Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1879-05-13
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 79956 Nombre total de vues : 79956
Description : 13 mai 1879 13 mai 1879
Description : 1879/05/13 (N3350). 1879/05/13 (N3350).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7530566x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/08/2012
N° 3350 — Mardi 13 Afai 1879 ILs n. s ''flii.% «— oéparlésiiento 1 t. c. 24 Floréal an 87 U* N' 33N§©'
- RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
: De i à Q heures du soir
18, nua DB VALOIS, 18
Us manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
}lM. Ch. LAGRANGE, CERF et GO
6, place rîo.la Bourse, 6
ABHIRIS'ffiâTION
18, RUE DE VALOlS, 18
~E~BMT'a
PARIS
Trois mois A 10
Six mois. 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13
iix mois. 27 V.
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE
XAoiwiisTB^kca-eâaAKT
BAISSE DE TON
Eh bien, en voilà une Laisse de ton!
pV ous vous souvenez de la manière dont
l'Univers avait pris la citation de l'ar-
: chevêque d'Aix devant le conseil
d'Etat. Citer un archevêque! Qu'est-ce
que c'était que ça, le conseil d'Etat?
:Le conseil d'Etat était « un tribunal
sans droit pour juger ». Le journal
dont le Roussel n'est pas Cadet et dont
le Loth n'a pas dans son style tout le
sel que pouvait faire espérer la statue
en laquelle a été immobilisée son
épouse, le journal de l'ex-Louis Veuillot
menaçait des « censures de l'Eglise »,
de l'excommunication, de la damnation,
des chaudières les plus bouillantes de
l'enfer, etc., « les catholiques qui pro-
nonceraient dans la cause ». Chose
étrange, le conseil d'Etat n'a pas eu
peur des chaudières que l'ex-Louis
Veuillot écume avec son beau visage,
il s'est cru en droit de juger, les catho-
liques ont prononcé dans la cause.
Alors, qu'est-ce que fait l'Univers? Il
se fâche tout rouge? il s'insurge? il se
jette à la gorge du conseil d'Etat? Non,
il s'aplatit à ses pieds.
Ce n'est pas encore tout le conseil
d'Etat qui a jugé, ce n'est qu' « une de
ses sections ». Le conseil d'Etat en son
entier, le vrai conseil d'Etat, n'a pas
encore dit son mot. Il ne le dira que
jeudi. Si, d'ici là, en le priant bien, on
pouvait obtenir qu'il dît le contraire de
ce qu'a dit sa section? C'est à lui arra-
cher cette contradiction que Y Univers
emploie sa platitude.
La section n'a pas même jugé, pré-
tend-il. Elle n'a pas jugé le fond, elle
n'a jugé que la forme. La fo-or-me!
c'est bon pour Brid'oison. Mais le fond
seul existe pour Basile. « Au fond, le
maildement de Mgr l'archevêque d'Aix
est irréprochable. » L'Univers plaide le
fond. L'Univers plaide? devant le con-
seil d'Etat? devant « un tribunal sans
droit pour juger »? Comment! sans
droit pour juger? le conseil d'Etat?
Qui est-ce qui a dit une bêtise pareille?
Mais le conseil d'Etat est « le plus haut
tribunal » ! mais le conseil d'Etat est le
tribunal « sur lequel les catholiques
comptaient pour la défense de leurs
droits », et la preuve c'est qu'ils le mena-
çaient des censures de l'Eglise s'il se
permettait « de prononcer dans une
cause où un évêque apparaissait (n'allez
pas lire : comparaissait; les évêques ne
comparaissent pas, ils apparaissent)
comme accusé » ! mais les catholiques
n'ont osé lutter contre Ferry l'Apostat
et Julien Grévy que parce qu'ils avaient
«la perspective de trouver dans le con-
seil d'Etat les juges du droit», et la
preuve, c'est qu'ils lui défendaient de
juger sous peine de prendre en enfer
un bain trop chaud.
Le journal que ses abonnés ecclésias-
tiques ont lâché pour le Figaro ne pa-
raît pas avoir une foi absolue dans sa
plaidoirie à plat ventre. Désespérant de
convaincre le cpjasej] d'Etat, il essaye
de l'attendrir. Saint conseil, d'Etat,
ayez pitié de nous! Secourez-nous,
Seigneur conseil d'Etat, ou nous péris-
sons ! « Si le plus haut tribunal vient à
défaillir, que nous restera-t-il? » La
condamnation de notre archevêque n.ous
livrera « aux francs-maçons »! (On ne
s'attendait guère à voir la franc-ma-
çonnerie dans cette affaire). La condam-
nation de notre archevêque sera «la jus-
tification du ministre ». La condamna-
tion de notre archevêque «sera un désa-
veu infligé à tout l'épiscopat, à tous les
catholiques, à tout le parti conserva-
teur pour leur opposition aux funestes
projets Ferry ».
De tout ceci, deux choses sont à
rétenir.
La première est ce fait, reconnu par
L'Univers, que la condamnation de l'ar-
chevêque d'Aix par le conseil d'Etat
sera la justification de la loi sur l'en-
seignement congréganiste et la con-
damnation de l'agitation soufflée par
les évêques. La loi aura pour elle et le
clergé aura contre lui l'arrêt du tribu-
nal que l'Univers appelle « le plus haut
de tous » et « le juge du droit ». Nous
prenons acte de cet aveu.
La seconde chose à retenir, c'est
qu'avec un peu de fermeté on fait
baisser beaucoup le ton aux cléri-
caux. Nous rappelions récemment qu'en
1828, quand une ordonnance de Char-
les X a traité les congrégations non
autori sées exactement comme les traite
la loi Ferry, les évêques jetant feu et
flammes, il a suffi pour les éteindre
qu'un journal ministériel parlât de
supprimer leur traitement. A ce grand
exemple, YUnivers en ajoute un
petit. Comme il parlait du conseil
d'Etat l'autre jour — et comme il en
parle aujourd'hui ! Comme il était
hautain et méprisant lorsqu'il croyait
encore intimider. les juges de son ar-
chevêque — et comme il a suffi qu'une
section se moquât de sa hauteur et de
son mépris pour le faire passer brus-
quement de l'insulte à la prière ! Et
quel danger court leur archevêque? Le
danger d'une condamnation pour rire,
le danger d'un arrêt qui ne lui coûtera
ni une heure de sa liberté ni un soude
son traitement, le danger d'un jugement
dont il rira dans le palais que l'Etat
lui donne avec la députation pieuse
qui lui apportera la crosse d'or de ses
fidèles et avec son clergé dont la véné-
ration en sera considérablement aug-
mentée. N'importe, c'est assez pour que
YUnivers, qui montrait les dents, tende
la patte. Si une condamnation pour rire
produit cet effet sur les plus enragés
des cléricaux, quel ne serait pas l'effet
produit sur le cléricalisme le jour où
la loi lui mettrait pour de bon la main
à l'épaule?
AUGUSTE VACQUERIE
COULISSES DE VERSAILLES
——
S'il fallait en croire certains journaux,
nous serions depuis hier en pleine crise
ministérielle, et c'est à peine si le cabinet
pourrait traverser les deux ou trois jours
qui nous séparent de la rentrée de la
Chambre pour se présenter devant celle
dernière. La situation, en réalité, est loin
d'être tendue à ce point, et, s'il y a quelques
divergences entre divers membres du
cabinet sur certains points, comme nous
allons l'expliquer, il ne s'ensuit pas que
ces divergences ne puissent s'effacer et
qu'il doive y avoir nécessairement une
dislocation du cabinet.
Les divergences dont nous parlons se
sont prod uites au sujet du projet de loi
sur la réorganisation de la préfecture de
police, qui est actuellement en prépara-
tion.
