Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1885-12-17
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 17 décembre 1885 17 décembre 1885
Description : 1885/12/17 (N5760). 1885/12/17 (N5760).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75394241
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2012
J$f 5760 — Jeudi 17 Décembre 1885 1 Xe numéro$lOo. — Béparlemenls s t.5 c. 27 Primaire an 94 - Ne 5760
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- 38, RUE DE V ALOJS J 1S
ABONNEMENTS
PARIS
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^ixmois.*■■*• 20 »
DÉPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
Six mois 22 i)
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Abesser Mires et mandats
A 3UL. ERNEST LEFÈV.RS 1
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S'adresser au Secrétaire de la ïtétîacrion
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ïesmanuscnis nos insères ne seront 2ar lam
ANNONCES
.n, Ch. IAGRANGE, CERF et Co
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SE CONTENTER DE PEU
Avant-hier, deux départements
avaient à nommer des sénateurs, et
deux départements avaient à nommer
des députés. Le sénateur nommé par
l'Ain est un républicain. Le sénateur
nommé par l'Eure-et-Loir est un ré-
publicain. Le député nommé par le
Gard est un républicain. La liste qui
est arrivée première dans la Seine est
une liste républicaine. Les monar-
- chistes se frottent les mains.
Quand je dis qu'ils se contentent de
peu, je devrais dire qu'ils se contentent
de rien du tout.
« Il ne vous manque plus que d'être
content, écrivait Beaumarchais à un
- mari qu'il avait bâtonné. » Une man-
que rien aux monarchistes.
La réaction pourrait répondre comme
la femme de Sganarelle : — « Et s'il me
plaît d'être battue ? » Mais elle a plus
d'aplomb que Martine. Elle nie les
coups de bâton.
Non-seulement M. Edouard Hervé,
qui tient la tête de sa liste, a 51,636
voix de moins que M. Millerand, qui
tient la tête de la nôtre; non-seule-
ment il a 18,357 voix de moins que
il. Déroulède, qui tieatla tête dela liste
de l'Alliance républicaine ; mais il est
en baisse sur lui-même et, après avoir
eu au 14 octobre le tiers des voix, il
n'en a au 13 décembre pas même le
quart. Sur quoi, le journal de M.
Edouard Hervé s'écrie que « les con-
servateurs peuvent tout espérer et se
préparer avec confiance à l'épreuve
du second tour de scrutin ».
Ce n'est pas dans le second tour de
scrutin qu'un autre journal monar-
chiste met sa confiance. Il constate
mélancoliquement que ses partisans
cont mous. « Les conservateurs au-
raient pu mieux faire, il faut avoir le
courage de le leur dire, et il n'y a pas
de raison pour qu'ils ne se soient pas
retrouvés 110,000 autour des urnes
somme au mois d'octobre, pas la
moindre raison, pas même celle de la
chasse. Mais probablement ils sont fa-
tigués de voter. » Seront-ils reposés
ilans quinze jours? Le journal monar-
chiste en doute. N'importe, il est heu-
reux.
De quoi? Premièrement, de « l'apla-
'issement des républicains modérés »
¡liste Ribot); deuxièmement, de « l'é-
chec des opportunistes » (liste Ranc).
!)uand on n'a pas de succès personnel,
on s'en fait avec l'insuccès des autres.
Troisièmement, de ce que « Paris
s'est prononcé en majorité en Javeur
de candidats qui demandent précisé-
ment, dans leur programme, la liqui-
dation tonkinoise. » Ici, il y a une
erreur qu'il est malaisé de ne pas croire
,0" volontaire. 2
Les candidats que Paris a préférés
ont en effet affiché sur les murs une
première profession de foi où ils se
i f- *
prononçaient pour une « liquidation
honorable » de l'expédition du Tonkin.
Mais, sur l'effet produit par cette pre-
mière profession de foi, ils en ont fait
une seconde, qui n'a pas été moins
publiée et moins affichée, et où la li-
quidation tonkinoise, même honorable,
brillait par son absence. C'est donc à
tort que le journal monarchiste pré-
tend que Paris a voté pour l'évacuation
en votant pour des candidats qui l'a-
vaient rayée de leur programme.
Le journal monarchiste cherche alors
un autre motif d'espérer. Il le trouve
dans le « désordre ».
Quel désordre? Oh! il n'y en a pas
encore, mais il y en aura bientôt. —
« Comme toutes les maladies sociales
ou individuelles, la République com-
mence par un accès bénin. Cet accès
s'appelle tantôt Mirabeau, tantôt Adol-
phe Thiers. » Après Mirabeau (Thiers),
nous avons eu Danton (Gambetta);
nous avons maintenant Robespierre
(Clémenceau). Clémenceau guillotinera
Gambetta, puis sera guillotiné à son
tour, et alors. -
Alors «nous n'aurons pas la période
directoriale», parce que « nous la
voyons se dérouler en ce moment de-
vant nous avec tous ses abaissements».
Ce qui met le Directoire avant Robes-
pierre. Nous n'aurons pas non plus « la
période guerrière, nous en serons
préservés par une trop grande abon-
dance de Napoléons ». Le malheur est
que c'est la période guerrière qui a ra-
mené la monarchie — dans les four-
gons de la Prusse. Sans invasion, pas
de monarchie.
Bah ! l'invasion peut être remplacée
par le désordre. « Peu à peu la situa-
tion se précise et se dessine, le terrain
se déblaie entre l'ordre et le désordre,
entre la monarchie et le radicalisme
révolutionnaire, et lorsque la France
n'aura plus qu'à choisir entre les
deux. » --""
Au moment où les monarchistes se
plaisent à croire au progrès du parti
du « désordre p, je lis dans un journal
modéré, la Paix: — « Le point à noter
dans le scrutin d'hier, c'est l'écrase-
ment complet des révolutionnaires, des
communistes, des anarchistes, etc. L'é-
meute, la révolution violente, l'anar-
chie n'ont plus de soldats à Paris. » Il
faut donc que les ennemis de la Répu-
blique renoncent à l'aimable espoir de
faire, comme ils disent, « sortir le bien
de l'excès du mal ».
Mais quels patriotes, quels citoyens,
quels « amis de l'ordre », ces gens qui,
lorsqu'ils ne peuvent pas compter sur
l'invasion, comptent sur la guerre ci-
vile !
AUGUSTE VACQUERIE.
.———————— -————————
Les ministres se sont réunis hier matin
àTElysée, sous la présidence de M, Jules
Grévy.
Ils se sont occupés des éventualités qui
peuvent se produire lors de la discussion
des crédits relatifs au Tonkia.
Le ministre de l'intérieur a soumis à
la signature du président de la Répu-
blique un décret fixant au 31 janvier
l'élection sénatoriale de la Somme, qui
doit avoir lieu par suite du décès de
M. Labitte.
Les conseils municipaux seront appelés
à élire leurs délégués le 27 décembre
prochain. 4L, "lx -
--
COULISSES DES CHAMBRiSS
M. Hubbard a lu hier, à la commission
des crédits du Tonkin, son rapport sur la
demande de crédits pour Madagascar. On
sait en effet que cette commission est sai-
sie simultanément des deux questions.
Le rapport de M. Hubbard a été ap-
prouvé par 10 voix contre 9, et le dépôt
en a été autorisé par la commission. Nous
sommes en mesure de faire connaître dès
aujourd'hui l'analyse complète de ce do-
cument.
Le rapporteur indique d'abord que le
gouvernement demande à titre de provi-
sion pour le premier trimestre de 1886 la
somme de 3,832,587 fr. Il rappelle ensuite
que devant la commission le ministre des
affaires étrangères a déclaré ne pouvoir
fournir aucune explication sur la ques-
tion, des négociations étant actuellement
engagées avec le gouvernement des Hovas
à la suite d'ouvertures faites par ce der-
nier.
