Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1875-11-18
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 novembre 1875 18 novembre 1875
Description : 1875/11/18 (N2078). 1875/11/18 (N2078).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7532675v
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/09/2012
N* 2078 — Jeudi 18 Novembre 4875
1te MMhéM : iO c. ~; ~~M~~ 1 1 à c.
28 Brumaire aq Si. a.207à(_
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaetion
De 4 TltfuÊfih du soit
18, RCB é* tit&U, 1$
'i.
Les manuscrits non insétés ne seront pas rendui
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CEHFet QI
0, place de la feouf^, g
ADMINISTRATION
18, une DE VUOIN
ABONNEMENTS
Adresser lettres et man«nt3
A M. ERNEST bè|§yR^
ADMINISl-RATm-^ÎIftA^
LE BON BILLET
V -*
Ah ! le bon billet qu'a la Châtre ! Ah !
le bon billet qu'a la Ch — ambre ! M.
Buffet a promis que, « si le cabinet dont
il a l'honneur de faire partie est encore'
au pouvoir à l'époque des élections, ces
élections seront loyales, libres, sincè-
res ». Dès lors, on peut s'endormir tran-
quille. Du moment que M., Buffet, ex-
ministre de l'empire, promet de ne pas
employer les moyens électoraux de
l'empire, du moment que M. Buffet, ex-
ministre de l'empire, déclare que, s'il a
réclamé et exigé le mode de scrutin de
l'empire, c'est pour n'en pas faire l'u-
sage qu'en faisait l'empire, il faudrait
être un bien incorrigible ennemi de l'or-
dre moral pour conserver l'ombre d'un
soupçon. Soyons confiants. Les préfets
et les maires de l'empire, précieuse-
ment conservés par les ministres de la
République, vont évidemment nous
étonner par leur conversion subite, et
le scrutin uninominal va être le protec-
teur de la liberté du vote.
Je n'exagère pas. Le vice-président
du conseil l'a dit en propres termes :
« Non-seulement nous ne violerons pas
la liberté des électeurs; permettez-moi
de vous dire que nous nous efforcerons
de la protéger et de l'assurer. En ré-
clamant le scrutin uninominal, nous
voulions surtout et avant tout assurer
le libre choix des électeurs. »
Oh ! bien, alors, la Gh—ambre ne
pouvait plus hésiter. Oh ! bien, alors,
si c'est comme cela, si non-seulement
ce n'est pas pour refaire ce qu'on fai-
sait sous l'empire que M. Buffet, minis-
tre de l'empire, demande la loi munici-
pale de l'empire, si c'est pour en faire
le contraire de ce qu'en faisait l'empire,
donnons la loi municipale de l'empire à
M. Buffet, ministre de l'empire ! Çapourra
bien causer quelque surprise à nos élec-
teurs de nous voir, nous qu'ils ont con-
nus décentralisateurs à outrance, livrer
tout au pouvoir central. Ça pourra leur
causer en même temps quelque ennui
de nous voir les déposséder du droit
de choisir leurs maires et mettre les
communes sous la poigne des agents
de l'administration. Mais est-ce qu'on
peut se défier de l'administration après
la déclaration du ministre,, de l'inté-
rieur? Est-ce que toute espèce d'inquié-
tude ne cesse pas instantanément de-
vant le bon billet qu'a la Ch—ambre?
Pour parler sérieusement, il y a plus
d'un des -votants de l'ajournement d'a-
i ant-hier qui ne sont pas aussi la Châ-
tre qu'ils font semblant, et qui seraient
bien fâchés de prendre M. Buffet au
,.~teuflTet.ja sincérité du vote. C'est très
du vott e. C est t trè~s
joli en p hrases la liberté et la sincérité,
mais- ce n'est pas précisément là-dessus
qu'ils basent leurs chances de réélec-
tion. Si donc ils ont donné à un minis-
tre de l'empire les moyens électoraux
jet municipaux de l'empire, ce n'est pas
dans l'espérance qu'il en fera le con-
traire de ce qu'en faisait l'empire. Ils
lui pardonneraient aisément de faire de
ses maires ce qu'ils ont si fort reproché
à l'empire de faire des siens. Car le
crime de l'empire était d'user de ses
maires contre eux, et la candidature of-
ficielle, criminelle quand elle les com-
bat, devient vertueuse quand elle les
aide.
Ceux qui ont voté dans ce but l'ajour-
nement de la loi des maires pourraient
bien avoir fait une mauvaise spécula-
tion. Cet ajournement est dû principale-
ment aux orléanistes, qui sont d'une
belle candeur s'ils comptent sur la col-
laboration du personnel administratif
actuel, lequel est bonapartiste. Une
poule qui donnerait son œuf à couver
à un renard obtiendrait aussi sûrement
le coq plus ou moins gaulois qu'elle
en espère.
Et puis, les maires bonapartistes ser-
viraient pour de bon les candidats
orléanistes, que, de la candidature offi-
cielle à l'élection, il y aura cette fois
quelque distance. Nous avons un mi-
nistre de l'empire, nous avons des pré-
fets de l'empire, nous avons des maires
de l'empire, mais nous n'avons plus
l'empire. Or, l'empire n'est pas inu-
tile à la candidature officielle. L'ac-
tion des maires et des préfets perd
beaucoup de sa force si elle n'a pas
avec elle diverses choses, un coup
d'Etat préalable, une Assemblée jetée
par les fenêtres, un massacre de pas-
sants, une transportation en masse,
une loi de sûreté générale, etc. En mai
1869, dans les Pyrénées-Orientales, on
menaçait de la déportation ceux qui vo-
teraient pour M. Emmanuel Arago. Un
blanc-seing de M. le préfet autorisait
les maires à prendre telles mesures
qu'ils voudraient contre de vagues mal-
faiteurs qu'on les aurait excusés de con-
fondre avec les mal votants. L'efficacité
de ce blanc-seing n'était pas diminuée
par le bruit répandu d'un vaisseau prêt
pour Cayenne. Il manquera toujours à
la bonne volonté des préfets et des mai-
res actuels d'avoir pour urnes de scru-
tins la batterie de canons du boulevard
Montmartre.
Cette fois, il ne faut pas compter sur
la terreur, et nous doutons que la per-
suasion suffise pour faire réélire les vo-
tants de l'ajournement de la loi des mai-
res par les électeurs dont ils ont mérité
l'estime en reniant la décentralisation
et dont ils ont mérité la reconnaissance
en les expropriant de leurs franchises
municipales.
AUGUSTE VACQUERIE.
LA SÉANCE
La question de la levée de l'état de siège
venait à l'ordre du jour; mais, comme le
gouvernement a déposé sur la même ques-
tion un projet de loi qui sera examiné de-
main dans les,bureaux, on a résolu d'un
commun accord de n'avoir qu'un débat
unique. C'est une économie de temps, et,
quand, pour la première fois, nous voyons
l'Assemblée presséed'en finir, nous n'avons
guère le courage d'élever des objections.
On avouera cependant qu'entre les pro-
positions de levée de l'état de siège et la
loi sur la presse, il n'y a aucun rapport
direct, bien que le dernier article de cette
loi résolve partiellement cette grave ques-
tion. Une loi sur la presse, surtout une loi
qui vise un grand nombre de lois anté-
rieures, ne peut être discutée et votée lé-
gèrement. Ce n'était pas là un débat à
compliquer d'un débat plus grave et, tout
au plus, aurait-on pu concevoir une telle
manière de procéder si, la loi sur la
presse nous avait été apportée comme la
rançon de l'état de siège. ',
Mais c'est tout le contraire que le gou-
vernement se propose de faire. On lève
l'état de siège partout, excepté où il y a
des journaux, partout, excepté où la presse
a, avec une forte organisation, une grande
puissance de rayonnement. Ce n'est donc
pas la rançon de l'état de siège que l'on
nous demande, c'est la consécration indé-
finie de ce régime qu'on veut nous im-
poser.
Quoi qu'il en soit, il n'y aura qu'un dé-
bat, et nous nous consolons de ce que
cette résolution a d'illogique en raison de
l'économie de temps.
Comme la séance offrait peu d'intérêt,
on s'entretenait plutôt des incidents de la
veille et de ceux qui se préparent que des
projets en discussion devant les banquettes
vides. Il est manifeste, et chacun a pu s'en
convaincre, que déjà plus d'un doute s'est
élevé, dans le camp des conservateurs, sur
la sagesse de la politique ministérielle. Le
scrutin d'arrondissement sourit fort à ceux
qui se croient sûrs d'un arrondissement,
mais ce n'est pas le plus grand nombre, et
puis, à la veille de la bataille, on découvre
des points faibles làoù on se croyait très fort.
Les premiers avis des départements cons-
tatent d'ailleurs que plus d'un conserva-
teur qui se jugeait sûr du succès aura
grand'peine à grouper quelques voix en
présence de quatre, cinq et quelquefois six
concurrents.
Tout cela assombrit les esprits. Il n'est
pas jusqu'au vote sur la loi des maires que
plusieurs ne regrettent comme un peu ir-
réfléchi. « Nous aurions dû au moins ac-
cepter le débat et ne pas rejeter, sans dis-
cussion, l'examen d'une question qui a fi-
guré si longtemps en tête de notre pro-
gramme. » Ainsi s'exprimait, dit-on, en
s'adressant à un ministre, un de ces vo-
tants au repentir tardif. Et, à notre avis,
il n'avait pas tout à fait tort, car ce que
les électeurs pardonneront le moins, c'est
précisément ce vote, négation dédaigneuse
des libertés municipales.
Nous savons bien que la candidature of-
ficielle, la candidature officielle restaurée
avant-hier, malgré le discours plein de
sens de M. Bérenger, malgré les fines
cruautés de M. Pascal Duprat et l'esprit
incisif de M. Ernest Picard, nous savons
bien que la candidature officielle est là
pour consoler les faibles et les timides.
Mais déjà une question se pose à laquelle,
dans la première heure d'effusion, on n'a-
vait'pas voulu songer. Sans doute, se dit-
on, la candidature officielle aura le mer-
veilleux avantage de gêner les républi-
cains cotMlB diiM. Buffet, de protéger
las électeurs. '\;
Mais si l'on voit bien à qui cette candi-
dature officielle doit nuire, on aperçoit
moins clairement à qui elle doit profiter.
Quand, par exemple, dans une circons-
cription, un légitimiste, un orléaniste, un
bonapartiste se trouveront en présence, à
qui reviendra la préférence administrative?
Mystère.
Ce mystère-là rend beaucoup de gens
rêveurs.
A. GAULIER.
PHYSIONOMIE LA SÉMCE
L'ordre du jour meurt d'inanition. On
lui a retiré hier la loi municipale; on lui
a retiré aujourd'hui l'état de siège, qui
viendra naturellement au sujet du projet
de M. Dufaure. Il ne lui reste plus qu'un
certain nombre de projets de railways dé-
partementaux, qui sont vite expédiés.
Quand cette Assemblée ne se bat plus
sur les questions politiques, elle n'a plus
rien, à faire.
M. Clapier a saisi cette occasion de par-
ler. Il jouit de son reste; il s'en donne
tout son saoul ; il met les discours dou-
bles. Pauvre homme! Ce sera bien dur 1
Voir, si jeune (il n'a même pas quatre-
vingts ans), voir, si jeune, sa carrière par-
lementaire interrompue, juste au moment
où elle donnait les plus belles espéran-
ces ! Et dire qu'au temps de la fusion, il
s'est cru pair de France ! C'était un beau
rêve, et l'on n'entendra plus jamais, après
les élections, le terrible Marseillais.
Dans l'intervalle des grandes luttes, on
cause, on s'enquiert et ..l'on réfléchit. Or,
les réflexions qu'on peut faire et les ren-
seignements qu'on peut avoir ne sont
point favorables à la majorité de M. Buf-
fet. Les pauvres gens de l'ordre moral ont
été des naïfs : quelques-uns commencent
à se sentir de vagues regrets. Les moutons
de Panurge qui ont sauté dans le scrutin
d'arrondissement, l'un derrière l'autre, re-
gardent dans quoi ils sont tombés.
Le fait est qu'on les a bien conduits :
les chefs, avec le scrutin d'arrondisse-
ment, auront, ou croient qu'ils auront, un
collége sûr. Les préfets auront pour eux
une poigne de choix; les sous-préfets riva-
liseront de zèle; les promesses afflueront.
Oui, mais le troupeau?
Tout compte lait, qui donc gagne, qui
donc perd au vote de l'autre jour? Tel bon
droitier réfléchit mélancoliquement que,
nommé par son département sur la liste
de la paix, mais sans attache particulière
avec aucun arrondissement, il n'a plus
même de candidature à espérer. Tel autre
songe que, chez lui, dans le centre de la
France, le scrutin de liste aurait donné
probablement le succès complet à son
opinion, tandis qu'avec l'arrondissement
les républicains auront cinq sièges sur
:;ept. Je sais bien que l'inverse se produira
peut-être ailleurs. Belle consolation pour
les députés qui ne voient plus devant eux
eue la modestie de la vie privée 1
Il serait évidemment absurde de dire
lue ces considérations ont divisé la majo-
rité de M. Buffet, et bien risqué de prédire
qu'elles la diviseront. Moutons ils sont,
moutons ils resteront. Mais le troupeau
de l'ordre moral devient un troupeau mé-
lancolique. Il sent confusément qu'il se
noie. Les infortunés à qui leur propre vote
de jeudi a été leur espoir de candidat, son-
gent alors aux places de sénateurs. Mais
il n'y en a pas pour tout le monde, et l'on
commence à se les disputer de la belle
façon.
Les républicains, pour des vaincus, ont
~s&ë~ 1,.¡¡r ~~w~
des figures pleinés de sérénité. Mais - leurs
adversaires commencent à entrevoir l'ave-
nir. Je ne dis pas qu'ils se sépareront; mais
vous pouvez être tranquilles, ils ont en-
core beaucoup à se chamailler avant de
rentrer dans la vie privée.
CAMILLE PELLETAN.
L'EXPOSÉ DES MOTIFS
Nous publions plus loin l'exposé des mo-
tifs du projet de loi contre la presse. Ce
qu'on remarquera d'abord dans cet exposé,
c'est qu'il plaide les circonstances atté-
nuantes du projet de loi.
Il ne présente nullement ce projet com-
me un chef-d'œuvre qui aspire à traverser
les âges. « La loi que nous avons l'hon-
neur de vous proposer n'est pas une loi or-
ganique destinée à fixer d'une manière dé-
finitive les principes applicables en ma-
tière de presse. » Mais il va falloir lever
l'état de siège, après cinq ans, et il faut
bien le remplacer par quelque chose. On
n'a pas autre chose sous la main, et on
n'a pas le temps de chercher mieux. Bah !
tant pis, on met ça, en attendant, et pour
marquer la place.
Quelques personnes sont capables de
trouver que ce ne sont pas les lois contre
la presse qui manquent, et qu'on aurait
pu se passer de celle-là avec une entière
facilité. On n'a qu'à ouvrir le premier code
venu pour y trouver un tel arsenal de lois
répressives du droit d'écrire, que, si l'on
en braquait seulement le quart sur la
presse, il ne resterait pas, le lendemain,
un seul journal dans toute la France. M.
Dufaure, le plus libéral des ministres ac-
tuels — avec M. Léon Say, qui a suppri-
mé des timbres-postes la figure de la Ré-
publique - trouve que cette effroyable
artillerie de lois est insuffisante.
Et savez-vous pourquoi le ministre de la
justice trouve cette effroyable artillerie
pénale insuffisante? C'est par tendresse
pour les journaux. Vous ne nous croyez
pas? Lisez : « Si l'état de siège était brus-
quement supprimé, sans aucune précau-
tion, il serait à craindre qu'en beaucoup
d'endroits la presse périodique ne tom-
bât dans des excès qui auraient infaillible-
ment pour résultat de discréditer, dans
l'esprit des hommes les plus libéraux, l'u-
sage légitimede la libre discussion. » Vous
voyez, c'est pour que la presse ne discré-
dite pas l'usage légitime de la libre discus-
sion dans l'esprit des hommes les plus li-
béraux, c'est pour sauvegarder le droit
d'écrire, que M. le garde des sceaux
ajoute à tant de lois terribles qui menacent
le droit d'écrire une loi plus terrible à elle
seule que toutes les autres. C'est par
amour pour la liberté de la presse que
M. le garde des sceaux inflige à la liberté
de la presse, tout à la fois, la cour d'assi-
ses, la police correctionnelle et l'état de
siège. Qui aime bien châtie bien. Et pen-
ser que la presse a si mauvais cœur qu'elle
est capable de ne pas remercier M. Du-
faure des coups qu'il lui assène sur le
crâne !
Tout en présentant comme un service
rendu au journalisme le projet de livrer le
journalisme à ces trois grâces, la police cor-
rectionnelle, la cour d'assises et la loi mar-
tiale, l'exposé des motifs croit prudent de
dire que ce n'est que pour un temps. Le
moment des élections risquerait de don-
ner la fièvre à la polémique, et la fièvre
risquerait de lui donner des accès de folie:
c'est pour empêcher cette bonne liberté
de la presse de se jeter par la fenêtre et de
se casser les reins sur les pavés que son
médecin et ami, le docteur Dufaure,
lui met la camisole de force. « Lors-
que les élections auront définitivement
organisé le gouvernement se );,era it
fondé i t
dans les esprits, vos successeurs
ront la tâche de recueillir, toutes I n -
dispositions de nos lois sur la presse, de
les soumettre à une révision attentive, et
de jeter les bases d'un régime durable -
fondé tout à la fois sur la raison et sur
l'expérience. » D'où il suit que le projet
actuel, lui, n'est pas fondé sur l'expérience
ni sur la raison. C'est M. Dufaure qui le
dit. Nous respectons trop M. Dufaure pour
le démentir.
AUGUSTE VACQUBRIBr
Le journal de la partie du centre droit
dont le vote a décidé l'adoption du scru-
tin uninominal, déclare « ne pas hésiter à
croire sur parole M. le vice-président du
conseil, quand il annonce à la tribune que
les manœuvres électorales des fonction-
naires césariens sont à jamais proscrites.)
Et, comme ce journal craint que ses lec-
teurs ne soient moins crédules que lui, il
ajoute aussitôt : « Est-ce à dire pour cela
que le gouvernement doive assister, les
bras croisés, muet inerte, à la grande ba-
taille où les divers partis viendront se dis-
puter l'avenir de la France? » Non pas,
certes ! répond le journal centredroitier :
« Tout ministère a le droit de s'adresser
directement au corps électoral, de lui
exposer sa politique, de lui indiquer les
noms des candidats qui sont disposés il 1
soutenir. »
Et ceux qui ne verraient pas de diffé-
rence entre ces deux choses : des candi-
dats officiels et des candidats dont le mi-
nistère indique les noms au corps électo-
ral, ceux-là ne se souviendraient plus de
cette scène du Bourgeois gentilhomme, où
un domestique aimable explique que M.
Jourdain n'était pas le moins du monde
un marchand drapier, que seulement, com-
me il se connaissait admirablement en
draps, il en achetait de toutes sortes, et en
cédait à ses amis et connaissances pour
de l'argent.
A. V.
————————- ''loi
LES COULISSES DE VERSAILLES
A en juger par l'aspect des couloirs, hier,
on pouvait constater que l'Assemblée est
arrivée à ses derniers moments. Aucun
débat sérieux ne semble possible; on ne
parle plus que de la dissolution. Les dé-
putés supputent les chances respectives
des candidats dans les arrondissements et
circonscriptions qui vont être établies.
A ce propos, nous devons dire que la
commission des Trente se réunira aujour-
d'hui, à partir de midi, pour entendre les
observations des députés au sujet du ta-
bleau des circonscriptions, dressé par la
première commission des Trente, pour le
sectionnement des arrondissements ayant
droit à plus d'un député. Dans cette pré-
vision, des députés républicains du'Var,'
des Landes et de beaucoup d'autres dé-
partements se sont réunis hier par petits
groupes pour examiner ce tableau de cir-
conscriptions.
On sait que ce tableau n'a pas été encore'
adopté par la Chambre, qui l'a réservé
pour la troisième lecture de la loi électo-
rale. Une fois qu'il sera voté, il ne pourra
plus être modifié que par une loi ; l'admi-
nistration ne pourra y apporter aucun
changement.
La troisième lecture de la loi électorale,
qui est à l'ordre du jour d'ap'rès-demain
vendredi, ne paraît pas devoir durer plus
de deuox jours. Elle sera très probablement
terminée samedi soir. Il n'y aura débat
que sur la question du scrutin de liste, sur
la représentation des colonies et de l'Al-
Feuilleton du Mtappei
DU 18 NOVEMBRE
Il
MAITRE GASPARD FIX
HISTOIRE
D'UN
CONSERVATEUR
VI
C'était alors le plus beau temps de
Louis-Philippe, le temps de la bataille
d'Isly, de la prise de Mogador, de l'enlève.
ment de la Sînala d'Abd-el-Kader, du ma-
riage du duc de Montpensier avec une
princesse espagnole. Alors, Qn construi-
sait partout des églises, des fortifications,
des lignes de chemins de fer. Alors aussi
des quantités prodigieuses de livres, d'al-
manachs, de journaux arrivaient par la
poste ou le colportage, jusque dans les
dernières bourgades : les Mystères de Pa-
ris, le Juif-Errant, les Mémoires du Dia-
b le, Monte-Cristo, voilà ce qui plaisait ! Les
arts étaient hoporés; les décorations pleu-
vaient.
Les hommes .des champs eux-mêmes
Voir le Rappel 4,8 au 17 novembre.
étaient encouragés par des comices agri-
coles, où le maréchal Bugeaud venait leur
expliquer clairement que tout allait bien,
que chacun devait rester à sa place et se
défendre contre les socialistes qui vou-
laient tout partager, chose dont personne
ne s'était douté jusqu'alors. On faisait de
grandes expositions d'industrie. Oui, tout
allait bien, très bien ; jamais l'auberge du
Mouton-d'Or n'avait eu tant de monde ;
maître Fix brassait trois fois par semaine,
ses voitures menaient des vingt, trente
tonnes de bière à Vandeuvre, à Houde-
mont, tous les jours, de la bière brune,
qui se débitait comme venant de Munich.
