Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-06-19
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 19 juin 1886 19 juin 1886
Description : 1886/06/19 (N5944). 1886/06/19 (N5944).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2012
- - - '5944 Samedi 19 Juin 1886 , I,e numéro s lOe. Départements : 15> c. t Messidor àn 94 N' 5441 - -
- • AOINIST^TIOît -'
'! 48, RUE DE VALOIS, 18 v- r
ABONNEMENTS
PARIS
Sjcoïs mois. 10 »
Six mois 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois.., 1350
Sixmois. 27 il
Adresser let tres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE »
.AILWISTRÀÏEER GÉRANT
REDACTION ; - ,..P.
S'adresser au. Secrétaire ae laRéflacticu.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
tes manuscrits nonmsérés ne seront pas rendat
ANNONCES
n. Ch. lAGRANGE, CERF et ce
6, place de la Bourse, 6
HOTSE-DASf PANETIERE
Il y a trente-six ou trente-sept mille
pèlerins qui sont bien à plaindre. Il en
était venu quarante mille, pas un de
moins, Y Univers les a comptés, lundi
dernier, à Aire-sur-la-Lys, les uns en
chemin de fer par les trains de piété,
d'autres « à pied comme faisaient les
anciens - pèlerins », les autres « dans
ces pittoresques véhicules campagnards
dont chacun renfermait toute une fa-
mille, munie des provisions du jour ».
Mais «les flancs élargis de l'immense
collégiale ne peuvent contenir plus de
3 à 4,000 personnes». IL y a donc eu
trente-six ou trente-sept mille pèlerins
qui sont restés à la porte et qui ont été
privés d'entendre prêcher Mgr Cartuy-
vels. Et l'on comprendra ce que c'est
que d'être privé d'entendre prêcher
Mgr Cartuyvels quand on saura que
« par son action oratoire, par l'élé-
gance et la vigueur de son style comme
par l'élévation de ses idées, Mgr Car-
tuyvels compte parmi les orateurs sa-
crés qui soufflent la plus puissante
émotion aux plus vastes auditoires ».
En l'honneur de qui Mgr Cartuyvels
aurait-il soufflé à Aire-sur-la-Lys, si-
non en l'honneur de Notre-Dame pane-
tière? Cette Notre-Dame, comme tout
le monde sait, a passé jadis un marché
avec la cité d'Aire : — « Si tes fils sont
fidèles à garder mon alliance, je com-
blerai de bénédictions la douleur de
tes veuves et je rassasierai tes pauvres
de pain. » La cité d'Aire ayant gardé
fidèlement l'alliance, personne n'y a
jamais souffert de la faim. Aussi n'est-
ce pas sans une certaine surprise que
nous, voyons l'orateur sacré parler de
deux famines qui y ont sévi cruelle-
ment, l'une au moyen âge, l'autre en
1740.
Ces deux famines ne sont pas les
seules calamités dont la protectrice
d'Aire ne l'ait pas garantie. Mgr Car-
tuyvels cite encore « le siège de 1641,
les deux pestes du dix-septième siècle,
le choléra de 1849 », etc. Mais ce siège,
ce choléra, ces deux pestes et ces deux
famines, sont des détails.
Comme preuve du pouvoir qu'a la
Vierge de donner du pain à qui elle
veut, le prêcheur de la collégiale a ra-
conté que « c'est elle qui, à Cana, a
obtenu de Jésus le miracle » de l'eau
changée en vin.
Elle a toute influence sur Dieu. Et
Dieu est le maître du blé, « dont un
seul grain, un seul, possède assez de
force pour produire toutes les moissons
de l'univers ». Qu'on soit bien avec la
Vierge, et l'on aura des récoltes à dé-
foncer les planchers des granges. En
revanche, qu'on soit mal avec elle, et
« Dieu enverra un ver imperceptible-;
toute la vigne frappée au cœur lan-
guira sur les coteaux ; la ruine mar-
chera invisible et invincible, dévastant
des zones immenses, et la science,
éperdue au milieu de ses appareils,
balbutiera l'aveu de son impuissance n,
Je suis toujours frappé de la manière
dont les prêtres s'y prennent pour faire
aimer leur religion. Il me semble qu'à
leur place j'emploierais un autre moyen
de gagner à Dieu les vignerons que dé
teur dire que c'est Dieu qui leur envoie
le phylloxéra.
Le Dieu catholique épousant ainsi
les querelles de Notre-Dame panetière,
prodiguant le blé à ceux qu'elle favo-
rise et refusant lô raisin à ceux qui lui
déplaisent, on sent combien il est im-
portant de connaître ce qu'elle désire
lIu'on fasse. Mgr Castuyvels va vous le
dire :
« Quand l'Egypte affamée vint trouver
son roi, réclamant du secours : Allez
à Joseph, leur dit-il ; agissez selon ce
qu'il vous dira. Et ce panetier prophé-
tique, avant de leur ouvrir les greniers
enrichis par sa prévoyance, exigea du
peuple entier l'abdication de son indé-
pendance et la reconnaissance de l'au-
torité royale. Et la foule, d'un seul cri :
Nous servirons le roi dans la joie de
nos cœurs; et nouset notre terre serons
il lui pour toujours. » ,
Eh bien, si la France veut que ses
greniers regorgent de blé et que ses
vignobles ne soient plus jamais mala-
des, il faut qu'elle fasse ce qu'a fait
l'Egypte, il faut qu'elle abdique son
indépendance, il faut qu'elle serve le
roi dans la j ne de son cœur, il faut
qu'à perpétuité elle appartienne, popu-
lation et terre, au comte de Paris.
Et lorsque l'orateur qui souffle tant
d'émotion a eu fini de souffler et que
les privilégiés de la collégiale et les
pèlerins laissés à la porte se sont réu-
nis pour processionner dans la ville,
ils ont pu admirer sur la façade du
presbytère « une profusion d'étendards,
de banderoles, d'écussons où se lisait
la belle devise des Scott : Regi pat?-ioe-
que fidelis. Fidélité au Roi, d'abord ; à
la patrie, s'il en reste.
Et les prêtres disent qu'oii les gêne,
quand on les laisse manifester dans les
rues à quarante mille ! Et ils disent
que la République les persécute, quand
elle leur fait cinquante millions de
rente pour prêcher publiquement que
c'est elle qui pourrit les épis et que
c'est elle qui est le phylloxéra !
AUGUSTE VACQUERIE.
mm », - — ——■■■ M
Les ministres se sont réunis hier matin,
en conseil de cabinet, au ministre des
affaires étrangères, sous la présidence de
M. de Freycinet.
Le président du conseil a fait savoir
qu'il était convoqué pour deux heures,
avec les ministres de l'intérieur et de la
justice, par la commission chargée d'exa-
miner le projet relatif à l'expulsion des
princes.
Le ministre de l'intérieur a rendu compte
de la situation à Decazeville. 1,220 ou-
vriers mineurs sont occupés actuellement
dans les mines, soit 300 de moins environ
qu'avant la grève. Sur ces 300, 118 sont
exclus par la compagnie ; le surplus re-
prendra ses travaux dans quelques jours,
dès que le travail sera réorganisé.
M. Sarrien a annoncé qu'une grève im-
portante avait éclaté en Belgique, à Flénu
et à Quaregnon, tout près de notre
frontière. Des mesures spéciales de pré-
caution ont été prises afia que les désor-
dres auxquels cette grève a donné lieu
chez nos voisins, ne s'étendent pas dans
le département du Nord.
M. Develle, ministre de l'agriculture, a
été autorisé à déposer un projet de loi
portant ouverture d'un crédit d'un mil-
lion, afin de venir en aide aux cultiva-
teurs éprouvés par la grê'e et par l'orage.
