Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1879-04-03
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 03 avril 1879 03 avril 1879
Description : 1879/04/03 (N3310). 1879/04/03 (N3310).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7530526d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/08/2012
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Trois mois 10 » Tro y Viois ]3!3(
Six illois 20 » ËL~ liais 21 i
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A M. EnNEET EFb E
A D MI NIS T RA T 1 £ l. R - G t R A T
L'AJOURNEMENT
Il reviendra-z-à Pâques, ou à la Tri.
'nité. Pourvu que la Trinité ne se pagse
pas sans qu'il revienne ! Je parle du pro-
jet de loi sur la question de Paris. Mieux
vaut tard que jamais; ça n'empêche
"tpas tôt de valoir mieux que tard. Mais
il faut entrer dans les raisons des
gens.
Il paraît que la question n'est pas à
terme. Il faut le temps de la réflexion.
Il faut qu'on s'informe, qu'on se ren-
seigne, qu'on fasse une enquête. Les
centregauchers ne peuvent pourtant
pas voter le retour à Paris sans s'infor-
mer de ce que c'est que Paris. Qu'est-
ce que c'est que ça, Paris ? Il y a tout un
côté du Sénat qui répond : "— Connais
pas ! Donnez-moi au moins quelques
semaines pour l'apprendre. Dans quel-
ques semaines, je vous répondrai. Les
vacances de Pâques me feront un peu
de loisir, j'étudierai, je m'instruirai,
j'irai à la recherche de cette ville in-
connue que vous appelez Paris, je la
trouverai peut-être, je verrai si elle
est habitable, si elle est peuplée
d'hommes ou de bêtes féroces, et, dans
le cas où elle offrirait des conditions de
sécurité suffisantes et où nous aurions
la certitude qu'elle ne passerait pas sa
vie à nous dévorer, il ne serait pas im-
possible que nous finissions par con-
sentir à y élire domicile.
Donc, le Sénat a besoin de quelques
semaines pour faire connaissance avec
Paris. Et l'on peut, sans témérité trop
grande, espérer qu'en quelques semai-
nes il découvrira que Paris n'est pas en
Amérique, que Versailles n'est pas
Washington, que les Etats-Unis sont
une République fédérale et que la
France est une République centraliste,
qu'ên prenant pour capitale de tous les
Etats-Unis la capitale d'un des Etats on
aurait offensé tous les autres et qu'il a
fallu en créer une, au lieu que la capi-
tale de la France a été créée par les siè-
cles et qu'en décapitalisant Paris on
décapiterait la France.
Un certain nombre de personnes sont
Capables de s'étonner que le Sénat ait
besoin de plusieurs semaines pour s'a-
percevoir de cela. Les sénateurs nei
sont pas, généralement, des adoles-
cents. Il y en a même qui ont passé
l'âge de la maturité. Soixante, soixan-
te-dix, quatrevingts ans ne leur ont
pas suffi pour savoir où Paris est situé,
quelles sont ses mœurs, quel est son
degré de civilisation ou de barbarie.
Ce que quatrevingts ans ne leur ont pas
appris, quinze jours vont le leur appren -
dre. On va être stupéfait de la rapidité
des progrès de ces vieux élèves. Hier,
ce sont eux qui le disent, ils ignoraient
le premier mot de l'histoire et de la
géographie de lëiir pays. Dans quinze
jours, ils mériteront le prix d'histoire
et de géographie. Ce sera une métamor-
phose à vue. Le monde assistera à ce
spectacle extraordinaire : des sénateurs
français à qui l'on demandera quelle est
la capitale de la France, et qui répon-
dront : Paris !
Je ne demande pas mieux que de
croire les centregauchers du Sénat ca-
pables de ce progrès énorme, et je se-
rai le premier à les écraser d'applau-
dissements si leur instruction rattrape
en si peu de jours l'arriéré de tant d'an-
nées. Mais je ne dois pas dissimuler que
je n'ai pas une foi absolue dans ces
improvisations miraculeuses. D'autant
plus que, parmi les centregauchers dont
ion attend ce miracle, il en est qui me
font plutôt l'effet d'avancer à rebours.
J'ai déjà rappelé que plusieurs de ceux
qui sont en i879 contre Paris,, notam-
ment MM. Laboulaye, Jules de Las-
teyrie , Toupet des Vignes, Béren-
ger, Oscar de la Fayette, étaient
pour Paris en 1872. Cette manière d'a-
vancer remet en mémoire l'anecdote
académique de la commission du dic-
tionnaire consultant Cuvier sur cette
définition de l'écrevisse : « Petit pois-
son rouge marchant à reculons. » —
« C'est parfait, répondit Cuvier, à cela
[près que l'écrevisse n'est pas un pois-
son, n'est pas rouge et ne marche pas
à reculons. » MM. Laboulaye, Jules de
Lasteyrie, etc., ne sont pas des pois-
sons et ne sont pas rouges, mais ils
marchent à reculons.
On pense qu'après quelques semaines
de leçons, de travail, de méditations,
de sueurs, d'efforts, de résistances, d'hé-
sitations, de tempêtes sous des crânes
chauves, MM. Laboulaye, de Lastey-
rie, etc., se résigneront à marcher au-
trement que comme l'Académie dite
française se figurait que marchaient les
écrevisses. On pense qu'au moins, si MM.
Laboulaye,de Lasteyrie, etc.,s'obstinent
à commander au centre gauche : « En
avant! recul! » on obtiendra d'une
bonne partie du centre gauche qu'elle
n'obéisse pas au commandement. Tout
est bien aui finit bien. Si le retard
A VERSAILLES
« Chante, Muse, la colère d'Ach »
iMuse, chante la colère de M. Labou-
laye. Le fait est qu'on a rarement vu
de personnage plus exaspéré que l'au-
iteur de Paris en Amérique.
Le voilà seul, avec son rapport sur le
! dos. Ce n'était pas assez pour lui d'a-
voir un encrier de Nessus. Toutes ses
tirades contre Paris, toutes ses compa-
raisons américaines lui restent pour
compte. La discussion est ajournée : on
* sait ce que cela veut dire. Il n'a plus
;\)'/
< ',/
rien, que la pbignée de main de M. de
Lareinty.
La semaine dernière, tendrement uni
au centre gauche, il enfantait son rap-
port avec une rapidité justement admi-
rée. Aujourd'hui, l'enfant, venu à deux
jours, est toujours là; mais où est le
père, j'entends le centre gauche? Dis-
paru! Evanoui 1 L'infortuné Laboulaye
doit se rappeler à lui-même Graziella.
Je vous laisse à deviner sa fureur.
Elle se trahissait par des gestes d'une
rare éloquence : la seule éloquence,
d'tiilleurs, que le désespoir lui permît.
On sait que les grandes douleurs sont
muettes. Il ne s'est pas contenté de se
taire en séance; il est sorti, n'y tenant
plus. Il ne voulait même pas assister
au débat.
Cette fois, monsieur Laboulaye, ne
rendez rien ; au contraire, gardez votre
rapport. Dans un mois ou deux, peut-
être sera-t-il un peu défraîchi. Ma foi,
tant pis pour vous !
: A~
La discussion n'a rieâ ë& do palpi-
tant. C'est M. Léon Say. qui a demandé
l'ajournement, dans un discours fort
habile. Il a voulu expliquer d'abord
^pourquoi le gouvernement n'avait pas
(pris l'initiative du retour à Paris. C'é-
tait le point faible. Le ministère, a-t-il
[dit, n'avait point à se prononcer avant
lies Chambres sur une question de ce
: genre. Singulière raison, quand, on
> s'est si vigoureusement prononcé sur
la question qui, entre toutes, ne re-
gardait pas le ministère, celle des
poursuites.
