Titre : Gil Blas / dir. A. Dumont
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1903-10-27
Contributeur : Dumont, Auguste (1816-1885). Directeur de publication
Contributeur : Gugenheim, Eugène (1857-1921). Directeur de publication
Contributeur : Mortier, Pierre (1882-1946). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 27 octobre 1903 27 octobre 1903
Description : 1903/10/27 (N8846,A25). 1903/10/27 (N8846,A25).
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-209
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
25" ANNEE — NUMERO 8846
PARIS ET DEPARTEMENTS. Le Numéro: 15 centimes
UARiJÎ 27 OCTOBRE 1903
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A. PÉRIVIER-P. OLLENDORFF
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Chez LA.G-Çl.A.isj'G-E, CERF & cie
8, PLAGE DE LA. BOURSE, 8
Et VAdministration du Journal
HEURES DE CORSE
QUELQUES BANDITS
Nous sortions de la Renaissance, mon ami
Cantarelli et moi. Orso Cantarelli est un Corse
d'Ajaccio plus que manégé par dix ans de sé-
jour parisien et aussi répandu dans la politi-
que que dans la littérature ; le succès de l'Ad-
versaire se réflétait- dans ses yeux, la solidarité
corse atteint à l'intensité et à la force d'une
franc-maçonnerie, et ce soir-là, tout vibrant en-
core die 1. scène finale entre Guitry et Bran-
'dès, Orso Cantarelli triomphait dans Emma-
nuel Arène. J'éprouvai le désir de doucher cet
enthousiasme.
- Ah ! ces Corses, lui disais-je en l'installant
ijevant une douzaine de natives, quels admira-
bles conquérants, nés pour l'intrigue et l'aven-
> ture, et quels dons de séduction ! Ce sont les
derniers consquistadors ou condottieri. Voyez,
ce siècle appartient à la Corse : Napoléon a con-
quis l'Europe et Emmanuel Arène vient de
dompter Paris. Et forçant sur l'ironie pour
exaspérer le légendaire orgueil de la race : D'a-
bord vous êtes un pays de banâits.
Cantarelli haussa les épaules.
— Vous croyez encore que nous avons gar-
dé le culte des bandits ? Quel littérateur vous
faites ! Le succès d'Arène vous gêne, il vous
gênerait échu à n'importe qui, mais vraiment
[vous avez perdu votre temps, les deux mois
passés,c.et été en Corse, et vous croyez encore à
notre enthousiasme pour ces malheureux pros-
crits. C'est une pitié et un bluff. Ecoutez-moi,
je suis bon prince :
« Nos bandits ! Vous avez, comme tous les
continentaux, donné dans le piège du décor.
lies bandits ! C'est le cadre de montagnes et de
forêts qui les idéalise, la distance aussi, car ils
sont si loin de vous par la race et les habitu-
des ! La plupart enfin bénéficient à vos yeux du
recul du temps. Morts ou retirés dans les petits
villages du cœur de la Corse, ils vous apparais-
sent, dans les récits des paysans, comme des
héros de la légende; ce sont les princes lointains
'du maquis. Si l'on vous en montre un, c'est un
patriarche comme Antoine Bellacoscia, nimbé
de cheveux blancs, de petits enfants et de sou-
venirs, et, gangrené de romantisme comme vous
l'êtes, vous le prenez pour un personnage de
la Bible. » Et Orso Cantarelli m'enveloppait -de
la raillerie de ses yeux clairs ; puis, tout en
tirant une bouffée de fumée d'un gros cigare
de son pays :
« Il faut donc en découdre de vos enthousias-
mes, cher ami, et surtout ne pas propager
cette opinion, que nous avons tous l'admiration
'de nos bandits. C'est avec ces histoires-là que
vous nous faites la réputation de sa.uvages, et
notre île finit par passer pour un repaire. Je
sais bien que ce banditisme avéré nous vaut,
l'hiver, la clientèle d'Allemandes sentimentales
et de vieilles misses anglaises, mais croyez que
nous préférerions de beaucoup des hiverneurs
français ; mais tous se cantonnent dans la Ri-
viera. Hors Nice, Cannes et Monte-Carlo, pas
de salut pour un Parisien ! Mais revenons à nos
bandits, quelques-uns sont de véritables sacri-
pants ; je vous en fais juge : -
« En 1889, un nommé Rochmi gagne le ma-
quis et le tient pendant quinze ans, terrorisant
tout le pays, de Propriano à Sartène; savez-vous
ce qu'avait fait Rochini ? Amoureux d'une
paysanne de son village et repoussé par elle
(la fille avait un fiancé) Rochini déclarait à la
analheureuse qu'il les tuerait, elle et l'homme
de son choix, si elle ne consentait pas à le sui-
vre et à l'épouser. La fille, en vraie Corse qui
n'a qu'une parole, riait au nez de Rochini. Ce-
lui-ci allait l'attendre à la fontaine — la fontaine
;où tout le village corse se rencontre, s'aborde
et s'entretient — s'arrangeait pour l'y trouver
seule, la mettait encore une fois en demeure de
choisir entre lui et son fiancé et, sur son refus,
f-étourdissait d'un coup de crosse de fusil et lui
coupait les seins. Deux jours après, le fiancé
'de la misérable fille recevait deux balles dans
la tête. Un Apache de Belleville n'eût pas fait
mieux. Là-dessus Rochini prenait le maquis et
le tenait pendant quinze ans. Voilà ! Ne trouvez-
vous pas un tel personnage bien intéressant ?
« D'ailleurs il ne faut pas croire que le vil-
lage et la montagne tiennent en grand amour
leurs bandits. Ils les subissent, terrorisés par
les représailles toujours menaçantes de ces
(outlaws».Le paysan corse déteste le gendarme,
mais a encore plus peur du bandit. Une fois
qu'il a gagné ICi maquis, le bandit s'érige de lui-
même en espèce de persona sacra. En même
temps qu'il s'arroge le droit de tirer au jugé et
au visé sur tout porteur d'uniforme, il prélève la
dîme sur le paysan, il s'installe à son foyer, s'as-
sied à sa table, réclame le souper et le gîte et,
quelquefois, la femme de son hôte. Avec cela,
horriblement méfiant (car ses méfaits ont mis
sa tête à prix et dans ce pays pauvre, la prime
toujours assez forte peut tenter les consciences)
le bandit, toujours sur l'œil, craint l'embus-
cade, la surprise et la trahison ; il entre chez le
paysan en le mettant en joue et exige, à l'heure
des reoas, que son hôte goûte avant lui de tous
iesplâts." Cette complicité, supportée comme
un joug, amène: fatalement de brusques révol-
tes ; en tuant où en livrant le bandit, le paysan
alors se venge des vexations subies, et c'est la
mort de Feretti, le bandit de Propriano'.
« Poursuivi par les gendarmes, il s'était réfu-
gié chez un sien parent, lequel habitait une
masure assez isolée dans la montagne. Il s'y
était installé comme chez lui, y commandait en
maître, mettant la main au plat et même aux
corsages des filles. Il avait fait de celle de son
hôte, sa maîtress-e, le père, dompté par la ter-
reur, n'osait rien contre le mécréant. Feretti
plein d'une juste méfiance pour l'homme qu'il
terrorisait, lui faisait manger, avant et devant
lui, de tous les plats qui lui étaient servis. Le
paysan eut une idée géniale, il trouva le moyen
d'introduire de la strychnine dans des figues
fraîches, il en avait délicatement coupé la
queue. Les fruits empoisonnés furent mêlés à
d'autres, intacts : « Mange », faisait Peretti à son
parent. Le paysan s'exécutait. Il reconnaissait
les-figues. Rassuré, le bandit puisait à l'assiette.
'A la quatrième figue il tombait foudroyé ; le
paysan s'était délivré de son oppresseur.
« Parfois, c'est l'appât du gain qui décide de
la mort du bandit. La prime a tenté le paysan,
et dans ce cas-là, c'est presque toujours un
parent du bandit ou un de ses guides qui fait
le coup, car le bandit ne marche que précédé
ou escorté d'un guide et, parfois, de plusieurs,
qui font autour de lui un vrai service d'avant-
garde. Ils explorent le pays, s'assurent de la
sécurité du village où le proscrit doit passer,
préparent son gîte et favorisent sa fuite en cas
d'alerte. Comme les Chouans de Vendée, ils ont
entre eux des signes d'eux seuls connus ; trois
pierres posées sur le bord de la route, à l'entrée
d'un village, préviennent le bandit de ne pas
allef" plus loin, le lieu n'est pas sûr pour lui ;
telle ou telle entaille dans un tronc de châtai-
gnier veut dire que les gendarmes vont passer
par là et qu'il doit bifurquer au plus vite à droite
ou à gauche pour ne pas tomber entre leurs
mains ; et dans toute la contrée, l'arbre et la
roche deviennent complices pour protéger et
sauver le bandit. Quand l'homme dont la tête
est mise à prix se dérobe, le paysan qu'a tenté
la prime s'avise quelquefois d'étrangels super-
cheries ; ce fut le cas d'un des neveux de Jac-
ques Bellaeoscia.
« Il rêvait depuis longtemps de gagner la
grosse somme. La mort de son terrible oncle
pouvait seule la lui fournir ; mais, outre que
Jacques Bellaeoscia n'était pas facile à surpren-
dre, même par un des siens, ce neveu intéressé
redoutait les représailles de la famille. Antoine
Bellaeoscia n'était pas homme à laisser le meur-
tre de son frère impuni, et puis, tous les Bo-
nelli auraient pris les armes, c'était du coup
tous les Bellacoscia dans le maquis.
« Ce madré neveu se décida pour un bandit
moins proche, un bandit qui ne fût pas de la
famille.
« Un nommé Capa tenait alors la imontagne
entre Vivario et Vizzavona, c'était un fin limier
qui avait toujours déjoué les marches et les
contremarches de la maréchaussée et dont,
chargée de méfaits, la tête était chèrement co-
tée. Le neveu de Bellacoscia se rabattit donc
sur Capa, mais Capa n'était pas non plus hom-
me à se laisser approcher et abattre comme un
vulgaire gibier. Après trois mois de poursuites
et d'embuscades, le malheureux coureur de
prime devait renoncer à tuer le fameux bandit,
mais il ne renonçait pas à la somme.
« Dans la légitime appréhension 'du fusil et
des balles de Capa, il se décida à une substitu-
tion ; le tout était de se procurer un cadavre et
de le fournir à la gendarmerie comme celui
d'un bandit. Un malheureux mendiant porteur
de saintes images, un vieux pellegrine, comme
on les appelle ici, fut guetté et assassiné par
le paysan dans un sentier de forêt. La Corse
est infestée de ces vieux montreurs de saints,
la plupart Italiens de naissance et qui, loque-
teux et chenus, s'en vont de village en village
faire baiser aux paysans la figure de cuivre ou
d'étain repoussé, qu'ils portent religieusement
pendue à leur cou.
« Ceux-là sont sans défense, sans famille
aussi, et leur meurtre est facile.
