Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1878-06-30
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 30 juin 1878 30 juin 1878
Description : 1878/06/30 (N3033). 1878/06/30 (N3033).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7532899z
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
TT* 303 3 = Dimanche 30 Juin 1878
Se numéro : lo c. s- Déparlements iS eu
t 2 Messidor an S3 — N* g, 33 t
RÉDACTION
Nreuer au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
18, lUiT "8 VALOIS, iS
lM manuscrits non insérés ne seront pu rendes
ANNONCES
D. Ch. LAGRANGE, CERF et CI
6, place de la Bourse, 9
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, r ~j
ABONNEMENTS ! ï
ABONNNEMENTS
riRis
fVols mois 16 »
Six mois 20 »
DEPÄRTEMENT
Trois moisi YYa 5ï
Six moi». <Ç Nl £ ) a
Adresser lettres fttsraaadaoM
A H, ERNEST L EV
ERNESTE LEFEVRE
LE COMPLÉMENT DE LA FÊTE
« Toute fête est fraternelle ; une fête
qui ne pardonne pas à quelqu'un n'est
pas une fête. La logique d'une joie pu-
blique, c'est l'amnistie. Que ce soit là
la clôture de cette admirable solennité,
l'Exposition universelle. Réconcilia-
tion ! réconciliation ! Certes, cette ren-
contre de tout l'effort commun du genre
humain, ce rendez-vous des merveilles
de l'industrie et du travail, cette salu-
tation des chefs-d'œuvre entre eux, se
confrontant et se comparant, c'est un
spectacle auguste ; mais il est un spec-
tacle plus auguste encore, c'est l'exilé
debout à l'horizon et la patrie ouvrant
les bras! »
C'est par ces admirables paroles que
Victor Hugo a terminé le discours qu'il
a prononcé à la séance solennelle du
Congrès littéraire international. Et les
représentants de toutes les littératures
du monde et la foule qui emplissait la
salle se sont associés par leurs accla-
mations au généreux vœu du grand
orateur.
L'amnistie, on ne peut la demander
qu'aux Chambres. Hélas! on la leur a
demandée, et on sait ce qu'elles ont
répondu, même la Chambre des dépu-
tés. Une des raisons qu'elle a données,
c'est que, quand même elle aurait dit
oui, l'autre Chambre aurait dit non, et
que ce qui doit être une mesure d'apai-
sement aurait été un sujet de conflit.
Patientez jusqu'au renouvellement du
Sénat. Quand les deux Chambres
de la République seront républi-
caines, vous verrez ! — Oui, nous
verrons; mais nous aimerions mieux
avoir vu déjà. Nous aimerions mieux
que la Chambre du suffrage universel
eût fait son devoir; la Chambre de l'au-
tre suffrage aurait pas fait le sien ? eh
bien, le pays aurait su à qui s'en pren-
dre. Mais ne récriminons pas. Laissons
le passé, et soyons au présent. On dit à
l'amnistie comme si. c'était une men-
diante : Repassez dans six mois. Tâ-
chons qu'au moins on ajoute : on vous
a déjà donné.
L'amnistie appartient aux Chambres,
mais les grâces appartiennent au gou-
vernement. Peu vaut mieux que rien.
Il a été dit qu'il serait fait huit cents
grâces, des grâces sérieuses cette fois,
avec les noms au Journal officiel. Nous
comptons que cette promesse sera
tenue.
Qu'est-ce qui empêcherait la ministre
de la tenir? les criailleries des journaux
réactionnaires? Mais ces criailleries
sont un motif de plus de faire toutes
les grâces possibles. Le gouvernement
de la République serait naïf s'il tenait
compte des désirs de gens dont le pre-
mier désir est de tuer la République.
Quand on pense que ceux qui protes-
tent contre la démence de la Républi-
que sont les royalistes et les bonapar-
tistes, c'est-à-dire ceux qui, plus que
personne, ont intérêt à ce que la Ré-
publique soit clémente!
1 Les royalistes ! au lendemain àîiii
Seize-Mai, au lendemain d'une vore de
fait de six mois sur la nation, au lon*.
demain des calomnies du Bulletin de
Communes, au lendemain des escro-
queries électorales, au lendemain de
l'embauchage de l'armée, au lendemain
du coup d'Etat prémédité, préparé et
commencé l
Les bonapartistes ! qui ont encore
aux mains le sang de Décembre, qui
ont débuté par l'assassinat de la Répu-
blique et qui ont fini par l'assassinat de
la France, qui, après avoir volé tous
nos droits, ont livré tous nos drapeaux,
et contre qui se lèvent de terre, avec
les femmes et les enfants massacrés sur
le boulevard Montmartre, les soldats
morts prisonniers en Allemagne !
Voilà ceux qui ne veulent pas de
clémence, voilà ceux qui s'indignent
contre le pardon, voilà ceux qui trou-
vent qu'on n'a pas encore assez fait
justice. Qu'ils prennent garde qu'on ne
les exauce. Ah ! vous trouvez, gens du
Seize-Mai et gens du Deux-Décembre,
qu'on n'a pas fait justice ? Eh bien, on
la fera !
Mais ce n'est pas le jour de faire
justice, c'est le jour de faire grâce. Ce
n'est pas le jour de punir, c'est le jour
de pardonner. C'est demain la fête de
la France ; aux fêtes, est-ce qu'on ne
réunit pas la famille? Puisque nous ne
pouvons pas l'avoir toute, ayons-en
au moins le plus possible. Complétons
la grande journée. C'est bien d'allumer
les lampions et de prodiguer le gaz, et
de changer la nuit en jour; mais la
haine, la rancune, la rigueur, la pros-
cription, sont aussi de la nuit. Suppri-
mons cette nuit-là comme l'autre. Il y
a un plus beau rayonnement que l'illu-
mination de la façade des monuments
nationaux : c'est le sourire de la face
d'un père qu'on rend à ses enfants. Il y
a un plus grand resplendissement que
ile ruissellement de feu des cascades :
c'est une larme de joie dans les yeux
d'une mère à qui l'on rend son fils.
AUGUSTE VACQUERIE.
.i- -, i ■ ■—
LA FÊTE
Il paraît — s'en serait-on jamais
dout{? — que le 30 juin est la fête du
Sacré-Cœur. Et d'abord, comment le
Sacré-Cœur a-t-il une fête? C'est ce que
je ne puis m'expliquer. J'ouvre un ca-
lendrier pour 1878 et je lis : 30 juin,
saint Emilien. Est-ce que le Sacré-Cœur
s'appelle Emilien? Cela m'étonnerait.
Pourquoi pas Arthur? Sacré-Cœur est
donc un nom de famille? Je ne trouve
pas de réponse à ces intéressantes ques-
tions.
Quoi qu'il en soit, le 30 juin est la
fête d'Emilien Sacré-Cœur. Et la Dé-
fense, qui nous apprend cela, est dans
la joie. Les républicains, pense-t-elle,
croiront fèter la République, et ils fête-
et ils fêW-
ront Emilien. "La République sera abo-
minablement attrapée. Emilien profitera
des lampions, des drapeaux et des feux
d'artifice. Il bénéficiera des cinq cents
mille francs votés par la Chambre. Il
aura la gloire d'amuser les rois en
voyage et le peuple de Paris. La
shah de Perse lui-même sera obligé de
sanctifier Emilien.
i îjieS I la Défense se trompe. S'il y
a I ftitel' ein que tout le monde oir-
blirâ^ le\o0 juin, ce sera précisément
Efewjjfrrf; Le calendrier et M. des Houx
auront beau taire. On pensera au suc-
cès immense de l'Exposition univer-
selle ; on pensera à la paix assurée en
Europe ; on pensera au triomphe écla-
tant de la République, mais à la fête
d'Emilien, non. Emilien ne tient point
de place dans les préoccupations pu-
bliques. Que ce soit ou non sa fête,
personne n'en a cure. On s'occupe si
peu de lui qu'on n'a pas pensé à la
date. Il n'est pas un Parisien qui soit
disposé à lui faire l'aumône d'une chan-
delle.
