
Hier, elle avait été convoquée dans l'es-
poir qu'elle serait saisie, au moins offi-
cieusement, des nouvelles propositions du
gouvernement ; mais elle a dû lever sa
séance, M. Goblet ayant déclaré au prési-
dent que le projet ne serait pas déposé
avant samedi.
4.
Les ministres se sont réunis hier matin,
à l'Eiysée, sous la présidence de M. Jules
Grévy.
Le général Boulanger a donné commu-
nication d'un rapport télégraphique rela-
tif à des faits qui se sont passés au Tonkin
dans le commencement de janvier.
Un groupe nombreux de rebelles s'est
rassemblé à Than-Hoa et s'y est très soli-
dement fortifié. Deux attaques succes-
sives sans résultat; quatre officiers bles-
sés; cinq soldats européens et huit tonki-
nois tués; quinze soldats européens et
vingt-sept tonkinois blessés.
Des renforts, artillerie et infanterie, ont
été envoyés aussitôt à Than-Hoa, et le
colonel Brissaud vient d'en prendre le
commandement.
M. Goblet, rr i istre de l'intérieur, a
signé lano ninalion deM. Bourgeois comme
directeur de l'administration départemen-
tale et communale en remplacement de
M. Laffon, démissionnaire et celle de M.
Allain-Targé, préfet de l'Aisne, comme
directeur du personnel et du secrétariat.
Le général Boulanger a soumis à la si-
gnature du président de la République
des décrets nommant cinq généraux de
division et des généraux de brigade.
A LA CHAMBRE
La rentrée des Chambres s'est effectuée
hier de la façon la plus calme du monde.
Aucun incident. Quand M. Pierre Blanc,
député de la Savoie, à qui ses quatre-
vingt-deux ans procurent l'honneur de
présider la première séance, est monté au
fauteuil, à peine s'il y avait vingt députés
dans la salle. Quant aux tribunes, elles
étaient à peu près vides. Dans l'une d'elles
se voyaient les délégués bulgares. Peu à
peu, cependant, les bancs se sont garnis.
Le président d'âge a déclaré la session de
1887 ouverte et appelé au bureau, pour y
remplir les fonctions de secrétaires, les
six plus jeunes membres de la Chambre.
Notons qu'ils y étaient déjà. Un mur-
mure flatteur a accueilli le nom de M.
Jaurès, député du Tarn, qui, dans ce
tournoi d'un ,nouveau genre, arrive bon
premier, étant né en 1859. A côté de lui
ont pris place MM. Millerand, Laguerre,
Hubbard, Gaudin et Le Hérissée
Après quoi M. Blanc, le « dernier des
Allobroges », comme on l'appelle fami-
lièrement, pour faire pendant, sans doute,
au dernier des Abencérages, a prononcé
l'allocution d'usage. Grand, osseux, M.
Blanc — il ne prendra pas ceci en mau-
vaise part — a tout à fait une tête de
paysan, de ces vieux paysans madrés et
retors comme on en rencontre loin des
villes, au milieu des parfums de la saine
campagne. On se le figure volontiers en
blouse, les pieds dans des sabots, un
bonnet de laine sur ses cheveux blancs
ébouriffés. Il parle bien, d'une voix un
peu tremblante par moments,ferme néan-
moins. En somme, ce sont Il quatrevingt-
deux ans solidement portés.
Son discours n'a été autre chose qu'un
chaleureux appel à l'union. « Une entente
durable entre toutes les fractions du parti
républicain, a-t-il dit, est le besoin supé-
rieur du moment. » Ces paroles ont ren-
contré à gauche une unanime adhésion,
ce qui est d'un excellent augure. Il a en-
suite, à grands traits, esquissé le pro-
gramme de l'œuvre à entreprendre, ex-
primant l'espoir que, parmi les réformes
à accomplir, la majorité saurait « choisir
celles qui sont réalisables par un accord
facile, sans causer de froissements, accor-
der dans ce choix la préférence à celles
qui intéressent l'agriculture, re travail
national, le sort des classes laborieuses,;
l'organisation de l'armée, puis les voter-
avec cet ensemble dont l'admirable exem-,
pie a été donné sur la loi de laïcité. » —■*
La droite, qui avait applaudi au mot
« agriculture », s'est considérablement
refroidie à la fin de la phrase.
M. Blanc a parlé ensuite, aux applau-
dissements de toute la gauche , de la
réforme financière et de la réforme ad";
ministrative. Il a terminé en s'écriant :
« Et maintenant, messieurs, à l'œuvre et
en avant, le regard toujours fixé sur la
France et sur la République ! » Après quoi
ont commencé les scrutins pour l'élection
du bureau. Vous savez comment cela sa
pratique. Une urne est placée sur le
marbre de la tribune. Les députés- dé.
filent, remettant chacun son bulletin de
vote, sous enveloppe, à un secrétaire qui
pousse ledit bulletin dans ladite urne.
C'est long. Et quand c'est fini pour la
président, on le recommence pour les
vice-présidents, ensuite pour les secré-
taires, enfin pour les questeurs. Le moin-
dre défaut de cette opération est soiï
extrême monotonie. Que faire ? On des-
cend dans le salon de la Paix. -On allume
un cigare, puis un autre. On écoute les
bruits de couloirs. Mais Jes bruits de cou-
loirs, eux-mêmes, manquent. Un Africain
que l'on voit causer avec M. Clémenceau
fait, un instant, sensation ; type superbe
de Berbère, colossal, rendu plus gigan-
tesque encore par son haut turban et son
ample burnous. On flâne. Il y aurait in-
térêt s'il y avait compétitions, rivalités,
mais la réélection de tout le bureau ne
fait doute pour pe sonne.
Les heures se passent. Enfin on pro-
clame les résultats du vote. Ils sont teli
qu'on les avait prévus.