M. Baïhaut a annoncé ensuite qu'il
allait déposer sur le bureau de la
Chambre un projet de loi tendant à per-
mettre à la compagnie de Panama d'émet-
tre un emprunt à lots analogue à celui
qui a été émis par la compagnie de Suez.
L'exposé des motifs de ce projet fait res-
sortir que cette autorisation n'implique
de la part de l'Etat aucune sorte de ga-
rantie.
Le général Boulanger a fait l'exposé de
son voyage dans l'Ouest, et notamment de
sa visite à l'école de Saumur.
O"
COULISSES DES CHAMBRES
MM. de Freycinet., Sarri n et Demôle
se sont rendus hier à la commission du
Sénat pour s'expliquer au sujet de l'expul-
sion des princes. Les trois ministres n'ont
apporté aucun argument nouveau, au-
cune révélation. Les motifs qu'ils ont
fournis à l'appui de l'expulsion sont les
mêmes que ceux qu'ils avaient développés
soit devant la commission de la Chambre,
soit devant la Chambre elle-même. L'en-
trevue a duré une heure environ.
M. de Freycinet, qui a pris le premier
la parole, a rappelé qu'il avait retardé le
plus possible le momeut où il prendrait
l'initiative d'une mesure contre les prin-
ces ; il espérait qu'après les élections une
accalmie se produirait, que les menées
monarchiques diminueraient d'intensité.
Celte attente a été trompée; les préten-
tions des princes se sont manifestées, au
contraire, avec une vivacité plus (grande,
et ont abouti à la démonstration de l'hôtel
Galliera. Les princes n'ont pas compris
que la longanimité du gouvernement leur
commandait une réserve plus grande. Un
acte de vigueur les découragera aujour-
d'hui.
Le gouvernement a estimé, des ce
moment, qu'il ne pouvait plus rester
inactif, et en vertu de l'engagement qu'il
avait pris devant la Chambre le 4 mars
dernier, il a cru devoir exercer l'initiative
qu'il avait revendiquée exclusivement.
Le président du conseil a ajouté qu'en
effet la République ne pouvait tolérer qu'il
se formât à côté d'elle une sorte de gou-
vernement en expectative s'offrant pour
l'avenir, et agissant dans le présent d'une
manière marquée contre les institutions
existantes, comme on l'a vu par l'action
exercée par le comte de Paris sur la for-
mation des listes de candidats pour les
élections législatives dernières. S'il avait
pu y avoir doute, à ce sujet, avant le
scrutin du 4 octobre , il ne saurait en
exister aujourd'hui. La polémique sur-
venue entre le baron Dufour et M. Paul
de Cassagnac a dissipé toute équivoque.
On a vu, en effet, le comte de Paris choisi
comme arbitre, dans les difficultés élec-
torales qui se sont produites à l'occasion
du choix des candidats.
M. Sarrien a complété les observations
du président du conseil en donnant quel-
ques détails sur l'organisation du parti
orléaniste. Cette organisation, d'après le
ministre de l'intérieur, s'étend sur toute
la France. Elle résulte de l'existence de
nombreux comités qui, sous des noms
divers : comités de défense religieuse,
syndicats agricoles, rayonnent sur tout le
territoire, se ramifient, se relient les uns
aux autres et agissent en vertu d'un mot
d'ordre commun.
Le ministre de l'intérieur a ajouté que,
quoique cette organisation ne présentât
aucun danger immédiat, elle n'en était
pas moins assez sérieuse pour appeler
l'attention d'un gouvernement vigilant et
que le cabinet dunt il faisait partie avait
jugé qu'il était temps d'y mettre un ter-
me en expulsant ceux qui servaient de
centre à cette ogganisation.
M. Demôle, enfin, a insisté sur la vio-
lenoe de la polémique de la presse anti-
républicaine dans sa campagne perma-
nente contre les institutions légales. Le
garde des sceaux a exprimé l'avis que
l'expulsion des princes serait la meilleure
réponse à cette campagne de presse, car
elfe montrerait que le gouvernement de
la République entendait se faire res-
pecter.
A la suite de ces explications générales,
diverses questions ont été posées aux mi-
nistres.
M. Henry Didier a demandé comment
le ministre des affaires étrangères expli-
quait la contradiction qui existait entre le
langage tenu par M. Billot, notre ministre
à Lisbonne, et la conduite du gouverne-
ment à l'égard du comte de Paris.
M. de Freycinet a répondu qu'il n'y
avait nulle contrcdiciion. M. Billot est un
républicain de vieille date. Placé à grande
distance, il ignorait les préoccupations
particulières dont était animé son gouver-
nement.
Les paroles qu'il a prononcées à Lis-
bonne sont un simple témoignage de
courtoisie, comme en ont donné tous les
représentants des puissances et qui n'en-
gage en rien le gouvernement français.
M. de Freycinet a ajouté que, suivant
l'usage, M. le président du la République
avait envoyé au roi de Portugal une lettre
pour le féliciter du mariage de son fils,
sans d'ailleurs préciser davantage.
M. Scherer a fait observer que l'orga-
nisation et les moyens de propagande,
signalés par le ministre de l'intérieur, ne
disparaîtraient pas par l'éioignement des
princes.
Le ministre de l'intérieur a soutenu
qu'ils disparaîtraient lorsque le gouver-
nement serait suffisamment armé.
M. Dide a alors demandé si cela signi-
fiait que le gouvernement songeait à mo-
difier la loi sur la presse.
M. de Freycinet a répondu qu'il n'en
avait nullement l'intention. La propa-
gande, a-t-il ajouté, pourra continuer,
mais avec moins d'autorité.
L'éioignement est, en effet, une fai-
blesse pour les prétendants. Enfin, nous
ne donnerons pas le spectacle d'un gou-
vernement régulier tolérant à côté de lui
un gouvernement rival.
Enfin, M. Journault a demandé si, au
cas d'un rejet de la loi d'expulsion par le
Sénat, il n'y aurait pas un danger pour la
sécurité publique.
Le président du conseil a répondu que
le gouvernement était assez fort pour
répondre de la sécurité publique, mais
qu'il ne pouvait pas dissimuler que les
menées des princes redoubleraient d'in-
tensité.
Les ministres s'étant retirés, une longue
discussion s'est engagée entre les mem-
bres de la commission. Elle a permis de
constater de nouveau que six membres
étaient d'une m-iuière inébranlable oppo-
sés à toute mesure d'expulsion et que trois
membres seulement étaient favorables au
projet voté par la Chambre.
Une suspension de séance a eu lieu à
quatre heures et demie. A la reprise de
la séance, la commission s'est occupée
des amendements. Celui de M. Bozérian,
que nous avons fait connaître hier, a été
retiré par son auteur sur les instances du
gouvernement.
La commission n'a été saisie, par suite,
que de l'amendement de MM. Marcel
Barthe et Lenoël. Après avoir entendu ces
deux membres, elle a rejeté leur système
comme ne correspondant en aucune ma-
nière à la situation. Puis, par 6 voix con-
tre 3, elle a repoussé le projet voté par
la Chambre des députés, déclarant qu'il
n'y avait aucune mesure à prendre contre
les princes.
M. Bérenger a été nomme rapporteur
par 4 voix contre 1 à M. de Pressensé et
3 bulletins blancs. Un membre de la ma-
jorité avait quitté la séance avant le vote.