Si la Défense veut, s'en convaincre,
elle n'a qu'à envoyer un de ses repor-
ters à Montmartre d'abord, au bois de
Boulogne ensuite. Il verra où la foule
se porte, et il pourra nous dire s'il y a
plus de monde dans l'église du Sacré-
Cœur qu'autour du lac. La Défense veut-
elle tenir la gageure ?
On ne manquera pas de pousser des
cris. Si la Défense veut les recueillir et
les enregistrer, elle constatera, j'ensuis
sûr, que les cris de : Vive la Répu-
blique ! seront aussi nombreux que les
cris de : Vive Emilien ! seront rares.
Et, ce jour-là, si par hasard, on chante
quelque chose dans les rues, ce sera
plutôt la Marseillaise que : « Sauvons
Rome et la France au nom du Sacré-
Cœur ! »
Il y a eu un temps, bien loin de nous
déjà, où les fêtes cléricales préoccu-
paient l'opinion. Alors, M. Gabriel de
Belcastel consacrait la France à Marie,
de son autorité privée ; alors les pèle-
rins parcouraient le pays, en hurlant,
arborantle drapeau blanc dans les villes
du Midi, menaçant les habitants paisi-
bles et montrant aux populations éton-
nées leurs décorations de laine rouge
et leurs colliers de marrons d'Inde.
Alors, on parlait de restauration. Le
roy commandait ses voitures; les ducs
se faisaient prendre mesure pour leurs
habits de cour, et l'Assemblée élue
dans un jour de malheur votait le rem-
placement du moulin de la Galette par
une église. Mais les choses ont changé
depuis! A la crainte, au désordre et à
l'anarchie cléricale, une époque plus
calme et plus heureuse a succédé. Nous
sommes aujourd'hui sûrs du lendemain.
Nous ne l'étions pas il y a sept ans. Et
ce qui nous inquiétait nous laisse abso-
lument froids.
On nous dit : C'est la fête d'Emilien!
Nous répondons : Ma foi ! cela nous est
bien égal. Emilien n'est plus menaçant,
et nous pensons si peu à lui que nous
sommes certains de ne pas le fêter.
La Défense n'a donc pas à se réjouir
de sa découverte. Elle rendra seule, et
sans qu'on y fasse attention, l'hom-
mage qu'elle voudra à saint Emilien.
Nous ne la troublerons point et nous la
le laisserons s'extasier dans son coin,
devant les vilaines imaginations de Mlle
Alacoque.
EDOUARD LOCKROY.
————————— ç> —
COULISSES DE VERSAILLES
On a lu le jugement du tribunal d'Apt
constatant les monstrueuses fraudes élec-
torales pratiquées par le marquis d'Allen,
maire de Pertuis (Vaucluse).
Nous croyons savoir que le garde des
sceaux s'est ému des révélations faites au
cours de ce procès, et qui engagent d'twc
manière si considérable la responsabilité
du sous-préfet d'Apt et du préfet de Yau-
cluse, nommés par Tt cabinet du i6 mai.
M. Dufaure s'est fait remettre le dossier
de cette affaire; et il est à peu près certain
que des poursuites vont être ordonnées
par la chancellerie contre ces fonction-
naires, comme instigateurs des fraudes
commises par le maire, leur subordonné.
La deuxième sous-commission du bud-
get a siégé hier deux fois au Palais-Bour-
'bon, le matin et l'après-midi. Dans ces
deux séances, elle a entendu le rapport dé-
taillé de M. Charles Boysset sur le budget
de l'instruction publique. La commission
du budget se réunira aujourd'hui en
séance générale pour discuter le même
budget et statuer sur les modifications
proposées parla sous-commission.
Parmi les questions agitées à ce sujet se
trouve celle du maintien ou de la suppres-
sion des facultés de théologie. Les quatre
facultés de ce genre qu'entretient l'Etat ne
coûtent pas moins de 112,000 francs. Or,
si l'on juge des services qu'elles rendent
par les produits qu'elles fournissent au
Trésor, on verra qu'elles ne possèdent
guère d'élèves. Les quatre facultés réunies
ont juste rapporté à l'Etat la somme de
800 francs contre 112,000 francs de dé-
pense. Cela seul dit, plus que toute autre
considération, l'abandon dans lequel ces
facultés sont laissées par les élèves.
-0-
C'est dimanche 7 juillet que doivent
avoir lieu les élections législatives pour le
remplacement des députés invalidés. Sur
,20 invalidés soumis à la réélection, dans
cette série, 7 ont définitivement renoncé
à se représenter, certains qu'ils étaient
d'avance de l'accueil que leur réservaient
les électeurs. Ces sept invalidés sont :
MM. Vinay (Haute-Loire), d'Ayguesvives
¡(Haute-Garonne), Fourcade et Vitalis (Hé-
rault), Dubois (Seine-Inférieure), Dutreil
¡(Mayenne) et d'Arras (Nord).
Dans les 42 élections précédentes faites
pour remplacer des invalidés, quinze de
'ees invalidés ne se sont pas représentés ;
nous rappelons que ce sont MM. Bontoux
(Hautes-Alpes), baron Gorsse (Tarn), de
Gelcen (Pyrénées-Orientales), de Laborde
(Landes), Rabiers du Villars (Basses-Al-
;pes), Lamothe (Haute-Garonne), Detours
(Aude), de Cadillan (Bouches-du-Rhône),
Labitte (Oise), Leclère et Bouvattier (Man-
che), du Demaine, Barcilon et Sylvestre
(Yaucluse), et de Puiberneau (Vendée).
Cela fait donc en tout 22 invalidés sur
62 qui ne se sont pas représentés, soit le
tiers. Cela seul suffirait à justifier, s'il en était
besoin, l'œuvre de la vérification des pou-.
voirs, si laborieusement et si courageuse-
ment poqrsuivie par la Chambre des dé-
putés.
———————
Les élections du 7 et du 14 juillet s'an-
noncent d'une façon qui ne ragaillardit pas
les ennemis de la République. Le mot qui
leur vient le plus souvent aux lèvres est :
découragement.
Nous lisons dans le Soleil: « Le parti
conservateur, découragé, déserte dans
plusieurs collèges. Ses défaites successives
expliquent naturellement ses défaillances. »
Oh! le plus naturellement du monde.
Chat échaudé craint l'eau froide. On com-
prend que réaction blackboulée craigne
les élections.
Le journal orléaniste voudrait se per-
suader qu'il n'y a pas que le parti conser-
vateur qui en ait assez des élections, que
et la France entière, sans exception de
parti, est lasse en ce moment de scrutins».
Mais il est obligé de reconnaître que « la
tendance à l'abstention et à l'inertie est
plus prononcée parmi les conservateurs »
et que « les électeurs radicaux apporte-
ront incontestablement plus d'ardeur au
vote ».
Il essaye d'une autre consolation : « Le
déoouragement das conservateurs nous
afflige sans nous étonner et sans nous in-
quiéter. » Pourquoi? Parce qu' « actuelle-
ment il n'y a de péril imminent ni pour la
paix ni pour l'ordre; rien ne sollicite donc
en ce moment les conservateurs à la lutte.