Il s'agit de savoir si l'on modifiera la lé-
gislation qui règle les rapports de la pré-
fecture de police avec le conseil municipal
d'une part, avec le pouvoir central de
l'autre.
Cette question, dont nous ne compre-
nons nullement l'utilité, a été posée, et le
cabinet veut la résoudre. -
Mais où les feuilles qui annoncent une
crise se trompent, c'est quand elles ratta-
chent cette question à celle du retour à
Paris. Ces deux questions sont absolument
distinctes, et elles n'ont aucune connexité
entre elles, même dans l'esprit du gouver-
nement. Nées à des époques différentes,
elles ont pu coexister à un certain mo-
ment, mais sans relations nécessaires en-
tre elles.
Il suffira de rappeler que la question de
la préfecture de police s'est posée au len-
demain d'un procès retentissant qui a ré-
vélé nombre d'abus dans le fonctionne-
ment de cette vaste machine administra-
tive et qui a fait sentir la nécessité de ré-
former une organisation où existaient de
tels vices. Quelques personnes ont saisi
cette occasion pour proposer, dans l'en-
tourage gouvernemental ou dans la presse,
d'enlever au conseil municipal le vote du
budget de la préfecture de police pour le
donner aux Chambres, et de rattacher les
services généraux de la préfecture de po-
lice à la sûreté générale, c'est-à-dire au
ministère de l'intérieur en ne laissant au
conseil municipal que le contrôle de la
police municipale.
Il y avait plus d'un mois qu'on agitait
ces questions lorsque s'est posée celle du
retour à Paris. Les adversaires du retour,
faisant flèche de tout bois, se sont empres-
sés de prétendre que l'organisation ac-
tuelle de la préfecture de police était un
des obstacles qui s'opposaient à la réins-
tallation du Parlement dans la capitale de
la France. C'est alors que s'est établie cette
confusion qui règno encore aujourd'hui et
que nous cherchons à dissiper par ces ex-
plications.
Si le ministère est divisé sur le fond
même de cette question de la préfecture
de police, il ne l'est pas quant à la néces-
sité de la séparer de celle du retour à Pa-
ris. M. Léon Say, en effet, lors de l'exa-
men de la proposition Peyrat dans les bu-
reaux du Sénat, avait pris soin de déclarer
que le gouvernement, tout en s'occupant
de la préparation d'un projet de loi sur la
préfecture de police, ne songeait nullement
à le rattacher au retour des Chambres à
Paris. Et le lendemain même, lorsque la
commission du Sénat chargée d'examiner
la proposition Peyrat, se réunissait au mi-
nistère des affaires étrangères pour enten-
dre MM. Waddington, Le Royer et Lepère.
ce dernier déclarait nettement, sans être
contredit par ses deux .collègues présents,
qu'il n'admettait pas qu'on subordonnât
la rentrée à Paris à la solution de la ques-
tion de la préfecture de police.
Cette dernière est donc une question
isolée, sur laquelle les membres du cabi-
net peuvent être d'avis différents, comftie
cela arrive dans tous les gouvernements
de libre discussion. Mais cette divergence
peut s'apaiser, la question d'ailleurs peut
elle-même être ajournée sans inconvé-
nient, et il ne paraît pas qu'il doive y
avoir cette grave chose que quelques-uns
appellent déjà une crise ministérielle.
Ce sont surtout MM. Lepère, de Frey-
cinet et Tirard qui s'opposent, paraît-il, à
l'idée de changer le mode de fonctionne-
ment de la préfecture. Ils prétendent avec
raison qu'il n'y a aucun motif de faire aux
représentants municipaux de Paris, et par
suite à Paris lui-même, cette injure de les
croira capables d'offrir un péril pour la
République, qui n'a jamais compté de plus
résolus défenseurs.
Surtout M. de Freycinet, qui est sénateur
de Paris, et M. Tirard, qui est député de
Paris, n'admettent pas une pareille me.
sure. Crest là qu'est l'origine du léger
conflit qu'on a voulu grossir outre mesure
dans certains journaux. La question n'a
pas encore reçu de solution ; il y aura
demain une nouvelle réunion du conseil à
laquelle assistera M. Tirard, qui n'était pas
à la séance de samedi. C'est là qu'on
tranchera définitivement la difficulté.
- —— ————— -,', ,"
Quel besoin de garanties, en ce mo-
ment, contre Paris? Sommes-nous me-
nacés par un danger quelconque? Le
conseil municipal est-il hostile à la re- ,.
présentation nationale ? Fait-il sonner le
tocsin de temps en temps? Dispose-t-il*
ce la force armée? Dit-on qu'il médite
des crimes? Eh ! bon Dieu ! il est bien
paisible, et Paris est comme lui. Pour-
quoi donc des garanties?
Pourquoi? Il serait bien difficile de
le dire. Cependant, une foule de gens
se disant graves assurent que nous en
avons besoin. Le conseil municipal
remplit, il est vrai, paisiblement sa
mission; mais qui nous dit qu'un jour
ou l'autre il rte va pas appeler le peu-
ple aux armes? Paris ne bouge point;
mais qui vous assure qu'ïl ne se cou-
vrira pas de barricades avant demain ?
Tels sont les raisonnements de ces poli-
tiques. On pourrait leur répondre tout
simplement : Qui vous affirme que la
population de Versailles, qui est fort
tranquille, n'égorgera pas les députés
et les sénateurs jeudi prochain?
Vous n'avez pas plus de motifs pour
vous défier de Paris que pour vous dé-
fier de toute autre ville, ou même que
pour vous défier de la France entière.
Si vous prenez des garanties contre Pa-
ris, prenez aussi des garanties contre
Marseille, contre Lyon, contre Bor-
deaux, contre la France. Vous n'avez
pas'de raison pour vous arrêter dans
cette voie. Il n'est pas de village qui
soit moins menaçant que Paris.
Mais, dit-on, Paris redeviendra le
siège du gouvernement. Eh bien !
après ? Paris est-il, oui ou non, répu-
blicain? Il est républicain. Votre gou-
vernement est-il, oui ou non, républi-
cain? Il est républicain. Par quelle
étrange aberration un gouvernement
républicain pourrait-il avoir peur d'une
capitale républicaine?
Si Paris était bonapartiste, si Paris
avait nommé vingt Godelle, les craintes
de quelques-uns seraient excusables.
Si Paris était ardemment clérical, on
comprendrait certaines appréhensions.
Mais voit-on que Paris soit disposé à
supplier le jeune prince, jadis impérial,
de quitter le territoire zoulou pour ve-
nir régner en Francè? Mais les proces-
sions de pèlerins sont-elles nombreuses
au Sacré-Cœur de Montmartre? Mais
entend-on souvent, dans les réunions
publiques, des protestations de dévoue-
ment au saint-père le pape?
• Paris désire le maintien du gouver-
nement actuel. Comment donc le gou-
vernement actuel aurait-il peur de
Paris? Le gouvernement actuel ne
peut, cependant, pas se défier de ses
partisans. Ce serait, vraiment, un drôle
do gouvernement que celui qui se met-
trait en garde contre ceux qui l'aiment
aussi bien que contre ceux qui ne l'ai-
ment pas !
Je sais bien que dans ces derniers
temps on a parlé avec la même horreur
des « intransigeants de gauche » et des
« intransigeants de droite ». Nous
affirmons cependant que, dans l'esprit
de celui qui parlait, les «intransigeants
do gauche » n'étaient pas nombreux.
Mais voilà que parmi eux, tout à coup,
on se mettrait à compter Paris ! Cela
deviendrait grave. On se trouverait
ainsi entraîné à faire la même guerre à
Paris qu'à l'archevêque d'Aix. C'est
pour le coup que nous déclarerions,
comme le conseil d'Etat, qu'il y a
abus !