Ce que M. Léon Sav a fort bien ex-
pliqué, c'est que le gouvernement avait
à aviser aux mesures à prendre dans
ces deux cas, rejet ou adoption de la
proposition. En cas d'adoption, cela va
de soi : il faut loger le Sénat. En cas
de rejet, comment oublier que l'article
maintenu par le Sénat n'est plus exé-
cuté qu'à moitié ; qu'il exige la pré-
sence des ministères et du président à
Versailles, en même temps que celle
des Chambres? -En effet, la résolution
de M. Peyrat une fois repofissée, on
serait enfermé dans ce dilemme :
Ou bien tout le gouvernement devrait
revenir dans Seine-et-Oise (ce qui coû-
terait bon et gênerait beaucoup), ou
bien, si l'on trouve que la Constitution
n'en exige pas tant, il faut admettre
que la Chambre a le droit d'aller à Pa-
ris comme les ministères et le prési-
dent, par simple résolution ; et le Sé-
nat restera seul à Versailles.
Malheureusement, M. Léon Say laisse
entrevoir autre chose. Il parler dans le
cas de retour à Paris, de lois de pré-
caution à voter sur la préfecture de po-
lice ou sur d'autres sujets du même
genre. Il serait assez étrange de faire
acheter à Paris l'avantage douteux
d'héberger les Chambres par la perte
de ses droits municipaux.
La grande ville n'a pas plus d'intérêt
que le moindre village au retour du
Parlement. C'est la France entière,
c'est le Parlement lui-même qui ont
tout à gagner à ce qu'on supprime une
perte de temps, à ce qu'on rende plus
facile et plus sérieux le travail législa-
tif. Il serait souverainement injuste de
le priver des droits de toutes lés com-
munes de France, et de lui faire payer
à elle seule le bien commun.
Il serait également impolitique d'a-
bonder dans le sens des stupides calom-
nies auxquelles des « précautions » de
ce genre, proposées par le ministère,
consenties par la Chambre, donneraient
le poids qu'elles n'ont pas. Mais à quoi
bon insister sur ce point? Nous voulons
croire que le gouvernement ne propo -
sera rien que d'acceptable.
Peut-on dire qu'il y ait eu discus-
sion? Un certain Daguenet, le droitier
de la commission, est bien monté à la
tribune. Pourquoi? Je l'ignore. Ce
vieux monsieur, dont le grand talent
consiste à se toucher les deux re-
vers de son gilet des deux mains en
parlant, a raconté : 1° que le projet de
résolution avait été voté par la Cham-
bre sans débat ; 2° que le Sénat avait
voté l'urgence; 3° qu'il avait voté la
lecture immédiate du rapport, etc. Le
tout sans ajouter un commentaire.
Nous savions cela, monsieur Daguenet.
Puis il est rentré dans son repos et
à sa place. Il aurait aussi bien fait de
n'en pas sortir.
On paraît, au Sénat, en vouloir à la
Chambre de n'avoir pas discuté le re-
i tour à Paris. Í Messieurs les sénateurs,
[prenez-vous-en à vos amis. Comment
-les partisans dûfètouf auraient-ils ré-
pondu à des adversaires qui n'ont rien
dit? Pas une objection ne s'est élevée;
! sinon contre la forme adoptée; sur le
fond même, on semblait d'accord. Si le
! combat a fini avant d'avoir commencé,
c'est qu'il n'y avait pas de combattants/
M. Martel mettait la proposition aux
voix, quand M. Bérenger a demandé la
:parole. C'était pour parler au nom de
la commission, à la place de M. Labou-
laye, muet d'indignation. M. Bérenger,
d'habitude, est souriant comme une
porte de prison. Mais aujourd'hui il
était moins aimable que de coutume.
Il venait déclarer que la commission
restait neutre ; mais sa mine et le ton de
ses paroles disaient assez que, si on l'a-
vait cru, la commission se prononcerait
contre avec fureur.
M. Bérenger a un rôle singulier ;
rien n'égale sa parfaite entente avec
la droite, si ce n'est sa colère con-
tre ses nouveaux alliés. Il ne leur par-
donne pas de se trouver avec lui dans
toutes les questions. Il leur assène son
concours à grands coups d'injures. Et
c'est ainsi qu'il a trouvé le moyen d'é-
changer des paroles désagréables avec
M. de Kerdrel, étant du même avis que
lui.
Après M. Bérenger, on mettait l'a-
journement aux voix. M. de Lareinty
s'est hâté d'aller à la tribune. Il a bre-
douillé quelques phrases que le centre;
gauche fera bien de méditer; il a dit :
« Mais c'est nous qui vous avons nom-
més commissaires ! Et vous nous aban-
donnez? » Il était imprudent de parler
si haut d'une alliance inavouable pour
le centre gauche. Il aurait fallu un tact
exquis pour traiter ce dangereux sujet.
C'est dire combien M. de Lareinty avait
tort de l'aborder.
Le Sénat a voté l'ajournement à une
grosse majorité. j
M. Schœlcher a déffÕsé ensuite le
rapport sur la proposition de rétablil-
sement de la députation coloniale au
Sénégal et à la Guyane. Elle pourra
donc être votée avant les vacances.
CAMILLE PBLLBTAN.
.,
! COULISSES DE HERSAMES
Le résultat de la séance d'hier, au Sé-
nat, a été tel que nous l'avions fait prévoir
dès le matin. M Léon Say a proposé l'a-
journement de la question du retour à
Paris, et la majorité républicain l'a voté, à
quelques exceptions près.
Les chiffres du scrutin proclamés en
séance publique ont été quelque peu mo-
difiés par la vérification ultérieure. Voici
le résultat rectifié :
L'ajournement a été voté par 153 voix
contre 125 sur 278 votants. Le centre gau-
che, fidèle à sa résolution de la veille, a
voté presque tout entier pour l'ajourne-
ment. Il n'y a eu que 9 dissidents.
Les 153 membres de la majorité com-
prennent 151 membres républicains et
2 membres de la droite, MM. Beraldi et
Lafond de Saint-Mür.
Dans les 125 membres de la minorité
qui a repoussé l'ajournement, nous trou-
vons 10 membres républicains : à savoir.
MM. Bérenger, colonel de Chadois, Gunin-
Gridaine, Gouin, Laboulaye, de Lasteyrie,
marquis de Maleville, Tribert et de Voisins-
Lavernière, du centre gauche, et M. Oscar
de Lafayette, de la gauche.
? Les abstentionnistes volontaires sont
; MM. Cherpin et Scherer, de la gauche, le
général Arnaudeau, le général de Cissey
et le baron Veauce, de la droite.
Les absents par congé régulier ou non
étaient au nombre de douze, à savoir
MM. Challemel-Lacour, Teisserenc de
Bort, général Chanzy, amiral Jaurès, ami-
! ral Pothuau et de Saint-Vallier, tous am-
bassadeurs et retenus à leur poste, et
MM. le général de Chabron, Claudot, le
général Faidherbe, de Forsanz, Galloni
d'Istria et Léonce de Lavergne.
Ajoutons que M. Martel, retenu au fau-
teuil de la présidence, n'a pas pris part au
vote.
