Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1886-05-22
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 22 mai 1886 22 mai 1886
Description : 1886/05/22 (N5916). 1886/05/22 (N5916).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2012
K f 5.9.16 — Samedi 22 Mai 1886 ILe n-uméro s 10 o. 1) s ln; 3 Prairial an 9 1 5 916
ADMINISTRATION
i8, RTJE DE VALOIS, 18
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 10 »
Six mois. 20 »
f I
DEPARTEMENTS , 1
Trois mois. 13 50
Six moi s • •• 27 ))
-
Adresser lettres et mandats
A M, ERNEST LEFÈVRE
ADMINISTRATEUR GÉRANT -
LE RAPPEL
; RÉDACTION ,
-" ,.
) .S'adresser au Secrétaire clelaRéclactioiL
," De it à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seront pasrenaus
ANNONCES
j tttf. Ch. LAGRANGE, CERF et ce
6, place de la Bourse 6
CHATEAUX EN ESPAGNE ;
., La semaine dernière, l'Espagne avait
une reine de cinq ans ; cette semaine,
elle a un loi de tinq jours.
Alphonse XII en mourant ne laissait
qu'une fille, mais il laissait la reine
grosse. De qui accoucherait-elle? Si
c'était d'une seconde fille, la première
était reine et avait dans son berceau
deux joujoux, sa poupée et l'Espagne.
Si c'était d'un ga»çon, la petite reine
tombait sujotle. Singulière situation
pour une mie de ne pas savoir ce qu'elle
est et si elle a à commander ou à obéir;
situation singulière pour des millions
d'hommes de ne pas même savoir de
qui ils sont le troupeau et s'ils appar-
tiennent à une fille ou à un garçon.
On sait le mot de l'ahuri qui demande
à un visiteur : — « Est-ce à vous ou à
monsieur votre frère que j'ai l'honneur
de parler? » Le grand peuple espagnol
disait à la petite Mercédès : -,Est-ce
à vous ou à monsieur votre frère que
j'ai l'honneur de prêter serment?
A l'heure qu'il est, les Espagnols
connaissent le sexe de leur proprié-
taire, mais ils ignorent encore son nom,
et voici le serment dont les sénateurs
nous ont donné la comédie : — « Rien
n'étant encore décidé au sujet du nom
du nouveau roi, nous jurons fidélité et
obéissance au roi d'Espagne successeur
d'Alphonse XII. »
Ce n'est pas la première fois qu'un
héritier de couronne vient au monde
après la mort de son père. Ces nais-
sances utiles ont souvent donné lieu à
des soupçons. L'accouchement pos-
thume de la régente Christine n'en a pro-
voqué aucun, Elle n'a pas eu besoin
de faire ce qu'a frit chez nous la du-
thesse de Berl y à la naissance du comte
de Chambcrd. -
La duchesse fit venir le plus de té-
moins possible : des valets de pie 1, des
grenadiers de la garde nationale, un
garde-du- corps, le duc d'Albuféra. La
duchesse ne vou^itpas que le cordon fut
coupé avant que tout le monde n'eût
tout vu. Jelaisse parler l'accoucheur, le
docteur Deneux : — « Elle se mit tout à
nu des pieds à la tète, en écartant
même. » J'en passe. Le médecin dans
les mots br'ave l'honnêteté ; mais le
lecteur profane veut être respecté.
« Comme plusieurs gardes nationaux
se trouvaient, peut-être par décence
autant que par respect, à une certaine
distance du lit, la Princesse, qui peut-
être aussi s'aperçut de la surprise qu'ils
éprouvaient qu'une femme de son rang
osât, en présence de tant de monde,
s'affranchir de toutes les lois de la pu-
deur, letm dit: — Ne craignez rien,
messieurs ; approchez et voyez. »
Cet excès d'exhibition ne produisit
pas tout l'effet qu'on en avait espéré.
Car on avait promis cinquante mille
francs à Deneux, et on ne les lui donna
pas, de peur de faire dire qu'il les avait
trop bien gagnés., « Sa Majesté, préfé-
rant aux intérêts dé l'accoucheur ceux
de son petit-neveu, s'est déterminée
dans des vues faciles à entrevoir », dit
mélancoliquement Deneux dans son
journal. Cette économie ne fut pas plus
heureuse que l'exhibition : « La famille
royale, en se privant de nous donner
une preuve de générosité qui, à la
naissance d'un prince, est non-seule-
ment de convenance, mais même d'u-
sage, devait croire ou tout au moins
espérait atteindre le but qu'elle se pro-
posait : il n'en fut rien.»
La régente d'Espagne n'a pas eu à
prendre toutes les précautions de la
duchesse de Berry. Elle a laissé couper
le cordon sans appeler la garde natio-
nale. Elle ne s'est pas montrée nue
des pieds à îa tête en invitant les assis-
tants à venir l'examiner de plus - pwè-,.-
La seule nudité qu'elle ait étalée est
celle du nouveau-né, dont la duchesse
de Mé dîna-Sidouia, M. Canovas et M.
Martos ont fait constater -le sexe aux
personnages présents. Il n'était pas
nécessaire de combattre d'avance un
doute qui ne pouvait venir à personne.
Quel sera le sort du fils posthume
d'Alphonse XII? On sait quel a été ce-
lui du fils posthume du duc de Berry.
Il n'avait pas dix ans, qu'une révolu-
tion l'expulsait de France; il passa
quelque temps en Ecosse, dans ce som-
bre château d'IIolyrood, sanglant des
meurtres de Rizzio et de Darnley, puis
s'en alla végé'er à Gorilz, où, après
cinquante ans d'exil, il est mort.
Lorsque le petit garçon qui vient de
naître à Madrid sera en Age de com-
prendre, il sera bon de lui faire lire
cette histoire, qui pourra bien ressem-
bler à la sienne.
AUGUSTE VACQDERIE.
I* ■* !«■ ■ ■
Les ministres se sont réunis hier malin,
au ministère des affaires étrangères, en
conseil de cabinet, sous la présidence de
M. de Freycinet.
Le ministre des affaires étrangères a
rendu compte de la situation en Orient.
Elle ne s'est pas modifiée. On attend la
décision des Chambres grecques.
M. Sarrien a fait connaître que les de-
mandes d'embauchage commuaient à De-
cazeville.
26 mineurs sont nouvellement rentrés ;
452 ouvriers ont repris le travail.
M. Baïhaut, ministpe des travaux pu-
blics, a entretenu le conseil des notes
publiées par certains journaux sur le ca..
nal de Panama. Il s'e:t montré notam-
ment très ému de la divulgation d'une
pièce confidentielle de son ministère. Le
conseil a décidé qu'une instruction judi-
ciaire serait ouverte sur ces faits.
Le conseil a maintenu, d'ailleurs, la
décision qu'il avait prise antérieurement
d'attendre, pour statuer sur la demande
de la compagnie de Panama, que celle-ci
lui ait fourni les documents qu'il a ré.
clamés. -
i w» ■ « 'f *1 —
COULISSES DES CHAMBRES
-, r'
Le conseil des ministres s'est réuni hier,
mais il n'a pas repris l'examen de la ques-
tion des princes. C'est seulement au con-
seil de demain samedi ou à celui de mar-
di prochain qu'il s'occupera de nouveau
de la question pour arrêter ses résolutions
en vue de la rentrée des Chambres.
-0-
Nous avons annoncé que M. Lockroy
préparait un projet de loi organisant, sur
19 modèle de la loi anglaise, l'arbitrage en
vue de prévenir les conflits entre ouvriers
et patrons.
Le ministre du commerce et de l'indus-
trie a achevé l'élaboration de ce projet,
qu'il sera en mesure de déposer dès la
rentrée sur le bureau de la Chambre. Ce
projet sera contresigné par le ministre
des travaux publics.
