Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1880-07-28
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 juillet 1880 28 juillet 1880
Description : 1880/07/28 (N3792). 1880/07/28 (N3792).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7532194g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
N° 3792 — Mercrem SH TiiïII^f IteTnnirdEfr fffifrfo®e|mï*ïM8*mr3 t && *5* - 10 TRermidoî4 an 33 «• 3732
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18, BUE DE VALOIS, i8f;
ABONNEMENTS
PARIS
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DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13"59
S:ixlllOjS 27Fn
Adresser lettres et m an~M~~
A M. ERNEST LEV^RET
VD5HNISTRATEUR GÉHiK» ;
m v%: mrat mm'
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REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Réfaction.
De 4 à 6 heures du soir -
18, RUE DE VALOIS, 18
Ces mamlscrHs noninsérés ne seront p as r e;n3tf
ANNONCES
M. Ch. IAG RANGE, CERF et ce
6. place de la Bourse, 6
AFFREUSE PERSÉCUTION
Affreuse persécution? Plus que per-
sécution affreuse, la plus affreuse des
persécutions. Il n'y a pas à en douter,
magister dixit, et par magister il ne
faut pas entendre un magister, il faut
entendre le maître, le souverain, le
toy. L'Univers a publié une lettre
d'Henri V, où la France et la Navarre
ont pu lire : « N'oublions pas qu'au-
jourd'hui nous entrons dans la plus af-
freuse persécution. » Et à peine 1'Uni-
vers avait-il publié cette lettre que trois
faits terribles venaient donner trop rai-
son à ce bon Henri V.
Le premier de ces faits terribles
était l'affaire des carmes d'Agen. Une
nuit, une bando hurlante vient assail-
lir la maison de ces carmes. D'abord,
elle se contente de gueuler l'infâme
Marseillaise. Mais bientôt l'infâme
Marseillaise ne suffit plus à sa gueule :
elle a faim des carmes. Elle se rue à
l'assaut. Les carmes se ruent, eux, à
leur cloche et sonnent le tocsin, La po-
lice accourt. Les ennemis des carmes
étant aussi lâches que carmivores,
s'empressent de s'enfuir, et l'on n'en
empoigne que sept. Mais les carmes
sont sauvés.
Deuxième martyre clérical : le mar-
tyre du curé de Souillac. Tout à coup,
une nouvelle abominable éclate : la
République a voulu assassiner un curé !
Une lettre écrite à un pieux journal,
Limousin et Quercy, par « un person-
nage recommandable », en donne tons
les détails : « En examinant le mur,
dans le voisinage immédiat de la salle
à manger, plusieurs empreintes de
forme circulaire indiquent que les
balles ont dû frapper perpendiculaire-
ment. Un des projectiles a été trouvé
a quelques pas de distance du mur de
façade , dans l'allée principale du
jardin. C'est une balle d'étain de
il millimètres d'épaisseur, ronde, mais
aplatie à l'extrémité d'un de ses dia-
mètres. On charge de balles sembla-
bles le-s pistolets dont on se servait
avant la vulgarisation des revolvers. »
Sur quoi, le personnage recommanda-
ble et le pieux journal s'écrient : « Y
a-t-ildes lois existantes punissant ceux
qui compromettent la sécurité publi-
que? Si oui, nous demandons énergi-
quement qu'on s'en souvienne et qu'on
applique ces lois. »
Troisième couplet, comme disait
Frédérick-Lemaîtro dans Don César de
Bazan. Ici, c'est le cas des deux vers
de feu Casimir Delavigne dans Une fa-
mille au temps de Luther.
Vous allez tous frémir de ce frémissement
Dont nous frémirons tous au jour du jugement!
Il ne s'agit, plus d'un meurtre, mais
de quatrevingt-dix-huit meurtres.
Le jour de la fête dite nationale —
mais elle n'a été nationale que pour la
nation, et, si les journaux qui ont
commandé : pas un drapeau ! pas un
lampion ! n'ont pas empêché l'illumi-
nation et le pavoisement d'être univer-
sels, cela tient uniquement à ce que leur
public nvestpas aussi nombreux qu'i Isle
désireraient,-le 14juillet donc, des mi-
sérables, des gens qui célébraient l'an-
niversaire de la prise de cette glorieuse
Bastille en laquelle se pétrifiait la mo-
narchie, d'odieux partisans des insti-
tutions que le pays s'est données, des
républicains, puisqu'il faut les appeler
par leur nom, se sont introduits à une
demi-douzaine dans le parc de la prin-
cesse de Craoi'| ont assassiné quatre-
vingt-dix-huit arbres quatre fois sécu-
laires, et ont emporté les cadavres pour
les brûler.
Eh bien, Henri V avait-il tort d'é-
crire dans l'Univers que « nous 'en-
trons aujourd'hui même dans la plus
affreuse persécution »? Connaissez-vous
une persécution plus affreuse que l'in-
vasion d'une maison de carmes, la ten-
tative de meurtre d'un curé et l'assas-
sinat accompli de quatrevingt-dix-huit
arbres ?
Je frémirais encore de ce frémisse-
ment dont etc., si la justice n'avait pas
été curieuse. Mais la justice a voulu
voir, et voici ce qu'elle a vu :
Les assaillants de la maison des
carmes avaient été embauchés par le
jardinier des carmes. Les balles tirées
sur le curé de Souillac, balles bizarres
qui, tirées perpendiculairement dans
un jardin, s'étaient aplaties contre le
mur de façade, se composaient d'une
seule balle, toute ronde, qui avait été
déposée pieusement dans le jardin du
presbytère — c'est le curé qui en a té-
moigné — par le sacristain. Enfin, les
assassins d'arbres qui avaient, à une
demi-douzaine, emporté sous leur bras
quatrevingt-dix-huit arbres quatre fois
séculaires, n'en avaient pas assassiné un
seul, et n'avaient fait que prendre quel-
ques rameaux à des arbres vendus par
la propriétaire et abattus par l'a-
cheteur en train de faire du parc un
champ de courses. D'où il suit que les
affreux persécuteurs des carmes d'A-
gen, du curé de Souillac et de la prin-
cesse de Craon sont un carme, un sa-
cristain et la princesse.
On n'a rien à dire à la princesse, qui
a parfaitement le droit de vendre ses
arbres, même quatre fois séculaires;
je ne sais pas ce qu'on dira au sacristain;
le jardinier des carmes a été condamné
à cinq jours de prisoh et à seize francs
d'amende. Sous la monarchie, que
regrettent ce jardinier et ce sacristain,
ça coûtait plus cher d'inventer de ces
histoires-là.
Un garde du corps, le sieur de La
Chaux, fut trouvé, un soir, dans un
corridor de Versailles, étendu par
terre, sans connaissance et blessé ;
on le fit revenir et on l'interrogea. Il
dit que, sortant pour acheter du ta-
bac, il avait rencontré dans ce cor-
ridor deux hommes, l'un en habit
vert avec un couteau de chasse, l'autre
en abbé, lesquels lui avaient demandé
poliment s'il ne pourrait pas leur procu-
rer le moyen d'entrer au grand cou-
vert, qu'ils n'avaient jamais vu étant
gens de province; qu'il leur avait ré-
pondu qu'il n'en avait pas le crédit;
qu'ils avaient insisté et lui avaient of-
fert de l'argent; que cela lui avait don-
né des soupçons; qu'il s'était ravisé et
leur avait dit qu'il les introduirait et
qu'ils montassent à l'instant même;
mais que ce changement subit les avait
inquiétés à leur tôur et qu'ils avaient
répliqué que, puisque la chose était si
difficile, ils y renonçaient; qu'ils avaient
voulu s'en aller, mais qu'il le leur
avait défendu et avait mis l'épée à la
main; qu'alors ils s'étaient jetés sur
lui avec des couteaux de chasse, avaient
cassé son épée, l'avaient frappé et ren-
versé, et s'étaient échappés. On cher-
cha partout les deux hommes, mais
inutilement; on interrogea de nouveau
le garde, qui s'embrouilla dans ses ré-
ponses; on le fouilla, et on trouva sur
lui un grattoir ensanglanté. Il sembla
démontré qu'il s'était blessé lui-même
et qu'il avait inventé toute cette belle
histoire pour marquer son dévouement
au roi : il fut condamné, par sentence
du Châtelet, à la torture ordinaire et
extraordinaire, et à être rompu vif.