La commission du Sénat qui a examiné
la proposition Peyrat s'est divisée : trois
membres, M. Peyrat, Labiche et Toupet
des Vignes, ont voté pour rajournement;
les six autres ont voté contre avec la
droite; ce sont MM. Bérenger, Laboulaye,
Oscar de Lafayette, de Lasteyrie, 'Tribert
et Daguenet.
-0-
Nous apprenons que M. Lepère, minis-
tre de l'intérieur, vient de terminer un
projet de loi d'organisation municipale
réglant toutes les questions importantes
de la composition et des attributions des
conseils municipaux, et de la nomination
des maires.
Ce projet, qu'on nous dit conçu dans
un esprit très libéral, a été soumis au con-
seil des ministres, qui en fera l'objet de
ses prochaines délibérations. Le ministre
le déposera sur le bureaude la Chambre
à la, rentrée des vacances de Pâques.
-0-
Nous avons rendu compte, les premiers,
il y a plusieurs jours, d'une entrevue que
le ministre du commerce a eue avec la sous-
commission des finances, à la Chambre,
pour lui faire connaître le règlement des
comptes de l'Exposition de 1878.
Nous avons dit qu'à cette occasion M. Ti-
rard avait fait part à la sous-commission
de l'intention du gouvernement de faire 1
procéder à la démolition du palais du
Champ-de-Mars. Cette intention s'esttrans-
formée en résolution définitive. Nous ap-
prenons, en effet, que dans sa séance d'hier
le conseil des ministres a décidé définitive-
ment que le Palais de l'Exposition serait j'
démoli. La façade principale sera seule
conservée ; le terrain du Champ-de-Mar
sera rendu au ministère de la guerre.
-0-
La commission chargée d'examiner I<
projet Ferry sur la liberté de l'enseigne-"
ment supérieur, s'est réunie hier et a défi-
nitivement adopté ce projet, sous réserve
de quelques modifications de détail qu'elle
a reconnues nécessaires et qu'elle discutera
dans sa prochaine séance avec le ministre
de l'instruction publique.
M. Spuller a été nommé rapporteur; it
fera son rapport pendant les vacances de
Pâques et le déposera à la rentrée sur le
bureau de la Chambre.
Nous allons faire connaître les quelques
modifications dont la commission a rc
connu la nécessité, et le texte qui sort de
ses délibérations. Les articles 1, 2, 3, 6 el
8, 9 et 10 sont maintenus tels qu'ils figuJ
rent au projet Ferry. *
A l'article 4 du ministre, la commission
substitue une rédaction empruntée à un
contre-projet de M. Paul Bert et qui, tout
en atteignant le même but, a l'avantage
de ne pas autoriser les communes et dé-
partements à fonder des facultés ou uni.
versités concurremment avec celles de
l'Etat. A l'article 5, la commission sup
prime les dispositions relatives à l'équiva-
lence des grades étrangers ; enfin, à l'ar"
ticle 7, la commission fait une additiot
qui en précise la portée. Ajoutons que la
commission substitue partout aux mots :
établissement libre, les mots : établisse"
ment privé, par opposition à l'établisse'
ment public fondé par l'Etat.
Voici le texte modifié; les parties en itâ:
lique sont les parties nouvelles :
Article 1er. — Les examens et épreuves pra
tiques qui déterminent la collation des grade!
ne peuvent être subis que devant les établisse.
ments d'enseignement supérieur de l'Etat.
Art. 2. — Les élèves des établissements pú"
bUcs ou privés d'enseignement supérieur sont
soumis aux mêmes règles d'études, notam-
ment en ce qui concerne les conditions dàge,
de grades, d'inscriptions, de travaux pratiques,
de stage dans les hôpitaux et les officines, les
délais obligatoires entre chaque examen et le!
droits à percevoir au compte du Trésor pa-
blic.
Art. 3. — Les élèves des établissements pri-
vés d'enseignement supérieur prennent leurs
inscriptions, aux dates fixées par les règle'
ments, dans les facultés de l'Etat.
Les inscriptions sont gratuites pour les élè.
ves de l'Etat et pour les élèves libres.
Un règlement délibéré en conseil supériedl
de l'instruction publique, après avis du minis'
tère des finances, déterminera le tarif des nou-
veaux droits d'examens. ,
Art. 4. — Les établissements privés d'enseigne
ment supérieur ne pourront prendre les titres di
faculté ni d'université.
Les certificats d'études qu'on '!J jugerà à propol
de décerner aux élèves ne pourront porter les til
tres de baccalauréat, de licence ou de doctorat.
Art. 5. — Les titres ou grades d'agrégé, dE
.docteur, de licencié, de bachelier, etc., ne
peuvent être attribués qu'aux personnes qui
les ont obtenus après les concours ou examens
réglementaires subis devant les facultés de
l'Etat.
Art. 6. — L'ouverture des cours- isolés es.
soumise, sans autre réserve, aux formalités
prévues par l'article 3 de la loi du 12 juillet
187b.
Art. 7. — Nul n'est admis à participer a
l'enseignement public, ou privé, ni à dirige!
un établissement d'enseignement de quelque
ordre que ce soit, s'il appartient à une con-
grégation religieuse non - autorisée â en-
seigner.
Art. 8. — Aucun établissement d'enseigne-
ment privé, aucune association formée en vua
de l'enseignement ne peut être reconnu d'uti-
lité publique qu'en vertu d'une loi.
Art. 9. — Toute infraction aux articles 4, 5
et 7 de la présente loi sera, suivant le cas,
passible des pénalités prévues par l'article 1 f
de la loi du 12 juillet 1875.
Art. 10. — Sont abrogées les disposition!
des lois, décrets, ordonnance3 et règlements
contraires à la présente loi, notamment l'avant
dernier paragraphe de l'article 2 et les arti,
cles 11^13, 14,15 et 22 de la loi du 12 juillet
1875.
La modification apportée à l'art 7 a une
assez grande importance. La commission
a reconnu qu'il existait un certain nombre
de congrégations autorisées, mais n'en.
seignant pas. Ces congrégations, en vertu
du texte du projet Ferry, auraient pu SE
Feuilleton du RAPPEL
DU 3 AVRIL
v -- -» - -»
4
L'ÉVADÉ
ROMAN CANAQUE
CHAPITRE Il
lia presqu'île Duees
(Suite)
C'est au milieu des constructions qui
contournent la baie de Numbo, que les
condamnés à l'enceinte fortifiée sont
obligés d'aller chercher tous les matins
leur nourriture, moins heureux que les
bêtes du Jardin d'acclimatation à qui un
employé apporte la leur. Celui qu'en sa qua-
lité de doyen de la déportation, ses com-
pagnons de captivité appelaient « le père
Alavaill », habitait une paillote en torchis,
de l'autre côté de la montagne, dans la
vallée de Tindu. A la lecture de cette
étrange affiche, lui signifiant qu'il eût à
réclamer, comme une bourriche de gibier,
Voir le Rappel du 31 mars au 2 avril.,
un enfant du sexe féminin qui lui était
adressé de France, ce fut un éclat de rire
dans le camp des déportés. Trois ou quatre
parmi les plus ingambes risquèrent une in-
solation en courant, à toute bride, le pré-
parer à recevoir ce cadeau si inattendu.
Mme Alavaill avait écrit à son mari son
projet d'aller le rejoindre, mais la lettre,
faute d'adresse suffisante, ou pour cause
de port insuffisant, était restée en souffrance
dans les cartons de la marine.
