Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1909-03-25
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344298410
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 25 mars 1909 25 mars 1909
Description : 1909/03/25 (N10736,A30). 1909/03/25 (N10736,A30).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7536065n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 11/10/2012
30e ANNEE. - NUMERO 10736. PABIS BT DÉPARTEMENTS : Le Numéro 15 Centimes
i
JEUDI 25 MARS 190^
A. PÉRIVIER -P. OLLENDORFF
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t Si lu me lis avec attention, lu trouveras fci* iSBiuanl Il firiae^te d'Horace
"II'UC' mJ.l6 l'agréable J.
lutils m&lè à Vagréable »k [préface de Gil Blas au lecteur)
ÀNDRÊ PUTZ
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Çt à l'Administration du Journal
En Alsace 1
Je suis allé faire des conférences à Stras 1
bourg, à Colmar, à Mulhouse. Depuis quelques
années, les Alsaciens demandent à des littéra-
teurs français "de leur parler de notre pays —
du pays. Ils m'ont fait un grand honneur en
m'appelant, et je les en remercie. Je n'ou-
blierai pas la façon cordiale dont j'ai été reçu
dans les trois villes. A Strasbourg, le docteur
Buchet, qui dirige la Revue Alsacienne, m'a
accueilli comme un ami. Son camarade Dollin-
ger m'a guidé dans le musée qu'ils ont créé
pour conserver les objets et les traditions de la
province, et c'est lui qui m'a mené sur la
hauteur de Sainte-Odile, d'où nous voyons,
d'un seul coup d'œil, les cités et les villages,
tout ce que nous avons perdu. L'architecte
Spittler m'a initié à l'antique beauté de Col-
mar * grâce à lui, j'ai vu les vieilles maisons
qui se mirent dans l'eau, et dont l'aquafortiste
J.-J. Waltz fixe les telles silhouettes. A
Mulhouse, M'. Lucien Dreyfus, M. Bader, M.
Thierry m'ont révélé les filatures puissantes
où le coton a des blancheurs de neige, où les
mouvements des broches semblent des jeux
d'eau ; j'ai vu les écoles professionnelles et les
cours de dessin ; j'ai rêvé dans le musée, de-
vant les clefs qui furent remises à notre re-
présentant quand la ville, séduite par la Révo-
lution, se donna à la France.
Partout — à Strasbourg, à Colmar, à Mulhou-
se - j'ai trouvé cet amour de l'indépendan-
ce. Si les Alsaciens demeurent si étroitement
attachés à notre pays, c'est qu'il représente,
pour eux, la liberté. Supposons que la Répu-
blique soit détruite, qu'un maître règne sur
notre patrie ou que la force des socialistes
triomphe : notre prestige subirait là-bas une
grave atteinte. Pour que nous ne perdions pas
les Alsaciens, il faut que nous conservions le
régime qui leur est cher.
-Ce sont des hommes d'une santé et d'une
résistance admirables. Je suis allé à Stras-
bourg, dans un petit théâtre. J'ai entendu une
farce d'une bouffonnerie très simple et- qui
excitait la joie du public. Jamais je n'entendis
des éclats de rire si francs. Le peuple est gai.
Il ressemble aux héros de Rabelais. Il a subi
de cruelles épreuves. Il a senti peser sur lui
une véritable dictature. Il a vu les jeunes gens
s'éloigner de la terre natale et ne plus reve-
nir. Il fut en butte à mille vexations. Il est
demeuré joyeux et il envisage l'avenir avec
sérénité. Il se moque des fonctionnaires qui
l'ont persécuté. Il n'admettra jamais que ce
soit un grand honneur, pour la fille d'un in-
dustriel, d'épouser un petit lieutenant. Il a le
bon sens bourgeois de Mme Jourdain et il
observe, avec un sourire narquois, les étran-
gers qui s'inclinent devant la bureaucratie, la
noblesse et l'armée.
Après la conquête, il a pris une attitude in-
transigeante. Ce fut l'époque où les Alsaciens
abandonnaient le pays. On jugeait sévèrement
les adolescents qui consentaient à porter uni-
forme prussien. On les repoussait. Mais on a
compris que le véritable patriotisme comman-
dait de ne pas céder le terrain aux vainqueurs.
Actuellement, la population alsacienne est su-
périeure à la population allemande. En Lor-
raine, au contraire, il y a des villes où nos
amis sont en minorité. M. Maurice Barrès a
nettement indiqué le devoir des annexés. Ils
doivent surmonter leur juste répugnance et
accepter les lois — même les obligations mili-
taires— pour 'demeurer fixés au sol, pour ne
pas laisser des places vides dont s'empare-
raient les autres. M. Maurice Barrés a fait
une œuvre utile en précisant cette nouvelle
ligne de conduite. Ont peut n'être pas d'ac,
cord avec ses opinions politiques. Mais l'in-
fluence qu'il a en Alsace et en Lorraine est
bienfaisante.
elle
Tïes Alsaciens ne veulent pas qu'on les plai-
gne. Ils sont las de lire des articles qui font
appel à la pitié nationale. En attendant que les
efforts de la diplomatie ou de l'armée modi-
fient une situation dont ils ne sont pasrespon.
sables, ils s'organisent et travaillent. Ils sont
en règle avec les autorités du pays et c'est
pourquoi ils peuvent parler haut. Gomme ils
ont accompli leur service militaire, ils sont
semblables à tous les citoyens de l'empire et
ils ne veulent pas être traités comme des ré-
voltés. Ils traitent nettement, avec les hauts
fonctionnaires, les questions d'intérêt général,
et, depuis quelques mois, ils parlent avec une
autorité toute nouvelle.
Il est certain que c'est le résultat d'une lon-
gue patience et d'une obscure énergie. Mais
les modifications qui ont pu se produire dans
l'état politique de l'Europe ont été favorables
à ce réveil de l'esprit alsacien. La sagesse, le
bon ton, la fermeté de la France ont excité
de l'admiration. Il n'est pas sans intérêt d'écou-
- ter les éloges que de braves bourgeois décer-
nent à MM. Clemenceau et Piehon, au journal
Lè Temps et à notre confrère André Tardieu.
Quand notre pays montre de ila force, l'Alsace
se sent plus courageuse. Notre patriotisme
ressuscite le nationalisme alsacien.
Ce n'est pas qu'on aspire, là-bas, à la guer-
ro. Le rêve de la revanche hante peut-être les
imaginations ; mais nul ne souhaite ouverte.
ment un conflit qui mettrait aux prises deux
grands peuples. Certes, si l'on organisait un
plébiscite, l'Alsace demanderait à redevenir
française, et nous pouvons affirmer que les
soldats alsaciens ne se battront jamais con-
tre nos troupes; -Mais l'Alsace s'accommode-
rait sans doute d'un régime qui respecterait
ses libertés locales et qui ne chercherait pas
à la priver de la culture française. C'est le pro-
blème qui est à l'ordre du jour. Tolérera-t-on,
dans les écoles primaires, l'enseignement de
notre langue ? A l'unanimité, la délégation
d'Alsace a constaté que les enfants appren-
* lient le français, et j'ai pu voir l'intérêt qu'ex-
citent notre littérature et nos idées.. Ce n'est
pas moi, en effet, que des centaines d'Alsa-
ciens venaient entendre : c'était un Français,
un homme qui apportait des nouvelles du pays.
Aussi, j'étais profondément ému. Si je déce-
vais cette curiosité sympathique, je manquais
à une mission presque sacrée.
Je me suis efforcé de traiter en souriant des
questions graves parce que les Alsaciens n'ai-
ment pas la lourdeur pédante. J'ai essayé de
montrer que nos écrivains sont des penseurs
et des philosophes Bien que leur style fût
clair, que nos- femmes sont- vertueuses bien
qu'elles ne soient pas prudes, que nous som-
mes unis en face du danger bien que nous
.semblions divisés par la politique. J'ai voulu
faire voir aussi que notre frivolité n'est qu'ap-
parente et aue nous sommes soumis,, comme
les Athéniens, à la déesse de la sagesse et de j
la modération - à Minerve. Une femme, qui
adore la beauté grecque, m'approuvait : c'é-
tait la comtesse Mathieu de Noailles qui ha-
bite, en ce moment, à Strasbourg et qui pré-
pare un livre sur l'Alsace.
J'ai invoqué Minerve ; j'ai fait ma petite
prière sur l'Acropole .:
— Déesse aux yeux clairs, dis-moi quel apo-
logue je dois conter à ces amis qui attendent
de moi un enaeignement 1
— Ne leur rapporte pas une histoire hellé,
nique, m'a répondu Minerve, mais une histoi-
re de ton pays, du pays.
Et j'ai raconté l'histoire du Petit Poucet.
Il y avait un père et une mère qui avaient
beaucoup d'enfants et qui en perdirent dix,
le nombre des villes libres d'Alsace. Parmi ces
dix enfants était le Petit Poucet. Les parents,
si l'on en cioit la légende, étaient de pauvres
bûcherons. Il est vrai qu'ils avaient des fo-
rêts ; mais ils possédaient aussi des vignes,
des terres à blé, des pâturages avec du riche
bétail, et, vers le Sud, des plaines ensoleillées.
Le Petit Poucet et ses frères étaient dans
des bois qui ressemblent aux bois des Vosges.
Nul n'ignore qu'ils rencontrèrent l'Ogre. Il
voulut les manger, ctest-à-dire les assimi-
ler à sa propre substance. Mais il n'y parvint
pas. Il avait en effet des bottes de aspt lieues
et c'est pourquoi il allait trop loin, toujours
trop loin. Le Petit Poucet faisait un léger cro-
chet et parvenait à lui échapper.
Le Petit Poucet et ses frères errent encore
dans les bois. Ils se tournent souvent vers la
demeure des parents ; de loin, ils contemplent
la flamme du foyen et cette vue les console un
peu. Et les parents savent que les enfants re-
gardent cette flamme et ils ont conscience de
ne pas les avoir tout à fait perdus. Car les
plus hautes barrières et les plus grandes dis-
tances ne peuvent séparer ceux qui demeurent
unis par le cœur et par la pensée.
J'ai conté ce conte à nos amis de Strasbourg,
de Colmar, de Mulhouse, et ils chérissent si
profondément la France qu'ils en ont été tou.
chés. Je n'oublierai pas ce recueillement et
l'émotion qui me gagnait. C'est que je suis
aussi de l'Alsace. Mon^père est né dans un
village qui s'appelle Epfig. Mon grand-père re-
pose dans le cimetière de Schlettstadt. Je ne
parlais pas à des étrangsrs, mais à des amis.
Leurs préoccupations étaient les miennes. J'é-
tais chez moi1, dans ma pnovince et je ne me
sentais pas trop déraciné, pour parler comme
M. Maurice Barrés, à qui j'ai souvent pensé
pendant cette semaine redoutable et charman-
te.
Nozière.
