Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1875-11-22
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 22 novembre 1875 22 novembre 1875
Description : 1875/11/22 (N2082). 1875/11/22 (N2082).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7532679h
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/09/2012
Ne eôrt — ïnnr!» 52 Nnvômhrô 187a JLe immcro 1 10 c. o- Départements 1 i& el.
2 Frimaire an 84 — N* 2015*2
-. RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
18, EUE DB VALOIS, i&
Les manuscrits non insérés ne seront pas rendu,
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et G«
^6, place de la Bourse, 8
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* - - , ; v^4
ADMINISTRATION .J.
18, RUE DE VALOIS, ~18 v
APOHIVEMENT§
PAIns
Trois mois. 40 9
eiz mois. 20 D
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 3 f
Six mois. 27 fî^
Adresser lettres et mandata V
A M. ERNEST LEFÈVRrE vj
^DMIKISTRATEUR-GÉRAMJ A
FORCE DES CHOSES/
Elle approche, elle arrive, elle frappe
à la porte, elle va entrer, celle que nous
avons attendue si longtemps, celle que
nous avons si ardemment réclamée, la
libératrice, la réparatrice : là Dissolu-
tion ! On a eu beau la retarder, on a eu
beau la repousser, elle arrive ! Sois la
bien-venue, toi qui vas remplacer cette
Assemblée-ci par une autre 1
Il y avait tant d'années que nous
t'espérions que nous en étions presque
à désespérer de te voir venir. C'était
vainement que nous rappelions à l'As-
semblée qui nous comblait de sa durée
toutes les raisons qu'elle avait de nous
en priver. D'abord, cette raison qu'elle
avait été créée pour faire la paix, et
que la paix était faite; pour trouver
cinq milliards, et que la République en
avait trouvé cinquante; pour renvoyer
les Prussiens, et que la République
avait libéré 4 ce que l'empire nous
a laissé de, la France, Ensuite, cette
autre raison qu'elle était désaccord
- avec le pays sur le point essentiel. Le
pays était pour la République, et elle
était pour la monarchie. Le pays vou-
lait des institutions démocratiques, et
c'était jy^joj^Hté. qu'elle lui .apprêtait-
Le pays était tous les jours dans la situa-
tion d'un maître de maison qui com-
manderait pour son dîner une poularde
aux truffes et à qui sa cuisinière servi-
rait un canard aux navets, — et qui
aurait horreur des navets ! Ah ! çà, dirait
le pays à la, cuisinière, est-ce moi qui
suis le maître ? — Pas dans ma cuisine,
répondait l'Assemblée. —- Sur quoi,
le maître de l'Assemblée, toutes les fois
qu'une élection partielle lui donnait la
parole,; donnait à la majorité ses huit
j o urs. Mais la cui sinière ne les- acceptait
pas. — Monsieur, disait-elle au pays,
quand vous m'avez engagée, TOUS ne
m'avez pas dit pour combien de temps;
Je peux donc rester tout le temps que je
voudrai. :' '*
Cette nouvelle façon d'entendre les rap-
ports entre les maîtres et les Assemblées
avait un genre de succès insuffisam-
ment agréable aux législateurs qui, vou-
lant une capitale à leur taille, ont eu l'in-
telligencô de préférer yersailles à Paris.
Quand ce genre de succès devenait par
trop gênant, ils s'en allaient en vacan-
ces. Et le pays, affamé de définitif,
éprouvait perpétuellement l'impression
d'un homme qui, crevant de fais*, :-et
au moment de se mettre à table, ap-
prendrait que cuisinière, à l'heure de
mettre le gigot à la broche, est partie
pour un petit voyage.
- Eh bien, cette Assemblée qui partait
pour de petits voyages à l'heure de met-
tre le gigot à la broche, cette Assem-
blée qui, sous prétexte qu'en la nom-
mant on n'était pas convenu du temps
qu'elle resterait, prétendait avoir le
droit de rester tant que ça lui ferait
plaisir, cette Assemblée qui se disait sou-
veraine, cotte Assemblée que le seul
mot de dissolution avait le don d'exas-
pérer, cette Assemblée est à la veille de
se dissoudre !
Qu'est-ce que cela prouve? Qu'il y a
une force des choses. Qu'il y a une sou-
veraineté supérieure à celle des Assem-
blées : celle du pays. Qu'il y a une sou-
veraineté supérieure à celle du pays :
celle du droit. Essayez tout ce que vous
pourrez contre la souveraineté du droit :
le droit n'en aura pas moins le dernier
mot. Cela ne veut pas dire qu'il faut se
croiser les bras et que l'avenir se fera
tout seul. Aide-toi, le droit t'aidera.
Mais cela veut dire que contre l'avenir
aidé par les hommes de bonne volonté
toute résistance est puérile, et que vou-
loir empêcher le droit de venir, c'est
vouloir empêcher la mer de monter et
l'ouragan de souffler.
Voilà une Assemblée qui croit avoir
le droit de rester aussi longtemps qu'il
lui plaira, qu'aucuaef&i-fte-matérielle M
peut contraindre à s'en aller puisque
son premier soin a été de désarmer le
peu n'a aucune envie de s'en
aller, — et qui s'en va. C'est la seconde
fois que cette-Assemblée démontre l'ir-
résistibilité du droit. D'abord, elle est mo-
narchiste, elle s'est mise dès son premier
jour à travailler pour la monarchie, elle
a tout fait contre la République, elle a
réconcilié les deux royalismes, elle est
àilçe jusqu'à faire oublier au fils de la
duchesse de Berry l'accouchement de
Blaye, jusqu'à faire s'embrasser les tê-
tes coupées de Louis XVI et de Philippe-
Egalité, jusqu'à rêver un trône qui se-
rait, fait du bois de leur échafaud; résul-
tat : cette Assemblée si monarchiste a
fait la République. Et aujourd'hui elle
cède une seconde fois au droit en re-
riaettant d'elle-même le mandat qu'il lui
redemande. Une main que ne voient
pas ceux qui ne voient que la matière
lui fait signe de- sortir, et elle obéit.
Donc, le droit est fort." Donc, ayons
confiance. tout ce qui doit être, sera.
Le même portier invisible qui aujour-
d'hui ferme la porte à l'Assemblée
l'ouvrira demain à la démocratie.
ACGGSTB VACQUBRIB.
Le journal des vrais légitimistes dit que
ses amis ont tenu hier une réunion dans
laquelle, à propos des soixante-quinze sé-
nateurs à élire par l'Assemblée, ils ont
pris les résolutions suivantes :
, Première résolution : — « La réunion des
chevau-légers accepte de chercher à éta-
blir un accord entre les groupes de l'an-
cienne majorité. » ; l'ancienne ma j orité
Un des groupes de l'ancienne majorité
était le groupe bonapartiste. Les légiti-
mistes acceptent donc de fraterniser avec
les hommes de Décembre et de Sedan. Le
marquis de Franclieu tendant la main à
M. Rouher, Frohsdorf ouvrant les bras à
Chislehurst, cela n'étonnera que ceux qui
auraient oublié que Frohsdorf et Chisle-
hurst ont été déjà frères en Stoffet.