Le vieux prisonnier n'eut pas un instant
le soupçon que la bourriche en question
pût contenir Armande, qui, en tout cas,
n'eût pas abandonné ainsi sa mère à Pa-
ris pour venir s'installer dans la brousse
de la presqu'île Ducos. Il crut à quelque
erreur, à quelque mauvaise plaisanterie,
et s'égaya de bon cœur avec ses camara-
des, qui ne manquèrent pas de lui paser
les questions les plus comiquement insi-
dieuses sur la source de cette enfant ina-
ivouée.
— C'est la fille de quelque danseuse
qu'il aura lâchement abandonnée, disait
l'un.
- Voilà où mène la débauche 1 s'écriait
l'autre.
- Je vais informer Mme Alavaill de vo- ;
'i tre conduite, ajoutait un troisième. Elle
s'empressera de vous rendre la pareille.
Elle est bien sûre que vous ne viendrez pas
la surprendre.
On connaissait par l'affiche administra-
tive le sexe de l'enfant, mais on ignorait
son âge. Etait-ce un poupon ou une
grande demoiselle ? A quelle époque et
dans quelles circonstances le père Alavaill
avait-il perpétré ce crime? Les supposi-
tions marchaient, et il se laissait, avec un
flegme joyeux, traiter de gaillard et de sé-
ducteur, quand un déporté, posté sur la
montagne qui, coupant en deux la pres-
qu'île, sépare le camp de Numbo de la
vallée de Tindu, lui fit signe d'accourir. Le
bateau du gouvernement amenait les deux
passagères de la Thisbé, destinées à la pres-
qu'île, les autres restant à Nouméa ou
poussant jusqu'à l'île des Pins, lieu de dé-
portation simple, et dont, par une ano-
malie toute française, les locataires sont
beaucoup plus isolés, plus tenus et plus
mal nourris que ceux de la presqu'île Du-
cos, lieu de déportation fortifiée.
Bien que la silhouette d'Armande, as-
sise à l'avant du canot, se découpât dans
l'embrasement lumineux de la mer, le
père Alavaill la vit avancer sans la recon-
naître. Elle débarqua sur la partie de la
berge interdite aux déportés, car ils occu-
pent un simple lopin de ..terre dans la
presqu'île Ducos, qui passe pour leur
avoir été concédée tout entière. Elle mar-
chait, son panier à la main, entre deux
surveillants, au milieu desquels on aurait
pu la prendre pour une femme arrêtée en,
flagrant délit et conduite au poste.
Quand elle fut arrivée au poteau formant
la frontière du pénitencier, et, pour toute
fortification, portant cette inscription : Li-
mite, elle se sentit trembler d'embarras en
voyant caracoler au-devant d'elle, comme
une troupe de chevaux sauvages, des hom-
mes débraillés et minables qui ne parais-
saient pas avoir autrement conscience de la
sordidité de leurs toilettes. Des chapeauy
de paille ravinés par les pluies ôu tordus
comme des plaisirs dans le brasier de la
zône torride, des pantalons de toile effilo-
qués par deux ans de lavage, des vareuses
brûlées par l'eau salée et collées à des
épaules auxquelles elles tenaient lieu de
chemises, s'entrecroisaient dans une bous-
culade générale; des souliers Godillot, fa-
briqués pour le premier siège et utilisés
sous le second, se marchaient les uns sur
les autres. C'étaient des enfants de la ci-
vilisation redevenus fils dE) la nature en
vertu de la théorie des milieux exposée
par Darwin.
Un seul, dans cette foule houleuse et dé-
penaillée, témoignait encore d'un senti-
ment de coquetterie que cinq ans de sau-
vagerie, loin de tout œil féminin, n'avaient
pu totalement éteindre. C'était le déporté
Florissant, ancien acteur, pensionnaire»
ides théâtres d'Angers, Rouen, Toulouse et
autres chefs-lieux. Ce brave garçon, de
,passage à Paris en mai 1871, où il se trou-
vait « libre d'engagements », n'avait envi-
sagé de l'insurrection communale que le
côté scénique inhérent à tout mouvement
populaire. Le jour de la proclamation du
nouveau gouvernement, devant deux cent
mille gardes nationaux, sur la place de
l'Hôtel-de-Ville, il s'était écrié :
— Quel beau cinquième acte ! Mettez un
praticable dans le fond, il y a là un décor
à faire courir tout Paris.
Il s'était improvisé le Murat des barri-
cades. Sa ceinture rouge, qu'il enroulait
par dessus son uniforme quand il marchait
au feu, le prenait au bas du ventre pour
ne s'arrêter qu'au menton. Son képi de
bataille avait des inclinaisons à la Lamo-
ricière. Quand un obus passait au-dessus
de sa tête, il le saluait de la main. Il por-
tait invariablement son pantalon dans ses
bottes, ce qui lui permettait de faire des
effets de cuisse. Il ne serait pas descendu
acheter un petit pain au lait sans avoir
deux revolvers dans ses fontes. Voilà pour
la vie publique. Dans la vie privée, il par-
lait par hémistiches, et disait volontiers du
clergé :
Les prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense.
Il aimait à employer dans les discus-
sions le mot « aristocrate », qui lui offrait
la bonne fortune de faire vibrer deux r.
Ses costumes comme ses attitudes va-
riaient selon les dispositions de son esprit
expansif. Tantôt, il sortait de sa case, son
chapeau paillasson enfoncé en pain de ;
sucre sur ses yeux jusqu'à la coiffe, les
pieds nus, son épaule sortant à moitié de
sa chemise ouverte, et se mettait à arpen-
ter la grève coquillageuse, du pas fatal
d'un Titan foudroyé par le destin.
Tantôt, les moustaches en croc, une
branche de palétuvier passée en verrouil
dans sa ceinture, la culotte retroussée
jusqu'aux genoux, afin de laisser voir la ■
musculature « arrristoerrratique » de son
mollet, il se dressait tout à coup à la pointe
de quelque rocher, la main surla garde de
son épée de bois, les bords de son feutre
(en paille) relevés sur la tempe, avec des
airs de Saverny de Marlon de Lorme. Ses
compagnons s'amusaient de cette faculté
de transformation, mais ils ràimaienty
parce qu'ils le savaient-jorêt à jous Jes
dangers et que, comme il le répétait lui'
même, il voulait bien jouer les grimes,
mais qu'il ne consentirait jamais à jouer le*
traîtres.
Averti à temps que deux femmes, l'une
âgée, l'autre jeune, cinglaient vers la pres,
qu'île Ducos, il était subitement rentré
dans son gourbi pour y faire un brin de
toilette qui lui permît de se présenter de;
vant ce sexe aux pieds duquel il était si
souvent tombé sur les planches du théâtrd
de Toulouse, Il reparut quelques minutes
plus tard, la taille sanglée dans un rubâi
bleu qui pendait jusqu'à mi-jambô, et te-
nant, en guise de parasol, une feuille de
bananier qu'il agitait en cadence, commet
dans les féeries, ces esclaves qui écartent
les moustiques du front de leurs maîtr'ës"sjp
endormies. * V*'
C'est dans cet attirail qu'il se fit jÕîft
jusqu'à Armande, à qui il offrit la mai?
dans la pose usitée au Conservatoire
et, tout en la conduisant au père ÀlâV
vaill, que ses vieilles jambes avaient laissa
en retard, il dit à la jeune fille toute dé^1
sorientée : :
— Ne craignez rien, mademoiselle, ûM?
sommes ici huit cents hommes dë"éœ'
résolus à mourir pour vous.
UN ÉVADÉ,
(A suivre.)