La rupture était un supplice importé
d'Allemagne sous François I". Le con-
damné était attaché, bras étendus et
jambes écartées, sur deux morceaux
de bois disposés en croix de saint
André qui ne soutenaient que la tète,
la taille, les mains et les pieds, et qui
laissaient le reste du corps porter sur
le vide; puis le bourreau prenait une-
barre de fer et en frappait les bras, les
jambes et la poitrine jusqu'à ce qu'il
eût tout brisé; cela donnait de l'élasti-
cité au corps du patient, qui alors était
détaché de la croix et roulé autour
d'une petite roue de carrosse pendue à
un poteau, la face renversée vers le
ciel, les bras et les jambes repliées
dans le dos. Il mettait le temps qu'il
voulait à mourir. Un nommé Desmôû-
lins, âgé de dix-sept ans, mit vingt-
deux heures.
Dites donc, jardinier des carmes
d'Agen, dites doYlc, sacristain du curé
de Souillac , qui regrettez la monar-
chie, si la République vous rouait
vifs?
AUGUSTE VACQUERIE.
——* op
JUGEMENT DU DEHORS
Pendant que les journaux réactionnaires
déclament, chez nous, sur le malheur
d'être en République, on va voir comment,
à Londres, un organe important de l'opi-
nion, le Spectator, s'exprime sur le même
sujet. Le Spectator discute le vote des
Communes dans l'affaire de la statue que
voulait placer à Westminster le doyen
Stanley, et il continue ainsi e,
« La véritable signification du vote et
du mouvement d'opinion qui l'a produit,
c'est la faveur croissante qu'obtiennent
ici les principes républicains. Dans tous
les meetings, ce sentimenta été manifesté.
Chaque allusion à la République était re-
çue avec enthousiasme.
» .Les Anglais voient que les Républi-
ques commencent à prospérer, que, dans
tous les cas, elles sont possibles même
dans des pays dont le territoire est li -
mité, où la population est dense, que de
fréquentes révolutions ont agités et où, à
tort ou à raison, on estime qu'une forte
organisation militaire est essentielle à la
sûreté de l'Etat. La France, pendant ces
dix dernières années, a prouvé aux An-
glais qu'un monarque n'est pas nécessaire
à un grand pays, qu'un président vant
tout autant, qu'une République peut or-
ganiser des armées, maintenir l'ordre,
lever des impôts, respecter la propriété et
conserver encore la paix. Il y a là pour
eux comme une révélation, et ils en font
leur profit. »
Cléricaux et bonapartistes auront beau
continuer à se servir d'initiales pour dési-
gner les institutions nouvelles de leur
pays, la République, ne s'en porte
pas plus mal et les immenses services
qu'elle a déjà rendus à la France sont ap-
préciés, à l'étranger, à peu près comme
les apprécie chez nous le suffrage uni-
versel.
Perdus et isolés au milieu de leurs con-
citoyens, les réactionnaires ne tarderont
pas à ne plus trouver, même hors de nos
frontières, au moins chez les gens sé-
rieux, les encouragements qu'on leur a
donnés quelquefois. Pour l'Europe comme
pour la France, l'affermissement de nos
institutions démocratiques apparaît dé-
sormais comme une nécessité histori-
que contre laquelle ne protestent plus
que quelques hallucinés. Nos voisins s'ar-
rangent comme ils le veulent et certains
d'entre eux peuvent même se trouver
bien comme ils sont; mais ceux-là même
ne peuvent pas fermer les yeux aux grands
résultats obtenus, chez nous, grâce à la
République, et ils ne séparent plus, dans
leur pensée, l'existence de la France de
l'existence de ce gouvernement auquel
elle doit sa merveilleuse renaissance.
A. GAULIBR.
*• r • "t.
La Défense se fait télégraphier de Rome
que « le saint-siège a reçu, de plusieurs
gouvernements, des félicitations au sujet
de l'exposé historique qui a été adressé
aux puissances par le secrétaire d'Etat, à
la suite de la rupture des relations diplo-
matiquës entre le Vatican et la Belgique».,
La Dfifsnse ajouterait quelque autorité
à son télégramme en nommant au moins
un de ces « plusieurs gouvernements »
qui ont félicité le Vatican d'avoir eu dans
ses relations avec la-Belgique ce que nous
nous contentions d'appeler un double vi-
sage et ce que le gouvernement belge a
préféré appeler un visage triple.
————— —.————.—.
COULISSES DES CHAMBRES
Nous sommes entrés pleinement au-
jourd'hui dans la période d'exécution du
grand système de travaux publics, imaginé
par M. de Freycinet et repris par son suc-
cesseur au ministère des travaux publics,
M. Varroy.
Nous pouvons donner quelques rensei-
gnements sur le degré auquel cette exé-
cution est parvenue actuellement et sur
l'étendue qu'elle recevra pour la fin de la
présente année et l'afiriée suivante.
Ces grands travaux publics comprennent
deux catégories : les chemins'de fer d'une
part et d'autre part les ports, canaux et
rivières. ;. ",-
En ce qui concerne les chemins de fer,
les travaux sont faits, soit par l'Etat, soit
par les compagnies. L'Etat y avait consa-
cré 25 millions en 1877, 70 millions en
1878 et 130 millions en 1879.
Pour 1880, les crédits dont dispose l'E-
tat s'élèvent à 366 millions, et ils seront
portés à 400 millions en 1881.
Les chemins de fer déclarés d'utilité pu-
blique ou simplement classés, dont la
construction est décidée en principe par
les Chambres, présentent une longueur
totale de 17,700 kilomètres.
Sur ce nombre, 9,500 kilomètres sont
déjà ou vont être mis en construction. Les
sections actuellement envoie de construc-
tion représentent 3,900 kilomètres.
On pourra livrer dès cette année
à l'exploitation 1,038 kilomètres de lignes
d'intérêt général et 200 kilomètres d'inté-
rêt local.
L'année prochaine, on pourra livrer
1,500 kilomètres à l'exploitation, et l'on
continuera dans cette mesure jusqu'à
achèvement complet du programme.
Pour les ports, canaux et rivières, la
dépense a été en 1878 de 16 millions, en
1879 de 18 millions, et elle est en 1880 de
27 millions.
On va pouvoir la porter à 100 millions
en 1881.
On voit combien l'Etat a ouvert de
chantiers sur tout le territoire et quel im-
mense effort fait en ce moment le minis-
tère des travaux publics.
Pour compléter ces renseignements,
nous dirons que, pour les travaux de che-
mins de fer exécutés par l'Etat, il y a 72
services complets d'ingénieurs en chef
organisés; 238 services d'ingénieurs ordi-
naires, et, sous leurs ordres, 1,500 con-
ducteurs des ponts et chaussées, chefs ou
sous-chefs de section.