Et puis, encore une fois, Paris est
tranquille et le conseil municipal n'est
pas un nid de conspirateurs. On ne
condamne pas les gens avant qu'ils
aient commis un délit ou un crime, et
sur le simple soupçon qu'ils peuvent en
commettre le cas échéant. Personne ne
comprendrait que, sans émeute, sans
tumulte, sans acte d'hostilité d'aucune
sorte, le gouvernement prît une mesure
qui serait une insulte à la capitale de la
France.
':', : ■ EDOUARD LOCKROY.
LES DIX-SEPT MILLIONS
Il est un point que le conseil municipal,
nous l'espérons fermement, n'oubliera
pas : c'est qu'il serait inadmissible qu'il
traitât avec le Crédit foncier, même pour
une simple réduction de son annuité, sans
obtenir, par le traité même, satisfaction au
sujet des dix-sept millions qui doivent
être restitués à la Ville pour commissions
indûment perçues sous l'empire.
Et cette satisfaction est d'autant plus
imposs ible à négliger que, par une im-
prudence assurément involontaire, mais
assurément aussi regrettable, M. le préfet
de la Seine, dans son mémoire au conseil
au sujet du remboursement à faire au
Crédit foncier, s'est exprimé dans des
termes qui, si une cause aussi sérieuse
pouvait être compromise, auraient abouti
à la compromettre.
M. le préfet de la Seine, en effet, en
exposant dans ce mémoire le traité provi-
soire qu'il avait passé avec le Crédit fon-
cier, et qui contenait l'abandon de la ré-
clamation des 17 millions, disait que « la
question à résoudre était extrêmement
délicate, et que, si la Ville se croyait fon-
dée dans son droit de restitution, le Crédit
foncier avait la conviction qu'il ne devait
rien ».
11 est de toute évidence que ce n'est
point ainsi qu'on parle ordinairement au
sujet des procès qu'on est chargé de diri-
ger; et il est bien certain que si, dans un
compte rendu à ses actionnaires, M. Chris-
tophle disait que la question des dix-sept
millions est « extrêmement délicate » et
que, si le Crédit foncier « croit » qu'il n'a
pas tort, la Ville « est convaincues qu'elle
a raison, il suffirait au conseil municipal
de lire ces expressions-là pour croire son
procès aux trois quarts gagné.
Heureusement, là-dessus, le sentiment
public a répondu tout d'un coup, et il
n'est personne, au dehors comme au de-
dans du conseil municipal, parmi tous
ceux qui s'intéressent aux affaires de la
Ville, qui pût accepter, [après la moindre
réflexion, l'abandon transactionnel que le
très honorable préfet de la Seine avait,
fort innocemment sans le moindre doute,
mais beaucoup trop hâtivement, consenti
dans son projet de traité.
Mais la conduite fnême qu'avait tenues
en cette occasion, M. Christophle, montre
suffisamment à la Ville quelle conduite'
elle doit tenir à son tour.
M. Christophle avait 'très justement
compris que, quand deux parties font':
ensemble un traité, elles ne peuvent pas
laisser en arrière une question de cette
importance. C'est pourquoi il l'avait tran-
chée, et il avait eu le bonheur de la fair*"
trancher à son profit.
C'est à la Ville maintenant de ne pas *!
entrer en pourparlers avec M. Christophio
- même sur le sujet restreint auquel se
réduisent aujourd'hui les négociations
possibles — sans lui dire qu'elle aussi elle
veut trancher la question, et, pour la
Ville, la question ne peut être tranchée
que par la reconnaissance de ses droits.
La Ville est convaincue que les dix-sept
millions lui ont été pris indûment, sous
l'emp&e. Le mot « indûment » est d'ail-
leurs un euphémisme. Le vrai mot serait
beaucoup plus sévère. Supposez que
quelqu'un, vous ayant « pris indûment M
votre argent, vînt vous proposer une af-
faire, votre premier mot ne serait-il pas :
- D'abord, restituez-vous ? Tant que vous
n'aurez pas restitué, je n'ai rien à faire
avec vous. f -n 4
Il est très vrai que, très probablement,
M. Christophle, qui n'est pas un homme très,
enclin aux concessions, refusera tojt traité
sur ces b ases. j
S'il en est ainsi, nous nous abstiendrons:
de le regretter. r>
Nous comprenons, à la rigueur, le sen-
timent qui porte la commission à se de-
mander s'il ne lui est pas possible de dé-
terminer l'économie que lui procurerait
un emprunt public, et à dire au Crédit
foncier qu'elle consentirait à s'entendre
avec lui s'il lui accordait la réduction d'in-
térêts qu'elle obtiendrait par cet emprunt
public.
Mais l'argument, au fond, est très trom-
peur; et, si l'on s'y fiait, on en arriverait
bien vite à dire, même pour des emprunts
absolument nouveaux, qu'on peut calculer
à quel prix on les obtiendrait du public, et1,
qu'on peut bien, par conséquent, traiter'
*
avec les établissements financiers qui vous'
offriraient des conditions égales, — ce qui,
en très peu de temps, conduirait à l'aban-,
don des emprunts publics, et ferait retom-'
ber dans tous les inconvénients des traités ;
amiables.
Il est vrai que, dans l'affaire présente,'
on peut répondre que, la Ville conservant, !
malgré son annuité réduite, sa faculté- de'
remboursement anticipé — ce sans quoi
aucun traité ne mériterait même d'être;
examiné — il s'ensuivrait par là même'
que la convention de réduction. d'intérêts,
si elle s'accomplissait, n'aurait qu'un ca-
ractère provisoire et ne s'opposerait pas à;
l'emprunt public qu'on pourrait faire ul-
térieurement pour rembourser effective-
ment la dette. * >'*0/
Mais cette circonstance, atténuante d'un;¡-
côté, a, de l'autre côté, l'inconvénient de
laisser subsister toujours un emprunt fu-L
tur en perspective, et il faut qu'il soit bien
entendu que, si on repousse l'emprunt
nous parlons de l'emprunt supplémen-
taire — aujourd'hui, ce n'est pas pour
se réserver l'arrière-pensée de le faire à la J
première occasion où l'on trouverait l'opi-t
nion publique moins éveillée. !
Il suit de là qu'en définitive c'est par
l'emprunt public que la Ville — même'
pour le simple remboursement des 280,
millions — doit procéder. Il est vrai que,4
si elle procède ainsi, elle ne pourra pas:
retenir les 17 millions des commissions
indues sur les 280 qu'elle rembourserai
car sa créance étant en fait, sinon en!
équité, litigieuse, elle n'a pas le droit d'o-'
pérer sa compensation de sa propre auto-
rité. Donc, dans ce cas, le procès conti-:
nuera. Mais, comme il n'y aura pas ea
traité, convention, rapprochement, accord
--.i."-
Feuilleton du RAPPEL
DU 13 MAI
.i
'¿j!< -
~.r
LÉVADÉ
ROMAN CANAQUE
CHAPITRE XIV
L'Instruction
Danclade, ayant cuvé à loisir son eau
salée, se réveilla sur le parquet incliné
d'un lit de camp infiniment moins moël-
leux que celui de l'Océan. Un léger relief
de bois où s'appuyaient ses pieds l'empê-
chait seul de glisser jusqu'à terre, sur
cette pente qu'il s'eîforçait constamment
de remonter et qu'il finissait toujours par
redescendre. Il s'aperçut que, comme la
Nouvelle-Calédonie elle-même, il était en-
touré d'eau de tous côtés. Il attribua d'a-
bord une humidité aussi étendue à cette
transpiration spéciale connue sous le nom
de sueur de la mort. Puis les é\énemenls
se r' econstituèrent dans son cerveau, il se
«g v r. -
vQU' le Rappel du 31 mars au 12 mai.