- T
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
18, RUE DE VALOIS, 18
tes manuscrits non insérés ne seront pas rendus
llNNONCE3
KM. Ch. LA G Pi ANGE, CERF et Ce
6, place de la Bourse, G
; |
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ADYIINIS -Tl,îi
1S, BUE I) £
Trois mois 10 » Tro y Viois ]3!3(
Six illois 20 » ËL~ liais 21 i
Adresser lettres etTrMnàa®^
A M. EnNEET EFb E
A D MI NIS T RA T 1 £ l. R - G t R A T
L'AJOURNEMENT
Il reviendra-z-à Pâques, ou à la Tri.
'nité. Pourvu que la Trinité ne se pagse
pas sans qu'il revienne ! Je parle du pro-
jet de loi sur la question de Paris. Mieux
vaut tard que jamais; ça n'empêche
"tpas tôt de valoir mieux que tard. Mais
il faut entrer dans les raisons des
gens.
Il paraît que la question n'est pas à
terme. Il faut le temps de la réflexion.
Il faut qu'on s'informe, qu'on se ren-
seigne, qu'on fasse une enquête. Les
centregauchers ne peuvent pourtant
pas voter le retour à Paris sans s'infor-
mer de ce que c'est que Paris. Qu'est-
ce que c'est que ça, Paris ? Il y a tout un
côté du Sénat qui répond : "— Connais
pas ! Donnez-moi au moins quelques
semaines pour l'apprendre. Dans quel-
ques semaines, je vous répondrai. Les
vacances de Pâques me feront un peu
de loisir, j'étudierai, je m'instruirai,
j'irai à la recherche de cette ville in-
connue que vous appelez Paris, je la
trouverai peut-être, je verrai si elle
est habitable, si elle est peuplée
d'hommes ou de bêtes féroces, et, dans
le cas où elle offrirait des conditions de
sécurité suffisantes et où nous aurions
la certitude qu'elle ne passerait pas sa
vie à nous dévorer, il ne serait pas im-
possible que nous finissions par con-
sentir à y élire domicile.
Donc, le Sénat a besoin de quelques
semaines pour faire connaissance avec
Paris. Et l'on peut, sans témérité trop
grande, espérer qu'en quelques semai-
nes il découvrira que Paris n'est pas en
Amérique, que Versailles n'est pas
Washington, que les Etats-Unis sont
une République fédérale et que la
France est une République centraliste,
qu'ên prenant pour capitale de tous les
Etats-Unis la capitale d'un des Etats on
aurait offensé tous les autres et qu'il a
fallu en créer une, au lieu que la capi-
tale de la France a été créée par les siè-
cles et qu'en décapitalisant Paris on
décapiterait la France.
Un certain nombre de personnes sont
Capables de s'étonner que le Sénat ait
besoin de plusieurs semaines pour s'a-
percevoir de cela. Les sénateurs nei
sont pas, généralement, des adoles-
cents. Il y en a même qui ont passé
l'âge de la maturité. Soixante, soixan-
te-dix, quatrevingts ans ne leur ont
pas suffi pour savoir où Paris est situé,
quelles sont ses mœurs, quel est son
degré de civilisation ou de barbarie.
Ce que quatrevingts ans ne leur ont pas
appris, quinze jours vont le leur appren -
dre. On va être stupéfait de la rapidité
des progrès de ces vieux élèves. Hier,
ce sont eux qui le disent, ils ignoraient
le premier mot de l'histoire et de la
géographie de lëiir pays. Dans quinze
jours, ils mériteront le prix d'histoire
et de géographie. Ce sera une métamor-
phose à vue. Le monde assistera à ce
spectacle extraordinaire : des sénateurs
français à qui l'on demandera quelle est
la capitale de la France, et qui répon-
dront : Paris !
Je ne demande pas mieux que de
croire les centregauchers du Sénat ca-
pables de ce progrès énorme, et je se-
rai le premier à les écraser d'applau-
dissements si leur instruction rattrape
en si peu de jours l'arriéré de tant d'an-
nées. Mais je ne dois pas dissimuler que
je n'ai pas une foi absolue dans ces
improvisations miraculeuses. D'autant
plus que, parmi les centregauchers dont
ion attend ce miracle, il en est qui me
font plutôt l'effet d'avancer à rebours.
J'ai déjà rappelé que plusieurs de ceux
qui sont en i879 contre Paris,, notam-
ment MM. Laboulaye, Jules de Las-
teyrie , Toupet des Vignes, Béren-
ger, Oscar de la Fayette, étaient
pour Paris en 1872. Cette manière d'a-
vancer remet en mémoire l'anecdote
académique de la commission du dic-
tionnaire consultant Cuvier sur cette
définition de l'écrevisse : « Petit pois-
son rouge marchant à reculons. » —
« C'est parfait, répondit Cuvier, à cela
[près que l'écrevisse n'est pas un pois-
son, n'est pas rouge et ne marche pas
à reculons. » MM. Laboulaye, Jules de
Lasteyrie, etc., ne sont pas des pois-
sons et ne sont pas rouges, mais ils
marchent à reculons.
On pense qu'après quelques semaines
de leçons, de travail, de méditations,
de sueurs, d'efforts, de résistances, d'hé-
sitations, de tempêtes sous des crânes
chauves, MM. Laboulaye, de Lastey-
rie, etc., se résigneront à marcher au-
trement que comme l'Académie dite
française se figurait que marchaient les
écrevisses. On pense qu'au moins, si MM.
Laboulaye,de Lasteyrie, etc.,s'obstinent
à commander au centre gauche : « En
avant! recul! » on obtiendra d'une
bonne partie du centre gauche qu'elle
n'obéisse pas au commandement. Tout
est bien aui finit bien. Si le retard
A VERSAILLES
« Chante, Muse, la colère d'Ach »
iMuse, chante la colère de M. Labou-
laye. Le fait est qu'on a rarement vu
de personnage plus exaspéré que l'au-
iteur de Paris en Amérique.
Le voilà seul, avec son rapport sur le
! dos. Ce n'était pas assez pour lui d'a-
voir un encrier de Nessus. Toutes ses
tirades contre Paris, toutes ses compa-
raisons américaines lui restent pour
compte. La discussion est ajournée : on
* sait ce que cela veut dire. Il n'a plus
;\)'/
< ',/
rien, que la pbignée de main de M. de
Lareinty.
La semaine dernière, tendrement uni
au centre gauche, il enfantait son rap-
port avec une rapidité justement admi-
rée. Aujourd'hui, l'enfant, venu à deux
jours, est toujours là; mais où est le
père, j'entends le centre gauche? Dis-
paru! Evanoui 1 L'infortuné Laboulaye
doit se rappeler à lui-même Graziella.
Je vous laisse à deviner sa fureur.
Elle se trahissait par des gestes d'une
rare éloquence : la seule éloquence,
d'tiilleurs, que le désespoir lui permît.
On sait que les grandes douleurs sont
muettes. Il ne s'est pas contenté de se
taire en séance; il est sorti, n'y tenant
plus. Il ne voulait même pas assister
au débat.
Cette fois, monsieur Laboulaye, ne
rendez rien ; au contraire, gardez votre
rapport. Dans un mois ou deux, peut-
être sera-t-il un peu défraîchi. Ma foi,
tant pis pour vous !
: A~
La discussion n'a rieâ ë& do palpi-
tant. C'est M. Léon Say. qui a demandé
l'ajournement, dans un discours fort
habile. Il a voulu expliquer d'abord
^pourquoi le gouvernement n'avait pas
(pris l'initiative du retour à Paris. C'é-
tait le point faible. Le ministère, a-t-il
[dit, n'avait point à se prononcer avant
lies Chambres sur une question de ce
: genre. Singulière raison, quand, on
> s'est si vigoureusement prononcé sur
la question qui, entre toutes, ne re-
gardait pas le ministère, celle des
poursuites.