« Un carrefour de forêt vit le crime. L'homme
abattu, l'assassin s'empressait de le défigurer,
il lui brûlait avec de la poudre la barbe et le
visage. Le cadavre ainsi rendu méconnaissable,
le chasseur de prime courait prévenir la gen-
darmerie, l'amenait sur les lieux, et lui faisait
reconnaître le mort.
« — C'est Capa, je l'ai guetté, suivi et puis
je l'ai tué ! J'ai bien visé, voyez plutôt, à la tête.
a La maréchaussée mystifiée donnait dans le
piège, un procès-verbal constatait la mort du
fameux Capa, le meurtrier touchait la prime et
vivrait encore heureux de polenta de châtaigne
en hiver et de polenta de maïs en été, si Capa,
furieux de passer pour mort de son vivant, n'a-
vait réclamé.
« Il écrivit au préfet, au procureur de la
République, aux directeurs de journaux même,
pour démentir sa mort et bien établir qu'il
était en vie ; il remua autour de la supercherie,
qui le rayait du nombre des Corses, l'opinion
publique et la presse. L'assassin du faux Capa
était arrêté, une enquête était ouverte qui prou-
vait son crime, l'identité du pauvre pellegrine
était retrouvée et le Corse amateur de primes
passait en Cour d'assises et payait sa substitu-
tion de cadavre de sa tête.
« Il fut guillotiné à Bastia.
« L'affaire et la mort du fameux bandit Poli,
sa rencontre et ses démêlés avec le préfet
d'Ajaccio dans la forêt d'Aïtone, la victoria du
préfet arrêtée avec son escorte officielle par
Poli et ses guides, et les conditions du bandit,
imposées à l'officier ministériel couché en joue
pendant tout l'entretien, toute cette aventure
détachée, on dirait, des Brigands d'Offenbach,
a défrayé trop récemment l'opinion et la presse
pour y revenir. Poli, véritable brigand bien
plus que bandit, avait été trouver son oncle
Lecca et essayé de le rançonner sous menace de
mort.
« Reçu à coups de fusil par Lecca., Poli avait
juré de se venger et, à quelque temps de là,
en effet, Lecca avait été trouvé tué. Poli avait
alors gagné le maquis. Arrêté, puis condamné
par la Cour de Bastia, il avait été expédié en
Nouvelle-Calédonie. Il était parvenu à s'en
échapper, s'était réfugié en Italie et, incarcéré
à Rome comme anarchiste, y avait toujours
caché son identité et son nom. En Corse, on le
croyait mort.
« L'arrestation de ses deux frères, impliqués
dans l'assassinat de Lecca et emprisonnés
comme complices, le ramenait au pays. En ap-
prenant que ses frères étaient compromis à
cause de lui et par lui, Poli, bravant tous les
périls, rentrait en Corse. Il y affirmait sa pré-
sence par des meurtres, des violences et des
rapines, mettait le pays en coupe réglée et, de
brigandage en brigandage, d'audaces en auda-
ces arrêtait la victoria. du préfet et mettait ce
dernier en demeure de faire acquitter ses frè-
res, alors sur le banc des Assises de Bastia :
« Ils étaient innocents, lui seul était coupable
et se faisait gloire de le proclamer. «
« Le préfet promettait tout ce qu'exigeait le
bandit : les frères de Poli sortirent acquittés des
Assises, mais la nouvelle de la rentrée du
meurtrier en Corse y avait ramené les fils de
Lecc.a, l'oncle assassiné. Pour venger leur père
les trois fils Lecca, l'un employé de chemin de
fer sur le continent, l'autre sous-officier en
Tunisie et le troisième établi à Bône, en Algé-
rie, obtenaient des congés, se faisaient libres et,
rentrés dans l'île, y gagnaient le maquis.
« Ils y organisaient la chasse - au bandit.
Poursuivi par ses cousins, traqué par les gen-
darmes, Poli était ramassé un matin en forêt,
mort à son tour. Un de ses guides l'avait em-
poisonné pour toucher la prime.
« Pour une vendetta corse, en voilà une qui,
à mon avis, vaut bien celle .d. Colomba et pour-
rait tenter un moderne Mérimée, et Poli a été
tué, il y a six mois à peine.
« Les légendaires exploite de deux Bellacoscia
deviennent bien pâles dans le recul du temps
auprès du sang tiède et fraîchement versé de
la querelle Lecca-Poli, et puis Antoine Bella-
coscia a bien perdu de son prestige, depuis que
les autorités de l'île l'ont classé bandit décora-
tif dans les fêtes officielles ! Au dernier voyage
de M. Lockroy en Corse, une administration
trop zélée n'a-t-elle pas eu l'idée de camper le
vieux Bellacoscia en costume de bandit sur l'af-
freuse glacière en béton qui déshonore la sta-
Hon de Yizzavona, et de grouper autour de
lui une vingtaine Se, vieux paysans guêtrés de
peaux et vêtus de velours noir, toute une figu-
ration de bandits de circonstance qui, à la des-
cente du malheureux Lockroy du train, saluè-
rent d'une brusque fusillade Son Excellence.
« Fusillade héroïque de la Navarraise pres
que ! !
« M. Carré n'eût pas mieux fait. Couleur lo-
cale et cabotinage.
« Le préfet d'alors avait servi des bandits au
ministre, les bandits se sont revancliés des pré-
fets dans Poli.
« Un mot de Bellacoscia pour finir, du vieil
Antoine Bellacoscia, de celui-là même qu'ont un
peu démonétisé les cartolines et les fêtes offi-
cielles. Il fleure une odeur sauvage de poudre
et de maquis.
« On causait au village du nouvel uniforme
des gendarmes, Bellacoscia était présent et,
comme on consultait son avis, le vieil homme,
clignant de l'œil sur la grenade de cuivre doré,
qui met un point brillant au-dessus de la vi-
sière du skaho d'aujourd'hui : Che bella mira !
se contentait-il de dire ! Quel beau point de
mire ! et dans sa voix tremblait comme un
regret.
JEAN LORRAIN.
Nous avons le plaisir d'annoncer à nos lec-
teurs que Gil Blas publiera tous les quinze jours
le jeudi, en feuilleton, des Causeries sur lhis-
taire, par M. Arlhur-Lévy.
Nous n'avons pas besoin de présenter à nos
lecteurs l'éminent historien qui écrira pour eux
ces chroniques.
M. Arthur-Lévy est l'auteur de ces deux li-
vres considérables : Napoléon intime, Napoléon
et la paix, qui ont eu une grande influence sur
le développement des études napoléoniennes,
et dont les conclusions, qui parurent hardies
tout d'abord, se sont imposées par leur force
même et leur précision à tous les autres histo-
riens de l'époque napoléonienne.
'Le talent littéraire de M. Arthur-Lëvy ne le
cède en rien, on le sait, là sa haute compétence
d'historien érudit et philosophe.
C'est dire quel lintérêt exceptionnel s'atta-
chera à sa chronique de Gil Blas, où il examine-
ra régulièrement, non seulement les principaux
livres français, mais encore les plus importan-
tes des informations étrangères, et marquera
toutes les qualités qui ont assuré la prépon-
dérance européenne de la nouvelle école histo-
rique française.
Ainsi, Gil Blas remplira plus complètement
encore la tâche qu'il s'est attribuée, qui consiste
à fournir un tableau anime et fidèle de la vie
intellectuelle moderne.
Le premier feuilleton de notre éminent colla-
borateur M. Arthur-Lévy, paraîtra jeudi 29 oc-
tobre.
Echos
Les Courses.
Prix de Bugey. — El Pato Real, Beautiful.
Prix des Faucilles. — Busagny, Anicroche.
Prix du Valromey. — Pastille, Illuminé.
Prix du Jura. — Le Mandinet, Rose Rose.
Prix de la Franche-Comté. — Humour, Interna-
tional.
Prix du Méconnais. — Souvenir Impérial, Illu-
miné.
vwvwwv
Le temps qu'il fait.
Excellente journée d'automne, hier. Bonne tem-
pérature, dans l'après-midi. Soirée agréable.
A 2 heures, le thermomètre marquait 20°, et le
baromètre 770 m/m.
A 7 heures, le thermomètre marquait 16°, et le
baromètre 771 m/m.
LES DEUX ROYALISMES
Les royalistes se réunissent quelquefois en
province bien qu'ils soient tous très Parisiens.
Ils ont mis un peu de pittoresque dans leur
réunion d'hier et ce n'est point ce que je veux
leur reprocher. Ils étaient groupés dans un
champ vendéen et trois mille personnes, nous
dit-on, étaient assemblées devant une petite es-
trade décorée d'oriflammes fleurdelisées. Je ne
savais pas que les fleurs de lis s'épanouissaient
communément au milieu des prés. Mais il faut
s'attendre 'à tout dans la vie contemporaine, et
accepter d'une âme égale les bizarreries de la
politique et de l'horticulture.
Naturellement, les orateurs bretons et ven-
déens ont attesté vigoureusement et patrioti-
quement que la France est aujourd'hui dans
une décadence irréparable — irréparable aussi
longtemps qu'elle n'aura pas un roi. Ils ont cer-
tifié avec vigueur encore et encore avec patrio-
tisme, que vraiment on est aujourd'hui honteux
d'être Français. Après quoi, i'is ont crié « Vive
la France ! n
M. de Baudry-d'Asson, parlant à son tourt et,
afin de lier entre eux ses arguments, s'est ex-
clamé : « A bas Combes ! »; puis, ayant dit ces
mots, il est tombé immédiatement.
Il s'est relevé plus aisément que ne se relè-
vera la France, s'il faut en croire les royalistes,
et on s'est demandé s'il ne serait pas l'heure
de parler sérieusement.
M. de Joantho s'est autorisé de son titre de
secrétaire in partibus du duc d'Orléans pour
exposer la nouvelle méthode de propagande
monarchiste.
Il a rappelé avec beaucoup d'à-propos les an-
ciennes guerres vendéennes et s'est écrié, non
sans verve :
« Les lions d'alors sont toujours des lions —
un peu vieillis, je pense — mais où sont les
lions pour les conduire ? »
Ainsi, M. de Joantho se montre aussi sévère
pour la noblesse que l'était l'autre jour M'. Jules
Lemaître. Décidément, la noblesse est bien
attaquée par ses amis !
Ensuite, ravivant le souvenir des guerres de
Vendée, il compare tristement la magnifique ré-
volte d'alors avec la résignation d'aujourd'hui,
et on sent que ses préférences sont pour les ré-
voltes d'autrefois. Cela cadre mal avec les ef-
forts des jeunes royalistes renouvelés par le
pédantisme qui ne veulent plus attendre — sous
l'orme — la royauté que de l'application pro-
gressive des doctrines d'Auguste Comte.
Bref, la réunion vendéenne dans la prairie de
Legé semble indiquer que les royalistes mili-
tants ne lisent pas les royalistes dissertants.
On ne peut les en blâmer. Mais alors, pour quoi
et pour qui écrivent ceux-ci ?