,".
rappela son plongeon et comprit qu'il
avait été jeté tout égouttant sur les plan-
ches du lit de camp, comme un noyé sur
les dalles de la Morgue.
L'inspection de son cabanon ne fut pas
longue. Pas un meuble, pas un matelas,
le plan incliné devant lui servir à la fois
de table, de chaise et de dortoir.
J'aime sur les coussins la vie horizontale,
a dit Théophile Gautier. Lui, allait être
obligé de vivre obliquement. Il allait aussi
vivre à tâtons, les hottes supprimant tout
rapport avec li lumière en même temps
qu'avec les passants. Les huit cellules qui
composaient la prison militaire de Nou-
méa étaient rangées sur une seule ligne,
côte à côte comme, des guérites, et sépa-
rées par des cloisons mi-parties bois et
mortier, qui n'eussent été qu'un faible
obstacle aux communications des prison-
niers entre eux, si un soldat, de planton
jour et nuit devant les portes de ces case-
mates, n'eût été spécialement chargé
d'arrêter dès le début toute tentative de
conversation.
A Mazas, chaque porte de cellule est
percée d'un guichet qui permet au surveil-
lant de planer continuellement du regard
sur les moindres mouvements du, détenu,
mais qui ne défend pas au détenu d'exa-
miner ce qui se passe dans le corridor.
Cette distraction même, qui n'a pourtant
rien d'exagéré, est refusée aux prisonniers
de la prison militaire à Nouméa. Personne
ne les, voit et ils ne voient personne. On y
est «bouclé» dans toute la force du terme.
D'ailleurs, porté évanoui dans son ca-
banon, Danclade ignorait du tout au tout
la topographie de la bâtisse, et n'avait
aucun soupçon des endroits plustou moins
souterrains où pouvaient être internés ses
compagnons, qui, d'autre part, ne savaient
trop si leur ami avait été tiré mort ou
vivant de son immersion volontaire par
cinquante brasses de fond. Kervalec, en
changeant son enceinte fortifiée, mais à
ciel ouvert, contre un local hermétique-
ment clos par en haut, par en bas et sur
les côtés, avait exhalé sa déception dans
cette récrimination convaincue :
— J'en étais sûr ! voilà ce que c'est que
de confier ses affaires à des Louis XV !
En pénétrant dans son cachot, Floris-
sant, qui avait joué dans le Chevalier dé
Maison-Rouge, avait congédié les gardes-
chiourmes sur le mot de Vergniaud mar-
chant au supplice : Potius mori quam fœ-
dari. Les chiourmes peu faits à la langue
de Tacite avaient supposé que le captif se
lamentait dans son idiôme natif et s'é-
taient dit à part eux :
— C'est un étranger. Il paraît qu'il y en
avait beaucoup dans la Commune.
Quant à Chauffat, il avait immédiate-
ment tâté les planches du lit de camp pour
s'assurer' si elles ne pourraient pas servir
à la construction d'un nouveau bateau.
Tout ce qui concerne la déportation
étant du ressort de la juridiction mili-
taire, c'était le conseil de guerre siégeant
'dans^la
prononcer sur le sort des quatre évadants;
le cinquième, le petit Glardon, ayant pré-
féré la juridiction des requins. Les officiers
coloniaux, qui ont d'ordinaire peu de be-
sogne à se mettre sous la dent, donnèrent
à ce procès, en lui-même si simple, une
importance insolite. La présence de Dan-
clade dans l'affaire en développait l'intérêt
d'autant. p
La Gazette officielle de Nouméa insinua
discrètement que le projet de fuite des
« cinq importants condamnés de l'insur-
rection de 1871 » datait de longue main.
Inutile d'ajouter que cette main d'une
longueur si remarquable était celle de
l'Internationale. Un navire de quatre cent
mille tonneaux, monté par douze cent
mille hommes d'équipage, avait été frété
tout exprès pour la délivrance du célèbre
agitateur Danclade. Deux mille cinq cents
canons de sept, provenant du siége de Pa-
ris et achetés en secret à la Prusse (car il
y avait une seconde main dans le complot,
celle de la Prusse) devait protéger l'em-
barquement.
A la moindre résistance, le navire et
ses douze cent mille hommes d'équipage
marchaient droit sur l'île No u, où sont case-
matés plus de huit mille forçats, brisaient
leurs fers et les transportaient à Nouméa
même qu'ils mettaient naturellement à feu
et à sang.
La vigilance et l'énergie de l'autorité
avaient détruit ce plan odieux qu'elle sui-
vait pas à pas depuis longtemps. Le navire
toute vapeur pour l'Europe. Les frais im-
menses nécessités par cette audacieuse
entreprise se trouvaient ainsi inutiles. La
caisse de l'Internationale ne s'en relèverait
pas.
Sur cette donnée, les récits allaient leur
train. On commença par fermer la loge
maçonnique. Quand un événement extra-
ordinaire éclate quelque part, on ferme la
loge maçonnique, c'est de rigueur. Ce qui
ne fut pas moins rigoureux, c'est l'arres-
tation de quatre malheureux colons, dont
l'innocence faisait peine à voir. Après
huit jours du secret le plus absolu dans la
maison d'arrêt de la ville, ils prouvèrent,
par des démonstrations si flagrantes, leur
ignorance totale du navire de quatre cent
mille tonneaux et des deux mille cinq
cents canons de sept achetés sournoise-
ment à la Prusse, que l'administration,
éclairée sur leur irréprochable conduite,
se contenta de les expulser de la colonie,
en leur accordant toutefois quatre jours
pour vendre leurs propriétés.
Pendant que ces divers fils s'embrouil-
laient, Danclade souffrait un martyre au-
près duquel tous les moustiques pullulant
dans sa cellule ne pouvaient entrer en
ligne de compte. Il était convaincu qu'Hu-
bert le pirate avait bavardé, et qu'en con-
séquence Armande avait été mise en état
d'arrestation. La prison pour un homme
politique est un accident. Pour une
femme c'est presque.une souillure. Il y a
dans la surveillance et la curiosité dont
«elle. l'objet! toute uj^e |^rig.
à la pudeur. Bien qu'ordinairement gar-j
dée par des femmes, elle est toujours in-
terrogée et jugée par des hommes. , II,
semble que le respect du sexe opposéauJ
nôtre se dérobe en face de la prisonnièré,
C'est en lui que l'homme possède sa di
gnité, c'est sur elle que la femme porte:
la sienne. Qui certifiait à Danclade qu'unei
fois Armande entre leurs mains, ses geô;j
liers ne la fouilleraient pas comme .unej
voleuse et ne la traiteraient pas comme,
une fille? >
11 la savait courageuse, et ne doutait
pas qu'elle ne fût prête à tout souffrir]
pour lui; mais lui n'en souffrait que plus
vivement pour elle. 'î<~
Il aurait sacrifié une somme exorbitantef
pour une conversation de cinq minutes
avec le planton qui lui balayait sa chambre
et lui apportait sa pitance, en même temps
que les suppléments qu'en sa qualité dit
prévenu il était autorisé à acheter. Mais ce
fournisseur ne l'approchait qu'escorté d
deux soldats surveillés eux-mêmes par un
caporal, qui devait être incorruptible
comme la plupart des caporaux. Rien,n'es
douloureusement bizarre comme la situa-
tion d'un détenu qui cherche à savoir satfs
avoir l'air d'interroger. Il observe, ilsondej
il flaire, il tire parti d'une grimace, intem
prète un hochement de tête; mais l'impas
sibilité disciplinaire laissait herm^qj^
ment clos le champ des conjectures. t(
UN EVADE
(A suivre)
- RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
: De i à Q heures du soir
18, nua DB VALOIS, 18
Us manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
}lM. Ch. LAGRANGE, CERF et GO
6, place rîo.la Bourse, 6
ABHIRIS'ffiâTION
18, RUE DE VALOlS, 18
~E~BMT'a
PARIS
Trois mois A 10
Six mois. 20 »
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 13
iix mois. 27 V.