Le, rapporteur rappelle enfin que la
politique affirmée par la précédente
Chambre a été l'affirmation des droits de
la France sur l'île entière de Madagascar.
Il constate que la Chambre actuelle n'est
pas engagée dans cette question et il se
demande si elle exigera du gouverne-
ment et des négociateurs qu'ils restent
placés sur ce terrain.
Telle est la question qui se trouve po-
sée par le vote des crédits.
Si les crédits, dit le rapporteur, étaient
votés tels qu'ils sont demandés, ils em-
porteraient approbation du programme
d'occupation qui a été tracé par le gou-
vernement et le rapporteur dans la pré-
cédente Chambre.
Les représentants de la France n'au-
raient aucune latitude pour rester dans
les termes du traité de 1868 et seraient
obligés de poursuivre la reconnaissance
effective des droits invoqués sur l'île en-
tière. Les opérations à terre se poursui-
vraient sans consultation nouvelle du
Parlement. Le gouvernement ne serait
limité dans son action que par les moyens
financiers mis à sa disposition. La con-
quête totale resterait le but avoué et plus
ou moins prochain de l'entreprise.
Mais alors, demande le rapporteur, les
ressources accordées ne seraient-elles pas
singulièrement disproportionnées avec le
but à atteindre ?
Il a paru à la majorité de la commission
qu'il était nécessaire d'élargir le débat et
de provoquer l'expression des sentiments
de la Chambre sur cette grave question.
Le rapporteur dit qu'il ne doute pas que
la France, si elle voulait, ne surmontât
toutes les difficultés. Mais faut-il étendre
sans cesse le champ de notre action jus-
qu'à la proclamation de nos droits sur l'île
entière, et la Chambre est-elle résolue à
tous les sacrifices nécessaires ?
La majorité de la commission pense
qu'il y a intérêt à la trancher, et, quant à
elle, elle estime qu'il suffit d'obtenir sa-
tisfaction sur les bases du traité de 1868.
Les crédits demandés correspondraient
à une dépense totale de 15,330,000 fr.
pour l'année 1886 tout entière, alors qu'il
n'a été accordé pour l'Qnnée 1885 que
12,190,000 fr. Cette augmentation corres-
pond à un accroissement sensible des
effectifs à terre.
La majorité de la commission a p ensé
qu'il ne pouvait pas être accordé 4 titre
de provision trimestrielle des crédits su-
périeurs aux dépenses effectuées pendant
la période correspondante de 1885.
Le rapporteur conclut donc à ce qu'il
ne soit accordé des crédits que jusqu'à
concurrence de 3,047,500 fr.
Le rapport se termine de la manière
suivante :
« La Chambre indiquera ainsi sa volonté
de poursuivre les satisfactions qui nous
sont dues sur les bases du traité de 1868,
en confiant à nos forces navales le soin
d'assurer le respect de cette convention
et les droits de nos nationaux.
» Cette politique doit être affirmée dès
le premier jour. Cette attitude, bien
loin d'exclure la rigueur dans l'exécution
d'un programme nettement défini, doit
indjquer au gouvernement que ce que le
p'âys exige avant tout dans les entreprises
qui lui sont proposées, c'est la netteté de
vues et l'aveu plein de franchise des
sacrifices à consentir. »
La commission a entendu ensuite la
lecture du rapport de M. Camille Pelletan
sur les crédits demandés pour le Tonkin.
Ce document est très étendu ; il ne com-
porte pas moins de 65 pages. Voici l'ana-
lyse sommaire de ce rapport : - -
M. Pelletan indique d'abord la gravité
du mandat donné à la commission et jus-
tifie la longueur des travaux de celle-ci
par la nécessité où elle s'est trouvée de
procéder à une enquête approfondie et
d'examiner de nombreux documents offi-
ciels émanés des divers ministres.
Le rapporteur examine ensuite les con-
séquences possibles de l'occupation to-
tale du Tonkin : guerre avec la Chine,
troubles en Annam, soulèvements conti-
nuels au Tonkin.
Il fait un historique rapide de la guerre
avec la Chine. Cette guerre a montré que
la Chine était loin d'être la nation impuis-
sante que l'on croyait. D'autre part, mal-
gré la paix, le Tonkin est loin d'être un
pays conquis. Depuis la paix on a dû aug-
menter les effectifs de nos troupes.
Le rapporteur recherche ensuite ce que
le Tonkin peut offrir d'avantages au point
de vue de notre commerce. Il soutient
que la France couvrirait de son pavillon
et de sa protection le commerce des au-
tres nations européennes dans l'Extrême-
Orient, sans profit pour nos nationaux. Il
discute d'autre part les charges de l'occu-
pation et conteste les chiffres avancés par
MM. Ballue et Casimir-Perier qu'il trouve
au-dessous de la réalité.
M. Pelletan passe, après cela, à l'exa-
men des conséquences du projet de crédits
déposé par le gouvernement. Ce projet
est le couronnement de la politique d'ex-
péditions lointaines. Tous les cabinets se
sont rejeté et se rejettent mutuellement
la responsabilité de l'aflaire du Tonkin.
Cette affaire a enchainé la liberté d'action
du pays ; il faut y mettre un terme.
L'honneur du drapeau, selon M. Pelletan,
n'est pas en cause; il est dégagé depuis la
signature delà paix. A l'appui de sa thèse,
le rapporteur cite l'exemple de l'Angleterre
en Afrique australe et dans l'Afghanistan.
Le rapporteur passant à un autre ordre
d'idées examine si la conquête du Tonkin
est désirable, s'il faut la faire et il con-
clut négativement. D'abord parce que le
pays, selon lui, s'est prononcé contre, en
suite parce que c'est un péril budgétaire
considérable.
Il faut remettre le budget en équilibre :
c'est une nécessité d'une urgence absolue;
que deviendrait autrement le crédit de la
France? On ajoute au budget de 1886 une
charge de 79 millions..
L'impôt du Tonkin, la politique des
impôts nouveaux serait la plus déplorable
des politiques.
Enfin la France livrerait son action ex-
térieure à tous les hasards d'une posses-
sion lointaine sans lendemain.
Est-ce à dire qu'il faille rappeler immé-
diatement nos troupes ? Non, une liquida-
tion comme celle-là ne se fait pas sur un
coup de télégraphe. Il faut étudier et
prendre toutes les garanties et toutes les
précautions nécessaires. Ce sera au gou-
vernement d'indiquer ces garanties et ces
précautions. La commission n'a pas qua-
lilé pour les rechercher ; ce serait même
outrepasser ses pouvoirs que de le faire.
Le rapporteur conclut en disant que la
majorité de la commission considère
comme funestes l'annexion, le protec-
torat et tout ce qui pourrait mener à
l'une ou à l'autre de ces solutions. Ella
propose simplement le vote d'un crédit
de provision pour l'entretien des troupes.
Ce rapport a été approuvé par la ma-
i-orité dela commission; la partie concer-
nant la discussion des chiffres présentés
par MM. BatVqe et Casimir-Perier a seule
été réservée ; blle doit être lue aujour-
d'hui.
Les rapports de MM. Hubbard et Pelle-
tan auraient pu être défiés hier soir sur
le bureau de la Chambre. Mais sur la pro-
position de M. Rochefort, il a été décidé
que ce dépôt n'aurait lieu qu'au début
de la séance de jeudi, afin qu'on puisse
donner lecture de ces deux documents à
la tribune. 1,
Suivant toutes probabilités, la discus-
sion devant la Chambre pourra s'engager
lundi prochain.
- -- e
Le ministre de la guerre a reçu du gé-
néral de Courcy le télégramme suivant :
Les opérations dirigées par le général de
Négrier dans les montagnes de marbre au
nord de Haï-Duong sont terminées.