Au reste, avec qui donc est le duc d'Orléans?
Avec ceux qui, dans les champs, évoquent les
guerres de Vendée, ou avec ceux qui ne veulent
lutter que de pédantisme ?.
GIIi BLAS.
vwvwwv
Réponse royale.
Les directeurs de Gil Blas ont reçu la lettre
suivante du ministre1 de la maison royale d'Ita-
lie, le général Ponzio-Vaglia. Nos lecteurs ap-
prendront avec plaisir, par cette aimable ré-
ponse, que le Roi et la Reine ont apprécié les
témoignages de sympathie que la presse fran-
çaise a manifesté si chaleureusement.
Ministero Délia R. Casa
Pise (S. Rossore), le 22 octobre 1903.
Je n'ai pas: manqué de communiquer au Roi, mon
souverain, les articles' publiés dans Gil Blas et les
autres que vous avez eu l'obligeance de me trans-
mettre par votre lettre du 16 courant.
L'intérêt particulier de ces écrits et les souvenirs
patriotiques qu'ils réveillent ont rappelé sur eux
l'attention de Sa Majesté, qui les a lus avec plaisir,
en appréciant justement les sentiments de sympa-
thie envers l'Italie et la Maison de Savoie qui les
inspiraient.
J'accomplis très volontiers, dès qu'il m'est pos-
sible, un gracieux ordre du Roi, en me rendant l'in-
terprète des remerciements de Sa Majesté pour vo-
tre aimable offre, et je saisis cette occasion pour
vous assurer, monsieur, de ma parfaite considéra-
tion.
Le ministre
de la Maison Royale d'Italie,
Général PONZIO- V AGLIA.
Le souvenir que les souverains d'Italie veu-
lent bien nous adresser, touchera nos lecteurs
aussi profondément qu'ils nous touche nous-
mêmes.
«wwwwv
Union chrétienne
Le mariage de M. Pierre Goyon, agrégé de
l'Université, avec Mlle 'Lucie Faure, est très
prochain. Voici cinq mois que nous l'avons an-
noncé, et c'est l'indiscrétion de Gil Blas qui dé-
cida du sort des deux époux. Mme Félix Faure,
en effet, refusait son consentement.
Léon XIII, consulté sur cette grave question,
se montra, d'ailleurs, assez hostile à l'union.
M. Goyon, qui fréquentait beaucoup à la Cour
de Rome, insista :
- Mon fils, dit en souriant le Pape, quand on
est d'aussi petite taille on ne se marie pas !
M. Goyon a, certes, un grand talent. Mais il
est petit. Pourquoi Léon XIII voulait-il réserver
le mariage chrétien aux seuls hommes de belle
taille ? Mystère. M. Goyon n'a pas grandi, de-
puis lors ; il se marie cependant et sera fort
heureux.
VWVWWV
Sous la Coupole.
La séance annuelle des cinq Académies, qui
s'est tenue hier après midi, commence par une
série d'éloges funèbres : chacune des classes de
l'Institut veut affirmer, à son tour, combien lui
fut cher le confrère disparu. A entendre ces
discours, tous si bienveillants, exempts de cri-
tiques, on se sent je ne sais quel optimisme et,
en même temps, on éprouve quelque surprise
si l'on se prend à songer aux intrigues néces-
saires à une élection.
Cette, fois, M. Georges Perrot présidait. « Le
clou », ainsi qu'on le nomme à lE, cole normale"
prononça, d'une voix tranchante, et d'ailleurs
monotone, des paroles simples, où perçait son
amitié pour Gaston Paris, son estime pour E.
Legouvé ; M. Gaston Deschamps tortillait sa
barbiche. M. de Lapparent disserta sur « la
science et le paysage », M. Humbert sur « la
ressemblance dans le portrait »; puis, onctueux,
gras, monacal, le lorgnon en équilibre sur le
bout du nez arrondi, M. Emile Gebhart fut bref,
louant les délices du Paradis, s'y installant,
ainsi que dans un fauteuil à l'Académie fran-
çaise.
Enfin, le comte d'Haussonville, élégant, avec
sa petite moustache conquérante, son monocle
qui étincelle, ses cheveux qui battent, ailes gri-
sonnantes, sur les tempes bombées, fit rougir
l'auditoire — car il lisait un mémoire sur cer-
taine statue d'un Voltaire tout nu, que sculpta
Pigalle. Et ce bon public universitaire, aristo-
cratie de rive gauche, s'en fut, persuadé qu'il
avait assisté à une réunion très parisienne où
la tête chauve de M. Frédéric Passy battait la
mesure, tandis que les regards inquiets des so-
ciologues cherchaient en vain les petites fem-
mes absentes.
•VWVWWV
Le hasard en bouteille.
Le directeur d'un des journaux qui offrent à
leurs lecteurs la fortune dans une bouteille
avait fait acheter un certain nombre de réci-
pients de formes et de dimensions différentes.
Or, il se trouva que celui qu'il choisit était d'un
modèle breveté, et d'une valeur très supérieu-
re à celle des bouteilles ordinaires. Comme les
chercheurs de solutions achètent en grand
nombre la bouteille, le propriétaire de la mar-
que est en passe de faire une petite fortune. Na-
turellement, le public est convaincu que le jour-
nal en question est intéressé dans la vente. Et
il ne manque pas de dire que cette bouteille est
la bouteille à l'encre.
'\I\I\I\I\!\I\I
Procès-verbal.
On nous communique le procès-verbal suivant :
Le 26 octobre 1903.
M. Georges Bourdon s'étant jugé offensé par
une phrase d'un article de M. Pierre Mortier, a
prié MiM. Robert de Flers et M. Paul Desachy
d'en demander réparation.
M. Pierre Mortier a choisi comme témoins
MM. A. Périvier et P. Ollendorff.
Après les explications fournies par MM. Pé-
rivier et Ollendorff, les soussignés ont reconnu
d'un commun accord que le texte en question
ne devait comporter aucune acception offensan-
te et que, par conséquent, il n'y avait pas lieu
de donner suite à l'affaire.
Pour M. Georges Bourdon :
ROBERT DE FLERS,
PAUL DESACIIY.
Pour M. Pierre Mortier :
A. PÉluvmn,
PAUL OLLENDORFF.
tvwvww
Gloires du jour.
De notre ami Willy, ce piquant billet :
Mon cher Diable Boiteux,
Dans le Petit Niçois d'hier :
Nous exposons, daxis notre salle de dépêches, une
photographie de Willy et de son interprète, l'idéale
Claudine, Polaire, ainsi que les portraits de Basset
et de Victorine Giriat, les' assassins d'Eugénie Fou-
gère. »
On est éclectique, au Petit Niçois !
Très cordialement votre
WILLY.
C'est ça, la gloire: elle va de Wagner à Tropp-
mann, de Renan à M. Combes.
La croix du Panthéon.
Nous pouvons affirmer, sans craindre d'être
démenti, que la croix du Panthéon ne tient plus
que par un fil. Si ce fil vient à se rompre (ou
si on le rompt) la croix tombera, et un minis-
tre aussi.
Ces iours-ci, auelaues parlementaires antidié-
ricaux entretenaient le président du Conseil de
cette « grave et importante question ».
— Je ne demanderais pas mieux que de vous
satisfaire, leur répondit M. Combes. Mais nous
nous heurtons à une difficulté sérieuse : M.
Chaumié ne veut rien savoir, et c'est lui que
cette affaire regarde. Si vous pouvez le décider,
je m'engage à vous aider à enlever la croix. »
Or, il parait que M. Chaumié ne veut, en
effet, rien entendre. Les parlementaires dont
nous parlons n'osent même pas tenter une dé-
marche auprès de Qui, par crainte d'un refus
catégorique.
i\I\N\I\NV\I\-
La garde-robe du poète.
Les héros de Bourget, ces fameux dandys aux
armoires pleines de vêtements, aux régiments
de chaussures ordonnés comme une armée en
bataille, aux cravates sans nombre, ont fait
quelque temps école en France ; mais ce n'est
qu'en Italie qu'ils ont trouvé des rivaux et des
maîtres.
Gabriele d'Annunzio possède une garde-robe
à désespérer les élégants des deux mondes.
Qu'on en juge : 72 chemises ; 12 douzaines de
chaussettes de toute couleur en fil et en soie ;
des chapeaux, des habits de soirée, des smo-
kings, des jaquettes, innombrables ; 48 pai-
res de gants pour la rue ; 24 paires de gants de
soirée ; 8 parapluies, tous invariablement vio-
lets ; 10 ombrelles toutes vertes ; 20 douzai-
nes de mouchoirs de poche ; 150 cravates ; 10
vestes d'intérieur ; 14 paires de chaussures —
c'est modeste — sans compter les molles et si-
lencieuses pantoufles.
Mascagni seul, en Italie, peut rivaliser avec
d'Annunzio et étaler un pareil luxe de vête-
ments. Quels indiscrets valets de chambre ont
donc ces grands hommes ?
«vwwww
A partir du 1er novembre, le manège, 26, rue
de la Faisanderie, va recommencer ses cours :
Cours élémentaires pour enfants et, cours
supérieurs mixtes pour Dames et Messieurs.
Les personnes désireuses d'y prendre part
sont assurées de trouver au manège, des pro-
fesseurs expérimentés, ainsi que des chevaux
élégants, bien dressés, et offrant toute sécu-
rité.
C'est, du reste, à sa cavalerie très remarquée
au Bois, que le manège de la Faisanderie doit
son succès chaque jour grandissant.
Sa situation à proximité du Bois (cent mè-
tres de la Porte Dauphine), en dehors de tous
les avantages qu'elle offre aux promeneurs, est
une garantie permettant d'éviter tous accidents
aux jeunes commençants.
■vwwww
Histoire de bohème :
Un bohème puisant dans le porte-cigares
qu'on lui présente :
— Oh ! laissez-moi encore en choisir deux
ou trois. Ils sont exquis ! Où donc les prenez-
vous !
— Mais c'est vous qui les prenez ! Moi, je
les achète 1
LE DIABLE BOITEUX.
LA
SOCIÉTÉ DE PARIS
LXX
MADAME JULES PORGÈS
Une très jolie femme, à la taille élancée, au sourire
discret et doux, au profil de camée. Elle se meut avec
une grâce glissante, elle s'exprime avec un art ingénu,
un peu enfantin, son parler mondain est rempli d'un
agrément très purement féminin. Elle aime le monde,
le grand monde, sa beauté fut spécialement créée pour
briller dans les fêtes, son genre d'esprit se prête à
l'organisation savante d'un train d'élégance, il n'é-
prouve guère de ces curiosités ultra-modernes, qui
entraînent aujourd'hui les filles d'Eve dans les che-
mins ardus de la politique, de la science ou des arts.
Plaire à un public de choix, sélectionner de mieux en
mieux les élus de son salon, accroître de jour en jour la
renommée die son goût, ces préoccupations suffisent à
ses ambitions.