Le bureau définitif se trouvant ainsi
constitué, le président d'âge a levé là
séance. — Jeudi, nous pouvons l'espérer;
on se mettra au travail sérieusement.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
■■ ■■■■ I ■ I .m — mm -i.
Au Sénat, l'aLocution d'usage a été-
prononcée par M. Carnot, doyen, d'âge.
L'orateur a retracé les travaux de la.
haute Assemblée pendant l'année écoulée,
insistant surtout sur les lo's relatives aux
aliénés et à la naturalisation. Il a ensuite,,,
dans un excellent langage, exprimé des,
vœux sincères pour le maintien de la paix;
européenne, affirmant toutefois, avec une,
yigueur qui lui a vdlu de chauds applau-
dissements,qu'au besoin « la nation saurait
enfanter des légions républicaines pa-
reilles à celles qui ont sauvé la France ils
y a bientôt un siècle-! » — Après ce dis- !
cours, la séance a été levée, le Sénat re-,
mettant à jeudi l'élection de son bureau
dé-fiiiitif. - L. v.-M.
$
L'ARMÉE ALLEMANDE
Les dépêches de Berlin nous apportent
le compte-rendu de la dernière séance dn
Parlement allemand.
La proposition de -lui militaire a ét«
présentée.
Voici les passages principaux du dis~
cours de M. de Bismarck :
Il s'agit actuellement de conserver à l'Eu-
rope les bienfaits de la paix ; pour atteindra
ce but, il faut avant tout une forte armée.
Nos relations avec toutes les puissances
sont excellentes. Les bonnes relations que
nous entretenons avec la Russie sont aussi t
l'abri de tout soupçon. Nous n'éprouvons
vraiment aucune velléité belliqueuse, et il
n'est guère possible non plus d'appréhender,
que la Russie nourrisse un pareil sentiment.].
Il est absolument certain que nous ne ferons
pas, quant à nous, la guerre à la Russie.
En présentant le projet de loi, nous n'avons
vraiment pas songé à une coalition de lai
France et de la Russie. Aucun des motifs*
qu'on nous a attribués à cet égard n'existe
réellement.
Nous sommes aussi en bons rapports avec
feuilleton du KAPFEXi
',,/" DU 13 JANVIER
", V
LA LINDA
ROMAN PARISIEN
PREMIÈRE PARTIS
CHAPITRE
Laora Linda
- Suite -
Quant aux amoureux de la Linda, plus
nombreux encore que les épouseurs, ils
y perdirent tous leur temps et leurs peines.
A commencer par le ténor léger, Lau-
retto Mina ; beau garçon pourtant, et très
infatué de sa personne; car il connaissait
pen de rebelles.
Il avait été prévôt dans une salle d'armes.
Reproduction interdite.
Voir le Ramel du 8 &U JJ jQQjtotp
et c'est là qu'il avait été découvert par
le soprano pour le quart d'heure régnant
chez Pozzoli. Il avait une jolie voix, mais
il ne savait pas s'en servir et il était trop
nonchalant ponr apprendre; il s'en
tirait par un aplomb imperturbable. Dès
le commencement, il se proclama amou-
reux fou de la Linda. Mais, avec sa finesse
de femme, elle vit tout de suite à quelle
impertinence elle avait affaire, et elle
l'éconduisit, beaucoup moins gentiment
que les autres, avec une froideur qui res-
semblait fort à du dédain. De là, chez le
vaniteux personnage, une rancune sourde,
qui mêla une sorte de haine à son amour,
ou plutôt à son désir. Il fit néanmoins
bonne contenance, et déclara, avec un
respect ironique, qu'il s'inclinait devant la
haute vertu de la chanteuse; désormais,
empruntant ce surnom à l'air fameux de
iVorma, il ne l'appela plus que Casta diva.
— Je suis si paresseux! disait-il au
foyer des artistes, jamais je n'aurais la
patience et le loisir de tenir un long siège
devant une pureté de si farouche accès,
je cède la place à quelque assaillant de
plus robuste persévérance. J'attendrai. Je
renonce à être le premier, mais je jure
par Vénus et l'Amour que je serai le se-
cond.
Un autre amoureux de meilleure com-
position fut Remissy, le violoniste hon-
grois, un primai, quelques-uns disaient
même un fou, mais un grand, un véri-
table artiste. Il était venu à Milan pour
entendre Marcia dont il admirait beaucoup
le talent, si différent pourtant du sien. Il
vit la Linda, et, avec sa véhémence d'im-
pressions, s'enflamma d'enthouaiasme à la
fois pour son talent et pour sa beauté.
Mais elle le prit, lui, par le sourire et
par la douceur, et son beau feu tomba
subitement.
— Vous avez cent fois raison! lui dit-il,
vous ne pouvez pas, vous, prendre au
sérieux un toqué tel que moi. Et puis, je
ne suis pas très sûr de ne pas confondre,
il se peut bien que j'adore tout simplement
votre voix. Ça, par exemple, je n'en dé-
mordrai pas. Je ferais deux cent lieues
pour venir vous entendre. Votre voix !
elle me transporte au septième ciel 1 Con-
venons d'une chose : je ne serai pas votre
ami, je serai votre idolâtre. Et je te de-
mande la permission de te tutoyer,
comme la divinité.
De tous ses amoureux qui étaient véri-
tablement bons et sincères, Laura se fit
ainsi des amis. Au premier rang de ces
convertis, elle avait, à Paris, le docteur
Despujolles, le médecin, la providence
des théâtres, et surtout des théâtres de,
chant. On avait un enrouement le matin ;
son homœopathie avait de petites fioles
magiques, grâce auxquelles on chantait,
l.ô. soif» comme un rossignol. Il fut un peu
plus récalcitrant que Remissy à cette
guérison, homœopathique aussi, de l'a-
mour par l'amitié ; mais il était homme
d'esprit et il finit, non-seulement par se
résigner, mais par se complaire à son
nouveau rôle.
