Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-05-28
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 mai 1886 28 mai 1886
Description : 1886/05/28 (N5922). 1886/05/28 (N5922).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2012
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N°5922— Vendredi 28 Mai 1836 Xe numéro s 1 Oc. — ©épartemeiifs s !§► ©• 9 Prairial an 94 — N* 5922
AOINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, 13
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 10 ))
Six mois. 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Six mois 21 J)
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEEÈVRE
ADMINISTRATEUR GÉRANT
.,
REDACTION
S'adresser au. Secrétaire de la Réfaction.
De 4 à 6 heures du soi"
18, RUE DE VALOIS, 18
ites manuscrits non insére's ne seront pas rendus
ANNONCES
Kiï. Ch. IAGRANCE, CERF et ce
6, place de la Bourse, 6
L'ARTICLE 414
Je vois, dans les nouvelles de Deca-
zeville, qu'un délégué mineur, nommé
Souquié, vient d'être condamné à trois
jours de prison, par application de l'ar-
ticle 414 du Code pénal, pour avoir
porté atteinte ù la liberté du travail.
Et je me rappelle que, lors de la
grève d'Anzin, un gréviste, dont mon
ami et ancien collègue Giard me racon-
tait le cas, avait été condamné à un
emprisonnement de huit jours pour
avoir dit à un de ses camarades, lequel
résistait à entrer dans la grève : - Je
ne boirai plus de bocks avec toi.
Ne plus boire de bocks avec qui ne
vous pLit plus, cela vous paraît sans
doute un acte absolument légitime?
Vous vous trompez. Il y a des cir-
constances où cela constitue « une me-
nace ». Et c'est pour avoir, au moyen
de cette « menace », porté « atteinte à
la liberté du travail » que le gréviste
d'Anzin avait été condamné.
Il serait évidemment irrévérencieux
d'admettre que la justice de mon pays
puisse avoir deux poids et deux mesu-
res, ce qui m'oblige à penser que la
culpabilité de Souquié ne doit être à
celle du gréviste d'Anzin que dans la
proportion de trois à huit, et, comme
la faute du mineur d'Anzin me paraît
déjà réduite à des proportions fort in-
finitésimales, j'en conclus qu'on aurait
beaucoup mieux fait de laisser Souquié
tranquille.
Admirable législation, en vérité, que
celle des articles 414 et 415 du Code
pénal, que la République a hérité de la
loi de 1864 et du libéralisme de Ai.
Emile Ollivier !—Il s'agit, dit-on, du
punir (je prends rénumération même
de l'article 414) les violences, les voies
de fait, les menaces et les manœuvres
frauduleuses. — Mais est-ce que les
voies de fait, les violences et les me-
naces, pour peu qu'elles aient un ca-
ractère sincèrement punissable, ne
sont pas déjà atteintes par le droit
commun? — Est-ce que, depuis les
coups qui peuvent occasionner la mort
sans qu'il y ait eu intention de la don-
ner, lesquels sont punis des travaux
forcés à temps, jusqu'aux simples voies
de fait qui n'entraînent aucune maladie
ou incapacité de travail spécialement
déterminée, et qui ne sont punies que
d'un emprisonnement de six jours à
deux ans et d'une ;,mende de 16 à 200
francs, toutes les violences ne sont pas
punies par les articles 309, 310 et 311 ?
— Est-ce qu'il n'en est pas de même
pour les menaces de mort sous condi-
tion, que frappe l'article 305, pour finir
par les menaces que punissent succes-
sivement, et en distinguant soigneuse-
ment leurs caractères, les articles 306,
307 et 308?
Pourquoi donc avoir fait - et pour-
quoi maintenir— au sujet de ces yio-
lences ou de ces menaces, quand il
s'agit de grèves, une législation spé-
ciale ?
Est-ce pour les frapper moins sévè-
rement? On le comprendrait, car s'il
est des cas où des fautes de cette na-
ture peuvent être considérées comme
b les, c~est assur é -
plus aisément excusables, c'est assuré-
ment dans les circonstances toujours
douloureuses et souvent poignantes
pour lesquelles ces articles exception-
nels ont été faits.
Mais non. La loi de 1864 n'a pas
voulu atténuer la culpabilité. Au con-
traire" elle a voulu l'aggraver. Ses au-
teurs ont pris soin d'établir que, si les
menaces et les violences rentrent dans
le cadre de celles que le code pénal
punit de peines plus sévères, ce seront
ces peines-là qu'il faudra appliquer. La
loi de 1864 n'est faite que pour attein-
dre spécialement les violences et les
menaces dites « simples ». C'est pour
ces délits si légers que l'article 414 per-
met de pousser l'emprisonnement jus-
qu'à trois ans et l'amende jusqu'à trois
mille francs, et que l'article 415, s'il y
a eu « plan concerté » autorise la mise
sous la surveillance de la haute police
pendant deux ans au moins et trois
ans au plus.—Heureusement que la sur-
veillance de la haute police est aujour-
d'hui supprimée. Il est vrai qu'elle
est remplacée par l'interdiction de sé-
jour. Mais puis-je m'empêcher de con-
sidérer avec une sorte de surprise bien-
veillante les gens qui, comme Souquié,
exposés pour des fautes si vénielles à
des peines si considérables, trouvent
moyen de n'être coupables que jus-
qu'à concurrence de trois jours de pri-
son ?
Remarquez que je n'ai pas jusqu'ici
parlé des « manœuvres ». Ici, les délits
sont bien plus insaisissables encore.
Qu'est-ce qu'une manœuvre? Jamais
les auleurs de la loi de 1864 n'ont pu
dire en quoi cela consistait. M. Emiie
Ollivier déclara quelque part qu'un
« simple mensonge » n'est pas une
manœuvre frauduleuse, mais que « l'ar-
ticulation d'un fait sciemment men-
songer » en est une. il faut, dit-il
ailleurs, que ces manœuvres aient
été de nature à faire impression et
qu'elles aient été « déterminantes ».
D'où il suit qu'elles pourraient avoir
été déterminantes sans avoir fait im-
pression. Comprenne qui voudra ce
galimatias. Eu réalité, c'est l'absence
de toute disposition et de toute règle
juridique. C'est l'arbitraire pur. C'est
l'aecusé abandonné au bon plaisir du
Juge.
La raison de toutes ces violations
des principes? — C'est, aliègue-t-on,
que la liberté du travail est encore plus
sacrée que toutes les autres et qu'elle a
besoin d'être garantie' par des moyens
encore plus énergiques.
A cela un mot suffit pour répondre :
C'est que ce prétendu respect de la
liberté du travail, ce sont les travail-
leurs qui en font toujours les frais,
que cette législation exceptionnelle n'a
jamais pesé que sur eux, et que, depuis
qu'elle existe, ils n'ont jamais cessé —
unanimement et sans se lasser — de
protester contre elle.
D'oùje tirecettodouble conséquence :
D'abord qu'il faut se hâter d'abroger
l'article 414 ;
Et ensuite que le mieux, en atten-
dant qu'on le supprime, serait de ne
pas s'.en servir, car il est un peu dur,
dans cette affaire de Decazeville tout
particulièrement, de voir le ministère
de la justice se souvenir si bien des
lois qui peuvent atteindre les mineurs,
quand le ministère des travaux publics
se souvient si peu de celles qui attein-
draient la compagnie.
ERNEST LEFÈVRE.
————————— -:----.