La comtesse Fernand de La Ferrormays encoura-
gea les débuts de sa carrière mondaine en lui offrant
une place à son comptoir dans une vente de charité ;
peu après, le bruit de sa conversion au catholicisme
courait dans les salons. Cent femmes voulaient connaî-
tre la séduisante néophyte, et, à peine présentée, son
charme personnel achevait la conquête. De nombreux
mariages vinrent resserrer les liens d'intimité qui l'u-
nissaient au faubourg Saint-Germain. Une nièce,
Mlle de Gutmann, épousait le comte Robert de Fitz-
James, d'autres nièces, Mlles Porgès, épousaient le
comte Foy et le prince Marco Borghèse, unions fécon-
des en relations agréables.
Entre temps, M. Jules Porgès, en financier de gran-
de envergure, s'intéressait aux mines de diamant sud-
africaines, ressuscitait la Société de Beers, spéculait
sur les terrains dui Transvaal,. et réalisait une fortune
qui se monte, dit-on, à plus de deux cents millions.
Longtemps, Mme Porgès — peut-être en souvenir de
l'intérieur modeste des Wodianer, ses parents — s'était
plu à conserver le joli petit hôtel de la rue de Londres,
mais il était temps de remplacer la demeure simple-
ment charmante, par un cadre mieux approprié au luxe
des patriciens modernes. Un somptueux hôtel s'éleva
donc sur les terrains occupés jadis par le palais pom-
péien et le châlet gothique qu'avait ordonnés le prince
Napoléon dans une heure de spleen. Beaucoup plus
et mieux, la construction actuelle mérite l'admiration
des Parisiens. C'est riche, c'est vaste, autant que l'hô-
tel Ritz, et l'organisation en témoigne d'un goût plus
délicat. Autant de salons, autant de musées où s'ad-
mirent les bureaux historiques, ies pendules uniques,
les chefs-d'œuvre de la peinture anglaise, flamande,
italienne. La salle à manger est assurément la plus
vaste et la mieux décorée qui soit dans Paris. Rien
n'y manque, ni les tapisseries de Berain, ni les pan-
neaux d'Oudry, ni les orfèvreries du1 maître Germain.
Mme Porgès tire de sa splendide demeure un légiti-
me amour-propre. Qui de nous ne se complaît dans le
luccès de ses personnels efforts ? Aussi quand un
clubrnan malicieusement taquin s'avisa d'ajouter à l'ex-
pression du désir de lui présenter ses hommages :
- Mais au fait, madame, où demeurez-vous ?
Mme Porgès sourit d'un air doucement pitoyable.
Personne, en effet, ne peut décemment ignorer l'exis-
tence du palais. - -
Cette femme indulgente et généreuse se plaît aux
œuvres de charité dont son immense fortune rend la
source inépuisable. Elle souscrit aux Petites Préser-
vées de la comtesse de Biron ; elle fonde des lits à
l'hôpital du Perpétuel secours, de la marquise Maison;
elle est membre de la Société Philanthropique que pré-
side le prince d'Arenberg. Lorsque advint la catastro-
phe du Bazar de la. Charité, sa demeure s'ouvrit aux
premiers soins que réclamaient les victimes, et les ha-
bitants se virent récompensés dans la personne de la
maîtresse de céans par l'octroi de la médlaille d'or des
sauveteurs, de la Seine. Mme Porgès a élevé sa fille
unique, aujourd'hui marquise de La Ferté-Meun, dans
la pratique des bonnes œuvres, des lettres et des arts.
C'est une jeune femme remarquable par la bonté, l'es-
prit et les lumières.
Tant à l'hôtel de la rue Montaigne qu'au château de
Rochefort, situé près de Rambouillet et splendide-
ment restauré, se réunit presque quotidiennement une
élite d'invités et d'amis. Les uns font partie de la
nombreuse parenté des La Ferté-Meun, d'autres ont
été choisis d'ans la partie éclairée et moderne du fau-
bourg Saint-Germain, d'autres furent triés soit dans
le monde israélite, soit dans la société cos-
mopolite, soit dlans les clubs parisiens, soit
encore dans le personnel des légations étrangères.
Objet des recherches délicates d'une hospitalité rare et
précieuse dans un monde trop démocratisé, ce public
pratique cet art des nuances dont la. séduisante maî-
tresse de maison donne l'exemple et la loi.
LARGILLIÈRE.
TRÉSORS ET GROS LOTS
Nous croyons savoir que le garde des sceaux,
devant le retentissement des incidents qui ont
accompagné la découverte de l'un des trésors
du Matin, aurait décidé de déposer un projet
de loi tranchant définitivement la question des
loteries, plus ou moins déguisées, organisées
par les journaux. Il ne pouvait en être autre-
ment. Comme on le verra par les citations que
nous reproduisons dans notre revue de la
presse, un mouvement d'opinion spontané et
irrésistible s'était dessiné.
Nous ne connaissons naturellement pas le
texte exact du projet de M. le garde des sceaux.
A première vue, il semblerait même qu'une' loi
nouvelle eût été inutile, puisque la loi de 1836
est formelle. Mais celle-ci a été si souvent vio-
lée, et interprétée de tant de façons différentes,
que M. Vallé a cru bon de fixer cette jurispru-
dence par trop fantaisiste.
Il serait question d'interdire aux journaux
toute opération « qui ne laisserait pas subsister
une égalité absolue entre les acheteurs au point
de vue des avantages offerts ».
Cette solution n'est pas celle que nous eus-
sions désirée. Nous aurions préféré cent fois
voir nos confrères renoncer d'eux-mêmes, et
sans l'intervention du pouvoir judiciaire, à un
mode de propagande qui, entre autres inconvé-
nient" avait celui de faire déserter les ateliers
et les bureaux par des quantités de braves gens,
ou de les distraire de leur travail par des re-
cherches sur la capacité des bouteilles. Il est
telle administration où garçons de bureau et
petits employée passent leur temps à compter,
des grains de blé, où à étudier de vieux plans
de Paris.
Il faut reconnaître que M. Vallé n'a pas laissé
à nos confrères le temps matériel de venir à
résipiscence, sans quoi leur bon sens aurait
certainement pris le dessus.
Quoi qu'il en soit, ce genre de réclame aura
vécu. C'est un grand bien. Le public recommen-
cera peut-être à acheter les journaux unique-
ment pour les lire, et nos confrères en seront
quittes pour baser leur succès sur la collabo-
ration de rédacteurs de talent et sur l'habileté
d'administrateurs avisés. Leur succès n'en sera
d'ailleurs pas moins vif, et ils ont tout ce qu'il
faut pour que cette perspective ne les effraye
pas.
, GEORGES PRICE.
NOTES ET SOUVENIRS
fil
Le poète Maurice Rollinat est mort hier, dans
une syncope, à la maison de santé du docteur
Moreau de Tours, à Ivry.
Et voilà que me. reviennent nets, précis, à
la mémoire, les détails de la journée où je vis,
pour la dernière fois, l'auteur des Névroses.
Vers la un cTaoût, par une des rares matinées
jolies de la saison, nous remontions de la.
Creuse, à Gargilesse, Arthur Maillet, le secré-
taire du Comité Dupleix et moi. Nous étions
allés de bonne heure lever les nasses au-des-
sous de la pyramide des bains de George Sand,
où se noyèrent, il y a quelques années, des pa-
rents du député de Seine-et-Oise, notre confrère
Berthoulat. Chemin faisant, je projetais d'aller
à Fresselines excursionner et je m'informais de
la présence de Rollinat dans le pays. En pas,
sant devant l'église, j'avais aperçu à la devan-
ture de la petite épicerie une carte postale re-
présentant la charmante habitation du poète
des Névroses, avec ce quatrain imiprimé au-des-
sous de l'image :
Ma maisonnette montre aux horizons tranquilles
Ses volets verts, ses clairs carreaux extasiés,
Le lierre" et le moussu de sa toiture en tuiles
Et ses murs lumineux tout fleuris de rosiers.
Maillet me certifiait qu'avant peu nous ver-
rions le poète chez notre ami commun, Léon
Detroy, le peintre, quand le facteur, nous ayant
croisé, nous remit nos lettres.
Son courrier à peine ouvert, Maillet poussa
un « oh » douloureux.
Je me rapprochai de lui :
— Qu'est-ce qu'il y a ?.
— La femme de Rollinat, me dit-il, a été moi
due par son petit chien, ou léchée seulement,
on ne sait. Le docteur Bertrand l'a expédiée
à l'Institut Pasteur, hier. C'est grave f On est
très inquiet, paraît-il.
En une minute,. la nouvelle se répandit dans
le village, où chacun connaît les Rollinat,
vieille famille des environs d'Argenton-sur-
Creuse. Et des visages terrifiés, angoissés, ap:
parurent, ceux d'intimes du poète, parmi les-
quels le peintre suédois Allan Osterlind et sa
famille.
Deux jours durant, toutes les conversations
retentirent du pénible sujet.
Le troisième courrier nous informa du tragi-
que dénouement. La blessée, à peine débar-
quée et hospitalisée dans une maison de santé,
terrassée par une crise effroyable dont elle
mourait.
— Et lui, questionnait-om ? que va-t-il deve-
nir, livré à soi-même, égaré, isolé, désolé ?.
Chacun disait son triste mot, donnait son im-
pression sentimentale devant cette rupture
brusque d'existence, on contait des souvenirs
de la « caverne bleue », le chenil, ainsi pom-
peusement nommé, dans lequel étaient enfer-
més des chiens de toute sorte.
Osterlindl rappelait les longues soirées d'hi-
ver, à Fresselines, soirées que le poète passait
au piano, à chanter de sa voix puissamment sin-
gulière, allant de la basse au ténor, les mélo-
dies originales' inspirées de ses vers campa-
gnards : La Chanson de la perdrix grise. Le
Cimetière aux violettes, Les Corbeaux, Les
Nuages, VArc-en-ciel, n disait sa vie parmi ses
chiens et ses chats et la joie du poète à recevoir
ses amis, à les garder presque jusqu'au matin,
à l'heure où la potion de chloral lui procurait
un sommeil lourd, traversé de rêves fantas-
ques. Il rappelait les paresses fécondes dans la
brande berrichonne, au bord de la Creuse
bruyante et mordorée, les fantaisies du pê-
cheur enfantin, la mobilité de son humeur
qu'une volute échappée de la pipe de merisier
modifiait. Et toujours reparaissait l'obsédante
préoccupation.
— n n'y résistera pas. C'est trop ! Pauvre
homme !. Par quelles terreurs il a dû passer !