—' 1 11 1 — 1
La Politiqua
L'ex-président Castro
La grève terminée, on se préparait au grand
débat SUD la marine. Or, le président du con-
seil ayant la grippe, la politique intérieure va
chômer pendant quelques jours. Profitons-en
pour nous occuper d'autre chose.
Le président Castro a décidé de rentrer au
Venezuela. Nous n'avons pas été tendres, ici,
pour cet homme qui, dans ses rapports avec
la France, a su gâter à force de brutalité et de
mépris du droit une cause juste dans son
principe. Castro est un aventurier sans scru-
pules. Mais celui qui1, bien tranquille, ayant
des rentes, va ainsi ouvertement jouer la par-
tie, dans un pays où il sait, par expérience,
qtiue', on a la fusillade facile ; celui qui, au lieu
de conspirer dans l'ombre et de compromettre
de pauvres diables qui lui tireront, pour lui,'
les marrons du feu, revient lutter au grand
jour, malgré les menaces exaspérées et les
sinistres pronostics —, celui-là est un hom-
me ! Et ce politicien du 'Nouveau-Monde, cet
Indien à demi-barbare donne là une fière le-
çon à pas mal de ses confrères d'Europe 1
Quant à son successeur, il parait avoir hé-
rité surtout du sans-gêne de Castro. Il a an-
noncé à la Compagnie transatlantique que si
else transportait l'ex-président au Venezuela,
on viendrait l'arrêter à bord dans le premier
port vénézuélien où le bâtiment ferait relâche.
La Compagnie a prévenu, en conséquence,
M. Castro, que le paquebot Guadeloupe le dé-
barquerait à: la Martinique ou à la Trinité. Sa
décision est ,sage. Elle ne pouvait évidemment
pas exposer ses passagers à être par contre-
coup, victimes d'une scène de violence. Mais
il ne faudrait pas que le nouveau président
oubliât qu'un navire français même en port
étranger, est un morceau du territoire fran-
çais, et que ses passagers sont couverts par
notre pavillon. Décidément, les présidents
changent à Caracas, mais les procédés res-
tent les mêmes ! J
Singulier conciliateur que ce docteur Paul,
représentant du Venezuela, qui mêle la me-
nace aux jérémiades diplomatiques ! Il y a là,
évidemment, l'affolement de la peur. Car on
ne peut, en vérité, rien imaginer de plus tra-
giquement comique que l'attitude de ce gou-
vernement qui fait un procès à Castro, qui
demande sa tête aux juges, et qui défend à
l'accusé de la leur apporter.
GIL UîtAB
■ j'j ■ ————.
Echos
Les Oourses.
Aujourd'hui, à deux heures, courses à Auteuil..
Pronostics de Gil Blas :
Prix Revenge. — Castibelza, Lady Dawson.
Prix Tant-Mieux. — Satinette, Sauveru.
Prix de Porchelontaine. — Patricien, Antinous.
Prix Grandmaster. — La Péri La Corse.
Prix Ranville. - Mirage 11, Epervier.
Prix Augure. — Gaspard, Lattainville.
L'ENTHOUSIASME ANGLAIS
C'est un fait important, je vous l'assune,
que celui-ci : l'Angleterpe prend de plus en
plus conscience de la grandeur de sa littéra-
ture nationale.
Les vrais Anglais, ceux qui sont soucieux
de leurs traditions intellectuelles, viennent de
décider la construction du Théâtre de Shakes-
peare. Il nous plaît du moins que ce théâtre
soit fait sur Je modèle et selon l'exemple de
notre théâtre de Molière. Mais aussitôt les gé-
nérosités anglaises s'expriment avec un em-
pressement magnificent et munificent: un seul
souscripteur a donné 1.750.000 fr. A toi, Chau-
chard | Cela se chiffre en livres sterling,. Hé-
las ! même en livres sterling le chiffre est très
impressionnant, et il peut nous faire honte.
Est-ce à dire que l'Angleterre cèlébrant et
prolongeant ses grands écrivains dramatiques
dans un théâtre édifié pour eux, se soustraira
définitivement à l'influence française, au goût
français ? - -
Je ne le pense pas.
Déjà au dix-huitième siècle, l'Angleterre
cherchà à' se libérer de notre littérature, à re-
tourner entièrement à Shakespeare, à ses
poètes, à ses romanciers
Tristes comme leur ciel toujours ceint de nuages,
Enflés comme la mer qui blanchit leurs rivages.
Mais alors elle se passionna pour nos pen-
seurs, nos philosophes mêlés à la vie du mon-
de, eti si ardents à l'aipéliorier, pour tous ces
apôtres qui créaient la religion de l'humanité
et faisaient dire à leur jeune disciple, Manon
Phlipon, la future Mme Roland : « L'huma-
nité, le sentiment m'unissent à tout ce qui
respire. Alexandre souhaitait d'autres mon-
des pour les conquérir. Et moi, j'en souhaite-
rais d'autres pour les aimer 1 »
La littérature anglaise restera malgré tout,
trop locale, trop éloignée, trop séparée de
l'ensemhle du monde. C'est une littérature de
nation, une littérature tout imprégnée de la
patrie anglaise. La patrie est l'inspiration né-
cessaire.
'Elle est la terre en nous, malgré nous incarnée
Par l'immémorial et sévère hyménée ( deux.
D'une race et d'un champ qui se sont faits tous
La littérature française, elle aussi, est pro-
fondément nationale. Mais elle est à la fois
nationale et humaine. Elle est la seule litté-
rature qui puisse mêler un profond senti-
ment humain à un profond sentiment natio-
nal. Et c'est pourquoi elle exercera, dans l'a-
venir, comme par le passé, une action univer-
selle.
Nous ne devons donc pas nous inquiéter de
l'effort accompli pan les Anglais pour exalter
leur littérature. Il est significatif cependant
et nous' devons, en tout état de cause, l'imiter,
J. Ernest-Charles.
IL Y A CENT ANS
Jeudi 25 Mars 1809.
- Par -arrêt de ce jour, la Cour de cassation
décide que tous les divorces prononcés avant la
promulgation du Code Napoléon doivent être
-maintenus, alors même que l'un des éppux divor-
cés aurait formé la demande en nullité de di-
vorce, à une époque antérieure au Code. Les mo-
tifs qui ont déterminé la Cour sont qu'il est plus
urgent d'étouffer des débats scandaleux déjà exis-
tants que de prévenir ceux qui pourraient naître, à
l'avenir.
1 - *
LE BOULEVARD
LaCour, Messieurs 1 -
M. Jules Lemaître est complètement rétabli,
et nous nous en félicitons. Nous ne sommes
pas moins heureux de voir l'éminent ex-criti-
que littéraire reprendre sa collaboration à
l'Action Française. Il y dit des choses de la
plus savoureuse cocasserie. Il est royaliste,
mais grincheux. Il a essayé d'abord de nous
démontrer que le gouvernement du roi ne sera
pas celui des curés.
, Aujourd'hui, i^ s'attache à nous expliquer
l'état d'âme des « Nobles ». Le roi refera une
aristocratie, nous dit Jules Lemaître, « car il
en faut une u). Quelle aristocratie ? ajoute le
sociologue fraîchement émoulu. « Non plus
une noblesse d'épée ourde robe, mais une aris-
tocratie de yaleurs, de puissances sociales
bienfaisantes. »
Quel dommage de voir une intelligence jadis
si fine, si pénétrante, sombrer dans ces bille-
vesées puériles ! M. Lemaître trace aussi le
portrait de la noblesse parisienne, de la no-
blesse rurale, d'une façon tout à fait inatten-
due. Espérons qu'à la cour, on lui donnera, à
lui, un beau titre rde baron ou d'archiduc ou
de chambellan, ou de vidame, une perruque,
une épée, un justaucorps, des bottes évasées,
et qu'il fera faire l'exercice aux camelots du
roy libre.
Professeur de bridge.
Si vous voulez réussir, aujourd'hui, dans la
vie, n'entrez pas à l'Ecole polytechnique ou
dans les P. T. T. Apprenez le bridge. Le brid-
ge est, en effet, la rage des salons. Les maî-
tresses de maisons n'invitent plus les gens ai-
mables, distingués, célèbres, brillants cau-
seurs, mais les bons bridgeurs. La dernière
bouchée à peine avalée, on court vite à la
petite table d'acajou recouverte de drap vert,
et l'on commence à cartonner.
Nous pourrions citer certains five o'clock
très select, où les dames ne parlent ni de leurs
femmes de chambre, ni de leurs flirts, ni de
leurs chapeaux, mais s'attablent et jouent au
bridge, sans broncher, jusqu'à huit heures du
soir.
Et, à toutes les professions bizarres qui exis-
tent déjà dans Paris, il vient de s'en ajouter
une : celle de professeur de bridge. Les mes-
sieurs qui exercent ce métier se font payer
très cher — on en sait qui exigent vingt francs
la leçon — pour enseigner aux profanes le
secret de cet art noble.
Si vous voulez parvenir, ne comptez donc
plus ni sur votre talent, ni sur votre argent,
ni même sur votre physique. Prenez, sans tar-
der, un professeur de bridge.
Concoure d'oreilles.
Que n'a.-t-on pas imaginé en fait de con-
cours ?
On se rappelle certainement les petits amu-
sements du grain de blé, les consultations na-
tionales des grands hommes, des animaux uti-
les, etc.
On nous annonce, pour dimanche mati^ un
concours dont l'originalité n'a jamais été éga-
lée jusqu'à ce jour. C'est un concours d'oreil-
les, non pas d'oreilles quelconques, réunies
dans un simple but esthétique, mais d'oreilles
sportives, habituées au ronronnement et aux
pétards des moteurs 60 HP.
On demandera à ces oreilles expertes de
reconnaître la marche d'un moteur au bruit
qu'il fait en tournant. Ce n'est pas plus com-
pliqué que cela ; encore y faut-il une certaine
accoutumance et, semblables aux agents de
M. Lépine ou les gardes-champêtres de nos
campagnes, vous verrez des sportsmen affir-
mer que telle automobile fait du « cinquante »,
alors qu'elle roule paisiblement à « douze ».
, -,x-
Incident de grève.
Les postiers ont repris îeur poste. On nous
promet des révélations piquantes touchant les
résultats négatifs de cette grève, qui nous
priva, pendant une semaine, de notre plus im-
portant service public.
En attendant de pouvoir estimer les sommes
d'argent perdues par les commerçants pari-
siens, les banques, les particuliers et l'Etat,
nous relèverons un simple détail qui ne man-
que pas d'ironie.
Alors que MM. Clemenceau, Barthou, Si-
myan avisaient aux moyens les plus nobles
et les plus rapides de conjurer la crise, M.
Briand, ministre de la justice et garde des
sceaux, envoyait tout bonnement un demi-louis
aux caisses de secours des postiers grévistes.
Cette obole, cependant, mérite une explica-
tion.
La direction de la brochure hebdomadaire
VOEuvre avait promis d'adresser aux grévis-
tes, à titre de souscription, le montant de
tous les abonnements qu'elle recevrait durant
le temps de la grève.