Tous ces renseignements sur la Linda,
Antonin de Bizeux les avait recueillis au
jour le jour, de celui-ci et de celui-là, en
affectant un air d'indifférence, mais avec
un intérêt et une émotion dont il ne
convenait pas avec lui-même, en craignant
et en souhaitant à la fois qu'on lui signa-
lât quelque tache grave dans le passé de
la diva; elle eût été dès lors pour lui
moins dangereuse.
Le lendemain de l'âneeudlt,
Il était près de midi. Laura, qui venait
seulement de se lever, était étendue, lan-
guissante et tout endolorie, sur le canapé
de son petit salon. Elle fouillait, d'une
main distraite, dans un monceau de car-
tes et de feuillets déchirés de porte-
feuille, qui couvraient à sa portée le mar-
bre d'un guéridon.
Au milieu des noms dé ce qu'on appelle
Topt Paris, elle cherchait uii nom qu'elle
ne trouvait pas. Elle lisait avùc indiffé-
rence les mots au crayon jetés bur tous
ces bouts dé bristol et de papier.
Elle retint un peu plus longtemps cette
carte de Pozzoli :
« L'Opéra est mort, vivent les Italiens !
Pozzoli se présentera demain chez l'illus-
trissime diva et apportera un traité en
blanc à son ex et future pensionnaire. »
Elle fronça le sourcil en voyant la carte
de Lauretto Mina.
« Pends-toi, Lauretto ! Laura a failli
être brûlée vive, et tu n'étais pas là pour
la sauver! »
En revanche, elle eut un sourire en
déchiffrant ces trois lignes, à peu près illi-
sibles, de Remissy:
« J'ai composé ce matin un cantique
d'actions de grâces, un alleluia triom-
phant, que j'irai te jouer sur mon violon,
étoile de ma vie, dès que tu pourras rece-
voir ton ver de terre. — Rémissy ».
Laura voulut sur le champ répondre à
Rémissy pour l'inviter à déjeuner avec
elle le lendemain et elle sonna Jacinla, sa
femme de chambre, pour qu'elle lui ap-
portât l'encrier.
Jacinta était la sœur de lait de Laura et
n'avait par conséquent que peu de mois
de plus qu'elle. C'était une très jolie fille,
d'un brun mat et chaud, les yeux et les
cheveux noirs, la lèvre rouge et forte.
Elle n'avait jamais quitté Laura, qu'elle
aimait bien et qu'elle servait mal.
— Voilà encore d'autres cartes, ma-
dame, dit-elle oeadant oue Laura écri-
vait, presque toute apportées par les per:
sonnes elles-mêmes ; mais le concierge ne
laissera monter personne.
— Excepté le docteur Despujolles
quand il viendra.
— Oui, et puis celui qui a sauvé la vie.
cette nuit à madame?
— M. Antonin de Bizeux? oui, lui aussi.,
je vous l'ai dit.
— Ah ! c'est bien le moins ! Sans lui, en:
ce moment-ci, madame serait morte. Et
moi de môme, par dessus le marché. Car,
madame sait bien que je ne lui aurais pas
survécu.
— C'est un courageux homme, en effetl
dit Laura pensive.
— Et si beau! Ahl par exemple, oaî
peut dire que celui-là est beau!
— Jacinta!.
— Oh! madame !. j'ai juré à madame,
par Notre-Dame, que je ne dirais plus'
jamais, pàriaûi à un homme, qu'il estj
beau, quand ce serait Saint Michel ar-j
change. Mais à madame je peux bien le;
dire, il n'y a pas de danger.
— Taisez-vous! fit Laura qui ne put]
s'empêcher de sourire, et faites porter
cette lettre sur-le-champ, à M. RemissjJ
rue Favart. -
ALFRED SlftYËN.
(4 mmù
jamNISTRATIOK
i8. RUE DE VALOIS, 4&
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 10 »
Sis mois. 20 »
DÉPAt .ALiTS ,.
Trois 13 50
Six inoi s. 22 JÊ
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE
«ADMIOTSTRAXETOv GE3RAHI il
REDACTION
S'adresser au Secrétaire «Le laRéSaetioa,
De ità 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seront pasrellam,
ANNONCES
3»r. Ch. LAGRANGE, CERF et C.
6, place de la Bourse, 6
SESSION ROUVERTE
La Chambre est revenue. Dans les
compliments dont on salue sa rentrée,
le mot qui revient le plus souvent
çst : dissolution. Elle peut s'écrier,
comme le personnage de Théodore
Barrière : — « Mais il n'est question
que de ma mort là-dedans! » La disso-
lution est la fin de toutes les phrases.
La droite en menace la gauche. Le
Soleil : — « La concentration est une
nécessité de gouvernement ; si les deux
fractions de la majorité républicaine
ne peuvent pas parvenir à s'entendre,
et elles ne le pourront pas, la dissolu-
tion deviendra inévitable. »
Les opportunistes en menacent l'ex-
trême gauche. La République française:
- « Ce qu'il est essentiel de bien mar-
quer au début de la session, c'est que
la crainte de la dissolution est devenue,
-. au palais Bourbon, l'un des principaux
J facteurs de la situation politique. Cette
peur de la dissolution qu'a l'extrême
gauche serà-t-elle salutaire? Sera-t-elle,
comme la crainte de Dieu et celle du
gendarme, le commencement de la sa-
gesse pour les intransigeants? Il faut
l'espérer. »
Les centrt'gauchers en menacent
l'extrême gauche et la droite. Le Jour-
nal des Débats : — « Si l'extrême gau-
che et la droite ne veulent pas per-
mettre au gouvernement d'écarter ré-
solument les prétendues réformes radi-
cales et de n'avoir d'autre préoccupation
que d'équilibrer le budget, elles en au-
ront la responsabilité et elles en sup-
porteront les conséquences. Peut-être
réfléchiront-elles avant de jouer cette
dangereuse partie. »
C'est dans ces aimables et frater-
nelles dispositions qu'on se retrouve
après trois setfiaines de vacances. On
s'entre-met la dissolution sur la gorge.