Lui qui sentait déji sa. volonté lui échapper
chaque jour
Un mois a.près cet événement .t.erri.b.l.e, nous
passions à plusieurs devant la maison de Fres-
selines. Une ménagère y rentrait, franchissant
la porte ouverte dans la simple barrière a écha-
las. A travers les arbreS'fruitiers qui l'entou-
rent, elle montrait ses trois fenêtres a rideaux
modestes, et l'intérieur personnel, confortable,
du poète apparaissait par la porte béante. Mais
du logis rustique et d arrangement très artiste
cependant, Je maître était éloigné. Deux hcowj
plus tard nous le croisions à cront, au pied
des ruines féodales qui surplombent dans un
cadre de granit Qlbru0 fleuri de bruyère, /au-
PARIS ET DEPARTEMENTS. Le Numéro: 15 centimes
UARiJÎ 27 OCTOBRE 1903
Direction Nouvelle
A. PÉRIVIER-P. OLLENDORFF
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8, PLAGE DE LA. BOURSE, 8
Et VAdministration du Journal
HEURES DE CORSE
QUELQUES BANDITS
Nous sortions de la Renaissance, mon ami
Cantarelli et moi. Orso Cantarelli est un Corse
d'Ajaccio plus que manégé par dix ans de sé-
jour parisien et aussi répandu dans la politi-
que que dans la littérature ; le succès de l'Ad-
versaire se réflétait- dans ses yeux, la solidarité
corse atteint à l'intensité et à la force d'une
franc-maçonnerie, et ce soir-là, tout vibrant en-
core die 1. scène finale entre Guitry et Bran-
'dès, Orso Cantarelli triomphait dans Emma-
nuel Arène. J'éprouvai le désir de doucher cet
enthousiasme.
- Ah ! ces Corses, lui disais-je en l'installant
ijevant une douzaine de natives, quels admira-
bles conquérants, nés pour l'intrigue et l'aven-
> ture, et quels dons de séduction ! Ce sont les
derniers consquistadors ou condottieri. Voyez,
ce siècle appartient à la Corse : Napoléon a con-
quis l'Europe et Emmanuel Arène vient de
dompter Paris. Et forçant sur l'ironie pour
exaspérer le légendaire orgueil de la race : D'a-
bord vous êtes un pays de banâits.
Cantarelli haussa les épaules.
— Vous croyez encore que nous avons gar-
dé le culte des bandits ? Quel littérateur vous
faites ! Le succès d'Arène vous gêne, il vous
gênerait échu à n'importe qui, mais vraiment
[vous avez perdu votre temps, les deux mois
passés,c.et été en Corse, et vous croyez encore à
notre enthousiasme pour ces malheureux pros-
crits. C'est une pitié et un bluff. Ecoutez-moi,
je suis bon prince :
« Nos bandits ! Vous avez, comme tous les
continentaux, donné dans le piège du décor.
lies bandits ! C'est le cadre de montagnes et de
forêts qui les idéalise, la distance aussi, car ils
sont si loin de vous par la race et les habitu-
des ! La plupart enfin bénéficient à vos yeux du
recul du temps. Morts ou retirés dans les petits
villages du cœur de la Corse, ils vous apparais-
sent, dans les récits des paysans, comme des
héros de la légende; ce sont les princes lointains
'du maquis. Si l'on vous en montre un, c'est un
patriarche comme Antoine Bellacoscia, nimbé
de cheveux blancs, de petits enfants et de sou-
venirs, et, gangrené de romantisme comme vous
l'êtes, vous le prenez pour un personnage de
la Bible. » Et Orso Cantarelli m'enveloppait -de
la raillerie de ses yeux clairs ; puis, tout en
tirant une bouffée de fumée d'un gros cigare
de son pays :
« Il faut donc en découdre de vos enthousias-
mes, cher ami, et surtout ne pas propager
cette opinion, que nous avons tous l'admiration
'de nos bandits. C'est avec ces histoires-là que
vous nous faites la réputation de sa.uvages, et
notre île finit par passer pour un repaire. Je
sais bien que ce banditisme avéré nous vaut,
l'hiver, la clientèle d'Allemandes sentimentales
et de vieilles misses anglaises, mais croyez que
nous préférerions de beaucoup des hiverneurs
français ; mais tous se cantonnent dans la Ri-
viera. Hors Nice, Cannes et Monte-Carlo, pas
de salut pour un Parisien ! Mais revenons à nos
bandits, quelques-uns sont de véritables sacri-
pants ; je vous en fais juge : -
« En 1889, un nommé Rochmi gagne le ma-
quis et le tient pendant quinze ans, terrorisant
tout le pays, de Propriano à Sartène; savez-vous
ce qu'avait fait Rochini ? Amoureux d'une
paysanne de son village et repoussé par elle
(la fille avait un fiancé) Rochini déclarait à la
analheureuse qu'il les tuerait, elle et l'homme
de son choix, si elle ne consentait pas à le sui-
vre et à l'épouser. La fille, en vraie Corse qui
n'a qu'une parole, riait au nez de Rochini. Ce-
lui-ci allait l'attendre à la fontaine — la fontaine
;où tout le village corse se rencontre, s'aborde
et s'entretient — s'arrangeait pour l'y trouver
seule, la mettait encore une fois en demeure de
choisir entre lui et son fiancé et, sur son refus,
f-étourdissait d'un coup de crosse de fusil et lui
coupait les seins. Deux jours après, le fiancé
'de la misérable fille recevait deux balles dans
la tête. Un Apache de Belleville n'eût pas fait
mieux. Là-dessus Rochini prenait le maquis et
le tenait pendant quinze ans. Voilà ! Ne trouvez-
vous pas un tel personnage bien intéressant ?
« D'ailleurs il ne faut pas croire que le vil-
lage et la montagne tiennent en grand amour
leurs bandits. Ils les subissent, terrorisés par
les représailles toujours menaçantes de ces
(outlaws».Le paysan corse déteste le gendarme,
mais a encore plus peur du bandit. Une fois
qu'il a gagné ICi maquis, le bandit s'érige de lui-
même en espèce de persona sacra. En même
temps qu'il s'arroge le droit de tirer au jugé et
au visé sur tout porteur d'uniforme, il prélève la
dîme sur le paysan, il s'installe à son foyer, s'as-
sied à sa table, réclame le souper et le gîte et,
quelquefois, la femme de son hôte. Avec cela,
horriblement méfiant (car ses méfaits ont mis
sa tête à prix et dans ce pays pauvre, la prime
toujours assez forte peut tenter les consciences)
le bandit, toujours sur l'œil, craint l'embus-
cade, la surprise et la trahison ; il entre chez le
paysan en le mettant en joue et exige, à l'heure
des reoas, que son hôte goûte avant lui de tous
iesplâts." Cette complicité, supportée comme
un joug, amène: fatalement de brusques révol-
tes ; en tuant où en livrant le bandit, le paysan
alors se venge des vexations subies, et c'est la
mort de Feretti, le bandit de Propriano'.
« Poursuivi par les gendarmes, il s'était réfu-
gié chez un sien parent, lequel habitait une
masure assez isolée dans la montagne. Il s'y
était installé comme chez lui, y commandait en
maître, mettant la main au plat et même aux
corsages des filles. Il avait fait de celle de son
hôte, sa maîtress-e, le père, dompté par la ter-
reur, n'osait rien contre le mécréant. Feretti
plein d'une juste méfiance pour l'homme qu'il
terrorisait, lui faisait manger, avant et devant
lui, de tous les plats qui lui étaient servis. Le
paysan eut une idée géniale, il trouva le moyen
d'introduire de la strychnine dans des figues
fraîches, il en avait délicatement coupé la
queue. Les fruits empoisonnés furent mêlés à
d'autres, intacts : « Mange », faisait Peretti à son
parent. Le paysan s'exécutait. Il reconnaissait
les-figues. Rassuré, le bandit puisait à l'assiette.
'A la quatrième figue il tombait foudroyé ; le
paysan s'était délivré de son oppresseur.
« Parfois, c'est l'appât du gain qui décide de
la mort du bandit. La prime a tenté le paysan,
et dans ce cas-là, c'est presque toujours un
parent du bandit ou un de ses guides qui fait
le coup, car le bandit ne marche que précédé
ou escorté d'un guide et, parfois, de plusieurs,
qui font autour de lui un vrai service d'avant-
garde. Ils explorent le pays, s'assurent de la
sécurité du village où le proscrit doit passer,
préparent son gîte et favorisent sa fuite en cas
d'alerte. Comme les Chouans de Vendée, ils ont
entre eux des signes d'eux seuls connus ; trois
pierres posées sur le bord de la route, à l'entrée
d'un village, préviennent le bandit de ne pas
allef" plus loin, le lieu n'est pas sûr pour lui ;
telle ou telle entaille dans un tronc de châtai-
gnier veut dire que les gendarmes vont passer
par là et qu'il doit bifurquer au plus vite à droite
ou à gauche pour ne pas tomber entre leurs
mains ; et dans toute la contrée, l'arbre et la
roche deviennent complices pour protéger et
sauver le bandit. Quand l'homme dont la tête
est mise à prix se dérobe, le paysan qu'a tenté
la prime s'avise quelquefois d'étrangels super-
cheries ; ce fut le cas d'un des neveux de Jac-
ques Bellaeoscia.
« Il rêvait depuis longtemps de gagner la
grosse somme. La mort de son terrible oncle
pouvait seule la lui fournir ; mais, outre que
Jacques Bellaeoscia n'était pas facile à surpren-
dre, même par un des siens, ce neveu intéressé
redoutait les représailles de la famille. Antoine
Bellaeoscia n'était pas homme à laisser le meur-
tre de son frère impuni, et puis, tous les Bo-
nelli auraient pris les armes, c'était du coup
tous les Bellacoscia dans le maquis.
« Ce madré neveu se décida pour un bandit
moins proche, un bandit qui ne fût pas de la
famille.
« Un nommé Capa tenait alors la imontagne
entre Vivario et Vizzavona, c'était un fin limier
qui avait toujours déjoué les marches et les
contremarches de la maréchaussée et dont,
chargée de méfaits, la tête était chèrement co-
tée. Le neveu de Bellacoscia se rabattit donc
sur Capa, mais Capa n'était pas non plus hom-
me à se laisser approcher et abattre comme un
vulgaire gibier. Après trois mois de poursuites
et d'embuscades, le malheureux coureur de
prime devait renoncer à tuer le fameux bandit,
mais il ne renonçait pas à la somme.
« Dans la légitime appréhension 'du fusil et
des balles de Capa, il se décida à une substitu-
tion ; le tout était de se procurer un cadavre et
de le fournir à la gendarmerie comme celui
d'un bandit. Un malheureux mendiant porteur
de saintes images, un vieux pellegrine, comme
on les appelle ici, fut guetté et assassiné par
le paysan dans un sentier de forêt. La Corse
est infestée de ces vieux montreurs de saints,
la plupart Italiens de naissance et qui, loque-
teux et chenus, s'en vont de village en village
faire baiser aux paysans la figure de cuivre ou
d'étain repoussé, qu'ils portent religieusement
pendue à leur cou.
« Ceux-là sont sans défense, sans famille
aussi, et leur meurtre est facile.
« Un carrefour de forêt vit le crime. L'homme
abattu, l'assassin s'empressait de le défigurer,
il lui brûlait avec de la poudre la barbe et le
visage. Le cadavre ainsi rendu méconnaissable,
le chasseur de prime courait prévenir la gen-
darmerie, l'amenait sur les lieux, et lui faisait
reconnaître le mort.