C'est ainsi qu'elle fit parvenir, au comité de
permanence de la rue Danton, une somme de
cent trente francs. Dans ce total était com-
prise une somme de dix francs, montant de
l'abonnement pris par le ministre de la ius-
tice.
Et voilà comment M. Briand s'est trouvé
amené à soutenir, de ses deniers personnels
une grève de fonctionnaires 1 - -
LE LIVRE DU JOUR
( Bourgeoises artistes », par Mme Henriette Be-
zançon.
L'art et la littérature peuvent-ils offrir de nos
jours une porte de sortie honorable aux jeunes fil-
les sans dot ?
Mme Henriette Bezançon reste à ce sujet fort
sceptique et son délicieux roman, Bourgeoises ar-
tistes — que publie la librairie Plon — peut être
considéré comme un utile avertissement aux mè-
res qui se laissent leurrer par le mirage des pre-
miers succès.
Des trois « artistes » que l'auteur nous présente,
l'une séduite par le roman, l'autre par le théâtre,
la troisième par la peinture et le dessin, cette der-
nière seule arrive au port d'un mariage assorti, à
force de courage, de persévérance et, en même
temps, de respect des conventions mondaines. Les
deux premières, qui entrent en lutte ouverte avec
les mœurs bourgeoises, voient successivement s'ef-
friter et leur bonheur et leurs espérances, pour
avoir manqué de respect à la tradition.
Le roman de Mme Bezançon, l'auteur déjà ap-
précié de Bas Bleu, de Madame Tartarin, de Qui
m'aime me suive, etc., est une jolie étude de carac-
tères en même temps qu'une satire assez mor-
dante de l'éducation moderne. Sa conclusion pour-
rait se résumer en une phrase : « N'exagérons
point les « vocations » de nos enfants ».
C'est le conseil du sage, à une époque où la sim-
ple préférence pour un art d'agrément est trop
souvent confondue avec le vrai talent.
La nouvelle, le Préjugé, qui complète ce volu-
me, pourrait passer pour une sorte de 'correctif à
la thèse des Bourgeoises artistes, puisqu'elle tend
à démontrer que les parents ont parfois tort de
s'occuper du « qu'en dira-t-an », quand il s'agit de
faire le bonheur de jeunes gens qui s'aiment.
C'est probablement pour nous démontrer que
l'exception confirme la règle et que rien n'est ab-
solu en ce bas monde, surtout quand on se Iheurte
à ses conventions. — MAURICE CABS.
x-
Dans l'antiquité la plus reculée, aux temps
de Cléopâtre, la royale enchanteresse, de Sé-
miramis, l'impérieuse souveraine de Babylone,
chez les Phéniciens et les Carthaginois, nous
trouvons trace de l'amour des pierres précieu-
ses, et, en particulier, de la plus exquise de
toutes. la Perle 1
Citons, parmi ses nombreux mérites : dou-
ceur de ton, éclat, beauté de contour ; elle peut
se porter aussi bien seule que mêlée de dia-
mants ou d'autres pierres-fines, et sans mon-
ture visible^ en sautoir, en collier de chien
ou bien en bague et pendants d'oreilles.
L'unique défaut de ce meilleur produit de
l'onde amère, c'est d'être d'un prix trop éle-
vé ; mais, grâce à l'invention du professeur
Técla, ces admirables perles sont d'un prix
très abordable.
Qui voudra, désormais, que les pauvres plon-
geurs risquent leur vie pour aller chercher,
au sein des flots, l'huître perlière, alors que,
par un procédé rigoureusement scientifique,
l'adorable joyau est obtenu identique à celui
de la nature comme poids et densité, comme
orient et coloris nacré ?
Une visite aux élégants magasins, 10, rue
de la Paix, convaincra toutes les femmes de
cette vérité, si étonnante qu'elle puisse paraî-
tre.
Mais ne sommes-nous pas au siècle des
merveilles?
1".- - x--
La grève est terminée. Paris respire ; mais
des P. T. T. qui n'oublient pas leurs vieilles
rancunes, voudraient bien que ,M. Simyan leur
adressât son P. P. C.
.9.
M. Simyan aurait, d'autre part, soumis à
M. Barthou un projet de rétablissement des
lettres. de cachet.
Lo Dlabla boiteux.
- -- — - - ngr
Propos du Jour
Les amis de Fontainebleau
Voilà ce que je craignais : on vient de fonder
une société pour s'occuper de ma pauvre forêt de
Fontainebleau.
Je dis ma parce qu'il y a si longtemps que je
l'aime, que j'y vis quelques heures par semaine, y
goûtant par n'importe quel temps, soleil, pluie ou
,neige, le oharme réconfortant de l'isolement, tem-
péré par l'amitié toute proche.
Je sais bien que la société est fondée dans un
but excellent, animée des meilleures intentions ;
qu'elle prend, pour bien les affirmer, ce titre ras-
surant : Les Amis de Fontainebleau.
Ça ne fait rien, j'ai peur tout de même. Je ne
connais rien de dangereux, par le temps d'utilita-
risme qui court, comme d'attirer l'attention sur
les belles choses.
Cela donne immédiatement à un tas de gens, qui
n'y pensaient pas, l'idée de les utiliser.
Et alors. Ah ! alors, les misérables viennent
visiter le monument, le site, la forêt. Ils prennent
des mesures, ils écrivent des rapports, ils se frot-
tent les mains.
« Eh 1 eh ! Mais oui, en mettant là une usine,
ici un casino, il y aura par mètre carré une plus-
value de tant ; plus tant de stères de bois à dé-
biter, etc. Allons, allons, il y a un joli bénéfice à
faire. »
Et ils fondent une société ; ils trouvent des capi-
taux; ils remuent ciel et terre ; ils intéressent tout
le monde à l'entreprise, autorités, population, dé-
putés, sénateurs, et un beau jour les devis sont
faits, les ingénieurs — (oh ! les ingénieurs 1) —
arrivent, et derrière eux les maçons et les bûche-
rons.
Et le tour est joué.
L'Esplanade des Invalides devient une gare de
chemin de fer : et quelle ! La place des Victoires
un affreux carrefour déshonoré par des enseignes
et des bâtisses modernes à huit -étages.
Je sais bien qu'alors la Société des Amis se met
en branle ; envoie une délégation auprès des pou-
voirs publics ; écrit quelques lettres émues et élo-
quentes dans les journaux ; voire, organise une
manifestation, une de ces manifestations bien sen-
tie qui, comme dit le Petit Faust, n'ont jamais
servi à rien !
Autant en emporte le vent !
(Rien' ne fait jamais reculer un ingénieur qui a
commencé sa tâche de vandale. Allez voir ce qu'on
a fait de la forêt de Saint-Germain, du parc de
Saint-Cloud et de celui de Versailles, par exemple,
dont on a pris un bon quart pour installer une
école de pontonniers !
Je ne plaisante pas : l'autorité militaire et l'au-
torité civile à elles deux réunies n'ont pas trouvé
un autre endroit dans toute la France !
Mon pauvre Fontainebleau, qu'il eût été plus
sage de ne jamais parler de toi !
Et pourvu encore qu'on n'aille pas Vembelfir !
Ah ! l'horreur ! Vous les connaissez, artistes,
poètes, gens de coeur et de goût, les embellisse-
ments modernes ; le Bois de Boulogne revu et cor-
rigé par môssieûr Alphand, dont la statue drapée
dans sa belle redingote des dimandhes, regarde en
pleine avenue du Bois les légions de snobs défiler
à pied, à cheval et en voiture, pour aller admirer
ses petits lacs artificiels, ses édicules champêtres,
ses trottoirs bitumés et ses charmants lacis de
fil de fer encerclant les pelouses atteintes de pe-
lade incurable.
Oh ! pas ça ! Amis de Fontainebleau, pas ça !
Par grâce, laissez-lui sa sauvagerie, son grand
air dédaigneux des machineries modernes ; oh !
par pitié, ne l'embellissez pas !
I.oWl d'Hurcourl.
FEUILLETS D'ALMANACH -
L'abbé du Théâtre Cluny
M. Albin Valabrègue, vous le savez, est un hom-
me infiniment spirituel. Il a fait applaudir des
pièces charmantes et il a remporté au théâtre les
plus éclatants succès. Le Premier mari de France
et Trois femmes pour un mari ont justement con-
sacré sa réputation d'auteur gai.
Ses dernières œuvres ayant cornu une moindre
fortune, il chercha une consolation dans l'occul-
tisme, le spiritisme et autres sciences analogues
et il eut avec les esprits de longues et importan-
tes conversations.
Quels propos s'échangèrent en ces bizarres col-
loques ! Nous ne pourrons les connaître que le jour
où M. Albin Valabrègue voudra bien nous les con-
fier.
D'ailleurs, cela est déjà du rétrospectif, car il
semble avoir, depuis quelque temps, abandonné
les esprits pour le Saint-Esprit.
C'est à lui qu'il doit le meilleur de son inspira-
tion. Il nous prouve que si, depuis longtemps, il
n'a pas fait représenter de vaudevilles, il n'a ce-
pendant pas renoncé à amuser ses contemporains.
Et il y réussit, il y réussit à merveille. Cet excel-
lent israélite, qui nous a spirituellement ici même
renseigné sur sa religion, est devenu, subissant
peut-être en cela l'influence du grand journal au-
quel il collabore, un fervent néo-chrétien.
Et cette conversion nous vaut tous les jours des
pages d'uns réjouissante fantaisie.
Jamais M. Albin Valabrègue n'a montré, avec
plus de verve, un sens plus parfait du comique et
un humour plus savoureux.
- Ses « Notes brèves » du Gaulois sont dévorées
tous les matins avidement par les amateurs de
la vieille gaité française, par tous les spectateurs
de Durand et Durand, par tous les lecteurs du
Colonel Ronchonot et de la Gaudriole.
Ne résistons pas au plaisir de reproduire in ex-
tenso le dernier article de Valabrègue le pince-
sans-rire : -
Ce qu'une génération souhaite, désire, est ac-
compli par les générations suivantes.
C'est la loi de fécondation, de gestation, de nais-
sance et de croissance transportée dans le monde
moral.
Vous êtes incapable, dominé que vous êtes en-
core par l'égoïsme, de céder à l'impulsion altruiste
que vous sentez en vous ; le ressort est trop fai-
ble : il sera tort cnez vos emants. unez vous, i al*
truîeme est graine : il sera plante chez eux.
Pour en arriver à la lumière électrique, regar.
dez le chemin parcouru, depuis l'éclairage primi.
tif.
Aujourd'hui, l'altruisme s'éclaire aux chandeI.
les ; à demain le gaz, puis l'électricité.
La télépathie est entrée dans la science. Consi-
dérez là fraternité comme la télépathie in extenso.