Il n'y a aucun pays au monde où une
pareille entreprise soit non-seulement en
cours d'exécution, mais même simple-
ment tentée. Il était réservé à la Répu-
blique de donner aux travaux publics cet
essor prodigieux et de fournir ainsi un
aliment considérable à la population ou-
vrière en même temps qu'elle s'efforçait
de compléter notre réseau de voies de
communication sous toutes ses formes;
Et il est à remarquer que ce mouve-
ment de travail coïncide avec une période
de dégrèvements d'impôts sans exemple,
puisque, comme on l'a vu récemment, les
charges qui pesaiént sur la population de-
puis la guerre de 1870 ont été réduites de
307 millions en quatre années.
On vient de voir ce qui est ou va être
fait pour les chemins de fer, ports, ca-
naux et voies navigables. Mais il y a encore
dans notre réseau de voies de communi-
cation les routes nationales. Ces routes
ont aussi leur importance au point de vue
du développement industriel et commer-
cial du pays. -
Actuellement, ellës représentent en to-
talité une longueur de 40,003 kilomètres,
et servent au transport de 1,700 millions
de tonnes de produits. On conçoit que ces
routes ne pouvaient être négligées. Le
ministre des travaux publics a fait faire
un travail très précis pour évaluer la dé-
pense qu'occasionnerait du'une part la
réparation des routes existantes et d'autre
part l'achèvement de celles qui ont encore
de nombreuses lacunes.
Le montant de la dépense, pour la ré-
paration, a été évalué à 45 millions. Pour
l'achèvement des routes qui ont encore des
lacunes, la dépense est évaluée à 67 mil-
lions ; soit en tout pour les deux ordres
de travaux une somme de 112 millions.
Le gouvernement doit demander aux
Chambres de consacrer Il millions par
an à cette œuvre, dont 3 millions pour
réparations et 8 millions pour achever les
lacunes. De la sorte, l'œuvre pourra être
achevée en 10 années ; elle se poursuivra
parallèlement avec les travaux de chemins
de fer et ceux des voies navigables.
LA STATUE DE RABELAIS
On vient d'inaugurer la statue d'un des
plus grands hommes que puisse vénérer
l'humanité. Ce serait, en effet, mal con-
naître Rabelais que de ne voir en lui qu'un
prodigieux maître en style, destiné à n'ê-
tre admiré et étudié que par un cénacle.
Il ne serait que cela, qu'il serait déjà très
grand, mais il est encore autre chose. Il
a été dans la philosophie ce que Luther a
été dans la théologie. Il y a en lui un re-
doutable ennemi de l'Eglise, un ami du
genre humain, uu propagateur de liberté.
En ce bon temps où le catholicisme
brûlait vifs les libraires et les auteurs, il
n'était parvenu, on le sait, à échapper aux
bourreaux, qu'en se réfugiant sous la pro-
tection d'un cardinal qui, par bonheur,
était son ami et qui l'avait emmené avec lui
en mission à Rome. Là, Rabelais dut voir
le pape qui lui demanda, comme d'habit
tude, s'il ne désirait pas quelque grâce
particulière.
— Oui, saint-père, dit Rabelais, je vouf
demande une grâce, c'est d'être excom..
munié.
Le saint-père préféra paraître ne pas
comprendre, et commit la faute d'invitef
Rabelais à s'expliquer.
- J'obéis, saint-père, fit Rabelais. Ort
j'étais l'autre jour dans une forêt, et je
voyais une vieille qui s'efforçait, mais
sans y parvenir, d'allumer un fagot, lors-
qu'elle finit, après avoir horriblement
juré, par crier à ce bois vert que rien nE
pouvait faire brûler : — Ah! maudit fa-
got! Il faut que tu aies été excommunié
de la propre gueule du pape!
Rabelais n'attaque pas l'Eglise comme
l'attaquent les hommes politiques, au nom.:
d'un roi ou d'un Etat ; il l'attaque au nom
de l'humanité. Il trouve simplement qu'i!
est grand temps que les hommes souffrent:
un peu moins. Il estime que jeûner, se
mortifier, vivre la face dans les larmes et
la tête sous les cendres, mutiler sa chair,
dégrader son corps, faire du genre hu-
main un supplicié, est un sacrilège. Il y
avait quatorze siècles que le monde était
en proie aux fureurs moroses du christia-
nisme et gémissait, comme un malade,
sur le grabat où l'Eglise le saignait sous
prétexte de le guérir, lorsqu'un jour ce
martyr trouva le livre de Rabelais a son
chevet. Il l'ouvrit et vit que ce livre
lui était dédié, étant dédié à ceux
qui souffrent. Il ne s'agissait plus, dans
ce beau et bon livre, de perpétuer par la:
tisane théologique l'effroyable anémie où
l'on dépérissait ; il s'agissait de boire le
vin de la terre, qui vient des rayons d'en
haut. Allons, disait ce nouveau docteur;'
infusez-vous de ce soleil liquide. Et Ra-
belais apportait au monde désespéré la
bonne nouvelle du rire. Il le faisait sortira
hâve encore, de l'affreux cachot catholi-'
lique, et lui montrait les champs pleins
de vignes mûres, les champs où l'on était
libre.
Oh ! la liberté que rêvait Rabelais, l'hu-
manité qu'il invoquait, comme elles étaient
grandes! Il y a, dans son livre, un chapi-
tre où il est question du chanvre, qui alors
servait à lier les pendus aux potences. Un
jour viendrait où le chanvre serait réhabi-
lité. De l'herbe qu'on employait à pendre, ib
sortirait un tissu qui emprisonnerait l'aire
et grâce auquel on irait visiter « les sour-
ces des grêles ». On franchirait les nuar
ges, on monterait jusqu'au zodiaque. Les(
constellations seraient les auberges des
peuples. Et ceux-là se logeraient au Lion,
ceux-ci à la Lyre, et tous conquerraient
l'Univers, prenant leurs déesses aux diéuiç,
et ses lois à la Nature.
Ainsi parlait) il y a trois cents ans, au
genre humain malade, Rabelais qui lui
rendait la santé par la joie; il lui préci-
sait les ballons pour le distraire, et afitt;
que les pauvres hommes, encore tbut ;
meurtris de leur séjour dans l'oubliette.
catholique, pussent espérer après q,fi'ils,'
avaient ri, en même temps qu'il leur orf
donnait la liberté sur la terre, il lètit
montrait la liberté dans le ciel.
MAURICE TALMËYR.
O
QUESTIONS MILITAIRES
Nous venons de recevoir la visite d'un
sous-officier, chef artificier dans un régi-
ment d'artillerie, qui nous a fait part des
réclamations que ses camaradès croient
devoir émettre au sujet de la situation
qui leur est faite dans l'armée. Ces récla-
mations nous ont paru fondées pour la
plupart; nous n'hésitons pas à leur don.
ner la publicité du Rappel.
Feuilleton du RAPPEL
DU 28 JUILLET >'
30
LES AMOURS
D'UN INTERNE
-
V
(
la salle de larGe
(Suite)
Serge laissa aller vers Pedro, d'un air d'a-
bord triste et. las, qui devint tout à coup
railleur, un regard de ses prunelles claires :
t — Amusante, la vie ! Vous trouvez
la vie amusante, cher monsieur? Il y a des
gens qui la regardent comme un bagne.
U y en a beaucoup chez nous !
- Les nihilistes? dit CombeLte.
Platoff sourit un moment avant de ré-
pondre.
Aur le BOjJrel du 29 juin au 27-luillok ,il..
Puis, hochant la tête :
— Oh ! dit-il, il n'y a pas de nihilistes
en Russie, ou toute la nation est nihiliste,
comme vous voudrez! Les nihilistes avé-
rés sont une poignée à peine.
— Et les colombes blanches, demanda
Finet, rougissant toujours, qu'est-ce que
c'est au juste?
— Les Skoplzy? répondit encore une
fois Platoff sans répondre.