« — C'est Capa, je l'ai guetté, suivi et puis
je l'ai tué ! J'ai bien visé, voyez plutôt, à la tête.
a La maréchaussée mystifiée donnait dans le
piège, un procès-verbal constatait la mort du
fameux Capa, le meurtrier touchait la prime et
vivrait encore heureux de polenta de châtaigne
en hiver et de polenta de maïs en été, si Capa,
furieux de passer pour mort de son vivant, n'a-
vait réclamé.
« Il écrivit au préfet, au procureur de la
République, aux directeurs de journaux même,
pour démentir sa mort et bien établir qu'il
était en vie ; il remua autour de la supercherie,
qui le rayait du nombre des Corses, l'opinion
publique et la presse. L'assassin du faux Capa
était arrêté, une enquête était ouverte qui prou-
vait son crime, l'identité du pauvre pellegrine
était retrouvée et le Corse amateur de primes
passait en Cour d'assises et payait sa substitu-
tion de cadavre de sa tête.
« Il fut guillotiné à Bastia.
« L'affaire et la mort du fameux bandit Poli,
sa rencontre et ses démêlés avec le préfet
d'Ajaccio dans la forêt d'Aïtone, la victoria du
préfet arrêtée avec son escorte officielle par
Poli et ses guides, et les conditions du bandit,
imposées à l'officier ministériel couché en joue
pendant tout l'entretien, toute cette aventure
détachée, on dirait, des Brigands d'Offenbach,
a défrayé trop récemment l'opinion et la presse
pour y revenir. Poli, véritable brigand bien
plus que bandit, avait été trouver son oncle
Lecca et essayé de le rançonner sous menace de
mort.
« Reçu à coups de fusil par Lecca., Poli avait
juré de se venger et, à quelque temps de là,
en effet, Lecca avait été trouvé tué. Poli avait
alors gagné le maquis. Arrêté, puis condamné
par la Cour de Bastia, il avait été expédié en
Nouvelle-Calédonie. Il était parvenu à s'en
échapper, s'était réfugié en Italie et, incarcéré
à Rome comme anarchiste, y avait toujours
caché son identité et son nom. En Corse, on le
croyait mort.
« L'arrestation de ses deux frères, impliqués
dans l'assassinat de Lecca et emprisonnés
comme complices, le ramenait au pays. En ap-
prenant que ses frères étaient compromis à
cause de lui et par lui, Poli, bravant tous les
périls, rentrait en Corse. Il y affirmait sa pré-
sence par des meurtres, des violences et des
rapines, mettait le pays en coupe réglée et, de
brigandage en brigandage, d'audaces en auda-
ces arrêtait la victoria. du préfet et mettait ce
dernier en demeure de faire acquitter ses frè-
res, alors sur le banc des Assises de Bastia :
« Ils étaient innocents, lui seul était coupable
et se faisait gloire de le proclamer. «
« Le préfet promettait tout ce qu'exigeait le
bandit : les frères de Poli sortirent acquittés des
Assises, mais la nouvelle de la rentrée du
meurtrier en Corse y avait ramené les fils de
Lecc.a, l'oncle assassiné. Pour venger leur père
les trois fils Lecca, l'un employé de chemin de
fer sur le continent, l'autre sous-officier en
Tunisie et le troisième établi à Bône, en Algé-
rie, obtenaient des congés, se faisaient libres et,
rentrés dans l'île, y gagnaient le maquis.
« Ils y organisaient la chasse - au bandit.
Poursuivi par ses cousins, traqué par les gen-
darmes, Poli était ramassé un matin en forêt,
mort à son tour. Un de ses guides l'avait em-
poisonné pour toucher la prime.
« Pour une vendetta corse, en voilà une qui,
à mon avis, vaut bien celle .d. Colomba et pour-
rait tenter un moderne Mérimée, et Poli a été
tué, il y a six mois à peine.
« Les légendaires exploite de deux Bellacoscia
deviennent bien pâles dans le recul du temps
auprès du sang tiède et fraîchement versé de
la querelle Lecca-Poli, et puis Antoine Bella-
coscia a bien perdu de son prestige, depuis que
les autorités de l'île l'ont classé bandit décora-
tif dans les fêtes officielles ! Au dernier voyage
de M. Lockroy en Corse, une administration
trop zélée n'a-t-elle pas eu l'idée de camper le
vieux Bellacoscia en costume de bandit sur l'af-
freuse glacière en béton qui déshonore la sta-
Hon de Yizzavona, et de grouper autour de
lui une vingtaine Se, vieux paysans guêtrés de
peaux et vêtus de velours noir, toute une figu-
ration de bandits de circonstance qui, à la des-
cente du malheureux Lockroy du train, saluè-
rent d'une brusque fusillade Son Excellence.
« Fusillade héroïque de la Navarraise pres
que ! !
« M. Carré n'eût pas mieux fait. Couleur lo-
cale et cabotinage.
« Le préfet d'alors avait servi des bandits au
ministre, les bandits se sont revancliés des pré-
fets dans Poli.
« Un mot de Bellacoscia pour finir, du vieil
Antoine Bellacoscia, de celui-là même qu'ont un
peu démonétisé les cartolines et les fêtes offi-
cielles. Il fleure une odeur sauvage de poudre
et de maquis.
« On causait au village du nouvel uniforme
des gendarmes, Bellacoscia était présent et,
comme on consultait son avis, le vieil homme,
clignant de l'œil sur la grenade de cuivre doré,
qui met un point brillant au-dessus de la vi-
sière du skaho d'aujourd'hui : Che bella mira !
se contentait-il de dire ! Quel beau point de
mire ! et dans sa voix tremblait comme un
regret.
JEAN LORRAIN.
Nous avons le plaisir d'annoncer à nos lec-
teurs que Gil Blas publiera tous les quinze jours
le jeudi, en feuilleton, des Causeries sur lhis-
taire, par M. Arlhur-Lévy.
Nous n'avons pas besoin de présenter à nos
lecteurs l'éminent historien qui écrira pour eux
ces chroniques.
M. Arthur-Lévy est l'auteur de ces deux li-
vres considérables : Napoléon intime, Napoléon
et la paix, qui ont eu une grande influence sur
le développement des études napoléoniennes,
et dont les conclusions, qui parurent hardies
tout d'abord, se sont imposées par leur force
même et leur précision à tous les autres histo-
riens de l'époque napoléonienne.
'Le talent littéraire de M. Arthur-Lëvy ne le
cède en rien, on le sait, là sa haute compétence
d'historien érudit et philosophe.
C'est dire quel lintérêt exceptionnel s'atta-
chera à sa chronique de Gil Blas, où il examine-
ra régulièrement, non seulement les principaux
livres français, mais encore les plus importan-
tes des informations étrangères, et marquera
toutes les qualités qui ont assuré la prépon-
dérance européenne de la nouvelle école histo-
rique française.
Ainsi, Gil Blas remplira plus complètement
encore la tâche qu'il s'est attribuée, qui consiste
à fournir un tableau anime et fidèle de la vie
intellectuelle moderne.
Le premier feuilleton de notre éminent colla-
borateur M. Arthur-Lévy, paraîtra jeudi 29 oc-
tobre.
Echos
Les Courses.
Prix de Bugey. — El Pato Real, Beautiful.
Prix des Faucilles. — Busagny, Anicroche.
Prix du Valromey. — Pastille, Illuminé.
Prix du Jura. — Le Mandinet, Rose Rose.
Prix de la Franche-Comté. — Humour, Interna-
tional.
Prix du Méconnais. — Souvenir Impérial, Illu-
miné.
vwvwwv
Le temps qu'il fait.
Excellente journée d'automne, hier. Bonne tem-
pérature, dans l'après-midi. Soirée agréable.
A 2 heures, le thermomètre marquait 20°, et le
baromètre 770 m/m.
A 7 heures, le thermomètre marquait 16°, et le
baromètre 771 m/m.
LES DEUX ROYALISMES
Les royalistes se réunissent quelquefois en
province bien qu'ils soient tous très Parisiens.
Ils ont mis un peu de pittoresque dans leur
réunion d'hier et ce n'est point ce que je veux
leur reprocher. Ils étaient groupés dans un
champ vendéen et trois mille personnes, nous
dit-on, étaient assemblées devant une petite es-
trade décorée d'oriflammes fleurdelisées. Je ne
savais pas que les fleurs de lis s'épanouissaient
communément au milieu des prés. Mais il faut
s'attendre 'à tout dans la vie contemporaine, et
accepter d'une âme égale les bizarreries de la
politique et de l'horticulture.
Naturellement, les orateurs bretons et ven-
déens ont attesté vigoureusement et patrioti-
quement que la France est aujourd'hui dans
une décadence irréparable — irréparable aussi
longtemps qu'elle n'aura pas un roi. Ils ont cer-
tifié avec vigueur encore et encore avec patrio-
tisme, que vraiment on est aujourd'hui honteux
d'être Français. Après quoi, i'is ont crié « Vive
la France ! n
M. de Baudry-d'Asson, parlant à son tourt et,
afin de lier entre eux ses arguments, s'est ex-
clamé : « A bas Combes ! »; puis, ayant dit ces
mots, il est tombé immédiatement.
Il s'est relevé plus aisément que ne se relè-
vera la France, s'il faut en croire les royalistes,
et on s'est demandé s'il ne serait pas l'heure
de parler sérieusement.
M. de Joantho s'est autorisé de son titre de
secrétaire in partibus du duc d'Orléans pour
exposer la nouvelle méthode de propagande
monarchiste.
Il a rappelé avec beaucoup d'à-propos les an-
ciennes guerres vendéennes et s'est écrié, non
sans verve :
« Les lions d'alors sont toujours des lions —
un peu vieillis, je pense — mais où sont les
lions pour les conduire ? »
Ainsi, M. de Joantho se montre aussi sévère
pour la noblesse que l'était l'autre jour M'. Jules
Lemaître. Décidément, la noblesse est bien
attaquée par ses amis !
Ensuite, ravivant le souvenir des guerres de
Vendée, il compare tristement la magnifique ré-
volte d'alors avec la résignation d'aujourd'hui,
et on sent que ses préférences sont pour les ré-
voltes d'autrefois. Cela cadre mal avec les ef-
forts des jeunes royalistes renouvelés par le
pédantisme qui ne veulent plus attendre — sous
l'orme — la royauté que de l'application pro-
gressive des doctrines d'Auguste Comte.
Bref, la réunion vendéenne dans la prairie de
Legé semble indiquer que les royalistes mili-
tants ne lisent pas les royalistes dissertants.
On ne peut les en blâmer. Mais alors, pour quoi
et pour qui écrivent ceux-ci ?
Au reste, avec qui donc est le duc d'Orléans?
Avec ceux qui, dans les champs, évoquent les
guerres de Vendée, ou avec ceux qui ne veulent
lutter que de pédantisme ?.