Une parole du Livre des Livres mettra en relief
cette affirmation :
« Et moi, dit Jésus, quand j'aurai quitté la terre,
l'attirerai tout à moi. »
Considérez Jésus comme le grand Aimant (c'est
bien le mot) du monde moral. Le grand travail se
fait, à toute heure, partout, sur toutes les âmes,
plus ou moins en état de réceptivité. Mais tous
nous serons attirés ; tous, nous arriverons au but;
tous. nous connaîtrons l'état de spiritualité.
Et la science fera la preuve que le renoncement,
qui est bien l'œuvre de la religion, fut la nécessaire
et héroïque transition entre l'Egoïsme et la Frater-
nité..
Que pensez-vous de « la loi de fécondation trans-
portée dans le monde moral » ? Vous doutiez-vous
que « l'altruisme était graine chez vous et qu'il se.
rdit plante chez vos enfants » ?
N'oubliez pas non plus que cet « altruisme —
graine s'éclaire aux chandelles, et demain au gaz,
et après-demain à l'électricité. »
Jadis, voici dix ans, M. Alfred Capus, alors
collaborateur du Gaulois, sollicita de M. Arthur
Meyer une augmentation. Notre éminent confrère
la lui refusa, prétextant avec sagesse « que l'hui.,
inour ne serait pas à la mode en 1899 »:
Soyez certain, à en juger par les étourdissants
articles du plus sympathique de nos vaudevillistes,
que l'humour se porte et même se porte bien en
l'an de grâce mil neuf cent neuf.
- -- -- '- c- J Pierre Morller
l' j
- $
EN FEUILLETANT" GIL BLAS"
-
Vendredi 25 Afars 1881.
— Le pape vient personnellement de'faire savoir
aux évêques français qu'il n'aime pas les agita-
tions politiques provoquées par eux, et les a in-
vités à se préoccuper exclusivement des intérêts
religieux qui, en ce moment, réclament toute leur
attention.
— On annonce que la Patti ee propose de faire
entendre Lohengrin, de Wagner, dans sa repré-
sentation d'adieu au théâtre des Nations. Ce jour-
là, le prix des places sera doublé.
Le Salon des Indépendants
par
Louis VA-USGELLEJS
Au Jardin des Tuileries
(SERRES DE L'ORANGERIE)
——— ) ,-.- (' m
Les voici donc revenus, ces Indépendants
(si chers au cœur innombrable de M. Beau-
metz que, pour les mieux étouffer, il voudrait
les presser tous sur sa vaste poitrine), les voi-
ci donc revenus comme en 1884 au jardin des
Tuileries 1
Ma foi, nous avons un instant craint pour
leur sort. Les pouvoirs publics semblaient se
consoler assez facilement de la démolition des
serres et partant de l'embarras de la Société.
Les ministres, qu'ils soient de l'agriculture
ou des beaux-ants, ou de n'importe quelle au-
tre denrée, sont le plus souvent indifférents
et même .hostiles aux choses d'art. Ils s'ien re-
mettent à l'Institut. Or, vous savez quelles
pensées s'agitent sous la coupole de cette si-
nistre bâtisse.
Le pauvre « Bleu et Rouge » fut donc, du-
rant six semaines de cet hiver de pluies et
neiges, fort menacé. Heureusement, Signac,
bon pilote de Saint-Tropez, veillait au grain.
Planqué de quelques jeunes lieutenants ar-
dents et résolus, et soutenu aussi, — il faut
le dire, car le fait est rare au Paiement, ce
refuge usuel des ignares -, soutenu par plu-
sieurs députés énergiques, il somma les Pou-
voirs Publics d'hospitaliser en 1909, les Indé-
pendants.
1 Les Pouvoirs Publics se firent tirer l'oreille
tant qu'ils purent. Ils mirent la main sur leur
cœur de vieux peintre bonapartiste, et jurè-
rent avec des sanglots dans la voix, qu'ils
donneraient en 1910 — ou en 1950.— le Grand
Palais aux Indépendants. Mais malheureuse-
ment, en 1909, ce Grand Palais au fronton du-
quel un ironiste a écrit Palais des Beoux-
Arts, n'était pas libre. II devait s'y succéder
tant de salons du mobilier, de villages souda-
nais et de foires au jambon qu'il ne restait
plus de place pour les artistes, sauf, bien en-
tendu, les artistes des salons officiels.
A défaut du Grand Palais, on obtint, en in-
sistant, l'orangerie des Tuileries. Et les bara-
quements actuels nous rappellent la période
héroïque du Carrousel.
Qu'importe après tout ? Un bon tableau est
plus viable, même abrité temporairement
dans une cahute de plein vent, qu'un coloria-
ge académique accroché précieusement au
mur d'un palais d'Etat.
Nous préférons les oranges d'ici aux nayets
de là-bas. »
Et puis, que d'illustres antécédents ! Au
siècle passé, tous les ans, à la Fête-Dieu, les
Indépendants de ces temps lointains, en ré-
volte contre l'autorité de l'Académie Royale,
venaient poser contre des tapisseries pendan-
tes à toutes les fenêtres de la place Dauphine,
les tableaux os l'Exposition de la Jeunesse.
Chardin y débuta avec un « Chat dans un gar-
de-manger » qui est au Louvre 1
Et qu'on n'aille point dire que les jurys,
supprimés par les Indépendants, faisaient au-
trefois force de loi ! Le jury, inventé en 1748,
par je ne sais quel Lenormand de Tournehem,
directeur des Bâtiments, fut aboli par l'As-
semblée nationale en 1791. Au Louvre, en
plein Salon Carré, en pleine Galerie d'Apol-
lon, les artistes de la Révolution et du Di-
toire, exposèrent sans jury.
Et la République de 1848 supprima elle aus-
si le jury.
Les Indépendants, ces anarchistes (« sans
jury ! », s'exclamait M. Beaumetz avec l'into-
nation. d'Harpagon répétant : sans dot 1) ont
donc d'illustres devanciers. Ballottés des ser-
res de la Ville à l'Orangerie du jardin natio-
nal. ils peuvent tenir sans vaciller leur
charmante oriflamme aux dteux vives couleurs.
Ils ont fait leurs preuves depuis vingt-cinq
ans. Tout ce qui compte dans l'art moderne
est sorti de leur pépinière. Si l'on dressait fe
bilan comparatif de ce que les Indépendants
et les « Prix de Rome » ont donné, je ne dis
pas ce qu'ils ont coûté, la comparaison risque-
rait d'être cruelle pour l'auberge romaine dont
Carolus Duran est le fastueux tenancier. Que
pèseraient nos modernes Abel de Pujol en re-
gard de Van Gogh, de M. Degas et des mat
très impressionnistes qui presque tous, ont
passé aux Indépendants ?
Je ne retracerai pas une fois de plus la glo-
rieuse lignée qui va da Georges Seurat à Jean
Puy, en passant par Vuillard. Cinquante ta-
lents se sont révélés ici, qu'on eût étouffés ail-
leurs. Et si l'absence de barrières permet à
quelques « amateurs » tordants, d'apporter
leurs candides élucubrations, eh bien ! rions
franchement, — tout comme nous rions au
Salon devant les tableaux de M. Courtois. «
je
Le nombre des envois, cette année, est d'ail.
leurs restreint, la place étant mesurée. Deux
toiles seulement par exposant au lieu de six.
L'exposition, disons-le tout de suite, est fort.
belle, et présentée avec beaucoup de goût. Le
jour est excellent et toutes les places égale-
ment bonnes. J'inclinerais même volontiers à
penser que, si la dépense des baraquements
n'est pas trop lourde, cette longue galerie at-
tenant à l'Orangerie sera à l'avenin pour les
Indépendants le meilleur local. Ils seront là,
en plein cœur de Paris, dans un heau parc, et
puisque le ténébreux Grand Palais leur est
refusé par le, sous-secrétaire d'Etat plus téné-
breux encore, eh bien, qu'ils se passent du
Grand Palais.
Entrons maintenant dans ces quarante salles
et dirigeons-nous de la place de la Concorde
vers le pont Solférino.
PREMIERES SALLES
Peu de bonnes choses, à dire vrai, en ces
premières galeries. Il ne faut pas manger son
pain blanc le premier. On s'est défossé là de
productions médiocres, qui seraient fort bien
à leur place au Salon des femmes peintres, au
Volney ou au Salon des P. T. T. N'oublions
pas que l'absence de jury autorise les pires
excès, et que de dignes commissaires de poli-
ce ou pharmaciens, ou sénateurs font de la
peinture le dimanche.
Déblayons sans mauvaise humeur..
Je ne vous donnerai point comme pendant
du Taureau, de Paul Potter, certain Ane,
silhouette d'une manière assez drôlatiquement
japonaise, par M. Le Fauconnier. Je pense
que M. Serrepuy est le Didier-Pouget des Indé-
pendants ; que les symboles de M. Traiteur
sont platement incolores et rappellent les
bizarreries finlandaises qu'on nous imposa
l'automne passé. Les images de vitrail de .M.
Kandinsky sont puériles, mais divertiront ;
les imaginations de Mlle Gerebtsoff sont
comme d'ordinaire, d'une déconcertante obscé-
nité. La Leçon d'anatomie, de M. PereJmann,
ne vaut pas, mais pas du tout, l'illustre Leçon
du professeur Tulp, du musée d'Amsterdam.
Due vois-je encore ici ? De séduisants pay-
sages méridionaux de M. Bauzil, d'honnêtes
travaux de M. Valdo Bardey, de vivacee mari-
nes--de M. Pierre Bertrand, une Plaine, trop
grande, de M. Ballus, qui fait songer, en
beaucoup plus faible, à Maurice Taquoz ; une
Tentation de Parsifal, d'un académisme falot,
de M. Ningres.
M. Volot, fort, inégal, juxtapose un gros Nu
boursouflé à un charmant petit paysage vert
et bleu, dans la manière souple de W. Mor-
rice.
Suit une salle très « Champ de Mars », si
je puis ainsi parler. On y contemple de faux
Jacques Blanche, (le pseudo La Touche et
même de simili Bréauté. On y rencontre Al-
bert Joseph, qui voit la nature à travers le
prisme de Guillaumin ; Nonnell, qu'i ne pro-
gresse guère ; Raoul Carré, toujours adroit :
Berteault, non dénué d'agrément, et le sage
M. Debraux.
René Juste nous donne la vive satisfaction
de voir un artiste habile, qui se défie de son
habijefté, veut simplifier, et y parvient. ll\
avance à grands pas. Les harmonies de M. An-
dré Marre sont discrètes, douces, timorées
MM. de La Villeléon, Roussel-Masure, Paul
Madeline, Genty, Olivier, Mlle Carpentier, sont
encore ici des talents mesurés, sans éclat,
d'une élégance un peu monotone, un peu
terne.
M. Blanchet aime Cézanne au point de per-
dre toute personnalité. M. Paul Fraitz Namur
a découvert Turner et nous fait part, avec
candeur, de ce qu'il a retenu. MM. Wheeler,
Thibésart, Mignon. Fruit creux, mais si lyon-
nais, de M. Martin. Bonne marine de M. Henri
Georget. Montmartre sous la neige, effet loya<
lement traduit par M. Chénard-Huché. De sub-
tils aspects de la Seine, mauve et grise, par
Gabriel Rousseau Humoristiques intérieurs de
Le Petit. Vigoureuse marine d'André Wider.