La commission se réunira demain sa-
medi; mais il est peu probable qu'elle
puisse recevoir communication du rap-
port dans cette séance. Elle a, en effet,
chargé M. Bérenger de faire un rapport
très étendu, relatant toutes les origines
de l'affaire et tous les précédents parle-
mentaires de ces dernières années. En cet
état, il est probable que le rapport de
M. Bérenger ne sera lu à la commission et
déposé au Sénat que lundi prochain. La
discussion en séance publique viendrait
dans ce cas, mardi ou jeudi de la semaine
prochaine.
A LA CHAMBRE
Ce n'est p;>s sans peine que la Chambre
est parvenue hier à voter la loi relative
au doublement des conseillers généraux.
Elle avait d'abord à expédier plusieurs af-
faires dont l'une a provoqué, contre toute
attente, un assez long débat. Il s'agissait
d'approuver les règlements des tarifs té-
légraphiques arrêtés par la conférence
internationale de Berlin. M. Steenackers
est venu demander à la Chambre de ne
pas prononcer cette ratification. Mais les
chiffres dont il s'est servi ont été à peu
près tous contestés par le rapporteur de la
commission, M. Georges Cochery. Et puis,
dans l'état de la question, la Chambre
pouvait-elle défaire l'œuvre de la confé-
rence de Berlin, mettre ainsi la France en
dehors de l'union internationale? Evi-
demment non. Aussi, après quelques ob-
servations de M. Granet, le projet de loi
a-t-il été voté. Il nous faut mentionner
aussi une proposition tendant à la créa-
tion de bourses de voyages, et dont l'au-
teur, M. Blandin, a lu le très long exposé
des motifs; le dépôt, par le ministre de
l'agriculture, d'un projet de crédit d'un
million pour venir en aide aux cultiva-
teurs éprouvés par les orages; une de-
mande d'interpellation de M. René Brice,
etc. Bref, il était déjà tard quand on a pu
commencer la discussion du projet relatif
- --
aux conseils généraux.
Alors, nous avons assisté à un spec-
tacle inénarrable. La droite a successive-
ment envoyé à la tribune les plus obscurs
d'entre ses orateurs d'obstruction ; dis-
coureurs surprenants, que personne n'é-
coute, qu'on se garderait de réclamer au
cours d'une lutte sérieuse, mais capables
tous d'occuper la tribune pendant un
nombre respectable de minutes, c'est-à-
dire précieux, alors que l'unique but est
de faire traîner les choses le plus possible
èn longueur. Quand le stock a été épui-
sé, la droite a usé d'une autre tactique ;
elle a multiplié les demandes de scrutin,
si bien qu'à sept heures on se battait en-
core à coups de bulletins! Et pourquoi
tout cela? A propos d'une question abso-
lument simple et sur laquelle tous les ré-
publicains de la Chambre étaient d'ac-
cord.
La loi en vigueur, rappelons-le rapide-
ment, la loi du 10 août 1871 accorde un
conseiller général par canton. Or, on voit
dans le même département, dans les
Bouches-du-Rhône, par exemple, tel can-
ton, celui de Saintes-Maries, ne réunir que
926 habitants, tandis que celui de Mar-
seille-nord , extra muros, en compte
83,257. Que deux cantons si dissembla-
blables quant au chiffra de leur popula-
tion soient représentés de la même ma-
nière au conseil général, c'est là évidem-
ment un abus auquel on aurait déjà dû
depuis longtemps remédier. Il semble
même qu'il faudrait revenir tout uniment,
pour les élections cantonales, au principe
de la proportionnalité. Les auteurs du
projet de loi n'ont pas jugé nécessaire
d'aller tout d'abord jusque là; ils ont
proposé un moyen terme : le doublement
des conseillers généraux dans les cantons
de plus de 23,000 habitants. Telle qu'elle
est, c'est-à-dire incomplète, la réforme
est plus qu'acceptable, et M. Thévenet,
le rapporteur de la commission, en a
facilement démontré les avantages.
Mais la droite avait pris la question au
point de vue politique ; augmenter la
représentation départementale des can-
tons populeux, c'est introduire dans les
conseils généraux de nouveaux républi-
cains, par suite diminuer les chances des
aspirants sénateurs monarchistes. Pour ce
motif, non pour un autre, les tentatives
d'obstruction dont nous parlions tout à
l'heure.
C'est d'abord M. Niel ; l'orateur est
afffigé de gestes en bois ; le bras gauche
cherche toujours à relever une toge
absente (M. Niel a été autrefois, nous dit-
on, substitut) : — L'unité cantonale, mes-
sieurs I. — Car l'unité cantonale, ç'a été
hier le cheval de bataille dj tous les ora-
teurs réactionnaires, sans que, du re-te,
aucun pût définir de façon satisfaisant^
cette fameuse unité qui n'existe ni politi-
quement, ni administrativement, mais
seulement au point de vue judiciaire, eu
égard aux attributions des juges de paix.
M. Niel descendu de la tribune,M. Ganivet
s'y précipite, pour refaire le même dis-
cours, dans des termes à peu près iden-
tiques, mais avec plus de véhémence.
C'est alors que M. Thévenet a parlé et
que la Chambre a voté, par 349 voix con-
tre 205, le passage à la discussion des
articles. On aurait pu croire que la droite
se le tiendrait pour dit. Ah! bien, oui!
M. Legrand de Lecelles paraît à la tribune.
Que demande-t il? L'ajournement de la
discussion jusqu'après consultation des
conseils généraux. Et, là-deesus, il rentre,
toutes voiles dehors, dans la discussion
générale. On commence, à gauche, à
s'impatienter. Le prési ;ent, doucement,
intervient, tâche de ramener dans le bon
chemin l'orateur égaré. Mais M. Legrand
de Lecelles ne veut rien entendre ; il agit*
les poings, il se cabre, il parle des colonies,
des sucres, des céréales. De quoi ne
parle-t-il pas ? Enfin on vote, et sa demande
d'ajournement est repoussée par 358 voix
contre 183. La majorité a augmenté. Vous
pensez peut-être que cela va suffire à la
droite. Ah ! comme vous la connaissez
peu !
C'est le tour de M. de Chatenay. Il vient
tout simplement développer un contre-
projet. Sans aucun succès, bien entendu,
et alors un cinquième droitier se montre,
M. Lorois. Mais la gauche, qui a fait
preuve, pendant tout ce temps, d'une ab-
négation admirable, décidément se fâche;
d'autant que M. Lorois recommence, lui
aussi, la discussion générale. Les cris :
Aux voix! deviennent furibonds et cou-
vrent absolument la voix de l'orateur ; et
celui-ci continue, inexorable, son discours,
soutenu par les encouragements de M.
Freppel.
Encore un scrutin; l'article 1er est
adopté avec une modification abaissant de
25,000 à 20,000 le chiffre de la population
exigé pour le doublement des conseillers
généraux. L'article 2 passe sansopposi-
tion. Enfin, l'ensemble du projet est voté
par 337 voix contre 208. Ouf! ç'a été la-
borieux. Samedi, on reprendra les sucres.
On l'espère, du moins.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
—————————
Suite, au Sénat, de la discussion da
projet de loi sur les sociétés de secours
mutuels. Nos lecteurs savent que nous
nous sommes réservé d'apprécier et de
commenter cette loi lorsqu'elle viendra
en discussion devant la Chambre. Le
débat n'a, du reste, porlé hier que sur
des questions de détail, de très médiocre
intérêt. Aucun incident. — L. v.-M.