Mais surgisse une crise gouvernementale,
vienne une tempête sociales, et c'est alors
que les conservateurs se montreront!
En attendant, enregistrons l'aveu du
journal orléaniste. « Il n'y a de péril ni
pour la paix ni pour l'ordre. » Et nous
sommes en République. Nous sommes
heureux de voir un journal monarchiste
constater lui-même que la République
assure la paix et l'ordre.
4>-
On nous promet des grâces nombreuses
pour la fête de demain. Assurément, il n'est
pas de meilleure façon de marquer une
réjouissance nationale ; et, sans dire avec
le poète Belmontet :
Le vrai feu d'artifice est d'être magnanime,
nous attendons avec impatience les actes
de clémence qui nous sont annoncés.
Pourquoi faut-il, hélas ! qu'au moment
même où l'on fait de belles promesses, de
nouvelles condamnations soient pronon-
cées tous les jours ? — Trois affaires vien-
nent encore d'être jugées; et, là-dessus, il
y a une condamnation à cinq ans de dé-
tention, une autre à vingt ans de travaux
forcés. — Vous avez bien lu : vingt ans de
travaux forcés r
J'entends l'objection : il ne se fait plus
de poursuites nouvelles. En théorie, non;
seulement il y a un nombre indéfini de
condamnations par contumace, contre des
personnages au nom plus ou moins incer-
tain, d'âge plus ou moins douteux; ces
condamnations s'adaptent, moyennant
quelques petites modifications de noms et
d'âge, aux « communards » qu'on saisit.
Et il y en a pour tout le monde. Et à me-
sure que les grâces, jusqu'ici très partiel-
les, très restreintes, dépeuplent fort peu
la Nouvelle-Calédonie, les condamnations
la repeuplant beaucoup.
Voyons ! sept ans se sont écoulés : je
demande à quelle époque de l'histoire on
on a vu un procès durer sept ans ! Les con-
damnations se chiffrent par milliers, et
l'on condamne encore:. Et des tribunaux
d exception prononcent encore!. Et les
accusés n'ont pas les garanties de droit
commun!. Vingt ans de travaux forcés à
Mathieu Verlière, ces jours-cil. Et pour
quel crime ?
Pour un crime tout politique, au fond,
alors même que la loi permettrait d'en
faire un crime de droit commun, ce qu'on
pourrait discuter (je ne le discute pas), la
jurisprudence des conseils de guerre pour-
rait cependant paraître étrange. Un gou-
vernement insurrectionnel s'établit, il fait
des arrestations, il fait des visites domici-
liaires. Ce sont là évidemment, en réalité,
des actes absolument politiques. On les
punit par vingt ans de travaux forcés, par
la promiscuité avec les assassins et les vo-
leurs ordinaires!
Et l'on dit : « Le temps de l'apaisement
est venu; voyez nos grâces! » Vos grâces,
nous les cherchons ; nous ne voyons que
vos condamnations. On nous fait espérer
cette fois quelque chose de mieux. Espé-
rons; mais quand, en face de l'apaisement
universel, de cette grande Exposition qui
marque la fin de nos épreuves, de ces fêtes
du pays, de la victoire de la République,
on poursuit encore avec cette rigueur im-
pitoyable pour des faits vieux de sept ans,
nous ne pouvons nous défendre de voir je
ne sais quelle ironie dans les déclarations
de clémence et de pardon que l'on prodi-
gue tant avec si peu de résultat.
CAMILLE PELLETAN.
Nous avons écrit hier ceci :
« La reine d'Espagne est morte. A dix-
» huit ans. Il faudrait n'avoir pas de cœur
» pour ne pas plaindre cette jeune femme
» qui, hier, avait tout, et qui aujourd'hui
» n'est rien, ce jeune homme à qui la
» mort arrache si brusquement une femme
» adorée. C'est avec une vraie et profonde
» émotion que nous avons appris cette
» triste nouvelle. »
On lit aujourd'hui dans la Défense :
« Le Rappel ne cacha pas sa joie. »
Il y a deux jours, au sujet du meurtre
du baron Hcyking, nous écrivions ce qui
suit :
« Nous n'avons pas besoin de répéter ce
» que nous pensons de ces vengeances.
li
» Nous qui ne reconnaissons pas à la so.
» ciété le droit de tuer un homme aprèî
» instruction et procès, comment recon-
» naîtrions-nous au premier venu le droit
» de juger, de condamner et d'exécuter,
» sans même que l'accusé ait pu se défen-
» dre? La peine de mort nous est odieuse
» de toute façon, qu'elle se serve du con.
» peret ou du couteau. »
On lit aujourd'hui dans la Défense :
« Il convient de flétrir un semblable lan-
gage, quand on le voit érigé en principe et
servir à excuser, presque à légitimer l'as-
sassinat politique. »
C'est d'un beau cléricalisme, n'est-ce
pas?
—.©►
LES ON-DIT
Nous apprenons que la question de la
direction de l'Observatoire de Paris est
définitivement réglée.
Voici à co sujet des renseignements ab..
soluments exacts, qui rectifieront les dé-
tails erronés fournis depuis plusieurs jours
par divers journaux.
La succession de M. Leverrier appar.
tiendra désormais à un directeur et à
un sous-directeur. Le directeur nouveau
est le capitaine de vaisseau Mouchez,
membre de l'Institut. Le sous-directeur
nouveau est M. Lœwy, membre dell'In-
stitut, astronome titulaire de l'Observa-
toire de Paris, membre du bureau des Ion.
gitudes.
Nous rappellerons que M. Mouchez était
le candidat du conseil de l'Observatoire
qui l'avait présenté par 5 voix sur 8.
M. Lœwy, au contraire, était le candi-
dat de l'Académie des sciences qui l'avait
présenté par 30 voix contre 13 dispersées
sur divers concurrents.
Ces nominations paraîtront aujourd'hui
ou demain au Journal officiel.
0.0
Hier soir a eu lieu la distribution des
prix de la Société de géographie, retardée
afin de profiter de la présence des étran-
gers qui viennent à Paris pour visiter Ict
merveilles de l'Exposition.
Le président présente d'abord à l'assem-
blée M. Stanley, qui lit un discours en an-
glais, que M. Maunoir, secrétaire, traduit
en français, et dont voici le dernier pas.
sage :
« Que les chefs des nouvelles explora-
tions, s'ils suivent mes traces, trouvent
l'Afrique moins cruelle et moins sangui.
naire que je n'ai trouvé un grand nombre
de ses tribus sauvages; qu'ils se condui-
sent partout et toujours autant que possi-
ble avec modération et longanimité, c'esi
là, j'en suis convaincu, le vœu de tout le
monde ici, je vous prie instamment de
croire que c'est également le mien. »
Les applaudissements qui avaient ac-
cueilli l'entrée de M. Stanley, se renouvel-
lent plus longs et plus chaleureux.
On procède à la distribution des prix.
On décerne une grande médaille d'or ICI
M. Henri Moreland" Stanley, rédacteur di
journal américain le New-York Herald, 2
titre de récompense pour avoir traversé
l'Afrique équatoriale de l'est à l'ouest, ai:
prix de fatigues excessives et de combats
multipliés;
Une grande médaille d'or à titre excep-
tionnel à M. Vivien de Saint-Martin, l'un
de ses membres fondateurs et doyen des
membres de la Société de géographie de
Paris. À. rédigé îes Annales des voyages pen-
dant quatorze ans; couronné deux fois pai
l'Institut (Académie des inscriptions el
belles-lettres) pour ses travaux sur la géo-
graphie historique; auteur .de plusieurs
ouvrages historiques.
Une troisième médaille d'or a été accor.
dée à M. le docteur Harmand, médecin de
la marine, pour sa campagne de l'Indo-
Chine sous les ordres de Françis Garnier,
Le docteur Harmand a accompli, de 1875
à 1877, de difficiles voyages à travers des
régions jusqu'alors inconnues, qui avoisi-
nent la frontière, territoriale de l'Indo-
Chine française.
Il a rapporté de ses voyages, pour nos
musées, des collections d'uix% imnortance
exceptionnelle.
-
L'Institut tiendra sa séance trimestrielle,,
le mercredi 3 juillet, sous la présidence de
Feuilleton du RAPPEL
DU 30 JUIN
Ir -----
20
t.
L'ENNEMI
DES FEMMES
CHAPITRE X
La coupe des fiançailles
Le soleil se couchait, comme Nadège en-
trait dans la ville; le crépuscule violet éten-
dait un tapis lumineux sous les pas de sa
monture, pour ajouter une illusion à la réa-
yoir le Jlappef du 10 au 29 juin.
litéde cette journée triomphale. Nadège fit
lentement le chemin qui lui restait à faire.
Il lui semblait qu'au seuil de sa maison de
veuve, toute cette pompe dont son cœur
était illuminé allait s'évanouir.
En effet, dès qu'elle se trouva seule dans
son salon, sa joie se fondit en mélancolie.
- Faut-il accepter ce bonheur d'au-
jourd'hui comme un présage, ou comme
une consolation, pour un bonheur à jamais
perdu, se dit-elle. Si je fris de Jaroslawun
homme, ne puis-je faire d'un autre ce qu'il'
devrait être, un hom i,e supérieur? Com-
bien me faudra-t-il briser d'instruments
dont il se sert pour ma menacer, avant de
l'atteindre? Toutes ces volontés que je
soumets m'anseigneront-elles à vaincre
son orgueil?
Elle prit avec un soupir les lettre. et les
journaux arrivés pendant son absence, les
parcourut avec distraction, jusqu'à ce
qu'une petite écriture la réveillât tout à
coup.
— Que veut Pctrowna? se dit-elle. Ah!
: c'est une bonne idée qu'elle a eue de m'é-
crire ! Son image s'ajoute à tous mes en-
chantements pour les prolonger.
Elle déchira l'enveloppe et lut ce qui
suit :
« Mon bel ange gardien,
d Il se passe ici quelque chose d'extraor-
dinaire. Papa veut donner une fête à Slo-
budka. Maman, qui vient de recevoir de
France une robe neuve, ne voit aucun in-
convénient à ce projet. Léopoldine est ra-
vie. Le major assure qu'un bal à Slobudka
fera le plus grand honneur à la famille
Pirowski. M. Melhachowsld, qui veut jeter
de la poudre aux yeux de Léopoldine, se
charge du feu d'artifice. M. Barlet fera la
liste des invitations, et M. Diogène allu-
mera les lanternes.
» Viendrez-vous ? Que dites-voiis de
cette idée? Faut-il faire manquer la fête
par une catastrophe, par un meurtre, un
suicide, un incendie?
). J'ai peur de ce bal qui veut annoncer
à l'univers que papa a deux filles à ma-
rier. J'ai peur de savoir que M. Diogène
applaudit à ce projet; que c'est lui qui l'a'
suggéré en grande partie; qu'il s'e#t chargé
de l'emploi de maréchal de bal, garantissant
que tout se passerait à la vieille mode
polonaise. J'ai peur de moi qui vais être
obligée d'être aimable. Ecrivez-moi, rassu-
rez-moi, conseillez-moi, et surtout pro-
mettez- moi de venir.
» J'oubliais de vous dire que M. Cons-
tantin n'a réclamé aucun emploi. Il se
contentera de danser. Sa modestie me
rassure; mais elle pourrait devenir bien
exiseante, si elle se bornait à me faire tou-
jours danser, et à ne danser qu'avec
moi.
» Je vous embrasse, mon bel ange;
» Votre démon,
» PETROWNA ».
Nadège s'empressa de répondre à sa jeune
amie:
« Monsieur Pirowkwi est un gentil-
homme de génie. Le bal est une idée su-
blime. C'est notre champ de bataille à nous
autres femmeÉ. Il faudra bien que nos en-
nemis y mordent la poussière, à deux ge-
-nous; faites-vous belle, soyez aimele et
ayez confiance.
» Je r.c vous promets pas d'aller danser.
J'ai les pieds lourds, depuis que j'ai les
mains agiles à écrire. Je m'imagine d'ail-
leurs que ce bal n'aurait de piéges que
pour moi. , Ce- sera une première victoire,
que de déjouer sur ce point les calculs de
notre grand ennemi.
» Mais j'irai voir votre toilette, la veille,
et vous viendrez tout me raconter le len-
demain.
» Je baîse vos cheveux blonds pendant
qu'ils sont encore nattés. Plus tard je les
bénirai.
» A bientôt.
» Votre autre mère,
» NADÈGEOSSOK IIINE. »
Et Mme Ossokhine, malgré les instances
de la famille Pirowski, persista dans son re-
fus de venir à la fête projetée; mais elle
persista également dans l'applaudissement
accordé à ce projet.
On verra si son génie féminin l'avait trom-
pée en laissant le champ libre à Diogène.
Pendant trois jours, le château fut en
rumeur, agité par des apprêts magnifi-
ques. On avait fait venir des cuisiniers de
la ville. On sortit du fond des armoires
l'argenterie deux fois séculaire, et nous
saurons par un regard rapide à travers les
somptuosités du programme que Diogène
avait eu un crédit sans limites.
C'était bien une bataille qui se préparait;
rien n'y manquerait, ni l'artillerie des yeux
et des sourires, ni les armes réelles. Toute
cette société, ardente au plaisir, se dispo-
sait au bal comme à une sorte de volupté
guerrière.
Enfin, le grand jour arriva.
Vers cinq heures, le défilé des voitures
venant du chef-lieu et de celles qui arri-
vaient au galop, malgré des ornières for-
midables, des châteaux voisins, commença
dans la cour d'honneur.
M. Pirowski avait rajeuni pour la cir-
constance le vieux costume de bisaïeul,
qui lui donnait l'air d'un portrait héroïque
descendu de son cadre. Mme Pirowska
avaü eu l'esprit de respecter sa toilette
française et de n'y rien ajouter, ce qui la
mettait à la mode de toutes les époques
et de toutes les civilisations.
Léopoidine et Petrowna étaient belles,
surtout de leur beauté, ce qui était poui
la première un raffinement subtil de co-
quetterie et pour la seconde un effet naïj
de son instinct, ou le résultat du conseil
de Mme Ossokhine. -
11 ne fallu t pas moins d'une heure pour que
les invités, que leurs hôtes recevaientsur le -
perron, eussent fini d'emplir le vaste salon.
C'était un spectacle éblouissant que cette
variété de costumes; que ces étoffes polo,
naises aux vives couleurs pour les femmes;
que ces diamants pour les deux sexes; que
ces sabres orientaux, que ces ceinture*
d'or, que ces touffes de plumes de héron
sur les hauts bonnets polonais pour If»
hommes; que ces éperons d'argent quf
faisaient scintiller des étoiles sur le parl
quet, que ces satins, ces velours, ces four..
rures en pelisses !
La vieille Pologne était ressuscitée : la
Pologne galante féodale et brutale. Dioc
gène l'avait voulu, en encourageant M. Pi.
rowski. Etait-ce pour jeter encore un défi
à Mme Ossokhine?
* SACHER MASOCH.
(1 suivre.)
Se numéro : lo c. s- Déparlements iS eu
t 2 Messidor an S3 — N* g, 33 t
RÉDACTION
Nreuer au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
18, lUiT "8 VALOIS, iS
lM manuscrits non insérés ne seront pu rendes
ANNONCES
D. Ch. LAGRANGE, CERF et CI
6, place de la Bourse, 9
ADMINISTRATION
18, RUE DE VALOIS, r ~j
ABONNEMENTS ! ï
ABONNNEMENTS
riRis
fVols mois 16 »
Six mois 20 »
DEPÄRTEMENT
Trois moisi YYa 5ï
Six moi». <Ç Nl £ ) a
Adresser lettres fttsraaadaoM
A H, ERNEST L EV
ERNESTE LEFEVRE
LE COMPLÉMENT DE LA FÊTE
« Toute fête est fraternelle ; une fête
qui ne pardonne pas à quelqu'un n'est
pas une fête. La logique d'une joie pu-
blique, c'est l'amnistie. Que ce soit là
la clôture de cette admirable solennité,
l'Exposition universelle. Réconcilia-
tion ! réconciliation ! Certes, cette ren-
contre de tout l'effort commun du genre
humain, ce rendez-vous des merveilles
de l'industrie et du travail, cette salu-
tation des chefs-d'œuvre entre eux, se
confrontant et se comparant, c'est un
spectacle auguste ; mais il est un spec-
tacle plus auguste encore, c'est l'exilé
debout à l'horizon et la patrie ouvrant
les bras! »
C'est par ces admirables paroles que
Victor Hugo a terminé le discours qu'il
a prononcé à la séance solennelle du
Congrès littéraire international. Et les
représentants de toutes les littératures
du monde et la foule qui emplissait la
salle se sont associés par leurs accla-
mations au généreux vœu du grand
orateur.
L'amnistie, on ne peut la demander
qu'aux Chambres. Hélas! on la leur a
demandée, et on sait ce qu'elles ont
répondu, même la Chambre des dépu-
tés. Une des raisons qu'elle a données,
c'est que, quand même elle aurait dit
oui, l'autre Chambre aurait dit non, et
que ce qui doit être une mesure d'apai-
sement aurait été un sujet de conflit.
Patientez jusqu'au renouvellement du
Sénat. Quand les deux Chambres
de la République seront républi-
caines, vous verrez ! — Oui, nous
verrons; mais nous aimerions mieux
avoir vu déjà. Nous aimerions mieux
que la Chambre du suffrage universel
eût fait son devoir; la Chambre de l'au-
tre suffrage aurait pas fait le sien ? eh
bien, le pays aurait su à qui s'en pren-
dre. Mais ne récriminons pas. Laissons
le passé, et soyons au présent. On dit à
l'amnistie comme si. c'était une men-
diante : Repassez dans six mois. Tâ-
chons qu'au moins on ajoute : on vous
a déjà donné.
L'amnistie appartient aux Chambres,
mais les grâces appartiennent au gou-
vernement. Peu vaut mieux que rien.
Il a été dit qu'il serait fait huit cents
grâces, des grâces sérieuses cette fois,
avec les noms au Journal officiel. Nous
comptons que cette promesse sera
tenue.
Qu'est-ce qui empêcherait la ministre
de la tenir? les criailleries des journaux
réactionnaires? Mais ces criailleries
sont un motif de plus de faire toutes
les grâces possibles. Le gouvernement
de la République serait naïf s'il tenait
compte des désirs de gens dont le pre-
mier désir est de tuer la République.
Quand on pense que ceux qui protes-
tent contre la démence de la Républi-
que sont les royalistes et les bonapar-
tistes, c'est-à-dire ceux qui, plus que
personne, ont intérêt à ce que la Ré-
publique soit clémente!
1 Les royalistes ! au lendemain àîiii
Seize-Mai, au lendemain d'une vore de
fait de six mois sur la nation, au lon*.
demain des calomnies du Bulletin de
Communes, au lendemain des escro-
queries électorales, au lendemain de
l'embauchage de l'armée, au lendemain
du coup d'Etat prémédité, préparé et
commencé l
Les bonapartistes ! qui ont encore
aux mains le sang de Décembre, qui
ont débuté par l'assassinat de la Répu-
blique et qui ont fini par l'assassinat de
la France, qui, après avoir volé tous
nos droits, ont livré tous nos drapeaux,
et contre qui se lèvent de terre, avec
les femmes et les enfants massacrés sur
le boulevard Montmartre, les soldats
morts prisonniers en Allemagne !
Voilà ceux qui ne veulent pas de
clémence, voilà ceux qui s'indignent
contre le pardon, voilà ceux qui trou-
vent qu'on n'a pas encore assez fait
justice. Qu'ils prennent garde qu'on ne
les exauce. Ah ! vous trouvez, gens du
Seize-Mai et gens du Deux-Décembre,
qu'on n'a pas fait justice ? Eh bien, on
la fera !
Mais ce n'est pas le jour de faire
justice, c'est le jour de faire grâce. Ce
n'est pas le jour de punir, c'est le jour
de pardonner. C'est demain la fête de
la France ; aux fêtes, est-ce qu'on ne
réunit pas la famille? Puisque nous ne
pouvons pas l'avoir toute, ayons-en
au moins le plus possible. Complétons
la grande journée. C'est bien d'allumer
les lampions et de prodiguer le gaz, et
de changer la nuit en jour; mais la
haine, la rancune, la rigueur, la pros-
cription, sont aussi de la nuit. Suppri-
mons cette nuit-là comme l'autre. Il y
a un plus beau rayonnement que l'illu-
mination de la façade des monuments
nationaux : c'est le sourire de la face
d'un père qu'on rend à ses enfants. Il y
a un plus grand resplendissement que
ile ruissellement de feu des cascades :
c'est une larme de joie dans les yeux
d'une mère à qui l'on rend son fils.
AUGUSTE VACQUERIE.
.i- -, i ■ ■—
LA FÊTE
Il paraît — s'en serait-on jamais
dout{? — que le 30 juin est la fête du
Sacré-Cœur. Et d'abord, comment le
Sacré-Cœur a-t-il une fête? C'est ce que
je ne puis m'expliquer. J'ouvre un ca-
lendrier pour 1878 et je lis : 30 juin,
saint Emilien. Est-ce que le Sacré-Cœur
s'appelle Emilien? Cela m'étonnerait.
Pourquoi pas Arthur? Sacré-Cœur est
donc un nom de famille? Je ne trouve
pas de réponse à ces intéressantes ques-
tions.
Quoi qu'il en soit, le 30 juin est la
fête d'Emilien Sacré-Cœur. Et la Dé-
fense, qui nous apprend cela, est dans
la joie. Les républicains, pense-t-elle,
croiront fèter la République, et ils fête-
et ils fêW-
ront Emilien. "La République sera abo-
minablement attrapée. Emilien profitera
des lampions, des drapeaux et des feux
d'artifice. Il bénéficiera des cinq cents
mille francs votés par la Chambre. Il
aura la gloire d'amuser les rois en
voyage et le peuple de Paris. La
shah de Perse lui-même sera obligé de
sanctifier Emilien.
i îjieS I la Défense se trompe. S'il y
a I ftitel' ein que tout le monde oir-
blirâ^ le\o0 juin, ce sera précisément
Efewjjfrrf; Le calendrier et M. des Houx
auront beau taire. On pensera au suc-
cès immense de l'Exposition univer-
selle ; on pensera à la paix assurée en
Europe ; on pensera au triomphe écla-
tant de la République, mais à la fête
d'Emilien, non. Emilien ne tient point
de place dans les préoccupations pu-
bliques. Que ce soit ou non sa fête,
personne n'en a cure. On s'occupe si
peu de lui qu'on n'a pas pensé à la
date. Il n'est pas un Parisien qui soit
disposé à lui faire l'aumône d'une chan-
delle.
Si la Défense veut, s'en convaincre,
elle n'a qu'à envoyer un de ses repor-
ters à Montmartre d'abord, au bois de
Boulogne ensuite. Il verra où la foule
se porte, et il pourra nous dire s'il y a
plus de monde dans l'église du Sacré-
Cœur qu'autour du lac. La Défense veut-
elle tenir la gageure ?
On ne manquera pas de pousser des
cris. Si la Défense veut les recueillir et
les enregistrer, elle constatera, j'ensuis
sûr, que les cris de : Vive la Répu-
blique ! seront aussi nombreux que les
cris de : Vive Emilien ! seront rares.
Et, ce jour-là, si par hasard, on chante
quelque chose dans les rues, ce sera
plutôt la Marseillaise que : « Sauvons
Rome et la France au nom du Sacré-
Cœur ! »
Il y a eu un temps, bien loin de nous
déjà, où les fêtes cléricales préoccu-
paient l'opinion. Alors, M. Gabriel de
Belcastel consacrait la France à Marie,
de son autorité privée ; alors les pèle-
rins parcouraient le pays, en hurlant,
arborantle drapeau blanc dans les villes
du Midi, menaçant les habitants paisi-
bles et montrant aux populations éton-
nées leurs décorations de laine rouge
et leurs colliers de marrons d'Inde.
Alors, on parlait de restauration. Le
roy commandait ses voitures; les ducs
se faisaient prendre mesure pour leurs
habits de cour, et l'Assemblée élue
dans un jour de malheur votait le rem-
placement du moulin de la Galette par
une église. Mais les choses ont changé
depuis! A la crainte, au désordre et à
l'anarchie cléricale, une époque plus
calme et plus heureuse a succédé. Nous
sommes aujourd'hui sûrs du lendemain.
Nous ne l'étions pas il y a sept ans. Et
ce qui nous inquiétait nous laisse abso-
lument froids.
On nous dit : C'est la fête d'Emilien!
Nous répondons : Ma foi ! cela nous est
bien égal. Emilien n'est plus menaçant,
et nous pensons si peu à lui que nous
sommes certains de ne pas le fêter.
La Défense n'a donc pas à se réjouir
de sa découverte. Elle rendra seule, et
sans qu'on y fasse attention, l'hom-
mage qu'elle voudra à saint Emilien.
Nous ne la troublerons point et nous la
le laisserons s'extasier dans son coin,
devant les vilaines imaginations de Mlle
Alacoque.
EDOUARD LOCKROY.
————————— ç> —
COULISSES DE VERSAILLES
On a lu le jugement du tribunal d'Apt
constatant les monstrueuses fraudes élec-
torales pratiquées par le marquis d'Allen,
maire de Pertuis (Vaucluse).
Nous croyons savoir que le garde des
sceaux s'est ému des révélations faites au
cours de ce procès, et qui engagent d'twc
manière si considérable la responsabilité
du sous-préfet d'Apt et du préfet de Yau-
cluse, nommés par Tt cabinet du i6 mai.
M. Dufaure s'est fait remettre le dossier
de cette affaire; et il est à peu près certain
que des poursuites vont être ordonnées
par la chancellerie contre ces fonction-
naires, comme instigateurs des fraudes
commises par le maire, leur subordonné.
La deuxième sous-commission du bud-
get a siégé hier deux fois au Palais-Bour-
'bon, le matin et l'après-midi. Dans ces
deux séances, elle a entendu le rapport dé-
taillé de M. Charles Boysset sur le budget
de l'instruction publique. La commission
du budget se réunira aujourd'hui en
séance générale pour discuter le même
budget et statuer sur les modifications
proposées parla sous-commission.
Parmi les questions agitées à ce sujet se
trouve celle du maintien ou de la suppres-
sion des facultés de théologie. Les quatre
facultés de ce genre qu'entretient l'Etat ne
coûtent pas moins de 112,000 francs. Or,
si l'on juge des services qu'elles rendent
par les produits qu'elles fournissent au
Trésor, on verra qu'elles ne possèdent
guère d'élèves. Les quatre facultés réunies
ont juste rapporté à l'Etat la somme de
800 francs contre 112,000 francs de dé-
pense. Cela seul dit, plus que toute autre
considération, l'abandon dans lequel ces
facultés sont laissées par les élèves.
-0-
C'est dimanche 7 juillet que doivent
avoir lieu les élections législatives pour le
remplacement des députés invalidés. Sur
,20 invalidés soumis à la réélection, dans
cette série, 7 ont définitivement renoncé
à se représenter, certains qu'ils étaient
d'avance de l'accueil que leur réservaient
les électeurs. Ces sept invalidés sont :
MM. Vinay (Haute-Loire), d'Ayguesvives
¡(Haute-Garonne), Fourcade et Vitalis (Hé-
rault), Dubois (Seine-Inférieure), Dutreil
¡(Mayenne) et d'Arras (Nord).
Dans les 42 élections précédentes faites
pour remplacer des invalidés, quinze de
'ees invalidés ne se sont pas représentés ;
nous rappelons que ce sont MM. Bontoux
(Hautes-Alpes), baron Gorsse (Tarn), de
Gelcen (Pyrénées-Orientales), de Laborde
(Landes), Rabiers du Villars (Basses-Al-
;pes), Lamothe (Haute-Garonne), Detours
(Aude), de Cadillan (Bouches-du-Rhône),
Labitte (Oise), Leclère et Bouvattier (Man-
che), du Demaine, Barcilon et Sylvestre
(Yaucluse), et de Puiberneau (Vendée).
Cela fait donc en tout 22 invalidés sur
62 qui ne se sont pas représentés, soit le
tiers. Cela seul suffirait à justifier, s'il en était
besoin, l'œuvre de la vérification des pou-.
voirs, si laborieusement et si courageuse-
ment poqrsuivie par la Chambre des dé-
putés.
———————
Les élections du 7 et du 14 juillet s'an-
noncent d'une façon qui ne ragaillardit pas
les ennemis de la République. Le mot qui
leur vient le plus souvent aux lèvres est :
découragement.
Nous lisons dans le Soleil: « Le parti
conservateur, découragé, déserte dans
plusieurs collèges. Ses défaites successives
expliquent naturellement ses défaillances. »
Oh! le plus naturellement du monde.
Chat échaudé craint l'eau froide. On com-
prend que réaction blackboulée craigne
les élections.
Le journal orléaniste voudrait se per-
suader qu'il n'y a pas que le parti conser-
vateur qui en ait assez des élections, que
et la France entière, sans exception de
parti, est lasse en ce moment de scrutins».
Mais il est obligé de reconnaître que « la
tendance à l'abstention et à l'inertie est
plus prononcée parmi les conservateurs »
et que « les électeurs radicaux apporte-
ront incontestablement plus d'ardeur au
vote ».
Il essaye d'une autre consolation : « Le
déoouragement das conservateurs nous
afflige sans nous étonner et sans nous in-
quiéter. » Pourquoi? Parce qu' « actuelle-
ment il n'y a de péril imminent ni pour la
paix ni pour l'ordre; rien ne sollicite donc
en ce moment les conservateurs à la lutte.
Mais surgisse une crise gouvernementale,
vienne une tempête sociales, et c'est alors
que les conservateurs se montreront!
En attendant, enregistrons l'aveu du
journal orléaniste. « Il n'y a de péril ni
pour la paix ni pour l'ordre. » Et nous
sommes en République. Nous sommes
heureux de voir un journal monarchiste
constater lui-même que la République
assure la paix et l'ordre.
4>-
On nous promet des grâces nombreuses
pour la fête de demain. Assurément, il n'est
pas de meilleure façon de marquer une
réjouissance nationale ; et, sans dire avec
le poète Belmontet :
Le vrai feu d'artifice est d'être magnanime,
nous attendons avec impatience les actes
de clémence qui nous sont annoncés.
Pourquoi faut-il, hélas ! qu'au moment
même où l'on fait de belles promesses, de
nouvelles condamnations soient pronon-
cées tous les jours ? — Trois affaires vien-
nent encore d'être jugées; et, là-dessus, il
y a une condamnation à cinq ans de dé-
tention, une autre à vingt ans de travaux
forcés. — Vous avez bien lu : vingt ans de
travaux forcés r
J'entends l'objection : il ne se fait plus
de poursuites nouvelles. En théorie, non;
seulement il y a un nombre indéfini de
condamnations par contumace, contre des
personnages au nom plus ou moins incer-
tain, d'âge plus ou moins douteux; ces
condamnations s'adaptent, moyennant
quelques petites modifications de noms et
d'âge, aux « communards » qu'on saisit.
Et il y en a pour tout le monde. Et à me-
sure que les grâces, jusqu'ici très partiel-
les, très restreintes, dépeuplent fort peu
la Nouvelle-Calédonie, les condamnations
la repeuplant beaucoup.
Voyons ! sept ans se sont écoulés : je
demande à quelle époque de l'histoire on
on a vu un procès durer sept ans ! Les con-
damnations se chiffrent par milliers, et
l'on condamne encore:. Et des tribunaux
d exception prononcent encore!. Et les
accusés n'ont pas les garanties de droit
commun!. Vingt ans de travaux forcés à
Mathieu Verlière, ces jours-cil. Et pour
quel crime ?
Pour un crime tout politique, au fond,
alors même que la loi permettrait d'en
faire un crime de droit commun, ce qu'on
pourrait discuter (je ne le discute pas), la
jurisprudence des conseils de guerre pour-
rait cependant paraître étrange. Un gou-
vernement insurrectionnel s'établit, il fait
des arrestations, il fait des visites domici-
liaires. Ce sont là évidemment, en réalité,
des actes absolument politiques. On les
punit par vingt ans de travaux forcés, par
la promiscuité avec les assassins et les vo-
leurs ordinaires!
Et l'on dit : « Le temps de l'apaisement
est venu; voyez nos grâces! » Vos grâces,
nous les cherchons ; nous ne voyons que
vos condamnations. On nous fait espérer
cette fois quelque chose de mieux. Espé-
rons; mais quand, en face de l'apaisement
universel, de cette grande Exposition qui
marque la fin de nos épreuves, de ces fêtes
du pays, de la victoire de la République,
on poursuit encore avec cette rigueur im-
pitoyable pour des faits vieux de sept ans,
nous ne pouvons nous défendre de voir je
ne sais quelle ironie dans les déclarations
de clémence et de pardon que l'on prodi-
gue tant avec si peu de résultat.
CAMILLE PELLETAN.
Nous avons écrit hier ceci :
« La reine d'Espagne est morte. A dix-
» huit ans. Il faudrait n'avoir pas de cœur
» pour ne pas plaindre cette jeune femme
» qui, hier, avait tout, et qui aujourd'hui
» n'est rien, ce jeune homme à qui la
» mort arrache si brusquement une femme
» adorée. C'est avec une vraie et profonde
» émotion que nous avons appris cette
» triste nouvelle. »
On lit aujourd'hui dans la Défense :
« Le Rappel ne cacha pas sa joie. »
Il y a deux jours, au sujet du meurtre
du baron Hcyking, nous écrivions ce qui
suit :
« Nous n'avons pas besoin de répéter ce
» que nous pensons de ces vengeances.
li
» Nous qui ne reconnaissons pas à la so.
» ciété le droit de tuer un homme aprèî
» instruction et procès, comment recon-
» naîtrions-nous au premier venu le droit
» de juger, de condamner et d'exécuter,
» sans même que l'accusé ait pu se défen-
» dre? La peine de mort nous est odieuse
» de toute façon, qu'elle se serve du con.
» peret ou du couteau. »
On lit aujourd'hui dans la Défense :
« Il convient de flétrir un semblable lan-
gage, quand on le voit érigé en principe et
servir à excuser, presque à légitimer l'as-
sassinat politique. »
C'est d'un beau cléricalisme, n'est-ce
pas?
—.©►
LES ON-DIT
Nous apprenons que la question de la
direction de l'Observatoire de Paris est
définitivement réglée.
Voici à co sujet des renseignements ab..
soluments exacts, qui rectifieront les dé-
tails erronés fournis depuis plusieurs jours
par divers journaux.
La succession de M. Leverrier appar.
tiendra désormais à un directeur et à
un sous-directeur. Le directeur nouveau
est le capitaine de vaisseau Mouchez,
membre de l'Institut. Le sous-directeur
nouveau est M. Lœwy, membre dell'In-
stitut, astronome titulaire de l'Observa-
toire de Paris, membre du bureau des Ion.
gitudes.
Nous rappellerons que M. Mouchez était
le candidat du conseil de l'Observatoire
qui l'avait présenté par 5 voix sur 8.
M. Lœwy, au contraire, était le candi-
dat de l'Académie des sciences qui l'avait
présenté par 30 voix contre 13 dispersées
sur divers concurrents.
Ces nominations paraîtront aujourd'hui
ou demain au Journal officiel.
0.0
Hier soir a eu lieu la distribution des
prix de la Société de géographie, retardée
afin de profiter de la présence des étran-
gers qui viennent à Paris pour visiter Ict
merveilles de l'Exposition.
Le président présente d'abord à l'assem-
blée M. Stanley, qui lit un discours en an-
glais, que M. Maunoir, secrétaire, traduit
en français, et dont voici le dernier pas.
sage :
« Que les chefs des nouvelles explora-
tions, s'ils suivent mes traces, trouvent
l'Afrique moins cruelle et moins sangui.
naire que je n'ai trouvé un grand nombre
de ses tribus sauvages; qu'ils se condui-
sent partout et toujours autant que possi-
ble avec modération et longanimité, c'esi
là, j'en suis convaincu, le vœu de tout le
monde ici, je vous prie instamment de
croire que c'est également le mien. »
Les applaudissements qui avaient ac-
cueilli l'entrée de M. Stanley, se renouvel-
lent plus longs et plus chaleureux.
On procède à la distribution des prix.
On décerne une grande médaille d'or ICI
M. Henri Moreland" Stanley, rédacteur di
journal américain le New-York Herald, 2
titre de récompense pour avoir traversé
l'Afrique équatoriale de l'est à l'ouest, ai:
prix de fatigues excessives et de combats
multipliés;
Une grande médaille d'or à titre excep-
tionnel à M. Vivien de Saint-Martin, l'un
de ses membres fondateurs et doyen des
membres de la Société de géographie de
Paris. À. rédigé îes Annales des voyages pen-
dant quatorze ans; couronné deux fois pai
l'Institut (Académie des inscriptions el
belles-lettres) pour ses travaux sur la géo-
graphie historique; auteur .de plusieurs
ouvrages historiques.
Une troisième médaille d'or a été accor.
dée à M. le docteur Harmand, médecin de
la marine, pour sa campagne de l'Indo-
Chine sous les ordres de Françis Garnier,
Le docteur Harmand a accompli, de 1875
à 1877, de difficiles voyages à travers des
régions jusqu'alors inconnues, qui avoisi-
nent la frontière, territoriale de l'Indo-
Chine française.
Il a rapporté de ses voyages, pour nos
musées, des collections d'uix% imnortance
exceptionnelle.
-
L'Institut tiendra sa séance trimestrielle,,
le mercredi 3 juillet, sous la présidence de
Feuilleton du RAPPEL
DU 30 JUIN
Ir -----
20
t.
L'ENNEMI
DES FEMMES
CHAPITRE X
La coupe des fiançailles
Le soleil se couchait, comme Nadège en-
trait dans la ville; le crépuscule violet éten-
dait un tapis lumineux sous les pas de sa
monture, pour ajouter une illusion à la réa-
yoir le Jlappef du 10 au 29 juin.
litéde cette journée triomphale. Nadège fit
lentement le chemin qui lui restait à faire.
Il lui semblait qu'au seuil de sa maison de
veuve, toute cette pompe dont son cœur
était illuminé allait s'évanouir.
En effet, dès qu'elle se trouva seule dans
son salon, sa joie se fondit en mélancolie.
- Faut-il accepter ce bonheur d'au-
jourd'hui comme un présage, ou comme
une consolation, pour un bonheur à jamais
perdu, se dit-elle. Si je fris de Jaroslawun
homme, ne puis-je faire d'un autre ce qu'il'
devrait être, un hom i,e supérieur? Com-
bien me faudra-t-il briser d'instruments
dont il se sert pour ma menacer, avant de
l'atteindre? Toutes ces volontés que je
soumets m'anseigneront-elles à vaincre
son orgueil?
Elle prit avec un soupir les lettre. et les
journaux arrivés pendant son absence, les
parcourut avec distraction, jusqu'à ce
qu'une petite écriture la réveillât tout à
coup.
— Que veut Pctrowna? se dit-elle. Ah!
: c'est une bonne idée qu'elle a eue de m'é-
crire ! Son image s'ajoute à tous mes en-
chantements pour les prolonger.
Elle déchira l'enveloppe et lut ce qui
suit :
« Mon bel ange gardien,
d Il se passe ici quelque chose d'extraor-
dinaire. Papa veut donner une fête à Slo-
budka. Maman, qui vient de recevoir de
France une robe neuve, ne voit aucun in-
convénient à ce projet. Léopoldine est ra-
vie. Le major assure qu'un bal à Slobudka
fera le plus grand honneur à la famille
Pirowski. M. Melhachowsld, qui veut jeter
de la poudre aux yeux de Léopoldine, se
charge du feu d'artifice. M. Barlet fera la
liste des invitations, et M. Diogène allu-
mera les lanternes.
» Viendrez-vous ? Que dites-voiis de
cette idée? Faut-il faire manquer la fête
par une catastrophe, par un meurtre, un
suicide, un incendie?
). J'ai peur de ce bal qui veut annoncer
à l'univers que papa a deux filles à ma-
rier. J'ai peur de savoir que M. Diogène
applaudit à ce projet; que c'est lui qui l'a'
suggéré en grande partie; qu'il s'e#t chargé
de l'emploi de maréchal de bal, garantissant
que tout se passerait à la vieille mode
polonaise. J'ai peur de moi qui vais être
obligée d'être aimable. Ecrivez-moi, rassu-
rez-moi, conseillez-moi, et surtout pro-
mettez- moi de venir.
» J'oubliais de vous dire que M. Cons-
tantin n'a réclamé aucun emploi. Il se
contentera de danser. Sa modestie me
rassure; mais elle pourrait devenir bien
exiseante, si elle se bornait à me faire tou-
jours danser, et à ne danser qu'avec
moi.
» Je vous embrasse, mon bel ange;
» Votre démon,
» PETROWNA ».
Nadège s'empressa de répondre à sa jeune
amie:
« Monsieur Pirowkwi est un gentil-
homme de génie. Le bal est une idée su-
blime. C'est notre champ de bataille à nous
autres femmeÉ. Il faudra bien que nos en-
nemis y mordent la poussière, à deux ge-
-nous; faites-vous belle, soyez aimele et
ayez confiance.
» Je r.c vous promets pas d'aller danser.
J'ai les pieds lourds, depuis que j'ai les
mains agiles à écrire. Je m'imagine d'ail-
leurs que ce bal n'aurait de piéges que
pour moi. , Ce- sera une première victoire,
que de déjouer sur ce point les calculs de
notre grand ennemi.
» Mais j'irai voir votre toilette, la veille,
et vous viendrez tout me raconter le len-
demain.
» Je baîse vos cheveux blonds pendant
qu'ils sont encore nattés. Plus tard je les
bénirai.
» A bientôt.
» Votre autre mère,
» NADÈGEOSSOK IIINE. »
Et Mme Ossokhine, malgré les instances
de la famille Pirowski, persista dans son re-
fus de venir à la fête projetée; mais elle
persista également dans l'applaudissement
accordé à ce projet.
On verra si son génie féminin l'avait trom-
pée en laissant le champ libre à Diogène.
Pendant trois jours, le château fut en
rumeur, agité par des apprêts magnifi-
ques. On avait fait venir des cuisiniers de
la ville. On sortit du fond des armoires
l'argenterie deux fois séculaire, et nous
saurons par un regard rapide à travers les
somptuosités du programme que Diogène
avait eu un crédit sans limites.
C'était bien une bataille qui se préparait;
rien n'y manquerait, ni l'artillerie des yeux
et des sourires, ni les armes réelles. Toute
cette société, ardente au plaisir, se dispo-
sait au bal comme à une sorte de volupté
guerrière.
Enfin, le grand jour arriva.
Vers cinq heures, le défilé des voitures
venant du chef-lieu et de celles qui arri-
vaient au galop, malgré des ornières for-
midables, des châteaux voisins, commença
dans la cour d'honneur.
M. Pirowski avait rajeuni pour la cir-
constance le vieux costume de bisaïeul,
qui lui donnait l'air d'un portrait héroïque
descendu de son cadre. Mme Pirowska
avaü eu l'esprit de respecter sa toilette
française et de n'y rien ajouter, ce qui la
mettait à la mode de toutes les époques
et de toutes les civilisations.
Léopoidine et Petrowna étaient belles,
surtout de leur beauté, ce qui était poui
la première un raffinement subtil de co-
quetterie et pour la seconde un effet naïj
de son instinct, ou le résultat du conseil
de Mme Ossokhine. -
11 ne fallu t pas moins d'une heure pour que
les invités, que leurs hôtes recevaientsur le -
perron, eussent fini d'emplir le vaste salon.
C'était un spectacle éblouissant que cette
variété de costumes; que ces étoffes polo,
naises aux vives couleurs pour les femmes;
que ces diamants pour les deux sexes; que
ces sabres orientaux, que ces ceinture*
d'or, que ces touffes de plumes de héron
sur les hauts bonnets polonais pour If»
hommes; que ces éperons d'argent quf
faisaient scintiller des étoiles sur le parl
quet, que ces satins, ces velours, ces four..
rures en pelisses !
La vieille Pologne était ressuscitée : la
Pologne galante féodale et brutale. Dioc
gène l'avait voulu, en encourageant M. Pi.
rowski. Etait-ce pour jeter encore un défi
à Mme Ossokhine?
* SACHER MASOCH.
(1 suivre.)
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