Deuxième résolution: — « La base des
négociations doit être la représentation
proportionnelle de chaque groupe, et cette
proportion sera déterminée par le rapport
qui existe entre l'importance numérique
des groupes et le chiffre de la majorité
nécessaire. »
Ceci pourrait bien gêner les négocia-
tions. Un hasard, qui ne se reverra certai-
nement plus dans la suite des siècles, a
fait élire, en 1871, un nombre de légiti-
mistes en disproportion avec leur nombre
dans le pays. Il est peu vraisemblable que
les autres groupes de l'ancienne majorité
consentiront à donner aux royalistes blancs
la quantité de siégqs sénatoriaux qui ré-
pondrait à la quantité de sièges que les
royalistes blancs occupent si momentané-
ment dans l'Assemblée. Mais cela regarde
ces groupes. Si l'ancienne majorité pou-
vait faire passer la liste qu'elle voudrait, il
nous importerait peu, quant à nous, qu'il
y eût sur cette liste plus ou moins de roya-
listes blancs. Monarchistes blancs ou au-
tres, nous les trouvons tous bons à mettre
au même sénat.
Troisième et dernière résolution : « Des
garanties sérieuses et efficaces seront don-
nées à la réunion des chevau-légers pour
assurer la complète loyauté du vote. »
Ceci complète la chose. Il s'agit du Sé-
nat, c'est-à-dire d'une Assemblée qui aura;-
dans de certains cas, le droit de congédier
l'Assemblée du suffrage universel et de
mettre la souveraineté du peuple à la
porte. Il s'agit d'une élection qui peut pro-
duirè des conflits entre les deux Chambres
et qui intéresse profondément l'avenir du
pàys. Les légitimistes, les royalistes aus-
tères et probes, les vieux de la vieille mo-
narchie, se cherchent des alliés. Ils choi-
sissent des gens pour lesquels ils ont. une
telle estime qu'ils commencent par leur
demander « des garanties sérieuses et effi-
caces contre un vote déloyal». On se figure
un commerçant ayant besoin d'un associé
pour une affaire où il engagerait sa for-
tune et son honneur et disant à celui qu'il
choisirait : — Nous allons bien prendre
nos mesures pour qu'il vous soit impossi-
ble de me filouter.
A. Vi
Nous parlions hier de l'inquiétude du
Français. Nous pouvons en reparler, au-
jourd'hui, car elle n'a pas diminué, elle
n'a fait, au contraire, que croître et en-
laidir.
Donc, le journal de M. Buffet bat le
rappel des députés ministériels ou « sus-
ceptibles de le devenir » comme disait la
fameuse circulaire qui, jadis, a si digne-
ment inauguré l'ordre moral : « La gra-
» vité des débats et l'importance des ques-
» tions définitives qui vont s'agiter, la se-
» maine prochaine, rendent indispensable,
» à Versailles, la présence de" tous les dé-
» putés conservateurs. Nous faisons appel
» aux absents, en les priant d'être exacts.
» C'est le combat suprême : nul n'a le
» droit d'y manquer. »
Comment! « c'est le combat ) ? Et
qu'est-ce que devient alors la « victoire »
du 11 novembre ? Si le combat est encore
à livrer, la manière dont les amis du
Français sont victorieux ressemble singu-
lièrement à la manière dont le tourlourou
de la légende a fait un prisonnier : — Ca-
poral, j'ai fait un prisonnier. — Eh bien,
amène- le Mais il ne veut pas me lâ-
cher 1
———
iES COULISSES DE VERSAILLES
C'était hier, 20 novembre, le second an-
niversaire du vote du septennat. Aujour-
d'hui le président de la République entre
dans la troisième année d'exercice des
fonctions présidentielles,
-0-
On s'agite toujours beaucoup dans les
groupes de la droite pour la formation
d'une liste commune de 75 sénateursl Les
difficultés sont nombreuses, et pour les
lever, on imagine toutes sortes .d'expé-
dients.
Nous avons déjà signalé celui qui con-
siste à choisir 15 noms en dehors de la
Chambre. Pour faciliter le choix des 60
autres, on a dû recourir à un procédé
compliqué. Il y a 200 candidats dans la
droite pour ces 60 sièges ; or, il fallait
trouver un moyen d'écarter, sans les bles-
ser, ceux qu'on ne veut pas nommer.
- On avait imaginé pour cela un système
de catégories dont on a beaucoup parlé il
y a quelque temps. Ce système consistait
à nommer sénateurs indistinctement tous
les députés ayant occupé les fonctions de
président de la Chambre, de ministre et
d'ambassadeur. Les droites voudraient
çeprendre cette catégorie, mais en excluant
4ons les membres républicains. En procé.
dant ainsi, on aurait environ trente noms
que voici :
D'Audiffret-Pasquier, Buffet, anciens pré-
sidents de la Chambre, deKerdrel, Benoist-
d'Azy, anciens vice-présidents.
De Broglie, Batbie, Caillaux, général
Chabaud-Latour, général de Cissey, de
Cumont, duc Decazes, Depeyre, amiral
Dompierre d'Hormoy, Dufaure, Ernoul,
Grivart, de la Bouillerie, de Larcy, Le FIô,
Magne, de Meaux, Mathieu-Bodet, amiral
de Montaignac, Pouyer-Quertier, Tall-
hand et Wallon, ministres ou anciens mi-
nistres.
Target, de Corcelle, de Gontaut-Biron,
de Larochefoucauld, de Chaudordy, am-
bassadeurs ou anciens ambassadeurs.
Ces noms ainsi fixés, il ne resterait à en
choisir que 30 autres qu'on partagerait
entre les groupes de droite au prorata d e
leur effectif. Chaque groupe choisirait li-
brement les siens et s'engagerait à voter
les yeux fermés pour ceux des autres.
Mais ce système si ingénieux ne paraît
pas devoir réunir la majorité. Il fait trop
dé mécontents et, comme le vote a lieu au
scrutin secret, il est probable que tous
les ressentiments excités ainsi se tra-
duiraient par des votes hostiles.
—o—
Une question sera adressée la semaine
prochaine à M. Buffet au sujet de l'exécu-
tion de la loi organique du 2 août 1875
sur l'élection des sénateurs.
On sait qu'aux termes de l'article 42 de
cette loi, la communication des listes des
membres des corps électifs du départe-
ment peut être requise de droit par tout
électeur.
Or, dans tous les départements, cette
communication a été refusée jusqu'à ce
jour à ceux qui l'ont demandée.
« M. Buffet interprète la loi dans le sens
le plus restrictif; il considère que la com-
munication ne peut pas être demandée
par tout électeur, mais seulement par les
électeurs sénatoriaux, et, en outre, qu'elle
ne peut avoir lieu que pendant la période
électorale.
Un grand nombre de députés se sont
émus de ce fait et ne veulent pas admet-
tre que le ministre de l'intérieur puisse
ainsi restreindre la portée d'une loi par
voie de simple interprétation. La Cham-
bre, qui a fait la loi, sera appelée dans
quelques jours à en fixer le véritable
sens.
— —'
LE SCRUTIN D'ARRONDISSEMENT
ET
L'Assemblée a voté le scrutin d'arron-
dissement. Voyons ce qu'elle a voté. Pour
en juger, nous interrogerons des témoins
assurément impartiaux et absolument ir-
récusables : les chiffres. M. Ricard en a
déjà donné quelques-uns, qui sont tout à
fait saisissants. Consultons-les encore.
1
L'égalité de tous les citoyens devant le
suffrage n'exige pas seulement que tous
aient le droit de vote, il faut encore que
leur bulletin ait la même valeur. Si 50,000
électeurs nomment un député, tandis que
50,000 autres en nommeront six, les pre-
miers auront une influence six fois moins
grande sur le résultat, et par conséquent
un droit six fois moins fort. Certaines lé-
gislations établissent ainsi un privilége au
profit des riches : la loi prussienne, par
exemple, imitant la loi romaine. On ne
s'est jamais avisé de prétendre qu'avec une
législation semblable le droit du suffrage
fùt égal pour tous.