Le vote ou la vie 1
Ceux qui menacent les autres de la
Dissolution'seraient peu charmés d'être
pris au mot.
+' La droite d'abord. Elle nous fait bien
rire quand elle affecte d'être crâne et
de nous donner rendez-vous devant le
suffrage universel. Souvenez-vous du
4 octobre! nous dit-elle. Nous nous
aouvenons du 4 — et du 18. Nous nous
soutenons du pseudo-succès qu'elle a
dû à une supercherie, à; un mensonge,
à un déguisement des royalistes ét des
bonapartistes en conservateurs ; mais
nous, nous souvenons aussi que, ses
élus ayant eu l'imprudence d'ôter leur
masque, le suffrage universel a, dès le
ballottage, pris sa revanche et la nôtre,
et que, depuis, toutes les élections
partielles ont vengé la République. En
novembre dernier , un des départe-
ments abusés, le Nord, avait un dé-
puté à élire : le candidat monarchiste
a - eu beau se remasquer en conser-
vateur, afficher sur les murs que « la
forme du gouvernement n'était pas
en cause qu'on le calomniait en
'le soupçonnant d'aspirer à « dé-
truire la République » , qu'il n'était
le très humble sujet que de la bette-
rave : les électeurs lui ont répondu que
ces plaisanteries-là ne se recommençaient
pas, et il en a été pour les frais de son
faux-nez. 1887 a débuté comme 1886
avait fini; le 2 janvier, la Loire et Bel-
fort avaient à remplacer deux sénateurs
monarchistes : el:es les ont remplacés
par deux républicains. La droite voit
donc que les électeurs ne sont plus fa-
ciles à duper, et elle est peu tentée de
jouer la partie qu'elle n'a gagnée, le 4
octobre, qu'en trichant.
Les opportunistes et les centregau-
chers ne sont pas beaucoup plus sincères
que les monarchistes en menaçant de
la dissolution l'extrême gauche si elle
ne se fait pas leur très humble servante.
Qui est-ce qui a le plus souffert de la
méprise du 4 octobre? Les centre-
gauchers et les opportunistes. On surfe-
rait les centregauchers en les évaluant
à quatre hommes et un caporal, car
leur caporal, M. Ribot, a été congédié
par les électeurs. C'est sur les opportu-
nistes qu'ont été gagnés presque tous les
sièges dont se sont accrues les droites.
Si, aux ballottages, ils ont réparé une
partie de leurs pertes, c'est grâce à
leur alliance avec les radicaux. Le jour
où ils feraient la dissolution contre
leurs alliés du 18, ils auraient leur
succès du 4. Il leur arriverait ce qui est
arrivé à ce gardien de ménagerie qui,
dans une querelle avec un camarade,
voulut lâcher sur lui le lion, ouvrit la
cage, et fut dévoré.
Les opportunistes et les centregau-
chers, pas plus que lies droitiers, n'ont
envie, au fond, de la dissolution. Ils y
perdraient plus que l'extrême gauche.
Si nous ne la voulons pas, ce n'est pas
par peur qu'elle n'éclaircît nos rangs,
c'est par la raison qui a fait dire qu'un
mauvais arrangement vaut mieux qu'un
bon procès. C'est parce que le pays n'a
pas besoin d'agitations répétées. C'est
parce qu'il est bon pour les institutions
qu'elles fassent preuve de stabilité et
de durée. C'est parce qu'il y a un inté-
rêt que nous mettons avant le nôtre,
celui de la France et de la République.
AUGUSTE VACQUERIE.
„ ,t , Jt—»— —^ .;
COULISSES DES CHAMBRES
Le bureau de la Chambre est, ainsi que
nous l'avions fait prévoir, presque entiè-
rement réélu.
M. Floquet est renommé' président;
MM. Anatole de la Forge, Ernest Lefèvre,
Buyat et Casimir Perier (Aube) sont réélus
vice-présidents.
Sur les huit secrétaires, un seul, ap-
partenant à la droite, est changé. M. Le-
cour remplace M. de Lamarzelle, qui s'est
retiré; l'autre secrétaire de droite, M. Ar-
nous, est réélu.
Les six secrétaires sortants de gauche :
MM. Bovier-Lapierre, Brousse, Dutailly,
Compayre, Etienne et Thévenet, sont
réélus.
M. Etienne avait offert sa démission,
suivant l'usage; mais l'accord n'ayant pu
s'établir pour le choix de son successeur,
le groupe de l'union t des gauches auquel
il appartient a décidé de maintenir sa
candidature.
Les trois questeurs 5 MM. Margaine,
Nadaud et Madier de Montjau, sont
réélus.
Le bureau étant constitué, avis va en
être donné au président de la République
et au Sénat. La Chambra pourra commen-
cer jeudi ses délibérations.
Quant au Sénat, il ne procédera que
demain à l'élection de son bureau. Tous
les membres sortant se représentent et
seront réélus, à l'exception de M. Barbey,
l'un des secrétaires de gauche, qui se re-
tire.
Le gauche a décidé de porter à sa place
M. Loubet, sénateur de la Drôme.
Le conseil des ministres a arrêté défini-
tivement hier matin le projet rectificatif
du budget de 1887, préparé par M. Diu-
phin. Ce projet sera déposé samedi pro-
chain sur le bureau de la Chambre.
Dès aujourd'hui, nous pouvons donner
des renseignements détaillés sur ce projet.