GIIi BLAS.
vwvwwv
Réponse royale.
Les directeurs de Gil Blas ont reçu la lettre
suivante du ministre1 de la maison royale d'Ita-
lie, le général Ponzio-Vaglia. Nos lecteurs ap-
prendront avec plaisir, par cette aimable ré-
ponse, que le Roi et la Reine ont apprécié les
témoignages de sympathie que la presse fran-
çaise a manifesté si chaleureusement.
Ministero Délia R. Casa
Pise (S. Rossore), le 22 octobre 1903.
Je n'ai pas: manqué de communiquer au Roi, mon
souverain, les articles' publiés dans Gil Blas et les
autres que vous avez eu l'obligeance de me trans-
mettre par votre lettre du 16 courant.
L'intérêt particulier de ces écrits et les souvenirs
patriotiques qu'ils réveillent ont rappelé sur eux
l'attention de Sa Majesté, qui les a lus avec plaisir,
en appréciant justement les sentiments de sympa-
thie envers l'Italie et la Maison de Savoie qui les
inspiraient.
J'accomplis très volontiers, dès qu'il m'est pos-
sible, un gracieux ordre du Roi, en me rendant l'in-
terprète des remerciements de Sa Majesté pour vo-
tre aimable offre, et je saisis cette occasion pour
vous assurer, monsieur, de ma parfaite considéra-
tion.
Le ministre
de la Maison Royale d'Italie,
Général PONZIO- V AGLIA.
Le souvenir que les souverains d'Italie veu-
lent bien nous adresser, touchera nos lecteurs
aussi profondément qu'ils nous touche nous-
mêmes.
«wwwwv
Union chrétienne
Le mariage de M. Pierre Goyon, agrégé de
l'Université, avec Mlle 'Lucie Faure, est très
prochain. Voici cinq mois que nous l'avons an-
noncé, et c'est l'indiscrétion de Gil Blas qui dé-
cida du sort des deux époux. Mme Félix Faure,
en effet, refusait son consentement.
Léon XIII, consulté sur cette grave question,
se montra, d'ailleurs, assez hostile à l'union.
M. Goyon, qui fréquentait beaucoup à la Cour
de Rome, insista :
- Mon fils, dit en souriant le Pape, quand on
est d'aussi petite taille on ne se marie pas !
M. Goyon a, certes, un grand talent. Mais il
est petit. Pourquoi Léon XIII voulait-il réserver
le mariage chrétien aux seuls hommes de belle
taille ? Mystère. M. Goyon n'a pas grandi, de-
puis lors ; il se marie cependant et sera fort
heureux.
VWVWWV
Sous la Coupole.
La séance annuelle des cinq Académies, qui
s'est tenue hier après midi, commence par une
série d'éloges funèbres : chacune des classes de
l'Institut veut affirmer, à son tour, combien lui
fut cher le confrère disparu. A entendre ces
discours, tous si bienveillants, exempts de cri-
tiques, on se sent je ne sais quel optimisme et,
en même temps, on éprouve quelque surprise
si l'on se prend à songer aux intrigues néces-
saires à une élection.
Cette, fois, M. Georges Perrot présidait. « Le
clou », ainsi qu'on le nomme à lE, cole normale"
prononça, d'une voix tranchante, et d'ailleurs
monotone, des paroles simples, où perçait son
amitié pour Gaston Paris, son estime pour E.
Legouvé ; M. Gaston Deschamps tortillait sa
barbiche. M. de Lapparent disserta sur « la
science et le paysage », M. Humbert sur « la
ressemblance dans le portrait »; puis, onctueux,
gras, monacal, le lorgnon en équilibre sur le
bout du nez arrondi, M. Emile Gebhart fut bref,
louant les délices du Paradis, s'y installant,
ainsi que dans un fauteuil à l'Académie fran-
çaise.
Enfin, le comte d'Haussonville, élégant, avec
sa petite moustache conquérante, son monocle
qui étincelle, ses cheveux qui battent, ailes gri-
sonnantes, sur les tempes bombées, fit rougir
l'auditoire — car il lisait un mémoire sur cer-
taine statue d'un Voltaire tout nu, que sculpta
Pigalle. Et ce bon public universitaire, aristo-
cratie de rive gauche, s'en fut, persuadé qu'il
avait assisté à une réunion très parisienne où
la tête chauve de M. Frédéric Passy battait la
mesure, tandis que les regards inquiets des so-
ciologues cherchaient en vain les petites fem-
mes absentes.
•VWVWWV
Le hasard en bouteille.
Le directeur d'un des journaux qui offrent à
leurs lecteurs la fortune dans une bouteille
avait fait acheter un certain nombre de réci-
pients de formes et de dimensions différentes.
Or, il se trouva que celui qu'il choisit était d'un
modèle breveté, et d'une valeur très supérieu-
re à celle des bouteilles ordinaires. Comme les
chercheurs de solutions achètent en grand
nombre la bouteille, le propriétaire de la mar-
que est en passe de faire une petite fortune. Na-
turellement, le public est convaincu que le jour-
nal en question est intéressé dans la vente. Et
il ne manque pas de dire que cette bouteille est
la bouteille à l'encre.
'\I\I\I\I\!\I\I
Procès-verbal.
On nous communique le procès-verbal suivant :
Le 26 octobre 1903.
M. Georges Bourdon s'étant jugé offensé par
une phrase d'un article de M. Pierre Mortier, a
prié MiM. Robert de Flers et M. Paul Desachy
d'en demander réparation.
M. Pierre Mortier a choisi comme témoins
MM. A. Périvier et P. Ollendorff.
Après les explications fournies par MM. Pé-
rivier et Ollendorff, les soussignés ont reconnu
d'un commun accord que le texte en question
ne devait comporter aucune acception offensan-
te et que, par conséquent, il n'y avait pas lieu
de donner suite à l'affaire.
Pour M. Georges Bourdon :
ROBERT DE FLERS,
PAUL DESACIIY.
Pour M. Pierre Mortier :
A. PÉluvmn,
PAUL OLLENDORFF.
tvwvww
Gloires du jour.
De notre ami Willy, ce piquant billet :
Mon cher Diable Boiteux,
Dans le Petit Niçois d'hier :
Nous exposons, daxis notre salle de dépêches, une
photographie de Willy et de son interprète, l'idéale
Claudine, Polaire, ainsi que les portraits de Basset
et de Victorine Giriat, les' assassins d'Eugénie Fou-
gère. »
On est éclectique, au Petit Niçois !
Très cordialement votre
WILLY.
C'est ça, la gloire: elle va de Wagner à Tropp-
mann, de Renan à M. Combes.
La croix du Panthéon.
Nous pouvons affirmer, sans craindre d'être
démenti, que la croix du Panthéon ne tient plus
que par un fil. Si ce fil vient à se rompre (ou
si on le rompt) la croix tombera, et un minis-
tre aussi.
Ces iours-ci, auelaues parlementaires antidié-
ricaux entretenaient le président du Conseil de
cette « grave et importante question ».
— Je ne demanderais pas mieux que de vous
satisfaire, leur répondit M. Combes. Mais nous
nous heurtons à une difficulté sérieuse : M.
Chaumié ne veut rien savoir, et c'est lui que
cette affaire regarde. Si vous pouvez le décider,
je m'engage à vous aider à enlever la croix. »
Or, il parait que M. Chaumié ne veut, en
effet, rien entendre. Les parlementaires dont
nous parlons n'osent même pas tenter une dé-
marche auprès de Qui, par crainte d'un refus
catégorique.
i\I\N\I\NV\I\-
La garde-robe du poète.
Les héros de Bourget, ces fameux dandys aux
armoires pleines de vêtements, aux régiments
de chaussures ordonnés comme une armée en
bataille, aux cravates sans nombre, ont fait
quelque temps école en France ; mais ce n'est
qu'en Italie qu'ils ont trouvé des rivaux et des
maîtres.
Gabriele d'Annunzio possède une garde-robe
à désespérer les élégants des deux mondes.
Qu'on en juge : 72 chemises ; 12 douzaines de
chaussettes de toute couleur en fil et en soie ;
des chapeaux, des habits de soirée, des smo-
kings, des jaquettes, innombrables ; 48 pai-
res de gants pour la rue ; 24 paires de gants de
soirée ; 8 parapluies, tous invariablement vio-
lets ; 10 ombrelles toutes vertes ; 20 douzai-
nes de mouchoirs de poche ; 150 cravates ; 10
vestes d'intérieur ; 14 paires de chaussures —
c'est modeste — sans compter les molles et si-
lencieuses pantoufles.
Mascagni seul, en Italie, peut rivaliser avec
d'Annunzio et étaler un pareil luxe de vête-
ments. Quels indiscrets valets de chambre ont
donc ces grands hommes ?
«vwwww
A partir du 1er novembre, le manège, 26, rue
de la Faisanderie, va recommencer ses cours :
Cours élémentaires pour enfants et, cours
supérieurs mixtes pour Dames et Messieurs.
Les personnes désireuses d'y prendre part
sont assurées de trouver au manège, des pro-
fesseurs expérimentés, ainsi que des chevaux
élégants, bien dressés, et offrant toute sécu-
rité.
C'est, du reste, à sa cavalerie très remarquée
au Bois, que le manège de la Faisanderie doit
son succès chaque jour grandissant.
Sa situation à proximité du Bois (cent mè-
tres de la Porte Dauphine), en dehors de tous
les avantages qu'elle offre aux promeneurs, est
une garantie permettant d'éviter tous accidents
aux jeunes commençants.
■vwwww
Histoire de bohème :
Un bohème puisant dans le porte-cigares
qu'on lui présente :
— Oh ! laissez-moi encore en choisir deux
ou trois. Ils sont exquis ! Où donc les prenez-
vous !
— Mais c'est vous qui les prenez ! Moi, je
les achète 1
LE DIABLE BOITEUX.
LA
SOCIÉTÉ DE PARIS
LXX
MADAME JULES PORGÈS
Une très jolie femme, à la taille élancée, au sourire
discret et doux, au profil de camée. Elle se meut avec
une grâce glissante, elle s'exprime avec un art ingénu,
un peu enfantin, son parler mondain est rempli d'un
agrément très purement féminin. Elle aime le monde,
le grand monde, sa beauté fut spécialement créée pour
briller dans les fêtes, son genre d'esprit se prête à
l'organisation savante d'un train d'élégance, il n'é-
prouve guère de ces curiosités ultra-modernes, qui
entraînent aujourd'hui les filles d'Eve dans les che-
mins ardus de la politique, de la science ou des arts.
Plaire à un public de choix, sélectionner de mieux en
mieux les élus de son salon, accroître de jour en jour la
renommée die son goût, ces préoccupations suffisent à
ses ambitions.
