Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-05-26
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 26 mai 1886 26 mai 1886
Description : 1886/05/26 (N5920). 1886/05/26 (N5920).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75392191
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2012
N-5920 - Mercredi M StaîiSM le numéro : lOc. «-I>êparfëmeiifs s 15» c. 7 Prairial an 94 5920 -
ADMINISTEATIOK
18, HUE DE VALOIS, 1S
d
ABONNEMENTS
PARIS
Tzoïs mois .10 n
Sixmois. 20 »
DEPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
Sixm
Adresser lettres et mandats j
A M. ERNEST LEFÈVRE
JLDMINISTRATEUIV GÉRÀJTE
REDACTION
S'adresser au Secrétaire ae la Réaaction.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
les manuscrits noninséres ne seront pas rendus
ANNONCES
ta. Ch. IAGRANGE, CERF et ce
6; place de la Bourse, 6
LA RENTREE DU PARLEIIENT
C'est aujourd'hui que le Parlement
rentre en session. Pas pour longtemps,
puisqu'août le dispersera pour le re-
nouvellement des conseils généraux.
C'est donc quelque chose comme deux
mois que les Chambres ont pour tra-
vailler. Il y a des lois nécessaires qui
attendent et qui frappent à la porte.
Les Chambres vont sans doute s'y met-
tre sans perdre une minute.
Par exemple ! et les interpellations ?
Qu'est-ce que c'est que le recrute-
ment militaire, l'arbitrage entre ou-
vriers et patrons, le chemin de fer mé-
tropolitain, etc., devant l'interpellation
de M. le marquis de L'Angle-Beauma-
noir sur « la direction donnée au ser-
vice de la gendarmerie » ? Quoi! le
service de la gendarmerie a été « di-
rigé » dans le sens de la loi ! C'était la
loi que les gendarmes représentaient
en venant fermer la chapelle de l'usine
Giraud ; cela a été reconnu par un avo-
cat clérical, Me Robert de Cléry : « L'au-
torité était absolument dans son droit
en fermant la chapelle. Au point
"'ce vue du droit, il n'y a rien à dire'. »
Et -- quand les gendarmes viennent
faire respecter la loi, il ne serait
14s permis de les recevoir à coups
de revolver! Et il serait permis aux
gendarmes ainsi reçus de se défendre
et de riposter! M. le marquis de
L'Angle-Beaumanoir est indigné. Un
détail amusant, c'est que le journal
dans le sein duquel il verse son indi-
gnation, en attendant qu'il la reverse
dans le sein du Sénat, est le Figaro,
lequel, au moment de l'affaire, a écrit
., cette phrase : « Les gendarmes avaient
incontestablement le droit de tirer sur
M. Fischer. »
Une interpellation plus sérieuse sera
celle de MM. Michelin et Planfeau sur
la grève de Decazeville. L'acceptation
de l'arbitrage par les mineurs et son
rejet par la compagnie autorisent plei-
nement la Chambre à demander au
gouvernement quelle attitude il compte
prendre. Il est impossible que cette at-
titude soit éternellement celle des bras
croisés. Il ne peut pas dépendre de con-
cessionnaires d'une partie du sous-sol
national, qui passent pour n'être pas
éperdument dévoués au régime actuel
et pour ne pas redouter extrêmement
les conflits qui pourraient nuire à la
République, de créer ou de perpétuer
une situation qui commence par la mi-
sère et qui finirait par la colère.
M. Delafosse interpellera sur la ques-
tion grecque. Le ministre des affaires
étran gères de France aura moins de peine
à justifier sa conduite que les mip^g^S
jitjg affaires étrangères Lemagne,
d'Angleterre, d'^atrfcjœ et d'Italie n'en
auraient, 4 justifier la leur. Le traité de
Berlin avait contracté une dette envers
la Grèce ; la Grèce en a réclamé le
payement. Halte-là ! se sont écriées les
quatre puissances. Et, elles qui, la
veille, quand le prince Alexandre, à qui
rien n'était dû, s'était emparé de
la Roumélie/avaient dit: Garde-lal elles
ont menacé la Grèce de la bombarder
si elle touchait à ce qui lui appartient.
La Grèce, sur nos conseils, a cédé. Sur
quoi, les quatre puissances l'ont mena-
cée plus insolemment, lui ont mis un
ultimatum sur la gorge et un blocus
sur les côtes. Comme c'est beau, ces
grandes puissances se ruant à quatre
sur un petit peuple ! Ce n'est pas à Paris
qu'il faudrait interpeller,c'est à Berlin,
à Vienne, à Londres et à Rome.
Et puis, avant qu'on reprenne le
travail sérieux, il va y avoir cette
question des princes qui périodique-
ment ressort de la boîte à surprises.
La dernière fois, elle en ressortait sous
la pression d'un mot de M. Lanjuinais :
— « Quand nous serons débarrassés
de la République. » Cette fois, c'est
sous la pression d'une phrase de M. de
Grandlieu : « La royauté a désormais
son personnel. » Là-dessus, cris nom-
breux : — La patrie est en danger ! Je
n'aurais jamais cru un mot de M. Lan-
juinais et une phrase de M. de Grand-
lieu si formidables.
La première fois, l'expulsion n'a pas
été votée. Que s'est-il passé depuis?
Le comte de Paris a marié sa fille aînée.
A cette occasion, il a donné une soirée,
à laquelle il a invité le corps diploma-
tique, qui n'y est pas allé. Il m'est im-
possible de voir là un de ces événements
qui bouleversent les contrées. Deux ou
trois centaines de gens ont profité de
l'occasion d'être vus chez un prince. Il
a plu à M. de Grandlieu de voir dans
ces gens des ministres futurs, des pairs
de France possibles, des préfets en
herbe, et des maîtresses de l'avenir.
Je dois à la vérité de déclarer que je
n'ai pas été épouvanté.
Personne ne m'intéresse moins qu'un
prince, surtout qu'un prince qui se
pose ou qu'on pose en prétendant. On
expulserait les Orléans, que je me sou-
viendrais qu'ils ont expulsé les Bour-
bons. On expulserait les Bonaparte-,
que je me souviendrais qu'ils ont ex-
pulsé les Bourbons, les Orléans et les
républicains. Ce n'est pas dans l'intérêt
des princes que j'ai toujours combattu
les propositions d'expulsion, c'est dans
l'intérêt de la République, qui perdrait
en un jour le bénéfice de quinze ans de
tolérance dédaigneuse et qui ne pour-
rait plus se dire plus forte que l'empire
et que la royauté.
Je sens toujours la République aussi
forte et je ne crois pas les princes plus
dangereux pour elle à Paris qu'ils ne le
seraient à Bruxelles. J'espère que l'ex-
pulsion ne sera pas plus votée aujour-
d'hui qu'il y a trois mois. Mais si cette
faute devait être commise, au moins
qu'elle le soit, vite, qu'on en finisse une
rois pour toutes, afin qu'on se mette à
la vraie question, qui n'est pas la
question des princes, qui est la qi^s-
tion des travailleurs.
AtJGUSÏË VACQCER1E.