Fleurs bien étudiées, avec une énergie virile,
par Mme Galtier-Boissière. Suaves paysage?
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Çt à l'Administration du Journal
En Alsace 1
Je suis allé faire des conférences à Stras 1
bourg, à Colmar, à Mulhouse. Depuis quelques
années, les Alsaciens demandent à des littéra-
teurs français "de leur parler de notre pays —
du pays. Ils m'ont fait un grand honneur en
m'appelant, et je les en remercie. Je n'ou-
blierai pas la façon cordiale dont j'ai été reçu
dans les trois villes. A Strasbourg, le docteur
Buchet, qui dirige la Revue Alsacienne, m'a
accueilli comme un ami. Son camarade Dollin-
ger m'a guidé dans le musée qu'ils ont créé
pour conserver les objets et les traditions de la
province, et c'est lui qui m'a mené sur la
hauteur de Sainte-Odile, d'où nous voyons,
d'un seul coup d'œil, les cités et les villages,
tout ce que nous avons perdu. L'architecte
Spittler m'a initié à l'antique beauté de Col-
mar * grâce à lui, j'ai vu les vieilles maisons
qui se mirent dans l'eau, et dont l'aquafortiste
J.-J. Waltz fixe les telles silhouettes. A
Mulhouse, M'. Lucien Dreyfus, M. Bader, M.
Thierry m'ont révélé les filatures puissantes
où le coton a des blancheurs de neige, où les
mouvements des broches semblent des jeux
d'eau ; j'ai vu les écoles professionnelles et les
cours de dessin ; j'ai rêvé dans le musée, de-
vant les clefs qui furent remises à notre re-
présentant quand la ville, séduite par la Révo-
lution, se donna à la France.
Partout — à Strasbourg, à Colmar, à Mulhou-
se - j'ai trouvé cet amour de l'indépendan-
ce. Si les Alsaciens demeurent si étroitement
attachés à notre pays, c'est qu'il représente,
pour eux, la liberté. Supposons que la Répu-
blique soit détruite, qu'un maître règne sur
notre patrie ou que la force des socialistes
triomphe : notre prestige subirait là-bas une
grave atteinte. Pour que nous ne perdions pas
les Alsaciens, il faut que nous conservions le
régime qui leur est cher.
-Ce sont des hommes d'une santé et d'une
résistance admirables. Je suis allé à Stras-
bourg, dans un petit théâtre. J'ai entendu une
farce d'une bouffonnerie très simple et- qui
excitait la joie du public. Jamais je n'entendis
des éclats de rire si francs. Le peuple est gai.
Il ressemble aux héros de Rabelais. Il a subi
de cruelles épreuves. Il a senti peser sur lui
une véritable dictature. Il a vu les jeunes gens
s'éloigner de la terre natale et ne plus reve-
nir. Il fut en butte à mille vexations. Il est
demeuré joyeux et il envisage l'avenir avec
sérénité. Il se moque des fonctionnaires qui
l'ont persécuté. Il n'admettra jamais que ce
soit un grand honneur, pour la fille d'un in-
dustriel, d'épouser un petit lieutenant. Il a le
bon sens bourgeois de Mme Jourdain et il
observe, avec un sourire narquois, les étran-
gers qui s'inclinent devant la bureaucratie, la
noblesse et l'armée.
Après la conquête, il a pris une attitude in-
transigeante. Ce fut l'époque où les Alsaciens
abandonnaient le pays. On jugeait sévèrement
les adolescents qui consentaient à porter uni-
forme prussien. On les repoussait. Mais on a
compris que le véritable patriotisme comman-
dait de ne pas céder le terrain aux vainqueurs.
Actuellement, la population alsacienne est su-
périeure à la population allemande. En Lor-
raine, au contraire, il y a des villes où nos
amis sont en minorité. M. Maurice Barrès a
nettement indiqué le devoir des annexés. Ils
doivent surmonter leur juste répugnance et
accepter les lois — même les obligations mili-
taires— pour 'demeurer fixés au sol, pour ne
pas laisser des places vides dont s'empare-
raient les autres. M. Maurice Barrés a fait
une œuvre utile en précisant cette nouvelle
ligne de conduite. Ont peut n'être pas d'ac,
cord avec ses opinions politiques. Mais l'in-
fluence qu'il a en Alsace et en Lorraine est
bienfaisante.
elle
Tïes Alsaciens ne veulent pas qu'on les plai-
gne. Ils sont las de lire des articles qui font
appel à la pitié nationale. En attendant que les
efforts de la diplomatie ou de l'armée modi-
fient une situation dont ils ne sont pasrespon.
sables, ils s'organisent et travaillent. Ils sont
en règle avec les autorités du pays et c'est
pourquoi ils peuvent parler haut. Gomme ils
ont accompli leur service militaire, ils sont
semblables à tous les citoyens de l'empire et
ils ne veulent pas être traités comme des ré-
voltés. Ils traitent nettement, avec les hauts
fonctionnaires, les questions d'intérêt général,
et, depuis quelques mois, ils parlent avec une
autorité toute nouvelle.
Il est certain que c'est le résultat d'une lon-
gue patience et d'une obscure énergie. Mais
les modifications qui ont pu se produire dans
l'état politique de l'Europe ont été favorables
à ce réveil de l'esprit alsacien. La sagesse, le
bon ton, la fermeté de la France ont excité
de l'admiration. Il n'est pas sans intérêt d'écou-
- ter les éloges que de braves bourgeois décer-
nent à MM. Clemenceau et Piehon, au journal
Lè Temps et à notre confrère André Tardieu.
Quand notre pays montre de ila force, l'Alsace
se sent plus courageuse. Notre patriotisme
ressuscite le nationalisme alsacien.
Ce n'est pas qu'on aspire, là-bas, à la guer-
ro. Le rêve de la revanche hante peut-être les
imaginations ; mais nul ne souhaite ouverte.
ment un conflit qui mettrait aux prises deux
grands peuples. Certes, si l'on organisait un
plébiscite, l'Alsace demanderait à redevenir
française, et nous pouvons affirmer que les
soldats alsaciens ne se battront jamais con-
tre nos troupes; -Mais l'Alsace s'accommode-
rait sans doute d'un régime qui respecterait
ses libertés locales et qui ne chercherait pas
à la priver de la culture française. C'est le pro-
blème qui est à l'ordre du jour. Tolérera-t-on,
dans les écoles primaires, l'enseignement de
notre langue ? A l'unanimité, la délégation
d'Alsace a constaté que les enfants appren-
* lient le français, et j'ai pu voir l'intérêt qu'ex-
citent notre littérature et nos idées.. Ce n'est
pas moi, en effet, que des centaines d'Alsa-
ciens venaient entendre : c'était un Français,
un homme qui apportait des nouvelles du pays.
Aussi, j'étais profondément ému. Si je déce-
vais cette curiosité sympathique, je manquais
à une mission presque sacrée.
Je me suis efforcé de traiter en souriant des
questions graves parce que les Alsaciens n'ai-
ment pas la lourdeur pédante. J'ai essayé de
montrer que nos écrivains sont des penseurs
et des philosophes Bien que leur style fût
clair, que nos- femmes sont- vertueuses bien
qu'elles ne soient pas prudes, que nous som-
mes unis en face du danger bien que nous
.semblions divisés par la politique. J'ai voulu
faire voir aussi que notre frivolité n'est qu'ap-
parente et aue nous sommes soumis,, comme
les Athéniens, à la déesse de la sagesse et de j
la modération - à Minerve. Une femme, qui
adore la beauté grecque, m'approuvait : c'é-
tait la comtesse Mathieu de Noailles qui ha-
bite, en ce moment, à Strasbourg et qui pré-
pare un livre sur l'Alsace.
J'ai invoqué Minerve ; j'ai fait ma petite
prière sur l'Acropole .:
— Déesse aux yeux clairs, dis-moi quel apo-
logue je dois conter à ces amis qui attendent
de moi un enaeignement 1
— Ne leur rapporte pas une histoire hellé,
nique, m'a répondu Minerve, mais une histoi-
re de ton pays, du pays.
Et j'ai raconté l'histoire du Petit Poucet.
Il y avait un père et une mère qui avaient
beaucoup d'enfants et qui en perdirent dix,
le nombre des villes libres d'Alsace. Parmi ces
dix enfants était le Petit Poucet. Les parents,
si l'on en cioit la légende, étaient de pauvres
bûcherons. Il est vrai qu'ils avaient des fo-
rêts ; mais ils possédaient aussi des vignes,
des terres à blé, des pâturages avec du riche
bétail, et, vers le Sud, des plaines ensoleillées.
Le Petit Poucet et ses frères étaient dans
des bois qui ressemblent aux bois des Vosges.
Nul n'ignore qu'ils rencontrèrent l'Ogre. Il
voulut les manger, ctest-à-dire les assimi-
ler à sa propre substance. Mais il n'y parvint
pas. Il avait en effet des bottes de aspt lieues
et c'est pourquoi il allait trop loin, toujours
trop loin. Le Petit Poucet faisait un léger cro-
chet et parvenait à lui échapper.
Le Petit Poucet et ses frères errent encore
dans les bois. Ils se tournent souvent vers la
demeure des parents ; de loin, ils contemplent
la flamme du foyen et cette vue les console un
peu. Et les parents savent que les enfants re-
gardent cette flamme et ils ont conscience de
ne pas les avoir tout à fait perdus. Car les
plus hautes barrières et les plus grandes dis-
tances ne peuvent séparer ceux qui demeurent
unis par le cœur et par la pensée.
J'ai conté ce conte à nos amis de Strasbourg,
de Colmar, de Mulhouse, et ils chérissent si
profondément la France qu'ils en ont été tou.
chés. Je n'oublierai pas ce recueillement et
l'émotion qui me gagnait. C'est que je suis
aussi de l'Alsace. Mon^père est né dans un
village qui s'appelle Epfig. Mon grand-père re-
pose dans le cimetière de Schlettstadt. Je ne
parlais pas à des étrangsrs, mais à des amis.
Leurs préoccupations étaient les miennes. J'é-
tais chez moi1, dans ma pnovince et je ne me
sentais pas trop déraciné, pour parler comme
M. Maurice Barrés, à qui j'ai souvent pensé
pendant cette semaine redoutable et charman-
te.
Nozière.
—' 1 11 1 — 1
La Politiqua
L'ex-président Castro
La grève terminée, on se préparait au grand
débat SUD la marine. Or, le président du con-
seil ayant la grippe, la politique intérieure va
chômer pendant quelques jours. Profitons-en
pour nous occuper d'autre chose.