Ainsi que nous l'avons déjà dit, le ca-
binet actuel, revenant sur une décision
du ministère précédent, a décidé de main-
tenir un budget extraordinaire distinct du
Dudget ordinaire.
En ce qui concerne le budget ordinaire,
la question n'est plus entière pour les dé-
penses. La Chambre a déjà voté les mi-
nistères des finances, de la guerre, de la
justice, des affaires étrangères et com-
mencé l'examen du ministère de l'inté-
rieur.
Le nouveau projet de M. Dauphin com-
porte provisoirement les crédits déjà
votés par la Chambre sous réserve de
demander au Sénat et ensuite à la Cham-
bre, lorsque le projet y reviendra, le
rétablissement de certains crédits trop
réduits, tels que celui de l'administration
centrale des finances, ou totalement sup-
primés tel que celui des sous-préfets.
Pour les dépenses non encore votées par
la Chambre, le nouveau projet apporte
quelques réductions, notamment sur les
percepteurs.
Quant à la partie des recettes, elle est
totalement modifiée. M. Dauphin renonce
à toutes les augmentations d'impôts et à
toutes les propositions d'emprunt conte-
nues dans le projet de son prédécesseur
ou proposées par la commission du
budget. Il abandonne notamment la sur-
taxe sur l'alcool, la suppression du privi-
lège des bouilleurs de cru et en général
la réforme de l'impôt des boissons.
M. Dauphin se borne à maintenir les
impôts existants; mais comme les res-
sources fournies par ces impôts, même
en tenant compte des économies déjà ef-
fectuées ou restant à réaliser sur les dé-
penses sont insuffisantes, il propose d'é-
quilibrer le budget par une réduction du
crédit de l'amortissement.
La dotation annuelle de l'amortisse-
ment inscrite au chapitre V du ministère
des finances s'élève, on le sait, à 100 mil-
! Cm. Le nouveau projet réduit cette do-
tation à 25 millions pour 1887. Les 75
millions ainsi prélevés servent à équili-
brer le budget de 1887.
Le crédit de l'amortissement est des-
tiné, on le sait, à rembourser les obliga-
tions sexennaires créées précédemment
pour le service du budget extraordinaire
et qui arrivait à échéance chaque année
jusqu'à concurrence de 100 millions.
Pour faire face aux 75 millions d'obli-
gations sexennaires à l'échéance de 1887
qui ne peuvent être remboursées par suite
de la réduction du fonds d'amortissement,
M. Dauphin propose de créer des obliga-
tions du type de celles émises par les
compagnies de chemins de fer.
Ces obligations seraient productrices
d'un, intérêt de 3 0[0 et remboursables en
66 ans, au capital nominal de 500 fr. par
tirage au sort annuel, à partir de 1888
jusqu'en i953, c'est-à-dire en 66 ans.
Il n'y aurait pas d'émissions publiques
en une ou plusieurs fois. Ces obligations
seraient émises au guichet des trésoriers
généraux, au fur et à mesure des besoins
et à un prix calculé d'après les condi-
tions du marché financier.
Ajoutons que ces obligations jpuiraient
de tous les privilèges accordés à la rente
de l'Etat français, c'est-à-dire qu'elles se-
raient insaisissables.
Les déposants des caisses d'épargne
dont le crédit serait suffisant pourraient
obtenir la transformation de leur capital
en obligations nouvelles sans frais, sur
simple demande de leur part.,
Ce nouveau type d'obligations est éga-
lement proposé par le ministre des finan-
ces pour l'alimentation du budget extra-
ordinaire de 1887.
Nous arrivons ici à la troisième partie
dn budget rectificatif de M. Dauphin.
On sait que la Chambre, sur la proposi-
tion du ministère Freycinet, avait fait un
premier pas dans la voie de la suppres-
sion du budget extraordinaire.
Elle avait décidé de prélever sur l'em-
prunt de 500 millions du mois de mai
1888, une somme de 105 millions qui
serait inscrite parmi les ressources du
budget ordinaire de 1887 et qui serait
applicable aux dépenses extraordinaires
de la guerre, réintégrées désormais parmi
les dépenses ordinaires.
Le cabinet Freycinet proposait de sui-
vre le mène procédé pour les dépenses
extraordinaires des travaux publics. Ces
dépenses fixées à 70 millions devaient être
inscrites au budget ordinaire et soldées
avec les ressources ordinaires, c'est-à-dire
avec le produit de l'impôt. C'est dans le
but de couvrir le surcroît de dépenses or-
dinaires que M. Sadi-Carnot proposait la
réforme de l'impôt des boissons et enpar-
ticulinr la surtaxe de l'alcool.
M. Dauphin institue à nouveau le bud-
get extraordinaire; il en modifie les chif-
fres et le mode d'alimentation.
Les dépenses de la guerre, évaluées
primitivement à 105 millions, sont aug-
mentées de 86 millions et portées à 191
millions pour 1887, afin de pouvoir exé-
cuter les travaux d'armement que l'inté-
rêt de la défense nationale commande et
à l'exemple de ceux qu'exécutent actuel-
lement toutes les grandes puissances
étrangères.
Quant aux travaux publics, au contraire,
le chiffre des dépenses est réduit de 70 à
55 millions.
En tenant compte du prélèvement de
105 millions sur l'emprunt de 1886 déjà
affecté à la guerre, il faut pourvoir à 86
millions d'une part et à 55 de l'autre, soit
à 141 millions. Pour faire face à cette dé-
pense, le ministre des finances propose
de créer des obligations du type nouveau
qu1 nous avons exposé plus haut.