Ce que M. Léon Sav a fort bien ex-
pliqué, c'est que le gouvernement avait
à aviser aux mesures à prendre dans
ces deux cas, rejet ou adoption de la
proposition. En cas d'adoption, cela va
de soi : il faut loger le Sénat. En cas
de rejet, comment oublier que l'article
maintenu par le Sénat n'est plus exé-
cuté qu'à moitié ; qu'il exige la pré-
sence des ministères et du président à
Versailles, en même temps que celle
des Chambres? -En effet, la résolution
de M. Peyrat une fois repofissée, on
serait enfermé dans ce dilemme :
Ou bien tout le gouvernement devrait
revenir dans Seine-et-Oise (ce qui coû-
terait bon et gênerait beaucoup), ou
bien, si l'on trouve que la Constitution
n'en exige pas tant, il faut admettre
que la Chambre a le droit d'aller à Pa-
ris comme les ministères et le prési-
dent, par simple résolution ; et le Sé-
nat restera seul à Versailles.
Malheureusement, M. Léon Say laisse
entrevoir autre chose. Il parler dans le
cas de retour à Paris, de lois de pré-
caution à voter sur la préfecture de po-
lice ou sur d'autres sujets du même
genre. Il serait assez étrange de faire
acheter à Paris l'avantage douteux
d'héberger les Chambres par la perte
de ses droits municipaux.
La grande ville n'a pas plus d'intérêt
que le moindre village au retour du
Parlement. C'est la France entière,
c'est le Parlement lui-même qui ont
tout à gagner à ce qu'on supprime une
perte de temps, à ce qu'on rende plus
facile et plus sérieux le travail législa-
tif. Il serait souverainement injuste de
le priver des droits de toutes lés com-
munes de France, et de lui faire payer
à elle seule le bien commun.
Il serait également impolitique d'a-
bonder dans le sens des stupides calom-
nies auxquelles des « précautions » de
ce genre, proposées par le ministère,
consenties par la Chambre, donneraient
le poids qu'elles n'ont pas. Mais à quoi
bon insister sur ce point? Nous voulons
croire que le gouvernement ne propo -
sera rien que d'acceptable.
Peut-on dire qu'il y ait eu discus-
sion? Un certain Daguenet, le droitier
de la commission, est bien monté à la
tribune. Pourquoi? Je l'ignore. Ce
vieux monsieur, dont le grand talent
consiste à se toucher les deux re-
vers de son gilet des deux mains en
parlant, a raconté : 1° que le projet de
résolution avait été voté par la Cham-
bre sans débat ; 2° que le Sénat avait
voté l'urgence; 3° qu'il avait voté la
lecture immédiate du rapport, etc. Le
tout sans ajouter un commentaire.
Nous savions cela, monsieur Daguenet.
Puis il est rentré dans son repos et
à sa place. Il aurait aussi bien fait de
n'en pas sortir.
On paraît, au Sénat, en vouloir à la
Chambre de n'avoir pas discuté le re-
i tour à Paris. Í Messieurs les sénateurs,
[prenez-vous-en à vos amis. Comment
-les partisans dûfètouf auraient-ils ré-
pondu à des adversaires qui n'ont rien
dit? Pas une objection ne s'est élevée;
! sinon contre la forme adoptée; sur le
fond même, on semblait d'accord. Si le
! combat a fini avant d'avoir commencé,
c'est qu'il n'y avait pas de combattants/
M. Martel mettait la proposition aux
voix, quand M. Bérenger a demandé la
:parole. C'était pour parler au nom de
la commission, à la place de M. Labou-
laye, muet d'indignation. M. Bérenger,
d'habitude, est souriant comme une
porte de prison. Mais aujourd'hui il
était moins aimable que de coutume.
Il venait déclarer que la commission
restait neutre ; mais sa mine et le ton de
ses paroles disaient assez que, si on l'a-
vait cru, la commission se prononcerait
contre avec fureur.
M. Bérenger a un rôle singulier ;
rien n'égale sa parfaite entente avec
la droite, si ce n'est sa colère con-
tre ses nouveaux alliés. Il ne leur par-
donne pas de se trouver avec lui dans
toutes les questions. Il leur assène son
concours à grands coups d'injures. Et
c'est ainsi qu'il a trouvé le moyen d'é-
changer des paroles désagréables avec
M. de Kerdrel, étant du même avis que
lui.
Après M. Bérenger, on mettait l'a-
journement aux voix. M. de Lareinty
s'est hâté d'aller à la tribune. Il a bre-
douillé quelques phrases que le centre;
gauche fera bien de méditer; il a dit :
« Mais c'est nous qui vous avons nom-
més commissaires ! Et vous nous aban-
donnez? » Il était imprudent de parler
si haut d'une alliance inavouable pour
le centre gauche. Il aurait fallu un tact
exquis pour traiter ce dangereux sujet.
C'est dire combien M. de Lareinty avait
tort de l'aborder.
Le Sénat a voté l'ajournement à une
grosse majorité. j
M. Schœlcher a déffÕsé ensuite le
rapport sur la proposition de rétablil-
sement de la députation coloniale au
Sénégal et à la Guyane. Elle pourra
donc être votée avant les vacances.
CAMILLE PBLLBTAN.
.,
! COULISSES DE HERSAMES
Le résultat de la séance d'hier, au Sé-
nat, a été tel que nous l'avions fait prévoir
dès le matin. M Léon Say a proposé l'a-
journement de la question du retour à
Paris, et la majorité républicain l'a voté, à
quelques exceptions près.
Les chiffres du scrutin proclamés en
séance publique ont été quelque peu mo-
difiés par la vérification ultérieure. Voici
le résultat rectifié :
L'ajournement a été voté par 153 voix
contre 125 sur 278 votants. Le centre gau-
che, fidèle à sa résolution de la veille, a
voté presque tout entier pour l'ajourne-
ment. Il n'y a eu que 9 dissidents.
Les 153 membres de la majorité com-
prennent 151 membres républicains et
2 membres de la droite, MM. Beraldi et
Lafond de Saint-Mür.
Dans les 125 membres de la minorité
qui a repoussé l'ajournement, nous trou-
vons 10 membres républicains : à savoir.
MM. Bérenger, colonel de Chadois, Gunin-
Gridaine, Gouin, Laboulaye, de Lasteyrie,
marquis de Maleville, Tribert et de Voisins-
Lavernière, du centre gauche, et M. Oscar
de Lafayette, de la gauche.
? Les abstentionnistes volontaires sont
; MM. Cherpin et Scherer, de la gauche, le
général Arnaudeau, le général de Cissey
et le baron Veauce, de la droite.
Les absents par congé régulier ou non
étaient au nombre de douze, à savoir
MM. Challemel-Lacour, Teisserenc de
Bort, général Chanzy, amiral Jaurès, ami-
! ral Pothuau et de Saint-Vallier, tous am-
bassadeurs et retenus à leur poste, et
MM. le général de Chabron, Claudot, le
général Faidherbe, de Forsanz, Galloni
d'Istria et Léonce de Lavergne.
Ajoutons que M. Martel, retenu au fau-
teuil de la présidence, n'a pas pris part au
vote.