Le président Castro a décidé de rentrer au
Venezuela. Nous n'avons pas été tendres, ici,
pour cet homme qui, dans ses rapports avec
la France, a su gâter à force de brutalité et de
mépris du droit une cause juste dans son
principe. Castro est un aventurier sans scru-
pules. Mais celui qui1, bien tranquille, ayant
des rentes, va ainsi ouvertement jouer la par-
tie, dans un pays où il sait, par expérience,
qtiue', on a la fusillade facile ; celui qui, au lieu
de conspirer dans l'ombre et de compromettre
de pauvres diables qui lui tireront, pour lui,'
les marrons du feu, revient lutter au grand
jour, malgré les menaces exaspérées et les
sinistres pronostics —, celui-là est un hom-
me ! Et ce politicien du 'Nouveau-Monde, cet
Indien à demi-barbare donne là une fière le-
çon à pas mal de ses confrères d'Europe 1
Quant à son successeur, il parait avoir hé-
rité surtout du sans-gêne de Castro. Il a an-
noncé à la Compagnie transatlantique que si
else transportait l'ex-président au Venezuela,
on viendrait l'arrêter à bord dans le premier
port vénézuélien où le bâtiment ferait relâche.
La Compagnie a prévenu, en conséquence,
M. Castro, que le paquebot Guadeloupe le dé-
barquerait à: la Martinique ou à la Trinité. Sa
décision est ,sage. Elle ne pouvait évidemment
pas exposer ses passagers à être par contre-
coup, victimes d'une scène de violence. Mais
il ne faudrait pas que le nouveau président
oubliât qu'un navire français même en port
étranger, est un morceau du territoire fran-
çais, et que ses passagers sont couverts par
notre pavillon. Décidément, les présidents
changent à Caracas, mais les procédés res-
tent les mêmes ! J
Singulier conciliateur que ce docteur Paul,
représentant du Venezuela, qui mêle la me-
nace aux jérémiades diplomatiques ! Il y a là,
évidemment, l'affolement de la peur. Car on
ne peut, en vérité, rien imaginer de plus tra-
giquement comique que l'attitude de ce gou-
vernement qui fait un procès à Castro, qui
demande sa tête aux juges, et qui défend à
l'accusé de la leur apporter.
GIL UîtAB
■ j'j ■ ————.
Echos
Les Oourses.
Aujourd'hui, à deux heures, courses à Auteuil..
Pronostics de Gil Blas :
Prix Revenge. — Castibelza, Lady Dawson.
Prix Tant-Mieux. — Satinette, Sauveru.
Prix de Porchelontaine. — Patricien, Antinous.
Prix Grandmaster. — La Péri La Corse.
Prix Ranville. - Mirage 11, Epervier.
Prix Augure. — Gaspard, Lattainville.
L'ENTHOUSIASME ANGLAIS
C'est un fait important, je vous l'assune,
que celui-ci : l'Angleterpe prend de plus en
plus conscience de la grandeur de sa littéra-
ture nationale.
Les vrais Anglais, ceux qui sont soucieux
de leurs traditions intellectuelles, viennent de
décider la construction du Théâtre de Shakes-
peare. Il nous plaît du moins que ce théâtre
soit fait sur Je modèle et selon l'exemple de
notre théâtre de Molière. Mais aussitôt les gé-
nérosités anglaises s'expriment avec un em-
pressement magnificent et munificent: un seul
souscripteur a donné 1.750.000 fr. A toi, Chau-
chard | Cela se chiffre en livres sterling,. Hé-
las ! même en livres sterling le chiffre est très
impressionnant, et il peut nous faire honte.
Est-ce à dire que l'Angleterre cèlébrant et
prolongeant ses grands écrivains dramatiques
dans un théâtre édifié pour eux, se soustraira
définitivement à l'influence française, au goût
français ? - -
Je ne le pense pas.
Déjà au dix-huitième siècle, l'Angleterre
cherchà à' se libérer de notre littérature, à re-
tourner entièrement à Shakespeare, à ses
poètes, à ses romanciers
Tristes comme leur ciel toujours ceint de nuages,
Enflés comme la mer qui blanchit leurs rivages.
Mais alors elle se passionna pour nos pen-
seurs, nos philosophes mêlés à la vie du mon-
de, eti si ardents à l'aipéliorier, pour tous ces
apôtres qui créaient la religion de l'humanité
et faisaient dire à leur jeune disciple, Manon
Phlipon, la future Mme Roland : « L'huma-
nité, le sentiment m'unissent à tout ce qui
respire. Alexandre souhaitait d'autres mon-
des pour les conquérir. Et moi, j'en souhaite-
rais d'autres pour les aimer 1 »
La littérature anglaise restera malgré tout,
trop locale, trop éloignée, trop séparée de
l'ensemhle du monde. C'est une littérature de
nation, une littérature tout imprégnée de la
patrie anglaise. La patrie est l'inspiration né-
cessaire.
'Elle est la terre en nous, malgré nous incarnée
Par l'immémorial et sévère hyménée ( deux.
D'une race et d'un champ qui se sont faits tous
La littérature française, elle aussi, est pro-
fondément nationale. Mais elle est à la fois
nationale et humaine. Elle est la seule litté-
rature qui puisse mêler un profond senti-
ment humain à un profond sentiment natio-
nal. Et c'est pourquoi elle exercera, dans l'a-
venir, comme par le passé, une action univer-
selle.
Nous ne devons donc pas nous inquiéter de
l'effort accompli pan les Anglais pour exalter
leur littérature. Il est significatif cependant
et nous' devons, en tout état de cause, l'imiter,
J. Ernest-Charles.
IL Y A CENT ANS
Jeudi 25 Mars 1809.
- Par -arrêt de ce jour, la Cour de cassation
décide que tous les divorces prononcés avant la
promulgation du Code Napoléon doivent être
-maintenus, alors même que l'un des éppux divor-
cés aurait formé la demande en nullité de di-
vorce, à une époque antérieure au Code. Les mo-
tifs qui ont déterminé la Cour sont qu'il est plus
urgent d'étouffer des débats scandaleux déjà exis-
tants que de prévenir ceux qui pourraient naître, à
l'avenir.
1 - *
LE BOULEVARD
LaCour, Messieurs 1 -
M. Jules Lemaître est complètement rétabli,
et nous nous en félicitons. Nous ne sommes
pas moins heureux de voir l'éminent ex-criti-
que littéraire reprendre sa collaboration à
l'Action Française. Il y dit des choses de la
plus savoureuse cocasserie. Il est royaliste,
mais grincheux. Il a essayé d'abord de nous
démontrer que le gouvernement du roi ne sera
pas celui des curés.
, Aujourd'hui, i^ s'attache à nous expliquer
l'état d'âme des « Nobles ». Le roi refera une
aristocratie, nous dit Jules Lemaître, « car il
en faut une u). Quelle aristocratie ? ajoute le
sociologue fraîchement émoulu. « Non plus
une noblesse d'épée ourde robe, mais une aris-
tocratie de yaleurs, de puissances sociales
bienfaisantes. »
Quel dommage de voir une intelligence jadis
si fine, si pénétrante, sombrer dans ces bille-
vesées puériles ! M. Lemaître trace aussi le
portrait de la noblesse parisienne, de la no-
blesse rurale, d'une façon tout à fait inatten-
due. Espérons qu'à la cour, on lui donnera, à
lui, un beau titre rde baron ou d'archiduc ou
de chambellan, ou de vidame, une perruque,
une épée, un justaucorps, des bottes évasées,
et qu'il fera faire l'exercice aux camelots du
roy libre.
Professeur de bridge.
Si vous voulez réussir, aujourd'hui, dans la
vie, n'entrez pas à l'Ecole polytechnique ou
dans les P. T. T. Apprenez le bridge. Le brid-
ge est, en effet, la rage des salons. Les maî-
tresses de maisons n'invitent plus les gens ai-
mables, distingués, célèbres, brillants cau-
seurs, mais les bons bridgeurs. La dernière
bouchée à peine avalée, on court vite à la
petite table d'acajou recouverte de drap vert,
et l'on commence à cartonner.
Nous pourrions citer certains five o'clock
très select, où les dames ne parlent ni de leurs
femmes de chambre, ni de leurs flirts, ni de
leurs chapeaux, mais s'attablent et jouent au
bridge, sans broncher, jusqu'à huit heures du
soir.
Et, à toutes les professions bizarres qui exis-
tent déjà dans Paris, il vient de s'en ajouter
une : celle de professeur de bridge. Les mes-
sieurs qui exercent ce métier se font payer
très cher — on en sait qui exigent vingt francs
la leçon — pour enseigner aux profanes le
secret de cet art noble.
Si vous voulez parvenir, ne comptez donc
plus ni sur votre talent, ni sur votre argent,
ni même sur votre physique. Prenez, sans tar-
der, un professeur de bridge.
Concoure d'oreilles.
Que n'a.-t-on pas imaginé en fait de con-
cours ?
On se rappelle certainement les petits amu-
sements du grain de blé, les consultations na-
tionales des grands hommes, des animaux uti-
les, etc.
On nous annonce, pour dimanche mati^ un
concours dont l'originalité n'a jamais été éga-
lée jusqu'à ce jour. C'est un concours d'oreil-
les, non pas d'oreilles quelconques, réunies
dans un simple but esthétique, mais d'oreilles
sportives, habituées au ronronnement et aux
pétards des moteurs 60 HP.
On demandera à ces oreilles expertes de
reconnaître la marche d'un moteur au bruit
qu'il fait en tournant. Ce n'est pas plus com-
pliqué que cela ; encore y faut-il une certaine
accoutumance et, semblables aux agents de
M. Lépine ou les gardes-champêtres de nos
campagnes, vous verrez des sportsmen affir-
mer que telle automobile fait du « cinquante »,
alors qu'elle roule paisiblement à « douze ».
, -,x-
Incident de grève.
Les postiers ont repris îeur poste. On nous
promet des révélations piquantes touchant les
résultats négatifs de cette grève, qui nous
priva, pendant une semaine, de notre plus im-
portant service public.
En attendant de pouvoir estimer les sommes
d'argent perdues par les commerçants pari-
siens, les banques, les particuliers et l'Etat,
nous relèverons un simple détail qui ne man-
que pas d'ironie.
Alors que MM. Clemenceau, Barthou, Si-
myan avisaient aux moyens les plus nobles
et les plus rapides de conjurer la crise, M.
Briand, ministre de la justice et garde des
sceaux, envoyait tout bonnement un demi-louis
aux caisses de secours des postiers grévistes.
Cette obole, cependant, mérite une explica-
tion.
La direction de la brochure hebdomadaire
VOEuvre avait promis d'adresser aux grévis-
tes, à titre de souscription, le montant de
tous les abonnements qu'elle recevrait durant
le temps de la grève.
C'est ainsi qu'elle fit parvenir, au comité de
permanence de la rue Danton, une somme de
cent trente francs. Dans ce total était com-
prise une somme de dix francs, montant de
l'abonnement pris par le ministre de la ius-
tice.