Enfin, pour compléter le règlement de
la situation financière, il faut fournir au
compte d'avance des garanties d'intérêt
de chemins de fer 63 millions pour l'exer-
cice 1885 et 104 millions pour l'exercice
1886. La loi de finances de l'exercice 1886
et le projet de budget de 1887 proposait
de faire face à ces dépenses par la créa-
tion d'obligations sexennaires. M. Dau-
phin propose de substituer à ces titres
non encore émis des obligations du type
nouveau proposé pour le buiget extraor-
dinaire et le solde de l'amortissement de
1887.
De sorte que finalement les nouvelles
obligations qu'il s'agirait d'émettre s'élè-
veraient en totalité à 400 millions envi-
ron, y compris les charges des intérêts et
de l'amortissement.
En réalité, c'est un emprunt de 400
millions du type 3 0[0 amortissable que
M. Dauphin propose d'émettre. La seule
différence réside dans le type de la cou-
pure qui diffère de celui adopté par M.
Léon Say lors de la création du 3 0(0
amortissable en 1878. En outre, comme
nous l'avons dit, au lieu d'une souscrip-
tion publique, on fait des émissions suc-
cessives au guichet des trésoriers géné-
raux, de manière à compléter la ressem-
blance avec les obligations émises par les
compagnies de chemins de fer.
Le projet rectificatif de budget de M.
Dauphin est complété par un projet de loi
spécial augmentant de 10 fr. par 100 kil.
le droit sur les sucres raffinés pour l'exer-
cice 1887 seulement, de manière à com-
penser pour partie la moins-value que les
prévisions du rendement effectif de la
campagne 1886-87 font pressentir sur l'é-
valuation de la recette de l'impôt des
sucres telle qu'elle avait été établie au
projet de M. Sadi-Carnot. Cette augmen-
tation de droit sur les sucres raffinés ces-
sera d'ailleurs lorsque le projet relatif à la
modification de la loi de 1884 sur le ré-
gime des sucres que le gouvernement va
déposer sera voté.
Tel est le nouveau projet de budget. Ce
projet, comme nous l'avons dit plus haut,
sera déposé samedi sur le bureau de la
Chambre. La commission du budget se
réunira le jour même pour l'examiner.
Hier, elle avait été convoquée dans l'es-
poir qu'elle serait saisie, au moins offi-
cieusement, des nouvelles propositions du
gouvernement ; mais elle a dû lever sa
séance, M. Goblet ayant déclaré au prési-
dent que le projet ne serait pas déposé
avant samedi.
4.
Les ministres se sont réunis hier matin,
à l'Eiysée, sous la présidence de M. Jules
Grévy.
Le général Boulanger a donné commu-
nication d'un rapport télégraphique rela-
tif à des faits qui se sont passés au Tonkin
dans le commencement de janvier.
Un groupe nombreux de rebelles s'est
rassemblé à Than-Hoa et s'y est très soli-
dement fortifié. Deux attaques succes-
sives sans résultat; quatre officiers bles-
sés; cinq soldats européens et huit tonki-
nois tués; quinze soldats européens et
vingt-sept tonkinois blessés.
Des renforts, artillerie et infanterie, ont
été envoyés aussitôt à Than-Hoa, et le
colonel Brissaud vient d'en prendre le
commandement.
M. Goblet, rr i istre de l'intérieur, a
signé lano ninalion deM. Bourgeois comme
directeur de l'administration départemen-
tale et communale en remplacement de
M. Laffon, démissionnaire et celle de M.
Allain-Targé, préfet de l'Aisne, comme
directeur du personnel et du secrétariat.
Le général Boulanger a soumis à la si-
gnature du président de la République
des décrets nommant cinq généraux de
division et des généraux de brigade.
A LA CHAMBRE
La rentrée des Chambres s'est effectuée
hier de la façon la plus calme du monde.
Aucun incident. Quand M. Pierre Blanc,
député de la Savoie, à qui ses quatre-
vingt-deux ans procurent l'honneur de
présider la première séance, est monté au
fauteuil, à peine s'il y avait vingt députés
dans la salle. Quant aux tribunes, elles
étaient à peu près vides. Dans l'une d'elles
se voyaient les délégués bulgares. Peu à
peu, cependant, les bancs se sont garnis.
Le président d'âge a déclaré la session de
1887 ouverte et appelé au bureau, pour y
remplir les fonctions de secrétaires, les
six plus jeunes membres de la Chambre.
Notons qu'ils y étaient déjà. Un mur-
mure flatteur a accueilli le nom de M.
Jaurès, député du Tarn, qui, dans ce
tournoi d'un ,nouveau genre, arrive bon
premier, étant né en 1859. A côté de lui
ont pris place MM. Millerand, Laguerre,
Hubbard, Gaudin et Le Hérissée
Après quoi M. Blanc, le « dernier des
Allobroges », comme on l'appelle fami-
lièrement, pour faire pendant, sans doute,
au dernier des Abencérages, a prononcé
l'allocution d'usage. Grand, osseux, M.
Blanc — il ne prendra pas ceci en mau-
vaise part — a tout à fait une tête de
paysan, de ces vieux paysans madrés et
retors comme on en rencontre loin des
villes, au milieu des parfums de la saine
campagne. On se le figure volontiers en
blouse, les pieds dans des sabots, un
bonnet de laine sur ses cheveux blancs
ébouriffés. Il parle bien, d'une voix un
peu tremblante par moments,ferme néan-
moins. En somme, ce sont Il quatrevingt-
deux ans solidement portés.
Son discours n'a été autre chose qu'un
chaleureux appel à l'union. « Une entente
durable entre toutes les fractions du parti
républicain, a-t-il dit, est le besoin supé-
rieur du moment. » Ces paroles ont ren-
contré à gauche une unanime adhésion,
ce qui est d'un excellent augure. Il a en-
suite, à grands traits, esquissé le pro-
gramme de l'œuvre à entreprendre, ex-
primant l'espoir que, parmi les réformes
à accomplir, la majorité saurait « choisir
celles qui sont réalisables par un accord
facile, sans causer de froissements, accor-
der dans ce choix la préférence à celles
qui intéressent l'agriculture, re travail
national, le sort des classes laborieuses,;
l'organisation de l'armée, puis les voter-
avec cet ensemble dont l'admirable exem-,
pie a été donné sur la loi de laïcité. » —■*
La droite, qui avait applaudi au mot
« agriculture », s'est considérablement
refroidie à la fin de la phrase.