1 m.I —. ——
LA CRISE BULGARE
C'est à croire que l'Orient a juré de ne
pas nous laisser une seule minute de tran-
quillité. A peine la question grecque est-
elle fermée, que la question bulgare se
rouvre. Comme il était facile de le pré-
voir, la Bulgarie et surtout la Roumélie
considèrent comme insuffisantes les con-
cessions qu'on leur a faites. Le mécon-
tentement v ent de se faire jour dans les
élections qui ont eu lieu dans la Roumélie
occidentale et dont l'issue est peu rassu-
rante pour les amis de la paix.
Deux partis étaient en présence: le parti
radical, déjà au pouvoir en Bulgarie, avec
Eeuilleton du RAPPEL
DU i9 JUIN
16
LA MAITRESSE
DU GENERAL
)
-, CHAPITRE XX -1
«—Suite— 6
Une fois debout, en homme correct,
Cabezon essaya de se brosser; mais ses
joues saignaient, et il y mit son mou-
choir. Il eut la conscience de son état
piteux, m lis pourtant il essaya de faire
une belle retraite.
Il prit le parti de plaisanter.
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 27 man aulB jui^
— J'avais offert de m'écorcher moi-
même pour vous plaire, mais je ne vous
demandais pas, mademoiselle, de m'épar-
gner la besogne.
Angèle ne lui fit pas l'aumône d'un
mot. Elle avait la main haute et montrait
la porte.
— Je m'en vais ! reprit humblement le
financier.
Il fit trois pas, reconduit par Gontran.
Devant la porte du salon, il se retourna
comme Tartufe, au moment de suivre
l'Exempt :
— Ne vous en prenez qu'à vous, made-
moiselle, de ce qui peut arriver.
Si Angèle eut un tressaillement inté-
rieur devant cette menace, il n'en parut
rien sur son visage qui resta de marbre.
Gontran, du canon de son revolver, al-
lait toucher Cabezon pour hâter la re-
traite, quand, tout à coup, un nouveau
défenseur aDDarut.
C'était Galimard. On ne l'avait pas en-
tendu venir. Il arrivait par la grande
porte, empressé, haletant.
Il fit faire volte-face à Cabezon, qui lui
tournait le dos, et de la main qui avait
fait virer le financier, il allait le souffleter,
quand, devinant ce qui s'était passé, aux
éraflures du visage, il s'arrêta et dit avec
un grand sérieux qui avait sa bouffon-
nerie :
et .Je vois que c'est inutile,
Il abaissa sa large main et la laissa
tomber dans celle de Gontran :
— Merci, mon ami. J'avais peur d'arri-
ver trop tard.
Mlle de Guimaraës lui avait souri. Cette
apparition imprévue, les quelques mots
prononcés la réconfortaient.
- Vous saviez donc? demanda-t-elle.
— Nous causerons de cela à l'aise, quand
monsieur ne sera plus ici !
Puis, s'adressant à Cabezon, qui cher-
chait une posture :
— Voilà un essai de scélératesse que je
me charge de vous faire payer cher,
monsieur Cabezon.
— J'attends vos témoins, monsieur, ré-
pliqua le financier, moins par défi que
par prudence diplomatique, pour ne plus
courir la chance d'être souffleté.
Galimard haussa les épaules, et d'une
voix calme, goguenarde :
— Mes témoins? les voilà : cette pure
jeune fille et ce brave jeune homme. C'est
devant eux que je vous condamne à la
ruine et à la honte! Vous ne valez pas le
bénéfice d'une exécution par les armes.
Je veux me donner la joie de vous voir
souffrir. A votre place, savez-vous ce que
je ferais? Je me tuerais.
— Vous me permettrez d'attendre que
j'aie d'autres remords, dit le financier,
qui reprenait un peu d'aplomb.
— Oui t Je sais ce que cela signifie. Vos
éternelles menaces contre vos débiteurs?
Je crains bien pour vous que la guerre
contre l'Allemagne, qu'on décide en ce
moment, ne gêne votre liquidation.
Galimard avait sans doute touché, sans
le savoir, à une plaie secrète, car Cabezon
eut une rougeur profonde qui fit saigner
davantage ses déchirures.
Cette émotion ne passa pas inaperçue
pour le philosophe ; mais il n'insista pas
et continua :
- Savez-vous, d'ailleurs, qu'il suffirait
d'une plainte déposée par moi, dans une
demi-heure, au parquet, pour neutraliser
toutes vos vengeances ? C'est une grande
maladresse que de s'introduire dans une
maison, avec une clé volée à un enfant
qu'on a grisé; que de s'attaquer à une
jeune fille comme celle ci ! Il y va des ga-
lères. Pourquoi choisir ce prétexte d'y al-
ler quand vousen avez tant d'autres? Vous
êtes marqué à la joue, monsieur Cabezon,
Comme vous auriez jadis mérité d'être
marqué à l'épaule. Cela se verra à la
Bourse. Vous n'avez plus le pouvoir d'in-
timider les honnêtes gens, et je vous en
préviens, moi qui ne suis ni un boursier,
ni un voleur de clés, je serai sans pitié.
Encore une fois, vous feriez mieux de
vous brûler la cervelle ou de vous pendre,
vous qui avez eu si longtemps de la corde
de pendu! Allons, je suis pressé, allez-
vous-en.
Cabezon était un esprit trop pratique
pour ne pas soupeser immédiatement la
seule menace sérieuse, mais très réelle-
ment dangereuse que venait de lui faire
Galimard.
On l'avait, en effet, surpris en flagrant
délit de guet-apens, les égratignures
étaient un commencement de épreuves
formidables. Galimard et Gontran seraient
crus dans leurs témoignages, et, si ébranlé
que fût le crédit de la comtesse, elle en
avait encore assez pour le faire passer en
cour d'assises. Mais, en même temps, il
se dit que Galimard n'avait que ce moyeu-
là de l'intimider. Il lui restait à lui des
secrets importants à escompter, à échan-
ger. Si on pouvait arranger l'affaire !
L'habileté, que l'aveuglement de sa
passion avait endormie, se réveillait en
lui. Son intérêt primait, en ce moment,
son amour. D'ailleurs, aimait-il encore
cette amazone qui s'était si bien défendue
et qui lui avait égratigné le visage?
— Monsieur Galimard, dit-il avec une
soumission ironique, j'accepte la lutte,
ayec toutes ses conséquences. Si vous
triomphez, je suis un trop petit person-
nage pour ne pas essayer de survivre à
ma défaite. Mais, si je triomphe, ceux
que j'aurai vaincus ont une fierté plus
susceptible, et c'est peut-être à quelques-
uns de vos amis qu'il serait sage de con-
seiller le suicidQi
Ayant dit cela, d'assez bonne façon,
c'est à-dire comme un coquin sûr de son
fait, Cabeaon sortit, presque à reculons,
comme s'il eût craint d'être encore plus
ignominieusement chassé qu'il ne l'était
déjà, s'il tournait le dos.
Gontran l'accompagna comme un gen«
darme, et pendant une minute on les vit
marcher dans l'allée du jardin, d'un pas
rapide, rythmé ; puis, la petite porte da
potager s'ouvrit, et on l'entendit se
fermer.
Gontran désarma son revolver et, ju-
geant indiscret de rejoindre Mlle de Gui-
maraës, de se mêler à la conversation
qu'elle avait avec Galimard, ou de l'inter-
rompre, il erra dans le jardin, dépensant
le sourire qu'il avait aux lèvres, sans
l'épuiser.
N'était-il pas bien sûr qu'elle n'ai-
mait personne? N'était-il pas heureux
d'être accouru à son secours ?
