Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1870-02-09
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 09 février 1870 09 février 1870
Description : 1870/02/09 (N267). 1870/02/09 (N267).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75314805
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
N' 267. - Mercredi 9 février 1870.
---
Le numéro : V. Départements : 90 Õ.
90 pkwtâle - an - 78. — - H* M7.
aBDAOTIO.
S'adresser à M. ALBERT BARBIEUX*
De 3 à 7 h. du soir
18, rue de Valoii, 18,
Lq manuscrits non insérés ne seront pas rendus,
- MM. CH. LAGRANGE, CERF ET C'
6, place de la Boorse, 6.
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IfcjHjJ BQsaBgQHppP^ ^BS8BI^B8
7M 99E SHft dl H^flk BsBM- H Rm HH BHI
AMxramvxw
S'adresser à M. AUGUSTE PANIS
10
ABONNEMENTS
PARIS
Un mois. 5 na
Tî ois mois. 13 50
DÉPARTEHEIfTS
Un mois. ; ; ; 6 t
Trois mois. 16 »
BUREAUX
15, boulevard Montmartre, 15,
(. i/.- NÉE ET LA NUIT
LA SÉANCE
al qui passe pour être bien
informé des intentions du pouvoir,
avait déclaré qu'on était décidé à la
apolitique de résistance». Il nous semble
aujourd'hui qu'on ne reculerait même pas
devant lapolitique de provocation.
La séance de la chambre a ouvert
douloureusement cette douloureuse
journée.
Rochefort avait été « invité » par le
parquet à se constituer prisonnier hier
lundi. Il n'en arrivait pas moins à la
chambre au commencement de la
séance.
Presque aussitôt M. Crémieux a de-
mandé à M. Ollivier s'il était vrai que
l'arrestation de Rochefort fût résolue.
- Je ferai mon devoir ! a répondu
avec sa solennité accoutumée M. le garde
des sceaux.
M. Crémieux a réclamé alors et obtenu
de la chambre la permission d'interpel-
ler, séance tenante, le ministre sur la
légalité et la convenance de cette dé-
cision.
Il l'a fait, savamment et dignement, en
jurisconsulte et en parlementaire. Il a
invoqué les droits et les priviléges du
corps législatif et de chacun de ses mem-
bres. La chambre a autorisé les pour-
suites contre Rochefort, mais elle n'a
pas autorisé son arrestation. Le minis-
tère ne peut sans cette autorisation,
porter la main sur un mandataire du
peuple.
M. Emmanuel Arago, après M. Cré-
mieux, a repris cette thèse de droit
et d'équit é.
La réponse de M. Emile Ollivier a
voulu affecter de laisser de côté la ques-
tion personnelle.
H ne s'agit pas pour lui de Rochefort !
il ne nomme pas Roehefort ! il ne con-
naît pas Rochefoit! Il n'a devant lui
qu'un citoyen soumis au droit commun,
du moment où la chambre lui a retiré
l'immunité parlementaire. Ce citoyen
, est condamné. Dès lors, lui, garde des
seeaux, il fait exécuter la loi envers lui
comme envers tout autre.
M. Ollivier a omis pourtant d'expli-
quer pourquoi il fait arrêter le député
Rochefort, quand il laisse encore libres
les citoyens Paschal Grousset et De-
reure, condamnés en même temps que
Rochefort, à la même peine et pour
le même délit.
Mais il ne descend pas à ces dé-
tails. Le ministre de la justice doit
prendre les choses de plus haut, et
n'entend parler que de la justice.
té fait est que ce procureur n'a parlé
que de la légalité, — ce qui n'est pas
tout à fait la même chose.
C'est Gambetta qui a réellement éle-
vé et agrandi le débat, et qui, laissant la
légalité, le code, les textes et le règle-
ment, a abordé la vraie, la grande ques-
tion, la question politique.
Le procès fait à Rochefort est un pro-
cès politique, la chambre qui l'a au-
torisé a pris une résolution politique,
la magistrature a rendu un jugement
politique.
Donc, c'est à la raison politique de
l'assemblée que s'est adressé M. Gam-
betta. Et il a supplié la chambre de sur-
seoir à l'exécution d'un jugement qui'
va laisser 40,000 électeurs sans re-
présentant.
Jamais l'admirable talent de M. Gam-
betta n'a eu plus de vigueur et plus d'é-
clat que dans ce beau discours d'une
argumentation serrée, puissante, invin-
cible. La majorité elle-même a été sur-
prise, a été saisie. Nous avons vu le
moment où elle allait applaudir.
M. Ollivier, ne pouvant réfuter ce
formidable adversaire, a répondu à un
adversaire fictif, et s'est donné le facile
avantage de pulvériser quoi ? la raison
d'Etat, dont Gambetta n'avait pas
soufflé mot. Ah ! il l'a bien arrangée,
cette raison d'Etat, immorale, chan-
geante, inique !
Gambetta n'a eu qu'à lui répon-
dre, en souriant, qu'il méprisait et
détestait la raison d'Etat plus que lui.
N'importe! M. Ollivier avait obtenu
de la majorité son succès à lui, sur
ce thème sans doute préparé d'avance.
Là-dessus, on est allé aux voix, et la
ch^mbi^ ..repoussant l'ordre du joup
motivé de Gambetta, a adopté l'ordre du
jour pur et simple par 191 voix contre 45.
C'est ainsi que, pour la seconde fois,
la majorité frelatée des candidats offi-
ciels a condamné et annulé le représen-
tant le plus sincère du suffrage univer-
sel, élu malgré la presse et malgré l'op.
position elle-même par le peuple, seul
souverain.
PAUL MEURIC.
A LA SORTIE DE LA CHAMBRE
Les Débats nous donnent les détails
de ce qui s'est passé à l'issue de la
séance :
A l'issue de la géance, lorsque M. Rochefort
est arrivé dans la salle de la Paix, il a été
abordé par un grand nombre d'amis, qui lui
ont conseillé de sortir par la place Bourgogne.
Il a refusé; on l'a entouré, et on l'a accom-
pagné jusqu'à la grille du quai d'Orsay. M. Ro-
chefort, donnant le bras à M. Ordinaire, dépu-
té du Doubs, a quitté la salle de la Paix, pré-
cédé, accompagné et suivi non-seulement
d'amis et de journalis'es, mais aussi d'un grand
nombre de députés appartenant aux diverses
fractions de la chambre, poussés par un mo-
tif de simple curiosité.
Ce groupe assez compacte marchait lente-
ment arrivé près de la salle d'attente, il s'est
arrêté pendant quelques secondes, cioyant
(ainsi qu'on en avait fait courir le bruit) que
c'était là que se trouvaient le commissaire et
les inspecteurs de police qui devaient mettre
le député de la ire circonscription en état
d'arrestation.
Ou a traversé ensuite la cour du Palais Bour-
bon. « Voilà le fiacre du commissaire ! » répé-
tait-on de divers côtés en désignant des voi-
tures. Mais tout cela était inexact. En sortant
de la grille, M. Rochefort s'est écrié : « Eh
bien! puisqu'ils ne m'arrêtent pas, je vais
monter en voiture! i)
M. Léon Gambetta, qui se trouvait dans un
fiacre, a appelé son collègue. A ce moment,
quelques cris de vive Rochefort ! ont été pro-
férés. M. Rochefort a serré la main de M. Gam-
betta, et, en lui disant adieu, il a laissé échap-
per cette exclamation : « C'est étrange, ils ne
m'ont pas arrêté. Je n'y comprends rien ! »
M. Rochefort, accompagné de M. Germain
Casse et de dux rédacteurs du journal la Mar-
seillaise, est monté dans une voiture. Sur l'ob-
servation de plusieurs amis qui lui conseillè-
rent de ne pas se rendre aux bureaux de la
Marseillaise, il a donné l'ordre au cocher de le
conduire rue de Provence, 57, et le fiacre qui
emmenait le député de la t re circonscription
gagna le pont de la C ncorde.
ENLÈVEMENT DE ROCHEFORT PAR LA POLICE
Nous ne disons pas arrestation, -
nous disons enlèvement.
Rochefort a été réellement enlevé
hier soir à huit heures et emie, enlevé
au milieu d'une foule qui lui était en-
thousiaste et dévouée, enlevé dans la
circonscription même qu'il représente à
la chambre, enlevé par une ruse mêlée
de violence qui ne restera pas un des
moindres hauts faits de l'histoire déjà
si pleine de la police sous le second em-
pire.
Voici comment s'est accompli ce grand
exploit :
Une conférence sur Voltaire par Ro-
chefort et Flourens était annoncée pour
huit heures à la salle tle la rue de
Flandres.
Dès six heures, la salle est envahie
par une foule compacte, tout émue et
toute frémissante. — Le bruit de ce qui
s'était passé à la séance s'est rapide-
ment répandu dans toute la première
circonscription. Plusieurs milliers de
personnes stationnent à la porte. De
nombreuses escouades de sergents de
ville sont échelonnées aux abords de la
salle.
A sept heures et demie, huit ou dix
mille ouvriers encombrent la rue et la
foule augmente toujours. La police es-
saye de rétablir la circulation, mais elle
ne peut y parvenir.
A huit heures, une masse innombra-
ble, entassée sur la chaussée, jette à
chaque instant des cris formidables de :
Vive Rochefort !
Quatre nouvelles escouades de ser-
gents de ville arrivent. Les cris redou-
blent.
Les sergents de ville réussissent à oc-
cuper tout le côté gauche de la rue, où
se trouve la salle de réunion : la foule
ne peut plus se mouvoir que sur la chaus-
sée et le trottoir de droite.
-
A huit heures et quelques minutes,
Flourens ouvre la séance. Il accepte la
présidence provisoire, en attendant l'ar-
rivée de Rochefort. Il dit en quelque^
mots émus que cfb ilouveau la chambre,
par le vote de l'ordre du jour, semble
avoir autorisé moralement l'arrestation
de Rochefort ; mais Flourens ne peut
pas, il ne veut pas croire que l'ordre
d'arrestation soit exécuté. Rochefort a
promis de venir, Rochefort viendra.
En effet à huit heures et demie, la voi-
ture qui amenait Rochefort î s'engage
dans la rue de Flandres. A trente ou
quarante pas de l'entrée de la salle, la
foule est si serrée que Rochefort est
obligé de descendre.
Une immense acclamation de Vive
Rochefort! accueille le député de la pre-
mière circonscription.
Rochefort est entouré, saisi par vingt
bras, et emporté sur les épaules de pré-
tendus hommes du peuple vers la salle
de réunion, en suivant, comme nous
l'avons dit, le côté droit de la chaus-
sée.
-«*■<
Ici une description des lieux est néces-
saire pour faire comprendre la manœu-
vre de la police et Tarrestation de Ro-
chefort au milieu de cette foule.
La rue de Flandres donne sur le bou-
levard de la Villette, et s'étend parallè-
lement au quai de Seine qui longe le
canal. Les deux parallèles sont reliées
par une espèce de passage fermé à ?es
deux extrémités de portes à grilles de
bois. Chaque extrémité a son concierge.
Le passage se trouve, sur le côté
droit de la rue, juste en face de la salle
des réunions, qui porte le n° EH. Vers
le milieu de ce passage est un commis-
sariat de police. Deux groupes d'agents
de police en uniforme se tiennent de
chaque côté de la porte du passage qui
donne sur la rue de Flandres.
Et quand Rochefort, — porté par ces
ouvriers plus ou moins sincères qui
criaient : Vive Rochefort ! plus haut que
les autres, — arrive à la hauteur du
passage, voici le mouvement rapide qui
se fait : les deux groupes d'agents de
police se referment sur Rochefort
et ses porteurs, et les entraînent vers
le passage, dont ils referment aussitôt
la porte.
Rochefort était pris.
L'agent de sûreté, Mélin, s'approche
de lui. <
— Vous êtes M. Rochefort?
- Oui.
- Au nom de la loi, je vous arrête.
Aussitôt les agents saisissent Roche-
fort et le forcent à marcher avec eux
dans le passage, qu'on avait eu soin de
faire entièrement évacuer. Il n'y avait
plus là que de la police.
Dn ignore donc ce qui s'est passé.
Rochefort n'aura sans doute pas tenté
une résistance absolument inutile. Ce-
pendant un citoyen qui l'a vu arriver, à
l'autre extrémité du passage donnant
sur le quai de Seine, nous dit qu'il était
pâle et tout haletant, qu'il n'avait
plus son chapeau et que ses habits
étaient en désordre. Deux sergents de
ville le tenaient vigoureusement par le
bras, aidés et suivis par toute une es-
couade d'agents, les mains sur les
épaules les uns des autres, pour former
et rétrécir un cercle infranchissable.
Près de la porte du passage sur le
quai, qui était fermée, un agent se dé-
tache et ordonne à la concierge d'ou-
vrir.
La bonne femme, ahurie, effrayée,
va trop lentement au gré de ces mes-
sieurs de la police. Ils la pressent, la
bousculent, la poussent vers la porte,
qu'elle leur ouvre enfin toute tremblante.
A onze heures, elle était au lit, malade,
contusionnée, et se remettant à peine
d'une violente attaque de nerfs.
Depuis sept heures, une voiture at-
tendait sur le quai. La police connais-
sait cette issue ignorée de la foule. Le
quai était aussi désert que la rue était
fourmillante: On jette Rochefort dans
la voiture qui part au galop, se dirigeant
vers Sainte-Pélagie.
Quand, sur la rue de Flandres, la
foule indignée est parvenue à forcer la
porte, il n'était plus temps, la voiture
était déjà loin.
C'est seulement alors qu'on est venu
apporter à la réunion que présidait
Flourens, la nouvelle de l'arrestation
du député de la Seine.
LES INCIDENTS DE LA SOIRÉE
Rochefort était prisonnier. Le but
principal de la police était atteint. Si
maintenant une émeute, une collision
pouvait se produire, qui nécessitât une
réaction plus ou moins violente, et jus-
tifiât cette a politique de résistance » an-"
noncée par M. Duvernois, la journée se-
rait complète ! Dirons-nous qu'on a tout
fait pour amener ce résultat? il est du
moins permis de croire qu'on a fait peu
de chose pour l'empêcher.
Avant, pendant et après l'arresta-
tion de Rochefort, que se passait-il dans
la réunion ?
Le bureau constitué, — il se compo-
sait de Flourens président, Millière et
Debaumont assesseurs, -le citoyen De-
baumont prend la parole.
Il dit : — a Voltaire a été enfermé à la
Bastille. Il ne faut plus que nous en lais-
sions embastiller d'autres, ni à Mazas,
ni à Sainte-Pélagie. »
Avertissement du commissaire de po-
lice. L'assemblée proteste.
Le citoyen Debaumont continue, mais
presque aussitôt un second avertisse-
ment l'arrête. La foule se récrie par
une immense et formidable acclamation.
Le commissaire dissout la réunion.
Au même instant, la nouvelle de l'ar-
restation de Rochefort arrive dans la
allé.
C'est alors qu'un membre de la réu-
nion mettant la main sur l'épaule du
commissaire de police, le déclare tout
haut prisonnier et otage.
Acte de prudence et de générosité à la
fois. Faire le commissaire prisonnier,
c'est, en même temps, le soustraire à la
colère de la foule menaçante et l'empê-
cher d'aller requérir la force pour faire
évacuer la salle.
Mais on va voir que cette dernière
précaution était bien inutile. L'assem-
blée sort d'elle-même en criant : « Déli-
vrons Roehefort ! » Tous se répandent
dans la rue, gardée, nous l'avons dit,
par une armée de sergents de ville.
Le citoyen qui a d'abord arrêté le com-
missaire le tifent toujours d'une maiu
ferme. Mais sans doute les sergents
de ville vont le dégager et le délivrer?
Non : sur on ne sait quel Qrdre, ils ou-
vrent leurs rangs serrés et se rangent
comme en haie sur les deux trottoirs
pour laisser passer le cortége emmenant
son prisonnier.
La colonne, en criant, remonte la rue
de Flandres, prend ensuite la rue de Cri-
mée, le boulevard Palikao, la rue de la
Villette, la rue de Paris à Belleville et
descend la rue du Faubourg-du-Temple.
A la hauteur du n° 40, elle arrête et
renverse deux omnibus et commence une
barricade.
Mais cette barricade à peine ébauchée
est abandonnée aussitôt, et peu de temps
après les sergents de ville ont pu remi-
ser les deux omnibus dans une cour voi-
sine.
Dix heures. — On nous dit qu'il y a
une foule énorme aux abords delà Mar-
seillaise. Nous traversons la rue d'Abou-
kir. Presque personne. Quelques grou-
pes seulement stationnent sur le trottoir
et causent de l'arrestation de Roche-
fort.
, Nous arrivons à la Porte-Saint-Denis.
Beaucoup de monde. On dirait que
totte cette foule attend le passage de
quelque cortège. Calme absolu d'ail-
leurs.
Nous remontons toute la rue du Fau-
bourg-Saint-Denis , presque déserte.
Toutefois, presque toutes les fenêtres
éclairées, et des têtes de curieux à cha-
que étage, sans doute pour voir passer
les escadrons de gardes de Paris, au
grand galop de leurs chevaux.
Arrivés en haut du faubourg, nous
nous trouvons en face d'un détachement
de la garde de Paris.
Les groupes deviennent plus nom-
breux, à mesure que nous avançons dans
la direction de la Villette.
Nous suivons le boulevard de la Vil-
lette. Les fenêtres toutes éclairées et
garnies de curieux. Des nuées de ser-
gents de ville sur les trottoirs.
Un peu plus loin, solitude complète.
Nuit noire. On entend des rumeurs con-
fuses. Tout à coup une bande de gens
courant en toute hâte font signe d'arrê-
terxà notre cocher.
- Descenoez de voiture, nous crie-t-
on. Vous ne pouvez aller plus loin.
— Pourquoi donc?
— Les sergents de ville ont dégainé
et bousculent la foule. On arrête les voi-
tures.
iTous descendons.
Onze heures. — A la hauteur de la rue
de la Chopinette, nous entendons très
distinctement les roulements de tam-
bours. Le bruit se rapproche. On fait
les trois sommations. Nous ne distin-
guons dans la nuit que des gens qui
courent en tous sens.
Nous suivons la rue du Buisson-
Saint-Louis, et nous arrivons à la rue
du Faubourg-du-Temple, où la foule est
énorme, mais parfaitement calme. On
nous raconte que les voitures qui avaient
été disposées en barricade sur trois
points, au bas de la rue du Fau-
bourg-du-Temple, auprès du boulevard
Puebla, et dans le haut de la rue de
Paris, sont rentrées sous les remises
des passages, dont le quartier est sil-
lonné.
On aurait entendu trois coups de feu.
Tirés par qui ? Peut-être des coups en
l'air.
AUTRE RÉCIT
Minuit. — Autour de la caserne
du Prince-Eugène, stationne une foule
nombreuse, avide d'apprendre ce qui
se passe. Tout le faubourg du Temple
est aussi encombré.
A la hauteur de la rue Saint-Maur,
notre voiture est entourée de tous côtés
par des blouses blanches. On nous crie:
« Arrêtez! vous n'irez pas plus loin.
Qui êtes-vous? »
Nous répondons que nous sommes du
Rappel et que nous venons aux nou-
velles. On nous force à descendre. Quel-
ques-uns de ces hommes à blouses blan-
ches, sinon neuves, au moins très pro-
pres, trop propres, nous disent:
« Commandez-nous, donnez-nous des
armes ! «
Mais deux ou trois ouvriers beau-
coup plus vraisemblables se mettent
à nos côtés, écartent le groupe sus-
pect, et nous arrivons avec eux à l'en-
trée dé la rue de Paris, - plongée dans
une obscurité profonde. Là, se dresse
une barricade : un omnibus, plusieurs
fiacres, et des pavés entassés.
Là encore, sous nos yeux, les mêmes
blouses blanches défoncent la devanture
d'un magasin, malgré les - cris - des
ouvriers qui leur disent :
— Vous n'êtes point des électeurs !
Vous n'êtes point des républicains !.
Mais ils sont les moins nombreux et
ne peuvent rien empêcher.
Bientôt après, débouche la troupe;
500 gardes de Paris à cheval, et 500
hommes à pied.
Ils arrivent à la barricade, — et ne
trouvent personne derrière.
Une partie de la cavalerie déblaye les
grands boulevards. La nuée des sergents
de ville exécute alors ses charges accou-
tumées, l'épée nue et le casse-tête levé.
Nous voyons assommer et blesser beau-
coup de personnes à côté de nous. Qua-
re sommations sont faites.
En redescendant nous apercevons aux
fenêtres de la caserne du Prince-Eugène
les soldats tout prêts à sortir.
Partout la même foule.
Sur le boulevard, vis-à-vis Brébant,
deux escadrons de gardes de Paris à
cheval, un bataillon à pied et toujours
nombre de blouses blanches très pro-
pres.
Minuit et demi. — Nous redescendons
la rue du Faubourg-du-Temple. La
tranquillité des groupes est touj ours la
même. Et toujours beaucoup de monde
aux fenêtres.
Auprès du canal, une foule de ser-
gents de ville. -
La caserne du Prince-Eugène offre un
aspect d'une animation extraordinaire.
Les officiers et sous-officiers en grand
nombre se promènent sur le trottoir qui
longe la caserne. Ils sont en tenue et
semblent attendre un ordre.
Aux portes Saint-Denis et Saint-Mar-
tin, les mêmes rangées de badauds qui
regardent curieusement les voitures qui
passent.
Une heure. — Boulevard Montmartre,
on assiège les derniers kiosques ouverts
pour avoir des nouvelles par les der-
nières éditions des journaux : ceux-ci
ne parlent que de la séance de la cham-
bre. Pas je détails de la soirée. Les ser-
gents de ville circulent par bandes de
dix à douze.
-
Deux heures. — Foule persistj^të&uf l
les points principaux] du fauboi irg du
Temple et de Bellvill On apporti&^dfr
art d'e 81). a.mbdj a
- velles à la préfecture de police où MJ&i
Emile Ollivier et Chevandier de Val
drôme se tiennent comme en leur qua
tier général.
Le maréchal Canrobert attend de son
côté, prêt à commander tous les « Rrran»
imaginables.
On prétend que la fabrique d'armes
de M. Lefaucheux, rue Lafayettet a été
envahie. On y aurait pris cinq cents re
volvers.
Trois heures. - Les ministres sont
aux Tuileries.
DERNIÈRES NOUVELLES
Six heures. — Les abords de la
Marseillaise, rue d'Aboukir, sont gar-
dés à vue par nombre d'agents en bour-
geois qui ne laissent sortir personne
MM. Paschal Grousset et Habeneck
restept seuls dans les bureaux, en quel-
que sorte prisonniers.
MM. Raoul Rigault et Gaston Da.
costa, qui ont voulu retourner à leur
domicile, ont été brutalement saisis et
arrêtés.
Sept hew'es:- Notre collaborateur,
Léon Guillet, sort des bureaux du Rap-
pel, pour aller vérifier l'exactitude
d'un fait qui vient de nous être si- -
gnalé : on nous dit qu'un grand nombre
de sergents de ville et de mouchards,
armés de solides bâtons, stationne de-
vant les bureaux de la Marseillaise.
Un porteur de journaux qui se pré-
sente est rudoyé. 0 ) lui répond qu'on
ne passe pas, qu'il n'y a pas de Marseil-
laisematin, etc. Il faut voir ces bru-
talités-là de près.
Notre collaborateur les voit de plu.
près qu'il ne pensait.
A peine arrivé dans la rue d'Aboukir
il aperçoit les gens à mine suspecte in.
diqués. Il va droit à la porte de l'im.
primerie Towne. Là, il est arrêté.
- Que demandez-vous ?
- Je vais aux bureaux de la Marseil-
laise voir si le journal a paru.
- Ah! très bien. C'est ce que nous
pensions.
— Mais.
— Venez par ici.
Et trois agents entrainent M. Léon
Guillet, escortés, comme renfort, de
deux sergents de ville. Ils le prennent
par le bras de force, malgré les obser-
vations très calmes de notre collabora-
rateur et le rudoient comme un simple
ivrogne qu'on ramasserait dans les rues.
Ainsi arrêté, notre rédacteur arrive au
poste de la rue Drouot. Là, on le fouille
littéralement, on lui enlève ses papiers
sa bourse, tout ce qu'il porte sur lui.
tln le fait s'asseoir à côté de plu-
sieurs autres personnes arrêtées sans
doute aussi illégalement. La première
figure qu'il aperçoit est une figure de
connaissance, celle de notre collabora-
teur Grandier qui est là depuis deux
heures. Comme on s'aperçoit qu'ils cau-
sent ensemble, on les sépare par des
sergents de ville. Vraiment c'est brutal,
et bien inutile.
Enfin, après quelques rudoiements, M.
Léon Guillet, qui n'a attendu qu'une
heure environ, subit un interrogatoire
du commissaire de police, interrogatoire
convenable d'ailleurs et contrastant
singulièrement avec l'espèce de mot
d'ordre des agents subalternes.
Il était temps. M. Léon Guillet est re3
mis en liberté, sans avoir pu compren-
dre, encore à l'heure qu'il est, le motif
de son arrestation. Nous attendons la
mise en liberté de notre collaborateur
Grandier.
A. Barbieux.
LA PETITE GUERRE
Il les avait pourtant bien tués. Il avait
creusé profondément leurs fosses, le jeune
empire! Il les avait enfermés dans ce
champ sinistre où dorment les réputa-
tions évanouies et les gloires oubliées. Il
les avait frappés au cœur, le général com-
me le tribun, le tribun comme le ministre.
Et M. Guizot dormait à côté d'Odilon et
Odilon à côté du général Changarnier. n.
dormaient, ces champions de l'orléanisme,
groupe admirable, phalange glorieuse, nou-
velle famille Kinck !
Et, après le crime, il s'en était allé,
lui, la bêche sur l'épaule, tranquille, et
sifflant un air d'Offenbach. Il était allé
rejoindre au cabaret les hommes nou.
veaux, ses amis et ses complices, les
---
Le numéro : V. Départements : 90 Õ.
90 pkwtâle - an - 78. — - H* M7.
aBDAOTIO.
S'adresser à M. ALBERT BARBIEUX*
De 3 à 7 h. du soir
18, rue de Valoii, 18,
Lq manuscrits non insérés ne seront pas rendus,
- MM. CH. LAGRANGE, CERF ET C'
6, place de la Boorse, 6.
hmhmhb 8B9MBSHSN9BMIM CSMHMMHBHfilw OMM fHHP8 £ 8SBBRb^ IHBHHHB
IfcjHjJ BQsaBgQHppP^ ^BS8BI^B8
7M 99E SHft dl H^flk BsBM- H Rm HH BHI
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Un mois. 5 na
Tî ois mois. 13 50
DÉPARTEHEIfTS
Un mois. ; ; ; 6 t
Trois mois. 16 »
BUREAUX
15, boulevard Montmartre, 15,
(. i/.- NÉE ET LA NUIT
LA SÉANCE
al qui passe pour être bien
informé des intentions du pouvoir,
avait déclaré qu'on était décidé à la
apolitique de résistance». Il nous semble
aujourd'hui qu'on ne reculerait même pas
devant lapolitique de provocation.
La séance de la chambre a ouvert
douloureusement cette douloureuse
journée.
Rochefort avait été « invité » par le
parquet à se constituer prisonnier hier
lundi. Il n'en arrivait pas moins à la
chambre au commencement de la
séance.
Presque aussitôt M. Crémieux a de-
mandé à M. Ollivier s'il était vrai que
l'arrestation de Rochefort fût résolue.
- Je ferai mon devoir ! a répondu
avec sa solennité accoutumée M. le garde
des sceaux.
M. Crémieux a réclamé alors et obtenu
de la chambre la permission d'interpel-
ler, séance tenante, le ministre sur la
légalité et la convenance de cette dé-
cision.
Il l'a fait, savamment et dignement, en
jurisconsulte et en parlementaire. Il a
invoqué les droits et les priviléges du
corps législatif et de chacun de ses mem-
bres. La chambre a autorisé les pour-
suites contre Rochefort, mais elle n'a
pas autorisé son arrestation. Le minis-
tère ne peut sans cette autorisation,
porter la main sur un mandataire du
peuple.
M. Emmanuel Arago, après M. Cré-
mieux, a repris cette thèse de droit
et d'équit é.
La réponse de M. Emile Ollivier a
voulu affecter de laisser de côté la ques-
tion personnelle.
H ne s'agit pas pour lui de Rochefort !
il ne nomme pas Roehefort ! il ne con-
naît pas Rochefoit! Il n'a devant lui
qu'un citoyen soumis au droit commun,
du moment où la chambre lui a retiré
l'immunité parlementaire. Ce citoyen
, est condamné. Dès lors, lui, garde des
seeaux, il fait exécuter la loi envers lui
comme envers tout autre.
M. Ollivier a omis pourtant d'expli-
quer pourquoi il fait arrêter le député
Rochefort, quand il laisse encore libres
les citoyens Paschal Grousset et De-
reure, condamnés en même temps que
Rochefort, à la même peine et pour
le même délit.
Mais il ne descend pas à ces dé-
tails. Le ministre de la justice doit
prendre les choses de plus haut, et
n'entend parler que de la justice.
té fait est que ce procureur n'a parlé
que de la légalité, — ce qui n'est pas
tout à fait la même chose.
C'est Gambetta qui a réellement éle-
vé et agrandi le débat, et qui, laissant la
légalité, le code, les textes et le règle-
ment, a abordé la vraie, la grande ques-
tion, la question politique.
Le procès fait à Rochefort est un pro-
cès politique, la chambre qui l'a au-
torisé a pris une résolution politique,
la magistrature a rendu un jugement
politique.
Donc, c'est à la raison politique de
l'assemblée que s'est adressé M. Gam-
betta. Et il a supplié la chambre de sur-
seoir à l'exécution d'un jugement qui'
va laisser 40,000 électeurs sans re-
présentant.
Jamais l'admirable talent de M. Gam-
betta n'a eu plus de vigueur et plus d'é-
clat que dans ce beau discours d'une
argumentation serrée, puissante, invin-
cible. La majorité elle-même a été sur-
prise, a été saisie. Nous avons vu le
moment où elle allait applaudir.
M. Ollivier, ne pouvant réfuter ce
formidable adversaire, a répondu à un
adversaire fictif, et s'est donné le facile
avantage de pulvériser quoi ? la raison
d'Etat, dont Gambetta n'avait pas
soufflé mot. Ah ! il l'a bien arrangée,
cette raison d'Etat, immorale, chan-
geante, inique !
Gambetta n'a eu qu'à lui répon-
dre, en souriant, qu'il méprisait et
détestait la raison d'Etat plus que lui.
N'importe! M. Ollivier avait obtenu
de la majorité son succès à lui, sur
ce thème sans doute préparé d'avance.
Là-dessus, on est allé aux voix, et la
ch^mbi^ ..repoussant l'ordre du joup
motivé de Gambetta, a adopté l'ordre du
jour pur et simple par 191 voix contre 45.
C'est ainsi que, pour la seconde fois,
la majorité frelatée des candidats offi-
ciels a condamné et annulé le représen-
tant le plus sincère du suffrage univer-
sel, élu malgré la presse et malgré l'op.
position elle-même par le peuple, seul
souverain.
PAUL MEURIC.
A LA SORTIE DE LA CHAMBRE
Les Débats nous donnent les détails
de ce qui s'est passé à l'issue de la
séance :
A l'issue de la géance, lorsque M. Rochefort
est arrivé dans la salle de la Paix, il a été
abordé par un grand nombre d'amis, qui lui
ont conseillé de sortir par la place Bourgogne.
Il a refusé; on l'a entouré, et on l'a accom-
pagné jusqu'à la grille du quai d'Orsay. M. Ro-
chefort, donnant le bras à M. Ordinaire, dépu-
té du Doubs, a quitté la salle de la Paix, pré-
cédé, accompagné et suivi non-seulement
d'amis et de journalis'es, mais aussi d'un grand
nombre de députés appartenant aux diverses
fractions de la chambre, poussés par un mo-
tif de simple curiosité.
Ce groupe assez compacte marchait lente-
ment arrivé près de la salle d'attente, il s'est
arrêté pendant quelques secondes, cioyant
(ainsi qu'on en avait fait courir le bruit) que
c'était là que se trouvaient le commissaire et
les inspecteurs de police qui devaient mettre
le député de la ire circonscription en état
d'arrestation.
Ou a traversé ensuite la cour du Palais Bour-
bon. « Voilà le fiacre du commissaire ! » répé-
tait-on de divers côtés en désignant des voi-
tures. Mais tout cela était inexact. En sortant
de la grille, M. Rochefort s'est écrié : « Eh
bien! puisqu'ils ne m'arrêtent pas, je vais
monter en voiture! i)
M. Léon Gambetta, qui se trouvait dans un
fiacre, a appelé son collègue. A ce moment,
quelques cris de vive Rochefort ! ont été pro-
férés. M. Rochefort a serré la main de M. Gam-
betta, et, en lui disant adieu, il a laissé échap-
per cette exclamation : « C'est étrange, ils ne
m'ont pas arrêté. Je n'y comprends rien ! »
M. Rochefort, accompagné de M. Germain
Casse et de dux rédacteurs du journal la Mar-
seillaise, est monté dans une voiture. Sur l'ob-
servation de plusieurs amis qui lui conseillè-
rent de ne pas se rendre aux bureaux de la
Marseillaise, il a donné l'ordre au cocher de le
conduire rue de Provence, 57, et le fiacre qui
emmenait le député de la t re circonscription
gagna le pont de la C ncorde.
ENLÈVEMENT DE ROCHEFORT PAR LA POLICE
Nous ne disons pas arrestation, -
nous disons enlèvement.
Rochefort a été réellement enlevé
hier soir à huit heures et emie, enlevé
au milieu d'une foule qui lui était en-
thousiaste et dévouée, enlevé dans la
circonscription même qu'il représente à
la chambre, enlevé par une ruse mêlée
de violence qui ne restera pas un des
moindres hauts faits de l'histoire déjà
si pleine de la police sous le second em-
pire.
Voici comment s'est accompli ce grand
exploit :
Une conférence sur Voltaire par Ro-
chefort et Flourens était annoncée pour
huit heures à la salle tle la rue de
Flandres.
Dès six heures, la salle est envahie
par une foule compacte, tout émue et
toute frémissante. — Le bruit de ce qui
s'était passé à la séance s'est rapide-
ment répandu dans toute la première
circonscription. Plusieurs milliers de
personnes stationnent à la porte. De
nombreuses escouades de sergents de
ville sont échelonnées aux abords de la
salle.
A sept heures et demie, huit ou dix
mille ouvriers encombrent la rue et la
foule augmente toujours. La police es-
saye de rétablir la circulation, mais elle
ne peut y parvenir.
A huit heures, une masse innombra-
ble, entassée sur la chaussée, jette à
chaque instant des cris formidables de :
Vive Rochefort !
Quatre nouvelles escouades de ser-
gents de ville arrivent. Les cris redou-
blent.
Les sergents de ville réussissent à oc-
cuper tout le côté gauche de la rue, où
se trouve la salle de réunion : la foule
ne peut plus se mouvoir que sur la chaus-
sée et le trottoir de droite.
-
A huit heures et quelques minutes,
Flourens ouvre la séance. Il accepte la
présidence provisoire, en attendant l'ar-
rivée de Rochefort. Il dit en quelque^
mots émus que cfb ilouveau la chambre,
par le vote de l'ordre du jour, semble
avoir autorisé moralement l'arrestation
de Rochefort ; mais Flourens ne peut
pas, il ne veut pas croire que l'ordre
d'arrestation soit exécuté. Rochefort a
promis de venir, Rochefort viendra.
En effet à huit heures et demie, la voi-
ture qui amenait Rochefort î s'engage
dans la rue de Flandres. A trente ou
quarante pas de l'entrée de la salle, la
foule est si serrée que Rochefort est
obligé de descendre.
Une immense acclamation de Vive
Rochefort! accueille le député de la pre-
mière circonscription.
Rochefort est entouré, saisi par vingt
bras, et emporté sur les épaules de pré-
tendus hommes du peuple vers la salle
de réunion, en suivant, comme nous
l'avons dit, le côté droit de la chaus-
sée.
-«*■<
Ici une description des lieux est néces-
saire pour faire comprendre la manœu-
vre de la police et Tarrestation de Ro-
chefort au milieu de cette foule.
La rue de Flandres donne sur le bou-
levard de la Villette, et s'étend parallè-
lement au quai de Seine qui longe le
canal. Les deux parallèles sont reliées
par une espèce de passage fermé à ?es
deux extrémités de portes à grilles de
bois. Chaque extrémité a son concierge.
Le passage se trouve, sur le côté
droit de la rue, juste en face de la salle
des réunions, qui porte le n° EH. Vers
le milieu de ce passage est un commis-
sariat de police. Deux groupes d'agents
de police en uniforme se tiennent de
chaque côté de la porte du passage qui
donne sur la rue de Flandres.
Et quand Rochefort, — porté par ces
ouvriers plus ou moins sincères qui
criaient : Vive Rochefort ! plus haut que
les autres, — arrive à la hauteur du
passage, voici le mouvement rapide qui
se fait : les deux groupes d'agents de
police se referment sur Rochefort
et ses porteurs, et les entraînent vers
le passage, dont ils referment aussitôt
la porte.
Rochefort était pris.
L'agent de sûreté, Mélin, s'approche
de lui. <
— Vous êtes M. Rochefort?
- Oui.
- Au nom de la loi, je vous arrête.
Aussitôt les agents saisissent Roche-
fort et le forcent à marcher avec eux
dans le passage, qu'on avait eu soin de
faire entièrement évacuer. Il n'y avait
plus là que de la police.
Dn ignore donc ce qui s'est passé.
Rochefort n'aura sans doute pas tenté
une résistance absolument inutile. Ce-
pendant un citoyen qui l'a vu arriver, à
l'autre extrémité du passage donnant
sur le quai de Seine, nous dit qu'il était
pâle et tout haletant, qu'il n'avait
plus son chapeau et que ses habits
étaient en désordre. Deux sergents de
ville le tenaient vigoureusement par le
bras, aidés et suivis par toute une es-
couade d'agents, les mains sur les
épaules les uns des autres, pour former
et rétrécir un cercle infranchissable.
Près de la porte du passage sur le
quai, qui était fermée, un agent se dé-
tache et ordonne à la concierge d'ou-
vrir.
La bonne femme, ahurie, effrayée,
va trop lentement au gré de ces mes-
sieurs de la police. Ils la pressent, la
bousculent, la poussent vers la porte,
qu'elle leur ouvre enfin toute tremblante.
A onze heures, elle était au lit, malade,
contusionnée, et se remettant à peine
d'une violente attaque de nerfs.
Depuis sept heures, une voiture at-
tendait sur le quai. La police connais-
sait cette issue ignorée de la foule. Le
quai était aussi désert que la rue était
fourmillante: On jette Rochefort dans
la voiture qui part au galop, se dirigeant
vers Sainte-Pélagie.
Quand, sur la rue de Flandres, la
foule indignée est parvenue à forcer la
porte, il n'était plus temps, la voiture
était déjà loin.
C'est seulement alors qu'on est venu
apporter à la réunion que présidait
Flourens, la nouvelle de l'arrestation
du député de la Seine.
LES INCIDENTS DE LA SOIRÉE
Rochefort était prisonnier. Le but
principal de la police était atteint. Si
maintenant une émeute, une collision
pouvait se produire, qui nécessitât une
réaction plus ou moins violente, et jus-
tifiât cette a politique de résistance » an-"
noncée par M. Duvernois, la journée se-
rait complète ! Dirons-nous qu'on a tout
fait pour amener ce résultat? il est du
moins permis de croire qu'on a fait peu
de chose pour l'empêcher.
Avant, pendant et après l'arresta-
tion de Rochefort, que se passait-il dans
la réunion ?
Le bureau constitué, — il se compo-
sait de Flourens président, Millière et
Debaumont assesseurs, -le citoyen De-
baumont prend la parole.
Il dit : — a Voltaire a été enfermé à la
Bastille. Il ne faut plus que nous en lais-
sions embastiller d'autres, ni à Mazas,
ni à Sainte-Pélagie. »
Avertissement du commissaire de po-
lice. L'assemblée proteste.
Le citoyen Debaumont continue, mais
presque aussitôt un second avertisse-
ment l'arrête. La foule se récrie par
une immense et formidable acclamation.
Le commissaire dissout la réunion.
Au même instant, la nouvelle de l'ar-
restation de Rochefort arrive dans la
allé.
C'est alors qu'un membre de la réu-
nion mettant la main sur l'épaule du
commissaire de police, le déclare tout
haut prisonnier et otage.
Acte de prudence et de générosité à la
fois. Faire le commissaire prisonnier,
c'est, en même temps, le soustraire à la
colère de la foule menaçante et l'empê-
cher d'aller requérir la force pour faire
évacuer la salle.
Mais on va voir que cette dernière
précaution était bien inutile. L'assem-
blée sort d'elle-même en criant : « Déli-
vrons Roehefort ! » Tous se répandent
dans la rue, gardée, nous l'avons dit,
par une armée de sergents de ville.
Le citoyen qui a d'abord arrêté le com-
missaire le tifent toujours d'une maiu
ferme. Mais sans doute les sergents
de ville vont le dégager et le délivrer?
Non : sur on ne sait quel Qrdre, ils ou-
vrent leurs rangs serrés et se rangent
comme en haie sur les deux trottoirs
pour laisser passer le cortége emmenant
son prisonnier.
La colonne, en criant, remonte la rue
de Flandres, prend ensuite la rue de Cri-
mée, le boulevard Palikao, la rue de la
Villette, la rue de Paris à Belleville et
descend la rue du Faubourg-du-Temple.
A la hauteur du n° 40, elle arrête et
renverse deux omnibus et commence une
barricade.
Mais cette barricade à peine ébauchée
est abandonnée aussitôt, et peu de temps
après les sergents de ville ont pu remi-
ser les deux omnibus dans une cour voi-
sine.
Dix heures. — On nous dit qu'il y a
une foule énorme aux abords delà Mar-
seillaise. Nous traversons la rue d'Abou-
kir. Presque personne. Quelques grou-
pes seulement stationnent sur le trottoir
et causent de l'arrestation de Roche-
fort.
, Nous arrivons à la Porte-Saint-Denis.
Beaucoup de monde. On dirait que
totte cette foule attend le passage de
quelque cortège. Calme absolu d'ail-
leurs.
Nous remontons toute la rue du Fau-
bourg-Saint-Denis , presque déserte.
Toutefois, presque toutes les fenêtres
éclairées, et des têtes de curieux à cha-
que étage, sans doute pour voir passer
les escadrons de gardes de Paris, au
grand galop de leurs chevaux.
Arrivés en haut du faubourg, nous
nous trouvons en face d'un détachement
de la garde de Paris.
Les groupes deviennent plus nom-
breux, à mesure que nous avançons dans
la direction de la Villette.
Nous suivons le boulevard de la Vil-
lette. Les fenêtres toutes éclairées et
garnies de curieux. Des nuées de ser-
gents de ville sur les trottoirs.
Un peu plus loin, solitude complète.
Nuit noire. On entend des rumeurs con-
fuses. Tout à coup une bande de gens
courant en toute hâte font signe d'arrê-
terxà notre cocher.
- Descenoez de voiture, nous crie-t-
on. Vous ne pouvez aller plus loin.
— Pourquoi donc?
— Les sergents de ville ont dégainé
et bousculent la foule. On arrête les voi-
tures.
iTous descendons.
Onze heures. — A la hauteur de la rue
de la Chopinette, nous entendons très
distinctement les roulements de tam-
bours. Le bruit se rapproche. On fait
les trois sommations. Nous ne distin-
guons dans la nuit que des gens qui
courent en tous sens.
Nous suivons la rue du Buisson-
Saint-Louis, et nous arrivons à la rue
du Faubourg-du-Temple, où la foule est
énorme, mais parfaitement calme. On
nous raconte que les voitures qui avaient
été disposées en barricade sur trois
points, au bas de la rue du Fau-
bourg-du-Temple, auprès du boulevard
Puebla, et dans le haut de la rue de
Paris, sont rentrées sous les remises
des passages, dont le quartier est sil-
lonné.
On aurait entendu trois coups de feu.
Tirés par qui ? Peut-être des coups en
l'air.
AUTRE RÉCIT
Minuit. — Autour de la caserne
du Prince-Eugène, stationne une foule
nombreuse, avide d'apprendre ce qui
se passe. Tout le faubourg du Temple
est aussi encombré.
A la hauteur de la rue Saint-Maur,
notre voiture est entourée de tous côtés
par des blouses blanches. On nous crie:
« Arrêtez! vous n'irez pas plus loin.
Qui êtes-vous? »
Nous répondons que nous sommes du
Rappel et que nous venons aux nou-
velles. On nous force à descendre. Quel-
ques-uns de ces hommes à blouses blan-
ches, sinon neuves, au moins très pro-
pres, trop propres, nous disent:
« Commandez-nous, donnez-nous des
armes ! «
Mais deux ou trois ouvriers beau-
coup plus vraisemblables se mettent
à nos côtés, écartent le groupe sus-
pect, et nous arrivons avec eux à l'en-
trée dé la rue de Paris, - plongée dans
une obscurité profonde. Là, se dresse
une barricade : un omnibus, plusieurs
fiacres, et des pavés entassés.
Là encore, sous nos yeux, les mêmes
blouses blanches défoncent la devanture
d'un magasin, malgré les - cris - des
ouvriers qui leur disent :
— Vous n'êtes point des électeurs !
Vous n'êtes point des républicains !.
Mais ils sont les moins nombreux et
ne peuvent rien empêcher.
Bientôt après, débouche la troupe;
500 gardes de Paris à cheval, et 500
hommes à pied.
Ils arrivent à la barricade, — et ne
trouvent personne derrière.
Une partie de la cavalerie déblaye les
grands boulevards. La nuée des sergents
de ville exécute alors ses charges accou-
tumées, l'épée nue et le casse-tête levé.
Nous voyons assommer et blesser beau-
coup de personnes à côté de nous. Qua-
re sommations sont faites.
En redescendant nous apercevons aux
fenêtres de la caserne du Prince-Eugène
les soldats tout prêts à sortir.
Partout la même foule.
Sur le boulevard, vis-à-vis Brébant,
deux escadrons de gardes de Paris à
cheval, un bataillon à pied et toujours
nombre de blouses blanches très pro-
pres.
Minuit et demi. — Nous redescendons
la rue du Faubourg-du-Temple. La
tranquillité des groupes est touj ours la
même. Et toujours beaucoup de monde
aux fenêtres.
Auprès du canal, une foule de ser-
gents de ville. -
La caserne du Prince-Eugène offre un
aspect d'une animation extraordinaire.
Les officiers et sous-officiers en grand
nombre se promènent sur le trottoir qui
longe la caserne. Ils sont en tenue et
semblent attendre un ordre.
Aux portes Saint-Denis et Saint-Mar-
tin, les mêmes rangées de badauds qui
regardent curieusement les voitures qui
passent.
Une heure. — Boulevard Montmartre,
on assiège les derniers kiosques ouverts
pour avoir des nouvelles par les der-
nières éditions des journaux : ceux-ci
ne parlent que de la séance de la cham-
bre. Pas je détails de la soirée. Les ser-
gents de ville circulent par bandes de
dix à douze.
-
Deux heures. — Foule persistj^të&uf l
les points principaux] du fauboi irg du
Temple et de Bellvill On apporti&^dfr
art d'e 81). a.mbdj a
- velles à la préfecture de police où MJ&i
Emile Ollivier et Chevandier de Val
drôme se tiennent comme en leur qua
tier général.
Le maréchal Canrobert attend de son
côté, prêt à commander tous les « Rrran»
imaginables.
On prétend que la fabrique d'armes
de M. Lefaucheux, rue Lafayettet a été
envahie. On y aurait pris cinq cents re
volvers.
Trois heures. - Les ministres sont
aux Tuileries.
DERNIÈRES NOUVELLES
Six heures. — Les abords de la
Marseillaise, rue d'Aboukir, sont gar-
dés à vue par nombre d'agents en bour-
geois qui ne laissent sortir personne
MM. Paschal Grousset et Habeneck
restept seuls dans les bureaux, en quel-
que sorte prisonniers.
MM. Raoul Rigault et Gaston Da.
costa, qui ont voulu retourner à leur
domicile, ont été brutalement saisis et
arrêtés.
Sept hew'es:- Notre collaborateur,
Léon Guillet, sort des bureaux du Rap-
pel, pour aller vérifier l'exactitude
d'un fait qui vient de nous être si- -
gnalé : on nous dit qu'un grand nombre
de sergents de ville et de mouchards,
armés de solides bâtons, stationne de-
vant les bureaux de la Marseillaise.
Un porteur de journaux qui se pré-
sente est rudoyé. 0 ) lui répond qu'on
ne passe pas, qu'il n'y a pas de Marseil-
laisematin, etc. Il faut voir ces bru-
talités-là de près.
Notre collaborateur les voit de plu.
près qu'il ne pensait.
A peine arrivé dans la rue d'Aboukir
il aperçoit les gens à mine suspecte in.
diqués. Il va droit à la porte de l'im.
primerie Towne. Là, il est arrêté.
- Que demandez-vous ?
- Je vais aux bureaux de la Marseil-
laise voir si le journal a paru.
- Ah! très bien. C'est ce que nous
pensions.
— Mais.
— Venez par ici.
Et trois agents entrainent M. Léon
Guillet, escortés, comme renfort, de
deux sergents de ville. Ils le prennent
par le bras de force, malgré les obser-
vations très calmes de notre collabora-
rateur et le rudoient comme un simple
ivrogne qu'on ramasserait dans les rues.
Ainsi arrêté, notre rédacteur arrive au
poste de la rue Drouot. Là, on le fouille
littéralement, on lui enlève ses papiers
sa bourse, tout ce qu'il porte sur lui.
tln le fait s'asseoir à côté de plu-
sieurs autres personnes arrêtées sans
doute aussi illégalement. La première
figure qu'il aperçoit est une figure de
connaissance, celle de notre collabora-
teur Grandier qui est là depuis deux
heures. Comme on s'aperçoit qu'ils cau-
sent ensemble, on les sépare par des
sergents de ville. Vraiment c'est brutal,
et bien inutile.
Enfin, après quelques rudoiements, M.
Léon Guillet, qui n'a attendu qu'une
heure environ, subit un interrogatoire
du commissaire de police, interrogatoire
convenable d'ailleurs et contrastant
singulièrement avec l'espèce de mot
d'ordre des agents subalternes.
Il était temps. M. Léon Guillet est re3
mis en liberté, sans avoir pu compren-
dre, encore à l'heure qu'il est, le motif
de son arrestation. Nous attendons la
mise en liberté de notre collaborateur
Grandier.
A. Barbieux.
LA PETITE GUERRE
Il les avait pourtant bien tués. Il avait
creusé profondément leurs fosses, le jeune
empire! Il les avait enfermés dans ce
champ sinistre où dorment les réputa-
tions évanouies et les gloires oubliées. Il
les avait frappés au cœur, le général com-
me le tribun, le tribun comme le ministre.
Et M. Guizot dormait à côté d'Odilon et
Odilon à côté du général Changarnier. n.
dormaient, ces champions de l'orléanisme,
groupe admirable, phalange glorieuse, nou-
velle famille Kinck !
Et, après le crime, il s'en était allé,
lui, la bêche sur l'épaule, tranquille, et
sifflant un air d'Offenbach. Il était allé
rejoindre au cabaret les hommes nou.
veaux, ses amis et ses complices, les
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