Il se borne, ainsi que nous l'avons déjà
dit — à organiser une procédure très
'simple, de manière à faciliter l'usage de
l'arbitrage. Voici quel est l'esprit de cette
procédure :
Celle des deux parties - ouvriers ou
patrons — qui veut recourir il l'arbitrage
pour le règlement d'un conflit fait une
déclaration en ce sens devant ie. maire de
la commune.
Ce magistrat municipal est tenu alors
de notifier à l'autre partie la demande à
fin d'arbitrage, afiu que les arbitres puis-
sent être choisis par les parties.
Si l'une des parties refuse de se prêter
à l'arbitrage, le maire le constate dans un
récépissé qui enregistre le refus et en in-
dique les motifs. Ce récépissé est remis à
la partie qui a formé la demande d'arbi-
trage.
Ati cas où les deux parties ont consenti
à l'arbitrage, la sentence des arbitres est
rédigée en double exemplaire; l'un de ces
exemplaires est remis aux intéressés.
L'autre exemplaire est envoyé an mi-
nistère du commerce et de l'industrie.
Ce ministère, en effet, sera appelé à
grouper toutes les sentences arbitrales
ainsi rendues de manière à en constituer
la collection complète en vue de mettre
en lumière la propagande qui s'en déga-
gera et qui pourra être consultée dans la
suite pour le règlement des autres conflits
qui pourraient se produire ultérieurement.
Comme on le voit, ce projet ne comporte
aucune sanction. Il codifie seulement les
règles de l'arbitrage, dont le principe est
de droit commun. Le but du projet est
d'introdnire dans nos mœurs ce mode de
règlement des en le rendant ac-
cessible à tous.
Le Journal officiel publie l'arrêté sui-
vant, rendu par le ministre des finances,
et qui ilxe la répartition de l'emprunt de
500 millions, conformément aux rensei-
gnements que nous avons donnés hier :
Le ministre des finances,
Vu le décret du 1er mai 1S86, portant au-
torisation d'émettre, par voie Je souscription
puMiqu?, un emprunt de 000 millions ;
Considérant que le montant des souscrip-
tions s'est élevé à quatre cent un millions
huit cent dix-neuf mille cinq cent treize
francs (401,819,fi 13 francs) tie rente, et q ele
nombre des sou cripteurs a été de deiu cent
quarante-huit mille quatre cent sept (248,407);
Que , d'après l'article 37 de la lui du 27
juillet 1870, le minimum des rentes inscrip-
tibles nu grand livre de la dette publique du
fonds 3 0|0 a été fixé à 3 fr. de route;
Vu l'article 19 de l'arrêté ministériel du Ier
mai 1880, ainsi conçu:
« Si le montant des souscriptions dépasse
la somme de rente à aliéner, toutes les sou-
scriptions. quel qu'en soit le chiffre, seront
soumises à une réduction proportionnelle ;
» Toutefois, le ministre des finances se ré-
serve le droit de statuer en ce qui concerne
les souscriptions qui se trouveraient réduites
à 3 fr- ou au-dessous de 3 fr. de rente;
» Au-dessus de cette somme,, il ne sera
attribue en rente que 5 fr. ou des multiples
de 5-fr. Il ne sera pas tenu compte des frac-
fions qui donneraient droit à moins de 2 f.50
de rente ; les Tractions de 2 fr. 50 et au-
dessus seront comptées pour 5 fr. de rente»;
Considérant que le montant des re îles à
inscrire s'élève à la somme de dix-huit mil-
lions neuf cent quarante-sept mille trois cen t
so xante-huit (18,947,308 fr.);
Que la réduction proportionnelle fait échoir
à chacun des souscripteurs 4.5723 0/0 de sa
souscription,
Arrête :
Ariiele unique. - Il est alloué 3 fr. de rente
à toute souscription qui se trouve réduite à
moins de 3 fr. par l'application du coefficient
de réduction de 4.5725 0^0.
Les souscriptions auxquelles l'application de
ce taux attribuera un chiffre de rente supé-
rieur ¡\.3 fr. seront liquidées dan9 les condi-
tions énoncées au paragraphe 3 de l'article 10
visé ci-dessus.
Fait à Paris, le 19 mai 1886.
SADI-CARNOT.
Le Jou nal officiel public, en outre, l'a-
vis suivant :
Le public est prévenu, conformément à
l'article il de l'arrêté ministériel du 1er mai
4 8807. que les récépissés provisoires de fous-
eeiplicw) à l'emprunt national de tiûD millions
seront .échangés contre des. certificats d'em-
prunt au porteur munis de taloaa de verse-
ment :
A.Paris :à la caisse centrale du Trésor, à
partis du 27 mai 18S6. v
Dans les départements : à par ir du lundi 31
mai la8G inclusivement.
Les excédents de versement seront en
môme temps remboursés aux souscripteurs.
r"' ■»-— .-I ■ I — -'I .mw»
TRAVAUX D'ASSAINISSEMENT
C'est le vrai nom qu'il convient de don-
ner aux opérations de voirie parisienne
dont M. Mesureur, conseiller municipal,
vient de dresser la liste.
Cas opérations sont au nombre de 257;
l'exécution en est ou proposée par l'ad-
ministration, ou demandée par le conseil,
ou réclamée par des pétitionnaires. Il s'a-
git de décider lesquelles sont les plus ur-
gentes. On serait tenté de répondre
qu'elles le sont toutes également.
Mais, sitôt que les pouvoirs publics au-
ront définitivement autorisé l'emprunt de
2oO millions voté par le conseil, celui-ci
aura a se prononcer sur les travaux im-
médiatement exécutoires. Il faut donc
faire un chois. C'est l'administration pré-
fectorale qui s'est chnrgée de ce soin.
En première ligue de son mémoire, nous
voyons figurer l'achèvement de la rue
Mongo, achèvement demande avec ins-
tance depuis tant d'années, dans tous
leurs programmes électoraux, par les con-
seillers du 5e arrondissemen t, et qui ré-
pond, en effet, à de véritables besoins.
La rue Monge, qui est à peu près l'unique
déversoir de la rue de; Gobelins — la rue
Claude-Bernard étant peu fréquentée, sur-
tout à cause de sa pente rapide—, tombe,
à la hauteur du boulevard Saint-Germ iiii,
dans la place Maubert et se butte à un
fouillis presque inextricable de petites
rues noires et sales où la circulation est
impossible. Prolongée, elle éventreratout
ce quartier sordide, jettera bas les mai-
sons puantes et visqueuses do la rue de la
Bùelierie, çlc la rue de l'Hôtel-Colbert,
etc., etc., ira rejoindre le Pont-au-Double,
débouchera de la sorte en plein parvis
Notre-Dame, permettra de relier les tram-
ways-sud aux lignes da la rive droite et
désencombrera le boulevard Saint-Mi-
cbel.
Ce rapide exposé qui donne une idée
des services que rendra l'achèvement de
la rue Mongê, on pourrait le répéter pour
toutes les opérations proposées; pour le
remplacement des horribles petites rues
des Billetles, de l'Homme-Armé et du
Chausson par une voie de 15 mètres de
largeur, en prolongement de la rue des
Archives ; pour le percement de l'avenue
Ledru-Rollin, entre l'avenue Daumesnil
et la rue de Charenton; pour l'achève-
ment de l'avenue de la République, —
mais une qusiion se pose qu'on ne peut
éluder.
Il certain que 1 ouverture de nouvelles
voies et le remplacement par de larges et
spacieuses artères des boyaux infects où
ni l'air, ni la lumière ne pénètrent, auront
pour conséquence de donner aux terrains
en bordure uue plus-value considérable.