Il avait encore une raison pour ne pas
retourner directement au salon vert. Il
ne voulait pas être remercié trop tôt des
services qu'il avait rendus, et il vou-
lait savourer seul, à l'aise, la pensée de
cette gratitude qui le faisait un peu plus
l'ami, presque le frère de Mlle de Gui-
maraSs,
LOUIS ULBÀ
A «rnu/tyS
- • AOINIST^TIOît -'
'! 48, RUE DE VALOIS, 18 v- r
ABONNEMENTS
PARIS
Sjcoïs mois. 10 »
Six mois 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois.., 1350
Sixmois. 27 il
Adresser let tres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE »
.AILWISTRÀÏEER GÉRANT
REDACTION ; - ,..P.
S'adresser au. Secrétaire ae laRéflacticu.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
tes manuscrits nonmsérés ne seront pas rendat
ANNONCES
n. Ch. lAGRANGE, CERF et ce
6, place de la Bourse, 6
HOTSE-DASf PANETIERE
Il y a trente-six ou trente-sept mille
pèlerins qui sont bien à plaindre. Il en
était venu quarante mille, pas un de
moins, Y Univers les a comptés, lundi
dernier, à Aire-sur-la-Lys, les uns en
chemin de fer par les trains de piété,
d'autres « à pied comme faisaient les
anciens - pèlerins », les autres « dans
ces pittoresques véhicules campagnards
dont chacun renfermait toute une fa-
mille, munie des provisions du jour ».
Mais «les flancs élargis de l'immense
collégiale ne peuvent contenir plus de
3 à 4,000 personnes». IL y a donc eu
trente-six ou trente-sept mille pèlerins
qui sont restés à la porte et qui ont été
privés d'entendre prêcher Mgr Cartuy-
vels. Et l'on comprendra ce que c'est
que d'être privé d'entendre prêcher
Mgr Cartuyvels quand on saura que
« par son action oratoire, par l'élé-
gance et la vigueur de son style comme
par l'élévation de ses idées, Mgr Car-
tuyvels compte parmi les orateurs sa-
crés qui soufflent la plus puissante
émotion aux plus vastes auditoires ».
En l'honneur de qui Mgr Cartuyvels
aurait-il soufflé à Aire-sur-la-Lys, si-
non en l'honneur de Notre-Dame pane-
tière? Cette Notre-Dame, comme tout
le monde sait, a passé jadis un marché
avec la cité d'Aire : — « Si tes fils sont
fidèles à garder mon alliance, je com-
blerai de bénédictions la douleur de
tes veuves et je rassasierai tes pauvres
de pain. » La cité d'Aire ayant gardé
fidèlement l'alliance, personne n'y a
jamais souffert de la faim. Aussi n'est-
ce pas sans une certaine surprise que
nous, voyons l'orateur sacré parler de
deux famines qui y ont sévi cruelle-
ment, l'une au moyen âge, l'autre en
1740.
Ces deux famines ne sont pas les
seules calamités dont la protectrice
d'Aire ne l'ait pas garantie. Mgr Car-
tuyvels cite encore « le siège de 1641,
les deux pestes du dix-septième siècle,
le choléra de 1849 », etc. Mais ce siège,
ce choléra, ces deux pestes et ces deux
famines, sont des détails.
Comme preuve du pouvoir qu'a la
Vierge de donner du pain à qui elle
veut, le prêcheur de la collégiale a ra-
conté que « c'est elle qui, à Cana, a
obtenu de Jésus le miracle » de l'eau
changée en vin.
Elle a toute influence sur Dieu. Et
Dieu est le maître du blé, « dont un
seul grain, un seul, possède assez de
force pour produire toutes les moissons
de l'univers ». Qu'on soit bien avec la
Vierge, et l'on aura des récoltes à dé-
foncer les planchers des granges. En
revanche, qu'on soit mal avec elle, et
« Dieu enverra un ver imperceptible-;
toute la vigne frappée au cœur lan-
guira sur les coteaux ; la ruine mar-
chera invisible et invincible, dévastant
des zones immenses, et la science,
éperdue au milieu de ses appareils,
balbutiera l'aveu de son impuissance n,
Je suis toujours frappé de la manière
dont les prêtres s'y prennent pour faire
aimer leur religion. Il me semble qu'à
leur place j'emploierais un autre moyen
de gagner à Dieu les vignerons que dé
teur dire que c'est Dieu qui leur envoie
le phylloxéra.
Le Dieu catholique épousant ainsi
les querelles de Notre-Dame panetière,
prodiguant le blé à ceux qu'elle favo-
rise et refusant lô raisin à ceux qui lui
déplaisent, on sent combien il est im-
portant de connaître ce qu'elle désire
lIu'on fasse. Mgr Castuyvels va vous le
dire :
« Quand l'Egypte affamée vint trouver
son roi, réclamant du secours : Allez
à Joseph, leur dit-il ; agissez selon ce
qu'il vous dira. Et ce panetier prophé-
tique, avant de leur ouvrir les greniers
enrichis par sa prévoyance, exigea du
peuple entier l'abdication de son indé-
pendance et la reconnaissance de l'au-
torité royale. Et la foule, d'un seul cri :
Nous servirons le roi dans la joie de
nos cœurs; et nouset notre terre serons
il lui pour toujours. » ,
Eh bien, si la France veut que ses
greniers regorgent de blé et que ses
vignobles ne soient plus jamais mala-
des, il faut qu'elle fasse ce qu'a fait
l'Egypte, il faut qu'elle abdique son
indépendance, il faut qu'elle serve le
roi dans la j ne de son cœur, il faut
qu'à perpétuité elle appartienne, popu-
lation et terre, au comte de Paris.
Et lorsque l'orateur qui souffle tant
d'émotion a eu fini de souffler et que
les privilégiés de la collégiale et les
pèlerins laissés à la porte se sont réu-
nis pour processionner dans la ville,
ils ont pu admirer sur la façade du
presbytère « une profusion d'étendards,
de banderoles, d'écussons où se lisait
la belle devise des Scott : Regi pat?-ioe-
que fidelis. Fidélité au Roi, d'abord ; à
la patrie, s'il en reste.
Et les prêtres disent qu'oii les gêne,
quand on les laisse manifester dans les
rues à quarante mille ! Et ils disent
que la République les persécute, quand
elle leur fait cinquante millions de
rente pour prêcher publiquement que
c'est elle qui pourrit les épis et que
c'est elle qui est le phylloxéra !
AUGUSTE VACQUERIE.
mm », - — ——■■■ M
Les ministres se sont réunis hier matin,
en conseil de cabinet, au ministre des
affaires étrangères, sous la présidence de
M. de Freycinet.
Le président du conseil a fait savoir
qu'il était convoqué pour deux heures,
avec les ministres de l'intérieur et de la
justice, par la commission chargée d'exa-
miner le projet relatif à l'expulsion des
princes.
Le ministre de l'intérieur a rendu compte
de la situation à Decazeville. 1,220 ou-
vriers mineurs sont occupés actuellement
dans les mines, soit 300 de moins environ
qu'avant la grève. Sur ces 300, 118 sont
exclus par la compagnie ; le surplus re-
prendra ses travaux dans quelques jours,
dès que le travail sera réorganisé.
M. Sarrien a annoncé qu'une grève im-
portante avait éclaté en Belgique, à Flénu
et à Quaregnon, tout près de notre
frontière. Des mesures spéciales de pré-
caution ont été prises afia que les désor-
dres auxquels cette grève a donné lieu
chez nos voisins, ne s'étendent pas dans
le département du Nord.
M. Develle, ministre de l'agriculture, a
été autorisé à déposer un projet de loi
portant ouverture d'un crédit d'un mil-
lion, afin de venir en aide aux cultiva-
teurs éprouvés par la grê'e et par l'orage.