Enfin c'était un temps de mouvement
extraordinaire; seulement pour avancer il
fallait des protections ; sans protections,
vous restiez simple soldat au régiment,
cantonnier sur la grande route, garde
champêtre, au village. Mais en se remuant,
en courant aux jours d'élections pour le
député du gouvernement, vous étiez bien
noté, reconnu bon citoyen, bon sujet, et
vous attrapiez aussi quelques bribes du
festin.
Aussi jamais dn n'a vu de plus belles
majorités que dans ce temps. Monsieur
Guizot n'avait qu'à se lever, à regarder un
banc de travers, à froncer le sourcil, et
le tremblement prenait à toute la Cham-
bre ; dans les occasions difficiles, il n'avait
qu'à parler d'ébranlement, de convoitise,
de partage, et cela marchait tout seul.
Un pareil état de prospérité semblait
devoir durer toujours; et maître Gaspard
ayant engrené son affaire dans le mouve-
ment gépéral, n'avait pour ainsi dire plus
à s'occuper de rien, sa fortune semblait
devoir s'arrondir ainsi tout doucement,
sans qu'il eût la peine de s'en occuper,
—quand, au commencement de novembre,
une circonstance exceptionnelle vint ré-
veiller son appétit d'une façon extraordi-
naire et lui donner des frémissements de
convoitise, dont lui-même ne se serait pas
cru capable.
Ce jour-là, sur la fin de l'automne, une
petite pluie mêlée de neige aunonçait l'hi-
ver. La saison morte était venue, plus d'é-
trangers , plus de commis-voyageurs en
route. Sauf la société du casino, criant,
appelant, demandant des chopes, des car-
tes, l'ardoise, etc., sauf ce remue-ménage
en haut, tout était calme au Mouton d'or.
Maître Gaspard, les pieds sur les chenets
dans son cabinet, causait de poursuites
avec le compère Frionnet ; à peine l'aboie-
ment d'un chien au dehors troublait-il le si-
lence, lorsque tout à coup un bruit de
roues et de pas dans la rue les fit se lever
et regarder par la fenêtre.
Une grosse berline, toute ruisselante de
pluie, et cinq ou six gardes forestiers,
trempés comme des canards, venaient de
s'arrêter à la porte; le brigadier ouvrait la
portière, et du fond de la boîte sortait un
petit homme empaqueté de fourrures, un
bonnet en peau de martre tiré sur la nu-
que, etles jambes enfoncées jusqu'aux cuis-
ses dans de grosses bottes également four-
rées..
Il posait une de ses bottes sur le mar-
che-pied ; le brigadier voulait l'aider à
descendre; et, lui, criait d'un accent méri-
dional, aigre et nasillard
— Laissez-moi, pour Dieu. Je descen-
drai bien tout seul.
Il descendit; puis derrière ce petit
homme sortit un grand gaillard en hautes
guêtres et veste de chasse serrée aux
reins.
Voilà ce qu'ils virent.
Maître Gaspard s'était élancé dans l'al-
lée, pour ouvrir la porte à deux battants.
Simone et les servantes regardaient de la
cuisine; quelques membres du casino se
penchaient curieusement sur la rampe de
l'escalier.
Le vestibule se remplissait de monde, et
le petit vieux passait tout courbé et gre-
lottant près de Fix. Celui-ci crut recon-
naître le vieux juif Schmoûle de Hou de-
mont, tant il avait les joues creuses, la
peau jaune, le nez crochu et l'air minable.
<— Ce n'est pas possible, se dit-il; mais
au premier coup d'œil on jurerait que c'est
luil
En même temps, l'autre, le grand, la fi-
gure jaune comme un coing, mais sec,
nerveux et l'air effronté, passait, se redres-
sant et frappant des pieds dans l'allée.
Maître Gaspard remarqua que Frionnet
lui donnait une poignée de main, comme
à quelque vieux camarade.
— Qui donc est-ce, Frionnet? lui dit-il
à voix basse.
— Ça, c'est Nicolas Sabouriau, le secré-
taire du prince de Poutchiéri, un gaillard
de première force! lui répondit le compère
à l'oreille.
— Et vous le connaissez ?
— Si je le connais!. Hé! hé! hé! nous
avons été clercs ensemble chez maître Ge-
naudet, à Nancy, voilà près de vingt-cinq
ans, et nous nous sommes revus depuis
plusieurs fois au Hôwald; nous avons re-
nouvelé connaissance, nous avons fait la
noce ensemble. Sabouriau est un bon vi-
vant.
Il riait.
— Et l'autre ? demanda Fix.
— L'autre? Hé ! c'est le prince de Pout-
chiéri, le seigneur du Hôwald, et de bien
d'autres terres, un homme d'au moins
trente millions.
Tout le monde était entré dans la salle
en bas.
Maître Gaspard entendant parler de
trente millions, eut des battements de
cœur.
« Trente millions! » fit-il en s'élançant
pour voir cet être merveilleux, privilégié :
un homme de trente millions!.
Il entra tout effaré, et voyant le petit
vieux assis dans le fauteuil, près du poêle,
jaune, ratatiné, les yeux chassieux, il le
trouva beau et se mit à bégayer :
« Simone. Simone. du feu. vite!..,
Pacotte. Rosalie. dépêchons-nous!.
Ah ! monseigneur, quel honneur pour ma
pauvre auberge, quel - honneur ! »
Le petit vieux ne semblait même pas
l'entendre, tant il était habitué à de pa-
reilles admirations.
Maître Gaspard courut lui-même pren-
dre un fagot et trois bûches, puis il revint
hors ,d\haleine s'accroupir devant le poêle,
se hâtant de faire le bon valet.
M. Laurent, passant. dans l'allée, pour
se rendre au Casino, vil là M. L, i::airo,
son beau-frère, accroupi, sju'Uui, Ks
joues gonflées jusqu'aux oreffles. il s'ar-
rêta deux secondes sur la porte entr'ou-
verte, puis il continua son chemin, ep
haussant les épaules. -
Le grand secrétaire demandait du punch
avec impatience, Simone avait justement
préparé un bol de punch au kirsch pour
les messieurs du Casino, elle allait le
porter, quand M. Fix lui prit le plateau
des mains, et rentra vite le présenter à
M. le prince de Poutchiéri, puis au secré-
tairé.
Ce verre de punch fit du bien au prince,
qui voyant la flamme briller, redressa son
cou penché sur l'épaule, comme une
poule tombée dans l'eau, qui se ranime et
s'ébouriffe au soleil ; il leva le nez, re-
garda et se mit à geindre, à soupirer.
« Ah ! gueux de pays ! Ah ! coquins ce
gardes ! Ah ! vous m'y rattraperez encore
avec vos chasses au loup!. Ah! Tédeski!
Têdeski Vasse. Fasie. Nie ht fers-
thêne. Tas de brutes!. »
Fix l'entendant se plaindre, avait pres-
que envie de pleurer; et, s'inclinant au
dos du fauteuil, il demanda :
- Si monseigneur veut qu'on lui ôte les
bottes. il aura plus chaud maintenant
près du feu.
- - Oui, ôtez-moi ça, dit le prince.
Et maître Fix, s'agenouillant, lui tira
les bottes, pendant qu'il continuait de
gémir et criait de mauvaise humeur :
- Doucement 1. J'ai les pieds gelés.