La comtesse Fernand de La Ferrormays encoura-
gea les débuts de sa carrière mondaine en lui offrant
une place à son comptoir dans une vente de charité ;
peu après, le bruit de sa conversion au catholicisme
courait dans les salons. Cent femmes voulaient connaî-
tre la séduisante néophyte, et, à peine présentée, son
charme personnel achevait la conquête. De nombreux
mariages vinrent resserrer les liens d'intimité qui l'u-
nissaient au faubourg Saint-Germain. Une nièce,
Mlle de Gutmann, épousait le comte Robert de Fitz-
James, d'autres nièces, Mlles Porgès, épousaient le
comte Foy et le prince Marco Borghèse, unions fécon-
des en relations agréables.
Entre temps, M. Jules Porgès, en financier de gran-
de envergure, s'intéressait aux mines de diamant sud-
africaines, ressuscitait la Société de Beers, spéculait
sur les terrains dui Transvaal,. et réalisait une fortune
qui se monte, dit-on, à plus de deux cents millions.
Longtemps, Mme Porgès — peut-être en souvenir de
l'intérieur modeste des Wodianer, ses parents — s'était
plu à conserver le joli petit hôtel de la rue de Londres,
mais il était temps de remplacer la demeure simple-
ment charmante, par un cadre mieux approprié au luxe
des patriciens modernes. Un somptueux hôtel s'éleva
donc sur les terrains occupés jadis par le palais pom-
péien et le châlet gothique qu'avait ordonnés le prince
Napoléon dans une heure de spleen. Beaucoup plus
et mieux, la construction actuelle mérite l'admiration
des Parisiens. C'est riche, c'est vaste, autant que l'hô-
tel Ritz, et l'organisation en témoigne d'un goût plus
délicat. Autant de salons, autant de musées où s'ad-
mirent les bureaux historiques, ies pendules uniques,
les chefs-d'œuvre de la peinture anglaise, flamande,
italienne. La salle à manger est assurément la plus
vaste et la mieux décorée qui soit dans Paris. Rien
n'y manque, ni les tapisseries de Berain, ni les pan-
neaux d'Oudry, ni les orfèvreries du1 maître Germain.
Mme Porgès tire de sa splendide demeure un légiti-
me amour-propre. Qui de nous ne se complaît dans le
luccès de ses personnels efforts ? Aussi quand un
clubrnan malicieusement taquin s'avisa d'ajouter à l'ex-
pression du désir de lui présenter ses hommages :
- Mais au fait, madame, où demeurez-vous ?
Mme Porgès sourit d'un air doucement pitoyable.
Personne, en effet, ne peut décemment ignorer l'exis-
tence du palais. - -
Cette femme indulgente et généreuse se plaît aux
œuvres de charité dont son immense fortune rend la
source inépuisable. Elle souscrit aux Petites Préser-
vées de la comtesse de Biron ; elle fonde des lits à
l'hôpital du Perpétuel secours, de la marquise Maison;
elle est membre de la Société Philanthropique que pré-
side le prince d'Arenberg. Lorsque advint la catastro-
phe du Bazar de la. Charité, sa demeure s'ouvrit aux
premiers soins que réclamaient les victimes, et les ha-
bitants se virent récompensés dans la personne de la
maîtresse de céans par l'octroi de la médlaille d'or des
sauveteurs, de la Seine. Mme Porgès a élevé sa fille
unique, aujourd'hui marquise de La Ferté-Meun, dans
la pratique des bonnes œuvres, des lettres et des arts.
C'est une jeune femme remarquable par la bonté, l'es-
prit et les lumières.
Tant à l'hôtel de la rue Montaigne qu'au château de
Rochefort, situé près de Rambouillet et splendide-
ment restauré, se réunit presque quotidiennement une
élite d'invités et d'amis. Les uns font partie de la
nombreuse parenté des La Ferté-Meun, d'autres ont
été choisis d'ans la partie éclairée et moderne du fau-
bourg Saint-Germain, d'autres furent triés soit dans
le monde israélite, soit dans la société cos-
mopolite, soit dlans les clubs parisiens, soit
encore dans le personnel des légations étrangères.
Objet des recherches délicates d'une hospitalité rare et
précieuse dans un monde trop démocratisé, ce public
pratique cet art des nuances dont la. séduisante maî-
tresse de maison donne l'exemple et la loi.
LARGILLIÈRE.
TRÉSORS ET GROS LOTS
Nous croyons savoir que le garde des sceaux,
devant le retentissement des incidents qui ont
accompagné la découverte de l'un des trésors
du Matin, aurait décidé de déposer un projet
de loi tranchant définitivement la question des
loteries, plus ou moins déguisées, organisées
par les journaux. Il ne pouvait en être autre-
ment. Comme on le verra par les citations que
nous reproduisons dans notre revue de la
presse, un mouvement d'opinion spontané et
irrésistible s'était dessiné.
Nous ne connaissons naturellement pas le
texte exact du projet de M. le garde des sceaux.
A première vue, il semblerait même qu'une' loi
nouvelle eût été inutile, puisque la loi de 1836
est formelle. Mais celle-ci a été si souvent vio-
lée, et interprétée de tant de façons différentes,
que M. Vallé a cru bon de fixer cette jurispru-
dence par trop fantaisiste.
Il serait question d'interdire aux journaux
toute opération « qui ne laisserait pas subsister
une égalité absolue entre les acheteurs au point
de vue des avantages offerts ».
Cette solution n'est pas celle que nous eus-
sions désirée. Nous aurions préféré cent fois
voir nos confrères renoncer d'eux-mêmes, et
sans l'intervention du pouvoir judiciaire, à un
mode de propagande qui, entre autres inconvé-
nient" avait celui de faire déserter les ateliers
et les bureaux par des quantités de braves gens,
ou de les distraire de leur travail par des re-
cherches sur la capacité des bouteilles. Il est
telle administration où garçons de bureau et
petits employée passent leur temps à compter,
des grains de blé, où à étudier de vieux plans
de Paris.
Il faut reconnaître que M. Vallé n'a pas laissé
à nos confrères le temps matériel de venir à
résipiscence, sans quoi leur bon sens aurait
certainement pris le dessus.
Quoi qu'il en soit, ce genre de réclame aura
vécu. C'est un grand bien. Le public recommen-
cera peut-être à acheter les journaux unique-
ment pour les lire, et nos confrères en seront
quittes pour baser leur succès sur la collabo-
ration de rédacteurs de talent et sur l'habileté
d'administrateurs avisés. Leur succès n'en sera
d'ailleurs pas moins vif, et ils ont tout ce qu'il
faut pour que cette perspective ne les effraye
pas.
, GEORGES PRICE.
NOTES ET SOUVENIRS
fil
Le poète Maurice Rollinat est mort hier, dans
une syncope, à la maison de santé du docteur
Moreau de Tours, à Ivry.
Et voilà que me. reviennent nets, précis, à
la mémoire, les détails de la journée où je vis,
pour la dernière fois, l'auteur des Névroses.
Vers la un cTaoût, par une des rares matinées
jolies de la saison, nous remontions de la.
Creuse, à Gargilesse, Arthur Maillet, le secré-
taire du Comité Dupleix et moi. Nous étions
allés de bonne heure lever les nasses au-des-
sous de la pyramide des bains de George Sand,
où se noyèrent, il y a quelques années, des pa-
rents du député de Seine-et-Oise, notre confrère
Berthoulat. Chemin faisant, je projetais d'aller
à Fresselines excursionner et je m'informais de
la présence de Rollinat dans le pays. En pas,
sant devant l'église, j'avais aperçu à la devan-
ture de la petite épicerie une carte postale re-
présentant la charmante habitation du poète
des Névroses, avec ce quatrain imiprimé au-des-
sous de l'image :
Ma maisonnette montre aux horizons tranquilles
Ses volets verts, ses clairs carreaux extasiés,
Le lierre" et le moussu de sa toiture en tuiles
Et ses murs lumineux tout fleuris de rosiers.
Maillet me certifiait qu'avant peu nous ver-
rions le poète chez notre ami commun, Léon
Detroy, le peintre, quand le facteur, nous ayant
croisé, nous remit nos lettres.
Son courrier à peine ouvert, Maillet poussa
un « oh » douloureux.
Je me rapprochai de lui :
— Qu'est-ce qu'il y a ?.
— La femme de Rollinat, me dit-il, a été moi
due par son petit chien, ou léchée seulement,
on ne sait. Le docteur Bertrand l'a expédiée
à l'Institut Pasteur, hier. C'est grave f On est
très inquiet, paraît-il.
En une minute,. la nouvelle se répandit dans
le village, où chacun connaît les Rollinat,
vieille famille des environs d'Argenton-sur-
Creuse. Et des visages terrifiés, angoissés, ap:
parurent, ceux d'intimes du poète, parmi les-
quels le peintre suédois Allan Osterlind et sa
famille.
Deux jours durant, toutes les conversations
retentirent du pénible sujet.
Le troisième courrier nous informa du tragi-
que dénouement. La blessée, à peine débar-
quée et hospitalisée dans une maison de santé,
terrassée par une crise effroyable dont elle
mourait.
— Et lui, questionnait-om ? que va-t-il deve-
nir, livré à soi-même, égaré, isolé, désolé ?.
Chacun disait son triste mot, donnait son im-
pression sentimentale devant cette rupture
brusque d'existence, on contait des souvenirs
de la « caverne bleue », le chenil, ainsi pom-
peusement nommé, dans lequel étaient enfer-
més des chiens de toute sorte.
Osterlindl rappelait les longues soirées d'hi-
ver, à Fresselines, soirées que le poète passait
au piano, à chanter de sa voix puissamment sin-
gulière, allant de la basse au ténor, les mélo-
dies originales' inspirées de ses vers campa-
gnards : La Chanson de la perdrix grise. Le
Cimetière aux violettes, Les Corbeaux, Les
Nuages, VArc-en-ciel, n disait sa vie parmi ses
chiens et ses chats et la joie du poète à recevoir
ses amis, à les garder presque jusqu'au matin,
à l'heure où la potion de chloral lui procurait
un sommeil lourd, traversé de rêves fantas-
ques. Il rappelait les paresses fécondes dans la
brande berrichonne, au bord de la Creuse
bruyante et mordorée, les fantaisies du pê-
cheur enfantin, la mobilité de son humeur
qu'une volute échappée de la pipe de merisier
modifiait. Et toujours reparaissait l'obsédante
préoccupation.
— n n'y résistera pas. C'est trop ! Pauvre
homme !. Par quelles terreurs il a dû passer !
Lui qui sentait déji sa. volonté lui échapper
chaque jour
Un mois a.près cet événement .t.erri.b.l.e, nous
passions à plusieurs devant la maison de Fres-
selines. Une ménagère y rentrait, franchissant
la porte ouverte dans la simple barrière a écha-
las. A travers les arbreS'fruitiers qui l'entou-
rent, elle montrait ses trois fenêtres a rideaux
modestes, et l'intérieur personnel, confortable,
du poète apparaissait par la porte béante. Mais
du logis rustique et d arrangement très artiste
cependant, Je maître était éloigné. Deux hcowj
plus tard nous le croisions à cront, au pied
des ruines féodales qui surplombent dans un
cadre de granit Qlbru0 fleuri de bruyère, /au-
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