Avec le scrutin d'arrondissement, Mar-
mandenomme un député, comme Barce-
lonnette.
Résultat : devant le scrutin, 99,000 ha-
bitants de Lot-et-Garonne valent 16,000
habitants des Basses-Alpes. Un Français
établi au bord de la Garonne pèse six fois
moins devant le scrutin que son compa-
triote du Sud-Est.
On objectera que c'est une exception.
Mais si les inégalités aussi fortes sont ra-
res, d'autres inégalités très choquantes
sont très communes.
- L'arrondissement de Castellane (22,000
habitants), de Sisteron (23,000), dans les
Aipes, de Calvi (24,000), en Corse, nom-
meront un député comme l'arrondisse-
ment quatre fois plus fort de Villeneuve-
d'Agen (Lot-et-Garonne) qui a 90,000 habi-
tants, comme celui de Ploërmel (Morbihan)
qui en a 91,000, ou comme celui de Guéret
(Creuse) qui en a 93,000.
Ces inégalités se remarquent parfois
dans le môme département. Dans les Py-
rénées-Orientales, la moitié de la popula-
tion nomme deux députés, et l'autre moi-
tié (arrondissement de Perpignan) n'en
nomme qu'un. En Corse, l'arrondissement
de Calvi, avec 24,000 habitants, et celui de
Sartène (32,000) nomment chacun un repré-
sentant, comme l'arrondissement deux et
trois fois plus fort de Bastia (74,000), etc.
Il y a peu de départements où l'on ne
puisse relever des faits analogues.
On répond qu'il est impossible d'arriver
à égaliser rigoureusement le droit de suf-
frage; que la perfection n'est pas de ce
monde; et qu'il y aura toujours, dans tous
les systèmes électoraux, des colléges qui
auront de petits avantages. Est-ce une
raison pour qu'il s'en produise de scanda-
leux ?
Quatre héritiers ont un champ à se par-
tager. L'un des quatre dit aux autres 1 « Il
faut renoncer à faire des parts absolu-
ment égales. L'humanité.est réduite aux
approximations. Tous les instruments de
précision n'empêcheraient pas que les li-
gnes de démarcation que nous pourrions
tracer n'errassent de quelques dixièmes de
millimètre. Ce ne serait paslassez de divi-
ser les mottes de terre: il faudrait diviser
les grains de poussière ; encore, ! un ciron
fort en géométrie relèverait-il toujours des
erreurs dans notre tracé. Nous sommes
réduits à nous contenter d'un à peu près.
Je "Vous propose celui-ci : je pfe&ds les
trois quarts et je vous laisse le resté.
C'est le raisonnement de J^Dufauï^K •
On fait cette objection que ces i-négelit
de détail disparaissent dans Tensemb!c.
A cela, il y a deux réponses à faire V;-
il À ç6té des intérêts généraux du pays,
les Assembler pnt à examiner une foule
de questions qui iniéressent des localités •
spéciales. Chaque collège à (ionc besoin du
chiffre de députés auquel il a droit. C'est :.
là une considération étrangère à là politi-
que et pourtant essentielle. Or, sur ce
point, tous les députés de la droite ne fon.
assurément pas ce que leurs électeurs
pouvaient attendre de leur zèle pour les
intérêts locaux. Beaucoup d'entre eux
traitent le département qui les a nommés
comme l'Assemblée a traité l'Algérie.
- {/arrondissement catholique et royaliste
de PÏÔ5rnael (Morbihan) compte une popm
lation qui devr^^ avoir deux députés. Les
députés royalistes du Morbihan défendent.
ils son droit ? *" f
Les arrondissements du Lot-et-Garonne
que j'ai mentionnés sont dans le même
cas. Leurs représentants, qui, je crois, apj
partiennent à peu près tous à la majorité
de M. Buffet, en ont-ils quelque sfouci?
Il en est de même des arrondissements
de Neufchâtel (Seine4nférieure), de Tr (Aube), de Brioude etd'Yssingeaux(Hautè*
Loire), de Montargis (Loiret), de Figeac G*
de Gourdon (Lot), de quatre des arrondis-
sements de la Manche, et d'un grand oonw
bre d'autred colléges électoraux, dont tes dé-
putations, appartenant en majeure partie h
la droite ou au centre droit, abandonnent
absolument les intérêts spéciaux de leur?,
électeurs en votant le scrutin uninominal, -
2" A un point de vue plus général et
plus politique, il n'est pas vrai que les,
inégalités dè détail disparaissent dans
l'ensemble.
Quelques chiffres permettront d'en juger.
Une quarantaine d'arrondissements in-
férieurs à 50,000 habitants nomment un
chiffre de députés pour une population
d'un million seize ou dix-sept mille habi-
tants à peu près.
Toutes les grandes villes de France ré- -
unies ne nomment que six ou sept députés
de plus, avec une population de quatre mil-
lions et demi.
On comprend qu'une pareille différence,
portant sur des chiffres aussi considéra- -'
bles, puisse déplacer la majorité dans une
Assemblée.
Si l'on fait le calcul pour la totalité des
arrondissements, on trouve que les repré-
sentants d'une majorité de deux mil-
lions d'habitants pourraient avoir quarante
voix de moins que les représentants de la
minorité.
Il est difficile que l'inégalité atteigne
jamais ce maximum ; mais la marge est -
assez grande pour qu'il reste sans cela
des chances de voir la majorité de l'As-
semblée représenter d'une façon constatée
et authentique la minorité du pays.
Nos conservateurs imaginent-ils une si-
tuation plus dangereuse pour l'ordre? et
pour le repos p ublic ?
III J
On a essayé de justifier ces résultats ab-
surdes, en combattant la suprématie du.
nombre et en alléguant la représentation
des intérêts, .,
Ces motifs sont en contradiction avec
nos institutions fondamentales, qui garan-
tissent l'égalité de tous les citoyens-devant
le suffrage. Mais admettons qu'ils soient
recevables, et voyons comment les intérêts
sont représentés. >
Les supériorités que les adversaires du
Feuilleton du Mlappet
DU 22 NOVEMBRE
il ';" ; ; "r : - .L. ,-
MAITRE GASPARD FIX
HISTOIRE
D'ON
CONSERVATEUR
vu
(Suite) -
On pente Men que maître t":"{ n'avait
plus guère le temps de monter au casino
lire la gazette ; il entendait bien parler
quelquefois de reforme électorale et par-
lementaire, de banquets réformistes prési-
dés par les chefs de l'opposition constitu-
Voir WRappel du Sau 21 novembre*
tionnelle, et d'autres choses semblables;
mais, au milieu de sa grande exploitation,
c'était le moindre de ses soucis; il ne
songeait qu'à bien débiter son bois en
planches, solives et madriers, à le bien
faite corder, à le bien vendre.
Sur la fin de l'automne, voyant que tout
le fonds lui resterait pour rien, une fois
les bois coupés et vendus, et calculant que
ce fonds,—avec le château, les étangs, les
métairies,—tout aride et dépouillé qu'ilal-
lait être, représenterait encore une valeur
de plus de trois cent mille francs, maître
Gaspard laissa éclater sa joie; l'idée du
gros bénéfice qu'il allait faire, lui donnait
une bonne humeur remarquable, à ce
point qu'en reconnaissance des services de
Frionnet, il n'hésita pas à lui avancer
quelques mille francs. C'était du reste le
meilleur moyen d'encourager le compère
à poursuivre le déboisement avec un re-
doublement d'ardeur.
Mais l'hiver arriva bientôt après, il fut
très rude dans la montagne, en cette an-
née 1847; il fallut suspendre le travail, et
les deux compères profitèrent de ce chô-
mage forcé, pour apurer tous les comptes
de l'exploitation.