La commission du Sénat qui a examiné
la proposition Peyrat s'est divisée : trois
membres, M. Peyrat, Labiche et Toupet
des Vignes, ont voté pour rajournement;
les six autres ont voté contre avec la
droite; ce sont MM. Bérenger, Laboulaye,
Oscar de Lafayette, de Lasteyrie, 'Tribert
et Daguenet.
-0-
Nous apprenons que M. Lepère, minis-
tre de l'intérieur, vient de terminer un
projet de loi d'organisation municipale
réglant toutes les questions importantes
de la composition et des attributions des
conseils municipaux, et de la nomination
des maires.
Ce projet, qu'on nous dit conçu dans
un esprit très libéral, a été soumis au con-
seil des ministres, qui en fera l'objet de
ses prochaines délibérations. Le ministre
le déposera sur le bureaude la Chambre
à la, rentrée des vacances de Pâques.
-0-
Nous avons rendu compte, les premiers,
il y a plusieurs jours, d'une entrevue que
le ministre du commerce a eue avec la sous-
commission des finances, à la Chambre,
pour lui faire connaître le règlement des
comptes de l'Exposition de 1878.
Nous avons dit qu'à cette occasion M. Ti-
rard avait fait part à la sous-commission
de l'intention du gouvernement de faire 1
procéder à la démolition du palais du
Champ-de-Mars. Cette intention s'esttrans-
formée en résolution définitive. Nous ap-
prenons, en effet, que dans sa séance d'hier
le conseil des ministres a décidé définitive-
ment que le Palais de l'Exposition serait j'
démoli. La façade principale sera seule
conservée ; le terrain du Champ-de-Mar
sera rendu au ministère de la guerre.
-0-
La commission chargée d'examiner I<
projet Ferry sur la liberté de l'enseigne-"
ment supérieur, s'est réunie hier et a défi-
nitivement adopté ce projet, sous réserve
de quelques modifications de détail qu'elle
a reconnues nécessaires et qu'elle discutera
dans sa prochaine séance avec le ministre
de l'instruction publique.
M. Spuller a été nommé rapporteur; it
fera son rapport pendant les vacances de
Pâques et le déposera à la rentrée sur le
bureau de la Chambre.
Nous allons faire connaître les quelques
modifications dont la commission a rc
connu la nécessité, et le texte qui sort de
ses délibérations. Les articles 1, 2, 3, 6 el
8, 9 et 10 sont maintenus tels qu'ils figuJ
rent au projet Ferry. *
A l'article 4 du ministre, la commission
substitue une rédaction empruntée à un
contre-projet de M. Paul Bert et qui, tout
en atteignant le même but, a l'avantage
de ne pas autoriser les communes et dé-
partements à fonder des facultés ou uni.
versités concurremment avec celles de
l'Etat. A l'article 5, la commission sup
prime les dispositions relatives à l'équiva-
lence des grades étrangers ; enfin, à l'ar"
ticle 7, la commission fait une additiot
qui en précise la portée. Ajoutons que la
commission substitue partout aux mots :
établissement libre, les mots : établisse"
ment privé, par opposition à l'établisse'
ment public fondé par l'Etat.
Voici le texte modifié; les parties en itâ:
lique sont les parties nouvelles :
Article 1er. — Les examens et épreuves pra
tiques qui déterminent la collation des grade!
ne peuvent être subis que devant les établisse.
ments d'enseignement supérieur de l'Etat.
Art. 2. — Les élèves des établissements pú"
bUcs ou privés d'enseignement supérieur sont
soumis aux mêmes règles d'études, notam-
ment en ce qui concerne les conditions dàge,
de grades, d'inscriptions, de travaux pratiques,
de stage dans les hôpitaux et les officines, les
délais obligatoires entre chaque examen et le!
droits à percevoir au compte du Trésor pa-
blic.
Art. 3. — Les élèves des établissements pri-
vés d'enseignement supérieur prennent leurs
inscriptions, aux dates fixées par les règle'
ments, dans les facultés de l'Etat.
Les inscriptions sont gratuites pour les élè.
ves de l'Etat et pour les élèves libres.
Un règlement délibéré en conseil supériedl
de l'instruction publique, après avis du minis'
tère des finances, déterminera le tarif des nou-
veaux droits d'examens. ,
Art. 4. — Les établissements privés d'enseigne
ment supérieur ne pourront prendre les titres di
faculté ni d'université.
Les certificats d'études qu'on '!J jugerà à propol
de décerner aux élèves ne pourront porter les til
tres de baccalauréat, de licence ou de doctorat.
Art. 5. — Les titres ou grades d'agrégé, dE
.docteur, de licencié, de bachelier, etc., ne
peuvent être attribués qu'aux personnes qui
les ont obtenus après les concours ou examens
réglementaires subis devant les facultés de
l'Etat.
Art. 6. — L'ouverture des cours- isolés es.
soumise, sans autre réserve, aux formalités
prévues par l'article 3 de la loi du 12 juillet
187b.
Art. 7. — Nul n'est admis à participer a
l'enseignement public, ou privé, ni à dirige!
un établissement d'enseignement de quelque
ordre que ce soit, s'il appartient à une con-
grégation religieuse non - autorisée â en-
seigner.
Art. 8. — Aucun établissement d'enseigne-
ment privé, aucune association formée en vua
de l'enseignement ne peut être reconnu d'uti-
lité publique qu'en vertu d'une loi.
Art. 9. — Toute infraction aux articles 4, 5
et 7 de la présente loi sera, suivant le cas,
passible des pénalités prévues par l'article 1 f
de la loi du 12 juillet 1875.
Art. 10. — Sont abrogées les disposition!
des lois, décrets, ordonnance3 et règlements
contraires à la présente loi, notamment l'avant
dernier paragraphe de l'article 2 et les arti,
cles 11^13, 14,15 et 22 de la loi du 12 juillet
1875.
La modification apportée à l'art 7 a une
assez grande importance. La commission
a reconnu qu'il existait un certain nombre
de congrégations autorisées, mais n'en.
seignant pas. Ces congrégations, en vertu
du texte du projet Ferry, auraient pu SE
Feuilleton du RAPPEL
DU 3 AVRIL
v -- -» - -»
4
L'ÉVADÉ
ROMAN CANAQUE
CHAPITRE Il
lia presqu'île Duees
(Suite)
C'est au milieu des constructions qui
contournent la baie de Numbo, que les
condamnés à l'enceinte fortifiée sont
obligés d'aller chercher tous les matins
leur nourriture, moins heureux que les
bêtes du Jardin d'acclimatation à qui un
employé apporte la leur. Celui qu'en sa qua-
lité de doyen de la déportation, ses com-
pagnons de captivité appelaient « le père
Alavaill », habitait une paillote en torchis,
de l'autre côté de la montagne, dans la
vallée de Tindu. A la lecture de cette
étrange affiche, lui signifiant qu'il eût à
réclamer, comme une bourriche de gibier,
Voir le Rappel du 31 mars au 2 avril.,
un enfant du sexe féminin qui lui était
adressé de France, ce fut un éclat de rire
dans le camp des déportés. Trois ou quatre
parmi les plus ingambes risquèrent une in-
solation en courant, à toute bride, le pré-
parer à recevoir ce cadeau si inattendu.
Mme Alavaill avait écrit à son mari son
projet d'aller le rejoindre, mais la lettre,
faute d'adresse suffisante, ou pour cause
de port insuffisant, était restée en souffrance
dans les cartons de la marine.