Des cavernes défendues par les rebelles
ont été prises. Dans l'une d'elles, cent pirates
ont été tués et une grande quantité d armes
et de munitions ont été prises.
La pacification de la région comprise entre
le canal des Rapides et le canal des Bambous
est également achevée.
Du canal des Bambous à la mer, le général
Munier, aidé par une partie de la flottille,
poursuit la répression des désordres causés
par les pirates de mer. Deux villages retran-
chés par eux ont été vigoureusement enlevés
et sept jonques de guerre ont été coulées.
Au nord du Delta, le commandant de MI-
baille a remonté le Song-Chaï, affluent de la
rivière Claire, jusqu'à Phu-an-Billg, qu'il oc-
cupe.
Entre la rivière Claire et le Song-Thuang,
les colonels Mourlan et Dugenne ont rejeté
les bandes rebelles dans les montagnes, après
leur avoir fait subir des pertes sérieuses.
En Annam, le lieutenant-colonel Mignot,
parti de Ninh-Binh, a fait sa jonction à Vigne
avec le lieutenant colonel Chaumont.
Tout le monde montre le plus grand en-
train.
Nos croiseurs, et notamment le Léopard,
ont donné la chasse aux pirates et coulé
ou pris un grand nombre de jonques de
guerre.
Les marins, tant de la division navale que
de la flottille, prêtent un énergique concours
aux troupes opérant à terre.
La mission Saillt-Chaffray est partie de
Lam et continue sa route sur Lang-Tchéou,
par Langson.
Le Français en veut aux chiffres d'où
nous avons tiré la preuve que les monar-
chistes ont perdu considérablement de
terrain à Paris. Avec ses habitudes ordi-
naires de polémique, il insinue que nos
chiffres ne sont pas exacts.
Le Rappel, dit-il, « pour appuyer son
raisonnement, attribue à M. Edouard
Hervé, par une générosité rétrospective,
136,000 voix pour le scrutin du 4 oelo..
bre. »
Non, honnête Français, ce n'est pas du
scrutin du 4 octobre que nous avons
parlé, mais du scrutin du 18 octobre.
Ce que le Français aurait pu dire, c'est
que le chiffre de 136.593 voix est le chif-
fre attribué à M. Hervé par la préfecture
le lendemain du 18 octobre, et qu'après
nouvel examen il a été abaissé à 110,921.
Ce qui a été pour les monarchistes un
déboire que le Françzis est aimable de
nous rappeler.
- »
Nous recevons la lettre suivante :
Monsieur Auguste Vacquerie,
Permettez-moi de vous donner les détails
suivants sur Kossuth, auquel le Rappel vient
de donner une si touchante preuve de sym-
pathie.
Le bruit qui a couru dans les jonrnaux, et
qui a motivé l'éloquent appel de M. Montar-
gis, est heureusement dénué de tout fonde-
ment.
Parti pauvre pour l'exil, Kossuth trouva en
Angleterre de nombreux admirateurs qui
pensèrent aussitôt à lui venir en aide au
moyen d'une souscription publique.
Kossuth refusa. Il préférait gagner sa vie.
On lui fit faire alors, par toute l'Angleterre,
une série de conférences politiques qui le
placèrent d'emblée parmi les maîtres de l'é-
loquence anglaise. Ses discours n'ont pas
cessé depuis d'alimenter les recueils de
prose classique qui se publient en Angleterre
à l'usage de la jeunesse.
Kossuth eut donc beaucoup de succès et
gagna beaucoup d'argent. Cet argent, capi-
talisé, lui a permis désormais de vivre à
l'abri de toute gûne.
Il y a quelques années, Kossuth habitait
près de Turin une jolie villa dont il s'était
rendu propriétaire.
Plus récemment, la faillite d'une maison
de banque ayant entamé ses fonds, il se re-
mit au travail et publia trois volumes de
mémoires dont il a paru une traduction eti
français. Ces ouvrages ont été très lus en
Hongrie et ont rapporté à Kossuth une sommai
importante. Il vit d'ailleurs avec un de sed
fils, qui sont tous deux dans une situaüoIÍ
de fortune brillante. Elevés à Paris, puis en
Angleterre, les fils de Kossuth sont devenus
des ingénieurs éminents, et se sont particu"
lièrement distingués dans le percement da)
mont Cenis. Actuellement, l'alné administre
une des mines de soufre les plus importantes
de l'Italie, à Cesena. L'autre est inspecteur
général des chemins de fer de la Haute-
Ita'ie.
Agréez, monsieur, l'expression de mesf
sentiments les plus respectueux.
A. DE GER..lNO.-t.,.
37, rue de Yaugirard.
Paris, le 15 décembre 1885.
♦ —
A LA CHAMBRE
Au début de la séance, une question
a été posée à M. le sous-secrétaire d'E-
tat des beaux-arts, au sujet de six ta-j
bleaux offerts par un syndicat d'ama-
teurs et dont trois ont été refusés par
l'administration.
M. Turquet désirait que le Louvrd¡
pauvre en primitifs, acqu t un Crivelli
qui avait appartenu jadis à la collectiogt
de la Malmaison; mais les fonds dispo-f
nibles en ce moment ne permettaient
pas au ministre de faire cette dépenser
Un comité d'amateurs acheta le tableau,
et cinq autres, et en fit don ai Etat.
Mais l'administration du. Musée, sur
six, en refusa trois. C'était, comme
l'a dit M. Turquet, le droit strict du
comité consultatif, mais ce qui excé-
dait son droit, c'était de communiquer
sa décision à la presse avant même
d'en informer le sous-secrétaire d Etati
Refuser un tableau, cela se conçoit",i
mais répondre à un acte de générosité
par une dépréciation publique de cefi
objet d'art, c'est peut-être une façon
singulière de montrer sa reconnais#
sance.
Les explications de M. Turquet, très
justes et très bien présentées, ont été.
fort bien accueillies par la Chambrer
Le débat, transformé en interpellai
t ion pour aboutir à un ordre du joure
s'est continué quelque temps. Ce quï
est à retenir de cette seconde partie.
de la discussion, c'est l'affirmatioiir
très nette du sous-secrétaire d'Etat suc;
la sécurité absolue du Louvre. Toutes
les mesures réclamées par M. Lockroy;
sont prises ou à l'étude. Eloigné peu-î
dant trois ans de l'administration des
beaux-arts, M. Turquet a retrouvé, en
y rentrant, le même amoncellement de
matières combustibles dans les maga-
sins qu'on lui avait signalé en 1880.
Son premier acte en reprenant ses fonc-j
tions a été de faire évacuer ce bois,
et cela a été fait dans les vingt-quatre
heures. Pour la question des logements,'
il attend le rapport du colonel des pom-
piers.
Enfin M. Turquet a énergiquemenf
déclaré qu'aux beaux-arts comme ail-
leurs les fonctionnaires devaient servi»
fidèlement la République, et la diseuse
sien a été close par le vote de l'ordre
du jour pur et simple.
La Chambre s'est occupée ensuite
des élections de l'Ardèche qui, malgré
le rapport favorable du bureau, ont été
invalidées comme l'avaient été celles
de la Corrèze. Le motif est le même :
intervention du clergé. Les griefs se
reproduisent dans tous les discours
avec une singulière monotonie : amen-
dements épiscopaux, excès de langage
de la presse religieuse, refus des sa":
crements, etc., etc. Naturellement, les
défenseurs de l'élection ont toujours
la même thèse : ils nient que cette pro-(
pagande, légale à leur avis, ait pu
changer le vote des électeurs. Il y a ici
une singulière inconséquence. Com3
Feuilleton du RAPPEL
DU 17 DÉCEMBRE ->
70
LA
fRIMISSl BELLADONE
ROMAN PARISIEN
DEUXIÈME PARTIE
LE SERMENT D'EMMA
XIX
Ce ..u"Odette entendit
Emma passa cette journée près de sa
aile.