— Oui, les Skoptzy!
— Ce sont des hystériques moscovites!
fit Combette.
— C'est une secte comme une autre, dit
le jeune Russe lentement.
— Comme une autre! Ah! comme une
autre est joli! s'éeria Pedro. Une secte
comme une autre, celle qui supprimerait
le monde entier, d'un coup de couteau!
Alors, la censure est une institution" comme
une autre, et Abélard était un philosophe
comme un autre 1
— Parfaitement, répondit Serge de son
ton tranquille, implacablement doux.
Il regarda, en souriant dans sa longue
barbe blonde, la table un peu stupé-
faite.
— Vous admettez bien que la foi, sous
toutes ses formes, est respectable ?
- Explicable, oui, respectable, non, dit
Pedro., s
- Respectable, vénérable même! mon-
sieur a raison, s'écria Tournoël.
- Parbleu! tu es catholique. aposto-
lique.
- Je suis ce que je suis !
- L'admettez-vous ou ne l'admettes
i T.ôu.sjBas? demanda Platoff, w*
- Supposez qu'on l'admette, fit Mon-
gobert, et parlez-nous des Skoptzy.
— Ça m'intéresse, les Colombes blanches,
dit Finet.
— Un joli cas de folie, pourtant ! Mono-
maniaques, les Skoptzy!
- Bref, ils existent, dit Platoff.
- Et ils sont nombreux?
- Ils ont commencé par être treize et
ils sont près de six mille.
- Diable! fit Mongobert. Mais Malthus
leur eût décerné une couronne d'or! Ils
ont résolu son problème!
— C'est un paysan, un nommé Ivanoff,
qui fonda la secte, reprit Serge. Il avait
douze disciples, il en fiL lui-même des cas-
trats. On l'arrêta, on lui donna le knout, et
il alla finir martyr en Sibérie. Les idées
vaincues renaissent. Dans le domaine de
la pensée, comme dans celui de la matière,
rien ne se perd, si j'ose parler science
devant des savants. de futurs médecins!.
Ivanoff mort, un autre, Kondrati Szeliva-
noff, organisa la secte. On l'arrêta. Tou-
jours la Sibérie. Qu'arrivai-t-il alors?
Szelivaroff fut appelé Sauveur et Fils de
Dieu. Il ne faut persécuter personne, c'est
imprudent, — dit Platoff, dont le sourire
froid s'accentuait dans sa barbe blonde.
— Le Sauveur (et il appuyait étrange-
ment sur le mot, comme s'il en eût ac-
cepté la légitimité) fut tiré des tfïïnes,
devinez par qui? Par le ts^*;.t Piml Ier vou-
lut q,,Il o ,.i lui amt,- -
lut qu'on lui l, S zelivanoff du fond
de la Sibérie. Quand il l'eut vu, il dit :
« U êst fou ! » On enferma Szelivanoff
cians un asile, comme ici; et savez-vous ce
,que devint pour les - Skoptzy la maison
d'aliénés où Kondrati Szelivanof fvégétait?
Ce fut la Jérusalem nouvelle d'une religion
qui se mit à grandir. Les treize Skoptzy
du vieil Iwanoff devinrent légion. Pour le
peuple, le martyr Szelitanoff, mort en
1832, dans un couvent, devint Paul III
lui-même, le Christ skoptzy, gui reviendra
quelque jour de Sibérie ou de France
pour reprendre le trône de toutes les Rus-
sies, couronner les bons, juger les mé-
chants, et terminer la vie du monde par
l'universelle castration donnant l'infinie
volupté, la volupté du nérvana hindou,
l'âcre et violente volupté du néant! Il re-
viendra, le Christ Skoptzy, le grand jus-
ticier, lorsque la secte sainte des Skoptzy
aura atteint le chiflre de 144,000, et,
pour arriver à ce nombre apocalypti-
que, les Skopzty actuels bravent le knout,
la déportation, les travaux forcés. Ne riez
pas! C'est une folie, si vous voulez, mais
c'est la folie de la pureté et de l'idéal!
Chasteté de lavie, jeûne, horreur de ces
liqueurs, de cet alcool qui change en
pauvres diables pris de tremblements
nerveux et rongés de syphilis la plupart
de nos malheureux paysans de Russie,
austérité de pensée et d'existence, voilà
ce qu'ils prêchent à leurs disciples, et il y
a, quelque matérialiste que se fasse la vie
modernet une telle soif d'idéal dans la
nature humaine qu'ils recrutent des
disciples prêts à guérir le péché par le fer
et le feu et à mettre en, pratique la pa-
role de Saint-Marc : « Si ton pied est une
occasion de chûte, coupe-le et jette-le
loin de toi. »
Il y avait, autour de la table, uif pey de
surprise, et Pedro, qui goariait, regardait
Mongobert avec des clignements d'yeux
qui semblaient dire : « Eh! bien, mais
votre Russe?.. Il est toqué, votre Russe!»
Pedro eût parlé tout haut et Platoff eût
entendu qu'il n'eût pas répondu plus vite,
avec son sourire bizarre :
— Vous m'avez demandé ce-que c'était
que les Colombes blanches. Je raconte. Je
ne juge pas.
— Mais, dit Pedro, vos Skoptzy, ils
achètent les enfants, et ils font leur bon-
heur, comme vous dites, en les empê-
chant de devenir des hommes. Crac ! un
coup de hachette! La sainte Russie de-
vient la chapelle Sixtine. Et avec ça ils
leur prouvent que le bonheur est dans
le mysticisme maladif dont vous nous
parlez !
— Et si bien, répondit Platoff, que fies
petits mutilés grandissent sans jamais ré-
véler qu'ils sont eunuques, et que, si on
les arrache aux Skoptzy avant la mutila-
tion, ils se châtrent eux-mêmes, joyeux,
et se font les missionnaires de l'idée de
néant! Messieurs, mais songez donc à
cette chose extraordinairement exquise :
ne pas naître! Il est déjà consolant de se
dire qu'on n'existera plus, qu'il ne sera
pas plus question de vous, dans un temps
donné, que d'un puceron; mais enfin on
a vécu et, par conséquent, souffert, peu
ou beaucoup. Tandis que si on n'était pas
né !. Aucune peine pour en finir 1 N'être
pas né, c'est si simple !
Il riait doucement, mais d'un rire silen-
cieux, ne laissant pas deviner s'il parlait
sérieusement* >v
— Ce n'est pas si bête, cette théorie-là 1
dit Mongobert dans la fumée de sa
pipe. ,
— Fichtre, je ne trouve pas ! s'écria
Pedro. Encore un coup, moi j'aime la vie!
Bien boire, bien manger, bien aimer,
bien dormir, c'est déjà vénérable, je sup-
pose ! Je ne crache pas dessus, ça m'a-
muse!
— Les autres, fit Serge Platoff sur le
même ton, ça les ennuie, voilà tout!
— Combette disait tout à l'heure que
les Colombes blanches sont les hystéri-
ques russes. C'est tout à fait ça, dit Pe-
dro. Nous avons ici une hystérique célèbre,
Geneviève, qui, un jour, sans raison, s'est
enlevé complètement, avec des ciseaux,
le bout du sein gauche. Lt elle prétend
qu'elle n'en a ressenti aucune douleur.
— Aucune ?
— Aucune. Ça lui a même fait plaisir.
Hémiatiesthésieducôlé gauche. La Skoptzy
sans le savoir! vaudeville. ou drame.
— Ah ! dit Platoff, je n'aurais pas cru
qu'une Française aurait ce courage-là !
Combette se mit à rire :
— Merci pour nos compatriotes!