M. Baïhaut a annoncé ensuite qu'il
allait déposer sur le bureau de la
Chambre un projet de loi tendant à per-
mettre à la compagnie de Panama d'émet-
tre un emprunt à lots analogue à celui
qui a été émis par la compagnie de Suez.
L'exposé des motifs de ce projet fait res-
sortir que cette autorisation n'implique
de la part de l'Etat aucune sorte de ga-
rantie.
Le général Boulanger a fait l'exposé de
son voyage dans l'Ouest, et notamment de
sa visite à l'école de Saumur.
O"
COULISSES DES CHAMBRES
MM. de Freycinet., Sarri n et Demôle
se sont rendus hier à la commission du
Sénat pour s'expliquer au sujet de l'expul-
sion des princes. Les trois ministres n'ont
apporté aucun argument nouveau, au-
cune révélation. Les motifs qu'ils ont
fournis à l'appui de l'expulsion sont les
mêmes que ceux qu'ils avaient développés
soit devant la commission de la Chambre,
soit devant la Chambre elle-même. L'en-
trevue a duré une heure environ.
M. de Freycinet, qui a pris le premier
la parole, a rappelé qu'il avait retardé le
plus possible le momeut où il prendrait
l'initiative d'une mesure contre les prin-
ces ; il espérait qu'après les élections une
accalmie se produirait, que les menées
monarchiques diminueraient d'intensité.
Celte attente a été trompée; les préten-
tions des princes se sont manifestées, au
contraire, avec une vivacité plus (grande,
et ont abouti à la démonstration de l'hôtel
Galliera. Les princes n'ont pas compris
que la longanimité du gouvernement leur
commandait une réserve plus grande. Un
acte de vigueur les découragera aujour-
d'hui.
Le gouvernement a estimé, des ce
moment, qu'il ne pouvait plus rester
inactif, et en vertu de l'engagement qu'il
avait pris devant la Chambre le 4 mars
dernier, il a cru devoir exercer l'initiative
qu'il avait revendiquée exclusivement.
Le président du conseil a ajouté qu'en
effet la République ne pouvait tolérer qu'il
se formât à côté d'elle une sorte de gou-
vernement en expectative s'offrant pour
l'avenir, et agissant dans le présent d'une
manière marquée contre les institutions
existantes, comme on l'a vu par l'action
exercée par le comte de Paris sur la for-
mation des listes de candidats pour les
élections législatives dernières. S'il avait
pu y avoir doute, à ce sujet, avant le
scrutin du 4 octobre , il ne saurait en
exister aujourd'hui. La polémique sur-
venue entre le baron Dufour et M. Paul
de Cassagnac a dissipé toute équivoque.
On a vu, en effet, le comte de Paris choisi
comme arbitre, dans les difficultés élec-
torales qui se sont produites à l'occasion
du choix des candidats.
M. Sarrien a complété les observations
du président du conseil en donnant quel-
ques détails sur l'organisation du parti
orléaniste. Cette organisation, d'après le
ministre de l'intérieur, s'étend sur toute
la France. Elle résulte de l'existence de
nombreux comités qui, sous des noms
divers : comités de défense religieuse,
syndicats agricoles, rayonnent sur tout le
territoire, se ramifient, se relient les uns
aux autres et agissent en vertu d'un mot
d'ordre commun.
Le ministre de l'intérieur a ajouté que,
quoique cette organisation ne présentât
aucun danger immédiat, elle n'en était
pas moins assez sérieuse pour appeler
l'attention d'un gouvernement vigilant et
que le cabinet dunt il faisait partie avait
jugé qu'il était temps d'y mettre un ter-
me en expulsant ceux qui servaient de
centre à cette ogganisation.
M. Demôle, enfin, a insisté sur la vio-
lenoe de la polémique de la presse anti-
républicaine dans sa campagne perma-
nente contre les institutions légales. Le
garde des sceaux a exprimé l'avis que
l'expulsion des princes serait la meilleure
réponse à cette campagne de presse, car
elfe montrerait que le gouvernement de
la République entendait se faire res-
pecter.
A la suite de ces explications générales,
diverses questions ont été posées aux mi-
nistres.
M. Henry Didier a demandé comment
le ministre des affaires étrangères expli-
quait la contradiction qui existait entre le
langage tenu par M. Billot, notre ministre
à Lisbonne, et la conduite du gouverne-
ment à l'égard du comte de Paris.
M. de Freycinet a répondu qu'il n'y
avait nulle contrcdiciion. M. Billot est un
républicain de vieille date. Placé à grande
distance, il ignorait les préoccupations
particulières dont était animé son gouver-
nement.
Les paroles qu'il a prononcées à Lis-
bonne sont un simple témoignage de
courtoisie, comme en ont donné tous les
représentants des puissances et qui n'en-
gage en rien le gouvernement français.
M. de Freycinet a ajouté que, suivant
l'usage, M. le président du la République
avait envoyé au roi de Portugal une lettre
pour le féliciter du mariage de son fils,
sans d'ailleurs préciser davantage.
M. Scherer a fait observer que l'orga-
nisation et les moyens de propagande,
signalés par le ministre de l'intérieur, ne
disparaîtraient pas par l'éioignement des
princes.
Le ministre de l'intérieur a soutenu
qu'ils disparaîtraient lorsque le gouver-
nement serait suffisamment armé.
M. Dide a alors demandé si cela signi-
fiait que le gouvernement songeait à mo-
difier la loi sur la presse.
M. de Freycinet a répondu qu'il n'en
avait nullement l'intention. La propa-
gande, a-t-il ajouté, pourra continuer,
mais avec moins d'autorité.
L'éioignement est, en effet, une fai-
blesse pour les prétendants. Enfin, nous
ne donnerons pas le spectacle d'un gou-
vernement régulier tolérant à côté de lui
un gouvernement rival.
Enfin, M. Journault a demandé si, au
cas d'un rejet de la loi d'expulsion par le
Sénat, il n'y aurait pas un danger pour la
sécurité publique.
Le président du conseil a répondu que
le gouvernement était assez fort pour
répondre de la sécurité publique, mais
qu'il ne pouvait pas dissimuler que les
menées des princes redoubleraient d'in-
tensité.
Les ministres s'étant retirés, une longue
discussion s'est engagée entre les mem-
bres de la commission. Elle a permis de
constater de nouveau que six membres
étaient d'une m-iuière inébranlable oppo-
sés à toute mesure d'expulsion et que trois
membres seulement étaient favorables au
projet voté par la Chambre.
Une suspension de séance a eu lieu à
quatre heures et demie. A la reprise de
la séance, la commission s'est occupée
des amendements. Celui de M. Bozérian,
que nous avons fait connaître hier, a été
retiré par son auteur sur les instances du
gouvernement.
La commission n'a été saisie, par suite,
que de l'amendement de MM. Marcel
Barthe et Lenoël. Après avoir entendu ces
deux membres, elle a rejeté leur système
comme ne correspondant en aucune ma-
nière à la situation. Puis, par 6 voix con-
tre 3, elle a repoussé le projet voté par
la Chambre des députés, déclarant qu'il
n'y avait aucune mesure à prendre contre
les princes.
M. Bérenger a été nomme rapporteur
par 4 voix contre 1 à M. de Pressensé et
3 bulletins blancs. Un membre de la ma-
jorité avait quitté la séance avant le vote.
La commission se réunira demain sa-
medi; mais il est peu probable qu'elle
puisse recevoir communication du rap-
port dans cette séance. Elle a, en effet,
chargé M. Bérenger de faire un rapport
très étendu, relatant toutes les origines
de l'affaire et tous les précédents parle-
mentaires de ces dernières années. En cet
état, il est probable que le rapport de
M. Bérenger ne sera lu à la commission et
déposé au Sénat que lundi prochain. La
discussion en séance publique viendrait
dans ce cas, mardi ou jeudi de la semaine
prochaine.