Et voilà comment M. Briand s'est trouvé
amené à soutenir, de ses deniers personnels
une grève de fonctionnaires 1 - -
LE LIVRE DU JOUR
( Bourgeoises artistes », par Mme Henriette Be-
zançon.
L'art et la littérature peuvent-ils offrir de nos
jours une porte de sortie honorable aux jeunes fil-
les sans dot ?
Mme Henriette Bezançon reste à ce sujet fort
sceptique et son délicieux roman, Bourgeoises ar-
tistes — que publie la librairie Plon — peut être
considéré comme un utile avertissement aux mè-
res qui se laissent leurrer par le mirage des pre-
miers succès.
Des trois « artistes » que l'auteur nous présente,
l'une séduite par le roman, l'autre par le théâtre,
la troisième par la peinture et le dessin, cette der-
nière seule arrive au port d'un mariage assorti, à
force de courage, de persévérance et, en même
temps, de respect des conventions mondaines. Les
deux premières, qui entrent en lutte ouverte avec
les mœurs bourgeoises, voient successivement s'ef-
friter et leur bonheur et leurs espérances, pour
avoir manqué de respect à la tradition.
Le roman de Mme Bezançon, l'auteur déjà ap-
précié de Bas Bleu, de Madame Tartarin, de Qui
m'aime me suive, etc., est une jolie étude de carac-
tères en même temps qu'une satire assez mor-
dante de l'éducation moderne. Sa conclusion pour-
rait se résumer en une phrase : « N'exagérons
point les « vocations » de nos enfants ».
C'est le conseil du sage, à une époque où la sim-
ple préférence pour un art d'agrément est trop
souvent confondue avec le vrai talent.
La nouvelle, le Préjugé, qui complète ce volu-
me, pourrait passer pour une sorte de 'correctif à
la thèse des Bourgeoises artistes, puisqu'elle tend
à démontrer que les parents ont parfois tort de
s'occuper du « qu'en dira-t-an », quand il s'agit de
faire le bonheur de jeunes gens qui s'aiment.
C'est probablement pour nous démontrer que
l'exception confirme la règle et que rien n'est ab-
solu en ce bas monde, surtout quand on se Iheurte
à ses conventions. — MAURICE CABS.
x-
Dans l'antiquité la plus reculée, aux temps
de Cléopâtre, la royale enchanteresse, de Sé-
miramis, l'impérieuse souveraine de Babylone,
chez les Phéniciens et les Carthaginois, nous
trouvons trace de l'amour des pierres précieu-
ses, et, en particulier, de la plus exquise de
toutes. la Perle 1
Citons, parmi ses nombreux mérites : dou-
ceur de ton, éclat, beauté de contour ; elle peut
se porter aussi bien seule que mêlée de dia-
mants ou d'autres pierres-fines, et sans mon-
ture visible^ en sautoir, en collier de chien
ou bien en bague et pendants d'oreilles.
L'unique défaut de ce meilleur produit de
l'onde amère, c'est d'être d'un prix trop éle-
vé ; mais, grâce à l'invention du professeur
Técla, ces admirables perles sont d'un prix
très abordable.
Qui voudra, désormais, que les pauvres plon-
geurs risquent leur vie pour aller chercher,
au sein des flots, l'huître perlière, alors que,
par un procédé rigoureusement scientifique,
l'adorable joyau est obtenu identique à celui
de la nature comme poids et densité, comme
orient et coloris nacré ?
Une visite aux élégants magasins, 10, rue
de la Paix, convaincra toutes les femmes de
cette vérité, si étonnante qu'elle puisse paraî-
tre.
Mais ne sommes-nous pas au siècle des
merveilles?
1".- - x--
La grève est terminée. Paris respire ; mais
des P. T. T. qui n'oublient pas leurs vieilles
rancunes, voudraient bien que ,M. Simyan leur
adressât son P. P. C.
.9.
M. Simyan aurait, d'autre part, soumis à
M. Barthou un projet de rétablissement des
lettres. de cachet.
Lo Dlabla boiteux.
- -- — - - ngr
Propos du Jour
Les amis de Fontainebleau
Voilà ce que je craignais : on vient de fonder
une société pour s'occuper de ma pauvre forêt de
Fontainebleau.
Je dis ma parce qu'il y a si longtemps que je
l'aime, que j'y vis quelques heures par semaine, y
goûtant par n'importe quel temps, soleil, pluie ou
,neige, le oharme réconfortant de l'isolement, tem-
péré par l'amitié toute proche.
Je sais bien que la société est fondée dans un
but excellent, animée des meilleures intentions ;
qu'elle prend, pour bien les affirmer, ce titre ras-
surant : Les Amis de Fontainebleau.
Ça ne fait rien, j'ai peur tout de même. Je ne
connais rien de dangereux, par le temps d'utilita-
risme qui court, comme d'attirer l'attention sur
les belles choses.
Cela donne immédiatement à un tas de gens, qui
n'y pensaient pas, l'idée de les utiliser.
Et alors. Ah ! alors, les misérables viennent
visiter le monument, le site, la forêt. Ils prennent
des mesures, ils écrivent des rapports, ils se frot-
tent les mains.
« Eh 1 eh ! Mais oui, en mettant là une usine,
ici un casino, il y aura par mètre carré une plus-
value de tant ; plus tant de stères de bois à dé-
biter, etc. Allons, allons, il y a un joli bénéfice à
faire. »
Et ils fondent une société ; ils trouvent des capi-
taux; ils remuent ciel et terre ; ils intéressent tout
le monde à l'entreprise, autorités, population, dé-
putés, sénateurs, et un beau jour les devis sont
faits, les ingénieurs — (oh ! les ingénieurs 1) —
arrivent, et derrière eux les maçons et les bûche-
rons.
Et le tour est joué.
L'Esplanade des Invalides devient une gare de
chemin de fer : et quelle ! La place des Victoires
un affreux carrefour déshonoré par des enseignes
et des bâtisses modernes à huit -étages.
Je sais bien qu'alors la Société des Amis se met
en branle ; envoie une délégation auprès des pou-
voirs publics ; écrit quelques lettres émues et élo-
quentes dans les journaux ; voire, organise une
manifestation, une de ces manifestations bien sen-
tie qui, comme dit le Petit Faust, n'ont jamais
servi à rien !
Autant en emporte le vent !
(Rien' ne fait jamais reculer un ingénieur qui a
commencé sa tâche de vandale. Allez voir ce qu'on
a fait de la forêt de Saint-Germain, du parc de
Saint-Cloud et de celui de Versailles, par exemple,
dont on a pris un bon quart pour installer une
école de pontonniers !
Je ne plaisante pas : l'autorité militaire et l'au-
torité civile à elles deux réunies n'ont pas trouvé
un autre endroit dans toute la France !
Mon pauvre Fontainebleau, qu'il eût été plus
sage de ne jamais parler de toi !
Et pourvu encore qu'on n'aille pas Vembelfir !
Ah ! l'horreur ! Vous les connaissez, artistes,
poètes, gens de coeur et de goût, les embellisse-
ments modernes ; le Bois de Boulogne revu et cor-
rigé par môssieûr Alphand, dont la statue drapée
dans sa belle redingote des dimandhes, regarde en
pleine avenue du Bois les légions de snobs défiler
à pied, à cheval et en voiture, pour aller admirer
ses petits lacs artificiels, ses édicules champêtres,
ses trottoirs bitumés et ses charmants lacis de
fil de fer encerclant les pelouses atteintes de pe-
lade incurable.
Oh ! pas ça ! Amis de Fontainebleau, pas ça !
Par grâce, laissez-lui sa sauvagerie, son grand
air dédaigneux des machineries modernes ; oh !
par pitié, ne l'embellissez pas !
I.oWl d'Hurcourl.
FEUILLETS D'ALMANACH -
L'abbé du Théâtre Cluny
M. Albin Valabrègue, vous le savez, est un hom-
me infiniment spirituel. Il a fait applaudir des
pièces charmantes et il a remporté au théâtre les
plus éclatants succès. Le Premier mari de France
et Trois femmes pour un mari ont justement con-
sacré sa réputation d'auteur gai.
Ses dernières œuvres ayant cornu une moindre
fortune, il chercha une consolation dans l'occul-
tisme, le spiritisme et autres sciences analogues
et il eut avec les esprits de longues et importan-
tes conversations.
Quels propos s'échangèrent en ces bizarres col-
loques ! Nous ne pourrons les connaître que le jour
où M. Albin Valabrègue voudra bien nous les con-
fier.
D'ailleurs, cela est déjà du rétrospectif, car il
semble avoir, depuis quelque temps, abandonné
les esprits pour le Saint-Esprit.
C'est à lui qu'il doit le meilleur de son inspira-
tion. Il nous prouve que si, depuis longtemps, il
n'a pas fait représenter de vaudevilles, il n'a ce-
pendant pas renoncé à amuser ses contemporains.
Et il y réussit, il y réussit à merveille. Cet excel-
lent israélite, qui nous a spirituellement ici même
renseigné sur sa religion, est devenu, subissant
peut-être en cela l'influence du grand journal au-
quel il collabore, un fervent néo-chrétien.
Et cette conversion nous vaut tous les jours des
pages d'uns réjouissante fantaisie.
Jamais M. Albin Valabrègue n'a montré, avec
plus de verve, un sens plus parfait du comique et
un humour plus savoureux.
- Ses « Notes brèves » du Gaulois sont dévorées
tous les matins avidement par les amateurs de
la vieille gaité française, par tous les spectateurs
de Durand et Durand, par tous les lecteurs du
Colonel Ronchonot et de la Gaudriole.
Ne résistons pas au plaisir de reproduire in ex-
tenso le dernier article de Valabrègue le pince-
sans-rire : -
Ce qu'une génération souhaite, désire, est ac-
compli par les générations suivantes.
C'est la loi de fécondation, de gestation, de nais-
sance et de croissance transportée dans le monde
moral.
Vous êtes incapable, dominé que vous êtes en-
core par l'égoïsme, de céder à l'impulsion altruiste
que vous sentez en vous ; le ressort est trop fai-
ble : il sera tort cnez vos emants. unez vous, i al*
truîeme est graine : il sera plante chez eux.
Pour en arriver à la lumière électrique, regar.
dez le chemin parcouru, depuis l'éclairage primi.
tif.
Aujourd'hui, l'altruisme s'éclaire aux chandeI.
les ; à demain le gaz, puis l'électricité.
La télépathie est entrée dans la science. Consi-
dérez là fraternité comme la télépathie in extenso.
Une parole du Livre des Livres mettra en relief
cette affirmation :
« Et moi, dit Jésus, quand j'aurai quitté la terre,
l'attirerai tout à moi. »
Considérez Jésus comme le grand Aimant (c'est
bien le mot) du monde moral. Le grand travail se
fait, à toute heure, partout, sur toutes les âmes,
plus ou moins en état de réceptivité. Mais tous
nous serons attirés ; tous, nous arriverons au but;
tous. nous connaîtrons l'état de spiritualité.