COULISSES DES CHAMBRES
Les ministres tiendront aujourd'hui par
exception conseil à i'Elys?e sous la pré-
sidence de M. Grévy, au lieu du conseil
de cabinet qu'ils tiennent ordinairement
le jeudi au ministère des affaires étran-
gères.
Cette réunion extraordinaire du conseil
a pour objet de statuer définitivement sur
la question des princes et d'arrêter les
termes du projet de loi qui sera soumis à
la Chambre.
-0-
La commission du budget a pris hier
une très grave décision. Après un simple
échange d'observations, elle a voté la sup-
presion du budget des cultes par 12 voix
contre 9 et une abstention sur 33 mem-
bres.
Les 12 membres qui forment la majorilé
sont : MM. Yves Guy >t, Laisant, Simyan,
Salis, Camille Dreyfus, Menard-Dorian,
Heiry Marot, Bizarelli, do Heredia, Clé-
menceau, Thomson et Gerville-Réache.
Les neuf membre? de la minorité sont :
MM. Constans, Andrieux, Burdeau, Prevet,
Leguay, Sans-Leroy, Blandin, Gomot et
Saint-Prix. L'abstentionniste est M. Thiers.
Cette décision n'a été précédée pour
ainsi dire d'auoun débat.
M. Andrieux, rapporteur, s'est borné à.
indiquer les raisons qui, suivant lui, ren-
dent nécessaire le vote du budget des
cultes.
M. Yves Guyot a insisté énergiquement
en faveur de la suppression, en faisant
observer qu'un certain nombre de dépu-
tés républicains étaient tenus de la voter
en raison de leurs engagements électo-
raux. Il a ajouté que depuis longtemps on
se trouvait dans un cercle vicieux. Ou
prétend que le budget des cultes ne pourra
être supprimé que quand une législation
préalable sera votée et, d'autre part, les
Chambres successives passent sans faire
b IL,. Il faut d~.-)nc
cette législation préalable. Il faut donc
voter une fois pour toutes la suppression
du budget des cultes afin de mettre la
Chambre dans l'obligation de. faire la loi
relative aux rapports des Eglises et de
l'Etat.
M. Yves Guyot, a la suite du vote rendu
hier par la commission, a décidé de dépo-
ser aujourd'hui même la proposition qu'il
a rédigée depuis quelque temps déjà et
qui a pour objet de mettre les fonds du
budget des cultes à la disposition des
communes, qui auront la faculté de les
employer à l'entretien du cuite ou à tout
autre usage qu'elles le jugeront convena-
ble. *
M. Yves Guyot se propose de demander
l'urgence pour sa proposition.
La décision de la commission du bud-
get va avoir des conséquences prochaines
devant la Chambre même.
Il est probable qu'un incident sera pro-
voqué en séance publique, soit par voie
d'interpellation on de motion, ou partout
autre procédé parlementaire, afin d'ame-
ner la Chambre, avant le moment, encore
très éloigné, où sera discuté le budget
général de i887, à faire connaître son
sentiment sur la question de la séparation
des Eglises et de l'Etat. La commission
du budget, au cas où la Chambre se pro-
noncerait actuellement contre la sépara-
tion, discuterait alors le budget des cul-
tes, qu'elle a refusé d'pxaminer hier. La
majorité ferait momentanément abstrac-
tion de son opinion sur la question de
principe, pour ne pas entraver la discus-
sion du budget et pour permettre le dépôt
de tous les rapports.
-o-
Le ministre des travaux publics s'est
rendu hier à la commission de la Cham-
bre qwi examine les propositions relatives
aux mineurs. Il a demandé à cette com-
mission, conformément à une décision
antérieure du conseil des ministres, de
vouloir bien donner la priorité dans ses
travaux au projet sur la création de délé-
gués mineurs. M. Baïhaut a fait observer
que le projet relatif aux caisses de se-
cours et de retraite des mineurs dont la
commission était saisie soulevait des
questions nombreuses et complexes dont
l'élude était à peine commencée, tandis
que le projet sur les délégués mineurs
voté par la précédente Chambre, et adopté
avec modification par le Sénat, pouvait
être rapidement discuté et voté par la
Chambre actuelle. Le ministre a insisté
sur la nécessité pour les pouvoirs publics
de témoigner d'une manière efficace de
leur sollicitude pour la grande et si inté-
ressante catégorie des mineurs en leur
donnant un gage réel et tangible par le
vote de cette loi sur 'es déléguÓs.
La commission déférant à la demande
du ministre a décidé de donner la priorité
au projet relatif aux délégués mineurs et
d'examiner demain vendredi les modifica-
tions apportées à ce projet par le Sénat.
-0-
En attendant qu'elle puisse reprendre
l'étude du projet de Métropolitain - sus-
pendue par les négociations entamées par
le ministère des travaux publics avec la
ville de Paris — la commission parlemen-
taire des chemins de fer a décidé hier
qu'une délégation de ses membres irait le
1er juin prochain àLondre ; pour visiter le
Métropolitain qui fonctionne dans cette
capitale.
-0-
Le projet de loi complémentaire sur
l'organisation de l'enseignement primaire
voté par la précédente Chambre et adopté
avec modifications par le Sénat est soumit
actuellement, on le soit, à une commis-
sion de la Chambre.
Celte commission s'est réunie hier et a
approuvé les conclusions du rapport de
M. Steeg. Ce rapport conclut à la ratifica-
tion du projet tel que le S inat l'a vpté,
afin d'assurer lp plus promptement pos-
sible la réalisation des réformes qu'il com-
porte, notamment. en ce qui concerne la
laïcisation des écoles publiques.
———————— ———————-
« If se dérobe, il demande l'aman
comme un simple Arabe, il jette aux or-
ties sa couronne de prince, il renie sa
race, il renie son nom, il renie ses de-
voirs; en un mot, il abdique pour rede-
venir um citoyen de la R. F., et afin de
pouvoir, en qualité de républicain, ré-
clamer l'expulsion des princes qui, eux,
res ent fidèles à leur mission. C'est
odieux et c'est déshonorant. »
De qui est-il parlé en ces termes flé-
trissants? d'un Bonaparte. Et qui est-
ce qui parle? un journal bonapartiste.
Un reporter a été curieux de con-
naître l'opinion du prince Napoléon sur
l'expulsion des prétendants: Le prince
était absent, mais un de ses familiers
l'a représenté. De l'interrogatoire qui a
eu lieu, il résulte que le prince Na-
poléon est partisan de l'expulsion des
princes — d'Orléans.
Quant à lui) pourquoi l'expulserait-
on ? N'est-il pas républicain, et répu-
to~,iriil"-t- i l pas
blicain sincère? « Ne tourne-t-il pas
franchement, sans arrière-pensée, vers Í
le seul gouvernement qui représente
les grandes idées de la Révolution
française, le gouvernement élu', la
Ptépublitluc » ?
Un Bonaparte qui se dit républicain,
voilà ce qui horripile le journal bona-
partisle. Oh ! mais il compte bien que
les républicains « n'accepteront pas ce
renégat »; qu'ils comprendront que « ia
République n'aurait rien à gagner it
cette acquisition »; que « dédaignant
ses flagorneries, refusant ses avances,
ils le condamnerant à traîner après lui,
comme un bou'et, sa couronne impé-
riale ».
La, République n'a pas attendu la
conseil de 1 Autorité pour faire des
avances du prince Napoléon le cas
qu'elles méritent. Mais le journal de
M. de Cassagnac nous semble mécon-
naître la pure tradition bonapartiste.