Revenue de son emportement, le re-
grettant, reprise par l'ardeur de son
amour maternel, elle essaya de consoler
Odette de son mieux, de la distraire, sans
oser se livrer néanmoins à trop d'effusion,
ientant chez sa fille une sorte de froideur,
ju'elle lui pardonnait.
Vers le soir, elle lui dit :
- Odette, je suis obligée de te quitter;
Reproduction interdite. — Droit de traduc-
tion réservé. -
Voir le Rappel du 2,8 Eeptembre au 16 de-
;C~e. '.h - -
mais c'est encore pour toi. Compte sur
ta mère, pardonne-lui le mal qu'elle te
fait, qu'elle est obligée de te faire. Un
jour, tu verras qu'elle avait raison ; tu ver-
ras jusqu'à quel point elle t'adorait, et peut-
être lui rendras-tu ton amour tout en-
tier.
Odette se laissa embrasser par sa mère,
calme et comme résignée en apparence;
la jeune fille avait pris une résolution :
elle était décidée à aller trouver Gontran
elle-même.
Que voulait-elle ?
Lui dire qu'elle n'était pour rien dans
les menaces de sa mère, qu'elle repous-
sait avec indignation ses projets; essayer,
à défaut de son amour, 4e reconquérir son
estime.
Sa lettre n'avait pas suffi. En la voyant,
en l'écoutant, il la croirait.
Ce fut donc avec une véritable joie
qu'elle vit partir sa mère.
A dix heures, après avoir fait semblant
de se coucher, comme les jours précé-
dents, elle se releva, s'habilla, choisis-
sant les vêtements les plus sombres de sa
garde-robe, admirablement fournie par
les soins de Mme de Curgis, et descendit
sur la pointe du pied.
Elle traversa légèrement la cour, en
rasant les murs ; gagna la petite porte où
elle s'était abritée, la veille; l'ouvrit avec
la clef qu'elle avait gardée ; referma der-
rière çlle, n\it_dans sa poche la clef, afin
de pouvoir rentrer, comme elle était sor-
tie, sans que personne s'en doutât.
Un étrange sang-froid, une extraordi-
naire lucidité présidait à tous ses mouve-
ments, à tous ses actes. Elle s'étonnait
elle-même de n'être pas plus émue.
Cela ne dura point. A peine eut-elle fait
quelques pas dans la rue qu'elle se sentit
toute troublée, perdue et apeurée au
grand air, dans ce Paris qu'elle ne con-
naissait point.
L'hôtel de Malvoix était situé rue de
Grenelle1Saint-Germain. Efle savait cela,
bien qu'elle n'y fût jamais allée.
Mais le chemin lui était nouveau, et elle
n'osait s'adresser à quelque passant pour
s'informer de sa route.
Au hasard, enfilant les premières rues
qu'elle rencontrait, ne s'orientant même
pas, elle allait devant elle, tantôt courant
presque, tantôt se traînant à peine.
Tout à coup, elle déboucha dans une
immense avenue bordée d'arbres dépouil-
lés de leurs feuilles par les approches de
l'hiver, mais inondée de lumière. C'é-
taient les Champs-Elysées. *
— Une voiture, ma petite dame? cria
une voix enrouée.
Odette tressaillit, redressa la tête, aper-
çut un fiacre arrêté près du troiftoir, et
un vieux cocher qui la hélait, en ricanant.
— Oui, ouiJ. fit-elle avec soulage-
ment.
Elle se précipita dans le eoupé, dont le
cocher, descendu de son siège, lui avait
ouvert la portière.
— Où faut-il vous conduire, ma petite
dame ? demanda-t-il encore.
— Chez. chez., balbutia-t-elle.
— Chez Peters?
— Chez le comte de Malvoix..
- Où demeure-t-il, ce particulier-
là?
— Rue de Grenellle Saint-Cermaln, nu-
méro.
— Bien. A l'heure, n'est-ce pas ?
— Comme vous voudrez.
Le cocher monta sur son siège, et
voyant qu'il avait affaire à une toute jeune
femme de si bonne composition, il partit
au plus petit trot de sa mauvaise hari-
delle, redescendant les Champs-Elysées,
traversant la place de la Concorde, re-
montant la rue Royale, prenant les grands
boulevards par la Madeleine, faisant le
tour de Paris, en cocher qui se dit : « Le
client ne connaît pas le chemin, et je suis
à l'heure! »
Il n osa pourtant pas poursuivre jusqu'à
la Bastille, et tourna sur la droite pour
prendre la rue Vivienne.
Odette, en effet, ne se doutait guère du
voyage qu'on lui faisait faire, et, d'ail-
leurs, le temps n'existait pas pour elle.
Plongée dans ses réflexions, ou plutôt
en proie à la fièvre, émue au degré où
l'émotion ne se perçoit même plus, ses
yeux regardaient machinalement à tra-
vers la portière de droite, dont la vitre
était restée abaissée.
Tout à coup, arrivée vers le milieu de
la rue Viviane, elle ressentit une vio-
lente commotion et poussa un cri étouffé.
Le long du trottoir, devant la façade vi-
vement éclairée d'une grande maison, il y
avait unelonguefile d'équipages de maître.
Sur les panneaux d'une de ces voitures,
Odette avait aperçu les armoiries du comte,
qu'elle connaissait bien pour lasjavoir étu-
diées maintes fois avec lui, en liant, et
en avoir appris la signification héraldique.
Son regard éperdu avait cherché le co-
cher sur son siège, et elle avait également
reconnu le cocher du comte de Malvoix.
— Il est là! se dit-elle.
— Arrêtez 1 cria-t-elle à son cocher, en
essayant d'ouvrir la portière.
- Qu'est-ce qu'il y a? fit celui-ci.
- Arrêtez ici, répéta-t-elle.
Il sauta de son siège, vint l'aider à
descendre.
— J'entre là, dit-elle encore d'une voix
agitée, en montrant une large porte, sous
le péristyle de laquelle se tenaient plu-
sieurs laquais en livrée.
— Ah 1 bien ! fallait le dire ! j'aurais pris
un autre chemin. La rue Vivienne, c'est
pas la rue de Grenelle. Enfin, j'vas pren-
dre la file..; là au bout. vous voyez.
Voici mon numéro. Quand vous repar-
tirez, vous n'aurez qu'à le donner b UB de
ççs larbins qui font les l&ard?*
Odette prit le numéro machio.a.lemenf;
sans écouter, et se dirigea vers la porte
ruisselante de la lumière crue du gaz.
— Que désire madame? demanda l'un
de ceux que le cocher désignait sous le
nom de larbins.
— Je voudrais parler à M. le comte de
Malvoix, répliqua-t-elle résolument.
- M. le comte., répéta le laquais ; jo
vais m'informer s'il est ici.
— Il doit y être ; sa voiture est là.
Le laquais jeta un coup d'œil noncha-
lant dans la rue.
— En effet, dit-il, voici sa livrée. Mai^v
s'il est au jeu, il y a ordre formel de no
le point déranger.
En effet, M. de Malvoix, fort joueur,
était, comme tous les joueurs, extrême-
ment superstitieux. Toute interruption,
toute préoccupation étrangère, suivant
lui, changeait la chance, et pas lift de
ses serviteurs, pas un des domestiques
du cercle, où le baccarat florissait, n'eût
osé s'approcher de lui et lui adres-
ser la parole, tant qu'il tenait les cartes
ou qu'il pontait.
— Ah ! fit Odette, très pâle et toute
grelottante, car, depuis quelques jours,'
elle passait instantanément de l'extrêma
énergie à l'extrême faiblesse, ce que j'af
à lui dire ne peut souffrir de retard.