Adresser lettres et mandats
A M. ERNEST LEFÈVRE
XAoiwiisTB^kca-eâaAKT
BAISSE DE TON
Eh bien, en voilà une Laisse de ton!
pV ous vous souvenez de la manière dont
l'Univers avait pris la citation de l'ar-
: chevêque d'Aix devant le conseil
d'Etat. Citer un archevêque! Qu'est-ce
que c'était que ça, le conseil d'Etat?
:Le conseil d'Etat était « un tribunal
sans droit pour juger ». Le journal
dont le Roussel n'est pas Cadet et dont
le Loth n'a pas dans son style tout le
sel que pouvait faire espérer la statue
en laquelle a été immobilisée son
épouse, le journal de l'ex-Louis Veuillot
menaçait des « censures de l'Eglise »,
de l'excommunication, de la damnation,
des chaudières les plus bouillantes de
l'enfer, etc., « les catholiques qui pro-
nonceraient dans la cause ». Chose
étrange, le conseil d'Etat n'a pas eu
peur des chaudières que l'ex-Louis
Veuillot écume avec son beau visage,
il s'est cru en droit de juger, les catho-
liques ont prononcé dans la cause.
Alors, qu'est-ce que fait l'Univers? Il
se fâche tout rouge? il s'insurge? il se
jette à la gorge du conseil d'Etat? Non,
il s'aplatit à ses pieds.
Ce n'est pas encore tout le conseil
d'Etat qui a jugé, ce n'est qu' « une de
ses sections ». Le conseil d'Etat en son
entier, le vrai conseil d'Etat, n'a pas
encore dit son mot. Il ne le dira que
jeudi. Si, d'ici là, en le priant bien, on
pouvait obtenir qu'il dît le contraire de
ce qu'a dit sa section? C'est à lui arra-
cher cette contradiction que Y Univers
emploie sa platitude.
La section n'a pas même jugé, pré-
tend-il. Elle n'a pas jugé le fond, elle
n'a jugé que la forme. La fo-or-me!
c'est bon pour Brid'oison. Mais le fond
seul existe pour Basile. « Au fond, le
maildement de Mgr l'archevêque d'Aix
est irréprochable. » L'Univers plaide le
fond. L'Univers plaide? devant le con-
seil d'Etat? devant « un tribunal sans
droit pour juger »? Comment! sans
droit pour juger? le conseil d'Etat?
Qui est-ce qui a dit une bêtise pareille?
Mais le conseil d'Etat est « le plus haut
tribunal » ! mais le conseil d'Etat est le
tribunal « sur lequel les catholiques
comptaient pour la défense de leurs
droits », et la preuve c'est qu'ils le mena-
çaient des censures de l'Eglise s'il se
permettait « de prononcer dans une
cause où un évêque apparaissait (n'allez
pas lire : comparaissait; les évêques ne
comparaissent pas, ils apparaissent)
comme accusé » ! mais les catholiques
n'ont osé lutter contre Ferry l'Apostat
et Julien Grévy que parce qu'ils avaient
«la perspective de trouver dans le con-
seil d'Etat les juges du droit», et la
preuve, c'est qu'ils lui défendaient de
juger sous peine de prendre en enfer
un bain trop chaud.
Le journal que ses abonnés ecclésias-
tiques ont lâché pour le Figaro ne pa-
raît pas avoir une foi absolue dans sa
plaidoirie à plat ventre. Désespérant de
convaincre le cpjasej] d'Etat, il essaye
de l'attendrir. Saint conseil, d'Etat,
ayez pitié de nous! Secourez-nous,
Seigneur conseil d'Etat, ou nous péris-
sons ! « Si le plus haut tribunal vient à
défaillir, que nous restera-t-il? » La
condamnation de notre archevêque n.ous
livrera « aux francs-maçons »! (On ne
s'attendait guère à voir la franc-ma-
çonnerie dans cette affaire). La condam-
nation de notre archevêque sera «la jus-
tification du ministre ». La condamna-
tion de notre archevêque «sera un désa-
veu infligé à tout l'épiscopat, à tous les
catholiques, à tout le parti conserva-
teur pour leur opposition aux funestes
projets Ferry ».
De tout ceci, deux choses sont à
rétenir.
La première est ce fait, reconnu par
L'Univers, que la condamnation de l'ar-
chevêque d'Aix par le conseil d'Etat
sera la justification de la loi sur l'en-
seignement congréganiste et la con-
damnation de l'agitation soufflée par
les évêques. La loi aura pour elle et le
clergé aura contre lui l'arrêt du tribu-
nal que l'Univers appelle « le plus haut
de tous » et « le juge du droit ». Nous
prenons acte de cet aveu.
La seconde chose à retenir, c'est
qu'avec un peu de fermeté on fait
baisser beaucoup le ton aux cléri-
caux. Nous rappelions récemment qu'en
1828, quand une ordonnance de Char-
les X a traité les congrégations non
autori sées exactement comme les traite
la loi Ferry, les évêques jetant feu et
flammes, il a suffi pour les éteindre
qu'un journal ministériel parlât de
supprimer leur traitement. A ce grand
exemple, YUnivers en ajoute un
petit. Comme il parlait du conseil
d'Etat l'autre jour — et comme il en
parle aujourd'hui ! Comme il était
hautain et méprisant lorsqu'il croyait
encore intimider. les juges de son ar-
chevêque — et comme il a suffi qu'une
section se moquât de sa hauteur et de
son mépris pour le faire passer brus-
quement de l'insulte à la prière ! Et
quel danger court leur archevêque? Le
danger d'une condamnation pour rire,
le danger d'un arrêt qui ne lui coûtera
ni une heure de sa liberté ni un soude
son traitement, le danger d'un jugement
dont il rira dans le palais que l'Etat
lui donne avec la députation pieuse
qui lui apportera la crosse d'or de ses
fidèles et avec son clergé dont la véné-
ration en sera considérablement aug-
mentée. N'importe, c'est assez pour que
YUnivers, qui montrait les dents, tende
la patte. Si une condamnation pour rire
produit cet effet sur les plus enragés
des cléricaux, quel ne serait pas l'effet
produit sur le cléricalisme le jour où
la loi lui mettrait pour de bon la main
à l'épaule?
AUGUSTE VACQUERIE
COULISSES DE VERSAILLES
——
S'il fallait en croire certains journaux,
nous serions depuis hier en pleine crise
ministérielle, et c'est à peine si le cabinet
pourrait traverser les deux ou trois jours
qui nous séparent de la rentrée de la
Chambre pour se présenter devant celle
dernière. La situation, en réalité, est loin
d'être tendue à ce point, et, s'il y a quelques
divergences entre divers membres du
cabinet sur certains points, comme nous
allons l'expliquer, il ne s'ensuit pas que
ces divergences ne puissent s'effacer et
qu'il doive y avoir nécessairement une
dislocation du cabinet.
Les divergences dont nous parlons se
sont prod uites au sujet du projet de loi
sur la réorganisation de la préfecture de
police, qui est actuellement en prépara-
tion.
Il s'agit de savoir si l'on modifiera la lé-
gislation qui règle les rapports de la pré-
fecture de police avec le conseil municipal
d'une part, avec le pouvoir central de
l'autre.