Est-ce que les deux Bonapartes qu'il
admire, Napoléon premier et Napoléon
dernier n'ont pas commencé par se dire
républicains, parprêter à la République
autant de serments qu'on a voulu? Est-
ce que ce n'est pas au nom de la Ré-
publique et pour la sauver qu'ils ont
fait le Dix-huit Brumaire et le Deux-
Décembre? Est-ce que le meilleur
moyen d'étouffer les gens n'est pas de
les embrasser?
Le prince Napoléon, lui, connaît la
tradition; il est prêt à sauver la Répu-
blique ; qu'on l'en fasse seulement pré-
sident. et on verra !
Le malheur est qu'on a vu. Deux
fois. Et on n'éprouve pas le besoin de
revoir.
AUGUSTE VACQUERIE.
————————- —————————
Le Cri du Peuple ayant prétendu que
M. Gaulier avait été renvoyé de l'armée
pour des faits relatifs à l'honneur, le dé-
puté de la Seine a adressé à ce journal la
lettre suivante :
Monsieur, -
Vous publiez des infamies sur mon compte.
Vous mentez.
La lumière sera faite; la Chambre jugera.
A. GAULIER.
——————————
~JSU
LES LIVRETS D'OUVRIERS
Une réforme sûre d'être bien accueillie
par tous les travailleurs de France, c'est
la suppression des livrets d'ouvriers.
Cette suppression, la précédente Cham-
bre l'avait votée, à la presque unanimité.
On a pu croire que c'était chose faite.
Mais, le Sénat retravailla le projet de loi,
sous prétexte que ce n'était pas absolu-
ment l'idéal, l'équarrit, le scia, rabota,
polit à nouveau ; vingt fois sur le métier
remettez votre ouvrage.; de sorte que,
finalement, le livret, supprimé, se trouva
rétabli.
Pas tout à fait tel qu'il était autrefois,
cependant? Non, sans doute. C'est-à-dire
que d'obligatoire il devenait facultatif.
Amélioration? Non. Au contraire. Aggra-
vation. Et il 'est facile de s'en rendre
compte. Tels patrons exigeront le livret,
tels autres n'en voudront point entendre
parler. Voilà donc un nouvel antagonisme
créé. Il y a gros à parier que, quittant
une maison où le livret ne sera pas de
rigueur, n'en possédant point par consé-
quent, l'ouvrier ne trouvera pas facile-
ment à se replacer chez un pîlron qui,
resté fidèle aux vieilles habitudes, aura
conservé celte du livret. Dans ces condi-
tions, il est évident que le livret facultatif
tendra vite à redevenir obligatoire. Les
ouvriers le demanderont tous pour se
couvrir à l'avance contre les fantaisies
possibles de certains patrons ; et la ré-
forme votée par la dernière Chambre se
trouvera ainsi parfaitement annulée.
Or, cette réforme est nécessaire; elle
supprimera une inégalité choquante; elle
affranchira les ouvriers d'obligations qui
ont pour véritable résultat de faire d'eux
une catégorie à part de citoyens, ce qui
est contraire au grand principe d'égalité.
La loi qui a institué le livret d'ouvrier est
une loi de police, pas autre chose.
Présente-t-il, ce livret, quelque avan-
tage qu'on puisse invoquer en sa faveur ?
Non. A quoi sert-il? A rien. Il ne peut
constater les habitudes d'ordre et de mo-
ralité de son porteur, puisqu'il est inter-
dit d'y inscrire aucune mention de ce
genre. Il n'a donc nullement, quoique
bien des personnes s'imaginent le con-
traire, l'utilité du certificat délivré aux
domestiques; par suite, il est, dans la
plupart des cas, d'un faible secours pour
retrouver du travail. On croit aussi, géné-
ralement, que l'ouvrier est accueUi avec
sympathie et estime lorsque son livret
témoigne des longues années qu'il a pas-
sées dans la même maison ; c'est encore
une erreur. En réalité, le patron pense
alors, tout de suite, qu'il a fallu une
cause grave pour motiver le départ ; il
entre en défiance immédiatement.
Ces arguments feront, à coup sûr, im-
pression sur les députés; ils penseront
que leurs prédécesseurs avaient bien voté;
ils refuseront de s'incliner devant la vo-
lonté sénatoriale; ils prononceront, à nou-
veau, !a suppression pure et simple du
livret d'ouvrier.
Ils feront ainsi, comme leur a dit avant-
hier M. Lyonnais, député de la Seine-
Inférieure, œuvre de paix sociale. Le
terme n'est pas exagéré. A petites causes
grands effets. L'impression morale pro-
duite par la suppression du livret sera
considérable. Une des expressions dont
s'e.t servi M. Lyonnais a soulevé quelques
murmures dans la Chambre : il disait que
la majorité des ouvriers assimilait la for-
malité du livret à une véritable « mise en
carte » ; on s'est récrié, et on a eu tort.
L'expression, pour être brutale, n'en ré-
pond pas moins à un sentiment très net et
très défini ; les ouvriers s'en servent com-
munément et on la retrouve à l'article
premier du programme du parti ouvrier.
La suppression du livret causerait un
véritable soulagement. Il semblerait réel-
lement que tombe une des barrières éle-
vées entre les ouvriers et les patrons par
des législateurs soucieux avant tout de
conserver leurs privilèges, dussent être
sacrifiées l'équité et la justice. Une loi
d'exception comme celle qui a créé le
livret n'est pas compatible avec le suffrage
universel; elle fait l'effet d'un anachro-
nisme, elle doit être rayée de nos codes.
La discussion sur ce sujet, interrompue
à la fin de la dernière séance, sera reprise
aujourd'hui; mais, nous le répétons, nous
ne voulons pas supposer un instant que la
Chambre refuse de faire droit aux légi-
times revendications dont M. Lyonnaia
s'est fait l'interprète. S'il en était autre-
ment, nous ne comprendrions plus. N'est.
on pas d'accord sur ce point que les iné-
galités sociales doivent cesser d'exister?
La Chambre a là une belle occasion de
conquérir un peu de la popularité qui lui
manque ; elle ne la laissera pas échapper.
Qu'on ne nous accuse pas de nous faire
illusion à nous-même sur l'importance dd
la réforme dont il s'agit. Nous savons par-
faitement — nous l'avons dit déjà — que
cette importance est surtout morale; et
c'est précisément pourquoi nous y insis-
tons. Délivrés du livret qui leur est charge,
qui les ennuie, qui les humilie, les ou-
vriers croiront avoir grandi en dignité.
Ils en seront reconnaissants à la Hépu.
blique.
LUCIEN VICT0R-MBU3IER.
11 1 ■■■■■■■■-■ I — I ——III ■ Il
LES PROJETS DE LA VILLE
L'expiration des pouvoirs de Tancienne
Chambre est arrivée avant que le projet
de loi ayant pour but l'utilisation agricole
deséaux d'égout de Paris et l'assainisse-
ment de la Seine pût venir à l'ordre du
jour; mais l'idée est loin d'être aban-
donnée, et, s'inspirant du remarquable
rapport de M. Bourneville, MM. Baïhaut,
Develle et Sadi-Carnot ont fait revivre
l'ancien projet, déposé par leurs prédé-
Feuilleton du RAPPEL
DU 28 MAI
57
LA MAITRESSE
DU GÉNÉRAL
CHAPITRE XVI
-Suite-
Dans l'après-midi du même jour, Lucien,
avec son père et Galimard, faisait son en-
trée à Passy, par la petite porte que nous
connaissons.
Il avait vraiment, en dépit des petits
airs fanfarons qu'il se croyait obligé de
prendre, l'attitude d'un néophyte.
Cet être frivole n'avait jamais été mêlé
à un mystère sérieux. Il était flatté
reproduction interdite.
Voir le Rappel du 27 mars au 27 mai.
crédit que l'on faisait à sa parole d'hon-
neur; il la mettait souvent en avant dans
ses hâbleries de viveur; mais il compre-
nait que, cette fors, elle était engagée
pour un pacte qui le grandissait. Il était
curieux de voir de près, de posséder, lui,
troisième, un phénomène ignoré de tout
Paris. Porter un gros secret, même avec
l'injonction de ne pas le révéler, quand
on a des témoins solennels de sa discré-
tion, c'est presque aussi doux que de le
raconter. Son imagination, d'ordinaire
paresseuse, se mettait en travail. Il rêvait
au charme transformé de cette belle co-
quette, et, puisqu'on avait fait allusion
aux contes de fées, il se cambrait en
prince charmant, allant saluer Peau-
d'Ane.
Il interrogea beaucoup, pour savoir si
Mile de Guimaraës serait bien étonnée de
sa visite.
— Elle sera contente, dit Galimard,
car vous serez un ami de plus à estimer.
— Oui, elle me méprisait bien, n'est-ce
pas ? Vous le sentiez.
— Oh ! pas plus que beaucoup de gens
du salon maternel.
Ce fut donc avec l'espoir de gagner
quelque chose, de MO" en grade dans
.I t er en grade dans
l'esprit d'Angèl, que Lucien entra dans
le petit jardin. entra dans
Tout servait, ce jour-là, le complot
sentimental : une belle journée de ce beau
mois de juin, qui est le mois des sé-
rieuses promesses ; une verdure éclatante
dans le parterre qui avait aussi des fleurs;
des roses, dans la double bordure de la
grande allée; de la gaieté émue dans l'at-
mosphère.
An gèle n'avait pas été prévenue ; mais
elle attendait. Elle était, pendant une ré-
création, dans le potager, et, tout en cher-
chant sur un rosier à haute tige la rose
la moins ouverte qu'elle pût cueillir, elle
causait avec son ami Gontran, son page ;
celui-ci, appuyé sur un râteau, comme la
statue en faïence du Gahnt Jardinier, ré-
pondait, tête nue, aux questions qu'elle
lui adressait, les unes après les autres,
pour avoir un prétexte sans doute de
rester là.
En entendant la petite porte s'ouvrir, en
voyant entrer les visiteurs espérés, elle
eut un soupir que Gontran entendit et
elle alla vivement au-devant de ses
amis.
Le jeune jardinier, après un coup d'œil
résigné jeté à ceux qu'il connaissait et un
regard jaloux au jaune inconnu qu'on
amenait, se remit lentement à ratisser les
allées.
Il y eut d'abord entre Angèle et Lucien
un échange de sourires silencieux.
Il la trouvait étonnamment jolie, tout
en restant belle, dans son costume simple,
avec les cheveux moins crespelés et plus
onduleux.
—Vous me pardonnez, dit-il enfin, avec
une gentillesse soumise, d'être un nro-
fane dans ce sanctuaire?
— Je vous remercie, lui répondit An-
gèle; mais il n'y a pas de sanctuaire, et
vous n'êtes pas un profane. C'est ici ma
maiion des champs; je vous y ferai man-
ger de mes cerises. Cela compensera les
gâteaux que vous m'avez fait l'honneur
d'accepter.
Galimard intervint.
— M. Lucien nous a donné sa parole
d'honneur qu'il ne vous trahira pas.
— Je l'espère bien et je n'ai pas
peur 1
Angèle remercia Beaugran d'un cligne-
ment d'yeux qui semblait une palpitation
de son cœur, puis, reprenant son ton de
bonne humeur :
— Je vais vous faire les honneurs de
mon domaine, monsieur Lucien. Ceci est la
classe des légumes ; je n'y enseigne pas
encore ; j'y prends des leçons de bota-
nique, et voilà là-bas mon maître, mon
ami Gontran. Vous serez son ami, mon-
sieur Lucien, je le veux. Je vais vous pré-
senter l'un à l'autre.
Elle appela Gontran et la présentation
se fit.
Lucien n'osait pas être jaloux ; mais il
se dit qu'on pouvait l'être de ce page si
docile, si re-pectueux avec une si jolie fi-
gure. Quant à Gontran, qui de près avait
renouvelé son salut à M. Galimard et
à Beaugran, en y mêlant un sourire, il sa-
lua Lucien sans sourire.
An cèle conduisit les visiteurs à son sa-
Ion d'été. On y avait mis des fleurs cou-
pées dans un vase, sur la table ronde.
Avait-elle eu peur de paraître pédante
à celui qu'elle voulait séduire, si rien
chez la sous-maîtresse ne faisait sou-
venir de Mlle de Guimaraës? Angèle
s, fit remplacer pour la classe qui allait
recommencer. Elle avait prévu ce rem-
placement.
— Je ne vous verrai donc pas donner
vos leçons? demanda Lucien.
— Une autre fois; venez quand la classe
sera commencée. Vous ne me dérangerez
pas et vous m'attendrez.
Une autre fois ! Lucien fut ravi de cette
invitation qui lui arrivait si vite, et sans
arrière-pensée. Oui, certes, il reviendrait.
Ce qu'il voyait était si charmant, ce qu'il
ressentait était si bon 1
Plus tard, dans h conversation, il fut
convenu que quand il n'aurait rien de
mieux à faire, en prenant quelques pré-
cautions, il pourrait venir aux heures
qu'on lui indiqua, même seut, même à
cheval, s'il se promenait au bois de Bou-
logne ; on attacherait le cheval dans un
coin du jardin. On envoya chercher Mme
Berthelin et celle-ci renouvela l'invita-
tion.
Lucien ne pouvait pas revenir tous les
jours, mais il pouvait revenir souvent. Le
roman s'engageait à merveille. Beaugran
parlait peu, craignait de trahir son émo-
tion. J) éprouvait une joie profonde, aui
n'éteignait pas pourtant le feu d'une cer-
taine angoisse. Galimard se permit quel-
ques réflexions, en apparence un peu gau-
ches, mais d'une gaucherie calculée, pour
objecter qne le monde ferait bien des
cancans, s'il apprenait ces rendez-vous
classiques. Angèle déclara qu'elle n'avait
peur de rien, et Lucien prit un air de défi
tout à fait encourageant.
Comme on se retirait et comme Mlle de
Guimarafis précédait, avec Lucien, les
deux amis, dans l'allée principale du jar-
din, en les conduisant vers la petite porte,
Mme Berthelin marchant entre Galimard
et Beaugran murmura :
— On dirait qu'il y a dans l'air lin par-
fum et un bruit d'accordailles.
On marchait lentement, pour n3 pas
rejoindre trop tôt les deux jeunes gens.
Quand on les eut rejoints, Lucien avait
une petite fleur à sa boutonnière ; Angèle
tenait la même à la main, avec la rose
qu'elle avait cueillie. Cela ne prouvait
rien à coup sûr ; mais cela n'était pas do
nature non plus à décourager ces intri-
gants innocents.
LOUIS ULBAGH.
(A suioreù
f
* t
1
N°5922— Vendredi 28 Mai 1836 Xe numéro s 1 Oc. — ©épartemeiifs s !§► ©• 9 Prairial an 94 — N* 5922
AOINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, 13
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 10 ))
Six mois. 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13 50
Six mois 21 J)
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEEÈVRE
ADMINISTRATEUR GÉRANT
.,
REDACTION
S'adresser au. Secrétaire de la Réfaction.
De 4 à 6 heures du soi"
18, RUE DE VALOIS, 18
ites manuscrits non insére's ne seront pas rendus
ANNONCES
Kiï. Ch. IAGRANCE, CERF et ce
6, place de la Bourse, 6
L'ARTICLE 414
Je vois, dans les nouvelles de Deca-
zeville, qu'un délégué mineur, nommé
Souquié, vient d'être condamné à trois
jours de prison, par application de l'ar-
ticle 414 du Code pénal, pour avoir
porté atteinte ù la liberté du travail.
Et je me rappelle que, lors de la
grève d'Anzin, un gréviste, dont mon
ami et ancien collègue Giard me racon-
tait le cas, avait été condamné à un
emprisonnement de huit jours pour
avoir dit à un de ses camarades, lequel
résistait à entrer dans la grève : - Je
ne boirai plus de bocks avec toi.
Ne plus boire de bocks avec qui ne
vous pLit plus, cela vous paraît sans
doute un acte absolument légitime?
Vous vous trompez. Il y a des cir-
constances où cela constitue « une me-
nace ». Et c'est pour avoir, au moyen
de cette « menace », porté « atteinte à
la liberté du travail » que le gréviste
d'Anzin avait été condamné.
Il serait évidemment irrévérencieux
d'admettre que la justice de mon pays
puisse avoir deux poids et deux mesu-
res, ce qui m'oblige à penser que la
culpabilité de Souquié ne doit être à
celle du gréviste d'Anzin que dans la
proportion de trois à huit, et, comme
la faute du mineur d'Anzin me paraît
déjà réduite à des proportions fort in-
finitésimales, j'en conclus qu'on aurait
beaucoup mieux fait de laisser Souquié
tranquille.
Admirable législation, en vérité, que
celle des articles 414 et 415 du Code
pénal, que la République a hérité de la
loi de 1864 et du libéralisme de Ai.
Emile Ollivier !—Il s'agit, dit-on, du
punir (je prends rénumération même
de l'article 414) les violences, les voies
de fait, les menaces et les manœuvres
frauduleuses. — Mais est-ce que les
voies de fait, les violences et les me-
naces, pour peu qu'elles aient un ca-
ractère sincèrement punissable, ne
sont pas déjà atteintes par le droit
commun? — Est-ce que, depuis les
coups qui peuvent occasionner la mort
sans qu'il y ait eu intention de la don-
ner, lesquels sont punis des travaux
forcés à temps, jusqu'aux simples voies
de fait qui n'entraînent aucune maladie
ou incapacité de travail spécialement
déterminée, et qui ne sont punies que
d'un emprisonnement de six jours à
deux ans et d'une ;,mende de 16 à 200
francs, toutes les violences ne sont pas
punies par les articles 309, 310 et 311 ?
— Est-ce qu'il n'en est pas de même
pour les menaces de mort sous condi-
tion, que frappe l'article 305, pour finir
par les menaces que punissent succes-
sivement, et en distinguant soigneuse-
ment leurs caractères, les articles 306,
307 et 308?
Pourquoi donc avoir fait - et pour-
quoi maintenir— au sujet de ces yio-
lences ou de ces menaces, quand il
s'agit de grèves, une législation spé-
ciale ?
Est-ce pour les frapper moins sévè-
rement? On le comprendrait, car s'il
est des cas où des fautes de cette na-
ture peuvent être considérées comme
b les, c~est assur é -
plus aisément excusables, c'est assuré-
ment dans les circonstances toujours
douloureuses et souvent poignantes
pour lesquelles ces articles exception-
nels ont été faits.
Mais non. La loi de 1864 n'a pas
voulu atténuer la culpabilité. Au con-
traire" elle a voulu l'aggraver. Ses au-
teurs ont pris soin d'établir que, si les
menaces et les violences rentrent dans
le cadre de celles que le code pénal
punit de peines plus sévères, ce seront
ces peines-là qu'il faudra appliquer. La
loi de 1864 n'est faite que pour attein-
dre spécialement les violences et les
menaces dites « simples ». C'est pour
ces délits si légers que l'article 414 per-
met de pousser l'emprisonnement jus-
qu'à trois ans et l'amende jusqu'à trois
mille francs, et que l'article 415, s'il y
a eu « plan concerté » autorise la mise
sous la surveillance de la haute police
pendant deux ans au moins et trois
ans au plus.—Heureusement que la sur-
veillance de la haute police est aujour-
d'hui supprimée. Il est vrai qu'elle
est remplacée par l'interdiction de sé-
jour. Mais puis-je m'empêcher de con-
sidérer avec une sorte de surprise bien-
veillante les gens qui, comme Souquié,
exposés pour des fautes si vénielles à
des peines si considérables, trouvent
moyen de n'être coupables que jus-
qu'à concurrence de trois jours de pri-
son ?
Remarquez que je n'ai pas jusqu'ici
parlé des « manœuvres ». Ici, les délits
sont bien plus insaisissables encore.
Qu'est-ce qu'une manœuvre? Jamais
les auleurs de la loi de 1864 n'ont pu
dire en quoi cela consistait. M. Emiie
Ollivier déclara quelque part qu'un
« simple mensonge » n'est pas une
manœuvre frauduleuse, mais que « l'ar-
ticulation d'un fait sciemment men-
songer » en est une. il faut, dit-il
ailleurs, que ces manœuvres aient
été de nature à faire impression et
qu'elles aient été « déterminantes ».
D'où il suit qu'elles pourraient avoir
été déterminantes sans avoir fait im-
pression. Comprenne qui voudra ce
galimatias. Eu réalité, c'est l'absence
de toute disposition et de toute règle
juridique. C'est l'arbitraire pur. C'est
l'aecusé abandonné au bon plaisir du
Juge.
La raison de toutes ces violations
des principes? — C'est, aliègue-t-on,
que la liberté du travail est encore plus
sacrée que toutes les autres et qu'elle a
besoin d'être garantie' par des moyens
encore plus énergiques.
A cela un mot suffit pour répondre :
C'est que ce prétendu respect de la
liberté du travail, ce sont les travail-
leurs qui en font toujours les frais,
que cette législation exceptionnelle n'a
jamais pesé que sur eux, et que, depuis
qu'elle existe, ils n'ont jamais cessé —
unanimement et sans se lasser — de
protester contre elle.
D'oùje tirecettodouble conséquence :
D'abord qu'il faut se hâter d'abroger
l'article 414 ;
Et ensuite que le mieux, en atten-
dant qu'on le supprime, serait de ne
pas s'.en servir, car il est un peu dur,
dans cette affaire de Decazeville tout
particulièrement, de voir le ministère
de la justice se souvenir si bien des
lois qui peuvent atteindre les mineurs,
quand le ministère des travaux publics
se souvient si peu de celles qui attein-
draient la compagnie.
ERNEST LEFÈVRE.
————————— -:----.
COULISSES DES CHAMBRES
Les ministres tiendront aujourd'hui par
exception conseil à i'Elys?e sous la pré-
sidence de M. Grévy, au lieu du conseil
de cabinet qu'ils tiennent ordinairement
le jeudi au ministère des affaires étran-
gères.
Cette réunion extraordinaire du conseil
a pour objet de statuer définitivement sur
la question des princes et d'arrêter les
termes du projet de loi qui sera soumis à
la Chambre.
-0-
La commission du budget a pris hier
une très grave décision. Après un simple
échange d'observations, elle a voté la sup-
presion du budget des cultes par 12 voix
contre 9 et une abstention sur 33 mem-
bres.
Les 12 membres qui forment la majorilé
sont : MM. Yves Guy >t, Laisant, Simyan,
Salis, Camille Dreyfus, Menard-Dorian,
Heiry Marot, Bizarelli, do Heredia, Clé-
menceau, Thomson et Gerville-Réache.
Les neuf membre? de la minorité sont :
MM. Constans, Andrieux, Burdeau, Prevet,
Leguay, Sans-Leroy, Blandin, Gomot et
Saint-Prix. L'abstentionniste est M. Thiers.
Cette décision n'a été précédée pour
ainsi dire d'auoun débat.
M. Andrieux, rapporteur, s'est borné à.
indiquer les raisons qui, suivant lui, ren-
dent nécessaire le vote du budget des
cultes.
M. Yves Guyot a insisté énergiquement
en faveur de la suppression, en faisant
observer qu'un certain nombre de dépu-
tés républicains étaient tenus de la voter
en raison de leurs engagements électo-
raux. Il a ajouté que depuis longtemps on
se trouvait dans un cercle vicieux. Ou
prétend que le budget des cultes ne pourra
être supprimé que quand une législation
préalable sera votée et, d'autre part, les
Chambres successives passent sans faire
b IL,. Il faut d~.-)nc
cette législation préalable. Il faut donc
voter une fois pour toutes la suppression
du budget des cultes afin de mettre la
Chambre dans l'obligation de. faire la loi
relative aux rapports des Eglises et de
l'Etat.
M. Yves Guyot, a la suite du vote rendu
hier par la commission, a décidé de dépo-
ser aujourd'hui même la proposition qu'il
a rédigée depuis quelque temps déjà et
qui a pour objet de mettre les fonds du
budget des cultes à la disposition des
communes, qui auront la faculté de les
employer à l'entretien du cuite ou à tout
autre usage qu'elles le jugeront convena-
ble. *
M. Yves Guyot se propose de demander
l'urgence pour sa proposition.
La décision de la commission du bud-
get va avoir des conséquences prochaines
devant la Chambre même.
Il est probable qu'un incident sera pro-
voqué en séance publique, soit par voie
d'interpellation on de motion, ou partout
autre procédé parlementaire, afin d'ame-
ner la Chambre, avant le moment, encore
très éloigné, où sera discuté le budget
général de i887, à faire connaître son
sentiment sur la question de la séparation
des Eglises et de l'Etat. La commission
du budget, au cas où la Chambre se pro-
noncerait actuellement contre la sépara-
tion, discuterait alors le budget des cul-
tes, qu'elle a refusé d'pxaminer hier. La
majorité ferait momentanément abstrac-
tion de son opinion sur la question de
principe, pour ne pas entraver la discus-
sion du budget et pour permettre le dépôt
de tous les rapports.
-o-
Le ministre des travaux publics s'est
rendu hier à la commission de la Cham-
bre qwi examine les propositions relatives
aux mineurs. Il a demandé à cette com-
mission, conformément à une décision
antérieure du conseil des ministres, de
vouloir bien donner la priorité dans ses
travaux au projet sur la création de délé-
gués mineurs. M. Baïhaut a fait observer
que le projet relatif aux caisses de se-
cours et de retraite des mineurs dont la
commission était saisie soulevait des
questions nombreuses et complexes dont
l'élude était à peine commencée, tandis
que le projet sur les délégués mineurs
voté par la précédente Chambre, et adopté
avec modification par le Sénat, pouvait
être rapidement discuté et voté par la
Chambre actuelle. Le ministre a insisté
sur la nécessité pour les pouvoirs publics
de témoigner d'une manière efficace de
leur sollicitude pour la grande et si inté-
ressante catégorie des mineurs en leur
donnant un gage réel et tangible par le
vote de cette loi sur 'es déléguÓs.
La commission déférant à la demande
du ministre a décidé de donner la priorité
au projet relatif aux délégués mineurs et
d'examiner demain vendredi les modifica-
tions apportées à ce projet par le Sénat.
-0-
En attendant qu'elle puisse reprendre
l'étude du projet de Métropolitain - sus-
pendue par les négociations entamées par
le ministère des travaux publics avec la
ville de Paris — la commission parlemen-
taire des chemins de fer a décidé hier
qu'une délégation de ses membres irait le
1er juin prochain àLondre ; pour visiter le
Métropolitain qui fonctionne dans cette
capitale.
-0-
Le projet de loi complémentaire sur
l'organisation de l'enseignement primaire
voté par la précédente Chambre et adopté
avec modifications par le Sénat est soumit
actuellement, on le soit, à une commis-
sion de la Chambre.
Celte commission s'est réunie hier et a
approuvé les conclusions du rapport de
M. Steeg. Ce rapport conclut à la ratifica-
tion du projet tel que le S inat l'a vpté,
afin d'assurer lp plus promptement pos-
sible la réalisation des réformes qu'il com-
porte, notamment. en ce qui concerne la
laïcisation des écoles publiques.
———————— ———————-
« If se dérobe, il demande l'aman
comme un simple Arabe, il jette aux or-
ties sa couronne de prince, il renie sa
race, il renie son nom, il renie ses de-
voirs; en un mot, il abdique pour rede-
venir um citoyen de la R. F., et afin de
pouvoir, en qualité de républicain, ré-
clamer l'expulsion des princes qui, eux,
res ent fidèles à leur mission. C'est
odieux et c'est déshonorant. »
De qui est-il parlé en ces termes flé-
trissants? d'un Bonaparte. Et qui est-
ce qui parle? un journal bonapartiste.
Un reporter a été curieux de con-
naître l'opinion du prince Napoléon sur
l'expulsion des prétendants: Le prince
était absent, mais un de ses familiers
l'a représenté. De l'interrogatoire qui a
eu lieu, il résulte que le prince Na-
poléon est partisan de l'expulsion des
princes — d'Orléans.
Quant à lui) pourquoi l'expulserait-
on ? N'est-il pas républicain, et répu-
to~,iriil"-t- i l pas
blicain sincère? « Ne tourne-t-il pas
franchement, sans arrière-pensée, vers Í
le seul gouvernement qui représente
les grandes idées de la Révolution
française, le gouvernement élu', la
Ptépublitluc » ?
Un Bonaparte qui se dit républicain,
voilà ce qui horripile le journal bona-
partisle. Oh ! mais il compte bien que
les républicains « n'accepteront pas ce
renégat »; qu'ils comprendront que « ia
République n'aurait rien à gagner it
cette acquisition »; que « dédaignant
ses flagorneries, refusant ses avances,
ils le condamnerant à traîner après lui,
comme un bou'et, sa couronne impé-
riale ».
La, République n'a pas attendu la
conseil de 1 Autorité pour faire des
avances du prince Napoléon le cas
qu'elles méritent. Mais le journal de
M. de Cassagnac nous semble mécon-
naître la pure tradition bonapartiste.
Est-ce que les deux Bonapartes qu'il
admire, Napoléon premier et Napoléon
dernier n'ont pas commencé par se dire
républicains, parprêter à la République
autant de serments qu'on a voulu? Est-
ce que ce n'est pas au nom de la Ré-
publique et pour la sauver qu'ils ont
fait le Dix-huit Brumaire et le Deux-
Décembre? Est-ce que le meilleur
moyen d'étouffer les gens n'est pas de
les embrasser?
Le prince Napoléon, lui, connaît la
tradition; il est prêt à sauver la Répu-
blique ; qu'on l'en fasse seulement pré-
sident. et on verra !
Le malheur est qu'on a vu. Deux
fois. Et on n'éprouve pas le besoin de
revoir.
AUGUSTE VACQUERIE.
————————- —————————
Le Cri du Peuple ayant prétendu que
M. Gaulier avait été renvoyé de l'armée
pour des faits relatifs à l'honneur, le dé-
puté de la Seine a adressé à ce journal la
lettre suivante :
Monsieur, -
Vous publiez des infamies sur mon compte.
Vous mentez.
La lumière sera faite; la Chambre jugera.
A. GAULIER.
——————————
~JSU
LES LIVRETS D'OUVRIERS
Une réforme sûre d'être bien accueillie
par tous les travailleurs de France, c'est
la suppression des livrets d'ouvriers.
Cette suppression, la précédente Cham-
bre l'avait votée, à la presque unanimité.
On a pu croire que c'était chose faite.
Mais, le Sénat retravailla le projet de loi,
sous prétexte que ce n'était pas absolu-
ment l'idéal, l'équarrit, le scia, rabota,
polit à nouveau ; vingt fois sur le métier
remettez votre ouvrage.; de sorte que,
finalement, le livret, supprimé, se trouva
rétabli.
Pas tout à fait tel qu'il était autrefois,
cependant? Non, sans doute. C'est-à-dire
que d'obligatoire il devenait facultatif.
Amélioration? Non. Au contraire. Aggra-
vation. Et il 'est facile de s'en rendre
compte. Tels patrons exigeront le livret,
tels autres n'en voudront point entendre
parler. Voilà donc un nouvel antagonisme
créé. Il y a gros à parier que, quittant
une maison où le livret ne sera pas de
rigueur, n'en possédant point par consé-
quent, l'ouvrier ne trouvera pas facile-
ment à se replacer chez un pîlron qui,
resté fidèle aux vieilles habitudes, aura
conservé celte du livret. Dans ces condi-
tions, il est évident que le livret facultatif
tendra vite à redevenir obligatoire. Les
ouvriers le demanderont tous pour se
couvrir à l'avance contre les fantaisies
possibles de certains patrons ; et la ré-
forme votée par la dernière Chambre se
trouvera ainsi parfaitement annulée.
Or, cette réforme est nécessaire; elle
supprimera une inégalité choquante; elle
affranchira les ouvriers d'obligations qui
ont pour véritable résultat de faire d'eux
une catégorie à part de citoyens, ce qui
est contraire au grand principe d'égalité.
La loi qui a institué le livret d'ouvrier est
une loi de police, pas autre chose.
Présente-t-il, ce livret, quelque avan-
tage qu'on puisse invoquer en sa faveur ?
Non. A quoi sert-il? A rien. Il ne peut
constater les habitudes d'ordre et de mo-
ralité de son porteur, puisqu'il est inter-
dit d'y inscrire aucune mention de ce
genre. Il n'a donc nullement, quoique
bien des personnes s'imaginent le con-
traire, l'utilité du certificat délivré aux
domestiques; par suite, il est, dans la
plupart des cas, d'un faible secours pour
retrouver du travail. On croit aussi, géné-
ralement, que l'ouvrier est accueUi avec
sympathie et estime lorsque son livret
témoigne des longues années qu'il a pas-
sées dans la même maison ; c'est encore
une erreur. En réalité, le patron pense
alors, tout de suite, qu'il a fallu une
cause grave pour motiver le départ ; il
entre en défiance immédiatement.
Ces arguments feront, à coup sûr, im-
pression sur les députés; ils penseront
que leurs prédécesseurs avaient bien voté;
ils refuseront de s'incliner devant la vo-
lonté sénatoriale; ils prononceront, à nou-
veau, !a suppression pure et simple du
livret d'ouvrier.
Ils feront ainsi, comme leur a dit avant-
hier M. Lyonnais, député de la Seine-
Inférieure, œuvre de paix sociale. Le
terme n'est pas exagéré. A petites causes
grands effets. L'impression morale pro-
duite par la suppression du livret sera
considérable. Une des expressions dont
s'e.t servi M. Lyonnais a soulevé quelques
murmures dans la Chambre : il disait que
la majorité des ouvriers assimilait la for-
malité du livret à une véritable « mise en
carte » ; on s'est récrié, et on a eu tort.
L'expression, pour être brutale, n'en ré-
pond pas moins à un sentiment très net et
très défini ; les ouvriers s'en servent com-
munément et on la retrouve à l'article
premier du programme du parti ouvrier.
La suppression du livret causerait un
véritable soulagement. Il semblerait réel-
lement que tombe une des barrières éle-
vées entre les ouvriers et les patrons par
des législateurs soucieux avant tout de
conserver leurs privilèges, dussent être
sacrifiées l'équité et la justice. Une loi
d'exception comme celle qui a créé le
livret n'est pas compatible avec le suffrage
universel; elle fait l'effet d'un anachro-
nisme, elle doit être rayée de nos codes.
La discussion sur ce sujet, interrompue
à la fin de la dernière séance, sera reprise
aujourd'hui; mais, nous le répétons, nous
ne voulons pas supposer un instant que la
Chambre refuse de faire droit aux légi-
times revendications dont M. Lyonnaia
s'est fait l'interprète. S'il en était autre-
ment, nous ne comprendrions plus. N'est.
on pas d'accord sur ce point que les iné-
galités sociales doivent cesser d'exister?
La Chambre a là une belle occasion de
conquérir un peu de la popularité qui lui
manque ; elle ne la laissera pas échapper.
Qu'on ne nous accuse pas de nous faire
illusion à nous-même sur l'importance dd
la réforme dont il s'agit. Nous savons par-
faitement — nous l'avons dit déjà — que
cette importance est surtout morale; et
c'est précisément pourquoi nous y insis-
tons. Délivrés du livret qui leur est charge,
qui les ennuie, qui les humilie, les ou-
vriers croiront avoir grandi en dignité.
Ils en seront reconnaissants à la Hépu.
blique.
LUCIEN VICT0R-MBU3IER.
11 1 ■■■■■■■■-■ I — I ——III ■ Il
LES PROJETS DE LA VILLE
L'expiration des pouvoirs de Tancienne
Chambre est arrivée avant que le projet
de loi ayant pour but l'utilisation agricole
deséaux d'égout de Paris et l'assainisse-
ment de la Seine pût venir à l'ordre du
jour; mais l'idée est loin d'être aban-
donnée, et, s'inspirant du remarquable
rapport de M. Bourneville, MM. Baïhaut,
Develle et Sadi-Carnot ont fait revivre
l'ancien projet, déposé par leurs prédé-
Feuilleton du RAPPEL
DU 28 MAI
57
LA MAITRESSE
DU GÉNÉRAL
CHAPITRE XVI
-Suite-
Dans l'après-midi du même jour, Lucien,
avec son père et Galimard, faisait son en-
trée à Passy, par la petite porte que nous
connaissons.