Aï MATTHEX*
M.JMÙ&âJ
ADMINI STEATIOÏÏ 1
, 1 ,
- 38, RUE DE V ALOJS J 1S
ABONNEMENTS
PARIS
ois mois iO 13
^ixmois.*■■*• 20 »
DÉPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
Six mois 22 i)
- 4
Abesser Mires et mandats
A 3UL. ERNEST LEFÈV.RS 1
iÀDMEnSTRAIETJU' CtÉHAHE.
"• ;. - •
BEDACTIOH
S'adresser au Secrétaire de la ïtétîacrion
DekàG heures du soin ,-:'
18» HUE 3>e "VAXois, i8
ïesmanuscnis nos insères ne seront 2ar lam
ANNONCES
.n, Ch. IAGRANGE, CERF et Co
jjace de la BourseJG"
SE CONTENTER DE PEU
Avant-hier, deux départements
avaient à nommer des sénateurs, et
deux départements avaient à nommer
des députés. Le sénateur nommé par
l'Ain est un républicain. Le sénateur
nommé par l'Eure-et-Loir est un ré-
publicain. Le député nommé par le
Gard est un républicain. La liste qui
est arrivée première dans la Seine est
une liste républicaine. Les monar-
- chistes se frottent les mains.
Quand je dis qu'ils se contentent de
peu, je devrais dire qu'ils se contentent
de rien du tout.
« Il ne vous manque plus que d'être
content, écrivait Beaumarchais à un
- mari qu'il avait bâtonné. » Une man-
que rien aux monarchistes.
La réaction pourrait répondre comme
la femme de Sganarelle : — « Et s'il me
plaît d'être battue ? » Mais elle a plus
d'aplomb que Martine. Elle nie les
coups de bâton.
Non-seulement M. Edouard Hervé,
qui tient la tête de sa liste, a 51,636
voix de moins que M. Millerand, qui
tient la tête de la nôtre; non-seule-
ment il a 18,357 voix de moins que
il. Déroulède, qui tieatla tête dela liste
de l'Alliance républicaine ; mais il est
en baisse sur lui-même et, après avoir
eu au 14 octobre le tiers des voix, il
n'en a au 13 décembre pas même le
quart. Sur quoi, le journal de M.
Edouard Hervé s'écrie que « les con-
servateurs peuvent tout espérer et se
préparer avec confiance à l'épreuve
du second tour de scrutin ».
Ce n'est pas dans le second tour de
scrutin qu'un autre journal monar-
chiste met sa confiance. Il constate
mélancoliquement que ses partisans
cont mous. « Les conservateurs au-
raient pu mieux faire, il faut avoir le
courage de le leur dire, et il n'y a pas
de raison pour qu'ils ne se soient pas
retrouvés 110,000 autour des urnes
somme au mois d'octobre, pas la
moindre raison, pas même celle de la
chasse. Mais probablement ils sont fa-
tigués de voter. » Seront-ils reposés
ilans quinze jours? Le journal monar-
chiste en doute. N'importe, il est heu-
reux.
De quoi? Premièrement, de « l'apla-
'issement des républicains modérés »
¡liste Ribot); deuxièmement, de « l'é-
chec des opportunistes » (liste Ranc).
!)uand on n'a pas de succès personnel,
on s'en fait avec l'insuccès des autres.
Troisièmement, de ce que « Paris
s'est prononcé en majorité en Javeur
de candidats qui demandent précisé-
ment, dans leur programme, la liqui-
dation tonkinoise. » Ici, il y a une
erreur qu'il est malaisé de ne pas croire
,0" volontaire. 2
Les candidats que Paris a préférés
ont en effet affiché sur les murs une
première profession de foi où ils se
i f- *
prononçaient pour une « liquidation
honorable » de l'expédition du Tonkin.
Mais, sur l'effet produit par cette pre-
mière profession de foi, ils en ont fait
une seconde, qui n'a pas été moins
publiée et moins affichée, et où la li-
quidation tonkinoise, même honorable,
brillait par son absence. C'est donc à
tort que le journal monarchiste pré-
tend que Paris a voté pour l'évacuation
en votant pour des candidats qui l'a-
vaient rayée de leur programme.
Le journal monarchiste cherche alors
un autre motif d'espérer. Il le trouve
dans le « désordre ».
Quel désordre? Oh! il n'y en a pas
encore, mais il y en aura bientôt. —
« Comme toutes les maladies sociales
ou individuelles, la République com-
mence par un accès bénin. Cet accès
s'appelle tantôt Mirabeau, tantôt Adol-
phe Thiers. » Après Mirabeau (Thiers),
nous avons eu Danton (Gambetta);
nous avons maintenant Robespierre
(Clémenceau). Clémenceau guillotinera
Gambetta, puis sera guillotiné à son
tour, et alors. -
Alors «nous n'aurons pas la période
directoriale», parce que « nous la
voyons se dérouler en ce moment de-
vant nous avec tous ses abaissements».
Ce qui met le Directoire avant Robes-
pierre. Nous n'aurons pas non plus « la
période guerrière, nous en serons
préservés par une trop grande abon-
dance de Napoléons ». Le malheur est
que c'est la période guerrière qui a ra-
mené la monarchie — dans les four-
gons de la Prusse. Sans invasion, pas
de monarchie.
Bah ! l'invasion peut être remplacée
par le désordre. « Peu à peu la situa-
tion se précise et se dessine, le terrain
se déblaie entre l'ordre et le désordre,
entre la monarchie et le radicalisme
révolutionnaire, et lorsque la France
n'aura plus qu'à choisir entre les
deux. » --""
Au moment où les monarchistes se
plaisent à croire au progrès du parti
du « désordre p, je lis dans un journal
modéré, la Paix: — « Le point à noter
dans le scrutin d'hier, c'est l'écrase-
ment complet des révolutionnaires, des
communistes, des anarchistes, etc. L'é-
meute, la révolution violente, l'anar-
chie n'ont plus de soldats à Paris. » Il
faut donc que les ennemis de la Répu-
blique renoncent à l'aimable espoir de
faire, comme ils disent, « sortir le bien
de l'excès du mal ».
Mais quels patriotes, quels citoyens,
quels « amis de l'ordre », ces gens qui,
lorsqu'ils ne peuvent pas compter sur
l'invasion, comptent sur la guerre ci-
vile !
AUGUSTE VACQUERIE.
.———————— -————————
Les ministres se sont réunis hier matin
àTElysée, sous la présidence de M, Jules
Grévy.
Ils se sont occupés des éventualités qui
peuvent se produire lors de la discussion
des crédits relatifs au Tonkia.
Le ministre de l'intérieur a soumis à
la signature du président de la Répu-
blique un décret fixant au 31 janvier
l'élection sénatoriale de la Somme, qui
doit avoir lieu par suite du décès de
M. Labitte.
Les conseils municipaux seront appelés
à élire leurs délégués le 27 décembre
prochain. 4L, "lx -
--
COULISSES DES CHAMBRiSS
M. Hubbard a lu hier, à la commission
des crédits du Tonkin, son rapport sur la
demande de crédits pour Madagascar. On
sait en effet que cette commission est sai-
sie simultanément des deux questions.
Le rapport de M. Hubbard a été ap-
prouvé par 10 voix contre 9, et le dépôt
en a été autorisé par la commission. Nous
sommes en mesure de faire connaître dès
aujourd'hui l'analyse complète de ce do-
cument.
Le rapporteur indique d'abord que le
gouvernement demande à titre de provi-
sion pour le premier trimestre de 1886 la
somme de 3,832,587 fr. Il rappelle ensuite
que devant la commission le ministre des
affaires étrangères a déclaré ne pouvoir
fournir aucune explication sur la ques-
tion, des négociations étant actuellement
engagées avec le gouvernement des Hovas
à la suite d'ouvertures faites par ce der-
nier.