M. Blanc a parlé ensuite, aux applau-
dissements de toute la gauche , de la
réforme financière et de la réforme ad";
ministrative. Il a terminé en s'écriant :
« Et maintenant, messieurs, à l'œuvre et
en avant, le regard toujours fixé sur la
France et sur la République ! » Après quoi
ont commencé les scrutins pour l'élection
du bureau. Vous savez comment cela sa
pratique. Une urne est placée sur le
marbre de la tribune. Les députés- dé.
filent, remettant chacun son bulletin de
vote, sous enveloppe, à un secrétaire qui
pousse ledit bulletin dans ladite urne.
C'est long. Et quand c'est fini pour la
président, on le recommence pour les
vice-présidents, ensuite pour les secré-
taires, enfin pour les questeurs. Le moin-
dre défaut de cette opération est soiï
extrême monotonie. Que faire ? On des-
cend dans le salon de la Paix. -On allume
un cigare, puis un autre. On écoute les
bruits de couloirs. Mais Jes bruits de cou-
loirs, eux-mêmes, manquent. Un Africain
que l'on voit causer avec M. Clémenceau
fait, un instant, sensation ; type superbe
de Berbère, colossal, rendu plus gigan-
tesque encore par son haut turban et son
ample burnous. On flâne. Il y aurait in-
térêt s'il y avait compétitions, rivalités,
mais la réélection de tout le bureau ne
fait doute pour pe sonne.
Les heures se passent. Enfin on pro-
clame les résultats du vote. Ils sont teli
qu'on les avait prévus.
Le bureau définitif se trouvant ainsi
constitué, le président d'âge a levé là
séance. — Jeudi, nous pouvons l'espérer;
on se mettra au travail sérieusement.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
■■ ■■■■ I ■ I .m — mm -i.
Au Sénat, l'aLocution d'usage a été-
prononcée par M. Carnot, doyen, d'âge.
L'orateur a retracé les travaux de la.
haute Assemblée pendant l'année écoulée,
insistant surtout sur les lo's relatives aux
aliénés et à la naturalisation. Il a ensuite,,,
dans un excellent langage, exprimé des,
vœux sincères pour le maintien de la paix;
européenne, affirmant toutefois, avec une,
yigueur qui lui a vdlu de chauds applau-
dissements,qu'au besoin « la nation saurait
enfanter des légions républicaines pa-
reilles à celles qui ont sauvé la France ils
y a bientôt un siècle-! » — Après ce dis- !
cours, la séance a été levée, le Sénat re-,
mettant à jeudi l'élection de son bureau
dé-fiiiitif. - L. v.-M.
$
L'ARMÉE ALLEMANDE
Les dépêches de Berlin nous apportent
le compte-rendu de la dernière séance dn
Parlement allemand.
La proposition de -lui militaire a ét«
présentée.
Voici les passages principaux du dis~
cours de M. de Bismarck :
Il s'agit actuellement de conserver à l'Eu-
rope les bienfaits de la paix ; pour atteindra
ce but, il faut avant tout une forte armée.
Nos relations avec toutes les puissances
sont excellentes. Les bonnes relations que
nous entretenons avec la Russie sont aussi t
l'abri de tout soupçon. Nous n'éprouvons
vraiment aucune velléité belliqueuse, et il
n'est guère possible non plus d'appréhender,
que la Russie nourrisse un pareil sentiment.].
Il est absolument certain que nous ne ferons
pas, quant à nous, la guerre à la Russie.
En présentant le projet de loi, nous n'avons
vraiment pas songé à une coalition de lai
France et de la Russie. Aucun des motifs*
qu'on nous a attribués à cet égard n'existe
réellement.
Nous sommes aussi en bons rapports avec
feuilleton du KAPFEXi
',,/" DU 13 JANVIER
", V
LA LINDA
ROMAN PARISIEN
PREMIÈRE PARTIS
CHAPITRE
Laora Linda
- Suite -
Quant aux amoureux de la Linda, plus
nombreux encore que les épouseurs, ils
y perdirent tous leur temps et leurs peines.
A commencer par le ténor léger, Lau-
retto Mina ; beau garçon pourtant, et très
infatué de sa personne; car il connaissait
pen de rebelles.
Il avait été prévôt dans une salle d'armes.
Reproduction interdite.
Voir le Ramel du 8 &U JJ jQQjtotp
et c'est là qu'il avait été découvert par
le soprano pour le quart d'heure régnant
chez Pozzoli. Il avait une jolie voix, mais
il ne savait pas s'en servir et il était trop
nonchalant ponr apprendre; il s'en
tirait par un aplomb imperturbable. Dès
le commencement, il se proclama amou-
reux fou de la Linda. Mais, avec sa finesse
de femme, elle vit tout de suite à quelle
impertinence elle avait affaire, et elle
l'éconduisit, beaucoup moins gentiment
que les autres, avec une froideur qui res-
semblait fort à du dédain. De là, chez le
vaniteux personnage, une rancune sourde,
qui mêla une sorte de haine à son amour,
ou plutôt à son désir. Il fit néanmoins
bonne contenance, et déclara, avec un
respect ironique, qu'il s'inclinait devant la
haute vertu de la chanteuse; désormais,
empruntant ce surnom à l'air fameux de
iVorma, il ne l'appela plus que Casta diva.