COULISSES DES CHAMBRES
En raison de la reprise de la session qui
a lieu aujourd'hui, un certain nombre de
députés s'étaient rendus à la Chambre
dans l'après-midi d'hier. L'objet presque
unique des conversations était la question
de l'expulsion des princes. On se deman-
dait si le gouvernement prendrait l'initia-
tive d'une mesure quelconque, et dans
quelles conditions il le ferait. Le doute,
en effet, régnait encore sur ces divers
points, car le ministère n'a pas arrêté ses
résolutions définitives. Il a longuement
délibéré hier matin dans un conseil de
cabinet tenu en dehors des convocations
ordinaires; mais ce n'est qu'au conseil
des ministres qui sera tenu ce matin à
l'Elysée que des décisions fermes pour-
ront être arrêtées.
Toutefois, dès maintenant on peut con-
sidérer comme certain que le gouverne-
ment est résolu à faire quelque chose.
C'est sur la nature de l'acte à accomplir
que l'on n'est pas encore fixé. Le conseil,
comme nous l'avons déjà fait prévoir, ne
veut pas agir par décret, l'exercice direct
des droits de haute police n'étant garanti
par aucune sanction pénale contre les in-
fractions aux mesures d'expulsion. C'est
donc par voie de projet de loi que le gou-
vernement entend agir. Mais il n'a pas en-
core décidé quel serait le caractère de ce
projet de loi.
Deux solutions sont en présence :
Ou prononcer l'expulsion immédiate par
un article de loi énumérant limitativement
les personnes auxquelles cette mesure
s'appliquerait. Dans ce cas, on -limiterait
l'expulsion aux descendants directs des fa-
milles ayant régné sur la France, de ma-
nière à ne frapper que les prétendants ef-
fectifs.
Ou rappeler et consacrer par un texte
les droits de haute police que possède le
gouvernement en y ajoutant une sanction
pénale pour les cas d'infraction. Dans ce
cas, le choix du moment où serait pro-
noncée l'expulsion et des personnes aux-
quelles s'appliquerait la mesure, serait
laissé au gouvernement sous sa responsa-
bilité.
C'est entre ces deux systèmes que le
conseil des ministres doit opter, et c'est
ce qu'il n'a pas fait, paraît-il, jusqu'ici.
En tout cas, quoi qu'il arrive, la se-
maine ne se passera pas sans que la Cham-
bra soit saisie de la question d'une ma-
nière ou de l'autre. Les députés désireux
de voir résoudre cette question de l'ex-
pulsion semblent d'accord pour laisser au
gouvernement le soin de prendre l'initia-
tive qu'en cette matière il a toujours re-
vendiquée exclusivement. Ce n'est qu'au
cas où le gouvernement n'exercerait pas
cette initiative que les députés en ques-
tion déposeraient une proposition d'ex-
pulsion.
-0-
L'ordre du jour de la séance d'aujour-
d'hui à la Chambre va être quelque peu
modifié. M. Delattre s'est mis d'accord
avec le garde des sceaux pour renvoyer
au 10 juin la discussion de son interpel-
lation sur le fonctionnement de la justice
dans le département de la Seine, qui de-
vait venir aujourd'hui.
La Chambre va donc se trouver d'abord
en présence d'un certain nombre de pro-
positions émanées de l'initiative parle-
mentaire, qu'il n'y a pas lieu d'examiner
au fond, mais simplement de soumettre
à la formalité de la prise en considéra-
tion.
Une seule de ces propositions a un ca-
ractère politique marqué, c'est celle de
M. Sigismond Lacroix, relative à l'or-
ganisation municipale de Paris, c'est la
proposition dite d'autonomie communale,
suivant l'expression consacrée.
Le gouvernement a décidé de ne pas
s'opposer à la prise en considération de
cette proposition ; mais le ministre de
l'intérieur fera à la tribune des réserves
formules sur le fond de cette proposition.
il déclarera que si le gouvernement ac-
cepte la prise en considération, c'est pour
permettre la nomination d'une commis-
sion chargée d'examiner au fond la ques-
tion de la réorganisation municipale de
tion de la réorgani,,
Paris, à laquer le ministre de l'intérieur
soumettra un projet de loi, dont il achève
en ce moment même l'élaboration.
En dehors des propositions soumises à
la" prise en considération, la Chambre
aura aujourd'hui à discuter en première
lecture la proposition relative à l'abroga-
gation des livrets d'ouvriers, votée par la
précédente Chambre et modifiée par le
Sénat.
Enfin, à l'a suite de l'ordre du jour,
vient immédiatement la discussion des
pétitions demandantque les pouvoirs pu-
blics autorisent l'émission d'obligations à
lots pour l'exécution du canal de Panama.
Le rapporteur de la commission, M.
Richard (de la Drôme), conclut au renvoi
des pétitions aux ministres compétents.
Le gouvernement, vu l'état de la question,
n'acceptera pas de débat sur ces péti-
tions.
Aujourd'hui, la Chambre sera saisie par
le gouvernement d'un certain nombre de
projets de loi très importants.
Le ministre de la guerre déposera le
grand projet d'organisation militaire dont
nous avons fait connaître, il y a quelques
jours, l'économie générale.
Le ministre des travaux publics dépo-
sera un projet de loi très considérable,
portant revision totale de la législation
sur les mines. Ce projet abroge toutes les
lois sur la matière, depuis celle de 1810,
et les remplace par une loi unique dont
toutesjes dispositions sont coordonnées.
Le' ministre des postes et télégraphes
déposera le projet de loi dont nous avons
annoncé l'élaboration et qui a pour objet
d'approuver une convention passée entre
l'Etat et les compagnies de chemins de
fer pour assurer l'application des réformes
au régime des colis postaux réalisées par-
la convention postale internationale de
Lisbonne.
Enfin le ministre du commerce et de
l'industrie déposera son projet de loi sur
l'arbitrage pour le règlement des conflits
entre patrons et ouvriers.
Aujourd'hui sera distribué aux députés
le rapport de M. Sans-Leroy, au nom de
la commission chargée d'examiner les
propositions relatives au régime des su-
cres.
Le gouvernement et la commission
vont demander à la Chambre de mettre
les conclusions du rapport à l'ordre du
jour des plus prochaines séances. Il y a,
en effet, urgence à ce qu'une solution in-
tervienne à bref délai.
L'objet des propositions soumises à la
Chambre est notamment de proroger la
surtaxe de sept francs appliquée, par la
loi du 29 juillet 1884, aux sucres étran-
gers européens importés en France. Or,
cette surtaxe prend fin le 31 août prochain.
Le gouvernement et la commission .sont
d'accord pour proroger cette surtaxe pour
une nouvelle période de deux années
devant prendre fin le 31 août 1888. Pour
qu'il n'y ait pas de solution de continuité
dans l'application de la surtaxe, il importe
que la loi nouvelle soit votée par les deux
Chambres avant les vacances d'été. Or, il
y a à peine le temps nécessaire pour arri-
ver à ce résultat. Le rapport de M. Sans-
Leroy soulève, en effet, de nombreuses et
graves questions qui donneront lieu à de
vives controverses devant la Chambre car,
sur plusieurs points, le gouvernement est
CD désaccord avec la commission. Ensuite
il faudra porter le projet au Sénat et obte-
nir de lui un vote conforme à celui de la
Chambre avant le 31 juillet prochain.
-0-
La commission du budget a continué
hier l'examen du budget de l'instruction
publique. Une seule décision est à enre-
gistrer. On sait que le miuistre propose
dans son projet de supprimer pour 1887
la gratuité des inscriptions dans les facul-
tés, votée en 1-879. Le produit de ces in-
scriptions est évaluée à 700,000 fr., dont
une partie est employée, jusqu'à concur-
rence de 400,000 fr., à faire face à l'auge
mentation de certains services.
La commission a décidé, contrairement
à l'avis ctu ministre, de obtenir la gra-
tuité des incriptions par contre, elle a
repoussé les ^"aggaentations de crédits
auxquelles fe produit des inscriptions de-
vait - - - isqu'à concurrence de
vait pourvoir jusqu'à concurrence de
400,000 francs. Elle avait encore à pour-
voir à l'insuffisance de 300,000 francs que
ce maintien de la gratuité produit dans le
budget. Elle a décidé d'opérer pour cela
des réductions sur les dépenses de di-
verses parties du budget de l'instruction
publique.
<&*
Nous sommes heureux d'annoncer à nos
lecteurs que l'état de M. Georges Hugo
s'est sensiblement amélioré dans la jour-
née.
Les médecins sont assurés qu'il n'y a
aucune inquiétude à concevoir.
VACANCES FINIES
Les Chambres, en congé depuis un bon
mois, reprennent leurs séances. Session
ordinaire ; on n'a pas à procéder à de
nouvelles élections; impossible, quelque
bonne volonté qu'on y mette, de décou-
vrir le plus léger prétexte à une perte de
temps.
— « Mais, quoi? que voulez-vous faire
d'ici au 14 juillet, époque à laquelle on
se sépare de nouveau? En six semaines,
aura-t-on le loisir de mener à bien, ou
même seulement d'aborder aucune déli-
bération sérieuse? A vrai dire, ce n'est
même pas la peine presque de siéger. »
Tel est le langage qu'on entend.
Il est certain déjà que la discussion du
budget ne pourra être commencée cet
été, et, quant au projet de loi de réorga-
nisation militaire, il est bien vrai que le
ministre de la guerre va en effectuer le
dépôt, mais comptez ce qu'il faudra pour
la confection du rapport, les travaux de
la commission; allons 1 à septembre ou
octobre.
En revanche, nous aurons une reprise
de l'opéra intitulé : l'expulsion des prin-
ces, puis quelques interpellations. On
connaît notre sentiment sur les interpel-
lations en général. Excellentes choses
dont il ne faut pas abuser. Ce que nous
reprochons surtout à ces sortes de débats,
c'est d'être le plus souvent dépourvus de
toute sanction, et par conséquent stériles.
Ainsi, on a déjà fourni deux fois à la
Chambre l'occasion de dire sa pensée sur
la grève de Decazeville : qu'est-ce que
cela a produit? La troisième fois aura-
t-elle plus d'effet?
Au Sénat, on nous promet la revision
de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés,—
ce qui est très bon,—et la proposition Bozé-
rian, —ce qui est très mauvais. On sait
que cette proposition, contre laquelle le
gouvernement s'est déjà prononcé d'ail-
leurs, ne tend à rien moins qu'à rogner
les libertés accordées à la presse par la
loi de 1881. Toute tentative de ce genre
trouvera toujours en nous des adversaires
résolus. Restreindre la liberté de la
presse! Pourquoi faire? A quoi cela ré-
pond-il ? Est-ce que la République souffre
des injures à elle périodiquement adres-
sées par les journaux de la réaction ? Est-
ce qu'elle s'en aperçoit seulement? Et
l'on voudrait qu'après avoir dédaigné pen-
dant tant d'années les attaques les plus
violentes, la République entrât, comme
les gouvernements qui l'ont précédée, —
et à qui cela a si bien réussi, soit dit en
passant, — dans la voie de la répression !
Allons donc! Il n'est pas sûr le moins du
monde que le Sénat vote la proposition
Bozérian, et il est certain que la Chambre
la repoussera, Donc, débats* stériles et
temps perdu.
On peut dire à la Chambre, sans la
diminuer, que jusqu'à présent elle n'a
pas fait grand'chose.. Sans doute elle est
dans une situation très particulière. Grâce
au soin qu'ont pris les candidats « con-
servateurs » de cacher au fond de leurs
poches leur drapeau, les dernières élec-
tions ont amené au palais Bourbon une
minorité réactionnaire relativement con-
sidérable. Il en résulte que la majorité
républicaine ne peut rien entreprendre,
rien tenter rtoc «sporfr de stteces, & tnoins
d'être étroitement unie. Etre unis, par-
bleu ! personne ne demande mieux ; mais,
en dépit des bonnes intentions, la chose
n'est pas extrêmement facile. Il y a déjà
eu bien des chocs, bien des froissements,
on a tiraillé les uns sur les autres. Si à
ce jeu on ne courait risque que d'user
ministère après ministère, nous nous en
consolerions aisément; mais ce qui est
plus grave, c'est qu'en s'escrimant de la
sorte, au bout du compte, on ne fait rien
du tout.
C'est ce qu'il ne faut pas. Si l'on ne
peut pas faire les grandes réformes, qu'on
fasse les petites, mais qu'on fasse quel-
que chose.
Le pays est impatient et veut qu'on se
mette à l'œuvre.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
4>
POLITIQUE SCIENTIFIQUE
Nous vivons à une époque expérimen-
tale où la méthode d'observation étend
son domaine chaque jour davantage. Les
merveilleux succès obtenus par les sciences
physiques et naturelles ont mis en hon-
neur les procédés dont elles se servent.
On s'est demandé si, transportée sur un
autre terrain, l'observation ne donnerait
pas des résultats équivalents. Après l'a-
voir limitée d'abord aux choses de la na-
ture, on l'a étendue aux choses de l'es-
prit; on a introduit l'analyse, le calcul
dans l'étude des opérations psychiques.
La psychologie moderne est devenue une
sorte d'annexe de la physiologie, de la bio- -
logie, de l'embryologie, etc. Cette évo-
lution qui s'est produite dans la sphère
de toutes les sciences morales, droit,
histoire, linguistique, esthétique, de-
vait atteindre un jour ou l'autre la poli-
tique. Et de fait l'étude des sociétés
humaines tend de plus en plus à quitter
le monde des abstractions et des concep-
tions apriori où elle se complaisait, pour
prendre pied sur le terrain des réalités
expérimentales. Il y a un abîme, par
exemple, entre la conception de la poli-
tique que révèle une œuvre comme le
Contrat soèzal de Jean-Jacques Rousseau
et celle qui a présidé à l'élaboration des
Principes de sociologie d'Herbert Spencer.
Tout n'est peut-être pas à louer dans cette
métamorphoise ; en tout cas nous assistons
à une transformation fatale et contre
laquelle tous les regrets du monde ne
pourront rien. A
M. J. Nowickov, qui vient de faire pa-
raître chez Félix Alcan un livre intitulé la
Politique internationale est un disciple
convaincu et ardent de la nouvelle école.
Comme le fait ingénieusement remar-
quer M. Eugène Véron, dans la préface
qui accompagne l'ouvrage, M. Nowikow
n'a peut-être lu ni la RépuhlzluedePlaton,
ni la Politique d'Aristote, ni le Traité théo-
logico-polihgue de Spinosa, mais il a pâli
sur Darwin et les découvertes de Lamarck
et de Geoffroy Saint-Hilaire n'ont pas de
secrets pour lui.
Il y a quelques mois déjà, M. Léon
Donnât nous donnait dans sa Politique
expérimentale un exemple de l'application
de la méthode scientifique aux problèmes
sociaux. Mais M. Donnat s'était borné vo-
lontairement à la question des réformes
intérieures. M. Nowikow étudie, lui, les
relations de peuple à peuple. Le sujet de v
son livre, ce sont les nationalités. Qu'est-
ce qu'une nationalité? Qu'est-ce qui la
constitue? Quelles différcnccc sdP 'are-fl la
nationalité de l'Etat? De ces deux élé-
ments, quel est celui qui doit l'emporter
sur l'autre? Tels sont les différents prq?>
blêmes qu'il examine açec une ri^aeut
d'analyse qui fait justice de tous. les pré-
Feuilleton du RAPFEI*
DU 26 MAI
LA MAITRESSE
DU GÉNÉRAL
CHAPITRE XYI
Beaugran n'oubliait pas son vieil enfant,
en s'occupant du jeune. Le général avait
paru rassuré par le retour de son fils. Vo-
lontiers, il eût fait croire à l'inquiétude
des vieillards redoutant de partir avant le
retour d'un voyageur bien-aimé; mais il
n'osait pas s'aventurer dans des raisons
si sentimentales avec Léopold,dont la gra-
He pro rJuction interdite.
Voir le Rappel du 27 mars au 24 mai.
vité l'intimidait. Il n'avoua rien de per-
sonnel pour expliquer sa tristesse; tout
au plus, avouait-il ses rhumatismes ; mais
il prenait le ton de tout le monde et attri-
buait à son attachement pour l'empereur
malade, plus malade qu'on ne voulait le
dire, la cause de sa mélancolie.
Beaugran sans se laisser tout à fait ras-
surer sous ce rapport, et sans abandonner
son devoir filial, pour lui devoir pa-
ternel, ne poussa pas plus loin l'enquête,
momentanément. S'il arrivait à faire ai-
mer Angèle par Lucien, s'il réalisait le
mariage que son père avait si ardemment
souhaité, il tirerait parti de ce résultat,
pour agir efficacement sur le général.
D'après les confidences d'Angèle et de
Mme Berthelin, la comtesse préparait un
voyage, peut-être une rupture. Celle-ci
deviendrait plus facile après le mariage,
et le général serait si enchanté de sa bru,
que sa galanterie se satisferait sans doute
de la conduire, de l'avoir à son bras dans
les bals de la cour, et qu'il se passerait
plus aisément de '.a comtesse.
Quant à Cabezon, par un sophisme qui
comblait une lacune dans le plan irrépro-
chable de Beaugran, celui-ci se disait
qu'une fois l'œuvre difficile accomplie, il
u'aurait plus rien à redouter. Les mé-
chants qui ont le sens pratique ne font
rien d'inutile. Lucien marié, le général
assagi, Cabezon n'aunait plus qu'à se faire
rembourser ses avances.
Galimard racontait que le financier
tournait à l'opposition, jouait à la baisse,
ne se préoccupait plus que de la santé d e
l'empereur, et s'il voyait l'empire malade,
il prévoyait, à coup sûr, que sa force s'en
irait avec la confiance publique.
Il n'y a rien de plus fatal dans la vie que
l'heure où l'on croit avoir mis d'accord
ses rêves les meilleurs avec la logique
usuelle.
Les utopies viennent moins des illusions
de l'esprit que de l'ivresse d'un calcul
mathématique. Quand on veut appliquer
la règle de : deux et deux font quatre,
aux questions de sentiment, on perd le
souffle qui les tenait en suspens au-dessus
des erreurs humaines, et si la base sur
laquelle on veut s'installer vient à crouler,
on tombe sans pouvoir s'envoler.
Beaugran n'était pas arrivé encore à
cette certitude. J'ai dit qu'il s'y prêtait,
plus qu'il ne s'y donnait, mais elle le ten-
tait assez pour lui ôter bien des méfiances
et ce patriote mécontent, quand l'empire
chancelait, en pouvant meurtrir le géné-
ral de Proverville dans sa chute ; quand
la grande aventure compromise donnait
des alarmes aux aventuriers, cet homme
sérieux ne songeait pas aux risques à cou-
rir et s'abandonnait aux charme" d'une
idylle, croyant avoir le temps de mener
le poème à son dénouement.
Il fallait une certaine préparation pour
mettre Lucien dans le fameux secret de
Passy.
Comment le lui livrer, avec la garantie
qu'il n'en abuserait pas ?
Pendant le voyage d'Italie, sans que le
père et le fils fussent devenus plus unis
par les idées, une familiarité assez sem-
blable à la camaraderie s'était établie
entre eux. Bien des fois Léopold avait été
amené à faire des confidences sur sa jeu-
nesse, sur ce qu'il appelait ses folies de
vingt ans, qui n'étaient que des escapades
de poésie; afin de gagner davantage ainsi
la confiance de son enfant.
Lucien trouvait, de son côté, un pré-
texte de se dérober aux insinuations sé-
rieuses de son père, en flattant celui-ci
dans ses souvenirs. Comme il était inca-
pable de méchanceté, il paraissait bon,
en plaignant Léopold des mécomptes que
celui-ci racontait, et en l'interrogeant
avec un peu de curiosité pour se com-
parer ensuite fièrement, avec sa prétendue
expérience de gandin, à ces naïvetés ro-
mantiques de 1840.
Naturellement, il avait été beaucoup
question d'Angèle pendant le voyage;
plus d'une fois même Beaugran avait
voulu éveiller un intérêt tendre dans le
cœur de Lucien, en hasardant cette propo-
sition que Mlle de Guimaraës avait une
conscience mystérieuse, attrayante comme
un roman à pénétrer.
— Elle est comme toutes les jeunes
filles de ce temps-ci, avait répondu inva-
riablement le blasé précoce, elle aime la
toilette, le bruit, le bal, et elle n'aimera
jamais personne.
Cette obstination réelle ou feinte à pren-
dre Angèle pour une riche poupée, n'était
pas, après tout, une mauvaise préparation
au coup de théâtre projeté; mais c'était
l'occasion de lever le rideau que Beaugran
cherchait.
Elle se présenta tout naturellement le
surlendemain.
Lucien qui semblait avoir rendu au
moins en grande partie, sa confiance finan-
cière à Léopold, était venu déjeuner chez
son père et, pour flatter celui-ci dans ce
qu'il appelait, en raillant, ses idées démo-
cratiques, il lui annonça, comme une nou-
velle qui courait le monde, que la petite
fille du duc de Champeaux-Soulaine, al-
lait passer les examens de l'Hôtel de Ville,
avant d'épouser le prince de Winsselein.
— C'est jo'iment bien, s'écria Lucien
enthousiaste, de la part d'une fille qui a
un blason de famille aussi chargé que
celui du duc d Osuna, trois millions de
dot, et qui ost très belle ! Son fiancé veut
assister à l'examen avec toute l'ambas-
sàde d'Autriche. En voilà une femme!.
— Comme il t'en faudrait une!
— Tu plaisantes?. mais je ne dis pas
non.
— A cause des armoiries et des specta-
teurs de l'ambassade, n'est-ce pas ?
— Beut-etre ! d'abord.
— Eh bien, si tu veux une jeune fille
diplômée, tu n'as qu'à choisir.
— Dans notre monde?
— Dans le monde. Ce que Mlle de Cham-
peaux-Soulaines entreprend, bien des
jeunes filles le font et ne s'en vantent pas.
— Elles ont tort!
— Oiis'en moquerait. Au fond, tues
plus étonné que ravi de ce que tu ra-
contes.
— Je t'affirme, papa, que je suis positi»
tement ravi.
— Bien vrai ?
— Bien vrai.
LOUIS ULB\Gtt.
'- lA suivre.)
ADMINISTEATIOK
18, HUE DE VALOIS, 1S
d
ABONNEMENTS
PARIS
Tzoïs mois .10 n
Sixmois. 20 »
DEPARTEMENTS1
Trois mois. 13 50
Sixm
Adresser lettres et mandats j
A M. ERNEST LEFÈVRE
JLDMINISTRATEUIV GÉRÀJTE
REDACTION
S'adresser au Secrétaire ae la Réaaction.
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
les manuscrits noninséres ne seront pas rendus
ANNONCES
ta. Ch. IAGRANGE, CERF et ce
6; place de la Bourse, 6
LA RENTREE DU PARLEIIENT
C'est aujourd'hui que le Parlement
rentre en session. Pas pour longtemps,
puisqu'août le dispersera pour le re-
nouvellement des conseils généraux.
C'est donc quelque chose comme deux
mois que les Chambres ont pour tra-
vailler. Il y a des lois nécessaires qui
attendent et qui frappent à la porte.
Les Chambres vont sans doute s'y met-
tre sans perdre une minute.
Par exemple ! et les interpellations ?
Qu'est-ce que c'est que le recrute-
ment militaire, l'arbitrage entre ou-
vriers et patrons, le chemin de fer mé-
tropolitain, etc., devant l'interpellation
de M. le marquis de L'Angle-Beauma-
noir sur « la direction donnée au ser-
vice de la gendarmerie » ? Quoi! le
service de la gendarmerie a été « di-
rigé » dans le sens de la loi ! C'était la
loi que les gendarmes représentaient
en venant fermer la chapelle de l'usine
Giraud ; cela a été reconnu par un avo-
cat clérical, Me Robert de Cléry : « L'au-
torité était absolument dans son droit
en fermant la chapelle. Au point
"'ce vue du droit, il n'y a rien à dire'. »
Et -- quand les gendarmes viennent
faire respecter la loi, il ne serait
14s permis de les recevoir à coups
de revolver! Et il serait permis aux
gendarmes ainsi reçus de se défendre
et de riposter! M. le marquis de
L'Angle-Beaumanoir est indigné. Un
détail amusant, c'est que le journal
dans le sein duquel il verse son indi-
gnation, en attendant qu'il la reverse
dans le sein du Sénat, est le Figaro,
lequel, au moment de l'affaire, a écrit
., cette phrase : « Les gendarmes avaient
incontestablement le droit de tirer sur
M. Fischer. »
Une interpellation plus sérieuse sera
celle de MM. Michelin et Planfeau sur
la grève de Decazeville. L'acceptation
de l'arbitrage par les mineurs et son
rejet par la compagnie autorisent plei-
nement la Chambre à demander au
gouvernement quelle attitude il compte
prendre. Il est impossible que cette at-
titude soit éternellement celle des bras
croisés. Il ne peut pas dépendre de con-
cessionnaires d'une partie du sous-sol
national, qui passent pour n'être pas
éperdument dévoués au régime actuel
et pour ne pas redouter extrêmement
les conflits qui pourraient nuire à la
République, de créer ou de perpétuer
une situation qui commence par la mi-
sère et qui finirait par la colère.
M. Delafosse interpellera sur la ques-
tion grecque. Le ministre des affaires
étran gères de France aura moins de peine
à justifier sa conduite que les mip^g^S
jitjg affaires étrangères Lemagne,
d'Angleterre, d'^atrfcjœ et d'Italie n'en
auraient, 4 justifier la leur. Le traité de
Berlin avait contracté une dette envers
la Grèce ; la Grèce en a réclamé le
payement. Halte-là ! se sont écriées les
quatre puissances. Et, elles qui, la
veille, quand le prince Alexandre, à qui
rien n'était dû, s'était emparé de
la Roumélie/avaient dit: Garde-lal elles
ont menacé la Grèce de la bombarder
si elle touchait à ce qui lui appartient.
La Grèce, sur nos conseils, a cédé. Sur
quoi, les quatre puissances l'ont mena-
cée plus insolemment, lui ont mis un
ultimatum sur la gorge et un blocus
sur les côtes. Comme c'est beau, ces
grandes puissances se ruant à quatre
sur un petit peuple ! Ce n'est pas à Paris
qu'il faudrait interpeller,c'est à Berlin,
à Vienne, à Londres et à Rome.
Et puis, avant qu'on reprenne le
travail sérieux, il va y avoir cette
question des princes qui périodique-
ment ressort de la boîte à surprises.
La dernière fois, elle en ressortait sous
la pression d'un mot de M. Lanjuinais :
— « Quand nous serons débarrassés
de la République. » Cette fois, c'est
sous la pression d'une phrase de M. de
Grandlieu : « La royauté a désormais
son personnel. » Là-dessus, cris nom-
breux : — La patrie est en danger ! Je
n'aurais jamais cru un mot de M. Lan-
juinais et une phrase de M. de Grand-
lieu si formidables.
La première fois, l'expulsion n'a pas
été votée. Que s'est-il passé depuis?
Le comte de Paris a marié sa fille aînée.
A cette occasion, il a donné une soirée,
à laquelle il a invité le corps diploma-
tique, qui n'y est pas allé. Il m'est im-
possible de voir là un de ces événements
qui bouleversent les contrées. Deux ou
trois centaines de gens ont profité de
l'occasion d'être vus chez un prince. Il
a plu à M. de Grandlieu de voir dans
ces gens des ministres futurs, des pairs
de France possibles, des préfets en
herbe, et des maîtresses de l'avenir.
Je dois à la vérité de déclarer que je
n'ai pas été épouvanté.
Personne ne m'intéresse moins qu'un
prince, surtout qu'un prince qui se
pose ou qu'on pose en prétendant. On
expulserait les Orléans, que je me sou-
viendrais qu'ils ont expulsé les Bour-
bons. On expulserait les Bonaparte-,
que je me souviendrais qu'ils ont ex-
pulsé les Bourbons, les Orléans et les
républicains. Ce n'est pas dans l'intérêt
des princes que j'ai toujours combattu
les propositions d'expulsion, c'est dans
l'intérêt de la République, qui perdrait
en un jour le bénéfice de quinze ans de
tolérance dédaigneuse et qui ne pour-
rait plus se dire plus forte que l'empire
et que la royauté.
Je sens toujours la République aussi
forte et je ne crois pas les princes plus
dangereux pour elle à Paris qu'ils ne le
seraient à Bruxelles. J'espère que l'ex-
pulsion ne sera pas plus votée aujour-
d'hui qu'il y a trois mois. Mais si cette
faute devait être commise, au moins
qu'elle le soit, vite, qu'on en finisse une
rois pour toutes, afin qu'on se mette à
la vraie question, qui n'est pas la
question des princes, qui est la qi^s-
tion des travailleurs.
AtJGUSÏË VACQCER1E.
COULISSES DES CHAMBRES
En raison de la reprise de la session qui
a lieu aujourd'hui, un certain nombre de
députés s'étaient rendus à la Chambre
dans l'après-midi d'hier. L'objet presque
unique des conversations était la question
de l'expulsion des princes. On se deman-
dait si le gouvernement prendrait l'initia-
tive d'une mesure quelconque, et dans
quelles conditions il le ferait. Le doute,
en effet, régnait encore sur ces divers
points, car le ministère n'a pas arrêté ses
résolutions définitives. Il a longuement
délibéré hier matin dans un conseil de
cabinet tenu en dehors des convocations
ordinaires; mais ce n'est qu'au conseil
des ministres qui sera tenu ce matin à
l'Elysée que des décisions fermes pour-
ront être arrêtées.
Toutefois, dès maintenant on peut con-
sidérer comme certain que le gouverne-
ment est résolu à faire quelque chose.
C'est sur la nature de l'acte à accomplir
que l'on n'est pas encore fixé. Le conseil,
comme nous l'avons déjà fait prévoir, ne
veut pas agir par décret, l'exercice direct
des droits de haute police n'étant garanti
par aucune sanction pénale contre les in-
fractions aux mesures d'expulsion. C'est
donc par voie de projet de loi que le gou-
vernement entend agir. Mais il n'a pas en-
core décidé quel serait le caractère de ce
projet de loi.
Deux solutions sont en présence :
Ou prononcer l'expulsion immédiate par
un article de loi énumérant limitativement
les personnes auxquelles cette mesure
s'appliquerait. Dans ce cas, on -limiterait
l'expulsion aux descendants directs des fa-
milles ayant régné sur la France, de ma-
nière à ne frapper que les prétendants ef-
fectifs.
Ou rappeler et consacrer par un texte
les droits de haute police que possède le
gouvernement en y ajoutant une sanction
pénale pour les cas d'infraction. Dans ce
cas, le choix du moment où serait pro-
noncée l'expulsion et des personnes aux-
quelles s'appliquerait la mesure, serait
laissé au gouvernement sous sa responsa-
bilité.
C'est entre ces deux systèmes que le
conseil des ministres doit opter, et c'est
ce qu'il n'a pas fait, paraît-il, jusqu'ici.
En tout cas, quoi qu'il arrive, la se-
maine ne se passera pas sans que la Cham-
bra soit saisie de la question d'une ma-
nière ou de l'autre. Les députés désireux
de voir résoudre cette question de l'ex-
pulsion semblent d'accord pour laisser au
gouvernement le soin de prendre l'initia-
tive qu'en cette matière il a toujours re-
vendiquée exclusivement. Ce n'est qu'au
cas où le gouvernement n'exercerait pas
cette initiative que les députés en ques-
tion déposeraient une proposition d'ex-
pulsion.
-0-
L'ordre du jour de la séance d'aujour-
d'hui à la Chambre va être quelque peu
modifié. M. Delattre s'est mis d'accord
avec le garde des sceaux pour renvoyer
au 10 juin la discussion de son interpel-
lation sur le fonctionnement de la justice
dans le département de la Seine, qui de-
vait venir aujourd'hui.
La Chambre va donc se trouver d'abord
en présence d'un certain nombre de pro-
positions émanées de l'initiative parle-
mentaire, qu'il n'y a pas lieu d'examiner
au fond, mais simplement de soumettre
à la formalité de la prise en considéra-
tion.
Une seule de ces propositions a un ca-
ractère politique marqué, c'est celle de
M. Sigismond Lacroix, relative à l'or-
ganisation municipale de Paris, c'est la
proposition dite d'autonomie communale,
suivant l'expression consacrée.
Le gouvernement a décidé de ne pas
s'opposer à la prise en considération de
cette proposition ; mais le ministre de
l'intérieur fera à la tribune des réserves
formules sur le fond de cette proposition.
il déclarera que si le gouvernement ac-
cepte la prise en considération, c'est pour
permettre la nomination d'une commis-
sion chargée d'examiner au fond la ques-
tion de la réorganisation municipale de
tion de la réorgani,,
Paris, à laquer le ministre de l'intérieur
soumettra un projet de loi, dont il achève
en ce moment même l'élaboration.
En dehors des propositions soumises à
la" prise en considération, la Chambre
aura aujourd'hui à discuter en première
lecture la proposition relative à l'abroga-
gation des livrets d'ouvriers, votée par la
précédente Chambre et modifiée par le
Sénat.
Enfin, à l'a suite de l'ordre du jour,
vient immédiatement la discussion des
pétitions demandantque les pouvoirs pu-
blics autorisent l'émission d'obligations à
lots pour l'exécution du canal de Panama.
Le rapporteur de la commission, M.
Richard (de la Drôme), conclut au renvoi
des pétitions aux ministres compétents.
Le gouvernement, vu l'état de la question,
n'acceptera pas de débat sur ces péti-
tions.
Aujourd'hui, la Chambre sera saisie par
le gouvernement d'un certain nombre de
projets de loi très importants.
Le ministre de la guerre déposera le
grand projet d'organisation militaire dont
nous avons fait connaître, il y a quelques
jours, l'économie générale.
Le ministre des travaux publics dépo-
sera un projet de loi très considérable,
portant revision totale de la législation
sur les mines. Ce projet abroge toutes les
lois sur la matière, depuis celle de 1810,
et les remplace par une loi unique dont
toutesjes dispositions sont coordonnées.
Le' ministre des postes et télégraphes
déposera le projet de loi dont nous avons
annoncé l'élaboration et qui a pour objet
d'approuver une convention passée entre
l'Etat et les compagnies de chemins de
fer pour assurer l'application des réformes
au régime des colis postaux réalisées par-
la convention postale internationale de
Lisbonne.
Enfin le ministre du commerce et de
l'industrie déposera son projet de loi sur
l'arbitrage pour le règlement des conflits
entre patrons et ouvriers.
Aujourd'hui sera distribué aux députés
le rapport de M. Sans-Leroy, au nom de
la commission chargée d'examiner les
propositions relatives au régime des su-
cres.
Le gouvernement et la commission
vont demander à la Chambre de mettre
les conclusions du rapport à l'ordre du
jour des plus prochaines séances. Il y a,
en effet, urgence à ce qu'une solution in-
tervienne à bref délai.
L'objet des propositions soumises à la
Chambre est notamment de proroger la
surtaxe de sept francs appliquée, par la
loi du 29 juillet 1884, aux sucres étran-
gers européens importés en France. Or,
cette surtaxe prend fin le 31 août prochain.
Le gouvernement et la commission .sont
d'accord pour proroger cette surtaxe pour
une nouvelle période de deux années
devant prendre fin le 31 août 1888. Pour
qu'il n'y ait pas de solution de continuité
dans l'application de la surtaxe, il importe
que la loi nouvelle soit votée par les deux
Chambres avant les vacances d'été. Or, il
y a à peine le temps nécessaire pour arri-
ver à ce résultat. Le rapport de M. Sans-
Leroy soulève, en effet, de nombreuses et
graves questions qui donneront lieu à de
vives controverses devant la Chambre car,
sur plusieurs points, le gouvernement est
CD désaccord avec la commission. Ensuite
il faudra porter le projet au Sénat et obte-
nir de lui un vote conforme à celui de la
Chambre avant le 31 juillet prochain.
-0-
La commission du budget a continué
hier l'examen du budget de l'instruction
publique. Une seule décision est à enre-
gistrer. On sait que le miuistre propose
dans son projet de supprimer pour 1887
la gratuité des inscriptions dans les facul-
tés, votée en 1-879. Le produit de ces in-
scriptions est évaluée à 700,000 fr., dont
une partie est employée, jusqu'à concur-
rence de 400,000 fr., à faire face à l'auge
mentation de certains services.
La commission a décidé, contrairement
à l'avis ctu ministre, de obtenir la gra-
tuité des incriptions par contre, elle a
repoussé les ^"aggaentations de crédits
auxquelles fe produit des inscriptions de-
vait - - - isqu'à concurrence de
vait pourvoir jusqu'à concurrence de
400,000 francs. Elle avait encore à pour-
voir à l'insuffisance de 300,000 francs que
ce maintien de la gratuité produit dans le
budget. Elle a décidé d'opérer pour cela
des réductions sur les dépenses de di-
verses parties du budget de l'instruction
publique.
<&*
Nous sommes heureux d'annoncer à nos
lecteurs que l'état de M. Georges Hugo
s'est sensiblement amélioré dans la jour-
née.
Les médecins sont assurés qu'il n'y a
aucune inquiétude à concevoir.
VACANCES FINIES
Les Chambres, en congé depuis un bon
mois, reprennent leurs séances. Session
ordinaire ; on n'a pas à procéder à de
nouvelles élections; impossible, quelque
bonne volonté qu'on y mette, de décou-
vrir le plus léger prétexte à une perte de
temps.
— « Mais, quoi? que voulez-vous faire
d'ici au 14 juillet, époque à laquelle on
se sépare de nouveau? En six semaines,
aura-t-on le loisir de mener à bien, ou
même seulement d'aborder aucune déli-
bération sérieuse? A vrai dire, ce n'est
même pas la peine presque de siéger. »
Tel est le langage qu'on entend.
Il est certain déjà que la discussion du
budget ne pourra être commencée cet
été, et, quant au projet de loi de réorga-
nisation militaire, il est bien vrai que le
ministre de la guerre va en effectuer le
dépôt, mais comptez ce qu'il faudra pour
la confection du rapport, les travaux de
la commission; allons 1 à septembre ou
octobre.
En revanche, nous aurons une reprise
de l'opéra intitulé : l'expulsion des prin-
ces, puis quelques interpellations. On
connaît notre sentiment sur les interpel-
lations en général. Excellentes choses
dont il ne faut pas abuser. Ce que nous
reprochons surtout à ces sortes de débats,
c'est d'être le plus souvent dépourvus de
toute sanction, et par conséquent stériles.
Ainsi, on a déjà fourni deux fois à la
Chambre l'occasion de dire sa pensée sur
la grève de Decazeville : qu'est-ce que
cela a produit? La troisième fois aura-
t-elle plus d'effet?
Au Sénat, on nous promet la revision
de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés,—
ce qui est très bon,—et la proposition Bozé-
rian, —ce qui est très mauvais. On sait
que cette proposition, contre laquelle le
gouvernement s'est déjà prononcé d'ail-
leurs, ne tend à rien moins qu'à rogner
les libertés accordées à la presse par la
loi de 1881. Toute tentative de ce genre
trouvera toujours en nous des adversaires
résolus. Restreindre la liberté de la
presse! Pourquoi faire? A quoi cela ré-
pond-il ? Est-ce que la République souffre
des injures à elle périodiquement adres-
sées par les journaux de la réaction ? Est-
ce qu'elle s'en aperçoit seulement? Et
l'on voudrait qu'après avoir dédaigné pen-
dant tant d'années les attaques les plus
violentes, la République entrât, comme
les gouvernements qui l'ont précédée, —
et à qui cela a si bien réussi, soit dit en
passant, — dans la voie de la répression !
Allons donc! Il n'est pas sûr le moins du
monde que le Sénat vote la proposition
Bozérian, et il est certain que la Chambre
la repoussera, Donc, débats* stériles et
temps perdu.
On peut dire à la Chambre, sans la
diminuer, que jusqu'à présent elle n'a
pas fait grand'chose.. Sans doute elle est
dans une situation très particulière. Grâce
au soin qu'ont pris les candidats « con-
servateurs » de cacher au fond de leurs
poches leur drapeau, les dernières élec-
tions ont amené au palais Bourbon une
minorité réactionnaire relativement con-
sidérable. Il en résulte que la majorité
républicaine ne peut rien entreprendre,
rien tenter rtoc «sporfr de stteces, & tnoins
d'être étroitement unie. Etre unis, par-
bleu ! personne ne demande mieux ; mais,
en dépit des bonnes intentions, la chose
n'est pas extrêmement facile. Il y a déjà
eu bien des chocs, bien des froissements,
on a tiraillé les uns sur les autres. Si à
ce jeu on ne courait risque que d'user
ministère après ministère, nous nous en
consolerions aisément; mais ce qui est
plus grave, c'est qu'en s'escrimant de la
sorte, au bout du compte, on ne fait rien
du tout.
C'est ce qu'il ne faut pas. Si l'on ne
peut pas faire les grandes réformes, qu'on
fasse les petites, mais qu'on fasse quel-
que chose.
Le pays est impatient et veut qu'on se
mette à l'œuvre.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
4>
POLITIQUE SCIENTIFIQUE
Nous vivons à une époque expérimen-
tale où la méthode d'observation étend
son domaine chaque jour davantage. Les
merveilleux succès obtenus par les sciences
physiques et naturelles ont mis en hon-
neur les procédés dont elles se servent.
On s'est demandé si, transportée sur un
autre terrain, l'observation ne donnerait
pas des résultats équivalents. Après l'a-
voir limitée d'abord aux choses de la na-
ture, on l'a étendue aux choses de l'es-
prit; on a introduit l'analyse, le calcul
dans l'étude des opérations psychiques.
La psychologie moderne est devenue une
sorte d'annexe de la physiologie, de la bio- -
logie, de l'embryologie, etc. Cette évo-
lution qui s'est produite dans la sphère
de toutes les sciences morales, droit,
histoire, linguistique, esthétique, de-
vait atteindre un jour ou l'autre la poli-
tique. Et de fait l'étude des sociétés
humaines tend de plus en plus à quitter
le monde des abstractions et des concep-
tions apriori où elle se complaisait, pour
prendre pied sur le terrain des réalités
expérimentales. Il y a un abîme, par
exemple, entre la conception de la poli-
tique que révèle une œuvre comme le
Contrat soèzal de Jean-Jacques Rousseau
et celle qui a présidé à l'élaboration des
Principes de sociologie d'Herbert Spencer.
Tout n'est peut-être pas à louer dans cette
métamorphoise ; en tout cas nous assistons
à une transformation fatale et contre
laquelle tous les regrets du monde ne
pourront rien. A
M. J. Nowickov, qui vient de faire pa-
raître chez Félix Alcan un livre intitulé la
Politique internationale est un disciple
convaincu et ardent de la nouvelle école.
Comme le fait ingénieusement remar-
quer M. Eugène Véron, dans la préface
qui accompagne l'ouvrage, M. Nowikow
n'a peut-être lu ni la RépuhlzluedePlaton,
ni la Politique d'Aristote, ni le Traité théo-
logico-polihgue de Spinosa, mais il a pâli
sur Darwin et les découvertes de Lamarck
et de Geoffroy Saint-Hilaire n'ont pas de
secrets pour lui.
Il y a quelques mois déjà, M. Léon
Donnât nous donnait dans sa Politique
expérimentale un exemple de l'application
de la méthode scientifique aux problèmes
sociaux. Mais M. Donnat s'était borné vo-
lontairement à la question des réformes
intérieures. M. Nowikow étudie, lui, les
relations de peuple à peuple. Le sujet de v
son livre, ce sont les nationalités. Qu'est-
ce qu'une nationalité? Qu'est-ce qui la
constitue? Quelles différcnccc sdP 'are-fl la
nationalité de l'Etat? De ces deux élé-
ments, quel est celui qui doit l'emporter
sur l'autre? Tels sont les différents prq?>
blêmes qu'il examine açec une ri^aeut
d'analyse qui fait justice de tous. les pré-
Feuilleton du RAPFEI*
DU 26 MAI
LA MAITRESSE
DU GÉNÉRAL
CHAPITRE XYI
Beaugran n'oubliait pas son vieil enfant,
en s'occupant du jeune. Le général avait
paru rassuré par le retour de son fils. Vo-
lontiers, il eût fait croire à l'inquiétude
des vieillards redoutant de partir avant le
retour d'un voyageur bien-aimé; mais il
n'osait pas s'aventurer dans des raisons
si sentimentales avec Léopold,dont la gra-
He pro rJuction interdite.
Voir le Rappel du 27 mars au 24 mai.
vité l'intimidait. Il n'avoua rien de per-
sonnel pour expliquer sa tristesse; tout
au plus, avouait-il ses rhumatismes ; mais
il prenait le ton de tout le monde et attri-
buait à son attachement pour l'empereur
malade, plus malade qu'on ne voulait le
dire, la cause de sa mélancolie.
Beaugran sans se laisser tout à fait ras-
surer sous ce rapport, et sans abandonner
son devoir filial, pour lui devoir pa-
ternel, ne poussa pas plus loin l'enquête,
momentanément. S'il arrivait à faire ai-
mer Angèle par Lucien, s'il réalisait le
mariage que son père avait si ardemment
souhaité, il tirerait parti de ce résultat,
pour agir efficacement sur le général.
D'après les confidences d'Angèle et de
Mme Berthelin, la comtesse préparait un
voyage, peut-être une rupture. Celle-ci
deviendrait plus facile après le mariage,
et le général serait si enchanté de sa bru,
que sa galanterie se satisferait sans doute
de la conduire, de l'avoir à son bras dans
les bals de la cour, et qu'il se passerait
plus aisément de '.a comtesse.
Quant à Cabezon, par un sophisme qui
comblait une lacune dans le plan irrépro-
chable de Beaugran, celui-ci se disait
qu'une fois l'œuvre difficile accomplie, il
u'aurait plus rien à redouter. Les mé-
chants qui ont le sens pratique ne font
rien d'inutile. Lucien marié, le général
assagi, Cabezon n'aunait plus qu'à se faire
rembourser ses avances.
Galimard racontait que le financier
tournait à l'opposition, jouait à la baisse,
ne se préoccupait plus que de la santé d e
l'empereur, et s'il voyait l'empire malade,
il prévoyait, à coup sûr, que sa force s'en
irait avec la confiance publique.
Il n'y a rien de plus fatal dans la vie que
l'heure où l'on croit avoir mis d'accord
ses rêves les meilleurs avec la logique
usuelle.
Les utopies viennent moins des illusions
de l'esprit que de l'ivresse d'un calcul
mathématique. Quand on veut appliquer
la règle de : deux et deux font quatre,
aux questions de sentiment, on perd le
souffle qui les tenait en suspens au-dessus
des erreurs humaines, et si la base sur
laquelle on veut s'installer vient à crouler,
on tombe sans pouvoir s'envoler.
Beaugran n'était pas arrivé encore à
cette certitude. J'ai dit qu'il s'y prêtait,
plus qu'il ne s'y donnait, mais elle le ten-
tait assez pour lui ôter bien des méfiances
et ce patriote mécontent, quand l'empire
chancelait, en pouvant meurtrir le géné-
ral de Proverville dans sa chute ; quand
la grande aventure compromise donnait
des alarmes aux aventuriers, cet homme
sérieux ne songeait pas aux risques à cou-
rir et s'abandonnait aux charme" d'une
idylle, croyant avoir le temps de mener
le poème à son dénouement.
Il fallait une certaine préparation pour
mettre Lucien dans le fameux secret de
Passy.
Comment le lui livrer, avec la garantie
qu'il n'en abuserait pas ?
Pendant le voyage d'Italie, sans que le
père et le fils fussent devenus plus unis
par les idées, une familiarité assez sem-
blable à la camaraderie s'était établie
entre eux. Bien des fois Léopold avait été
amené à faire des confidences sur sa jeu-
nesse, sur ce qu'il appelait ses folies de
vingt ans, qui n'étaient que des escapades
de poésie; afin de gagner davantage ainsi
la confiance de son enfant.
Lucien trouvait, de son côté, un pré-
texte de se dérober aux insinuations sé-
rieuses de son père, en flattant celui-ci
dans ses souvenirs. Comme il était inca-
pable de méchanceté, il paraissait bon,
en plaignant Léopold des mécomptes que
celui-ci racontait, et en l'interrogeant
avec un peu de curiosité pour se com-
parer ensuite fièrement, avec sa prétendue
expérience de gandin, à ces naïvetés ro-
mantiques de 1840.
Naturellement, il avait été beaucoup
question d'Angèle pendant le voyage;
plus d'une fois même Beaugran avait
voulu éveiller un intérêt tendre dans le
cœur de Lucien, en hasardant cette propo-
sition que Mlle de Guimaraës avait une
conscience mystérieuse, attrayante comme
un roman à pénétrer.
— Elle est comme toutes les jeunes
filles de ce temps-ci, avait répondu inva-
riablement le blasé précoce, elle aime la
toilette, le bruit, le bal, et elle n'aimera
jamais personne.
Cette obstination réelle ou feinte à pren-
dre Angèle pour une riche poupée, n'était
pas, après tout, une mauvaise préparation
au coup de théâtre projeté; mais c'était
l'occasion de lever le rideau que Beaugran
cherchait.
Elle se présenta tout naturellement le
surlendemain.
Lucien qui semblait avoir rendu au
moins en grande partie, sa confiance finan-
cière à Léopold, était venu déjeuner chez
son père et, pour flatter celui-ci dans ce
qu'il appelait, en raillant, ses idées démo-
cratiques, il lui annonça, comme une nou-
velle qui courait le monde, que la petite
fille du duc de Champeaux-Soulaine, al-
lait passer les examens de l'Hôtel de Ville,
avant d'épouser le prince de Winsselein.
— C'est jo'iment bien, s'écria Lucien
enthousiaste, de la part d'une fille qui a
un blason de famille aussi chargé que
celui du duc d Osuna, trois millions de
dot, et qui ost très belle ! Son fiancé veut
assister à l'examen avec toute l'ambas-
sàde d'Autriche. En voilà une femme!.
— Comme il t'en faudrait une!
— Tu plaisantes?. mais je ne dis pas
non.
— A cause des armoiries et des specta-
teurs de l'ambassade, n'est-ce pas ?
— Beut-etre ! d'abord.
— Eh bien, si tu veux une jeune fille
diplômée, tu n'as qu'à choisir.
— Dans notre monde?
— Dans le monde. Ce que Mlle de Cham-
peaux-Soulaines entreprend, bien des
jeunes filles le font et ne s'en vantent pas.
— Elles ont tort!
— Oiis'en moquerait. Au fond, tues
plus étonné que ravi de ce que tu ra-
contes.
— Je t'affirme, papa, que je suis positi»
tement ravi.
— Bien vrai ?
— Bien vrai.
LOUIS ULB\Gtt.
'- lA suivre.)
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