Le vieux prisonnier n'eut pas un instant
le soupçon que la bourriche en question
pût contenir Armande, qui, en tout cas,
n'eût pas abandonné ainsi sa mère à Pa-
ris pour venir s'installer dans la brousse
de la presqu'île Ducos. Il crut à quelque
erreur, à quelque mauvaise plaisanterie,
et s'égaya de bon cœur avec ses camara-
des, qui ne manquèrent pas de lui paser
les questions les plus comiquement insi-
dieuses sur la source de cette enfant ina-
ivouée.
— C'est la fille de quelque danseuse
qu'il aura lâchement abandonnée, disait
l'un.
- Voilà où mène la débauche 1 s'écriait
l'autre.
- Je vais informer Mme Alavaill de vo- ;
'i tre conduite, ajoutait un troisième. Elle
s'empressera de vous rendre la pareille.
Elle est bien sûre que vous ne viendrez pas
la surprendre.
On connaissait par l'affiche administra-
tive le sexe de l'enfant, mais on ignorait
son âge. Etait-ce un poupon ou une
grande demoiselle ? A quelle époque et
dans quelles circonstances le père Alavaill
avait-il perpétré ce crime? Les supposi-
tions marchaient, et il se laissait, avec un
flegme joyeux, traiter de gaillard et de sé-
ducteur, quand un déporté, posté sur la
montagne qui, coupant en deux la pres-
qu'île, sépare le camp de Numbo de la
vallée de Tindu, lui fit signe d'accourir. Le
bateau du gouvernement amenait les deux
passagères de la Thisbé, destinées à la pres-
qu'île, les autres restant à Nouméa ou
poussant jusqu'à l'île des Pins, lieu de dé-
portation simple, et dont, par une ano-
malie toute française, les locataires sont
beaucoup plus isolés, plus tenus et plus
mal nourris que ceux de la presqu'île Du-
cos, lieu de déportation fortifiée.
Bien que la silhouette d'Armande, as-
sise à l'avant du canot, se découpât dans
l'embrasement lumineux de la mer, le
père Alavaill la vit avancer sans la recon-
naître. Elle débarqua sur la partie de la
berge interdite aux déportés, car ils occu-
pent un simple lopin de ..terre dans la
presqu'île Ducos, qui passe pour leur
avoir été concédée tout entière. Elle mar-
chait, son panier à la main, entre deux
surveillants, au milieu desquels on aurait
pu la prendre pour une femme arrêtée en,
flagrant délit et conduite au poste.
Quand elle fut arrivée au poteau formant
la frontière du pénitencier, et, pour toute
fortification, portant cette inscription : Li-
mite, elle se sentit trembler d'embarras en
voyant caracoler au-devant d'elle, comme
une troupe de chevaux sauvages, des hom-
mes débraillés et minables qui ne parais-
saient pas avoir autrement conscience de la
sordidité de leurs toilettes. Des chapeauy
de paille ravinés par les pluies ôu tordus
comme des plaisirs dans le brasier de la
zône torride, des pantalons de toile effilo-
qués par deux ans de lavage, des vareuses
brûlées par l'eau salée et collées à des
épaules auxquelles elles tenaient lieu de
chemises, s'entrecroisaient dans une bous-
culade générale; des souliers Godillot, fa-
briqués pour le premier siège et utilisés
sous le second, se marchaient les uns sur
les autres. C'étaient des enfants de la ci-
vilisation redevenus fils dE) la nature en
vertu de la théorie des milieux exposée
par Darwin.
Un seul, dans cette foule houleuse et dé-
penaillée, témoignait encore d'un senti-
ment de coquetterie que cinq ans de sau-
vagerie, loin de tout œil féminin, n'avaient
pu totalement éteindre. C'était le déporté
Florissant, ancien acteur, pensionnaire»
ides théâtres d'Angers, Rouen, Toulouse et
autres chefs-lieux. Ce brave garçon, de
,passage à Paris en mai 1871, où il se trou-
vait « libre d'engagements », n'avait envi-
sagé de l'insurrection communale que le
côté scénique inhérent à tout mouvement
populaire. Le jour de la proclamation du
nouveau gouvernement, devant deux cent
mille gardes nationaux, sur la place de
l'Hôtel-de-Ville, il s'était écrié :
— Quel beau cinquième acte ! Mettez un
praticable dans le fond, il y a là un décor
à faire courir tout Paris.
Il s'était improvisé le Murat des barri-
cades. Sa ceinture rouge, qu'il enroulait
par dessus son uniforme quand il marchait
au feu, le prenait au bas du ventre pour
ne s'arrêter qu'au menton. Son képi de
bataille avait des inclinaisons à la Lamo-
ricière. Quand un obus passait au-dessus
de sa tête, il le saluait de la main. Il por-
tait invariablement son pantalon dans ses
bottes, ce qui lui permettait de faire des
effets de cuisse. Il ne serait pas descendu
acheter un petit pain au lait sans avoir
deux revolvers dans ses fontes. Voilà pour
la vie publique. Dans la vie privée, il par-
lait par hémistiches, et disait volontiers du
clergé :
Les prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense.
Il aimait à employer dans les discus-
sions le mot « aristocrate », qui lui offrait
la bonne fortune de faire vibrer deux r.
Ses costumes comme ses attitudes va-
riaient selon les dispositions de son esprit
expansif. Tantôt, il sortait de sa case, son
chapeau paillasson enfoncé en pain de ;
sucre sur ses yeux jusqu'à la coiffe, les
pieds nus, son épaule sortant à moitié de
sa chemise ouverte, et se mettait à arpen-
ter la grève coquillageuse, du pas fatal
d'un Titan foudroyé par le destin.
Tantôt, les moustaches en croc, une
branche de palétuvier passée en verrouil
dans sa ceinture, la culotte retroussée
jusqu'aux genoux, afin de laisser voir la ■
musculature « arrristoerrratique » de son
mollet, il se dressait tout à coup à la pointe
de quelque rocher, la main surla garde de
son épée de bois, les bords de son feutre
(en paille) relevés sur la tempe, avec des
airs de Saverny de Marlon de Lorme. Ses
compagnons s'amusaient de cette faculté
de transformation, mais ils ràimaienty
parce qu'ils le savaient-jorêt à jous Jes
dangers et que, comme il le répétait lui'
même, il voulait bien jouer les grimes,
mais qu'il ne consentirait jamais à jouer le*
traîtres.
Averti à temps que deux femmes, l'une
âgée, l'autre jeune, cinglaient vers la pres,
qu'île Ducos, il était subitement rentré
dans son gourbi pour y faire un brin de
toilette qui lui permît de se présenter de;
vant ce sexe aux pieds duquel il était si
souvent tombé sur les planches du théâtrd
de Toulouse, Il reparut quelques minutes
plus tard, la taille sanglée dans un rubâi
bleu qui pendait jusqu'à mi-jambô, et te-
nant, en guise de parasol, une feuille de
bananier qu'il agitait en cadence, commet
dans les féeries, ces esclaves qui écartent
les moustiques du front de leurs maîtr'ës"sjp
endormies. * V*'
C'est dans cet attirail qu'il se fit jÕîft
jusqu'à Armande, à qui il offrit la mai?
dans la pose usitée au Conservatoire
et, tout en la conduisant au père ÀlâV
vaill, que ses vieilles jambes avaient laissa
en retard, il dit à la jeune fille toute dé^1
sorientée : :
— Ne craignez rien, mademoiselle, ûM?
sommes ici huit cents hommes dë"éœ'
résolus à mourir pour vous.
UN ÉVADÉ,
(A suivre.)
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