Doucement! pas si vite!.
ERCKMANN-CaATRiAN.
(A suivre)
1te MMhéM : iO c. ~; ~~M~~ 1 1 à c.
28 Brumaire aq Si. a.207à(_
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaetion
De 4 TltfuÊfih du soit
18, RCB é* tit&U, 1$
'i.
Les manuscrits non insétés ne seront pas rendui
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CEHFet QI
0, place de la feouf^, g
ADMINISTRATION
18, une DE VUOIN
ABONNEMENTS
Adresser lettres et man«nt3
A M. ERNEST bè|§yR^
ADMINISl-RATm-^ÎIftA^
LE BON BILLET
V -*
Ah ! le bon billet qu'a la Châtre ! Ah !
le bon billet qu'a la Ch — ambre ! M.
Buffet a promis que, « si le cabinet dont
il a l'honneur de faire partie est encore'
au pouvoir à l'époque des élections, ces
élections seront loyales, libres, sincè-
res ». Dès lors, on peut s'endormir tran-
quille. Du moment que M., Buffet, ex-
ministre de l'empire, promet de ne pas
employer les moyens électoraux de
l'empire, du moment que M. Buffet, ex-
ministre de l'empire, déclare que, s'il a
réclamé et exigé le mode de scrutin de
l'empire, c'est pour n'en pas faire l'u-
sage qu'en faisait l'empire, il faudrait
être un bien incorrigible ennemi de l'or-
dre moral pour conserver l'ombre d'un
soupçon. Soyons confiants. Les préfets
et les maires de l'empire, précieuse-
ment conservés par les ministres de la
République, vont évidemment nous
étonner par leur conversion subite, et
le scrutin uninominal va être le protec-
teur de la liberté du vote.
Je n'exagère pas. Le vice-président
du conseil l'a dit en propres termes :
« Non-seulement nous ne violerons pas
la liberté des électeurs; permettez-moi
de vous dire que nous nous efforcerons
de la protéger et de l'assurer. En ré-
clamant le scrutin uninominal, nous
voulions surtout et avant tout assurer
le libre choix des électeurs. »
Oh ! bien, alors, la Gh—ambre ne
pouvait plus hésiter. Oh ! bien, alors,
si c'est comme cela, si non-seulement
ce n'est pas pour refaire ce qu'on fai-
sait sous l'empire que M. Buffet, minis-
tre de l'empire, demande la loi munici-
pale de l'empire, si c'est pour en faire
le contraire de ce qu'en faisait l'empire,
donnons la loi municipale de l'empire à
M. Buffet, ministre de l'empire ! Çapourra
bien causer quelque surprise à nos élec-
teurs de nous voir, nous qu'ils ont con-
nus décentralisateurs à outrance, livrer
tout au pouvoir central. Ça pourra leur
causer en même temps quelque ennui
de nous voir les déposséder du droit
de choisir leurs maires et mettre les
communes sous la poigne des agents
de l'administration. Mais est-ce qu'on
peut se défier de l'administration après
la déclaration du ministre,, de l'inté-
rieur? Est-ce que toute espèce d'inquié-
tude ne cesse pas instantanément de-
vant le bon billet qu'a la Ch—ambre?
Pour parler sérieusement, il y a plus
d'un des -votants de l'ajournement d'a-
i ant-hier qui ne sont pas aussi la Châ-
tre qu'ils font semblant, et qui seraient
bien fâchés de prendre M. Buffet au
,.~
du vott e. C est t trè~s
joli en p hrases la liberté et la sincérité,
mais- ce n'est pas précisément là-dessus
qu'ils basent leurs chances de réélec-
tion. Si donc ils ont donné à un minis-
tre de l'empire les moyens électoraux
jet municipaux de l'empire, ce n'est pas
dans l'espérance qu'il en fera le con-
traire de ce qu'en faisait l'empire. Ils
lui pardonneraient aisément de faire de
ses maires ce qu'ils ont si fort reproché
à l'empire de faire des siens. Car le
crime de l'empire était d'user de ses
maires contre eux, et la candidature of-
ficielle, criminelle quand elle les com-
bat, devient vertueuse quand elle les
aide.
Ceux qui ont voté dans ce but l'ajour-
nement de la loi des maires pourraient
bien avoir fait une mauvaise spécula-
tion. Cet ajournement est dû principale-
ment aux orléanistes, qui sont d'une
belle candeur s'ils comptent sur la col-
laboration du personnel administratif
actuel, lequel est bonapartiste. Une
poule qui donnerait son œuf à couver
à un renard obtiendrait aussi sûrement
le coq plus ou moins gaulois qu'elle
en espère.
Et puis, les maires bonapartistes ser-
viraient pour de bon les candidats
orléanistes, que, de la candidature offi-
cielle à l'élection, il y aura cette fois
quelque distance. Nous avons un mi-
nistre de l'empire, nous avons des pré-
fets de l'empire, nous avons des maires
de l'empire, mais nous n'avons plus
l'empire. Or, l'empire n'est pas inu-
tile à la candidature officielle. L'ac-
tion des maires et des préfets perd
beaucoup de sa force si elle n'a pas
avec elle diverses choses, un coup
d'Etat préalable, une Assemblée jetée
par les fenêtres, un massacre de pas-
sants, une transportation en masse,
une loi de sûreté générale, etc. En mai
1869, dans les Pyrénées-Orientales, on
menaçait de la déportation ceux qui vo-
teraient pour M. Emmanuel Arago. Un
blanc-seing de M. le préfet autorisait
les maires à prendre telles mesures
qu'ils voudraient contre de vagues mal-
faiteurs qu'on les aurait excusés de con-
fondre avec les mal votants. L'efficacité
de ce blanc-seing n'était pas diminuée
par le bruit répandu d'un vaisseau prêt
pour Cayenne. Il manquera toujours à
la bonne volonté des préfets et des mai-
res actuels d'avoir pour urnes de scru-
tins la batterie de canons du boulevard
Montmartre.
Cette fois, il ne faut pas compter sur
la terreur, et nous doutons que la per-
suasion suffise pour faire réélire les vo-
tants de l'ajournement de la loi des mai-
res par les électeurs dont ils ont mérité
l'estime en reniant la décentralisation
et dont ils ont mérité la reconnaissance
en les expropriant de leurs franchises
municipales.
AUGUSTE VACQUERIE.
LA SÉANCE
La question de la levée de l'état de siège
venait à l'ordre du jour; mais, comme le
gouvernement a déposé sur la même ques-
tion un projet de loi qui sera examiné de-
main dans les,bureaux, on a résolu d'un
commun accord de n'avoir qu'un débat
unique. C'est une économie de temps, et,
quand, pour la première fois, nous voyons
l'Assemblée presséed'en finir, nous n'avons
guère le courage d'élever des objections.
On avouera cependant qu'entre les pro-
positions de levée de l'état de siège et la
loi sur la presse, il n'y a aucun rapport
direct, bien que le dernier article de cette
loi résolve partiellement cette grave ques-
tion. Une loi sur la presse, surtout une loi
qui vise un grand nombre de lois anté-
rieures, ne peut être discutée et votée lé-
gèrement. Ce n'était pas là un débat à
compliquer d'un débat plus grave et, tout
au plus, aurait-on pu concevoir une telle
manière de procéder si, la loi sur la
presse nous avait été apportée comme la
rançon de l'état de siège. ',
Mais c'est tout le contraire que le gou-
vernement se propose de faire. On lève
l'état de siège partout, excepté où il y a
des journaux, partout, excepté où la presse
a, avec une forte organisation, une grande
puissance de rayonnement. Ce n'est donc
pas la rançon de l'état de siège que l'on
nous demande, c'est la consécration indé-
finie de ce régime qu'on veut nous im-
poser.
Quoi qu'il en soit, il n'y aura qu'un dé-
bat, et nous nous consolons de ce que
cette résolution a d'illogique en raison de
l'économie de temps.
Comme la séance offrait peu d'intérêt,
on s'entretenait plutôt des incidents de la
veille et de ceux qui se préparent que des
projets en discussion devant les banquettes
vides. Il est manifeste, et chacun a pu s'en
convaincre, que déjà plus d'un doute s'est
élevé, dans le camp des conservateurs, sur
la sagesse de la politique ministérielle. Le
scrutin d'arrondissement sourit fort à ceux
qui se croient sûrs d'un arrondissement,
mais ce n'est pas le plus grand nombre, et
puis, à la veille de la bataille, on découvre
des points faibles làoù on se croyait très fort.
Les premiers avis des départements cons-
tatent d'ailleurs que plus d'un conserva-
teur qui se jugeait sûr du succès aura
grand'peine à grouper quelques voix en
présence de quatre, cinq et quelquefois six
concurrents.
Tout cela assombrit les esprits. Il n'est
pas jusqu'au vote sur la loi des maires que
plusieurs ne regrettent comme un peu ir-
réfléchi. « Nous aurions dû au moins ac-
cepter le débat et ne pas rejeter, sans dis-
cussion, l'examen d'une question qui a fi-
guré si longtemps en tête de notre pro-
gramme. » Ainsi s'exprimait, dit-on, en
s'adressant à un ministre, un de ces vo-
tants au repentir tardif. Et, à notre avis,
il n'avait pas tout à fait tort, car ce que
les électeurs pardonneront le moins, c'est
précisément ce vote, négation dédaigneuse
des libertés municipales.
Nous savons bien que la candidature of-
ficielle, la candidature officielle restaurée
avant-hier, malgré le discours plein de
sens de M. Bérenger, malgré les fines
cruautés de M. Pascal Duprat et l'esprit
incisif de M. Ernest Picard, nous savons
bien que la candidature officielle est là
pour consoler les faibles et les timides.
Mais déjà une question se pose à laquelle,
dans la première heure d'effusion, on n'a-
vait'pas voulu songer. Sans doute, se dit-
on, la candidature officielle aura le mer-
veilleux avantage de gêner les républi-
cains cotMlB diiM. Buffet, de protéger
las électeurs. '\;
Mais si l'on voit bien à qui cette candi-
dature officielle doit nuire, on aperçoit
moins clairement à qui elle doit profiter.
Quand, par exemple, dans une circons-
cription, un légitimiste, un orléaniste, un
bonapartiste se trouveront en présence, à
qui reviendra la préférence administrative?
Mystère.
Ce mystère-là rend beaucoup de gens
rêveurs.
A. GAULIER.
PHYSIONOMIE LA SÉMCE
L'ordre du jour meurt d'inanition. On
lui a retiré hier la loi municipale; on lui
a retiré aujourd'hui l'état de siège, qui
viendra naturellement au sujet du projet
de M. Dufaure. Il ne lui reste plus qu'un
certain nombre de projets de railways dé-
partementaux, qui sont vite expédiés.
Quand cette Assemblée ne se bat plus
sur les questions politiques, elle n'a plus
rien, à faire.
M. Clapier a saisi cette occasion de par-
ler. Il jouit de son reste; il s'en donne
tout son saoul ; il met les discours dou-
bles. Pauvre homme! Ce sera bien dur 1
Voir, si jeune (il n'a même pas quatre-
vingts ans), voir, si jeune, sa carrière par-
lementaire interrompue, juste au moment
où elle donnait les plus belles espéran-
ces ! Et dire qu'au temps de la fusion, il
s'est cru pair de France ! C'était un beau
rêve, et l'on n'entendra plus jamais, après
les élections, le terrible Marseillais.
Dans l'intervalle des grandes luttes, on
cause, on s'enquiert et ..l'on réfléchit. Or,
les réflexions qu'on peut faire et les ren-
seignements qu'on peut avoir ne sont
point favorables à la majorité de M. Buf-
fet. Les pauvres gens de l'ordre moral ont
été des naïfs : quelques-uns commencent
à se sentir de vagues regrets. Les moutons
de Panurge qui ont sauté dans le scrutin
d'arrondissement, l'un derrière l'autre, re-
gardent dans quoi ils sont tombés.
Le fait est qu'on les a bien conduits :
les chefs, avec le scrutin d'arrondisse-
ment, auront, ou croient qu'ils auront, un
collége sûr. Les préfets auront pour eux
une poigne de choix; les sous-préfets riva-
liseront de zèle; les promesses afflueront.
Oui, mais le troupeau?
Tout compte lait, qui donc gagne, qui
donc perd au vote de l'autre jour? Tel bon
droitier réfléchit mélancoliquement que,
nommé par son département sur la liste
de la paix, mais sans attache particulière
avec aucun arrondissement, il n'a plus
même de candidature à espérer. Tel autre
songe que, chez lui, dans le centre de la
France, le scrutin de liste aurait donné
probablement le succès complet à son
opinion, tandis qu'avec l'arrondissement
les républicains auront cinq sièges sur
:;ept. Je sais bien que l'inverse se produira
peut-être ailleurs. Belle consolation pour
les députés qui ne voient plus devant eux
eue la modestie de la vie privée 1
Il serait évidemment absurde de dire
lue ces considérations ont divisé la majo-
rité de M. Buffet, et bien risqué de prédire
qu'elles la diviseront. Moutons ils sont,
moutons ils resteront. Mais le troupeau
de l'ordre moral devient un troupeau mé-
lancolique. Il sent confusément qu'il se
noie. Les infortunés à qui leur propre vote
de jeudi a été leur espoir de candidat, son-
gent alors aux places de sénateurs. Mais
il n'y en a pas pour tout le monde, et l'on
commence à se les disputer de la belle
façon.
Les républicains, pour des vaincus, ont
~s&ë~ 1,.¡¡r ~~w~
des figures pleinés de sérénité. Mais - leurs
adversaires commencent à entrevoir l'ave-
nir. Je ne dis pas qu'ils se sépareront; mais
vous pouvez être tranquilles, ils ont en-
core beaucoup à se chamailler avant de
rentrer dans la vie privée.
CAMILLE PELLETAN.
L'EXPOSÉ DES MOTIFS
Nous publions plus loin l'exposé des mo-
tifs du projet de loi contre la presse. Ce
qu'on remarquera d'abord dans cet exposé,
c'est qu'il plaide les circonstances atté-
nuantes du projet de loi.
Il ne présente nullement ce projet com-
me un chef-d'œuvre qui aspire à traverser
les âges. « La loi que nous avons l'hon-
neur de vous proposer n'est pas une loi or-
ganique destinée à fixer d'une manière dé-
finitive les principes applicables en ma-
tière de presse. » Mais il va falloir lever
l'état de siège, après cinq ans, et il faut
bien le remplacer par quelque chose. On
n'a pas autre chose sous la main, et on
n'a pas le temps de chercher mieux. Bah !
tant pis, on met ça, en attendant, et pour
marquer la place.
Quelques personnes sont capables de
trouver que ce ne sont pas les lois contre
la presse qui manquent, et qu'on aurait
pu se passer de celle-là avec une entière
facilité. On n'a qu'à ouvrir le premier code
venu pour y trouver un tel arsenal de lois
répressives du droit d'écrire, que, si l'on
en braquait seulement le quart sur la
presse, il ne resterait pas, le lendemain,
un seul journal dans toute la France. M.
Dufaure, le plus libéral des ministres ac-
tuels — avec M. Léon Say, qui a suppri-
mé des timbres-postes la figure de la Ré-
publique - trouve que cette effroyable
artillerie de lois est insuffisante.
Et savez-vous pourquoi le ministre de la
justice trouve cette effroyable artillerie
pénale insuffisante? C'est par tendresse
pour les journaux. Vous ne nous croyez
pas? Lisez : « Si l'état de siège était brus-
quement supprimé, sans aucune précau-
tion, il serait à craindre qu'en beaucoup
d'endroits la presse périodique ne tom-
bât dans des excès qui auraient infaillible-
ment pour résultat de discréditer, dans
l'esprit des hommes les plus libéraux, l'u-
sage légitimede la libre discussion. » Vous
voyez, c'est pour que la presse ne discré-
dite pas l'usage légitime de la libre discus-
sion dans l'esprit des hommes les plus li-
béraux, c'est pour sauvegarder le droit
d'écrire, que M. le garde des sceaux
ajoute à tant de lois terribles qui menacent
le droit d'écrire une loi plus terrible à elle
seule que toutes les autres. C'est par
amour pour la liberté de la presse que
M. le garde des sceaux inflige à la liberté
de la presse, tout à la fois, la cour d'assi-
ses, la police correctionnelle et l'état de
siège. Qui aime bien châtie bien. Et pen-
ser que la presse a si mauvais cœur qu'elle
est capable de ne pas remercier M. Du-
faure des coups qu'il lui assène sur le
crâne !
Tout en présentant comme un service
rendu au journalisme le projet de livrer le
journalisme à ces trois grâces, la police cor-
rectionnelle, la cour d'assises et la loi mar-
tiale, l'exposé des motifs croit prudent de
dire que ce n'est que pour un temps. Le
moment des élections risquerait de don-
ner la fièvre à la polémique, et la fièvre
risquerait de lui donner des accès de folie:
c'est pour empêcher cette bonne liberté
de la presse de se jeter par la fenêtre et de
se casser les reins sur les pavés que son
médecin et ami, le docteur Dufaure,
lui met la camisole de force. « Lors-
que les élections auront définitivement
organisé le gouvernement se );,era it
fondé i t
dans les esprits, vos successeurs
ront la tâche de recueillir, toutes I n -
dispositions de nos lois sur la presse, de
les soumettre à une révision attentive, et
de jeter les bases d'un régime durable -
fondé tout à la fois sur la raison et sur
l'expérience. » D'où il suit que le projet
actuel, lui, n'est pas fondé sur l'expérience
ni sur la raison. C'est M. Dufaure qui le
dit. Nous respectons trop M. Dufaure pour
le démentir.
AUGUSTE VACQUBRIBr
Le journal de la partie du centre droit
dont le vote a décidé l'adoption du scru-
tin uninominal, déclare « ne pas hésiter à
croire sur parole M. le vice-président du
conseil, quand il annonce à la tribune que
les manœuvres électorales des fonction-
naires césariens sont à jamais proscrites.)
Et, comme ce journal craint que ses lec-
teurs ne soient moins crédules que lui, il
ajoute aussitôt : « Est-ce à dire pour cela
que le gouvernement doive assister, les
bras croisés, muet inerte, à la grande ba-
taille où les divers partis viendront se dis-
puter l'avenir de la France? » Non pas,
certes ! répond le journal centredroitier :
« Tout ministère a le droit de s'adresser
directement au corps électoral, de lui
exposer sa politique, de lui indiquer les
noms des candidats qui sont disposés il 1
soutenir. »
Et ceux qui ne verraient pas de diffé-
rence entre ces deux choses : des candi-
dats officiels et des candidats dont le mi-
nistère indique les noms au corps électo-
ral, ceux-là ne se souviendraient plus de
cette scène du Bourgeois gentilhomme, où
un domestique aimable explique que M.
Jourdain n'était pas le moins du monde
un marchand drapier, que seulement, com-
me il se connaissait admirablement en
draps, il en achetait de toutes sortes, et en
cédait à ses amis et connaissances pour
de l'argent.
A. V.
————————- ''loi
LES COULISSES DE VERSAILLES
A en juger par l'aspect des couloirs, hier,
on pouvait constater que l'Assemblée est
arrivée à ses derniers moments. Aucun
débat sérieux ne semble possible; on ne
parle plus que de la dissolution. Les dé-
putés supputent les chances respectives
des candidats dans les arrondissements et
circonscriptions qui vont être établies.
A ce propos, nous devons dire que la
commission des Trente se réunira aujour-
d'hui, à partir de midi, pour entendre les
observations des députés au sujet du ta-
bleau des circonscriptions, dressé par la
première commission des Trente, pour le
sectionnement des arrondissements ayant
droit à plus d'un député. Dans cette pré-
vision, des députés républicains du'Var,'
des Landes et de beaucoup d'autres dé-
partements se sont réunis hier par petits
groupes pour examiner ce tableau de cir-
conscriptions.
On sait que ce tableau n'a pas été encore'
adopté par la Chambre, qui l'a réservé
pour la troisième lecture de la loi électo-
rale. Une fois qu'il sera voté, il ne pourra
plus être modifié que par une loi ; l'admi-
nistration ne pourra y apporter aucun
changement.
La troisième lecture de la loi électorale,
qui est à l'ordre du jour d'ap'rès-demain
vendredi, ne paraît pas devoir durer plus
de deuox jours. Elle sera très probablement
terminée samedi soir. Il n'y aura débat
que sur la question du scrutin de liste, sur
la représentation des colonies et de l'Al-
Feuilleton du Mtappei
DU 18 NOVEMBRE
Il
MAITRE GASPARD FIX
HISTOIRE
D'UN
CONSERVATEUR
VI
C'était alors le plus beau temps de
Louis-Philippe, le temps de la bataille
d'Isly, de la prise de Mogador, de l'enlève.
ment de la Sînala d'Abd-el-Kader, du ma-
riage du duc de Montpensier avec une
princesse espagnole. Alors, Qn construi-
sait partout des églises, des fortifications,
des lignes de chemins de fer. Alors aussi
des quantités prodigieuses de livres, d'al-
manachs, de journaux arrivaient par la
poste ou le colportage, jusque dans les
dernières bourgades : les Mystères de Pa-
ris, le Juif-Errant, les Mémoires du Dia-
b le, Monte-Cristo, voilà ce qui plaisait ! Les
arts étaient hoporés; les décorations pleu-
vaient.
Les hommes .des champs eux-mêmes
Voir le Rappel 4,8 au 17 novembre.
étaient encouragés par des comices agri-
coles, où le maréchal Bugeaud venait leur
expliquer clairement que tout allait bien,
que chacun devait rester à sa place et se
défendre contre les socialistes qui vou-
laient tout partager, chose dont personne
ne s'était douté jusqu'alors. On faisait de
grandes expositions d'industrie. Oui, tout
allait bien, très bien ; jamais l'auberge du
Mouton-d'Or n'avait eu tant de monde ;
maître Fix brassait trois fois par semaine,
ses voitures menaient des vingt, trente
tonnes de bière à Vandeuvre, à Houde-
mont, tous les jours, de la bière brune,
qui se débitait comme venant de Munich.