Le, rapporteur rappelle enfin que la
politique affirmée par la précédente
Chambre a été l'affirmation des droits de
la France sur l'île entière de Madagascar.
Il constate que la Chambre actuelle n'est
pas engagée dans cette question et il se
demande si elle exigera du gouverne-
ment et des négociateurs qu'ils restent
placés sur ce terrain.
Telle est la question qui se trouve po-
sée par le vote des crédits.
Si les crédits, dit le rapporteur, étaient
votés tels qu'ils sont demandés, ils em-
porteraient approbation du programme
d'occupation qui a été tracé par le gou-
vernement et le rapporteur dans la pré-
cédente Chambre.
Les représentants de la France n'au-
raient aucune latitude pour rester dans
les termes du traité de 1868 et seraient
obligés de poursuivre la reconnaissance
effective des droits invoqués sur l'île en-
tière. Les opérations à terre se poursui-
vraient sans consultation nouvelle du
Parlement. Le gouvernement ne serait
limité dans son action que par les moyens
financiers mis à sa disposition. La con-
quête totale resterait le but avoué et plus
ou moins prochain de l'entreprise.
Mais alors, demande le rapporteur, les
ressources accordées ne seraient-elles pas
singulièrement disproportionnées avec le
but à atteindre ?
Il a paru à la majorité de la commission
qu'il était nécessaire d'élargir le débat et
de provoquer l'expression des sentiments
de la Chambre sur cette grave question.
Le rapporteur dit qu'il ne doute pas que
la France, si elle voulait, ne surmontât
toutes les difficultés. Mais faut-il étendre
sans cesse le champ de notre action jus-
qu'à la proclamation de nos droits sur l'île
entière, et la Chambre est-elle résolue à
tous les sacrifices nécessaires ?
La majorité de la commission pense
qu'il y a intérêt à la trancher, et, quant à
elle, elle estime qu'il suffit d'obtenir sa-
tisfaction sur les bases du traité de 1868.
Les crédits demandés correspondraient
à une dépense totale de 15,330,000 fr.
pour l'année 1886 tout entière, alors qu'il
n'a été accordé pour l'Qnnée 1885 que
12,190,000 fr. Cette augmentation corres-
pond à un accroissement sensible des
effectifs à terre.
La majorité de la commission a p ensé
qu'il ne pouvait pas être accordé 4 titre
de provision trimestrielle des crédits su-
périeurs aux dépenses effectuées pendant
la période correspondante de 1885.
Le rapporteur conclut donc à ce qu'il
ne soit accordé des crédits que jusqu'à
concurrence de 3,047,500 fr.
Le rapport se termine de la manière
suivante :
« La Chambre indiquera ainsi sa volonté
de poursuivre les satisfactions qui nous
sont dues sur les bases du traité de 1868,
en confiant à nos forces navales le soin
d'assurer le respect de cette convention
et les droits de nos nationaux.
» Cette politique doit être affirmée dès
le premier jour. Cette attitude, bien
loin d'exclure la rigueur dans l'exécution
d'un programme nettement défini, doit
indjquer au gouvernement que ce que le
p'âys exige avant tout dans les entreprises
qui lui sont proposées, c'est la netteté de
vues et l'aveu plein de franchise des
sacrifices à consentir. »
La commission a entendu ensuite la
lecture du rapport de M. Camille Pelletan
sur les crédits demandés pour le Tonkin.
Ce document est très étendu ; il ne com-
porte pas moins de 65 pages. Voici l'ana-
lyse sommaire de ce rapport : - -
M. Pelletan indique d'abord la gravité
du mandat donné à la commission et jus-
tifie la longueur des travaux de celle-ci
par la nécessité où elle s'est trouvée de
procéder à une enquête approfondie et
d'examiner de nombreux documents offi-
ciels émanés des divers ministres.
Le rapporteur examine ensuite les con-
séquences possibles de l'occupation to-
tale du Tonkin : guerre avec la Chine,
troubles en Annam, soulèvements conti-
nuels au Tonkin.
Il fait un historique rapide de la guerre
avec la Chine. Cette guerre a montré que
la Chine était loin d'être la nation impuis-
sante que l'on croyait. D'autre part, mal-
gré la paix, le Tonkin est loin d'être un
pays conquis. Depuis la paix on a dû aug-
menter les effectifs de nos troupes.
Le rapporteur recherche ensuite ce que
le Tonkin peut offrir d'avantages au point
de vue de notre commerce. Il soutient
que la France couvrirait de son pavillon
et de sa protection le commerce des au-
tres nations européennes dans l'Extrême-
Orient, sans profit pour nos nationaux. Il
discute d'autre part les charges de l'occu-
pation et conteste les chiffres avancés par
MM. Ballue et Casimir-Perier qu'il trouve
au-dessous de la réalité.
M. Pelletan passe, après cela, à l'exa-
men des conséquences du projet de crédits
déposé par le gouvernement. Ce projet
est le couronnement de la politique d'ex-
péditions lointaines. Tous les cabinets se
sont rejeté et se rejettent mutuellement
la responsabilité de l'aflaire du Tonkin.
Cette affaire a enchainé la liberté d'action
du pays ; il faut y mettre un terme.
L'honneur du drapeau, selon M. Pelletan,
n'est pas en cause; il est dégagé depuis la
signature delà paix. A l'appui de sa thèse,
le rapporteur cite l'exemple de l'Angleterre
en Afrique australe et dans l'Afghanistan.
Le rapporteur passant à un autre ordre
d'idées examine si la conquête du Tonkin
est désirable, s'il faut la faire et il con-
clut négativement. D'abord parce que le
pays, selon lui, s'est prononcé contre, en
suite parce que c'est un péril budgétaire
considérable.
Il faut remettre le budget en équilibre :
c'est une nécessité d'une urgence absolue;
que deviendrait autrement le crédit de la
France? On ajoute au budget de 1886 une
charge de 79 millions..
L'impôt du Tonkin, la politique des
impôts nouveaux serait la plus déplorable
des politiques.
Enfin la France livrerait son action ex-
térieure à tous les hasards d'une posses-
sion lointaine sans lendemain.
Est-ce à dire qu'il faille rappeler immé-
diatement nos troupes ? Non, une liquida-
tion comme celle-là ne se fait pas sur un
coup de télégraphe. Il faut étudier et
prendre toutes les garanties et toutes les
précautions nécessaires. Ce sera au gou-
vernement d'indiquer ces garanties et ces
précautions. La commission n'a pas qua-
lilé pour les rechercher ; ce serait même
outrepasser ses pouvoirs que de le faire.
Le rapporteur conclut en disant que la
majorité de la commission considère
comme funestes l'annexion, le protec-
torat et tout ce qui pourrait mener à
l'une ou à l'autre de ces solutions. Ella
propose simplement le vote d'un crédit
de provision pour l'entretien des troupes.
Ce rapport a été approuvé par la ma-
i-orité dela commission; la partie concer-
nant la discussion des chiffres présentés
par MM. BatVqe et Casimir-Perier a seule
été réservée ; blle doit être lue aujour-
d'hui.
Les rapports de MM. Hubbard et Pelle-
tan auraient pu être défiés hier soir sur
le bureau de la Chambre. Mais sur la pro-
position de M. Rochefort, il a été décidé
que ce dépôt n'aurait lieu qu'au début
de la séance de jeudi, afin qu'on puisse
donner lecture de ces deux documents à
la tribune. 1,
Suivant toutes probabilités, la discus-
sion devant la Chambre pourra s'engager
lundi prochain.
- -- e
Le ministre de la guerre a reçu du gé-
néral de Courcy le télégramme suivant :
Les opérations dirigées par le général de
Négrier dans les montagnes de marbre au
nord de Haï-Duong sont terminées.
Des cavernes défendues par les rebelles
ont été prises. Dans l'une d'elles, cent pirates
ont été tués et une grande quantité d armes
et de munitions ont été prises.
La pacification de la région comprise entre
le canal des Rapides et le canal des Bambous
est également achevée.
Du canal des Bambous à la mer, le général
Munier, aidé par une partie de la flottille,
poursuit la répression des désordres causés
par les pirates de mer. Deux villages retran-
chés par eux ont été vigoureusement enlevés
et sept jonques de guerre ont été coulées.
Au nord du Delta, le commandant de MI-
baille a remonté le Song-Chaï, affluent de la
rivière Claire, jusqu'à Phu-an-Billg, qu'il oc-
cupe.
Entre la rivière Claire et le Song-Thuang,
les colonels Mourlan et Dugenne ont rejeté
les bandes rebelles dans les montagnes, après
leur avoir fait subir des pertes sérieuses.
En Annam, le lieutenant-colonel Mignot,
parti de Ninh-Binh, a fait sa jonction à Vigne
avec le lieutenant colonel Chaumont.
Tout le monde montre le plus grand en-
train.
Nos croiseurs, et notamment le Léopard,
ont donné la chasse aux pirates et coulé
ou pris un grand nombre de jonques de
guerre.
Les marins, tant de la division navale que
de la flottille, prêtent un énergique concours
aux troupes opérant à terre.
La mission Saillt-Chaffray est partie de
Lam et continue sa route sur Lang-Tchéou,
par Langson.
Le Français en veut aux chiffres d'où
nous avons tiré la preuve que les monar-
chistes ont perdu considérablement de
terrain à Paris. Avec ses habitudes ordi-
naires de polémique, il insinue que nos
chiffres ne sont pas exacts.
Le Rappel, dit-il, « pour appuyer son
raisonnement, attribue à M. Edouard
Hervé, par une générosité rétrospective,
136,000 voix pour le scrutin du 4 oelo..
bre. »
Non, honnête Français, ce n'est pas du
scrutin du 4 octobre que nous avons
parlé, mais du scrutin du 18 octobre.
Ce que le Français aurait pu dire, c'est
que le chiffre de 136.593 voix est le chif-
fre attribué à M. Hervé par la préfecture
le lendemain du 18 octobre, et qu'après
nouvel examen il a été abaissé à 110,921.
Ce qui a été pour les monarchistes un
déboire que le Françzis est aimable de
nous rappeler.
- »
Nous recevons la lettre suivante :
Monsieur Auguste Vacquerie,
Permettez-moi de vous donner les détails
suivants sur Kossuth, auquel le Rappel vient
de donner une si touchante preuve de sym-
pathie.
Le bruit qui a couru dans les jonrnaux, et
qui a motivé l'éloquent appel de M. Montar-
gis, est heureusement dénué de tout fonde-
ment.
Parti pauvre pour l'exil, Kossuth trouva en
Angleterre de nombreux admirateurs qui
pensèrent aussitôt à lui venir en aide au
moyen d'une souscription publique.
Kossuth refusa. Il préférait gagner sa vie.
On lui fit faire alors, par toute l'Angleterre,
une série de conférences politiques qui le
placèrent d'emblée parmi les maîtres de l'é-
loquence anglaise. Ses discours n'ont pas
cessé depuis d'alimenter les recueils de
prose classique qui se publient en Angleterre
à l'usage de la jeunesse.
Kossuth eut donc beaucoup de succès et
gagna beaucoup d'argent. Cet argent, capi-
talisé, lui a permis désormais de vivre à
l'abri de toute gûne.
Il y a quelques années, Kossuth habitait
près de Turin une jolie villa dont il s'était
rendu propriétaire.
Plus récemment, la faillite d'une maison
de banque ayant entamé ses fonds, il se re-
mit au travail et publia trois volumes de
mémoires dont il a paru une traduction eti
français. Ces ouvrages ont été très lus en
Hongrie et ont rapporté à Kossuth une sommai
importante. Il vit d'ailleurs avec un de sed
fils, qui sont tous deux dans une situaüoIÍ
de fortune brillante. Elevés à Paris, puis en
Angleterre, les fils de Kossuth sont devenus
des ingénieurs éminents, et se sont particu"
lièrement distingués dans le percement da)
mont Cenis. Actuellement, l'alné administre
une des mines de soufre les plus importantes
de l'Italie, à Cesena. L'autre est inspecteur
général des chemins de fer de la Haute-
Ita'ie.
Agréez, monsieur, l'expression de mesf
sentiments les plus respectueux.
A. DE GER..lNO.-t.,.
37, rue de Yaugirard.
Paris, le 15 décembre 1885.
♦ —
A LA CHAMBRE
Au début de la séance, une question
a été posée à M. le sous-secrétaire d'E-
tat des beaux-arts, au sujet de six ta-j
bleaux offerts par un syndicat d'ama-
teurs et dont trois ont été refusés par
l'administration.
M. Turquet désirait que le Louvrd¡
pauvre en primitifs, acqu t un Crivelli
qui avait appartenu jadis à la collectiogt
de la Malmaison; mais les fonds dispo-f
nibles en ce moment ne permettaient
pas au ministre de faire cette dépenser
Un comité d'amateurs acheta le tableau,
et cinq autres, et en fit don ai Etat.
Mais l'administration du. Musée, sur
six, en refusa trois. C'était, comme
l'a dit M. Turquet, le droit strict du
comité consultatif, mais ce qui excé-
dait son droit, c'était de communiquer
sa décision à la presse avant même
d'en informer le sous-secrétaire d Etati
Refuser un tableau, cela se conçoit",i
mais répondre à un acte de générosité
par une dépréciation publique de cefi
objet d'art, c'est peut-être une façon
singulière de montrer sa reconnais#
sance.
Les explications de M. Turquet, très
justes et très bien présentées, ont été.
fort bien accueillies par la Chambrer
Le débat, transformé en interpellai
t ion pour aboutir à un ordre du joure
s'est continué quelque temps. Ce quï
est à retenir de cette seconde partie.
de la discussion, c'est l'affirmatioiir
très nette du sous-secrétaire d'Etat suc;
la sécurité absolue du Louvre. Toutes
les mesures réclamées par M. Lockroy;
sont prises ou à l'étude. Eloigné peu-î
dant trois ans de l'administration des
beaux-arts, M. Turquet a retrouvé, en
y rentrant, le même amoncellement de
matières combustibles dans les maga-
sins qu'on lui avait signalé en 1880.
Son premier acte en reprenant ses fonc-j
tions a été de faire évacuer ce bois,
et cela a été fait dans les vingt-quatre
heures. Pour la question des logements,'
il attend le rapport du colonel des pom-
piers.
Enfin M. Turquet a énergiquemenf
déclaré qu'aux beaux-arts comme ail-
leurs les fonctionnaires devaient servi»
fidèlement la République, et la diseuse
sien a été close par le vote de l'ordre
du jour pur et simple.
La Chambre s'est occupée ensuite
des élections de l'Ardèche qui, malgré
le rapport favorable du bureau, ont été
invalidées comme l'avaient été celles
de la Corrèze. Le motif est le même :
intervention du clergé. Les griefs se
reproduisent dans tous les discours
avec une singulière monotonie : amen-
dements épiscopaux, excès de langage
de la presse religieuse, refus des sa":
crements, etc., etc. Naturellement, les
défenseurs de l'élection ont toujours
la même thèse : ils nient que cette pro-(
pagande, légale à leur avis, ait pu
changer le vote des électeurs. Il y a ici
une singulière inconséquence. Com3
Feuilleton du RAPPEL
DU 17 DÉCEMBRE ->
70
LA
fRIMISSl BELLADONE
ROMAN PARISIEN
DEUXIÈME PARTIE
LE SERMENT D'EMMA
XIX
Ce ..u"Odette entendit
Emma passa cette journée près de sa
aile.
Revenue de son emportement, le re-
grettant, reprise par l'ardeur de son
amour maternel, elle essaya de consoler
Odette de son mieux, de la distraire, sans
oser se livrer néanmoins à trop d'effusion,
ientant chez sa fille une sorte de froideur,
ju'elle lui pardonnait.
Vers le soir, elle lui dit :
- Odette, je suis obligée de te quitter;
Reproduction interdite. — Droit de traduc-
tion réservé. -
Voir le Rappel du 2,8 Eeptembre au 16 de-
;C~e. '.h - -
mais c'est encore pour toi. Compte sur
ta mère, pardonne-lui le mal qu'elle te
fait, qu'elle est obligée de te faire. Un
jour, tu verras qu'elle avait raison ; tu ver-
ras jusqu'à quel point elle t'adorait, et peut-
être lui rendras-tu ton amour tout en-
tier.
Odette se laissa embrasser par sa mère,
calme et comme résignée en apparence;
la jeune fille avait pris une résolution :
elle était décidée à aller trouver Gontran
elle-même.
Que voulait-elle ?
Lui dire qu'elle n'était pour rien dans
les menaces de sa mère, qu'elle repous-
sait avec indignation ses projets; essayer,
à défaut de son amour, 4e reconquérir son
estime.
Sa lettre n'avait pas suffi. En la voyant,
en l'écoutant, il la croirait.
Ce fut donc avec une véritable joie
qu'elle vit partir sa mère.
A dix heures, après avoir fait semblant
de se coucher, comme les jours précé-
dents, elle se releva, s'habilla, choisis-
sant les vêtements les plus sombres de sa
garde-robe, admirablement fournie par
les soins de Mme de Curgis, et descendit
sur la pointe du pied.
Elle traversa légèrement la cour, en
rasant les murs ; gagna la petite porte où
elle s'était abritée, la veille; l'ouvrit avec
la clef qu'elle avait gardée ; referma der-
rière çlle, n\it_dans sa poche la clef, afin
de pouvoir rentrer, comme elle était sor-
tie, sans que personne s'en doutât.
Un étrange sang-froid, une extraordi-
naire lucidité présidait à tous ses mouve-
ments, à tous ses actes. Elle s'étonnait
elle-même de n'être pas plus émue.
Cela ne dura point. A peine eut-elle fait
quelques pas dans la rue qu'elle se sentit
toute troublée, perdue et apeurée au
grand air, dans ce Paris qu'elle ne con-
naissait point.
L'hôtel de Malvoix était situé rue de
Grenelle1Saint-Germain. Efle savait cela,
bien qu'elle n'y fût jamais allée.
Mais le chemin lui était nouveau, et elle
n'osait s'adresser à quelque passant pour
s'informer de sa route.
Au hasard, enfilant les premières rues
qu'elle rencontrait, ne s'orientant même
pas, elle allait devant elle, tantôt courant
presque, tantôt se traînant à peine.
Tout à coup, elle déboucha dans une
immense avenue bordée d'arbres dépouil-
lés de leurs feuilles par les approches de
l'hiver, mais inondée de lumière. C'é-
taient les Champs-Elysées. *
— Une voiture, ma petite dame? cria
une voix enrouée.
Odette tressaillit, redressa la tête, aper-
çut un fiacre arrêté près du troiftoir, et
un vieux cocher qui la hélait, en ricanant.
— Oui, ouiJ. fit-elle avec soulage-
ment.
Elle se précipita dans le eoupé, dont le
cocher, descendu de son siège, lui avait
ouvert la portière.
— Où faut-il vous conduire, ma petite
dame ? demanda-t-il encore.
— Chez. chez., balbutia-t-elle.
— Chez Peters?
— Chez le comte de Malvoix..
- Où demeure-t-il, ce particulier-
là?
— Rue de Grenellle Saint-Cermaln, nu-
méro.
— Bien. A l'heure, n'est-ce pas ?
— Comme vous voudrez.
Le cocher monta sur son siège, et
voyant qu'il avait affaire à une toute jeune
femme de si bonne composition, il partit
au plus petit trot de sa mauvaise hari-
delle, redescendant les Champs-Elysées,
traversant la place de la Concorde, re-
montant la rue Royale, prenant les grands
boulevards par la Madeleine, faisant le
tour de Paris, en cocher qui se dit : « Le
client ne connaît pas le chemin, et je suis
à l'heure! »
Il n osa pourtant pas poursuivre jusqu'à
la Bastille, et tourna sur la droite pour
prendre la rue Vivienne.
Odette, en effet, ne se doutait guère du
voyage qu'on lui faisait faire, et, d'ail-
leurs, le temps n'existait pas pour elle.
Plongée dans ses réflexions, ou plutôt
en proie à la fièvre, émue au degré où
l'émotion ne se perçoit même plus, ses
yeux regardaient machinalement à tra-
vers la portière de droite, dont la vitre
était restée abaissée.
Tout à coup, arrivée vers le milieu de
la rue Viviane, elle ressentit une vio-
lente commotion et poussa un cri étouffé.
Le long du trottoir, devant la façade vi-
vement éclairée d'une grande maison, il y
avait unelonguefile d'équipages de maître.
Sur les panneaux d'une de ces voitures,
Odette avait aperçu les armoiries du comte,
qu'elle connaissait bien pour lasjavoir étu-
diées maintes fois avec lui, en liant, et
en avoir appris la signification héraldique.
Son regard éperdu avait cherché le co-
cher sur son siège, et elle avait également
reconnu le cocher du comte de Malvoix.
— Il est là! se dit-elle.
— Arrêtez 1 cria-t-elle à son cocher, en
essayant d'ouvrir la portière.
- Qu'est-ce qu'il y a? fit celui-ci.
- Arrêtez ici, répéta-t-elle.
Il sauta de son siège, vint l'aider à
descendre.
— J'entre là, dit-elle encore d'une voix
agitée, en montrant une large porte, sous
le péristyle de laquelle se tenaient plu-
sieurs laquais en livrée.
— Ah 1 bien ! fallait le dire ! j'aurais pris
un autre chemin. La rue Vivienne, c'est
pas la rue de Grenelle. Enfin, j'vas pren-
dre la file..; là au bout. vous voyez.
Voici mon numéro. Quand vous repar-
tirez, vous n'aurez qu'à le donner b UB de
ççs larbins qui font les l&ard?*
Odette prit le numéro machio.a.lemenf;
sans écouter, et se dirigea vers la porte
ruisselante de la lumière crue du gaz.
— Que désire madame? demanda l'un
de ceux que le cocher désignait sous le
nom de larbins.
— Je voudrais parler à M. le comte de
Malvoix, répliqua-t-elle résolument.
- M. le comte., répéta le laquais ; jo
vais m'informer s'il est ici.
— Il doit y être ; sa voiture est là.
Le laquais jeta un coup d'œil noncha-
lant dans la rue.
— En effet, dit-il, voici sa livrée. Mai^v
s'il est au jeu, il y a ordre formel de no
le point déranger.
En effet, M. de Malvoix, fort joueur,
était, comme tous les joueurs, extrême-
ment superstitieux. Toute interruption,
toute préoccupation étrangère, suivant
lui, changeait la chance, et pas lift de
ses serviteurs, pas un des domestiques
du cercle, où le baccarat florissait, n'eût
osé s'approcher de lui et lui adres-
ser la parole, tant qu'il tenait les cartes
ou qu'il pontait.
— Ah ! fit Odette, très pâle et toute
grelottante, car, depuis quelques jours,'
elle passait instantanément de l'extrêma
énergie à l'extrême faiblesse, ce que j'af
à lui dire ne peut souffrir de retard.
Aï MATTHEX*
M.JMÙ&âJ
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