Et la science fera la preuve que le renoncement,
qui est bien l'œuvre de la religion, fut la nécessaire
et héroïque transition entre l'Egoïsme et la Frater-
nité..
Que pensez-vous de « la loi de fécondation trans-
portée dans le monde moral » ? Vous doutiez-vous
que « l'altruisme était graine chez vous et qu'il se.
rdit plante chez vos enfants » ?
N'oubliez pas non plus que cet « altruisme —
graine s'éclaire aux chandelles, et demain au gaz,
et après-demain à l'électricité. »
Jadis, voici dix ans, M. Alfred Capus, alors
collaborateur du Gaulois, sollicita de M. Arthur
Meyer une augmentation. Notre éminent confrère
la lui refusa, prétextant avec sagesse « que l'hui.,
inour ne serait pas à la mode en 1899 »:
Soyez certain, à en juger par les étourdissants
articles du plus sympathique de nos vaudevillistes,
que l'humour se porte et même se porte bien en
l'an de grâce mil neuf cent neuf.
- -- -- '- c- J Pierre Morller
l' j
- $
EN FEUILLETANT" GIL BLAS"
-
Vendredi 25 Afars 1881.
— Le pape vient personnellement de'faire savoir
aux évêques français qu'il n'aime pas les agita-
tions politiques provoquées par eux, et les a in-
vités à se préoccuper exclusivement des intérêts
religieux qui, en ce moment, réclament toute leur
attention.
— On annonce que la Patti ee propose de faire
entendre Lohengrin, de Wagner, dans sa repré-
sentation d'adieu au théâtre des Nations. Ce jour-
là, le prix des places sera doublé.
Le Salon des Indépendants
par
Louis VA-USGELLEJS
Au Jardin des Tuileries
(SERRES DE L'ORANGERIE)
——— ) ,-.- (' m
Les voici donc revenus, ces Indépendants
(si chers au cœur innombrable de M. Beau-
metz que, pour les mieux étouffer, il voudrait
les presser tous sur sa vaste poitrine), les voi-
ci donc revenus comme en 1884 au jardin des
Tuileries 1
Ma foi, nous avons un instant craint pour
leur sort. Les pouvoirs publics semblaient se
consoler assez facilement de la démolition des
serres et partant de l'embarras de la Société.
Les ministres, qu'ils soient de l'agriculture
ou des beaux-ants, ou de n'importe quelle au-
tre denrée, sont le plus souvent indifférents
et même .hostiles aux choses d'art. Ils s'ien re-
mettent à l'Institut. Or, vous savez quelles
pensées s'agitent sous la coupole de cette si-
nistre bâtisse.
Le pauvre « Bleu et Rouge » fut donc, du-
rant six semaines de cet hiver de pluies et
neiges, fort menacé. Heureusement, Signac,
bon pilote de Saint-Tropez, veillait au grain.
Planqué de quelques jeunes lieutenants ar-
dents et résolus, et soutenu aussi, — il faut
le dire, car le fait est rare au Paiement, ce
refuge usuel des ignares -, soutenu par plu-
sieurs députés énergiques, il somma les Pou-
voirs Publics d'hospitaliser en 1909, les Indé-
pendants.
1 Les Pouvoirs Publics se firent tirer l'oreille
tant qu'ils purent. Ils mirent la main sur leur
cœur de vieux peintre bonapartiste, et jurè-
rent avec des sanglots dans la voix, qu'ils
donneraient en 1910 — ou en 1950.— le Grand
Palais aux Indépendants. Mais malheureuse-
ment, en 1909, ce Grand Palais au fronton du-
quel un ironiste a écrit Palais des Beoux-
Arts, n'était pas libre. II devait s'y succéder
tant de salons du mobilier, de villages souda-
nais et de foires au jambon qu'il ne restait
plus de place pour les artistes, sauf, bien en-
tendu, les artistes des salons officiels.
A défaut du Grand Palais, on obtint, en in-
sistant, l'orangerie des Tuileries. Et les bara-
quements actuels nous rappellent la période
héroïque du Carrousel.
Qu'importe après tout ? Un bon tableau est
plus viable, même abrité temporairement
dans une cahute de plein vent, qu'un coloria-
ge académique accroché précieusement au
mur d'un palais d'Etat.
Nous préférons les oranges d'ici aux nayets
de là-bas. »
Et puis, que d'illustres antécédents ! Au
siècle passé, tous les ans, à la Fête-Dieu, les
Indépendants de ces temps lointains, en ré-
volte contre l'autorité de l'Académie Royale,
venaient poser contre des tapisseries pendan-
tes à toutes les fenêtres de la place Dauphine,
les tableaux os l'Exposition de la Jeunesse.
Chardin y débuta avec un « Chat dans un gar-
de-manger » qui est au Louvre 1
Et qu'on n'aille point dire que les jurys,
supprimés par les Indépendants, faisaient au-
trefois force de loi ! Le jury, inventé en 1748,
par je ne sais quel Lenormand de Tournehem,
directeur des Bâtiments, fut aboli par l'As-
semblée nationale en 1791. Au Louvre, en
plein Salon Carré, en pleine Galerie d'Apol-
lon, les artistes de la Révolution et du Di-
toire, exposèrent sans jury.
Et la République de 1848 supprima elle aus-
si le jury.
Les Indépendants, ces anarchistes (« sans
jury ! », s'exclamait M. Beaumetz avec l'into-
nation. d'Harpagon répétant : sans dot 1) ont
donc d'illustres devanciers. Ballottés des ser-
res de la Ville à l'Orangerie du jardin natio-
nal. ils peuvent tenir sans vaciller leur
charmante oriflamme aux dteux vives couleurs.
Ils ont fait leurs preuves depuis vingt-cinq
ans. Tout ce qui compte dans l'art moderne
est sorti de leur pépinière. Si l'on dressait fe
bilan comparatif de ce que les Indépendants
et les « Prix de Rome » ont donné, je ne dis
pas ce qu'ils ont coûté, la comparaison risque-
rait d'être cruelle pour l'auberge romaine dont
Carolus Duran est le fastueux tenancier. Que
pèseraient nos modernes Abel de Pujol en re-
gard de Van Gogh, de M. Degas et des mat
très impressionnistes qui presque tous, ont
passé aux Indépendants ?
Je ne retracerai pas une fois de plus la glo-
rieuse lignée qui va da Georges Seurat à Jean
Puy, en passant par Vuillard. Cinquante ta-
lents se sont révélés ici, qu'on eût étouffés ail-
leurs. Et si l'absence de barrières permet à
quelques « amateurs » tordants, d'apporter
leurs candides élucubrations, eh bien ! rions
franchement, — tout comme nous rions au
Salon devant les tableaux de M. Courtois. «
je
Le nombre des envois, cette année, est d'ail.
leurs restreint, la place étant mesurée. Deux
toiles seulement par exposant au lieu de six.
L'exposition, disons-le tout de suite, est fort.
belle, et présentée avec beaucoup de goût. Le
jour est excellent et toutes les places égale-
ment bonnes. J'inclinerais même volontiers à
penser que, si la dépense des baraquements
n'est pas trop lourde, cette longue galerie at-
tenant à l'Orangerie sera à l'avenin pour les
Indépendants le meilleur local. Ils seront là,
en plein cœur de Paris, dans un heau parc, et
puisque le ténébreux Grand Palais leur est
refusé par le, sous-secrétaire d'Etat plus téné-
breux encore, eh bien, qu'ils se passent du
Grand Palais.
Entrons maintenant dans ces quarante salles
et dirigeons-nous de la place de la Concorde
vers le pont Solférino.
PREMIERES SALLES
Peu de bonnes choses, à dire vrai, en ces
premières galeries. Il ne faut pas manger son
pain blanc le premier. On s'est défossé là de
productions médiocres, qui seraient fort bien
à leur place au Salon des femmes peintres, au
Volney ou au Salon des P. T. T. N'oublions
pas que l'absence de jury autorise les pires
excès, et que de dignes commissaires de poli-
ce ou pharmaciens, ou sénateurs font de la
peinture le dimanche.
Déblayons sans mauvaise humeur..
Je ne vous donnerai point comme pendant
du Taureau, de Paul Potter, certain Ane,
silhouette d'une manière assez drôlatiquement
japonaise, par M. Le Fauconnier. Je pense
que M. Serrepuy est le Didier-Pouget des Indé-
pendants ; que les symboles de M. Traiteur
sont platement incolores et rappellent les
bizarreries finlandaises qu'on nous imposa
l'automne passé. Les images de vitrail de .M.
Kandinsky sont puériles, mais divertiront ;
les imaginations de Mlle Gerebtsoff sont
comme d'ordinaire, d'une déconcertante obscé-
nité. La Leçon d'anatomie, de M. PereJmann,
ne vaut pas, mais pas du tout, l'illustre Leçon
du professeur Tulp, du musée d'Amsterdam.
Due vois-je encore ici ? De séduisants pay-
sages méridionaux de M. Bauzil, d'honnêtes
travaux de M. Valdo Bardey, de vivacee mari-
nes--de M. Pierre Bertrand, une Plaine, trop
grande, de M. Ballus, qui fait songer, en
beaucoup plus faible, à Maurice Taquoz ; une
Tentation de Parsifal, d'un académisme falot,
de M. Ningres.
M. Volot, fort, inégal, juxtapose un gros Nu
boursouflé à un charmant petit paysage vert
et bleu, dans la manière souple de W. Mor-
rice.
Suit une salle très « Champ de Mars », si
je puis ainsi parler. On y contemple de faux
Jacques Blanche, (le pseudo La Touche et
même de simili Bréauté. On y rencontre Al-
bert Joseph, qui voit la nature à travers le
prisme de Guillaumin ; Nonnell, qu'i ne pro-
gresse guère ; Raoul Carré, toujours adroit :
Berteault, non dénué d'agrément, et le sage
M. Debraux.
René Juste nous donne la vive satisfaction
de voir un artiste habile, qui se défie de son
habijefté, veut simplifier, et y parvient. ll\
avance à grands pas. Les harmonies de M. An-
dré Marre sont discrètes, douces, timorées
MM. de La Villeléon, Roussel-Masure, Paul
Madeline, Genty, Olivier, Mlle Carpentier, sont
encore ici des talents mesurés, sans éclat,
d'une élégance un peu monotone, un peu
terne.
M. Blanchet aime Cézanne au point de per-
dre toute personnalité. M. Paul Fraitz Namur
a découvert Turner et nous fait part, avec
candeur, de ce qu'il a retenu. MM. Wheeler,
Thibésart, Mignon. Fruit creux, mais si lyon-
nais, de M. Martin. Bonne marine de M. Henri
Georget. Montmartre sous la neige, effet loya<
lement traduit par M. Chénard-Huché. De sub-
tils aspects de la Seine, mauve et grise, par
Gabriel Rousseau Humoristiques intérieurs de
Le Petit. Vigoureuse marine d'André Wider.
Fleurs bien étudiées, avec une énergie virile,
par Mme Galtier-Boissière. Suaves paysage?
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