— Oh! vous savez, nos femmes, fit en-
core Serge en souriant, ce sont des sau-<
vages, des Cosaques! Voilà ce aue ie vou<
lais dire 1
JULES CLARSTIS*:
(AsuiiiP.f&ï - -
--- -7 - - ---
ADMINISTRATION
18, BUE DE VALOIS, i8f;
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois 10 »
Six mois 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13"59
S:ixlllOjS 27Fn
Adresser lettres et m an~M~~
A M. ERNEST LEV^RET
VD5HNISTRATEUR GÉHiK» ;
m v%: mrat mm'
--.- -,..- - _.- - ,., ————_
REDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Réfaction.
De 4 à 6 heures du soir -
18, RUE DE VALOIS, 18
Ces mamlscrHs noninsérés ne seront p as r e;n3tf
ANNONCES
M. Ch. IAG RANGE, CERF et ce
6. place de la Bourse, 6
AFFREUSE PERSÉCUTION
Affreuse persécution? Plus que per-
sécution affreuse, la plus affreuse des
persécutions. Il n'y a pas à en douter,
magister dixit, et par magister il ne
faut pas entendre un magister, il faut
entendre le maître, le souverain, le
toy. L'Univers a publié une lettre
d'Henri V, où la France et la Navarre
ont pu lire : « N'oublions pas qu'au-
jourd'hui nous entrons dans la plus af-
freuse persécution. » Et à peine 1'Uni-
vers avait-il publié cette lettre que trois
faits terribles venaient donner trop rai-
son à ce bon Henri V.
Le premier de ces faits terribles
était l'affaire des carmes d'Agen. Une
nuit, une bando hurlante vient assail-
lir la maison de ces carmes. D'abord,
elle se contente de gueuler l'infâme
Marseillaise. Mais bientôt l'infâme
Marseillaise ne suffit plus à sa gueule :
elle a faim des carmes. Elle se rue à
l'assaut. Les carmes se ruent, eux, à
leur cloche et sonnent le tocsin, La po-
lice accourt. Les ennemis des carmes
étant aussi lâches que carmivores,
s'empressent de s'enfuir, et l'on n'en
empoigne que sept. Mais les carmes
sont sauvés.
Deuxième martyre clérical : le mar-
tyre du curé de Souillac. Tout à coup,
une nouvelle abominable éclate : la
République a voulu assassiner un curé !
Une lettre écrite à un pieux journal,
Limousin et Quercy, par « un person-
nage recommandable », en donne tons
les détails : « En examinant le mur,
dans le voisinage immédiat de la salle
à manger, plusieurs empreintes de
forme circulaire indiquent que les
balles ont dû frapper perpendiculaire-
ment. Un des projectiles a été trouvé
a quelques pas de distance du mur de
façade , dans l'allée principale du
jardin. C'est une balle d'étain de
il millimètres d'épaisseur, ronde, mais
aplatie à l'extrémité d'un de ses dia-
mètres. On charge de balles sembla-
bles le-s pistolets dont on se servait
avant la vulgarisation des revolvers. »
Sur quoi, le personnage recommanda-
ble et le pieux journal s'écrient : « Y
a-t-ildes lois existantes punissant ceux
qui compromettent la sécurité publi-
que? Si oui, nous demandons énergi-
quement qu'on s'en souvienne et qu'on
applique ces lois. »
Troisième couplet, comme disait
Frédérick-Lemaîtro dans Don César de
Bazan. Ici, c'est le cas des deux vers
de feu Casimir Delavigne dans Une fa-
mille au temps de Luther.
Vous allez tous frémir de ce frémissement
Dont nous frémirons tous au jour du jugement!
Il ne s'agit, plus d'un meurtre, mais
de quatrevingt-dix-huit meurtres.
Le jour de la fête dite nationale —
mais elle n'a été nationale que pour la
nation, et, si les journaux qui ont
commandé : pas un drapeau ! pas un
lampion ! n'ont pas empêché l'illumi-
nation et le pavoisement d'être univer-
sels, cela tient uniquement à ce que leur
public nvestpas aussi nombreux qu'i Isle
désireraient,-le 14juillet donc, des mi-
sérables, des gens qui célébraient l'an-
niversaire de la prise de cette glorieuse
Bastille en laquelle se pétrifiait la mo-
narchie, d'odieux partisans des insti-
tutions que le pays s'est données, des
républicains, puisqu'il faut les appeler
par leur nom, se sont introduits à une
demi-douzaine dans le parc de la prin-
cesse de Craoi'| ont assassiné quatre-
vingt-dix-huit arbres quatre fois sécu-
laires, et ont emporté les cadavres pour
les brûler.
Eh bien, Henri V avait-il tort d'é-
crire dans l'Univers que « nous 'en-
trons aujourd'hui même dans la plus
affreuse persécution »? Connaissez-vous
une persécution plus affreuse que l'in-
vasion d'une maison de carmes, la ten-
tative de meurtre d'un curé et l'assas-
sinat accompli de quatrevingt-dix-huit
arbres ?
Je frémirais encore de ce frémisse-
ment dont etc., si la justice n'avait pas
été curieuse. Mais la justice a voulu
voir, et voici ce qu'elle a vu :
Les assaillants de la maison des
carmes avaient été embauchés par le
jardinier des carmes. Les balles tirées
sur le curé de Souillac, balles bizarres
qui, tirées perpendiculairement dans
un jardin, s'étaient aplaties contre le
mur de façade, se composaient d'une
seule balle, toute ronde, qui avait été
déposée pieusement dans le jardin du
presbytère — c'est le curé qui en a té-
moigné — par le sacristain. Enfin, les
assassins d'arbres qui avaient, à une
demi-douzaine, emporté sous leur bras
quatrevingt-dix-huit arbres quatre fois
séculaires, n'en avaient pas assassiné un
seul, et n'avaient fait que prendre quel-
ques rameaux à des arbres vendus par
la propriétaire et abattus par l'a-
cheteur en train de faire du parc un
champ de courses. D'où il suit que les
affreux persécuteurs des carmes d'A-
gen, du curé de Souillac et de la prin-
cesse de Craon sont un carme, un sa-
cristain et la princesse.
On n'a rien à dire à la princesse, qui
a parfaitement le droit de vendre ses
arbres, même quatre fois séculaires;
je ne sais pas ce qu'on dira au sacristain;
le jardinier des carmes a été condamné
à cinq jours de prisoh et à seize francs
d'amende. Sous la monarchie, que
regrettent ce jardinier et ce sacristain,
ça coûtait plus cher d'inventer de ces
histoires-là.
Un garde du corps, le sieur de La
Chaux, fut trouvé, un soir, dans un
corridor de Versailles, étendu par
terre, sans connaissance et blessé ;
on le fit revenir et on l'interrogea. Il
dit que, sortant pour acheter du ta-
bac, il avait rencontré dans ce cor-
ridor deux hommes, l'un en habit
vert avec un couteau de chasse, l'autre
en abbé, lesquels lui avaient demandé
poliment s'il ne pourrait pas leur procu-
rer le moyen d'entrer au grand cou-
vert, qu'ils n'avaient jamais vu étant
gens de province; qu'il leur avait ré-
pondu qu'il n'en avait pas le crédit;
qu'ils avaient insisté et lui avaient of-
fert de l'argent; que cela lui avait don-
né des soupçons; qu'il s'était ravisé et
leur avait dit qu'il les introduirait et
qu'ils montassent à l'instant même;
mais que ce changement subit les avait
inquiétés à leur tôur et qu'ils avaient
répliqué que, puisque la chose était si
difficile, ils y renonçaient; qu'ils avaient
voulu s'en aller, mais qu'il le leur
avait défendu et avait mis l'épée à la
main; qu'alors ils s'étaient jetés sur
lui avec des couteaux de chasse, avaient
cassé son épée, l'avaient frappé et ren-
versé, et s'étaient échappés. On cher-
cha partout les deux hommes, mais
inutilement; on interrogea de nouveau
le garde, qui s'embrouilla dans ses ré-
ponses; on le fouilla, et on trouva sur
lui un grattoir ensanglanté. Il sembla
démontré qu'il s'était blessé lui-même
et qu'il avait inventé toute cette belle
histoire pour marquer son dévouement
au roi : il fut condamné, par sentence
du Châtelet, à la torture ordinaire et
extraordinaire, et à être rompu vif.
La rupture était un supplice importé
d'Allemagne sous François I". Le con-
damné était attaché, bras étendus et
jambes écartées, sur deux morceaux
de bois disposés en croix de saint
André qui ne soutenaient que la tète,
la taille, les mains et les pieds, et qui
laissaient le reste du corps porter sur
le vide; puis le bourreau prenait une-
barre de fer et en frappait les bras, les
jambes et la poitrine jusqu'à ce qu'il
eût tout brisé; cela donnait de l'élasti-
cité au corps du patient, qui alors était
détaché de la croix et roulé autour
d'une petite roue de carrosse pendue à
un poteau, la face renversée vers le
ciel, les bras et les jambes repliées
dans le dos. Il mettait le temps qu'il
voulait à mourir. Un nommé Desmôû-
lins, âgé de dix-sept ans, mit vingt-
deux heures.
Dites donc, jardinier des carmes
d'Agen, dites doYlc, sacristain du curé
de Souillac , qui regrettez la monar-
chie, si la République vous rouait
vifs?
AUGUSTE VACQUERIE.
——* op
JUGEMENT DU DEHORS
Pendant que les journaux réactionnaires
déclament, chez nous, sur le malheur
d'être en République, on va voir comment,
à Londres, un organe important de l'opi-
nion, le Spectator, s'exprime sur le même
sujet. Le Spectator discute le vote des
Communes dans l'affaire de la statue que
voulait placer à Westminster le doyen
Stanley, et il continue ainsi e,
« La véritable signification du vote et
du mouvement d'opinion qui l'a produit,
c'est la faveur croissante qu'obtiennent
ici les principes républicains. Dans tous
les meetings, ce sentimenta été manifesté.
Chaque allusion à la République était re-
çue avec enthousiasme.
» .Les Anglais voient que les Républi-
ques commencent à prospérer, que, dans
tous les cas, elles sont possibles même
dans des pays dont le territoire est li -
mité, où la population est dense, que de
fréquentes révolutions ont agités et où, à
tort ou à raison, on estime qu'une forte
organisation militaire est essentielle à la
sûreté de l'Etat. La France, pendant ces
dix dernières années, a prouvé aux An-
glais qu'un monarque n'est pas nécessaire
à un grand pays, qu'un président vant
tout autant, qu'une République peut or-
ganiser des armées, maintenir l'ordre,
lever des impôts, respecter la propriété et
conserver encore la paix. Il y a là pour
eux comme une révélation, et ils en font
leur profit. »
Cléricaux et bonapartistes auront beau
continuer à se servir d'initiales pour dési-
gner les institutions nouvelles de leur
pays, la République, ne s'en porte
pas plus mal et les immenses services
qu'elle a déjà rendus à la France sont ap-
préciés, à l'étranger, à peu près comme
les apprécie chez nous le suffrage uni-
versel.
Perdus et isolés au milieu de leurs con-
citoyens, les réactionnaires ne tarderont
pas à ne plus trouver, même hors de nos
frontières, au moins chez les gens sé-
rieux, les encouragements qu'on leur a
donnés quelquefois. Pour l'Europe comme
pour la France, l'affermissement de nos
institutions démocratiques apparaît dé-
sormais comme une nécessité histori-
que contre laquelle ne protestent plus
que quelques hallucinés. Nos voisins s'ar-
rangent comme ils le veulent et certains
d'entre eux peuvent même se trouver
bien comme ils sont; mais ceux-là même
ne peuvent pas fermer les yeux aux grands
résultats obtenus, chez nous, grâce à la
République, et ils ne séparent plus, dans
leur pensée, l'existence de la France de
l'existence de ce gouvernement auquel
elle doit sa merveilleuse renaissance.
A. GAULIBR.
*• r • "t.
La Défense se fait télégraphier de Rome
que « le saint-siège a reçu, de plusieurs
gouvernements, des félicitations au sujet
de l'exposé historique qui a été adressé
aux puissances par le secrétaire d'Etat, à
la suite de la rupture des relations diplo-
matiquës entre le Vatican et la Belgique».,
La Dfifsnse ajouterait quelque autorité
à son télégramme en nommant au moins
un de ces « plusieurs gouvernements »
qui ont félicité le Vatican d'avoir eu dans
ses relations avec la-Belgique ce que nous
nous contentions d'appeler un double vi-
sage et ce que le gouvernement belge a
préféré appeler un visage triple.
————— —.————.—.
COULISSES DES CHAMBRES
Nous sommes entrés pleinement au-
jourd'hui dans la période d'exécution du
grand système de travaux publics, imaginé
par M. de Freycinet et repris par son suc-
cesseur au ministère des travaux publics,
M. Varroy.
Nous pouvons donner quelques rensei-
gnements sur le degré auquel cette exé-
cution est parvenue actuellement et sur
l'étendue qu'elle recevra pour la fin de la
présente année et l'afiriée suivante.
Ces grands travaux publics comprennent
deux catégories : les chemins'de fer d'une
part et d'autre part les ports, canaux et
rivières. ;. ",-
En ce qui concerne les chemins de fer,
les travaux sont faits, soit par l'Etat, soit
par les compagnies. L'Etat y avait consa-
cré 25 millions en 1877, 70 millions en
1878 et 130 millions en 1879.
Pour 1880, les crédits dont dispose l'E-
tat s'élèvent à 366 millions, et ils seront
portés à 400 millions en 1881.
Les chemins de fer déclarés d'utilité pu-
blique ou simplement classés, dont la
construction est décidée en principe par
les Chambres, présentent une longueur
totale de 17,700 kilomètres.
Sur ce nombre, 9,500 kilomètres sont
déjà ou vont être mis en construction. Les
sections actuellement envoie de construc-
tion représentent 3,900 kilomètres.
On pourra livrer dès cette année
à l'exploitation 1,038 kilomètres de lignes
d'intérêt général et 200 kilomètres d'inté-
rêt local.
L'année prochaine, on pourra livrer
1,500 kilomètres à l'exploitation, et l'on
continuera dans cette mesure jusqu'à
achèvement complet du programme.
Pour les ports, canaux et rivières, la
dépense a été en 1878 de 16 millions, en
1879 de 18 millions, et elle est en 1880 de
27 millions.
On va pouvoir la porter à 100 millions
en 1881.
On voit combien l'Etat a ouvert de
chantiers sur tout le territoire et quel im-
mense effort fait en ce moment le minis-
tère des travaux publics.
Pour compléter ces renseignements,
nous dirons que, pour les travaux de che-
mins de fer exécutés par l'Etat, il y a 72
services complets d'ingénieurs en chef
organisés; 238 services d'ingénieurs ordi-
naires, et, sous leurs ordres, 1,500 con-
ducteurs des ponts et chaussées, chefs ou
sous-chefs de section.
Il n'y a aucun pays au monde où une
pareille entreprise soit non-seulement en
cours d'exécution, mais même simple-
ment tentée. Il était réservé à la Répu-
blique de donner aux travaux publics cet
essor prodigieux et de fournir ainsi un
aliment considérable à la population ou-
vrière en même temps qu'elle s'efforçait
de compléter notre réseau de voies de
communication sous toutes ses formes;
Et il est à remarquer que ce mouve-
ment de travail coïncide avec une période
de dégrèvements d'impôts sans exemple,
puisque, comme on l'a vu récemment, les
charges qui pesaiént sur la population de-
puis la guerre de 1870 ont été réduites de
307 millions en quatre années.
On vient de voir ce qui est ou va être
fait pour les chemins de fer, ports, ca-
naux et voies navigables. Mais il y a encore
dans notre réseau de voies de communi-
cation les routes nationales. Ces routes
ont aussi leur importance au point de vue
du développement industriel et commer-
cial du pays. -
Actuellement, ellës représentent en to-
talité une longueur de 40,003 kilomètres,
et servent au transport de 1,700 millions
de tonnes de produits. On conçoit que ces
routes ne pouvaient être négligées. Le
ministre des travaux publics a fait faire
un travail très précis pour évaluer la dé-
pense qu'occasionnerait du'une part la
réparation des routes existantes et d'autre
part l'achèvement de celles qui ont encore
de nombreuses lacunes.
Le montant de la dépense, pour la ré-
paration, a été évalué à 45 millions. Pour
l'achèvement des routes qui ont encore des
lacunes, la dépense est évaluée à 67 mil-
lions ; soit en tout pour les deux ordres
de travaux une somme de 112 millions.
Le gouvernement doit demander aux
Chambres de consacrer Il millions par
an à cette œuvre, dont 3 millions pour
réparations et 8 millions pour achever les
lacunes. De la sorte, l'œuvre pourra être
achevée en 10 années ; elle se poursuivra
parallèlement avec les travaux de chemins
de fer et ceux des voies navigables.
LA STATUE DE RABELAIS
On vient d'inaugurer la statue d'un des
plus grands hommes que puisse vénérer
l'humanité. Ce serait, en effet, mal con-
naître Rabelais que de ne voir en lui qu'un
prodigieux maître en style, destiné à n'ê-
tre admiré et étudié que par un cénacle.
Il ne serait que cela, qu'il serait déjà très
grand, mais il est encore autre chose. Il
a été dans la philosophie ce que Luther a
été dans la théologie. Il y a en lui un re-
doutable ennemi de l'Eglise, un ami du
genre humain, uu propagateur de liberté.
En ce bon temps où le catholicisme
brûlait vifs les libraires et les auteurs, il
n'était parvenu, on le sait, à échapper aux
bourreaux, qu'en se réfugiant sous la pro-
tection d'un cardinal qui, par bonheur,
était son ami et qui l'avait emmené avec lui
en mission à Rome. Là, Rabelais dut voir
le pape qui lui demanda, comme d'habit
tude, s'il ne désirait pas quelque grâce
particulière.
— Oui, saint-père, dit Rabelais, je vouf
demande une grâce, c'est d'être excom..
munié.
Le saint-père préféra paraître ne pas
comprendre, et commit la faute d'invitef
Rabelais à s'expliquer.
- J'obéis, saint-père, fit Rabelais. Ort
j'étais l'autre jour dans une forêt, et je
voyais une vieille qui s'efforçait, mais
sans y parvenir, d'allumer un fagot, lors-
qu'elle finit, après avoir horriblement
juré, par crier à ce bois vert que rien nE
pouvait faire brûler : — Ah! maudit fa-
got! Il faut que tu aies été excommunié
de la propre gueule du pape!
Rabelais n'attaque pas l'Eglise comme
l'attaquent les hommes politiques, au nom.:
d'un roi ou d'un Etat ; il l'attaque au nom
de l'humanité. Il trouve simplement qu'i!
est grand temps que les hommes souffrent:
un peu moins. Il estime que jeûner, se
mortifier, vivre la face dans les larmes et
la tête sous les cendres, mutiler sa chair,
dégrader son corps, faire du genre hu-
main un supplicié, est un sacrilège. Il y
avait quatorze siècles que le monde était
en proie aux fureurs moroses du christia-
nisme et gémissait, comme un malade,
sur le grabat où l'Eglise le saignait sous
prétexte de le guérir, lorsqu'un jour ce
martyr trouva le livre de Rabelais a son
chevet. Il l'ouvrit et vit que ce livre
lui était dédié, étant dédié à ceux
qui souffrent. Il ne s'agissait plus, dans
ce beau et bon livre, de perpétuer par la:
tisane théologique l'effroyable anémie où
l'on dépérissait ; il s'agissait de boire le
vin de la terre, qui vient des rayons d'en
haut. Allons, disait ce nouveau docteur;'
infusez-vous de ce soleil liquide. Et Ra-
belais apportait au monde désespéré la
bonne nouvelle du rire. Il le faisait sortira
hâve encore, de l'affreux cachot catholi-'
lique, et lui montrait les champs pleins
de vignes mûres, les champs où l'on était
libre.
Oh ! la liberté que rêvait Rabelais, l'hu-
manité qu'il invoquait, comme elles étaient
grandes! Il y a, dans son livre, un chapi-
tre où il est question du chanvre, qui alors
servait à lier les pendus aux potences. Un
jour viendrait où le chanvre serait réhabi-
lité. De l'herbe qu'on employait à pendre, ib
sortirait un tissu qui emprisonnerait l'aire
et grâce auquel on irait visiter « les sour-
ces des grêles ». On franchirait les nuar
ges, on monterait jusqu'au zodiaque. Les(
constellations seraient les auberges des
peuples. Et ceux-là se logeraient au Lion,
ceux-ci à la Lyre, et tous conquerraient
l'Univers, prenant leurs déesses aux diéuiç,
et ses lois à la Nature.
Ainsi parlait) il y a trois cents ans, au
genre humain malade, Rabelais qui lui
rendait la santé par la joie; il lui préci-
sait les ballons pour le distraire, et afitt;
que les pauvres hommes, encore tbut ;
meurtris de leur séjour dans l'oubliette.
catholique, pussent espérer après q,fi'ils,'
avaient ri, en même temps qu'il leur orf
donnait la liberté sur la terre, il lètit
montrait la liberté dans le ciel.
MAURICE TALMËYR.
O
QUESTIONS MILITAIRES
Nous venons de recevoir la visite d'un
sous-officier, chef artificier dans un régi-
ment d'artillerie, qui nous a fait part des
réclamations que ses camaradès croient
devoir émettre au sujet de la situation
qui leur est faite dans l'armée. Ces récla-
mations nous ont paru fondées pour la
plupart; nous n'hésitons pas à leur don.
ner la publicité du Rappel.
Feuilleton du RAPPEL
DU 28 JUILLET >'
30
LES AMOURS
D'UN INTERNE
-
V
(
la salle de larGe
(Suite)
Serge laissa aller vers Pedro, d'un air d'a-
bord triste et. las, qui devint tout à coup
railleur, un regard de ses prunelles claires :
t — Amusante, la vie ! Vous trouvez
la vie amusante, cher monsieur? Il y a des
gens qui la regardent comme un bagne.
U y en a beaucoup chez nous !
- Les nihilistes? dit CombeLte.
Platoff sourit un moment avant de ré-
pondre.
Aur le BOjJrel du 29 juin au 27-luillok ,il..
Puis, hochant la tête :
— Oh ! dit-il, il n'y a pas de nihilistes
en Russie, ou toute la nation est nihiliste,
comme vous voudrez! Les nihilistes avé-
rés sont une poignée à peine.
— Et les colombes blanches, demanda
Finet, rougissant toujours, qu'est-ce que
c'est au juste?
— Les Skoplzy? répondit encore une
fois Platoff sans répondre.
— Oui, les Skoptzy!
— Ce sont des hystériques moscovites!
fit Combette.
— C'est une secte comme une autre, dit
le jeune Russe lentement.
— Comme une autre! Ah! comme une
autre est joli! s'éeria Pedro. Une secte
comme une autre, celle qui supprimerait
le monde entier, d'un coup de couteau!
Alors, la censure est une institution" comme
une autre, et Abélard était un philosophe
comme un autre 1
— Parfaitement, répondit Serge de son
ton tranquille, implacablement doux.
Il regarda, en souriant dans sa longue
barbe blonde, la table un peu stupé-
faite.
— Vous admettez bien que la foi, sous
toutes ses formes, est respectable ?
- Explicable, oui, respectable, non, dit
Pedro., s
- Respectable, vénérable même! mon-
sieur a raison, s'écria Tournoël.
- Parbleu! tu es catholique. aposto-
lique.
- Je suis ce que je suis !
- L'admettez-vous ou ne l'admettes
i T.ôu.sjBas? demanda Platoff, w*
- Supposez qu'on l'admette, fit Mon-
gobert, et parlez-nous des Skoptzy.
— Ça m'intéresse, les Colombes blanches,
dit Finet.
— Un joli cas de folie, pourtant ! Mono-
maniaques, les Skoptzy!
- Bref, ils existent, dit Platoff.
- Et ils sont nombreux?
- Ils ont commencé par être treize et
ils sont près de six mille.
- Diable! fit Mongobert. Mais Malthus
leur eût décerné une couronne d'or! Ils
ont résolu son problème!
— C'est un paysan, un nommé Ivanoff,
qui fonda la secte, reprit Serge. Il avait
douze disciples, il en fiL lui-même des cas-
trats. On l'arrêta, on lui donna le knout, et
il alla finir martyr en Sibérie. Les idées
vaincues renaissent. Dans le domaine de
la pensée, comme dans celui de la matière,
rien ne se perd, si j'ose parler science
devant des savants. de futurs médecins!.
Ivanoff mort, un autre, Kondrati Szeliva-
noff, organisa la secte. On l'arrêta. Tou-
jours la Sibérie. Qu'arrivai-t-il alors?
Szelivaroff fut appelé Sauveur et Fils de
Dieu. Il ne faut persécuter personne, c'est
imprudent, — dit Platoff, dont le sourire
froid s'accentuait dans sa barbe blonde.
— Le Sauveur (et il appuyait étrange-
ment sur le mot, comme s'il en eût ac-
cepté la légitimité) fut tiré des tfïïnes,
devinez par qui? Par le ts^*;.t Piml Ier vou-
lut q,,Il o ,.i lui amt,- -
lut qu'on lui l, S zelivanoff du fond
de la Sibérie. Quand il l'eut vu, il dit :
« U êst fou ! » On enferma Szelivanoff
cians un asile, comme ici; et savez-vous ce
,que devint pour les - Skoptzy la maison
d'aliénés où Kondrati Szelivanof fvégétait?
Ce fut la Jérusalem nouvelle d'une religion
qui se mit à grandir. Les treize Skoptzy
du vieil Iwanoff devinrent légion. Pour le
peuple, le martyr Szelitanoff, mort en
1832, dans un couvent, devint Paul III
lui-même, le Christ skoptzy, gui reviendra
quelque jour de Sibérie ou de France
pour reprendre le trône de toutes les Rus-
sies, couronner les bons, juger les mé-
chants, et terminer la vie du monde par
l'universelle castration donnant l'infinie
volupté, la volupté du nérvana hindou,
l'âcre et violente volupté du néant! Il re-
viendra, le Christ Skoptzy, le grand jus-
ticier, lorsque la secte sainte des Skoptzy
aura atteint le chiflre de 144,000, et,
pour arriver à ce nombre apocalypti-
que, les Skopzty actuels bravent le knout,
la déportation, les travaux forcés. Ne riez
pas! C'est une folie, si vous voulez, mais
c'est la folie de la pureté et de l'idéal!
Chasteté de lavie, jeûne, horreur de ces
liqueurs, de cet alcool qui change en
pauvres diables pris de tremblements
nerveux et rongés de syphilis la plupart
de nos malheureux paysans de Russie,
austérité de pensée et d'existence, voilà
ce qu'ils prêchent à leurs disciples, et il y
a, quelque matérialiste que se fasse la vie
modernet une telle soif d'idéal dans la
nature humaine qu'ils recrutent des
disciples prêts à guérir le péché par le fer
et le feu et à mettre en, pratique la pa-
role de Saint-Marc : « Si ton pied est une
occasion de chûte, coupe-le et jette-le
loin de toi. »
Il y avait, autour de la table, uif pey de
surprise, et Pedro, qui goariait, regardait
Mongobert avec des clignements d'yeux
qui semblaient dire : « Eh! bien, mais
votre Russe?.. Il est toqué, votre Russe!»
Pedro eût parlé tout haut et Platoff eût
entendu qu'il n'eût pas répondu plus vite,
avec son sourire bizarre :
— Vous m'avez demandé ce-que c'était
que les Colombes blanches. Je raconte. Je
ne juge pas.
— Mais, dit Pedro, vos Skoptzy, ils
achètent les enfants, et ils font leur bon-
heur, comme vous dites, en les empê-
chant de devenir des hommes. Crac ! un
coup de hachette! La sainte Russie de-
vient la chapelle Sixtine. Et avec ça ils
leur prouvent que le bonheur est dans
le mysticisme maladif dont vous nous
parlez !
— Et si bien, répondit Platoff, que fies
petits mutilés grandissent sans jamais ré-
véler qu'ils sont eunuques, et que, si on
les arrache aux Skoptzy avant la mutila-
tion, ils se châtrent eux-mêmes, joyeux,
et se font les missionnaires de l'idée de
néant! Messieurs, mais songez donc à
cette chose extraordinairement exquise :
ne pas naître! Il est déjà consolant de se
dire qu'on n'existera plus, qu'il ne sera
pas plus question de vous, dans un temps
donné, que d'un puceron; mais enfin on
a vécu et, par conséquent, souffert, peu
ou beaucoup. Tandis que si on n'était pas
né !. Aucune peine pour en finir 1 N'être
pas né, c'est si simple !
Il riait doucement, mais d'un rire silen-
cieux, ne laissant pas deviner s'il parlait
sérieusement* >v
— Ce n'est pas si bête, cette théorie-là 1
dit Mongobert dans la fumée de sa
pipe. ,
— Fichtre, je ne trouve pas ! s'écria
Pedro. Encore un coup, moi j'aime la vie!
Bien boire, bien manger, bien aimer,
bien dormir, c'est déjà vénérable, je sup-
pose ! Je ne crache pas dessus, ça m'a-
muse!
— Les autres, fit Serge Platoff sur le
même ton, ça les ennuie, voilà tout!
— Combette disait tout à l'heure que
les Colombes blanches sont les hystéri-
ques russes. C'est tout à fait ça, dit Pe-
dro. Nous avons ici une hystérique célèbre,
Geneviève, qui, un jour, sans raison, s'est
enlevé complètement, avec des ciseaux,
le bout du sein gauche. Lt elle prétend
qu'elle n'en a ressenti aucune douleur.
— Aucune ?
— Aucune. Ça lui a même fait plaisir.
Hémiatiesthésieducôlé gauche. La Skoptzy
sans le savoir! vaudeville. ou drame.
— Ah ! dit Platoff, je n'aurais pas cru
qu'une Française aurait ce courage-là !
Combette se mit à rire :
— Merci pour nos compatriotes!
— Oh! vous savez, nos femmes, fit en-
core Serge en souriant, ce sont des sau-<
vages, des Cosaques! Voilà ce aue ie vou<
lais dire 1
JULES CLARSTIS*:
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