Maître Gaspard, très content de sa cam-
pagne, songeait à se remettre au courant
de la politise.
On était alors en février 1848. Depuis
quelques jours toutes les gazettes par-
laient d'un banquet qui devait se tenir
aux Champs-Elysées, sous la présidence
de M. Odilon Barrot ; les membres de l'op-
position, les journalistes et la jeunesse des
écoles en masse avaient reçu des invita-
tions.
Maître Gaspard, ses besicles sur le nez,
les pieds dans ses pantoufles, lisait ces
nouvelles chaque matin, en attendant
Frionnet, qui ne manquait jamais d'entrer
sur le coup de huit heures.
— Tenez !. voyez un peu la folie de
ces Parisiens, disait-il en lui tendant le
journal ; voyez ce Ledru-Rollin, cet Odi"
Ion Barrot, ce Lamartine, tout ce tas de
gueux qui s'entendent ensemble pour
troubler l'ordre. Ah l si j'étais Louis-Phi-
lippe, comme je vous balayerais ça !.
Boum !. Boum !. Je n'en laisserais pas
échapper un seul !
— Mais qu'est-ce qu'ils veulent donc
ces imbéciles? s'écriait Frionnet; qu'est-ce
qu'ils demandent, avec leur adjonction des
capacités ? Est-ce que ceux qui ne sont pas
capables d'amasser dequoi payer deux cents
francs de contributions, moyennant leurs
portes et fenêtres, leurs cotes mobilière
et personnelle et leurs patentes, méritent
qu'on les regarde? Est-ce qu'avant de
mettre le nez dans les affaires publiques,
il ne faut pas savoir faire les siennes?
- C'est clair 1 disait maître Gaspard;
c'est clair comme le jour. Mais ne nous
fâchons pas, Frionnet; un banquet de plus
ou de moins, qu'est-ce que ça prouve?
Quand ils auront bien mangé, bien bu,
dépensé leur argent et braillé leursaoûl, eh
bien, les démagogues seront contents. Ils re-
commenceront ailleurs dans quinze jours
ou trois semaines, et ça ne nous empê-
chera pas de continuer nos petites affaires.
Allons, asseyez-vous, et voyons ce qui nous
regarde I
Ils ouvraient alors le gros registre des
comptes, pour éplucher le doit et l'avoir
des bûcherons, des schlitteurs, des scieurs,
des voituriers, et la gravité de cette occu-
pation leur faisait oublier le reste.
Mais un beau matin qu'il n'était pas ar-
rivé de journaux depuis trois jours, ce
qu'on attribuait à la difficulté des che-
mins pendant la fonte des neiges, tandis
que les deux compères se livraient à leur,
occupation, tout à coup ils virent passer
devant les fenêtres, sautant au milieu des
flaques d'eau, M. le contrôleur Couleaux,
d'habitude grave et même solennel.
— Qu'est-ce que ('est? dit maître Gas-
pard. Quelque chose se passe.
— Oui, ce n'est pas naturel, remarqua
Frionnet en se levant.
Et tous deux ouvrirent la porte du cabi-
net. M. Couleaux gravissait déjà les mar-
ches de l'escalier et criait dans le vesti-
bule :
— Monsieur le maire, est-ce que le Mo-
niteur est arrivé?
- Non, dit maître Gaspard, vous savez
bien que le piéton n'est pas venu depuis
trois jours, à cause des mauvais chemins
de la montagne.
— Ah! s'écria Couleaux, en entrant tout
pâle et se laissant tomber dans un fau-
teuil, ah ! quel malheur !.. Un exprès de
Vandeuvre vient de m'apporter cette lettre
de Paris, une lettre de mon neveu le sta-
giaire. Dieu du ciel! tenez. lisez. lisez
vous-même! Ah ! quelles nouvelles, mon
Dieu!..
Frionnet prit la lettre et, s'approchant
de la fenêtre, il lut tout haut :
« Mon cher oncle, Paris est en révolu-
tion. Le roi est en fuite. un gouverne-
ment provisoire vient de s'établir à l'Hôtel
de Ville ; voici les noms : Ledru-Rollin,
Lamartine, Arago, Marie, Crémieux, etc. »
Et pendant que Frionnet pâlissait à son
tour, maître Gaspard devenait rouge jus-
qu'aux oreilles.
— Hein 1 qu'est-ce que vous pensez de
cela, mes pauvres amis? bégaya le con-
trôleur. e
— Nous sommes perdus, dit Frionnet,
les débiteurs sont les maîtres, ils nous
couperont le coui
En entendant cela, maître Gaspard
toussa deux fois, puis il se leva et ouvrit
la fenêtre pour donner de l'air. Couleaux,
les yeux écarquillés, regardait comme
s'il avait vu la guillotine se dresser devant
lui.
Le docteur Laurent passait justement
dans la rue, pour aller faire ses visites ; et
M. le maire, malgré le peu de sympathie
qui régnait entre eux, se réveillant de sa
stupeur, lui cria î
— Hé! beau-frère, vous savez la grande
nouvelle?
— Oui, la République est proclamée, dit
Laurent tout sérieux, c'est un peu tôt, le
peuple est encore bien en retard ; depuis
cinquante ans, on ne lui a rien appris de
ce qu'il devrait savoir; on ne lui a ensei-
gné que le catéchisme; mais, puisque nous
avons la République, malgré tout nous tâ-
cherons de la conserver.
— Ah ! cria Couleaux, que vous avez
raison, docteur l La République. mon
Dieu ! nous la voulons tous. c'est la plus
belle forme de gouvernement. Malheu-
reusement le peuple.
M. Laurent, entendant cela, poursuivit
son chemin. Alors M. le contrôleur, jaune
comme un coing, sortit sans rien dire; et
les deux compères, se regardant dans
l'embrasure de la fenêtre, s'écrièrent en-
semble :
— Que faire maintenant?
— Je vais à Tiefenthâl, dit maître Gas-
pard au bout d'une minute. Notre député,
M. Thomassin, doit être revenu ; c'est un
homme prudent, il s'est bien sûr tiré de la
bagarre.
— Oui, dépêchez-vous ! c'est là que nous
saurons la marche à suivre ; avant tout, il
faut s'entendre, prendre le mot d'ordre.
Vous viendrez me voir en rentrant, mon-
sieur le maire, je vous attendrai.
— C'est bien, dit maître Gaspard en cou-
rant dans la cour et criant :
— Faxland!. Faxland!. Attelle les
deux chevaux. vite!. Nous allons à Tie-
fenthâl.
Faxland. venait justement de bouchon;
ner ses chevaux. Dehors un paysan dans la
rue, criait : « Vive la République ! »
— Vous entendez, monsieur le maire?
on crie quelque chose là-bas, dit-il.
— Oui, c'est bien. Dépêche-toi seule-
ment; ça ne nous regarde pas.
Alors Faxland sortit, les chevaux; et
M. Gaspard Fix lui-même, poussant le
char-à-bancs hors du hangar, jeta dessus
une botte de paille et dit au palefrenier :
- Va mettre tes grosses bottes. Hé 1
n'oublie pas mon manteau.
Il finit lui-même d'atteler, serra les bou-
cles; et comme sa femme arrivait voir sur
la porte ce qui se passait, il enjambait
déjà le siège; puis, s'enveloppant du man-
teau que Faxland lui tendait, il dit à sa
femme d'un ton de maître, pour évitef
toute explication :
- Je reviendrai ce soir, Simone, à six
ou sept heures; tu m'attendras pour sou-
per. Allons, monte, toi, et en route 1
— Hue 1 cria Faxland, et les chevaux,
cinglés d'un vigoureux coup de fouet, par-,
tirent comme le vent.
ERCKMANN-CHATRIÀN*
(A suivre)
2 Frimaire an 84 — N* 2015*2
-. RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
18, EUE DB VALOIS, i&
Les manuscrits non insérés ne seront pas rendu,
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et G«
^6, place de la Bourse, 8
"■"* :, '-;."-'
» , • r-
* - - , ; v^4
ADMINISTRATION .J.
18, RUE DE VALOIS, ~18 v
APOHIVEMENT§
PAIns
Trois mois. 40 9
eiz mois. 20 D
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 3 f
Six mois. 27 fî^
Adresser lettres et mandata V
A M. ERNEST LEFÈVRrE vj
^DMIKISTRATEUR-GÉRAMJ A
FORCE DES CHOSES/
Elle approche, elle arrive, elle frappe
à la porte, elle va entrer, celle que nous
avons attendue si longtemps, celle que
nous avons si ardemment réclamée, la
libératrice, la réparatrice : là Dissolu-
tion ! On a eu beau la retarder, on a eu
beau la repousser, elle arrive ! Sois la
bien-venue, toi qui vas remplacer cette
Assemblée-ci par une autre 1
Il y avait tant d'années que nous
t'espérions que nous en étions presque
à désespérer de te voir venir. C'était
vainement que nous rappelions à l'As-
semblée qui nous comblait de sa durée
toutes les raisons qu'elle avait de nous
en priver. D'abord, cette raison qu'elle
avait été créée pour faire la paix, et
que la paix était faite; pour trouver
cinq milliards, et que la République en
avait trouvé cinquante; pour renvoyer
les Prussiens, et que la République
avait libéré 4 ce que l'empire nous
a laissé de, la France, Ensuite, cette
autre raison qu'elle était désaccord
- avec le pays sur le point essentiel. Le
pays était pour la République, et elle
était pour la monarchie. Le pays vou-
lait des institutions démocratiques, et
c'était jy^joj^Hté. qu'elle lui .apprêtait-
Le pays était tous les jours dans la situa-
tion d'un maître de maison qui com-
manderait pour son dîner une poularde
aux truffes et à qui sa cuisinière servi-
rait un canard aux navets, — et qui
aurait horreur des navets ! Ah ! çà, dirait
le pays à la, cuisinière, est-ce moi qui
suis le maître ? — Pas dans ma cuisine,
répondait l'Assemblée. —- Sur quoi,
le maître de l'Assemblée, toutes les fois
qu'une élection partielle lui donnait la
parole,; donnait à la majorité ses huit
j o urs. Mais la cui sinière ne les- acceptait
pas. — Monsieur, disait-elle au pays,
quand vous m'avez engagée, TOUS ne
m'avez pas dit pour combien de temps;
Je peux donc rester tout le temps que je
voudrai. :' '*
Cette nouvelle façon d'entendre les rap-
ports entre les maîtres et les Assemblées
avait un genre de succès insuffisam-
ment agréable aux législateurs qui, vou-
lant une capitale à leur taille, ont eu l'in-
telligencô de préférer yersailles à Paris.
Quand ce genre de succès devenait par
trop gênant, ils s'en allaient en vacan-
ces. Et le pays, affamé de définitif,
éprouvait perpétuellement l'impression
d'un homme qui, crevant de fais*, :-et
au moment de se mettre à table, ap-
prendrait que cuisinière, à l'heure de
mettre le gigot à la broche, est partie
pour un petit voyage.
- Eh bien, cette Assemblée qui partait
pour de petits voyages à l'heure de met-
tre le gigot à la broche, cette Assem-
blée qui, sous prétexte qu'en la nom-
mant on n'était pas convenu du temps
qu'elle resterait, prétendait avoir le
droit de rester tant que ça lui ferait
plaisir, cette Assemblée qui se disait sou-
veraine, cotte Assemblée que le seul
mot de dissolution avait le don d'exas-
pérer, cette Assemblée est à la veille de
se dissoudre !
Qu'est-ce que cela prouve? Qu'il y a
une force des choses. Qu'il y a une sou-
veraineté supérieure à celle des Assem-
blées : celle du pays. Qu'il y a une sou-
veraineté supérieure à celle du pays :
celle du droit. Essayez tout ce que vous
pourrez contre la souveraineté du droit :
le droit n'en aura pas moins le dernier
mot. Cela ne veut pas dire qu'il faut se
croiser les bras et que l'avenir se fera
tout seul. Aide-toi, le droit t'aidera.
Mais cela veut dire que contre l'avenir
aidé par les hommes de bonne volonté
toute résistance est puérile, et que vou-
loir empêcher le droit de venir, c'est
vouloir empêcher la mer de monter et
l'ouragan de souffler.
Voilà une Assemblée qui croit avoir
le droit de rester aussi longtemps qu'il
lui plaira, qu'aucuaef&i-fte-matérielle M
peut contraindre à s'en aller puisque
son premier soin a été de désarmer le
peu n'a aucune envie de s'en
aller, — et qui s'en va. C'est la seconde
fois que cette-Assemblée démontre l'ir-
résistibilité du droit. D'abord, elle est mo-
narchiste, elle s'est mise dès son premier
jour à travailler pour la monarchie, elle
a tout fait contre la République, elle a
réconcilié les deux royalismes, elle est
àilçe jusqu'à faire oublier au fils de la
duchesse de Berry l'accouchement de
Blaye, jusqu'à faire s'embrasser les tê-
tes coupées de Louis XVI et de Philippe-
Egalité, jusqu'à rêver un trône qui se-
rait, fait du bois de leur échafaud; résul-
tat : cette Assemblée si monarchiste a
fait la République. Et aujourd'hui elle
cède une seconde fois au droit en re-
riaettant d'elle-même le mandat qu'il lui
redemande. Une main que ne voient
pas ceux qui ne voient que la matière
lui fait signe de- sortir, et elle obéit.
Donc, le droit est fort." Donc, ayons
confiance. tout ce qui doit être, sera.
Le même portier invisible qui aujour-
d'hui ferme la porte à l'Assemblée
l'ouvrira demain à la démocratie.
ACGGSTB VACQUBRIB.
Le journal des vrais légitimistes dit que
ses amis ont tenu hier une réunion dans
laquelle, à propos des soixante-quinze sé-
nateurs à élire par l'Assemblée, ils ont
pris les résolutions suivantes :
, Première résolution : — « La réunion des
chevau-légers accepte de chercher à éta-
blir un accord entre les groupes de l'an-
cienne majorité. » ; l'ancienne ma j orité
Un des groupes de l'ancienne majorité
était le groupe bonapartiste. Les légiti-
mistes acceptent donc de fraterniser avec
les hommes de Décembre et de Sedan. Le
marquis de Franclieu tendant la main à
M. Rouher, Frohsdorf ouvrant les bras à
Chislehurst, cela n'étonnera que ceux qui
auraient oublié que Frohsdorf et Chisle-
hurst ont été déjà frères en Stoffet.
Deuxième résolution: — « La base des
négociations doit être la représentation
proportionnelle de chaque groupe, et cette
proportion sera déterminée par le rapport
qui existe entre l'importance numérique
des groupes et le chiffre de la majorité
nécessaire. »
Ceci pourrait bien gêner les négocia-
tions. Un hasard, qui ne se reverra certai-
nement plus dans la suite des siècles, a
fait élire, en 1871, un nombre de légiti-
mistes en disproportion avec leur nombre
dans le pays. Il est peu vraisemblable que
les autres groupes de l'ancienne majorité
consentiront à donner aux royalistes blancs
la quantité de siégqs sénatoriaux qui ré-
pondrait à la quantité de sièges que les
royalistes blancs occupent si momentané-
ment dans l'Assemblée. Mais cela regarde
ces groupes. Si l'ancienne majorité pou-
vait faire passer la liste qu'elle voudrait, il
nous importerait peu, quant à nous, qu'il
y eût sur cette liste plus ou moins de roya-
listes blancs. Monarchistes blancs ou au-
tres, nous les trouvons tous bons à mettre
au même sénat.
Troisième et dernière résolution : « Des
garanties sérieuses et efficaces seront don-
nées à la réunion des chevau-légers pour
assurer la complète loyauté du vote. »
Ceci complète la chose. Il s'agit du Sé-
nat, c'est-à-dire d'une Assemblée qui aura;-
dans de certains cas, le droit de congédier
l'Assemblée du suffrage universel et de
mettre la souveraineté du peuple à la
porte. Il s'agit d'une élection qui peut pro-
duirè des conflits entre les deux Chambres
et qui intéresse profondément l'avenir du
pàys. Les légitimistes, les royalistes aus-
tères et probes, les vieux de la vieille mo-
narchie, se cherchent des alliés. Ils choi-
sissent des gens pour lesquels ils ont. une
telle estime qu'ils commencent par leur
demander « des garanties sérieuses et effi-
caces contre un vote déloyal». On se figure
un commerçant ayant besoin d'un associé
pour une affaire où il engagerait sa for-
tune et son honneur et disant à celui qu'il
choisirait : — Nous allons bien prendre
nos mesures pour qu'il vous soit impossi-
ble de me filouter.
A. Vi
Nous parlions hier de l'inquiétude du
Français. Nous pouvons en reparler, au-
jourd'hui, car elle n'a pas diminué, elle
n'a fait, au contraire, que croître et en-
laidir.
Donc, le journal de M. Buffet bat le
rappel des députés ministériels ou « sus-
ceptibles de le devenir » comme disait la
fameuse circulaire qui, jadis, a si digne-
ment inauguré l'ordre moral : « La gra-
» vité des débats et l'importance des ques-
» tions définitives qui vont s'agiter, la se-
» maine prochaine, rendent indispensable,
» à Versailles, la présence de" tous les dé-
» putés conservateurs. Nous faisons appel
» aux absents, en les priant d'être exacts.
» C'est le combat suprême : nul n'a le
» droit d'y manquer. »
Comment! « c'est le combat ) ? Et
qu'est-ce que devient alors la « victoire »
du 11 novembre ? Si le combat est encore
à livrer, la manière dont les amis du
Français sont victorieux ressemble singu-
lièrement à la manière dont le tourlourou
de la légende a fait un prisonnier : — Ca-
poral, j'ai fait un prisonnier. — Eh bien,
amène- le Mais il ne veut pas me lâ-
cher 1
———
iES COULISSES DE VERSAILLES
C'était hier, 20 novembre, le second an-
niversaire du vote du septennat. Aujour-
d'hui le président de la République entre
dans la troisième année d'exercice des
fonctions présidentielles,
-0-
On s'agite toujours beaucoup dans les
groupes de la droite pour la formation
d'une liste commune de 75 sénateursl Les
difficultés sont nombreuses, et pour les
lever, on imagine toutes sortes .d'expé-
dients.
Nous avons déjà signalé celui qui con-
siste à choisir 15 noms en dehors de la
Chambre. Pour faciliter le choix des 60
autres, on a dû recourir à un procédé
compliqué. Il y a 200 candidats dans la
droite pour ces 60 sièges ; or, il fallait
trouver un moyen d'écarter, sans les bles-
ser, ceux qu'on ne veut pas nommer.
- On avait imaginé pour cela un système
de catégories dont on a beaucoup parlé il
y a quelque temps. Ce système consistait
à nommer sénateurs indistinctement tous
les députés ayant occupé les fonctions de
président de la Chambre, de ministre et
d'ambassadeur. Les droites voudraient
çeprendre cette catégorie, mais en excluant
4ons les membres républicains. En procé.
dant ainsi, on aurait environ trente noms
que voici :
D'Audiffret-Pasquier, Buffet, anciens pré-
sidents de la Chambre, deKerdrel, Benoist-
d'Azy, anciens vice-présidents.
De Broglie, Batbie, Caillaux, général
Chabaud-Latour, général de Cissey, de
Cumont, duc Decazes, Depeyre, amiral
Dompierre d'Hormoy, Dufaure, Ernoul,
Grivart, de la Bouillerie, de Larcy, Le FIô,
Magne, de Meaux, Mathieu-Bodet, amiral
de Montaignac, Pouyer-Quertier, Tall-
hand et Wallon, ministres ou anciens mi-
nistres.
Target, de Corcelle, de Gontaut-Biron,
de Larochefoucauld, de Chaudordy, am-
bassadeurs ou anciens ambassadeurs.
Ces noms ainsi fixés, il ne resterait à en
choisir que 30 autres qu'on partagerait
entre les groupes de droite au prorata d e
leur effectif. Chaque groupe choisirait li-
brement les siens et s'engagerait à voter
les yeux fermés pour ceux des autres.
Mais ce système si ingénieux ne paraît
pas devoir réunir la majorité. Il fait trop
dé mécontents et, comme le vote a lieu au
scrutin secret, il est probable que tous
les ressentiments excités ainsi se tra-
duiraient par des votes hostiles.
—o—
Une question sera adressée la semaine
prochaine à M. Buffet au sujet de l'exécu-
tion de la loi organique du 2 août 1875
sur l'élection des sénateurs.
On sait qu'aux termes de l'article 42 de
cette loi, la communication des listes des
membres des corps électifs du départe-
ment peut être requise de droit par tout
électeur.
Or, dans tous les départements, cette
communication a été refusée jusqu'à ce
jour à ceux qui l'ont demandée.
« M. Buffet interprète la loi dans le sens
le plus restrictif; il considère que la com-
munication ne peut pas être demandée
par tout électeur, mais seulement par les
électeurs sénatoriaux, et, en outre, qu'elle
ne peut avoir lieu que pendant la période
électorale.
Un grand nombre de députés se sont
émus de ce fait et ne veulent pas admet-
tre que le ministre de l'intérieur puisse
ainsi restreindre la portée d'une loi par
voie de simple interprétation. La Cham-
bre, qui a fait la loi, sera appelée dans
quelques jours à en fixer le véritable
sens.
— —'
LE SCRUTIN D'ARRONDISSEMENT
ET
L'Assemblée a voté le scrutin d'arron-
dissement. Voyons ce qu'elle a voté. Pour
en juger, nous interrogerons des témoins
assurément impartiaux et absolument ir-
récusables : les chiffres. M. Ricard en a
déjà donné quelques-uns, qui sont tout à
fait saisissants. Consultons-les encore.
1
L'égalité de tous les citoyens devant le
suffrage n'exige pas seulement que tous
aient le droit de vote, il faut encore que
leur bulletin ait la même valeur. Si 50,000
électeurs nomment un député, tandis que
50,000 autres en nommeront six, les pre-
miers auront une influence six fois moins
grande sur le résultat, et par conséquent
un droit six fois moins fort. Certaines lé-
gislations établissent ainsi un privilége au
profit des riches : la loi prussienne, par
exemple, imitant la loi romaine. On ne
s'est jamais avisé de prétendre qu'avec une
législation semblable le droit du suffrage
fùt égal pour tous.
Avec le scrutin d'arrondissement, Mar-
mandenomme un député, comme Barce-
lonnette.
Résultat : devant le scrutin, 99,000 ha-
bitants de Lot-et-Garonne valent 16,000
habitants des Basses-Alpes. Un Français
établi au bord de la Garonne pèse six fois
moins devant le scrutin que son compa-
triote du Sud-Est.
On objectera que c'est une exception.
Mais si les inégalités aussi fortes sont ra-
res, d'autres inégalités très choquantes
sont très communes.
- L'arrondissement de Castellane (22,000
habitants), de Sisteron (23,000), dans les
Aipes, de Calvi (24,000), en Corse, nom-
meront un député comme l'arrondisse-
ment quatre fois plus fort de Villeneuve-
d'Agen (Lot-et-Garonne) qui a 90,000 habi-
tants, comme celui de Ploërmel (Morbihan)
qui en a 91,000, ou comme celui de Guéret
(Creuse) qui en a 93,000.
Ces inégalités se remarquent parfois
dans le môme département. Dans les Py-
rénées-Orientales, la moitié de la popula-
tion nomme deux députés, et l'autre moi-
tié (arrondissement de Perpignan) n'en
nomme qu'un. En Corse, l'arrondissement
de Calvi, avec 24,000 habitants, et celui de
Sartène (32,000) nomment chacun un repré-
sentant, comme l'arrondissement deux et
trois fois plus fort de Bastia (74,000), etc.
Il y a peu de départements où l'on ne
puisse relever des faits analogues.
On répond qu'il est impossible d'arriver
à égaliser rigoureusement le droit de suf-
frage; que la perfection n'est pas de ce
monde; et qu'il y aura toujours, dans tous
les systèmes électoraux, des colléges qui
auront de petits avantages. Est-ce une
raison pour qu'il s'en produise de scanda-
leux ?
Quatre héritiers ont un champ à se par-
tager. L'un des quatre dit aux autres 1 « Il
faut renoncer à faire des parts absolu-
ment égales. L'humanité.est réduite aux
approximations. Tous les instruments de
précision n'empêcheraient pas que les li-
gnes de démarcation que nous pourrions
tracer n'errassent de quelques dixièmes de
millimètre. Ce ne serait paslassez de divi-
ser les mottes de terre: il faudrait diviser
les grains de poussière ; encore, ! un ciron
fort en géométrie relèverait-il toujours des
erreurs dans notre tracé. Nous sommes
réduits à nous contenter d'un à peu près.
Je "Vous propose celui-ci : je pfe&ds les
trois quarts et je vous laisse le resté.
C'est le raisonnement de J^Dufauï^K •
On fait cette objection que ces i-négelit
de détail disparaissent dans Tensemb!c.
A cela, il y a deux réponses à faire V;-
il À ç6té des intérêts généraux du pays,
les Assembler pnt à examiner une foule
de questions qui iniéressent des localités •
spéciales. Chaque collège à (ionc besoin du
chiffre de députés auquel il a droit. C'est :.
là une considération étrangère à là politi-
que et pourtant essentielle. Or, sur ce
point, tous les députés de la droite ne fon.
assurément pas ce que leurs électeurs
pouvaient attendre de leur zèle pour les
intérêts locaux. Beaucoup d'entre eux
traitent le département qui les a nommés
comme l'Assemblée a traité l'Algérie.
- {/arrondissement catholique et royaliste
de PÏÔ5rnael (Morbihan) compte une popm
lation qui devr^^ avoir deux députés. Les
députés royalistes du Morbihan défendent.
ils son droit ? *" f
Les arrondissements du Lot-et-Garonne
que j'ai mentionnés sont dans le même
cas. Leurs représentants, qui, je crois, apj
partiennent à peu près tous à la majorité
de M. Buffet, en ont-ils quelque sfouci?
Il en est de même des arrondissements
de Neufchâtel (Seine4nférieure), de Tr
Loire), de Montargis (Loiret), de Figeac G*
de Gourdon (Lot), de quatre des arrondis-
sements de la Manche, et d'un grand oonw
bre d'autred colléges électoraux, dont tes dé-
putations, appartenant en majeure partie h
la droite ou au centre droit, abandonnent
absolument les intérêts spéciaux de leur?,
électeurs en votant le scrutin uninominal, -
2" A un point de vue plus général et
plus politique, il n'est pas vrai que les,
inégalités dè détail disparaissent dans
l'ensemble.
Quelques chiffres permettront d'en juger.
Une quarantaine d'arrondissements in-
férieurs à 50,000 habitants nomment un
chiffre de députés pour une population
d'un million seize ou dix-sept mille habi-
tants à peu près.
Toutes les grandes villes de France ré- -
unies ne nomment que six ou sept députés
de plus, avec une population de quatre mil-
lions et demi.
On comprend qu'une pareille différence,
portant sur des chiffres aussi considéra- -'
bles, puisse déplacer la majorité dans une
Assemblée.
Si l'on fait le calcul pour la totalité des
arrondissements, on trouve que les repré-
sentants d'une majorité de deux mil-
lions d'habitants pourraient avoir quarante
voix de moins que les représentants de la
minorité.
Il est difficile que l'inégalité atteigne
jamais ce maximum ; mais la marge est -
assez grande pour qu'il reste sans cela
des chances de voir la majorité de l'As-
semblée représenter d'une façon constatée
et authentique la minorité du pays.
Nos conservateurs imaginent-ils une si-
tuation plus dangereuse pour l'ordre? et
pour le repos p ublic ?
III J
On a essayé de justifier ces résultats ab-
surdes, en combattant la suprématie du.
nombre et en alléguant la représentation
des intérêts, .,
Ces motifs sont en contradiction avec
nos institutions fondamentales, qui garan-
tissent l'égalité de tous les citoyens-devant
le suffrage. Mais admettons qu'ils soient
recevables, et voyons comment les intérêts
sont représentés. >
Les supériorités que les adversaires du
Feuilleton du Mlappet
DU 22 NOVEMBRE
il ';" ; ; "r : - .L. ,-
MAITRE GASPARD FIX
HISTOIRE
D'ON
CONSERVATEUR
vu
(Suite) -
On pente Men que maître t":"{ n'avait
plus guère le temps de monter au casino
lire la gazette ; il entendait bien parler
quelquefois de reforme électorale et par-
lementaire, de banquets réformistes prési-
dés par les chefs de l'opposition constitu-
Voir WRappel du Sau 21 novembre*
tionnelle, et d'autres choses semblables;
mais, au milieu de sa grande exploitation,
c'était le moindre de ses soucis; il ne
songeait qu'à bien débiter son bois en
planches, solives et madriers, à le bien
faite corder, à le bien vendre.
Sur la fin de l'automne, voyant que tout
le fonds lui resterait pour rien, une fois
les bois coupés et vendus, et calculant que
ce fonds,—avec le château, les étangs, les
métairies,—tout aride et dépouillé qu'ilal-
lait être, représenterait encore une valeur
de plus de trois cent mille francs, maître
Gaspard laissa éclater sa joie; l'idée du
gros bénéfice qu'il allait faire, lui donnait
une bonne humeur remarquable, à ce
point qu'en reconnaissance des services de
Frionnet, il n'hésita pas à lui avancer
quelques mille francs. C'était du reste le
meilleur moyen d'encourager le compère
à poursuivre le déboisement avec un re-
doublement d'ardeur.
Mais l'hiver arriva bientôt après, il fut
très rude dans la montagne, en cette an-
née 1847; il fallut suspendre le travail, et
les deux compères profitèrent de ce chô-
mage forcé, pour apurer tous les comptes
de l'exploitation.
Maître Gaspard, très content de sa cam-
pagne, songeait à se remettre au courant
de la politise.
On était alors en février 1848. Depuis
quelques jours toutes les gazettes par-
laient d'un banquet qui devait se tenir
aux Champs-Elysées, sous la présidence
de M. Odilon Barrot ; les membres de l'op-
position, les journalistes et la jeunesse des
écoles en masse avaient reçu des invita-
tions.
Maître Gaspard, ses besicles sur le nez,
les pieds dans ses pantoufles, lisait ces
nouvelles chaque matin, en attendant
Frionnet, qui ne manquait jamais d'entrer
sur le coup de huit heures.
— Tenez !. voyez un peu la folie de
ces Parisiens, disait-il en lui tendant le
journal ; voyez ce Ledru-Rollin, cet Odi"
Ion Barrot, ce Lamartine, tout ce tas de
gueux qui s'entendent ensemble pour
troubler l'ordre. Ah l si j'étais Louis-Phi-
lippe, comme je vous balayerais ça !.
Boum !. Boum !. Je n'en laisserais pas
échapper un seul !
— Mais qu'est-ce qu'ils veulent donc
ces imbéciles? s'écriait Frionnet; qu'est-ce
qu'ils demandent, avec leur adjonction des
capacités ? Est-ce que ceux qui ne sont pas
capables d'amasser dequoi payer deux cents
francs de contributions, moyennant leurs
portes et fenêtres, leurs cotes mobilière
et personnelle et leurs patentes, méritent
qu'on les regarde? Est-ce qu'avant de
mettre le nez dans les affaires publiques,
il ne faut pas savoir faire les siennes?
- C'est clair 1 disait maître Gaspard;
c'est clair comme le jour. Mais ne nous
fâchons pas, Frionnet; un banquet de plus
ou de moins, qu'est-ce que ça prouve?
Quand ils auront bien mangé, bien bu,
dépensé leur argent et braillé leursaoûl, eh
bien, les démagogues seront contents. Ils re-
commenceront ailleurs dans quinze jours
ou trois semaines, et ça ne nous empê-
chera pas de continuer nos petites affaires.
Allons, asseyez-vous, et voyons ce qui nous
regarde I
Ils ouvraient alors le gros registre des
comptes, pour éplucher le doit et l'avoir
des bûcherons, des schlitteurs, des scieurs,
des voituriers, et la gravité de cette occu-
pation leur faisait oublier le reste.
Mais un beau matin qu'il n'était pas ar-
rivé de journaux depuis trois jours, ce
qu'on attribuait à la difficulté des che-
mins pendant la fonte des neiges, tandis
que les deux compères se livraient à leur,
occupation, tout à coup ils virent passer
devant les fenêtres, sautant au milieu des
flaques d'eau, M. le contrôleur Couleaux,
d'habitude grave et même solennel.
— Qu'est-ce que ('est? dit maître Gas-
pard. Quelque chose se passe.
— Oui, ce n'est pas naturel, remarqua
Frionnet en se levant.
Et tous deux ouvrirent la porte du cabi-
net. M. Couleaux gravissait déjà les mar-
ches de l'escalier et criait dans le vesti-
bule :
— Monsieur le maire, est-ce que le Mo-
niteur est arrivé?
- Non, dit maître Gaspard, vous savez
bien que le piéton n'est pas venu depuis
trois jours, à cause des mauvais chemins
de la montagne.
— Ah! s'écria Couleaux, en entrant tout
pâle et se laissant tomber dans un fau-
teuil, ah ! quel malheur !.. Un exprès de
Vandeuvre vient de m'apporter cette lettre
de Paris, une lettre de mon neveu le sta-
giaire. Dieu du ciel! tenez. lisez. lisez
vous-même! Ah ! quelles nouvelles, mon
Dieu!..
Frionnet prit la lettre et, s'approchant
de la fenêtre, il lut tout haut :
« Mon cher oncle, Paris est en révolu-
tion. Le roi est en fuite. un gouverne-
ment provisoire vient de s'établir à l'Hôtel
de Ville ; voici les noms : Ledru-Rollin,
Lamartine, Arago, Marie, Crémieux, etc. »
Et pendant que Frionnet pâlissait à son
tour, maître Gaspard devenait rouge jus-
qu'aux oreilles.
— Hein 1 qu'est-ce que vous pensez de
cela, mes pauvres amis? bégaya le con-
trôleur. e
— Nous sommes perdus, dit Frionnet,
les débiteurs sont les maîtres, ils nous
couperont le coui
En entendant cela, maître Gaspard
toussa deux fois, puis il se leva et ouvrit
la fenêtre pour donner de l'air. Couleaux,
les yeux écarquillés, regardait comme
s'il avait vu la guillotine se dresser devant
lui.
Le docteur Laurent passait justement
dans la rue, pour aller faire ses visites ; et
M. le maire, malgré le peu de sympathie
qui régnait entre eux, se réveillant de sa
stupeur, lui cria î
— Hé! beau-frère, vous savez la grande
nouvelle?
— Oui, la République est proclamée, dit
Laurent tout sérieux, c'est un peu tôt, le
peuple est encore bien en retard ; depuis
cinquante ans, on ne lui a rien appris de
ce qu'il devrait savoir; on ne lui a ensei-
gné que le catéchisme; mais, puisque nous
avons la République, malgré tout nous tâ-
cherons de la conserver.
— Ah ! cria Couleaux, que vous avez
raison, docteur l La République. mon
Dieu ! nous la voulons tous. c'est la plus
belle forme de gouvernement. Malheu-
reusement le peuple.
M. Laurent, entendant cela, poursuivit
son chemin. Alors M. le contrôleur, jaune
comme un coing, sortit sans rien dire; et
les deux compères, se regardant dans
l'embrasure de la fenêtre, s'écrièrent en-
semble :
— Que faire maintenant?
— Je vais à Tiefenthâl, dit maître Gas-
pard au bout d'une minute. Notre député,
M. Thomassin, doit être revenu ; c'est un
homme prudent, il s'est bien sûr tiré de la
bagarre.
— Oui, dépêchez-vous ! c'est là que nous
saurons la marche à suivre ; avant tout, il
faut s'entendre, prendre le mot d'ordre.
Vous viendrez me voir en rentrant, mon-
sieur le maire, je vous attendrai.
— C'est bien, dit maître Gaspard en cou-
rant dans la cour et criant :
— Faxland!. Faxland!. Attelle les
deux chevaux. vite!. Nous allons à Tie-
fenthâl.
Faxland. venait justement de bouchon;
ner ses chevaux. Dehors un paysan dans la
rue, criait : « Vive la République ! »
— Vous entendez, monsieur le maire?
on crie quelque chose là-bas, dit-il.
— Oui, c'est bien. Dépêche-toi seule-
ment; ça ne nous regarde pas.
Alors Faxland sortit, les chevaux; et
M. Gaspard Fix lui-même, poussant le
char-à-bancs hors du hangar, jeta dessus
une botte de paille et dit au palefrenier :
- Va mettre tes grosses bottes. Hé 1
n'oublie pas mon manteau.
Il finit lui-même d'atteler, serra les bou-
cles; et comme sa femme arrivait voir sur
la porte ce qui se passait, il enjambait
déjà le siège; puis, s'enveloppant du man-
teau que Faxland lui tendait, il dit à sa
femme d'un ton de maître, pour évitef
toute explication :
- Je reviendrai ce soir, Simone, à six
ou sept heures; tu m'attendras pour sou-
per. Allons, monte, toi, et en route 1
— Hue 1 cria Faxland, et les chevaux,
cinglés d'un vigoureux coup de fouet, par-,
tirent comme le vent.
ERCKMANN-CHATRIÀN*
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