Il avait vraiment, en dépit des petits
airs fanfarons qu'il se croyait obligé de
prendre, l'attitude d'un néophyte.
Cet être frivole n'avait jamais été mêlé
à un mystère sérieux. Il était flatté
reproduction interdite.
Voir le Rappel du 27 mars au 27 mai.
crédit que l'on faisait à sa parole d'hon-
neur; il la mettait souvent en avant dans
ses hâbleries de viveur; mais il compre-
nait que, cette fors, elle était engagée
pour un pacte qui le grandissait. Il était
curieux de voir de près, de posséder, lui,
troisième, un phénomène ignoré de tout
Paris. Porter un gros secret, même avec
l'injonction de ne pas le révéler, quand
on a des témoins solennels de sa discré-
tion, c'est presque aussi doux que de le
raconter. Son imagination, d'ordinaire
paresseuse, se mettait en travail. Il rêvait
au charme transformé de cette belle co-
quette, et, puisqu'on avait fait allusion
aux contes de fées, il se cambrait en
prince charmant, allant saluer Peau-
d'Ane.
Il interrogea beaucoup, pour savoir si
Mile de Guimaraës serait bien étonnée de
sa visite.
— Elle sera contente, dit Galimard,
car vous serez un ami de plus à estimer.
— Oui, elle me méprisait bien, n'est-ce
pas ? Vous le sentiez.
— Oh ! pas plus que beaucoup de gens
du salon maternel.
Ce fut donc avec l'espoir de gagner
quelque chose, de MO" en grade dans
.I t er en grade dans
l'esprit d'Angèl, que Lucien entra dans
le petit jardin. entra dans
Tout servait, ce jour-là, le complot
sentimental : une belle journée de ce beau
mois de juin, qui est le mois des sé-
rieuses promesses ; une verdure éclatante
dans le parterre qui avait aussi des fleurs;
des roses, dans la double bordure de la
grande allée; de la gaieté émue dans l'at-
mosphère.
An gèle n'avait pas été prévenue ; mais
elle attendait. Elle était, pendant une ré-
création, dans le potager, et, tout en cher-
chant sur un rosier à haute tige la rose
la moins ouverte qu'elle pût cueillir, elle
causait avec son ami Gontran, son page ;
celui-ci, appuyé sur un râteau, comme la
statue en faïence du Gahnt Jardinier, ré-
pondait, tête nue, aux questions qu'elle
lui adressait, les unes après les autres,
pour avoir un prétexte sans doute de
rester là.
En entendant la petite porte s'ouvrir, en
voyant entrer les visiteurs espérés, elle
eut un soupir que Gontran entendit et
elle alla vivement au-devant de ses
amis.
Le jeune jardinier, après un coup d'œil
résigné jeté à ceux qu'il connaissait et un
regard jaloux au jaune inconnu qu'on
amenait, se remit lentement à ratisser les
allées.
Il y eut d'abord entre Angèle et Lucien
un échange de sourires silencieux.
Il la trouvait étonnamment jolie, tout
en restant belle, dans son costume simple,
avec les cheveux moins crespelés et plus
onduleux.
—Vous me pardonnez, dit-il enfin, avec
une gentillesse soumise, d'être un nro-
fane dans ce sanctuaire?
— Je vous remercie, lui répondit An-
gèle; mais il n'y a pas de sanctuaire, et
vous n'êtes pas un profane. C'est ici ma
maiion des champs; je vous y ferai man-
ger de mes cerises. Cela compensera les
gâteaux que vous m'avez fait l'honneur
d'accepter.
Galimard intervint.
— M. Lucien nous a donné sa parole
d'honneur qu'il ne vous trahira pas.
— Je l'espère bien et je n'ai pas
peur 1
Angèle remercia Beaugran d'un cligne-
ment d'yeux qui semblait une palpitation
de son cœur, puis, reprenant son ton de
bonne humeur :
— Je vais vous faire les honneurs de
mon domaine, monsieur Lucien. Ceci est la
classe des légumes ; je n'y enseigne pas
encore ; j'y prends des leçons de bota-
nique, et voilà là-bas mon maître, mon
ami Gontran. Vous serez son ami, mon-
sieur Lucien, je le veux. Je vais vous pré-
senter l'un à l'autre.
Elle appela Gontran et la présentation
se fit.
Lucien n'osait pas être jaloux ; mais il
se dit qu'on pouvait l'être de ce page si
docile, si re-pectueux avec une si jolie fi-
gure. Quant à Gontran, qui de près avait
renouvelé son salut à M. Galimard et
à Beaugran, en y mêlant un sourire, il sa-
lua Lucien sans sourire.
An cèle conduisit les visiteurs à son sa-
Ion d'été. On y avait mis des fleurs cou-
pées dans un vase, sur la table ronde.
Avait-elle eu peur de paraître pédante
à celui qu'elle voulait séduire, si rien
chez la sous-maîtresse ne faisait sou-
venir de Mlle de Guimaraës? Angèle
s, fit remplacer pour la classe qui allait
recommencer. Elle avait prévu ce rem-
placement.
— Je ne vous verrai donc pas donner
vos leçons? demanda Lucien.
— Une autre fois; venez quand la classe
sera commencée. Vous ne me dérangerez
pas et vous m'attendrez.
Une autre fois ! Lucien fut ravi de cette
invitation qui lui arrivait si vite, et sans
arrière-pensée. Oui, certes, il reviendrait.
Ce qu'il voyait était si charmant, ce qu'il
ressentait était si bon 1
Plus tard, dans h conversation, il fut
convenu que quand il n'aurait rien de
mieux à faire, en prenant quelques pré-
cautions, il pourrait venir aux heures
qu'on lui indiqua, même seut, même à
cheval, s'il se promenait au bois de Bou-
logne ; on attacherait le cheval dans un
coin du jardin. On envoya chercher Mme
Berthelin et celle-ci renouvela l'invita-
tion.
Lucien ne pouvait pas revenir tous les
jours, mais il pouvait revenir souvent. Le
roman s'engageait à merveille. Beaugran
parlait peu, craignait de trahir son émo-
tion. J) éprouvait une joie profonde, aui
n'éteignait pas pourtant le feu d'une cer-
taine angoisse. Galimard se permit quel-
ques réflexions, en apparence un peu gau-
ches, mais d'une gaucherie calculée, pour
objecter qne le monde ferait bien des
cancans, s'il apprenait ces rendez-vous
classiques. Angèle déclara qu'elle n'avait
peur de rien, et Lucien prit un air de défi
tout à fait encourageant.
Comme on se retirait et comme Mlle de
Guimarafis précédait, avec Lucien, les
deux amis, dans l'allée principale du jar-
din, en les conduisant vers la petite porte,
Mme Berthelin marchant entre Galimard
et Beaugran murmura :
— On dirait qu'il y a dans l'air lin par-
fum et un bruit d'accordailles.
On marchait lentement, pour n3 pas
rejoindre trop tôt les deux jeunes gens.
Quand on les eut rejoints, Lucien avait
une petite fleur à sa boutonnière ; Angèle
tenait la même à la main, avec la rose
qu'elle avait cueillie. Cela ne prouvait
rien à coup sûr ; mais cela n'était pas do
nature non plus à décourager ces intri-
gants innocents.
LOUIS ULBAGH.
(A suioreù
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