A LA CHAMBRE
Ce n'est p;>s sans peine que la Chambre
est parvenue hier à voter la loi relative
au doublement des conseillers généraux.
Elle avait d'abord à expédier plusieurs af-
faires dont l'une a provoqué, contre toute
attente, un assez long débat. Il s'agissait
d'approuver les règlements des tarifs té-
légraphiques arrêtés par la conférence
internationale de Berlin. M. Steenackers
est venu demander à la Chambre de ne
pas prononcer cette ratification. Mais les
chiffres dont il s'est servi ont été à peu
près tous contestés par le rapporteur de la
commission, M. Georges Cochery. Et puis,
dans l'état de la question, la Chambre
pouvait-elle défaire l'œuvre de la confé-
rence de Berlin, mettre ainsi la France en
dehors de l'union internationale? Evi-
demment non. Aussi, après quelques ob-
servations de M. Granet, le projet de loi
a-t-il été voté. Il nous faut mentionner
aussi une proposition tendant à la créa-
tion de bourses de voyages, et dont l'au-
teur, M. Blandin, a lu le très long exposé
des motifs; le dépôt, par le ministre de
l'agriculture, d'un projet de crédit d'un
million pour venir en aide aux cultiva-
teurs éprouvés par les orages; une de-
mande d'interpellation de M. René Brice,
etc. Bref, il était déjà tard quand on a pu
commencer la discussion du projet relatif
- --
aux conseils généraux.
Alors, nous avons assisté à un spec-
tacle inénarrable. La droite a successive-
ment envoyé à la tribune les plus obscurs
d'entre ses orateurs d'obstruction ; dis-
coureurs surprenants, que personne n'é-
coute, qu'on se garderait de réclamer au
cours d'une lutte sérieuse, mais capables
tous d'occuper la tribune pendant un
nombre respectable de minutes, c'est-à-
dire précieux, alors que l'unique but est
de faire traîner les choses le plus possible
èn longueur. Quand le stock a été épui-
sé, la droite a usé d'une autre tactique ;
elle a multiplié les demandes de scrutin,
si bien qu'à sept heures on se battait en-
core à coups de bulletins! Et pourquoi
tout cela? A propos d'une question abso-
lument simple et sur laquelle tous les ré-
publicains de la Chambre étaient d'ac-
cord.
La loi en vigueur, rappelons-le rapide-
ment, la loi du 10 août 1871 accorde un
conseiller général par canton. Or, on voit
dans le même département, dans les
Bouches-du-Rhône, par exemple, tel can-
ton, celui de Saintes-Maries, ne réunir que
926 habitants, tandis que celui de Mar-
seille-nord , extra muros, en compte
83,257. Que deux cantons si dissembla-
blables quant au chiffra de leur popula-
tion soient représentés de la même ma-
nière au conseil général, c'est là évidem-
ment un abus auquel on aurait déjà dû
depuis longtemps remédier. Il semble
même qu'il faudrait revenir tout uniment,
pour les élections cantonales, au principe
de la proportionnalité. Les auteurs du
projet de loi n'ont pas jugé nécessaire
d'aller tout d'abord jusque là; ils ont
proposé un moyen terme : le doublement
des conseillers généraux dans les cantons
de plus de 23,000 habitants. Telle qu'elle
est, c'est-à-dire incomplète, la réforme
est plus qu'acceptable, et M. Thévenet,
le rapporteur de la commission, en a
facilement démontré les avantages.
Mais la droite avait pris la question au
point de vue politique ; augmenter la
représentation départementale des can-
tons populeux, c'est introduire dans les
conseils généraux de nouveaux républi-
cains, par suite diminuer les chances des
aspirants sénateurs monarchistes. Pour ce
motif, non pour un autre, les tentatives
d'obstruction dont nous parlions tout à
l'heure.
C'est d'abord M. Niel ; l'orateur est
afffigé de gestes en bois ; le bras gauche
cherche toujours à relever une toge
absente (M. Niel a été autrefois, nous dit-
on, substitut) : — L'unité cantonale, mes-
sieurs I. — Car l'unité cantonale, ç'a été
hier le cheval de bataille dj tous les ora-
teurs réactionnaires, sans que, du re-te,
aucun pût définir de façon satisfaisant^
cette fameuse unité qui n'existe ni politi-
quement, ni administrativement, mais
seulement au point de vue judiciaire, eu
égard aux attributions des juges de paix.
M. Niel descendu de la tribune,M. Ganivet
s'y précipite, pour refaire le même dis-
cours, dans des termes à peu près iden-
tiques, mais avec plus de véhémence.
C'est alors que M. Thévenet a parlé et
que la Chambre a voté, par 349 voix con-
tre 205, le passage à la discussion des
articles. On aurait pu croire que la droite
se le tiendrait pour dit. Ah! bien, oui!
M. Legrand de Lecelles paraît à la tribune.
Que demande-t il? L'ajournement de la
discussion jusqu'après consultation des
conseils généraux. Et, là-deesus, il rentre,
toutes voiles dehors, dans la discussion
générale. On commence, à gauche, à
s'impatienter. Le prési ;ent, doucement,
intervient, tâche de ramener dans le bon
chemin l'orateur égaré. Mais M. Legrand
de Lecelles ne veut rien entendre ; il agit*
les poings, il se cabre, il parle des colonies,
des sucres, des céréales. De quoi ne
parle-t-il pas ? Enfin on vote, et sa demande
d'ajournement est repoussée par 358 voix
contre 183. La majorité a augmenté. Vous
pensez peut-être que cela va suffire à la
droite. Ah ! comme vous la connaissez
peu !
C'est le tour de M. de Chatenay. Il vient
tout simplement développer un contre-
projet. Sans aucun succès, bien entendu,
et alors un cinquième droitier se montre,
M. Lorois. Mais la gauche, qui a fait
preuve, pendant tout ce temps, d'une ab-
négation admirable, décidément se fâche;
d'autant que M. Lorois recommence, lui
aussi, la discussion générale. Les cris :
Aux voix! deviennent furibonds et cou-
vrent absolument la voix de l'orateur ; et
celui-ci continue, inexorable, son discours,
soutenu par les encouragements de M.
Freppel.
Encore un scrutin; l'article 1er est
adopté avec une modification abaissant de
25,000 à 20,000 le chiffre de la population
exigé pour le doublement des conseillers
généraux. L'article 2 passe sansopposi-
tion. Enfin, l'ensemble du projet est voté
par 337 voix contre 208. Ouf! ç'a été la-
borieux. Samedi, on reprendra les sucres.
On l'espère, du moins.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
—————————
Suite, au Sénat, de la discussion da
projet de loi sur les sociétés de secours
mutuels. Nos lecteurs savent que nous
nous sommes réservé d'apprécier et de
commenter cette loi lorsqu'elle viendra
en discussion devant la Chambre. Le
débat n'a, du reste, porlé hier que sur
des questions de détail, de très médiocre
intérêt. Aucun incident. — L. v.-M.
1 m.I —. ——
LA CRISE BULGARE
C'est à croire que l'Orient a juré de ne
pas nous laisser une seule minute de tran-
quillité. A peine la question grecque est-
elle fermée, que la question bulgare se
rouvre. Comme il était facile de le pré-
voir, la Bulgarie et surtout la Roumélie
considèrent comme insuffisantes les con-
cessions qu'on leur a faites. Le mécon-
tentement v ent de se faire jour dans les
élections qui ont eu lieu dans la Roumélie
occidentale et dont l'issue est peu rassu-
rante pour les amis de la paix.
Deux partis étaient en présence: le parti
radical, déjà au pouvoir en Bulgarie, avec
Eeuilleton du RAPPEL
DU i9 JUIN
16
LA MAITRESSE
DU GENERAL
)
-, CHAPITRE XX -1
«—Suite— 6
Une fois debout, en homme correct,
Cabezon essaya de se brosser; mais ses
joues saignaient, et il y mit son mou-
choir. Il eut la conscience de son état
piteux, m lis pourtant il essaya de faire
une belle retraite.
Il prit le parti de plaisanter.
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 27 man aulB jui^
— J'avais offert de m'écorcher moi-
même pour vous plaire, mais je ne vous
demandais pas, mademoiselle, de m'épar-
gner la besogne.
Angèle ne lui fit pas l'aumône d'un
mot. Elle avait la main haute et montrait
la porte.
— Je m'en vais ! reprit humblement le
financier.
Il fit trois pas, reconduit par Gontran.
Devant la porte du salon, il se retourna
comme Tartufe, au moment de suivre
l'Exempt :
— Ne vous en prenez qu'à vous, made-
moiselle, de ce qui peut arriver.
Si Angèle eut un tressaillement inté-
rieur devant cette menace, il n'en parut
rien sur son visage qui resta de marbre.
Gontran, du canon de son revolver, al-
lait toucher Cabezon pour hâter la re-
traite, quand, tout à coup, un nouveau
défenseur aDDarut.
C'était Galimard. On ne l'avait pas en-
tendu venir. Il arrivait par la grande
porte, empressé, haletant.
Il fit faire volte-face à Cabezon, qui lui
tournait le dos, et de la main qui avait
fait virer le financier, il allait le souffleter,
quand, devinant ce qui s'était passé, aux
éraflures du visage, il s'arrêta et dit avec
un grand sérieux qui avait sa bouffon-
nerie :
et .Je vois que c'est inutile,
Il abaissa sa large main et la laissa
tomber dans celle de Gontran :
— Merci, mon ami. J'avais peur d'arri-
ver trop tard.
Mlle de Guimaraës lui avait souri. Cette
apparition imprévue, les quelques mots
prononcés la réconfortaient.
- Vous saviez donc? demanda-t-elle.
— Nous causerons de cela à l'aise, quand
monsieur ne sera plus ici !
Puis, s'adressant à Cabezon, qui cher-
chait une posture :
— Voilà un essai de scélératesse que je
me charge de vous faire payer cher,
monsieur Cabezon.
— J'attends vos témoins, monsieur, ré-
pliqua le financier, moins par défi que
par prudence diplomatique, pour ne plus
courir la chance d'être souffleté.
Galimard haussa les épaules, et d'une
voix calme, goguenarde :
— Mes témoins? les voilà : cette pure
jeune fille et ce brave jeune homme. C'est
devant eux que je vous condamne à la
ruine et à la honte! Vous ne valez pas le
bénéfice d'une exécution par les armes.
Je veux me donner la joie de vous voir
souffrir. A votre place, savez-vous ce que
je ferais? Je me tuerais.
— Vous me permettrez d'attendre que
j'aie d'autres remords, dit le financier,
qui reprenait un peu d'aplomb.
— Oui t Je sais ce que cela signifie. Vos
éternelles menaces contre vos débiteurs?
Je crains bien pour vous que la guerre
contre l'Allemagne, qu'on décide en ce
moment, ne gêne votre liquidation.
Galimard avait sans doute touché, sans
le savoir, à une plaie secrète, car Cabezon
eut une rougeur profonde qui fit saigner
davantage ses déchirures.
Cette émotion ne passa pas inaperçue
pour le philosophe ; mais il n'insista pas
et continua :
- Savez-vous, d'ailleurs, qu'il suffirait
d'une plainte déposée par moi, dans une
demi-heure, au parquet, pour neutraliser
toutes vos vengeances ? C'est une grande
maladresse que de s'introduire dans une
maison, avec une clé volée à un enfant
qu'on a grisé; que de s'attaquer à une
jeune fille comme celle ci ! Il y va des ga-
lères. Pourquoi choisir ce prétexte d'y al-
ler quand vousen avez tant d'autres? Vous
êtes marqué à la joue, monsieur Cabezon,
Comme vous auriez jadis mérité d'être
marqué à l'épaule. Cela se verra à la
Bourse. Vous n'avez plus le pouvoir d'in-
timider les honnêtes gens, et je vous en
préviens, moi qui ne suis ni un boursier,
ni un voleur de clés, je serai sans pitié.
Encore une fois, vous feriez mieux de
vous brûler la cervelle ou de vous pendre,
vous qui avez eu si longtemps de la corde
de pendu! Allons, je suis pressé, allez-
vous-en.
Cabezon était un esprit trop pratique
pour ne pas soupeser immédiatement la
seule menace sérieuse, mais très réelle-
ment dangereuse que venait de lui faire
Galimard.
On l'avait, en effet, surpris en flagrant
délit de guet-apens, les égratignures
étaient un commencement de épreuves
formidables. Galimard et Gontran seraient
crus dans leurs témoignages, et, si ébranlé
que fût le crédit de la comtesse, elle en
avait encore assez pour le faire passer en
cour d'assises. Mais, en même temps, il
se dit que Galimard n'avait que ce moyeu-
là de l'intimider. Il lui restait à lui des
secrets importants à escompter, à échan-
ger. Si on pouvait arranger l'affaire !
L'habileté, que l'aveuglement de sa
passion avait endormie, se réveillait en
lui. Son intérêt primait, en ce moment,
son amour. D'ailleurs, aimait-il encore
cette amazone qui s'était si bien défendue
et qui lui avait égratigné le visage?
— Monsieur Galimard, dit-il avec une
soumission ironique, j'accepte la lutte,
ayec toutes ses conséquences. Si vous
triomphez, je suis un trop petit person-
nage pour ne pas essayer de survivre à
ma défaite. Mais, si je triomphe, ceux
que j'aurai vaincus ont une fierté plus
susceptible, et c'est peut-être à quelques-
uns de vos amis qu'il serait sage de con-
seiller le suicidQi
Ayant dit cela, d'assez bonne façon,
c'est à-dire comme un coquin sûr de son
fait, Cabeaon sortit, presque à reculons,
comme s'il eût craint d'être encore plus
ignominieusement chassé qu'il ne l'était
déjà, s'il tournait le dos.
Gontran l'accompagna comme un gen«
darme, et pendant une minute on les vit
marcher dans l'allée du jardin, d'un pas
rapide, rythmé ; puis, la petite porte da
potager s'ouvrit, et on l'entendit se
fermer.
Gontran désarma son revolver et, ju-
geant indiscret de rejoindre Mlle de Gui-
maraës, de se mêler à la conversation
qu'elle avait avec Galimard, ou de l'inter-
rompre, il erra dans le jardin, dépensant
le sourire qu'il avait aux lèvres, sans
l'épuiser.
N'était-il pas bien sûr qu'elle n'ai-
mait personne? N'était-il pas heureux
d'être accouru à son secours ?
Il avait encore une raison pour ne pas
retourner directement au salon vert. Il
ne voulait pas être remercié trop tôt des
services qu'il avait rendus, et il vou-
lait savourer seul, à l'aise, la pensée de
cette gratitude qui le faisait un peu plus
l'ami, presque le frère de Mlle de Gui-
maraSs,
LOUIS ULBÀ
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