Cette question, dont nous ne compre-
nons nullement l'utilité, a été posée, et le
cabinet veut la résoudre. -
Mais où les feuilles qui annoncent une
crise se trompent, c'est quand elles ratta-
chent cette question à celle du retour à
Paris. Ces deux questions sont absolument
distinctes, et elles n'ont aucune connexité
entre elles, même dans l'esprit du gouver-
nement. Nées à des époques différentes,
elles ont pu coexister à un certain mo-
ment, mais sans relations nécessaires en-
tre elles.
Il suffira de rappeler que la question de
la préfecture de police s'est posée au len-
demain d'un procès retentissant qui a ré-
vélé nombre d'abus dans le fonctionne-
ment de cette vaste machine administra-
tive et qui a fait sentir la nécessité de ré-
former une organisation où existaient de
tels vices. Quelques personnes ont saisi
cette occasion pour proposer, dans l'en-
tourage gouvernemental ou dans la presse,
d'enlever au conseil municipal le vote du
budget de la préfecture de police pour le
donner aux Chambres, et de rattacher les
services généraux de la préfecture de po-
lice à la sûreté générale, c'est-à-dire au
ministère de l'intérieur en ne laissant au
conseil municipal que le contrôle de la
police municipale.
Il y avait plus d'un mois qu'on agitait
ces questions lorsque s'est posée celle du
retour à Paris. Les adversaires du retour,
faisant flèche de tout bois, se sont empres-
sés de prétendre que l'organisation ac-
tuelle de la préfecture de police était un
des obstacles qui s'opposaient à la réins-
tallation du Parlement dans la capitale de
la France. C'est alors que s'est établie cette
confusion qui règno encore aujourd'hui et
que nous cherchons à dissiper par ces ex-
plications.
Si le ministère est divisé sur le fond
même de cette question de la préfecture
de police, il ne l'est pas quant à la néces-
sité de la séparer de celle du retour à Pa-
ris. M. Léon Say, en effet, lors de l'exa-
men de la proposition Peyrat dans les bu-
reaux du Sénat, avait pris soin de déclarer
que le gouvernement, tout en s'occupant
de la préparation d'un projet de loi sur la
préfecture de police, ne songeait nullement
à le rattacher au retour des Chambres à
Paris. Et le lendemain même, lorsque la
commission du Sénat chargée d'examiner
la proposition Peyrat, se réunissait au mi-
nistère des affaires étrangères pour enten-
dre MM. Waddington, Le Royer et Lepère.
ce dernier déclarait nettement, sans être
contredit par ses deux .collègues présents,
qu'il n'admettait pas qu'on subordonnât
la rentrée à Paris à la solution de la ques-
tion de la préfecture de police.
Cette dernière est donc une question
isolée, sur laquelle les membres du cabi-
net peuvent être d'avis différents, comftie
cela arrive dans tous les gouvernements
de libre discussion. Mais cette divergence
peut s'apaiser, la question d'ailleurs peut
elle-même être ajournée sans inconvé-
nient, et il ne paraît pas qu'il doive y
avoir cette grave chose que quelques-uns
appellent déjà une crise ministérielle.
Ce sont surtout MM. Lepère, de Frey-
cinet et Tirard qui s'opposent, paraît-il, à
l'idée de changer le mode de fonctionne-
ment de la préfecture. Ils prétendent avec
raison qu'il n'y a aucun motif de faire aux
représentants municipaux de Paris, et par
suite à Paris lui-même, cette injure de les
croira capables d'offrir un péril pour la
République, qui n'a jamais compté de plus
résolus défenseurs.
Surtout M. de Freycinet, qui est sénateur
de Paris, et M. Tirard, qui est député de
Paris, n'admettent pas une pareille me.
sure. Crest là qu'est l'origine du léger
conflit qu'on a voulu grossir outre mesure
dans certains journaux. La question n'a
pas encore reçu de solution ; il y aura
demain une nouvelle réunion du conseil à
laquelle assistera M. Tirard, qui n'était pas
à la séance de samedi. C'est là qu'on
tranchera définitivement la difficulté.
- —— ————— -,', ,"
Quel besoin de garanties, en ce mo-
ment, contre Paris? Sommes-nous me-
nacés par un danger quelconque? Le
conseil municipal est-il hostile à la re- ,.
présentation nationale ? Fait-il sonner le
tocsin de temps en temps? Dispose-t-il*
ce la force armée? Dit-on qu'il médite
des crimes? Eh ! bon Dieu ! il est bien
paisible, et Paris est comme lui. Pour-
quoi donc des garanties?
Pourquoi? Il serait bien difficile de
le dire. Cependant, une foule de gens
se disant graves assurent que nous en
avons besoin. Le conseil municipal
remplit, il est vrai, paisiblement sa
mission; mais qui nous dit qu'un jour
ou l'autre il rte va pas appeler le peu-
ple aux armes? Paris ne bouge point;
mais qui vous assure qu'ïl ne se cou-
vrira pas de barricades avant demain ?
Tels sont les raisonnements de ces poli-
tiques. On pourrait leur répondre tout
simplement : Qui vous affirme que la
population de Versailles, qui est fort
tranquille, n'égorgera pas les députés
et les sénateurs jeudi prochain?
Vous n'avez pas plus de motifs pour
vous défier de Paris que pour vous dé-
fier de toute autre ville, ou même que
pour vous défier de la France entière.
Si vous prenez des garanties contre Pa-
ris, prenez aussi des garanties contre
Marseille, contre Lyon, contre Bor-
deaux, contre la France. Vous n'avez
pas'de raison pour vous arrêter dans
cette voie. Il n'est pas de village qui
soit moins menaçant que Paris.
Mais, dit-on, Paris redeviendra le
siège du gouvernement. Eh bien !
après ? Paris est-il, oui ou non, répu-
blicain? Il est républicain. Votre gou-
vernement est-il, oui ou non, républi-
cain? Il est républicain. Par quelle
étrange aberration un gouvernement
républicain pourrait-il avoir peur d'une
capitale républicaine?
Si Paris était bonapartiste, si Paris
avait nommé vingt Godelle, les craintes
de quelques-uns seraient excusables.
Si Paris était ardemment clérical, on
comprendrait certaines appréhensions.
Mais voit-on que Paris soit disposé à
supplier le jeune prince, jadis impérial,
de quitter le territoire zoulou pour ve-
nir régner en Francè? Mais les proces-
sions de pèlerins sont-elles nombreuses
au Sacré-Cœur de Montmartre? Mais
entend-on souvent, dans les réunions
publiques, des protestations de dévoue-
ment au saint-père le pape?
• Paris désire le maintien du gouver-
nement actuel. Comment donc le gou-
vernement actuel aurait-il peur de
Paris? Le gouvernement actuel ne
peut, cependant, pas se défier de ses
partisans. Ce serait, vraiment, un drôle
do gouvernement que celui qui se met-
trait en garde contre ceux qui l'aiment
aussi bien que contre ceux qui ne l'ai-
ment pas !
Je sais bien que dans ces derniers
temps on a parlé avec la même horreur
des « intransigeants de gauche » et des
« intransigeants de droite ». Nous
affirmons cependant que, dans l'esprit
de celui qui parlait, les «intransigeants
do gauche » n'étaient pas nombreux.
Mais voilà que parmi eux, tout à coup,
on se mettrait à compter Paris ! Cela
deviendrait grave. On se trouverait
ainsi entraîné à faire la même guerre à
Paris qu'à l'archevêque d'Aix. C'est
pour le coup que nous déclarerions,
comme le conseil d'Etat, qu'il y a
abus !
Et puis, encore une fois, Paris est
tranquille et le conseil municipal n'est
pas un nid de conspirateurs. On ne
condamne pas les gens avant qu'ils
aient commis un délit ou un crime, et
sur le simple soupçon qu'ils peuvent en
commettre le cas échéant. Personne ne
comprendrait que, sans émeute, sans
tumulte, sans acte d'hostilité d'aucune
sorte, le gouvernement prît une mesure
qui serait une insulte à la capitale de la
France.