— Je suis si paresseux! disait-il au
foyer des artistes, jamais je n'aurais la
patience et le loisir de tenir un long siège
devant une pureté de si farouche accès,
je cède la place à quelque assaillant de
plus robuste persévérance. J'attendrai. Je
renonce à être le premier, mais je jure
par Vénus et l'Amour que je serai le se-
cond.
Un autre amoureux de meilleure com-
position fut Remissy, le violoniste hon-
grois, un primai, quelques-uns disaient
même un fou, mais un grand, un véri-
table artiste. Il était venu à Milan pour
entendre Marcia dont il admirait beaucoup
le talent, si différent pourtant du sien. Il
vit la Linda, et, avec sa véhémence d'im-
pressions, s'enflamma d'enthouaiasme à la
fois pour son talent et pour sa beauté.
Mais elle le prit, lui, par le sourire et
par la douceur, et son beau feu tomba
subitement.
— Vous avez cent fois raison! lui dit-il,
vous ne pouvez pas, vous, prendre au
sérieux un toqué tel que moi. Et puis, je
ne suis pas très sûr de ne pas confondre,
il se peut bien que j'adore tout simplement
votre voix. Ça, par exemple, je n'en dé-
mordrai pas. Je ferais deux cent lieues
pour venir vous entendre. Votre voix !
elle me transporte au septième ciel 1 Con-
venons d'une chose : je ne serai pas votre
ami, je serai votre idolâtre. Et je te de-
mande la permission de te tutoyer,
comme la divinité.
De tous ses amoureux qui étaient véri-
tablement bons et sincères, Laura se fit
ainsi des amis. Au premier rang de ces
convertis, elle avait, à Paris, le docteur
Despujolles, le médecin, la providence
des théâtres, et surtout des théâtres de,
chant. On avait un enrouement le matin ;
son homœopathie avait de petites fioles
magiques, grâce auxquelles on chantait,
l.ô. soif» comme un rossignol. Il fut un peu
plus récalcitrant que Remissy à cette
guérison, homœopathique aussi, de l'a-
mour par l'amitié ; mais il était homme
d'esprit et il finit, non-seulement par se
résigner, mais par se complaire à son
nouveau rôle.
Tous ces renseignements sur la Linda,
Antonin de Bizeux les avait recueillis au
jour le jour, de celui-ci et de celui-là, en
affectant un air d'indifférence, mais avec
un intérêt et une émotion dont il ne
convenait pas avec lui-même, en craignant
et en souhaitant à la fois qu'on lui signa-
lât quelque tache grave dans le passé de
la diva; elle eût été dès lors pour lui
moins dangereuse.
Le lendemain de l'âneeudlt,
Il était près de midi. Laura, qui venait
seulement de se lever, était étendue, lan-
guissante et tout endolorie, sur le canapé
de son petit salon. Elle fouillait, d'une
main distraite, dans un monceau de car-
tes et de feuillets déchirés de porte-
feuille, qui couvraient à sa portée le mar-
bre d'un guéridon.
Au milieu des noms dé ce qu'on appelle
Topt Paris, elle cherchait uii nom qu'elle
ne trouvait pas. Elle lisait avùc indiffé-
rence les mots au crayon jetés bur tous
ces bouts dé bristol et de papier.
Elle retint un peu plus longtemps cette
carte de Pozzoli :
« L'Opéra est mort, vivent les Italiens !
Pozzoli se présentera demain chez l'illus-
trissime diva et apportera un traité en
blanc à son ex et future pensionnaire. »
Elle fronça le sourcil en voyant la carte
de Lauretto Mina.
« Pends-toi, Lauretto ! Laura a failli
être brûlée vive, et tu n'étais pas là pour
la sauver! »
En revanche, elle eut un sourire en
déchiffrant ces trois lignes, à peu près illi-
sibles, de Remissy:
« J'ai composé ce matin un cantique
d'actions de grâces, un alleluia triom-
phant, que j'irai te jouer sur mon violon,
étoile de ma vie, dès que tu pourras rece-
voir ton ver de terre. — Rémissy ».
Laura voulut sur le champ répondre à
Rémissy pour l'inviter à déjeuner avec
elle le lendemain et elle sonna Jacinla, sa
femme de chambre, pour qu'elle lui ap-
portât l'encrier.
Jacinta était la sœur de lait de Laura et
n'avait par conséquent que peu de mois
de plus qu'elle. C'était une très jolie fille,
d'un brun mat et chaud, les yeux et les
cheveux noirs, la lèvre rouge et forte.
Elle n'avait jamais quitté Laura, qu'elle
aimait bien et qu'elle servait mal.
— Voilà encore d'autres cartes, ma-
dame, dit-elle oeadant oue Laura écri-
vait, presque toute apportées par les per:
sonnes elles-mêmes ; mais le concierge ne
laissera monter personne.
— Excepté le docteur Despujolles
quand il viendra.
— Oui, et puis celui qui a sauvé la vie.
cette nuit à madame?
— M. Antonin de Bizeux? oui, lui aussi.,
je vous l'ai dit.
— Ah ! c'est bien le moins ! Sans lui, en:
ce moment-ci, madame serait morte. Et
moi de môme, par dessus le marché. Car,
madame sait bien que je ne lui aurais pas
survécu.
— C'est un courageux homme, en effetl
dit Laura pensive.
— Et si beau! Ahl par exemple, oaî
peut dire que celui-là est beau!
— Jacinta!.
— Oh! madame !. j'ai juré à madame,
par Notre-Dame, que je ne dirais plus'
jamais, pàriaûi à un homme, qu'il estj
beau, quand ce serait Saint Michel ar-j
change. Mais à madame je peux bien le;
dire, il n'y a pas de danger.
— Taisez-vous! fit Laura qui ne put]
s'empêcher de sourire, et faites porter
cette lettre sur-le-champ, à M. RemissjJ
rue Favart. -
ALFRED SlftYËN.
(4 mmù
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