Enfin c'était un temps de mouvement
extraordinaire; seulement pour avancer il
fallait des protections ; sans protections,
vous restiez simple soldat au régiment,
cantonnier sur la grande route, garde
champêtre, au village. Mais en se remuant,
en courant aux jours d'élections pour le
député du gouvernement, vous étiez bien
noté, reconnu bon citoyen, bon sujet, et
vous attrapiez aussi quelques bribes du
festin.
Aussi jamais dn n'a vu de plus belles
majorités que dans ce temps. Monsieur
Guizot n'avait qu'à se lever, à regarder un
banc de travers, à froncer le sourcil, et
le tremblement prenait à toute la Cham-
bre ; dans les occasions difficiles, il n'avait
qu'à parler d'ébranlement, de convoitise,
de partage, et cela marchait tout seul.
Un pareil état de prospérité semblait
devoir durer toujours; et maître Gaspard
ayant engrené son affaire dans le mouve-
ment gépéral, n'avait pour ainsi dire plus
à s'occuper de rien, sa fortune semblait
devoir s'arrondir ainsi tout doucement,
sans qu'il eût la peine de s'en occuper,
—quand, au commencement de novembre,
une circonstance exceptionnelle vint ré-
veiller son appétit d'une façon extraordi-
naire et lui donner des frémissements de
convoitise, dont lui-même ne se serait pas
cru capable.
Ce jour-là, sur la fin de l'automne, une
petite pluie mêlée de neige aunonçait l'hi-
ver. La saison morte était venue, plus d'é-
trangers , plus de commis-voyageurs en
route. Sauf la société du casino, criant,
appelant, demandant des chopes, des car-
tes, l'ardoise, etc., sauf ce remue-ménage
en haut, tout était calme au Mouton d'or.
Maître Gaspard, les pieds sur les chenets
dans son cabinet, causait de poursuites
avec le compère Frionnet ; à peine l'aboie-
ment d'un chien au dehors troublait-il le si-
lence, lorsque tout à coup un bruit de
roues et de pas dans la rue les fit se lever
et regarder par la fenêtre.
Une grosse berline, toute ruisselante de
pluie, et cinq ou six gardes forestiers,
trempés comme des canards, venaient de
s'arrêter à la porte; le brigadier ouvrait la
portière, et du fond de la boîte sortait un
petit homme empaqueté de fourrures, un
bonnet en peau de martre tiré sur la nu-
que, etles jambes enfoncées jusqu'aux cuis-
ses dans de grosses bottes également four-
rées..
Il posait une de ses bottes sur le mar-
che-pied ; le brigadier voulait l'aider à
descendre; et, lui, criait d'un accent méri-
dional, aigre et nasillard
— Laissez-moi, pour Dieu. Je descen-
drai bien tout seul.
Il descendit; puis derrière ce petit
homme sortit un grand gaillard en hautes
guêtres et veste de chasse serrée aux
reins.
Voilà ce qu'ils virent.
Maître Gaspard s'était élancé dans l'al-
lée, pour ouvrir la porte à deux battants.
Simone et les servantes regardaient de la
cuisine; quelques membres du casino se
penchaient curieusement sur la rampe de
l'escalier.
Le vestibule se remplissait de monde, et
le petit vieux passait tout courbé et gre-
lottant près de Fix. Celui-ci crut recon-
naître le vieux juif Schmoûle de Hou de-
mont, tant il avait les joues creuses, la
peau jaune, le nez crochu et l'air minable.
<— Ce n'est pas possible, se dit-il; mais
au premier coup d'œil on jurerait que c'est
luil
En même temps, l'autre, le grand, la fi-
gure jaune comme un coing, mais sec,
nerveux et l'air effronté, passait, se redres-
sant et frappant des pieds dans l'allée.
Maître Gaspard remarqua que Frionnet
lui donnait une poignée de main, comme
à quelque vieux camarade.
— Qui donc est-ce, Frionnet? lui dit-il
à voix basse.
— Ça, c'est Nicolas Sabouriau, le secré-
taire du prince de Poutchiéri, un gaillard
de première force! lui répondit le compère
à l'oreille.
— Et vous le connaissez ?
— Si je le connais!. Hé! hé! hé! nous
avons été clercs ensemble chez maître Ge-
naudet, à Nancy, voilà près de vingt-cinq
ans, et nous nous sommes revus depuis
plusieurs fois au Hôwald; nous avons re-
nouvelé connaissance, nous avons fait la
noce ensemble. Sabouriau est un bon vi-
vant.
Il riait.
— Et l'autre ? demanda Fix.
— L'autre? Hé ! c'est le prince de Pout-
chiéri, le seigneur du Hôwald, et de bien
d'autres terres, un homme d'au moins
trente millions.
Tout le monde était entré dans la salle
en bas.
Maître Gaspard entendant parler de
trente millions, eut des battements de
cœur.
« Trente millions! » fit-il en s'élançant
pour voir cet être merveilleux, privilégié :
un homme de trente millions!.
Il entra tout effaré, et voyant le petit
vieux assis dans le fauteuil, près du poêle,
jaune, ratatiné, les yeux chassieux, il le
trouva beau et se mit à bégayer :
« Simone. Simone. du feu. vite!..,
Pacotte. Rosalie. dépêchons-nous!.
Ah ! monseigneur, quel honneur pour ma
pauvre auberge, quel - honneur ! »
Le petit vieux ne semblait même pas
l'entendre, tant il était habitué à de pa-
reilles admirations.
Maître Gaspard courut lui-même pren-
dre un fagot et trois bûches, puis il revint
hors ,d\haleine s'accroupir devant le poêle,
se hâtant de faire le bon valet.
M. Laurent, passant. dans l'allée, pour
se rendre au Casino, vil là M. L, i::airo,
son beau-frère, accroupi, sju'Uui, Ks
joues gonflées jusqu'aux oreffles. il s'ar-
rêta deux secondes sur la porte entr'ou-
verte, puis il continua son chemin, ep
haussant les épaules. -
Le grand secrétaire demandait du punch
avec impatience, Simone avait justement
préparé un bol de punch au kirsch pour
les messieurs du Casino, elle allait le
porter, quand M. Fix lui prit le plateau
des mains, et rentra vite le présenter à
M. le prince de Poutchiéri, puis au secré-
tairé.
Ce verre de punch fit du bien au prince,
qui voyant la flamme briller, redressa son
cou penché sur l'épaule, comme une
poule tombée dans l'eau, qui se ranime et
s'ébouriffe au soleil ; il leva le nez, re-
garda et se mit à geindre, à soupirer.
« Ah ! gueux de pays ! Ah ! coquins ce
gardes ! Ah ! vous m'y rattraperez encore
avec vos chasses au loup!. Ah! Tédeski!
Têdeski Vasse. Fasie. Nie ht fers-
thêne. Tas de brutes!. »
Fix l'entendant se plaindre, avait pres-
que envie de pleurer; et, s'inclinant au
dos du fauteuil, il demanda :
- Si monseigneur veut qu'on lui ôte les
bottes. il aura plus chaud maintenant
près du feu.
- - Oui, ôtez-moi ça, dit le prince.
Et maître Fix, s'agenouillant, lui tira
les bottes, pendant qu'il continuait de
gémir et criait de mauvaise humeur :
- Doucement 1. J'ai les pieds gelés.
Doucement! pas si vite!.
ERCKMANN-CaATRiAN.
(A suivre)
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