':', : ■ EDOUARD LOCKROY.
LES DIX-SEPT MILLIONS
Il est un point que le conseil municipal,
nous l'espérons fermement, n'oubliera
pas : c'est qu'il serait inadmissible qu'il
traitât avec le Crédit foncier, même pour
une simple réduction de son annuité, sans
obtenir, par le traité même, satisfaction au
sujet des dix-sept millions qui doivent
être restitués à la Ville pour commissions
indûment perçues sous l'empire.
Et cette satisfaction est d'autant plus
imposs ible à négliger que, par une im-
prudence assurément involontaire, mais
assurément aussi regrettable, M. le préfet
de la Seine, dans son mémoire au conseil
au sujet du remboursement à faire au
Crédit foncier, s'est exprimé dans des
termes qui, si une cause aussi sérieuse
pouvait être compromise, auraient abouti
à la compromettre.
M. le préfet de la Seine, en effet, en
exposant dans ce mémoire le traité provi-
soire qu'il avait passé avec le Crédit fon-
cier, et qui contenait l'abandon de la ré-
clamation des 17 millions, disait que « la
question à résoudre était extrêmement
délicate, et que, si la Ville se croyait fon-
dée dans son droit de restitution, le Crédit
foncier avait la conviction qu'il ne devait
rien ».
11 est de toute évidence que ce n'est
point ainsi qu'on parle ordinairement au
sujet des procès qu'on est chargé de diri-
ger; et il est bien certain que si, dans un
compte rendu à ses actionnaires, M. Chris-
tophle disait que la question des dix-sept
millions est « extrêmement délicate » et
que, si le Crédit foncier « croit » qu'il n'a
pas tort, la Ville « est convaincues qu'elle
a raison, il suffirait au conseil municipal
de lire ces expressions-là pour croire son
procès aux trois quarts gagné.
Heureusement, là-dessus, le sentiment
public a répondu tout d'un coup, et il
n'est personne, au dehors comme au de-
dans du conseil municipal, parmi tous
ceux qui s'intéressent aux affaires de la
Ville, qui pût accepter, [après la moindre
réflexion, l'abandon transactionnel que le
très honorable préfet de la Seine avait,
fort innocemment sans le moindre doute,
mais beaucoup trop hâtivement, consenti
dans son projet de traité.
Mais la conduite fnême qu'avait tenues
en cette occasion, M. Christophle, montre
suffisamment à la Ville quelle conduite'
elle doit tenir à son tour.
M. Christophle avait 'très justement
compris que, quand deux parties font':
ensemble un traité, elles ne peuvent pas
laisser en arrière une question de cette
importance. C'est pourquoi il l'avait tran-
chée, et il avait eu le bonheur de la fair*"
trancher à son profit.
C'est à la Ville maintenant de ne pas *!
entrer en pourparlers avec M. Christophio
- même sur le sujet restreint auquel se
réduisent aujourd'hui les négociations
possibles — sans lui dire qu'elle aussi elle
veut trancher la question, et, pour la
Ville, la question ne peut être tranchée
que par la reconnaissance de ses droits.
La Ville est convaincue que les dix-sept
millions lui ont été pris indûment, sous
l'emp&e. Le mot « indûment » est d'ail-
leurs un euphémisme. Le vrai mot serait
beaucoup plus sévère. Supposez que
quelqu'un, vous ayant « pris indûment M
votre argent, vînt vous proposer une af-
faire, votre premier mot ne serait-il pas :
- D'abord, restituez-vous ? Tant que vous
n'aurez pas restitué, je n'ai rien à faire
avec vous. f -n 4
Il est très vrai que, très probablement,
M. Christophle, qui n'est pas un homme très,
enclin aux concessions, refusera tojt traité
sur ces b ases. j
S'il en est ainsi, nous nous abstiendrons:
de le regretter. r>
Nous comprenons, à la rigueur, le sen-
timent qui porte la commission à se de-
mander s'il ne lui est pas possible de dé-
terminer l'économie que lui procurerait
un emprunt public, et à dire au Crédit
foncier qu'elle consentirait à s'entendre
avec lui s'il lui accordait la réduction d'in-
térêts qu'elle obtiendrait par cet emprunt
public.
Mais l'argument, au fond, est très trom-
peur; et, si l'on s'y fiait, on en arriverait
bien vite à dire, même pour des emprunts
absolument nouveaux, qu'on peut calculer
à quel prix on les obtiendrait du public, et1,
qu'on peut bien, par conséquent, traiter'
*
avec les établissements financiers qui vous'
offriraient des conditions égales, — ce qui,
en très peu de temps, conduirait à l'aban-,
don des emprunts publics, et ferait retom-'
ber dans tous les inconvénients des traités ;
amiables.
Il est vrai que, dans l'affaire présente,'
on peut répondre que, la Ville conservant, !
malgré son annuité réduite, sa faculté- de'
remboursement anticipé — ce sans quoi
aucun traité ne mériterait même d'être;
examiné — il s'ensuivrait par là même'
que la convention de réduction. d'intérêts,
si elle s'accomplissait, n'aurait qu'un ca-
ractère provisoire et ne s'opposerait pas à;
l'emprunt public qu'on pourrait faire ul-
térieurement pour rembourser effective-
ment la dette. * >'*0/
Mais cette circonstance, atténuante d'un;¡-
côté, a, de l'autre côté, l'inconvénient de
laisser subsister toujours un emprunt fu-L
tur en perspective, et il faut qu'il soit bien
entendu que, si on repousse l'emprunt
nous parlons de l'emprunt supplémen-
taire — aujourd'hui, ce n'est pas pour
se réserver l'arrière-pensée de le faire à la J
première occasion où l'on trouverait l'opi-t
nion publique moins éveillée. !
Il suit de là qu'en définitive c'est par
l'emprunt public que la Ville — même'
pour le simple remboursement des 280,
millions — doit procéder. Il est vrai que,4
si elle procède ainsi, elle ne pourra pas:
retenir les 17 millions des commissions
indues sur les 280 qu'elle rembourserai
car sa créance étant en fait, sinon en!
équité, litigieuse, elle n'a pas le droit d'o-'
pérer sa compensation de sa propre auto-
rité. Donc, dans ce cas, le procès conti-:
nuera. Mais, comme il n'y aura pas ea
traité, convention, rapprochement, accord
--.i."-
Feuilleton du RAPPEL
DU 13 MAI
.i
'¿j!< -
~.r
LÉVADÉ
ROMAN CANAQUE
CHAPITRE XIV
L'Instruction
Danclade, ayant cuvé à loisir son eau
salée, se réveilla sur le parquet incliné
d'un lit de camp infiniment moins moël-
leux que celui de l'Océan. Un léger relief
de bois où s'appuyaient ses pieds l'empê-
chait seul de glisser jusqu'à terre, sur
cette pente qu'il s'eîforçait constamment
de remonter et qu'il finissait toujours par
redescendre. Il s'aperçut que, comme la
Nouvelle-Calédonie elle-même, il était en-
touré d'eau de tous côtés. Il attribua d'a-
bord une humidité aussi étendue à cette
transpiration spéciale connue sous le nom
de sueur de la mort. Puis les é\énemenls
se r' econstituèrent dans son cerveau, il se
«g v r. -
vQU' le Rappel du 31 mars au 12 mai.
,".
rappela son plongeon et comprit qu'il
avait été jeté tout égouttant sur les plan-
ches du lit de camp, comme un noyé sur
les dalles de la Morgue.
L'inspection de son cabanon ne fut pas
longue. Pas un meuble, pas un matelas,
le plan incliné devant lui servir à la fois
de table, de chaise et de dortoir.