On peut, dès à présent, prévoir qu'à la
place des masures écroulées sous la
pioche des démolisseurs, s'élèveront de
grandes maisons à six étages, pourvues
de tout le luxe et de tout le confort mo-
dernes. C'est parfait, mais où se logeront
ies pauvres .,
L'autre jour, en traitant ce sujet au
point de vue général, nous postons déjà
ce point d'interrogation. Nous pouvons,
aujourd'hui, serrer la question, de plus
près. Certes, les travaux projetés sont
« d'assainissement » au premier chef,
parce que les immeubles qu'il s'agit de
jeter à bas, habités par une population
très dense, à qui il est matériellement
impossible de prendre les plus élémentai-
res précaut ons hygiéniques, constituent
autant de foyer3 de pestilence et d'infec-
tion, mais, une fois ces bouges à bas, où
cette population trouvera-telle gîte?
Qu'on y songe : à chaque « petit
terme », des charrettes à bras, où s'c-
chafuudent de chétifs mobiliers, montent
en grand nombre les avenues qui condui-
sent aux extrémités de Paris ; pas une ne
redescend vers le centre de la ville. C'est
un véritable mouvement d'émigration
dont personnellement nous avons pu ob-
server la périodicité. Paris se vide peu à
peu d'ouvriers ; ceux-ci, poussés sans
-cesse par l'impérieux besoin de restrein-
dre de plus en plus leurs,, dépenses, s'é-
cartent continuellement. Etant donnée la
difficulté actuelle des communications,
cela est éminemment préjudiciable à leurs'
intérêts. Or, cette situation va se trouver
aggravée. Il restait encore à Paris quel-
ques quartiers, point trop éloignés du
centre, où les ouvriers pouvaient trouver
à se loger, horriblement mal, c'est vrai.
Ce sont précisément ces quartiers qu'il
s'agit de supprimer. Et, encore une fois,
on a raison ae le vouloir faire. Ces opéra-
tions de voirie, exigée par la salubrité
publique, vont donner une nouvelle im-
pulsion aux affaires et fournir du travail
aux milliers de bras qui chôment. Mais
l'objection que nous venons de soulever
n'en subsiste pas moins.
Nous parlions tout à l'heure de la place
Maubert. 11 y a là un monde fangeux de
filles et de souteneurs. Certains établisse-
ments, tapis dans l'ombre des rues, bals-
musettes ou cabarets, ont une réputation
inquiétante. Souvent la police y opère
des descentes, et ne remonte jamais au
jour les mains vides. De nuit, le passant
attardé, forcé, de traverser ces régions
obscures, boutonne son paletot pour ca-
cher sa chaîne de montre et assure dans
son poing la pomme de sa canne, car de
vagues silhouettes, peu rassurantes, glis-
sent le long des murs. Oui ; mais à côté
de ce vice, pêle-mêle avec lui, dans une -
promiscuité lamentable, vit toute une mi-
sère honnête et laborieuse autant, que
possible, digne de tout notre intérêt. Au
jour de la démolition, Soyez-en sûrs, plus
d'un pauvre diable suivra d'un regard de
regret, dans leur chute, les moellons ron-
gés de crasse..
Tel est l'écueil que nous croyons devoir
signaler. Assurément, nous avons, comme
tout le monde, hâte de voir commencer
les grands travaux d'édilité parisienne,
mais les questions de ce genre sont com-
plexes. A peine croit-on avoir trouvé une
solution que de nouvelles difficultés sur-
gissent. — Il nous paraît indispensable
que le conseil municipal, en même temps
qu'il donnera le signal du premier coup
de pic, reprenne l'étude des logements à
bon marché.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
————————— ——————-——
LES TOUAREGS
Le massacre de l'expédition Flatters,
l'assassinat tout récent du lieutenant Pa-
1at ne sont plus, semble-t-il, que le fait de
quelques Maures cupides et pillards. On
serait peut-être plus près de la vérité en
considérant ces actes criminels comme
l'exécution d'un plan systématique dont
l'objet est d'empêcher tout Européen de
passer de l'Algérie dans la vallée du Niger.
L'intérêt des Touaregs dans cette affaire
est bien évident. Ces pirates du désert
jouent dans le Sahara le rôle qu'avant
1830 les Algériens jouaient dans la Médi-
terranée. Leur unique moyen d'existence,
c'est le rançonnement des caravanes tri-
politaines et marocaines. Le jour où nous
aurons réussi à créer à travers le désert
une route commercia'e, ils savent qu'il
leur faudra renoncer à cette prébende et
et ils font tout, naturellement, pour nous
dégoûter de l'entreprise.
Et cependant combien ne serait-il pas
utile d'ouvrir aux produits français le
marché si important du Soudan ? Le tout
est de savoir comment y arriver ? Engager
une grande expédition contre les Touaregs,
il n'y faut évidemment pas songer. Alors,
que faire ? Certains de nos confrères ré-
pondent : traiter. Les négociations de-
vraie t être engagées en notre nom par
plusieurs des grands chefs des tribus du
désert placées sous notre protection, les
Ouled-Sidi-Cheik par exemple. On propo-
serait aux chefs touaregs de leur accorder
un fort droit de passage sur toutes les
marchandises et on leur garantirait leur
indépendance. Au cas où l'entreprise
échouerait, on pourrait alors examiner
s'il ne conviendrait pas de charger quel-
qu'une de nos grandes tribus sahariennes
de la mission de police devant laquelle
nous sommes nous-mêmes obligés de
reculer.
Le Siècle, qui met en avant cette idée,
ne dissimule pas qu'on a peu de chances
d'obtenir par voie pacifique une mesure
qui troublerait aussi profondément les
habitudes de ces pillards invétérés. Si la
guerre et la paix sont également exclues,
que reste-t-il? Il reste une chose fort
simple, c'est de prendre nos ennemis par
quelque chose de plus terrible que la fa-
mine, la soif. Occuper les puits, les oasis
serait une opération relativement facile à
Feuilleton du KAPPEL
bu 22 MAI
0
52
LA MAITRESSE
DU GÉNÉRAL
CHAPITRE XV
La lettre de Beaugran continuait :
« A moins d'une secousse que je ne
prévois plus, Lucien se développera fai-
ble, frêle, aimable, sans mériter d'être
aimé d'un autre cœur que le mien; car si
je mourais aujourd'hui, tu veillerais sur
lui par devoir, mais je ne pourrais pas te
le léguer tout entier.
» Je lui pardonnerais tout, entends-tu
bien? tout, si un excès, une passion, dé-
rangeait cette indolence, secouait cet
énervement. Mais on dirait qu'il a dans
la conscience, dans le cerveau, une raie
pommadée comme celle de ses cheveux,
et qu'il a peur d'en déranger quelque
chose. Parfois, le croirais-tu? je voudrais
le voir en extase, pis que cela, en furie,
devant une belle Italienne. Si je con-
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 27 mars au 2i mal..
naissais un vice qui pût lui donner une
heure de flamme, dans une heure de vo-
Iupté, je l'y enverrais. Tout, plutôt que
cette apathie. Ah ! ce n'est pas de sa m: î-
tresse que celui-là me fait rougir 1
» Quelle France stérile sortira de cette
génération ! Quelle absence de talent, de
courage! Te souviens-tu de nos belles
turbulences d'écoliers ? Malheur au pays
où l'utopie fait peur aux enfants 1
» Quoi qu'il arrive; de quelque manière
que nous sortions du régime actuel, nous
allons à un désastre moral. J'ai expié
dans ma piété filiale la gloire du premier
empire; je m'attends à expier dans ma
foi paternelle les pompes et les œuvres du
'second empire.
» Je l'aime ce pauvre .enfant; mais
comme je hais sa jeunesse ! Si je pouvais
lui enlever îa peau, l'affubler d'un épi-
derme viril, peut-être qu'une âme meil-
leure, se sentant mieux abritée, entrerait
en lui.
» Je n ai rien à faire ici. Tu m'assures
que je n'ai rien à faire à Paris. Si tu ju-
geais que mon autre enfant ait besoin do
moi, j'emporterais celui ci et je cour-
rais à l'autre. Quand tu m'appelleras, je
partirai. Jusque-là, j'attends que les heu-
res, que les jours passent, avant cette
ironie du printemps qui sera sans pro-
messe pour moi. »
Beaugran, bien qu'il n'espérât plus ob-
tenir du séjour en Italie l'effet souhaité, y
resta cependant, jusqu'au printemps com-
mencé de l'année 1870.
On eût dit qu'à bout de ressources, en
piétinant ainsi, sans se résoudre à revenir
en France, il voulait exaspérer son fils, le
forcer à l'impatience et avoir à se réjouir
d'une évasion de Lucien qui eût été un
t premier effort de sa volonté.
Mais Lucien, dilaté et non exalté par le
climat, autant qu'ennuyé par celte con-
templation prolongée, bâillait son ennui
et ne se révoltait pas.
Une lettre de Galimard qui signalait une
mélancolie inaccoutumée sur le visage du
général de Proverviile, des symptômes d'in-
quiétude dans Angèle do Guimaraës et une
attitude triomphante dans Cabezon, parut à
Beaugran un appel direct. Il revint à Paris
dans les premiers jours de mai, tout juste
à temps pour voter non au plébiscite du
8 mai.
- Il va sans dire que le général volait oui,
avec assurance, et que si Lucien se dé-
cida à faire la course de son appartement
au bureau électoral, ce fut pour voter
comme son grand-père.
,- Léopold n'eût pas été embarrassé pour
motiver patriotiquement son vote qui
était d'accord avec la majorité des pari-
siens. Mais la grande raison, c'était la ran-
cune contre un régime qui lui avait donné
un père révolté et un fils trop dompté.
Il était un peu honteux de revoie An-
gèle, pour avouer sa défaite. L'inquiétude
signalée par Galimard l'alarmait par-des-
sus tout. Mais il lui fut impossible de
constater d'abord autre chose qu'une
joie sincère dans l'accueil de sa jeune
amie.
— Enfin! lui dit-elle avec un sourire,
ç'a été bien long !
- Je suis revenu trop tôt, puisque je
reviens comme je suis parti.
— En vérité 1 alors je suis condamnée à
M. Cabezon, ou au célibat.
Un défi héroïque s'allumait dans ses
yeux.
— Que se passe-t-il avec M. Cabezon ?
dçmanda Beaugran subitement jaloux.
- Il en est aux complots de meurtre
ou d'enlèvement, répliqua la jeune fille
avec un rire méprisant. Oh! le siège a été
fait en règle. Je suis enveloppée. Mais
ce n'est pas cela qui me trouble. Ma mère,
qui au fond ne tient pas plus à M. Ca-
bezon qu'à un autre, m'a signifié pour-
tant que j'avais à prendre un parti avant
un mois d'ici. Il paraît que M. Cabezon
veut liquider ce report perpétuel de ses
espérances.
— Vous avez accepté ce délai?
Angèle fronça le sourcil. Sa bouche
s'amincit et pâlit.
— Oui. J'ai accepté, parce que d'ici un
mois il arrivera sans doute un événement
qui me délivrera.
— Quel événement?
Angèle hésita, et sans vouloir mentir,
mais ne voulant pas trahir les secrets ma-
ternels :
— L'empire est en baisse à la mai-
son. Il se peut qu'on n'attende pas sa
chute, pour se mettre ailleurs à la hausse.
On parle d'une saison aux eaux d'Ems.
— Vous partiriez? demanda Beaugran
avec angoisse.
Avait-il peur, ma'gré les renseigne-
ments donnés par Mme Berlhelin, que
Mlle de Guimaraës fût contrainte de suivre
sa mère? Songeait-il au chagrin qlle ce
départ causerait à son père, qu'il avait vu
le matin, et qu'il avait trouvé fort triste?
Mais Angèle reprit avec une gaieté vail-
lante ;
- Qui vous dit que je patiraits? Mais si
la comtesse de Guimaraës' prolonge son
séjour à Ems, je défie. M. Cabezon de
m'enlever, à moins qu'il ne trouve le
moyen de retenir ici tout le monde sous
sa patte. N'est-il pas étrange qu'un
homme si grotesque puisse être dange-
rcux?
En àédt de son courage, Angèle avait
baissé la voix qui vibrait de colère et de
dégoût.
— Je vous en prie, lui dit vivement
Léopold, si vous savez quelque chose
concernant cet homme, ne craignez pas
de me le dire.
— Je ne sais rien de plus que ce que
vous savez, comme moi. Il me révolte
par son humilité en me parlant, par l'au-
torité qu'il prend,en parlant aux autres.
Je perds de mon honneur en muselant
mon mépris.
— Excusez la question que je vais vous
faire, reprit Beaugran, mais elle justifie
mon tourment,.. Croyez-vous que mon
père ?.
Angèle ne le laissa pas achever, et
nerveusement :
— Oui, le général a aussi un secret en
dépôt chez Cabezqn.
— Un secret? repartit Léopold, alarmé.
- - Je le pense, car si c'était une dette
d'argent, votre père vous l'avouerait.
— Avez-vous un indice?
— Je surprends des regards d'effroi
quand il entre, des soupirs d'allégement
quand il part. Ah ! quand cela finira-
t-il ?
Elle joignit les deux mains avec force.
Gulimard ne s'était pas trompé. Mlle
de Guimaraës avait une inquiétude qui
dépassait sa raison, sa fierté, son intrépi-
dité naturelle. Elle avait comme des
coups de pâleur, et sa bouche souriait
avec une sorte de colère; quel secret
cachait elle on refusait-elle de confier,
en laissant voir qu'elle eût été brûlée au
cœur?
Après quelque3 minutes de silence,
comme ils étaient assis sur un banc, dans
un recoin de la cour plantée, au-dessous
d'un lilas, Beaugran jaisit les bras de la
jeune fille, et d'un ton de reproche pa-
ternel :
— Vous ne me dites pas tout? N'ai-je
pas mérité toute votre confiance?
— Que voulez-vous savoir? Interrogez-
moi; je répondrai. Mais je crois bien ne
rien cacher. J'ai plutôt des pressentiments
que des soupçons; je me dis que je suis
sotte de m'alarmer. Mais je ne veux
plus prendre mon parti de choses qui
m'étaient indifférentes autrefois. La soli-
tude m'était bonne; elle me pèse, elle
m'est mauvaise. Quand je me croyais
méprisée de vous autres, je me raidissais
et ma conscience, sans me consoler, me
donnait de la force. Votre estime me rend
timide; vos promesses me rendent peureu-
se. Je ne vous cache rien. Si j'avais une
pensée précise à vous confier, je vous la li-
vrerais. Tenez, je vais vous parler comme à
un confesseur. J'ai un ennui que je croyais
impossible, une irritation contre cet en-
nai dont je me croyais incapable. Ne
l'aurais-je plus, si vous m'aviez ramené
un fiancé? Ne dites pas que je suis co-
quette ! mais j'ai pensé de bonne foi à ce
que vous m'aviez dit en partant, et, vous
ayant donné ma parole, je rêvais à la
récompense que j'en recevrais. J'ai trouvé
le temps long, pendant votre absence, et
pourtant je l'aurais volontiers prolongée,
si j'avais pu me persuader que vous re-
viendriez victorieux. Enfin ! je suis peut-
être une jeune fille comme toutes les
autres!.
LOUIS ULBAGIU]
[A suivra)
k J *'-
ADMINISTRATION
i8, RTJE DE VALOIS, 18
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 10 »
Six mois. 20 »
f I
DEPARTEMENTS , 1
Trois mois. 13 50
Six moi s • •• 27 ))
-
Adresser lettres et mandats
A M, ERNEST LEFÈVRE
ADMINISTRATEUR GÉRANT -
LE RAPPEL
; RÉDACTION ,
-" ,.
) .S'adresser au Secrétaire clelaRéclactioiL
," De it à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
Les manuscrits non insérés ne seront pasrenaus
ANNONCES
j tttf. Ch. LAGRANGE, CERF et ce
6, place de la Bourse 6
CHATEAUX EN ESPAGNE ;
., La semaine dernière, l'Espagne avait
une reine de cinq ans ; cette semaine,
elle a un loi de tinq jours.
Alphonse XII en mourant ne laissait
qu'une fille, mais il laissait la reine
grosse. De qui accoucherait-elle? Si
c'était d'une seconde fille, la première
était reine et avait dans son berceau
deux joujoux, sa poupée et l'Espagne.
Si c'était d'un ga»çon, la petite reine
tombait sujotle. Singulière situation
pour une mie de ne pas savoir ce qu'elle
est et si elle a à commander ou à obéir;
situation singulière pour des millions
d'hommes de ne pas même savoir de
qui ils sont le troupeau et s'ils appar-
tiennent à une fille ou à un garçon.
On sait le mot de l'ahuri qui demande
à un visiteur : — « Est-ce à vous ou à
monsieur votre frère que j'ai l'honneur
de parler? » Le grand peuple espagnol
disait à la petite Mercédès : -,Est-ce
à vous ou à monsieur votre frère que
j'ai l'honneur de prêter serment?
A l'heure qu'il est, les Espagnols
connaissent le sexe de leur proprié-
taire, mais ils ignorent encore son nom,
et voici le serment dont les sénateurs
nous ont donné la comédie : — « Rien
n'étant encore décidé au sujet du nom
du nouveau roi, nous jurons fidélité et
obéissance au roi d'Espagne successeur
d'Alphonse XII. »
Ce n'est pas la première fois qu'un
héritier de couronne vient au monde
après la mort de son père. Ces nais-
sances utiles ont souvent donné lieu à
des soupçons. L'accouchement pos-
thume de la régente Christine n'en a pro-
voqué aucun, Elle n'a pas eu besoin
de faire ce qu'a frit chez nous la du-
thesse de Berl y à la naissance du comte
de Chambcrd. -
La duchesse fit venir le plus de té-
moins possible : des valets de pie 1, des
grenadiers de la garde nationale, un
garde-du- corps, le duc d'Albuféra. La
duchesse ne vou^itpas que le cordon fut
coupé avant que tout le monde n'eût
tout vu. Jelaisse parler l'accoucheur, le
docteur Deneux : — « Elle se mit tout à
nu des pieds à la tète, en écartant
même. » J'en passe. Le médecin dans
les mots br'ave l'honnêteté ; mais le
lecteur profane veut être respecté.
« Comme plusieurs gardes nationaux
se trouvaient, peut-être par décence
autant que par respect, à une certaine
distance du lit, la Princesse, qui peut-
être aussi s'aperçut de la surprise qu'ils
éprouvaient qu'une femme de son rang
osât, en présence de tant de monde,
s'affranchir de toutes les lois de la pu-
deur, letm dit: — Ne craignez rien,
messieurs ; approchez et voyez. »
Cet excès d'exhibition ne produisit
pas tout l'effet qu'on en avait espéré.
Car on avait promis cinquante mille
francs à Deneux, et on ne les lui donna
pas, de peur de faire dire qu'il les avait
trop bien gagnés., « Sa Majesté, préfé-
rant aux intérêts dé l'accoucheur ceux
de son petit-neveu, s'est déterminée
dans des vues faciles à entrevoir », dit
mélancoliquement Deneux dans son
journal. Cette économie ne fut pas plus
heureuse que l'exhibition : « La famille
royale, en se privant de nous donner
une preuve de générosité qui, à la
naissance d'un prince, est non-seule-
ment de convenance, mais même d'u-
sage, devait croire ou tout au moins
espérait atteindre le but qu'elle se pro-
posait : il n'en fut rien.»
La régente d'Espagne n'a pas eu à
prendre toutes les précautions de la
duchesse de Berry. Elle a laissé couper
le cordon sans appeler la garde natio-
nale. Elle ne s'est pas montrée nue
des pieds à îa tête en invitant les assis-
tants à venir l'examiner de plus - pwè-,.-
La seule nudité qu'elle ait étalée est
celle du nouveau-né, dont la duchesse
de Mé dîna-Sidouia, M. Canovas et M.
Martos ont fait constater -le sexe aux
personnages présents. Il n'était pas
nécessaire de combattre d'avance un
doute qui ne pouvait venir à personne.
Quel sera le sort du fils posthume
d'Alphonse XII? On sait quel a été ce-
lui du fils posthume du duc de Berry.
Il n'avait pas dix ans, qu'une révolu-
tion l'expulsait de France; il passa
quelque temps en Ecosse, dans ce som-
bre château d'IIolyrood, sanglant des
meurtres de Rizzio et de Darnley, puis
s'en alla végé'er à Gorilz, où, après
cinquante ans d'exil, il est mort.
Lorsque le petit garçon qui vient de
naître à Madrid sera en Age de com-
prendre, il sera bon de lui faire lire
cette histoire, qui pourra bien ressem-
bler à la sienne.
AUGUSTE VACQDERIE.
I* ■* !«■ ■ ■
Les ministres se sont réunis hier malin,
au ministère des affaires étrangères, en
conseil de cabinet, sous la présidence de
M. de Freycinet.
Le ministre des affaires étrangères a
rendu compte de la situation en Orient.
Elle ne s'est pas modifiée. On attend la
décision des Chambres grecques.
M. Sarrien a fait connaître que les de-
mandes d'embauchage commuaient à De-
cazeville.
26 mineurs sont nouvellement rentrés ;
452 ouvriers ont repris le travail.
M. Baïhaut, ministpe des travaux pu-
blics, a entretenu le conseil des notes
publiées par certains journaux sur le ca..
nal de Panama. Il s'e:t montré notam-
ment très ému de la divulgation d'une
pièce confidentielle de son ministère. Le
conseil a décidé qu'une instruction judi-
ciaire serait ouverte sur ces faits.
Le conseil a maintenu, d'ailleurs, la
décision qu'il avait prise antérieurement
d'attendre, pour statuer sur la demande
de la compagnie de Panama, que celle-ci
lui ait fourni les documents qu'il a ré.
clamés. -
i w» ■ « 'f *1 —
COULISSES DES CHAMBRES
-, r'
Le conseil des ministres s'est réuni hier,
mais il n'a pas repris l'examen de la ques-
tion des princes. C'est seulement au con-
seil de demain samedi ou à celui de mar-
di prochain qu'il s'occupera de nouveau
de la question pour arrêter ses résolutions
en vue de la rentrée des Chambres.
-0-
Nous avons annoncé que M. Lockroy
préparait un projet de loi organisant, sur
19 modèle de la loi anglaise, l'arbitrage en
vue de prévenir les conflits entre ouvriers
et patrons.
Le ministre du commerce et de l'indus-
trie a achevé l'élaboration de ce projet,
qu'il sera en mesure de déposer dès la
rentrée sur le bureau de la Chambre. Ce
projet sera contresigné par le ministre
des travaux publics.
Il se borne, ainsi que nous l'avons déjà
dit — à organiser une procédure très
'simple, de manière à faciliter l'usage de
l'arbitrage. Voici quel est l'esprit de cette
procédure :
Celle des deux parties - ouvriers ou
patrons — qui veut recourir il l'arbitrage
pour le règlement d'un conflit fait une
déclaration en ce sens devant ie. maire de
la commune.
Ce magistrat municipal est tenu alors
de notifier à l'autre partie la demande à
fin d'arbitrage, afiu que les arbitres puis-
sent être choisis par les parties.
Si l'une des parties refuse de se prêter
à l'arbitrage, le maire le constate dans un
récépissé qui enregistre le refus et en in-
dique les motifs. Ce récépissé est remis à
la partie qui a formé la demande d'arbi-
trage.
Ati cas où les deux parties ont consenti
à l'arbitrage, la sentence des arbitres est
rédigée en double exemplaire; l'un de ces
exemplaires est remis aux intéressés.
L'autre exemplaire est envoyé an mi-
nistère du commerce et de l'industrie.
Ce ministère, en effet, sera appelé à
grouper toutes les sentences arbitrales
ainsi rendues de manière à en constituer
la collection complète en vue de mettre
en lumière la propagande qui s'en déga-
gera et qui pourra être consultée dans la
suite pour le règlement des autres conflits
qui pourraient se produire ultérieurement.
Comme on le voit, ce projet ne comporte
aucune sanction. Il codifie seulement les
règles de l'arbitrage, dont le principe est
de droit commun. Le but du projet est
d'introdnire dans nos mœurs ce mode de
règlement des en le rendant ac-
cessible à tous.
Le Journal officiel publie l'arrêté sui-
vant, rendu par le ministre des finances,
et qui ilxe la répartition de l'emprunt de
500 millions, conformément aux rensei-
gnements que nous avons donnés hier :
Le ministre des finances,
Vu le décret du 1er mai 1S86, portant au-
torisation d'émettre, par voie Je souscription
puMiqu?, un emprunt de 000 millions ;
Considérant que le montant des souscrip-
tions s'est élevé à quatre cent un millions
huit cent dix-neuf mille cinq cent treize
francs (401,819,fi 13 francs) tie rente, et q ele
nombre des sou cripteurs a été de deiu cent
quarante-huit mille quatre cent sept (248,407);
Que , d'après l'article 37 de la lui du 27
juillet 1870, le minimum des rentes inscrip-
tibles nu grand livre de la dette publique du
fonds 3 0|0 a été fixé à 3 fr. de route;
Vu l'article 19 de l'arrêté ministériel du Ier
mai 1880, ainsi conçu:
« Si le montant des souscriptions dépasse
la somme de rente à aliéner, toutes les sou-
scriptions. quel qu'en soit le chiffre, seront
soumises à une réduction proportionnelle ;
» Toutefois, le ministre des finances se ré-
serve le droit de statuer en ce qui concerne
les souscriptions qui se trouveraient réduites
à 3 fr- ou au-dessous de 3 fr. de rente;
» Au-dessus de cette somme,, il ne sera
attribue en rente que 5 fr. ou des multiples
de 5-fr. Il ne sera pas tenu compte des frac-
fions qui donneraient droit à moins de 2 f.50
de rente ; les Tractions de 2 fr. 50 et au-
dessus seront comptées pour 5 fr. de rente»;
Considérant que le montant des re îles à
inscrire s'élève à la somme de dix-huit mil-
lions neuf cent quarante-sept mille trois cen t
so xante-huit (18,947,308 fr.);
Que la réduction proportionnelle fait échoir
à chacun des souscripteurs 4.5723 0/0 de sa
souscription,
Arrête :
Ariiele unique. - Il est alloué 3 fr. de rente
à toute souscription qui se trouve réduite à
moins de 3 fr. par l'application du coefficient
de réduction de 4.5725 0^0.
Les souscriptions auxquelles l'application de
ce taux attribuera un chiffre de rente supé-
rieur ¡\.3 fr. seront liquidées dan9 les condi-
tions énoncées au paragraphe 3 de l'article 10
visé ci-dessus.
Fait à Paris, le 19 mai 1886.
SADI-CARNOT.
Le Jou nal officiel public, en outre, l'a-
vis suivant :
Le public est prévenu, conformément à
l'article il de l'arrêté ministériel du 1er mai
4 8807. que les récépissés provisoires de fous-
eeiplicw) à l'emprunt national de tiûD millions
seront .échangés contre des. certificats d'em-
prunt au porteur munis de taloaa de verse-
ment :
A.Paris :à la caisse centrale du Trésor, à
partis du 27 mai 18S6. v
Dans les départements : à par ir du lundi 31
mai la8G inclusivement.
Les excédents de versement seront en
môme temps remboursés aux souscripteurs.
r"' ■»-— .-I ■ I — -'I .mw»
TRAVAUX D'ASSAINISSEMENT
C'est le vrai nom qu'il convient de don-
ner aux opérations de voirie parisienne
dont M. Mesureur, conseiller municipal,
vient de dresser la liste.
Cas opérations sont au nombre de 257;
l'exécution en est ou proposée par l'ad-
ministration, ou demandée par le conseil,
ou réclamée par des pétitionnaires. Il s'a-
git de décider lesquelles sont les plus ur-
gentes. On serait tenté de répondre
qu'elles le sont toutes également.
Mais, sitôt que les pouvoirs publics au-
ront définitivement autorisé l'emprunt de
2oO millions voté par le conseil, celui-ci
aura a se prononcer sur les travaux im-
médiatement exécutoires. Il faut donc
faire un chois. C'est l'administration pré-
fectorale qui s'est chnrgée de ce soin.
En première ligue de son mémoire, nous
voyons figurer l'achèvement de la rue
Mongo, achèvement demande avec ins-
tance depuis tant d'années, dans tous
leurs programmes électoraux, par les con-
seillers du 5e arrondissemen t, et qui ré-
pond, en effet, à de véritables besoins.
La rue Monge, qui est à peu près l'unique
déversoir de la rue de; Gobelins — la rue
Claude-Bernard étant peu fréquentée, sur-
tout à cause de sa pente rapide—, tombe,
à la hauteur du boulevard Saint-Germ iiii,
dans la place Maubert et se butte à un
fouillis presque inextricable de petites
rues noires et sales où la circulation est
impossible. Prolongée, elle éventreratout
ce quartier sordide, jettera bas les mai-
sons puantes et visqueuses do la rue de la
Bùelierie, çlc la rue de l'Hôtel-Colbert,
etc., etc., ira rejoindre le Pont-au-Double,
débouchera de la sorte en plein parvis
Notre-Dame, permettra de relier les tram-
ways-sud aux lignes da la rive droite et
désencombrera le boulevard Saint-Mi-
cbel.
Ce rapide exposé qui donne une idée
des services que rendra l'achèvement de
la rue Mongê, on pourrait le répéter pour
toutes les opérations proposées; pour le
remplacement des horribles petites rues
des Billetles, de l'Homme-Armé et du
Chausson par une voie de 15 mètres de
largeur, en prolongement de la rue des
Archives ; pour le percement de l'avenue
Ledru-Rollin, entre l'avenue Daumesnil
et la rue de Charenton; pour l'achève-
ment de l'avenue de la République, —
mais une qusiion se pose qu'on ne peut
éluder.
Il certain que 1 ouverture de nouvelles
voies et le remplacement par de larges et
spacieuses artères des boyaux infects où
ni l'air, ni la lumière ne pénètrent, auront
pour conséquence de donner aux terrains
en bordure uue plus-value considérable.
On peut, dès à présent, prévoir qu'à la
place des masures écroulées sous la
pioche des démolisseurs, s'élèveront de
grandes maisons à six étages, pourvues
de tout le luxe et de tout le confort mo-
dernes. C'est parfait, mais où se logeront
ies pauvres .,
L'autre jour, en traitant ce sujet au
point de vue général, nous postons déjà
ce point d'interrogation. Nous pouvons,
aujourd'hui, serrer la question, de plus
près. Certes, les travaux projetés sont
« d'assainissement » au premier chef,
parce que les immeubles qu'il s'agit de
jeter à bas, habités par une population
très dense, à qui il est matériellement
impossible de prendre les plus élémentai-
res précaut ons hygiéniques, constituent
autant de foyer3 de pestilence et d'infec-
tion, mais, une fois ces bouges à bas, où
cette population trouvera-telle gîte?
Qu'on y songe : à chaque « petit
terme », des charrettes à bras, où s'c-
chafuudent de chétifs mobiliers, montent
en grand nombre les avenues qui condui-
sent aux extrémités de Paris ; pas une ne
redescend vers le centre de la ville. C'est
un véritable mouvement d'émigration
dont personnellement nous avons pu ob-
server la périodicité. Paris se vide peu à
peu d'ouvriers ; ceux-ci, poussés sans
-cesse par l'impérieux besoin de restrein-
dre de plus en plus leurs,, dépenses, s'é-
cartent continuellement. Etant donnée la
difficulté actuelle des communications,
cela est éminemment préjudiciable à leurs'
intérêts. Or, cette situation va se trouver
aggravée. Il restait encore à Paris quel-
ques quartiers, point trop éloignés du
centre, où les ouvriers pouvaient trouver
à se loger, horriblement mal, c'est vrai.
Ce sont précisément ces quartiers qu'il
s'agit de supprimer. Et, encore une fois,
on a raison ae le vouloir faire. Ces opéra-
tions de voirie, exigée par la salubrité
publique, vont donner une nouvelle im-
pulsion aux affaires et fournir du travail
aux milliers de bras qui chôment. Mais
l'objection que nous venons de soulever
n'en subsiste pas moins.
Nous parlions tout à l'heure de la place
Maubert. 11 y a là un monde fangeux de
filles et de souteneurs. Certains établisse-
ments, tapis dans l'ombre des rues, bals-
musettes ou cabarets, ont une réputation
inquiétante. Souvent la police y opère
des descentes, et ne remonte jamais au
jour les mains vides. De nuit, le passant
attardé, forcé, de traverser ces régions
obscures, boutonne son paletot pour ca-
cher sa chaîne de montre et assure dans
son poing la pomme de sa canne, car de
vagues silhouettes, peu rassurantes, glis-
sent le long des murs. Oui ; mais à côté
de ce vice, pêle-mêle avec lui, dans une -
promiscuité lamentable, vit toute une mi-
sère honnête et laborieuse autant, que
possible, digne de tout notre intérêt. Au
jour de la démolition, Soyez-en sûrs, plus
d'un pauvre diable suivra d'un regard de
regret, dans leur chute, les moellons ron-
gés de crasse..
Tel est l'écueil que nous croyons devoir
signaler. Assurément, nous avons, comme
tout le monde, hâte de voir commencer
les grands travaux d'édilité parisienne,
mais les questions de ce genre sont com-
plexes. A peine croit-on avoir trouvé une
solution que de nouvelles difficultés sur-
gissent. — Il nous paraît indispensable
que le conseil municipal, en même temps
qu'il donnera le signal du premier coup
de pic, reprenne l'étude des logements à
bon marché.
LUCIEN VICTOR-MEUNIER.
————————— ——————-——
LES TOUAREGS
Le massacre de l'expédition Flatters,
l'assassinat tout récent du lieutenant Pa-
1at ne sont plus, semble-t-il, que le fait de
quelques Maures cupides et pillards. On
serait peut-être plus près de la vérité en
considérant ces actes criminels comme
l'exécution d'un plan systématique dont
l'objet est d'empêcher tout Européen de
passer de l'Algérie dans la vallée du Niger.
L'intérêt des Touaregs dans cette affaire
est bien évident. Ces pirates du désert
jouent dans le Sahara le rôle qu'avant
1830 les Algériens jouaient dans la Médi-
terranée. Leur unique moyen d'existence,
c'est le rançonnement des caravanes tri-
politaines et marocaines. Le jour où nous
aurons réussi à créer à travers le désert
une route commercia'e, ils savent qu'il
leur faudra renoncer à cette prébende et
et ils font tout, naturellement, pour nous
dégoûter de l'entreprise.
Et cependant combien ne serait-il pas
utile d'ouvrir aux produits français le
marché si important du Soudan ? Le tout
est de savoir comment y arriver ? Engager
une grande expédition contre les Touaregs,
il n'y faut évidemment pas songer. Alors,
que faire ? Certains de nos confrères ré-
pondent : traiter. Les négociations de-
vraie t être engagées en notre nom par
plusieurs des grands chefs des tribus du
désert placées sous notre protection, les
Ouled-Sidi-Cheik par exemple. On propo-
serait aux chefs touaregs de leur accorder
un fort droit de passage sur toutes les
marchandises et on leur garantirait leur
indépendance. Au cas où l'entreprise
échouerait, on pourrait alors examiner
s'il ne conviendrait pas de charger quel-
qu'une de nos grandes tribus sahariennes
de la mission de police devant laquelle
nous sommes nous-mêmes obligés de
reculer.
Le Siècle, qui met en avant cette idée,
ne dissimule pas qu'on a peu de chances
d'obtenir par voie pacifique une mesure
qui troublerait aussi profondément les
habitudes de ces pillards invétérés. Si la
guerre et la paix sont également exclues,
que reste-t-il? Il reste une chose fort
simple, c'est de prendre nos ennemis par
quelque chose de plus terrible que la fa-
mine, la soif. Occuper les puits, les oasis
serait une opération relativement facile à
Feuilleton du KAPPEL
bu 22 MAI
0
52
LA MAITRESSE
DU GÉNÉRAL
CHAPITRE XV
La lettre de Beaugran continuait :
« A moins d'une secousse que je ne
prévois plus, Lucien se développera fai-
ble, frêle, aimable, sans mériter d'être
aimé d'un autre cœur que le mien; car si
je mourais aujourd'hui, tu veillerais sur
lui par devoir, mais je ne pourrais pas te
le léguer tout entier.
» Je lui pardonnerais tout, entends-tu
bien? tout, si un excès, une passion, dé-
rangeait cette indolence, secouait cet
énervement. Mais on dirait qu'il a dans
la conscience, dans le cerveau, une raie
pommadée comme celle de ses cheveux,
et qu'il a peur d'en déranger quelque
chose. Parfois, le croirais-tu? je voudrais
le voir en extase, pis que cela, en furie,
devant une belle Italienne. Si je con-
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 27 mars au 2i mal..
naissais un vice qui pût lui donner une
heure de flamme, dans une heure de vo-
Iupté, je l'y enverrais. Tout, plutôt que
cette apathie. Ah ! ce n'est pas de sa m: î-
tresse que celui-là me fait rougir 1
» Quelle France stérile sortira de cette
génération ! Quelle absence de talent, de
courage! Te souviens-tu de nos belles
turbulences d'écoliers ? Malheur au pays
où l'utopie fait peur aux enfants 1
» Quoi qu'il arrive; de quelque manière
que nous sortions du régime actuel, nous
allons à un désastre moral. J'ai expié
dans ma piété filiale la gloire du premier
empire; je m'attends à expier dans ma
foi paternelle les pompes et les œuvres du
'second empire.
» Je l'aime ce pauvre .enfant; mais
comme je hais sa jeunesse ! Si je pouvais
lui enlever îa peau, l'affubler d'un épi-
derme viril, peut-être qu'une âme meil-
leure, se sentant mieux abritée, entrerait
en lui.
» Je n ai rien à faire ici. Tu m'assures
que je n'ai rien à faire à Paris. Si tu ju-
geais que mon autre enfant ait besoin do
moi, j'emporterais celui ci et je cour-
rais à l'autre. Quand tu m'appelleras, je
partirai. Jusque-là, j'attends que les heu-
res, que les jours passent, avant cette
ironie du printemps qui sera sans pro-
messe pour moi. »
Beaugran, bien qu'il n'espérât plus ob-
tenir du séjour en Italie l'effet souhaité, y
resta cependant, jusqu'au printemps com-
mencé de l'année 1870.
On eût dit qu'à bout de ressources, en
piétinant ainsi, sans se résoudre à revenir
en France, il voulait exaspérer son fils, le
forcer à l'impatience et avoir à se réjouir
d'une évasion de Lucien qui eût été un
t premier effort de sa volonté.
Mais Lucien, dilaté et non exalté par le
climat, autant qu'ennuyé par celte con-
templation prolongée, bâillait son ennui
et ne se révoltait pas.
Une lettre de Galimard qui signalait une
mélancolie inaccoutumée sur le visage du
général de Proverviile, des symptômes d'in-
quiétude dans Angèle do Guimaraës et une
attitude triomphante dans Cabezon, parut à
Beaugran un appel direct. Il revint à Paris
dans les premiers jours de mai, tout juste
à temps pour voter non au plébiscite du
8 mai.
- Il va sans dire que le général volait oui,
avec assurance, et que si Lucien se dé-
cida à faire la course de son appartement
au bureau électoral, ce fut pour voter
comme son grand-père.
,- Léopold n'eût pas été embarrassé pour
motiver patriotiquement son vote qui
était d'accord avec la majorité des pari-
siens. Mais la grande raison, c'était la ran-
cune contre un régime qui lui avait donné
un père révolté et un fils trop dompté.
Il était un peu honteux de revoie An-
gèle, pour avouer sa défaite. L'inquiétude
signalée par Galimard l'alarmait par-des-
sus tout. Mais il lui fut impossible de
constater d'abord autre chose qu'une
joie sincère dans l'accueil de sa jeune
amie.
— Enfin! lui dit-elle avec un sourire,
ç'a été bien long !
- Je suis revenu trop tôt, puisque je
reviens comme je suis parti.
— En vérité 1 alors je suis condamnée à
M. Cabezon, ou au célibat.
Un défi héroïque s'allumait dans ses
yeux.
— Que se passe-t-il avec M. Cabezon ?
dçmanda Beaugran subitement jaloux.
- Il en est aux complots de meurtre
ou d'enlèvement, répliqua la jeune fille
avec un rire méprisant. Oh! le siège a été
fait en règle. Je suis enveloppée. Mais
ce n'est pas cela qui me trouble. Ma mère,
qui au fond ne tient pas plus à M. Ca-
bezon qu'à un autre, m'a signifié pour-
tant que j'avais à prendre un parti avant
un mois d'ici. Il paraît que M. Cabezon
veut liquider ce report perpétuel de ses
espérances.
— Vous avez accepté ce délai?
Angèle fronça le sourcil. Sa bouche
s'amincit et pâlit.
— Oui. J'ai accepté, parce que d'ici un
mois il arrivera sans doute un événement
qui me délivrera.
— Quel événement?
Angèle hésita, et sans vouloir mentir,
mais ne voulant pas trahir les secrets ma-
ternels :
— L'empire est en baisse à la mai-
son. Il se peut qu'on n'attende pas sa
chute, pour se mettre ailleurs à la hausse.
On parle d'une saison aux eaux d'Ems.
— Vous partiriez? demanda Beaugran
avec angoisse.
Avait-il peur, ma'gré les renseigne-
ments donnés par Mme Berlhelin, que
Mlle de Guimaraës fût contrainte de suivre
sa mère? Songeait-il au chagrin qlle ce
départ causerait à son père, qu'il avait vu
le matin, et qu'il avait trouvé fort triste?
Mais Angèle reprit avec une gaieté vail-
lante ;
- Qui vous dit que je patiraits? Mais si
la comtesse de Guimaraës' prolonge son
séjour à Ems, je défie. M. Cabezon de
m'enlever, à moins qu'il ne trouve le
moyen de retenir ici tout le monde sous
sa patte. N'est-il pas étrange qu'un
homme si grotesque puisse être dange-
rcux?
En àédt de son courage, Angèle avait
baissé la voix qui vibrait de colère et de
dégoût.
— Je vous en prie, lui dit vivement
Léopold, si vous savez quelque chose
concernant cet homme, ne craignez pas
de me le dire.
— Je ne sais rien de plus que ce que
vous savez, comme moi. Il me révolte
par son humilité en me parlant, par l'au-
torité qu'il prend,en parlant aux autres.
Je perds de mon honneur en muselant
mon mépris.
— Excusez la question que je vais vous
faire, reprit Beaugran, mais elle justifie
mon tourment,.. Croyez-vous que mon
père ?.
Angèle ne le laissa pas achever, et
nerveusement :
— Oui, le général a aussi un secret en
dépôt chez Cabezqn.
— Un secret? repartit Léopold, alarmé.
- - Je le pense, car si c'était une dette
d'argent, votre père vous l'avouerait.
— Avez-vous un indice?
— Je surprends des regards d'effroi
quand il entre, des soupirs d'allégement
quand il part. Ah ! quand cela finira-
t-il ?
Elle joignit les deux mains avec force.
Gulimard ne s'était pas trompé. Mlle
de Guimaraës avait une inquiétude qui
dépassait sa raison, sa fierté, son intrépi-
dité naturelle. Elle avait comme des
coups de pâleur, et sa bouche souriait
avec une sorte de colère; quel secret
cachait elle on refusait-elle de confier,
en laissant voir qu'elle eût été brûlée au
cœur?
Après quelque3 minutes de silence,
comme ils étaient assis sur un banc, dans
un recoin de la cour plantée, au-dessous
d'un lilas, Beaugran jaisit les bras de la
jeune fille, et d'un ton de reproche pa-
ternel :
— Vous ne me dites pas tout? N'ai-je
pas mérité toute votre confiance?
— Que voulez-vous savoir? Interrogez-
moi; je répondrai. Mais je crois bien ne
rien cacher. J'ai plutôt des pressentiments
que des soupçons; je me dis que je suis
sotte de m'alarmer. Mais je ne veux
plus prendre mon parti de choses qui
m'étaient indifférentes autrefois. La soli-
tude m'était bonne; elle me pèse, elle
m'est mauvaise. Quand je me croyais
méprisée de vous autres, je me raidissais
et ma conscience, sans me consoler, me
donnait de la force. Votre estime me rend
timide; vos promesses me rendent peureu-
se. Je ne vous cache rien. Si j'avais une
pensée précise à vous confier, je vous la li-
vrerais. Tenez, je vais vous parler comme à
un confesseur. J'ai un ennui que je croyais
impossible, une irritation contre cet en-
nai dont je me croyais incapable. Ne
l'aurais-je plus, si vous m'aviez ramené
un fiancé? Ne dites pas que je suis co-
quette ! mais j'ai pensé de bonne foi à ce
que vous m'aviez dit en partant, et, vous
ayant donné ma parole, je rêvais à la
récompense que j'en recevrais. J'ai trouvé
le temps long, pendant votre absence, et
pourtant je l'aurais volontiers prolongée,
si j'avais pu me persuader que vous re-
viendriez victorieux. Enfin ! je suis peut-
être une jeune fille comme toutes les
autres!.
LOUIS ULBAGIU]
[A suivra)
k J *'-
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