J'aime sur les coussins la vie horizontale,
a dit Théophile Gautier. Lui, allait être
obligé de vivre obliquement. Il allait aussi
vivre à tâtons, les hottes supprimant tout
rapport avec li lumière en même temps
qu'avec les passants. Les huit cellules qui
composaient la prison militaire de Nou-
méa étaient rangées sur une seule ligne,
côte à côte comme, des guérites, et sépa-
rées par des cloisons mi-parties bois et
mortier, qui n'eussent été qu'un faible
obstacle aux communications des prison-
niers entre eux, si un soldat, de planton
jour et nuit devant les portes de ces case-
mates, n'eût été spécialement chargé
d'arrêter dès le début toute tentative de
conversation.
A Mazas, chaque porte de cellule est
percée d'un guichet qui permet au surveil-
lant de planer continuellement du regard
sur les moindres mouvements du, détenu,
mais qui ne défend pas au détenu d'exa-
miner ce qui se passe dans le corridor.
Cette distraction même, qui n'a pourtant
rien d'exagéré, est refusée aux prisonniers
de la prison militaire à Nouméa. Personne
ne les, voit et ils ne voient personne. On y
est «bouclé» dans toute la force du terme.
D'ailleurs, porté évanoui dans son ca-
banon, Danclade ignorait du tout au tout
la topographie de la bâtisse, et n'avait
aucun soupçon des endroits plustou moins
souterrains où pouvaient être internés ses
compagnons, qui, d'autre part, ne savaient
trop si leur ami avait été tiré mort ou
vivant de son immersion volontaire par
cinquante brasses de fond. Kervalec, en
changeant son enceinte fortifiée, mais à
ciel ouvert, contre un local hermétique-
ment clos par en haut, par en bas et sur
les côtés, avait exhalé sa déception dans
cette récrimination convaincue :
— J'en étais sûr ! voilà ce que c'est que
de confier ses affaires à des Louis XV !
En pénétrant dans son cachot, Floris-
sant, qui avait joué dans le Chevalier dé
Maison-Rouge, avait congédié les gardes-
chiourmes sur le mot de Vergniaud mar-
chant au supplice : Potius mori quam fœ-
dari. Les chiourmes peu faits à la langue
de Tacite avaient supposé que le captif se
lamentait dans son idiôme natif et s'é-
taient dit à part eux :
— C'est un étranger. Il paraît qu'il y en
avait beaucoup dans la Commune.
Quant à Chauffat, il avait immédiate-
ment tâté les planches du lit de camp pour
s'assurer' si elles ne pourraient pas servir
à la construction d'un nouveau bateau.
Tout ce qui concerne la déportation
étant du ressort de la juridiction mili-
taire, c'était le conseil de guerre siégeant
'dans^la
prononcer sur le sort des quatre évadants;
le cinquième, le petit Glardon, ayant pré-
féré la juridiction des requins. Les officiers
coloniaux, qui ont d'ordinaire peu de be-
sogne à se mettre sous la dent, donnèrent
à ce procès, en lui-même si simple, une
importance insolite. La présence de Dan-
clade dans l'affaire en développait l'intérêt
d'autant. p
La Gazette officielle de Nouméa insinua
discrètement que le projet de fuite des
« cinq importants condamnés de l'insur-
rection de 1871 » datait de longue main.
Inutile d'ajouter que cette main d'une
longueur si remarquable était celle de
l'Internationale. Un navire de quatre cent
mille tonneaux, monté par douze cent
mille hommes d'équipage, avait été frété
tout exprès pour la délivrance du célèbre
agitateur Danclade. Deux mille cinq cents
canons de sept, provenant du siége de Pa-
ris et achetés en secret à la Prusse (car il
y avait une seconde main dans le complot,
celle de la Prusse) devait protéger l'em-
barquement.
A la moindre résistance, le navire et
ses douze cent mille hommes d'équipage
marchaient droit sur l'île No u, où sont case-
matés plus de huit mille forçats, brisaient
leurs fers et les transportaient à Nouméa
même qu'ils mettaient naturellement à feu
et à sang.
La vigilance et l'énergie de l'autorité
avaient détruit ce plan odieux qu'elle sui-
vait pas à pas depuis longtemps. Le navire
toute vapeur pour l'Europe. Les frais im-
menses nécessités par cette audacieuse
entreprise se trouvaient ainsi inutiles. La
caisse de l'Internationale ne s'en relèverait
pas.
Sur cette donnée, les récits allaient leur
train. On commença par fermer la loge
maçonnique. Quand un événement extra-
ordinaire éclate quelque part, on ferme la
loge maçonnique, c'est de rigueur. Ce qui
ne fut pas moins rigoureux, c'est l'arres-
tation de quatre malheureux colons, dont
l'innocence faisait peine à voir. Après
huit jours du secret le plus absolu dans la
maison d'arrêt de la ville, ils prouvèrent,
par des démonstrations si flagrantes, leur
ignorance totale du navire de quatre cent
mille tonneaux et des deux mille cinq
cents canons de sept achetés sournoise-
ment à la Prusse, que l'administration,
éclairée sur leur irréprochable conduite,
se contenta de les expulser de la colonie,
en leur accordant toutefois quatre jours
pour vendre leurs propriétés.
Pendant que ces divers fils s'embrouil-
laient, Danclade souffrait un martyre au-
près duquel tous les moustiques pullulant
dans sa cellule ne pouvaient entrer en
ligne de compte. Il était convaincu qu'Hu-
bert le pirate avait bavardé, et qu'en con-
séquence Armande avait été mise en état
d'arrestation. La prison pour un homme
politique est un accident. Pour une
femme c'est presque.une souillure. Il y a
dans la surveillance et la curiosité dont
«elle. l'objet! toute uj^e |^rig.
à la pudeur. Bien qu'ordinairement gar-j
dée par des femmes, elle est toujours in-
terrogée et jugée par des hommes. , II,
semble que le respect du sexe opposéauJ
nôtre se dérobe en face de la prisonnièré,
C'est en lui que l'homme possède sa di
gnité, c'est sur elle que la femme porte:
la sienne. Qui certifiait à Danclade qu'unei
fois Armande entre leurs mains, ses geô;j
liers ne la fouilleraient pas comme .unej
voleuse et ne la traiteraient pas comme,
une fille? >
11 la savait courageuse, et ne doutait
pas qu'elle ne fût prête à tout souffrir]
pour lui; mais lui n'en souffrait que plus
vivement pour elle. 'î<~
Il aurait sacrifié une somme exorbitantef
pour une conversation de cinq minutes
avec le planton qui lui balayait sa chambre
et lui apportait sa pitance, en même temps
que les suppléments qu'en sa qualité dit
prévenu il était autorisé à acheter. Mais ce
fournisseur ne l'approchait qu'escorté d
deux soldats surveillés eux-mêmes par un
caporal, qui devait être incorruptible
comme la plupart des caporaux. Rien,n'es
douloureusement bizarre comme la situa-
tion d'un détenu qui cherche à savoir satfs
avoir l'air d'interroger. Il observe, ilsondej
il flaire, il tire parti d'une grimace, intem
prète un hochement de tête; mais l'impas
sibilité disciplinaire laissait herm^qj^
ment clos le champ des conjectures. t(
UN EVADE
(A suivre)
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.5%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.5%.
- Collections numériques similaires Marat Jean Paul Marat Jean Paul /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Marat Jean Paul" or dc.contributor adj "Marat Jean Paul")
- Auteurs similaires Marat Jean Paul Marat Jean Paul /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Marat Jean Paul" or dc.contributor adj "Marat Jean Paul")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7530566x/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7530566x/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7530566x/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7530566x/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7530566x
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7530566x
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7530566x/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest