Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1879-03-09
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 09 mars 1879 09 mars 1879
Description : 1879/03/09 (N3285). 1879/03/09 (N3285).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7530501k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/08/2012
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RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
88, RUE DE VALOIS, 18
lès manuscrits non insérés ne seront pas rendus
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ADMINISTRATION --,
18, BUE DB VALOIS, 18
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PARIS
Trois mois
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Adresser lettres et mandats
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ftE CENTRE fJVICHE
Vous Souvenez-vous comme, il y a
%ielques semaines seulement, les mo-
dérément républicains étaient fiers et
superbes.? Même après les élections qui
avaient républicanisé le Sénat, même
après le remplacement de M. de Mac-
Mahon par M. Jules Grévy, le centre
gauche disait : « Moi seul, et c'est as-
sez ! » Le Journal des Débats regardait
avec une pitié méprisante ces gauches
qui croyaient avoir droit à une part
du pouvoir. Tout le ministère m'appar-
tient, disait-il, quia nominor Leo Say.
Le centre gauche est tout. Le centre
gauche est Dieu, et son prophète.
Et aujourd'hui, écoutez : « Ce qu'il
serait difficile de dire, c'est ce qu'est
devenu le centre gauche. Nous l'avons
cherché en maintes circonstances, nous
ne l'avons pas trouvé. On rencontre
quelquefois encore des membres du
centre gauche ; on les reconnaît géné-
ralement à leur tristesse. Le mot de
mélancolie conviendrait davantage pour
exprimer ce découragement qui annon-
ce l'abdication. M Quel est le journal
qui parle ainsi du centre gauche ? Le
journal du centre gauche, le Journal
des Débats.
Aujourd'hui, le Journal des Débats
'ne ricane plus, il gémit. Il ne menace ;
>j$us, il implore. Il ne dit plus qu'il n'a
Ifiêsoin de personne, il tend à la gauche
«Modérée des mains suppliantes. La
chiite de M. de Marcère lui est d'un'
triste présage. Si elle devait être la,
fce(ule, il s'en consolerait, car le Journal1
des Débats ne porte jamais longtemps le
deuil dé ses amis, mais « après le tour
de M. de Marcère viendra le tour d'un
autres. De quel autre? Il ne le dit pas,
mais tout le monde le dit. Oui, c'est
monstrueux, mais il existe des gens
capables de ne pas considérer comme
un homme absolument providentiel et
jindispensable le ministre des finances
;que le trois pour cent amortit et que
le cinq ne convertit pas.
Il existe des gens capables de rêver
« l'homogénéité du cabinet ». Ici, le
Journal des Débats se souvient que, l'ho-
mogénéité du cabinet, il l'a réclamée
lui-même l'autre mois. Mais il faut s'en-
tendre. Il y a homogénéité et homogé-
néité. Celle que les Débats réclamaient,
et qu'ils sont encore tout prêts à ac-
cepter, c'est celle qui donnerait tous les
portefeuilles au centre gauche. Et pour-
quoi pas? pourquoi donc le centre gau-
che n'aurait-il pas, sinon tous les por-
tefeuilles, au moins le plus grand nom-
bre? Parce qu'il est quelque chose
comme une cinquantaine sur une ma-
jorité de près de quatre cents? Alors,
« les plus forts s'imposeront donc
aux plus faibles »? N'est-il pas plus nor-
mal que les plus faibles s'imposent aux
jplus forts?
Les Débats appellent donc la gauche
(modérée au secours du centre gauche.
¡La première chose qu'ils lui deman-
dent, c'est de mettre le centre gauche
à la porte.
En propres termes. Il paraît que « ce
pauvre centre gauche est toujours
sorti » ; qu' « il va d'un groupe à l'au-
tre, écoutant tout, médiocrement écouté
lui-même »; qu'il est sans cesse à com-
mérer chez ses voisins. « Il rentrera
chez lui, bon gré mal gré, puisque ses
voisins l'auront mis à la porte de chez
eux. » Chez lui, « il perdra ses habi-
tudes de vagabonder et redeviendra un
brave et honnête groupe, très diminué
sans doute, très amoindri, mais n'im-
porte » : la médiocrité chez soi vaut
encore mieux que le vagabondage.
Quand le centre gauche aura cessé
d'être un vagabond, quand il vivra di-
gnement dans son intérieur, quand il
sera redevenu ce que son propre jour-
nal lui dit en face qu'il n'est plus, le
centre gauche méritera qu'on recom-
mence à compter avec lui, et les Débats
sont convaincus qu'alors, dès qu'il in-
vitera la gauche modérée à rompre avec
l'extrême gauche pour se consacrer à
lui, la gauche modérée s'empressera
de lui répondre : A toi pour la vie !
Nous en sommes moins convaincus
que les Débats, et nous croyons plutôt
que la gauche, si modérée qu'elle fût, ré-
pondrait à l'invitation du centre gauche
qu'elle n'éprouve pas un immense be-
soin de perdre cent cinquante alliés
pour en regagner cinquante. Nous
croyons que le centre gauche fera sage-
ment de se résigner à cette loi néces-
saire: qu'un ministère ne peut avoir la
majorité qu'en étant le ministère de la
majorité, c'est-à-dire en partageant le
pouvoir proportionnellement à l'impor-
tance numérique des groupes dont la
majorité se compose. Ce n'est pas notre
faute si le centre gauche, qui déjà n'était
pas le groupe le plus nombreux, s'est
encore « amoindri » et « diminué ».
Nous ne demandons pas que les autres
lui fassent ce qu'il voulait faire aux au-
tres. Nous sommesplus généreux que lui
et nous admettons qu'il ait la part due à
son chiffre, mais pas davantage. Il doit
absolument renoncer à être dans le
gouvernement plus ni même autant que
ceux qui sont plus que lui dans la
Chambre, et notre étonnement est que
ce soit au journal d'un ministre des
finances qu'il faille apprendre que
cinquante sont moins que trois cents.
AUGUSTE VACQUBRIB.
unir -
COULISSES DE VERSAILLES
:, -
La journée parlementaire d'hier a une
importance particulière.
De graves résolutions y ont été pri-
ses au point de vue de la mise en accu-
sation des ministres du Seize-Mai et du
retour des Chambres à Paris, en même
temps que deux des groupes de la majo-
rité républicaine, la gauche et le centre-
gauche, arrêtaient à un autre point de vue
des résolutions appelées à exercer une in-
fluence très sensible sur la situation. Nous
allons faire connaître en détail ces diver-
ses questions.
La commission d'enquête sur le Seize-
Mai s'est réunie hier, à une heure, et ne
s'est séparée qu'après cinq heures de déli-
bérations et après avoir pris des résolu-
tions définitives.
La commission, au début de sa séAhce.
a entendu les ministres de la justice et de
l'intérieur, qui sont venus donner une se-
conde et dernière fois l'avis du gouverne-
ment, en rendant le rapport général de
M. Brisson qui leur avait été commu-
niqué.
C'est M. -Lepère qui a presque seul porté
la parole. C'était la première fois qu'il se
présentait devant la commission en qualité
de ministre de l'intérieur ; précédemment
il n'avait pas été appelé à venir conférer
avec elle.
M. Lepère a dit que, comme ses collè-
gues, il croyait devoir se prononcer contre
le procès du Seize-Mai. Avant d'entrer au
ministère, il avait déjà pensé que cette
mesure serait impolitique et dangereuse,
et depuis il n'a fait que se fortifier davan-
tage dans cette conviction. Les membres
du cabinet avaient déjà, dans une première
entrevue avec la commission, exposé cette
manière de voir; depuis, ils ont pris con-
naissance du rapport de M. Brisson, et
M. Lepère a dit qu'il pouvait déclarer en
leur nom, comme au sien, que cette lecture
n'avait pas modifié teur résolution.
Les raisons par lesquelles le gouverne-
ment croit devoir combattre le procès
du Seize-Mai restent ce qu'elles étaient
précédemment. Le ministère n'a pas cessé
de penser que le vœu du pays en faveur
de l'apaisement, de la solution des ques-
tions d'affaires, de l'abandon des questions
politiques irritantes, est général et mani-
feste, que la mise en accusation donne-
rait lieu à une procédure longue et déli-
cate qui agiterait les esprits, raviverait les
haines locales, susciterait les accusations
réciproques et finalement troublerait le
pays et porterait atteinte à sa prospérité.
M. Lepère, sans méconnaître la gravité
des actes commis par les ministres du
Seize-Mai, prétend qu'on ne pourrait arriver
à des qualifications légales suffisantes pour
conduire à des condamnations efficaces.
On n'obtiendrait — en cas de condamna-
tion - que des peines légères, dérisoires,
qui n'auraient aucune signification. Quant
aux ministres du cabinet Rochebouët, que
le rapport Brisson met également en cause,
la question est différente. Le rapport re-
late les ordres donnés par ce ministère aux
chefs de corps pour sévir contre la popu-
lation avec une rigueur et une cruauté
qu'on ne saurait trop sévèreement juger.
Mais, suivant M. Lepère, il n'est pas
prouvé que ces ordres fussent conçus en
vue de la perpétration d'un coup d'Etat, il
y aurait plutôt lieu de croire qu'on voulait
s'adresser au Sénat pour lui demanderune
seconde dissolutionde la Chambre et qu'en
prévision de troubles populaires que cette
seconde dissolution aurait provoqués, on
avait donné les ordres si violents que fait
connaître le rapport de M. Brisson.
En tous cas, à supposer qu'il n'en fût
pas ainsi, il faudrait établir qu'il y a eu
complot militaire dans le but de changer
la forme du gouvernement. Cette consta-
tation, outre qu'elle est difficile et peut-
être impossible, offre de graves dangers au
point de vue du bon ordre dans l'armée.
M. Le Royer, qui n'avait pris la parole
que quelques instants au début de la
séance, a rappelé aussi cet argument de
l'armée et il s'est retiré immédiatement
après pour aller rejoindre M. Waddington
à la commission du retour à Paris.
Après le départ des ministres, un débat
approfondi s'est engagé sur la question
de savoir quelles conclusions on donnerait
au rapport de M. Brisson.
On sait que M. Brisson proposait primi-
tivement la nomination d'une commission
d'instruction qui seule soumettrait à la
Chambre la mise en accusation. M. Flo-
quet, depuis, avait démontré — ainsi que
nous l'avons expliqué — que la commis-
sion pouvait et devait directement propo-
ser la mise en accusation.
C'est sur ce terrain purement juridique
que le débat. s'est engagé. MM. Albert
Grévy et Jozon ont soutenu — en s'ap-
puyant sur le précédent de 1830 — que
l'instruction devait être faite par la Cham-
bre. Au contraire, M. Floquet et les parti-
sans de la mise en accusation directe ont
soutenu que l'instruction ne pouvait ap-
partenir au corps accusateur, mais seule-
ment à celui appelé à juger.
M. Brisson s'était, dès le début de la
discussion, rallié à cette opinion et avait
supprimé ses conclusions primitives. C'est
le système de la mise en accusation di-
recte qui l'a emporté par 22 voix contre 7
et 4 abstentions ou absences.
Il y a eu 2 votes successifs :
1° La commission a décidé qu'elle pro-
poserait directement à la Chambre la mise
en accusation.
2° La commission a décidé qu'elle pro-
poserait le renvoi immédiat de l'affaire au
Sénat pour qu'il procédât à l'instruction et
au jugement.
Il est intéressant de connaître la répar-
tition des voix dans ce vote si important.
Quoique le scrutin ait été secret comme
les délibérations de la commission,
nous croyons pouvoir donner cette répar-
tition.
Il y avait 31 membres présents sur 33
dont se compose la commission. Les deux
absents étaient MM. Spüller et Villain, re-
tenus par raison de santé.
Les 22 voix qui ont voté pour la mise en
accusation sont celles de MM. Allain-
Targé, Louis Blanc, Brisson, Boysset,
Buyat, Brelay, Boissy d'Anglas, Baïhaut,
Germain Casse, Crozet-Fourneyron, Flo-
quet, Albert Joly, Lelièvre, Lecherbon-
nier, Lisbonne, Lockroy, Laisant, Ménard-
Dorian, Millaud, Mercier, Georges Perin
et Varambon.
Les 7 membres qui ont voté contre sont
MM. Bethmont, Bernard-Lavergne, Chris-
tophle, Fréminet, Jozon, Noirot et Léon
Renault.
« Enfin M. Albert Grévy, président, et M.
le général de Chanal se sont abstenus.
La commission a décidé que le rapport
de M. Brisson serait déposé aujourd'hui
samedi sur le bureau de la Chambre. La
résolution qui clôt le rapport et sur la-
quelle la Chambre aura à statuer est ainsi
concue :
« La Chambre décrète d'accusation les
ministres des cabinets des 16 mai et 23
novembre 1877, ordonne que le présent
rapport, le dossier et les pièces qui l'ac-
compagnent seront remis au Sénat, et dé-
signe MM. (3 membres à désigner
par la Chambre) pour remplir l'office de
ministère public auprès du Sénat. »
Avant d'autoriser le dépôt du rapport, la
commission a voulu en entendre une der-
nière lecture afin de bien peser tous les
termes de ce document. Celui-ci a été de
nouveau approuvé et maintenu sans modi-
fication.
L'oeuvre de M. Brisson est extrêmement
remarquable par la .vigueur de la rédac-
tion, la logique des déductions, la sûreté
de l'argumentation juridique et enfin la
fermeté des conclusions.
Ce rapport contient environ 120 pages,
dont une partie est consacrée à rappeler
les actes des 16 mai et 23 novembre 1877
et l'autre à qualifier juridiquement les
actes et i. montrer la présomption de cul-
pabilité qui pèse sur leurs auteurs.
Nous devons signaler surtout un pas-
sage de l'argumentation de l'honorable
rapporteur, qui répond à une objection
faite par M. Lepère, et que nous avons re-
latée plus haut. M. Lepère prétendait
qu'en voulant qualifier, au point de vue
des règles du Code pénal, les actes du mi-
nistère du Seize-Mai, on arriverait à des
qualifications très faibles nécessairement,
et par suite à des condamnations égale-
ment très faibles, sinon nulles.
Le rapport rappelle, au contraire, qu'on
a toujours pu poursuivre les ministres
pour le crime de haute trahison, que la
qualification de ce crime résultait de l'en--
semble des faits soumis à la juridiction
compétenté, et que celle-ci se prononçait
sans avoir à se prononcer sur le détail de
ces faits ; que, par suite, les peines affé-
rentes à ce genre de crime étaient applica-
bles, et qu'on n'avait plus dès lors à crain-
dre d'obstacles résultant de la jurispru-
dence.
Il est probable que la Chambre deman-
dera la lecture immédiate du rapport, et
que le gouvernement demandera que l'on
fixe la discussion à lundi ou mardi pro-
chain.
-0-
Pendant que la commission d'enquête
prenait ces graves résolutions, la commis-
sion du retour des Chambres à Paris se
réunissait au Palais-Bourbon pour enten- ;
dre les explications du gouvernement et
statuer définitivement.
On sait que cette commission est saisie,
de deux propositions, l'une de M. Spûller,
l'autre de M. Laroche-Joubert, tendant
toutes deux à faire trancher la question
du retour à Paris par voie de résolution
d'ordre intérieur.
MM. Waddington et Le Royer, qui sont
venus donner l'avis du gouvernement, ont
déclaré que celui-ci n'était pas opposé au
retour du Parlement à Paris, qu'il laisse-
rait aux Chambres l'initiative de la me-
sure, mais qu'il croyait de son devoir de
dire que la question ne pouvait être tran-
chée quo. par le congrès des deux Cham-
bres et par voie de révision constitution-
nelle. 1
Cet avis est, d'ailleurs, celui qu'avaient
exprimé la plupart des membres de la
commission.
Celle-ci a voté à l'unanimité, moins
une voix — celle de M. Rameau, maire de
Versailles — qu'elle proposerait à la
Chambre une motion tendant à réunir le
congrès, pour faire statuer sur la suppres-
sion de l'article 9 de la Constitution, qui
a fixé le séjour des Chambres à Ver-
sailles.
Le rapport a été confié à M. Méline, avec
mission d'indiquer que l'œuvre du congrès
serait nécessairement limitée à cette uni-
que question. Le gouvernement a déclaré
devant la commission qu'il pensait que les
deux Chambres devaient, par délibération
séparée, limiter le terrain de la révision à
la question projetée et que le congrès ne
devait pas franchir ces limites. D'ailleurs,
quoique discutable en droit, cette théorie,
en fait, n'a aucune conséquence sérieuse,
puisque les deux majorités qui auront dé-
cidé d'avance dp limiter l'objet du congrès
seront celles-mêmes qui formeront la ma-
jorité du congrès, et que dès lorf elles
n'auront qu'à appliquer leurs propres ré-
solutions.
La question du siège des Chambres et
du gouvernement étant rayée de la Cons-
titution, le gouvernement a déclaré à la
commission qu'il comptait proposer un
projet de loi ordinaire, c'est-à-dite n'ayant
plus le caractère constitutionnel, pour
régler les conditions de la résidence des
Chambres.
D'après ce projet les salles de Paris et
de Versailles seraient maintenues simul-
tanément; les séances se tiendraient à'
Paris ; mais dans chaque Chambre le bu-
reau aurait le droit de faire la convocation
à Versailles chaque fois que les événements
lui en feraient reconnaître la nécessité.
Enfin les réunions du congrès ne pourraient
pas se tenir ailleurs qu'à Versailles.
M. Méline va faire son rapport très
promptement, de manière que la question
puisse recevoir une sokition très pro-
chaine.
-0-
La gauche de la Chambre s'est réunie
pour statuer sur la question de distinction
des groupes, qui avait été soulevée à la
réunion de mercredi dernier. On se rap-
pelle que MM. Langlois et Margaine
avaient proposé d'interdire qu'à l'avenir
on pût faire partie de deux groupes à la
fois.
Cette question, de nouveau discutée
hier, a été résolue affirmativement à une
grande majorité? C'est ce que constate le
procès-verbal suivant, qui nous est com-
muniqué :
La délibération a été rouverte sur la propo-
sition de MM. Langlois et Margaine portant
modification du règlement par l'interdiction
des inscriptions doubles.
Une discussion approfondie a eu lieu sur
cette question. MM. Margaine, de Sonnier,
Fréminet, de la Porte y ont pris part succes-
sivement.
La réunion, à une très forte majorité, a
adopté la proposition et décidé qu'à l'avenir
les membres de la gauche républicaine ne
pourront faire partie d'un autre groupe.
Au cours de la discussion, M. Camille Sée,
secrétaire de la gauche, a donné lecture des
chiffres de statistique parlementaire qui sui-
vent :
Centre gauche pur 31 membres.
Union républicaine pure 52 —
Extrême gauche pure 17 —
Gauche républicaine actuelle:
Gauche et union 83 membres.
Gauche et centre gauche 53 -
Gauche, union et et extrême
gauche 1 -
Gauche, union et centre i-
Gauche pure 98 -
Total pour la gauche 236 membres.
La gauche républicaine pure a été requit?
au chiffre de 98 par l'élection récente de 9 dt
ses membres comme sénateurs. -
-■ Q M
Pour terminer cet historique de la jôuri
née, il nous reste à signaler la réuniog
tenue hier par le centre gauche de la
Chambre. ","
Ce groupe a tenu séance au Palais^
Bourbon, sous la présidence de M. Ger*
main, pour discuter la situation politique
actuelle. 42 membres étaient présents. ,'
La réunion s'est montrée un peu émug
des changements survenus dans le cabi-
net; elle a manifesté quelque mauvaise
humeur contre la politique actuelle, en ne
cachant pas assez que ce mécontentement
était inspiré par la perte de quelques por3
tefeuilles pour ce groupe.
MM. Ribot, Léon Renault, Beaùssire)
Renault-Morlière, Franck-Chauveau, etc?ï
se sont tous prononcés contre la politiquè
d'irrésolution et de concessions exagérée!
- suivant leurs expressions- que suivrait
le cabinet actuel. Ils ont déclaré que
politique du groupe n'était plus suffisait
ment représentée ni défendue dans le ca-
binet, et que le centre gauche devait dv
lors recouvrer sa liberté d'action. Il devr,
suivant eux, appuyer le cabinet lorsque
ses vues seront conformes à celles du
groupe, et ne pas le suivre en cas con-
traire. : >..J
Aussi, pour marquer cette nouvelle at-
titude, la réunion a été appelée à se pro-
noncer sur la question du retour à Paris.
Elle a voté qu'elle considérait ce retour
comme inopportun, et qu'elle ne l'approus
verait que lorsque la Préfecture de police
serait rattachée entièrement aux services
de l'Etat et soustraite à l'actiofi du cohseiï
municipal de Paris. V T
Pour bien se rendre compte de l'inanité
de cette démonstration, il importe de le
rappeler qu'il y avait 42 membres sèul( £ »
ment présents et que la résolution n'a étï
votée qu'à la majorité..,:,;,,>,
Il y a là un petit groupe de mécontents
qui s'irritent devoir le cabinet plus à gau*
che, parce que ce déplacement dépossédé
le centre gauche.
+ V
A VERSAILLES
Avec la meilleure volonté du monder
il m'est impossible d'écrire ùù mot déf
la séançe du Sénat, tant elle était par-
faitement insignifiante ! Il a été qu'o-sï
tion de tramways, puis d'une caisse dé
retraite ; on écoutait peu, on est parti
de bonne heure. Tout ce que nous
avons rapporté de Versailles, c'est 1 et
souvenir d'un Lorgeril de printenijSS^
aperçu dans les couloirs. Le -ciel était
bleu, et le vicomte était cramoisi.- Il y
avait je ne sais quel air de renouveâu
sur sa large figure, où sa barbiche
blonde fait un effet de jonquille dans
un bouquet de pivoines. M. Cle Bel.
castel était aussi à Versailles; j'ignore
pourquoi. Est-ce qu'il n'est pas assez
blackboulé? Cela m'a fait plaisir de re-
voir sa figure mystique de moine de j
Zurbaran. Il y a une sorte d'extase l'a.
ligieuse sur sa physionomie. Il a toua
jours l'air de voir en rêve là Viergé
descendant du ciel dans une couronné
d'anges, pour remplir miraculeusement
les caisses des sociétés d'assurances les
moins fortunées. ?
On causait de choses et d'autreg ati
Sénat, entre autres de la nomination
de M. Caubet comme chef de cabinet
de la préfecture de police. Ce choix
était fort bien accueilli. On dit que
M. Lombard est mis à la porte. Il
était temps. M. Voisin, il est vrai, écrit
des lettres pleines de l'éloge dé M.
Lombard; il ne manque plus qu'un dé-
tail à ce tableau : c'est que M. Lombard
écrive des lettres pleines de l'éloge de
M. Voisin. Mais M. Lombard est trop
prudent, il aurait peur de se comprô*
mettre.
Avant de prendre la plume, l'àhèiétf
Feiiiïleton du RAPPEL
DU 9 MARS
£ = ï-
92
latyS.
jrETITEo Ei OlEjbo
.-.-=-., -.-
XVI
Cëeile. - (Suifé)
Là lettre du père Morillot, très formelle
et très nette, n'admettait d'autre réplique
qu'une obéissance absolue. Marguerite fail-
lit s'évanouir lorsque Germain lui lut cela,:
Elle levait, effrayée, ses pauvres yeux sur
ceux de Germain, pour lire au fond de la
pensée de son amant.
— Et tu as reçu ça quand donc?
— Tout à l'heure.
Elle balbutiait en parlant et Germain
-r.':;pnndait d'un ton vif, ferme, comme un
bomm J dont la résolution est prise.
Voir le Rappel du 25 novembre au 9 mars.
- Et tu as répondu?.
- Rien encore.
Elle s'arrêta, n'osant pas — tant elle
lavait peur -lui demander ce qu'il répon-
drait.
- Tu sais, Germain, dit-elle pourtant
[au bout d'un moment, si je dois être un
obstacle. si je te perds. si je te gêne.
Il lui fit signe de se taire et resta lui-
-même toute la soirée sans parler.
Et pendant des jours, ces deux êtres, qui
[s'étaient tant aimés et qui tenaient l'un à
[l'autre par des liens si forts, demeurèrent
ainsi, face à face, elle ni lui n'ayant le cou-
rage dé revenir à cette question cruelle
: que le père venait de soulever. Marguerite
jsavtit seulement, par Germain, que son
(amant, pour toute réponse, était retourné
à La Chapelle s'expliquer. Il avait donc
iFevu son père, et, qui sait? probablement
[aussi cette fille dont le vieux Morillot par-
lait dans sa lettre et qui était si jolie.
Pourquoi Germain ne soufflait-il mot de
cette visite? S'il avait su combien ce si-
lence faisait de mal à Marguerite! Elle en.
tremblait.
— C'est vrai, pensait-elle, s'il ne me dit
rien, c'est qu'il n'a rien de bon à me dire.
Il est peut-être las de la misère et avec
moi, et alors.
Alors, son imagination lui montrait Ger-
main au bras d'une autre femme, Germain
gai, riant, débarrassé de ce boulet qu'il
traînait, et devenant à La Chapelle un bon
bourgeois, trônant, comme il en avait le
droit, dans la rôtisserie du père, au milieu
des volailles aux chairs blanches et des
poulets qui tournaient, à la broche
devant le grand feu clair, et qui sentaient
bon ! Et il y avait là, dans la boutique, une
jeune femme, fraîche, jolie, aimée. Tan-
dis qu'elle, la pauvre Marguerite, il ne fal-
lait pas qu'elle se regardât longtemps pour
voir ce que la maladie avait fait d'elle.
Elle n'était pourtant pas vieille, mafè elle
avait souffert, étant petite, et trimé, trimé,
depuis ses quatorze ans !
Elle se résignait d'avance comme une
martyre au coup brutal qui la menaçait.
Germain allait la quitter. Ces choses-là
arrivent à toutes les maîtresses. Elle n'é-
tait pas de celles qui s'accrochent à un
homme comme à une proie. Et pourtant
elle n'avait pas plus de titre à l'amour
éternel de Gecmain que cette Léa n'en
avait à celui de M. Vauthier. Elles por-
taient le même nom, l'une et l'autre : la
maîtresse. Elle se demandait seulement si
elle attendrait que Germain se séparât
d'elle pour en finir. C'est vrai, elle avait
eu, une après-midi, l'idée de se jeter à
l'eau, ou de monter au haut des Buttes et
de se laisser tomber dans quelque trou.
Des folies! EL puis, elle ne voulait pas
qu'il y eût une mort sur le bonheur de
Germain. Il gavait trop aimée pour l'oublier
jamais tout à fait. C'était pour Morillot,
pour lui épargner des larmes, un remords,
qu'elle se résignait à vjvre.
Il rentra, un matin, à l'heure du dé-
jeuner, les yeux allumés, presque gai,
mais d'une gaîté nerveuse, fouettée et
factice. Depuis qu'il lui avait lu, montré
la lettre de son père, il y avait quinze jours
de cela, elle ne l'avait jamais vu aussi
animé. Touten mangeantunpeude bouilli,
quelques pommes de terre frites et du
fromage, il dit à Marguerite :
— Il y a du nouveau, ma pauvre fille !
— Ah ! fit-elle en le regardant d'un air
effaré, comme si la minute de la sentence
était venue.
— Oui, je suis las, vois-tu, de patauger
comme je le fais. J'ai trouvé une place,
rue des Vinaigriers, dans un petit atelier
de camelotte. Ça m'humilie un peu de tra-
vailler chez des margoulins. Mais bah ! ce
n'est que pour un temps. Le nouveau que
je t'annonce, tu dois t'en douter : je me
marie !
- Ah! tu. te.
Assise en face de lui, Marguerite avait
laissé tomber sa fourchette d'étain et, la
bouche ouverte, les yeux agrandis, elle le
regardait avec l'expression hagarde de la
brebis sous le couteau du boucher.
— Oui, dit Germain. C'est résolu. Voilà
trop longtemps que le père me tracasse.
Il n'est pas bon de ne pas faire comme
tout le monde. C'est le pont d'Avignon, le
mariage. Eh ! bien, tant pis pour moi, je
vais y passer 1 — Qu'est-ce que tu en dis?
Elle ne répondait pas; les lèvresblémies
comme celles d'une morte, elle essayail
de sourire, d'approuver, avec ce coup de
couteau dans le cœur.
— Comprends bien une chose, Margue
rite, je ne veux pas te chagriner, mah,
vivre comme nous vivons, ce n'était pas
une position. Il faut que tout finisse. Et
puis, pour une maîtresse, dame! tu es
mûre, ma fille, et avec ça, cette petite
vérole, ce n'est pas ça qui t'a arrangée.
C'est bien ton avis ?
Il lui disait ces choses-là, tout naturel-
lement, n osant pourtant pas la regarder
en face, et elle se demandait, l'entendant
parler, s'il était fou ou s'il était ivre. Il
n'était pas méchant pourtant, Morillot.
Pourquoi prenait-il donc comme ça plaisir
à lui tordre le cœur? Est-ce qu'elle lui
avait fait quelque chose? Est-ce qu'elle
s'était mal conduite? Est-ce qu'elle ne l'a-
vait pas assez aimé?
Elle comprit tout bien vite, d'ailleurs,
lorsque Morillot ajouta qu'il épousait
quelqu'un qu'il aimait. Il fallait donc le
dire ! un amour nouveau, cela vous rend
implacable pour l'ancien! Il s'était laissé
prendre, ce Germain, aux beaux yeux de
celle qu'on lui voulait donner pour fian-
cée, et alors.
— Oui, ma fille, oui, j'épouse quelqu'un
qui me plaît, et je crois que je serai heu-
reux. Tu ne m'en veux pas? Je ne de-
mande qu'une chose au sort, c'est que les
années qui vont suivre soient aussi bonnéf
à vivre que celles que nous avons traver..
sées ensembles.
— Alors, Germain, tu reconnais quej'ai*
été une bonne fille?
Elle parlait avec des efforts tragiques,
comme si une angine l'eût serrée h la
gorge.
— Une bonne fille et une brave fille,
dit Germain. C'est bien pourquoi je te dis
tout ça. Tu me le pardonnes?
— Qu'est-ce que tu veux que je te par-
donne? Tu ne me dois rien! Je t'ai
aimé, tu m'as aimée. Oh 1 tu m'aimais,
je le sais bien, va! Je t'ai empêché de vi..
vre heureux chez ton père ; j'ai peut-être
gâché ta vie. En bas comme en haut, ça
arrive, ça. Maintenant, tu trouves Focca-
sion de te raccommoder. Tu rentres chez
toi, tu me laisses, tu es dans ton droit.
Je dirai même que tu fais bien, mon pau-
vre Germain. Et je ne te souhaite qu'une
chose, c'est que, bon et honnête et fraac
et confiant comme tu l'es, tu trouves une
femme digne de toi. Mais tu la trouveras.
Ce sont les hommes qui font les femmesI
— Ta main, Marguerite, dit Germaâtt
très ému, gagné par l'émotion qui éton
fait la brave fille, et qu'elle surrûontait
cependant pour parler.
JULES C L A, Rr, e t T&%,.
(A suivre^
N* 3285 -~ inMMîMS'9"TM~?S?9 'lJè;iJfiûÎÚerob: "01'8 ""1DépRI'Centelff,s r-ra c. i9 Ventâse âiti 87 -J\Na 323W
RÉDACTION
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soir
88, RUE DE VALOIS, 18
lès manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGE, CERF et Ce
6, place de la Bourse, G
J' -- -
ADMINISTRATION --,
18, BUE DB VALOIS, 18
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PARIS
Trois mois
Six mois 2Û «>
^)ÉPABTESIENTS
Troiïi, mois. 13 &,
§ix iùois 27
Adresser lettres et mandats
A M V\\ ÏM TV. T F i> v n w
ftE CENTRE fJVICHE
Vous Souvenez-vous comme, il y a
%ielques semaines seulement, les mo-
dérément républicains étaient fiers et
superbes.? Même après les élections qui
avaient républicanisé le Sénat, même
après le remplacement de M. de Mac-
Mahon par M. Jules Grévy, le centre
gauche disait : « Moi seul, et c'est as-
sez ! » Le Journal des Débats regardait
avec une pitié méprisante ces gauches
qui croyaient avoir droit à une part
du pouvoir. Tout le ministère m'appar-
tient, disait-il, quia nominor Leo Say.
Le centre gauche est tout. Le centre
gauche est Dieu, et son prophète.
Et aujourd'hui, écoutez : « Ce qu'il
serait difficile de dire, c'est ce qu'est
devenu le centre gauche. Nous l'avons
cherché en maintes circonstances, nous
ne l'avons pas trouvé. On rencontre
quelquefois encore des membres du
centre gauche ; on les reconnaît géné-
ralement à leur tristesse. Le mot de
mélancolie conviendrait davantage pour
exprimer ce découragement qui annon-
ce l'abdication. M Quel est le journal
qui parle ainsi du centre gauche ? Le
journal du centre gauche, le Journal
des Débats.
Aujourd'hui, le Journal des Débats
'ne ricane plus, il gémit. Il ne menace ;
>j$us, il implore. Il ne dit plus qu'il n'a
Ifiêsoin de personne, il tend à la gauche
«Modérée des mains suppliantes. La
chiite de M. de Marcère lui est d'un'
triste présage. Si elle devait être la,
fce(ule, il s'en consolerait, car le Journal1
des Débats ne porte jamais longtemps le
deuil dé ses amis, mais « après le tour
de M. de Marcère viendra le tour d'un
autres. De quel autre? Il ne le dit pas,
mais tout le monde le dit. Oui, c'est
monstrueux, mais il existe des gens
capables de ne pas considérer comme
un homme absolument providentiel et
jindispensable le ministre des finances
;que le trois pour cent amortit et que
le cinq ne convertit pas.
Il existe des gens capables de rêver
« l'homogénéité du cabinet ». Ici, le
Journal des Débats se souvient que, l'ho-
mogénéité du cabinet, il l'a réclamée
lui-même l'autre mois. Mais il faut s'en-
tendre. Il y a homogénéité et homogé-
néité. Celle que les Débats réclamaient,
et qu'ils sont encore tout prêts à ac-
cepter, c'est celle qui donnerait tous les
portefeuilles au centre gauche. Et pour-
quoi pas? pourquoi donc le centre gau-
che n'aurait-il pas, sinon tous les por-
tefeuilles, au moins le plus grand nom-
bre? Parce qu'il est quelque chose
comme une cinquantaine sur une ma-
jorité de près de quatre cents? Alors,
« les plus forts s'imposeront donc
aux plus faibles »? N'est-il pas plus nor-
mal que les plus faibles s'imposent aux
jplus forts?
Les Débats appellent donc la gauche
(modérée au secours du centre gauche.
¡La première chose qu'ils lui deman-
dent, c'est de mettre le centre gauche
à la porte.
En propres termes. Il paraît que « ce
pauvre centre gauche est toujours
sorti » ; qu' « il va d'un groupe à l'au-
tre, écoutant tout, médiocrement écouté
lui-même »; qu'il est sans cesse à com-
mérer chez ses voisins. « Il rentrera
chez lui, bon gré mal gré, puisque ses
voisins l'auront mis à la porte de chez
eux. » Chez lui, « il perdra ses habi-
tudes de vagabonder et redeviendra un
brave et honnête groupe, très diminué
sans doute, très amoindri, mais n'im-
porte » : la médiocrité chez soi vaut
encore mieux que le vagabondage.
Quand le centre gauche aura cessé
d'être un vagabond, quand il vivra di-
gnement dans son intérieur, quand il
sera redevenu ce que son propre jour-
nal lui dit en face qu'il n'est plus, le
centre gauche méritera qu'on recom-
mence à compter avec lui, et les Débats
sont convaincus qu'alors, dès qu'il in-
vitera la gauche modérée à rompre avec
l'extrême gauche pour se consacrer à
lui, la gauche modérée s'empressera
de lui répondre : A toi pour la vie !
Nous en sommes moins convaincus
que les Débats, et nous croyons plutôt
que la gauche, si modérée qu'elle fût, ré-
pondrait à l'invitation du centre gauche
qu'elle n'éprouve pas un immense be-
soin de perdre cent cinquante alliés
pour en regagner cinquante. Nous
croyons que le centre gauche fera sage-
ment de se résigner à cette loi néces-
saire: qu'un ministère ne peut avoir la
majorité qu'en étant le ministère de la
majorité, c'est-à-dire en partageant le
pouvoir proportionnellement à l'impor-
tance numérique des groupes dont la
majorité se compose. Ce n'est pas notre
faute si le centre gauche, qui déjà n'était
pas le groupe le plus nombreux, s'est
encore « amoindri » et « diminué ».
Nous ne demandons pas que les autres
lui fassent ce qu'il voulait faire aux au-
tres. Nous sommesplus généreux que lui
et nous admettons qu'il ait la part due à
son chiffre, mais pas davantage. Il doit
absolument renoncer à être dans le
gouvernement plus ni même autant que
ceux qui sont plus que lui dans la
Chambre, et notre étonnement est que
ce soit au journal d'un ministre des
finances qu'il faille apprendre que
cinquante sont moins que trois cents.
AUGUSTE VACQUBRIB.
unir -
COULISSES DE VERSAILLES
:, -
La journée parlementaire d'hier a une
importance particulière.
De graves résolutions y ont été pri-
ses au point de vue de la mise en accu-
sation des ministres du Seize-Mai et du
retour des Chambres à Paris, en même
temps que deux des groupes de la majo-
rité républicaine, la gauche et le centre-
gauche, arrêtaient à un autre point de vue
des résolutions appelées à exercer une in-
fluence très sensible sur la situation. Nous
allons faire connaître en détail ces diver-
ses questions.
La commission d'enquête sur le Seize-
Mai s'est réunie hier, à une heure, et ne
s'est séparée qu'après cinq heures de déli-
bérations et après avoir pris des résolu-
tions définitives.
La commission, au début de sa séAhce.
a entendu les ministres de la justice et de
l'intérieur, qui sont venus donner une se-
conde et dernière fois l'avis du gouverne-
ment, en rendant le rapport général de
M. Brisson qui leur avait été commu-
niqué.
C'est M. -Lepère qui a presque seul porté
la parole. C'était la première fois qu'il se
présentait devant la commission en qualité
de ministre de l'intérieur ; précédemment
il n'avait pas été appelé à venir conférer
avec elle.
M. Lepère a dit que, comme ses collè-
gues, il croyait devoir se prononcer contre
le procès du Seize-Mai. Avant d'entrer au
ministère, il avait déjà pensé que cette
mesure serait impolitique et dangereuse,
et depuis il n'a fait que se fortifier davan-
tage dans cette conviction. Les membres
du cabinet avaient déjà, dans une première
entrevue avec la commission, exposé cette
manière de voir; depuis, ils ont pris con-
naissance du rapport de M. Brisson, et
M. Lepère a dit qu'il pouvait déclarer en
leur nom, comme au sien, que cette lecture
n'avait pas modifié teur résolution.
Les raisons par lesquelles le gouverne-
ment croit devoir combattre le procès
du Seize-Mai restent ce qu'elles étaient
précédemment. Le ministère n'a pas cessé
de penser que le vœu du pays en faveur
de l'apaisement, de la solution des ques-
tions d'affaires, de l'abandon des questions
politiques irritantes, est général et mani-
feste, que la mise en accusation donne-
rait lieu à une procédure longue et déli-
cate qui agiterait les esprits, raviverait les
haines locales, susciterait les accusations
réciproques et finalement troublerait le
pays et porterait atteinte à sa prospérité.
M. Lepère, sans méconnaître la gravité
des actes commis par les ministres du
Seize-Mai, prétend qu'on ne pourrait arriver
à des qualifications légales suffisantes pour
conduire à des condamnations efficaces.
On n'obtiendrait — en cas de condamna-
tion - que des peines légères, dérisoires,
qui n'auraient aucune signification. Quant
aux ministres du cabinet Rochebouët, que
le rapport Brisson met également en cause,
la question est différente. Le rapport re-
late les ordres donnés par ce ministère aux
chefs de corps pour sévir contre la popu-
lation avec une rigueur et une cruauté
qu'on ne saurait trop sévèreement juger.
Mais, suivant M. Lepère, il n'est pas
prouvé que ces ordres fussent conçus en
vue de la perpétration d'un coup d'Etat, il
y aurait plutôt lieu de croire qu'on voulait
s'adresser au Sénat pour lui demanderune
seconde dissolutionde la Chambre et qu'en
prévision de troubles populaires que cette
seconde dissolution aurait provoqués, on
avait donné les ordres si violents que fait
connaître le rapport de M. Brisson.
En tous cas, à supposer qu'il n'en fût
pas ainsi, il faudrait établir qu'il y a eu
complot militaire dans le but de changer
la forme du gouvernement. Cette consta-
tation, outre qu'elle est difficile et peut-
être impossible, offre de graves dangers au
point de vue du bon ordre dans l'armée.
M. Le Royer, qui n'avait pris la parole
que quelques instants au début de la
séance, a rappelé aussi cet argument de
l'armée et il s'est retiré immédiatement
après pour aller rejoindre M. Waddington
à la commission du retour à Paris.
Après le départ des ministres, un débat
approfondi s'est engagé sur la question
de savoir quelles conclusions on donnerait
au rapport de M. Brisson.
On sait que M. Brisson proposait primi-
tivement la nomination d'une commission
d'instruction qui seule soumettrait à la
Chambre la mise en accusation. M. Flo-
quet, depuis, avait démontré — ainsi que
nous l'avons expliqué — que la commis-
sion pouvait et devait directement propo-
ser la mise en accusation.
C'est sur ce terrain purement juridique
que le débat. s'est engagé. MM. Albert
Grévy et Jozon ont soutenu — en s'ap-
puyant sur le précédent de 1830 — que
l'instruction devait être faite par la Cham-
bre. Au contraire, M. Floquet et les parti-
sans de la mise en accusation directe ont
soutenu que l'instruction ne pouvait ap-
partenir au corps accusateur, mais seule-
ment à celui appelé à juger.
M. Brisson s'était, dès le début de la
discussion, rallié à cette opinion et avait
supprimé ses conclusions primitives. C'est
le système de la mise en accusation di-
recte qui l'a emporté par 22 voix contre 7
et 4 abstentions ou absences.
Il y a eu 2 votes successifs :
1° La commission a décidé qu'elle pro-
poserait directement à la Chambre la mise
en accusation.
2° La commission a décidé qu'elle pro-
poserait le renvoi immédiat de l'affaire au
Sénat pour qu'il procédât à l'instruction et
au jugement.
Il est intéressant de connaître la répar-
tition des voix dans ce vote si important.
Quoique le scrutin ait été secret comme
les délibérations de la commission,
nous croyons pouvoir donner cette répar-
tition.
Il y avait 31 membres présents sur 33
dont se compose la commission. Les deux
absents étaient MM. Spüller et Villain, re-
tenus par raison de santé.
Les 22 voix qui ont voté pour la mise en
accusation sont celles de MM. Allain-
Targé, Louis Blanc, Brisson, Boysset,
Buyat, Brelay, Boissy d'Anglas, Baïhaut,
Germain Casse, Crozet-Fourneyron, Flo-
quet, Albert Joly, Lelièvre, Lecherbon-
nier, Lisbonne, Lockroy, Laisant, Ménard-
Dorian, Millaud, Mercier, Georges Perin
et Varambon.
Les 7 membres qui ont voté contre sont
MM. Bethmont, Bernard-Lavergne, Chris-
tophle, Fréminet, Jozon, Noirot et Léon
Renault.
« Enfin M. Albert Grévy, président, et M.
le général de Chanal se sont abstenus.
La commission a décidé que le rapport
de M. Brisson serait déposé aujourd'hui
samedi sur le bureau de la Chambre. La
résolution qui clôt le rapport et sur la-
quelle la Chambre aura à statuer est ainsi
concue :
« La Chambre décrète d'accusation les
ministres des cabinets des 16 mai et 23
novembre 1877, ordonne que le présent
rapport, le dossier et les pièces qui l'ac-
compagnent seront remis au Sénat, et dé-
signe MM. (3 membres à désigner
par la Chambre) pour remplir l'office de
ministère public auprès du Sénat. »
Avant d'autoriser le dépôt du rapport, la
commission a voulu en entendre une der-
nière lecture afin de bien peser tous les
termes de ce document. Celui-ci a été de
nouveau approuvé et maintenu sans modi-
fication.
L'oeuvre de M. Brisson est extrêmement
remarquable par la .vigueur de la rédac-
tion, la logique des déductions, la sûreté
de l'argumentation juridique et enfin la
fermeté des conclusions.
Ce rapport contient environ 120 pages,
dont une partie est consacrée à rappeler
les actes des 16 mai et 23 novembre 1877
et l'autre à qualifier juridiquement les
actes et i. montrer la présomption de cul-
pabilité qui pèse sur leurs auteurs.
Nous devons signaler surtout un pas-
sage de l'argumentation de l'honorable
rapporteur, qui répond à une objection
faite par M. Lepère, et que nous avons re-
latée plus haut. M. Lepère prétendait
qu'en voulant qualifier, au point de vue
des règles du Code pénal, les actes du mi-
nistère du Seize-Mai, on arriverait à des
qualifications très faibles nécessairement,
et par suite à des condamnations égale-
ment très faibles, sinon nulles.
Le rapport rappelle, au contraire, qu'on
a toujours pu poursuivre les ministres
pour le crime de haute trahison, que la
qualification de ce crime résultait de l'en--
semble des faits soumis à la juridiction
compétenté, et que celle-ci se prononçait
sans avoir à se prononcer sur le détail de
ces faits ; que, par suite, les peines affé-
rentes à ce genre de crime étaient applica-
bles, et qu'on n'avait plus dès lors à crain-
dre d'obstacles résultant de la jurispru-
dence.
Il est probable que la Chambre deman-
dera la lecture immédiate du rapport, et
que le gouvernement demandera que l'on
fixe la discussion à lundi ou mardi pro-
chain.
-0-
Pendant que la commission d'enquête
prenait ces graves résolutions, la commis-
sion du retour des Chambres à Paris se
réunissait au Palais-Bourbon pour enten- ;
dre les explications du gouvernement et
statuer définitivement.
On sait que cette commission est saisie,
de deux propositions, l'une de M. Spûller,
l'autre de M. Laroche-Joubert, tendant
toutes deux à faire trancher la question
du retour à Paris par voie de résolution
d'ordre intérieur.
MM. Waddington et Le Royer, qui sont
venus donner l'avis du gouvernement, ont
déclaré que celui-ci n'était pas opposé au
retour du Parlement à Paris, qu'il laisse-
rait aux Chambres l'initiative de la me-
sure, mais qu'il croyait de son devoir de
dire que la question ne pouvait être tran-
chée quo. par le congrès des deux Cham-
bres et par voie de révision constitution-
nelle. 1
Cet avis est, d'ailleurs, celui qu'avaient
exprimé la plupart des membres de la
commission.
Celle-ci a voté à l'unanimité, moins
une voix — celle de M. Rameau, maire de
Versailles — qu'elle proposerait à la
Chambre une motion tendant à réunir le
congrès, pour faire statuer sur la suppres-
sion de l'article 9 de la Constitution, qui
a fixé le séjour des Chambres à Ver-
sailles.
Le rapport a été confié à M. Méline, avec
mission d'indiquer que l'œuvre du congrès
serait nécessairement limitée à cette uni-
que question. Le gouvernement a déclaré
devant la commission qu'il pensait que les
deux Chambres devaient, par délibération
séparée, limiter le terrain de la révision à
la question projetée et que le congrès ne
devait pas franchir ces limites. D'ailleurs,
quoique discutable en droit, cette théorie,
en fait, n'a aucune conséquence sérieuse,
puisque les deux majorités qui auront dé-
cidé d'avance dp limiter l'objet du congrès
seront celles-mêmes qui formeront la ma-
jorité du congrès, et que dès lorf elles
n'auront qu'à appliquer leurs propres ré-
solutions.
La question du siège des Chambres et
du gouvernement étant rayée de la Cons-
titution, le gouvernement a déclaré à la
commission qu'il comptait proposer un
projet de loi ordinaire, c'est-à-dite n'ayant
plus le caractère constitutionnel, pour
régler les conditions de la résidence des
Chambres.
D'après ce projet les salles de Paris et
de Versailles seraient maintenues simul-
tanément; les séances se tiendraient à'
Paris ; mais dans chaque Chambre le bu-
reau aurait le droit de faire la convocation
à Versailles chaque fois que les événements
lui en feraient reconnaître la nécessité.
Enfin les réunions du congrès ne pourraient
pas se tenir ailleurs qu'à Versailles.
M. Méline va faire son rapport très
promptement, de manière que la question
puisse recevoir une sokition très pro-
chaine.
-0-
La gauche de la Chambre s'est réunie
pour statuer sur la question de distinction
des groupes, qui avait été soulevée à la
réunion de mercredi dernier. On se rap-
pelle que MM. Langlois et Margaine
avaient proposé d'interdire qu'à l'avenir
on pût faire partie de deux groupes à la
fois.
Cette question, de nouveau discutée
hier, a été résolue affirmativement à une
grande majorité? C'est ce que constate le
procès-verbal suivant, qui nous est com-
muniqué :
La délibération a été rouverte sur la propo-
sition de MM. Langlois et Margaine portant
modification du règlement par l'interdiction
des inscriptions doubles.
Une discussion approfondie a eu lieu sur
cette question. MM. Margaine, de Sonnier,
Fréminet, de la Porte y ont pris part succes-
sivement.
La réunion, à une très forte majorité, a
adopté la proposition et décidé qu'à l'avenir
les membres de la gauche républicaine ne
pourront faire partie d'un autre groupe.
Au cours de la discussion, M. Camille Sée,
secrétaire de la gauche, a donné lecture des
chiffres de statistique parlementaire qui sui-
vent :
Centre gauche pur 31 membres.
Union républicaine pure 52 —
Extrême gauche pure 17 —
Gauche républicaine actuelle:
Gauche et union 83 membres.
Gauche et centre gauche 53 -
Gauche, union et et extrême
gauche 1 -
Gauche, union et centre i-
Gauche pure 98 -
Total pour la gauche 236 membres.
La gauche républicaine pure a été requit?
au chiffre de 98 par l'élection récente de 9 dt
ses membres comme sénateurs. -
-■ Q M
Pour terminer cet historique de la jôuri
née, il nous reste à signaler la réuniog
tenue hier par le centre gauche de la
Chambre. ","
Ce groupe a tenu séance au Palais^
Bourbon, sous la présidence de M. Ger*
main, pour discuter la situation politique
actuelle. 42 membres étaient présents. ,'
La réunion s'est montrée un peu émug
des changements survenus dans le cabi-
net; elle a manifesté quelque mauvaise
humeur contre la politique actuelle, en ne
cachant pas assez que ce mécontentement
était inspiré par la perte de quelques por3
tefeuilles pour ce groupe.
MM. Ribot, Léon Renault, Beaùssire)
Renault-Morlière, Franck-Chauveau, etc?ï
se sont tous prononcés contre la politiquè
d'irrésolution et de concessions exagérée!
- suivant leurs expressions- que suivrait
le cabinet actuel. Ils ont déclaré que
politique du groupe n'était plus suffisait
ment représentée ni défendue dans le ca-
binet, et que le centre gauche devait dv
lors recouvrer sa liberté d'action. Il devr,
suivant eux, appuyer le cabinet lorsque
ses vues seront conformes à celles du
groupe, et ne pas le suivre en cas con-
traire. : >..J
Aussi, pour marquer cette nouvelle at-
titude, la réunion a été appelée à se pro-
noncer sur la question du retour à Paris.
Elle a voté qu'elle considérait ce retour
comme inopportun, et qu'elle ne l'approus
verait que lorsque la Préfecture de police
serait rattachée entièrement aux services
de l'Etat et soustraite à l'actiofi du cohseiï
municipal de Paris. V T
Pour bien se rendre compte de l'inanité
de cette démonstration, il importe de le
rappeler qu'il y avait 42 membres sèul( £ »
ment présents et que la résolution n'a étï
votée qu'à la majorité..,:,;,,>,
Il y a là un petit groupe de mécontents
qui s'irritent devoir le cabinet plus à gau*
che, parce que ce déplacement dépossédé
le centre gauche.
+ V
A VERSAILLES
Avec la meilleure volonté du monder
il m'est impossible d'écrire ùù mot déf
la séançe du Sénat, tant elle était par-
faitement insignifiante ! Il a été qu'o-sï
tion de tramways, puis d'une caisse dé
retraite ; on écoutait peu, on est parti
de bonne heure. Tout ce que nous
avons rapporté de Versailles, c'est 1 et
souvenir d'un Lorgeril de printenijSS^
aperçu dans les couloirs. Le -ciel était
bleu, et le vicomte était cramoisi.- Il y
avait je ne sais quel air de renouveâu
sur sa large figure, où sa barbiche
blonde fait un effet de jonquille dans
un bouquet de pivoines. M. Cle Bel.
castel était aussi à Versailles; j'ignore
pourquoi. Est-ce qu'il n'est pas assez
blackboulé? Cela m'a fait plaisir de re-
voir sa figure mystique de moine de j
Zurbaran. Il y a une sorte d'extase l'a.
ligieuse sur sa physionomie. Il a toua
jours l'air de voir en rêve là Viergé
descendant du ciel dans une couronné
d'anges, pour remplir miraculeusement
les caisses des sociétés d'assurances les
moins fortunées. ?
On causait de choses et d'autreg ati
Sénat, entre autres de la nomination
de M. Caubet comme chef de cabinet
de la préfecture de police. Ce choix
était fort bien accueilli. On dit que
M. Lombard est mis à la porte. Il
était temps. M. Voisin, il est vrai, écrit
des lettres pleines de l'éloge dé M.
Lombard; il ne manque plus qu'un dé-
tail à ce tableau : c'est que M. Lombard
écrive des lettres pleines de l'éloge de
M. Voisin. Mais M. Lombard est trop
prudent, il aurait peur de se comprô*
mettre.
Avant de prendre la plume, l'àhèiétf
Feiiiïleton du RAPPEL
DU 9 MARS
£ = ï-
92
latyS.
jrETITEo Ei OlEjbo
.-.-=-., -.-
XVI
Cëeile. - (Suifé)
Là lettre du père Morillot, très formelle
et très nette, n'admettait d'autre réplique
qu'une obéissance absolue. Marguerite fail-
lit s'évanouir lorsque Germain lui lut cela,:
Elle levait, effrayée, ses pauvres yeux sur
ceux de Germain, pour lire au fond de la
pensée de son amant.
— Et tu as reçu ça quand donc?
— Tout à l'heure.
Elle balbutiait en parlant et Germain
-r.':;pnndait d'un ton vif, ferme, comme un
bomm J dont la résolution est prise.
Voir le Rappel du 25 novembre au 9 mars.
- Et tu as répondu?.
- Rien encore.
Elle s'arrêta, n'osant pas — tant elle
lavait peur -lui demander ce qu'il répon-
drait.
- Tu sais, Germain, dit-elle pourtant
[au bout d'un moment, si je dois être un
obstacle. si je te perds. si je te gêne.
Il lui fit signe de se taire et resta lui-
-même toute la soirée sans parler.
Et pendant des jours, ces deux êtres, qui
[s'étaient tant aimés et qui tenaient l'un à
[l'autre par des liens si forts, demeurèrent
ainsi, face à face, elle ni lui n'ayant le cou-
rage dé revenir à cette question cruelle
: que le père venait de soulever. Marguerite
jsavtit seulement, par Germain, que son
(amant, pour toute réponse, était retourné
à La Chapelle s'expliquer. Il avait donc
iFevu son père, et, qui sait? probablement
[aussi cette fille dont le vieux Morillot par-
lait dans sa lettre et qui était si jolie.
Pourquoi Germain ne soufflait-il mot de
cette visite? S'il avait su combien ce si-
lence faisait de mal à Marguerite! Elle en.
tremblait.
— C'est vrai, pensait-elle, s'il ne me dit
rien, c'est qu'il n'a rien de bon à me dire.
Il est peut-être las de la misère et avec
moi, et alors.
Alors, son imagination lui montrait Ger-
main au bras d'une autre femme, Germain
gai, riant, débarrassé de ce boulet qu'il
traînait, et devenant à La Chapelle un bon
bourgeois, trônant, comme il en avait le
droit, dans la rôtisserie du père, au milieu
des volailles aux chairs blanches et des
poulets qui tournaient, à la broche
devant le grand feu clair, et qui sentaient
bon ! Et il y avait là, dans la boutique, une
jeune femme, fraîche, jolie, aimée. Tan-
dis qu'elle, la pauvre Marguerite, il ne fal-
lait pas qu'elle se regardât longtemps pour
voir ce que la maladie avait fait d'elle.
Elle n'était pourtant pas vieille, mafè elle
avait souffert, étant petite, et trimé, trimé,
depuis ses quatorze ans !
Elle se résignait d'avance comme une
martyre au coup brutal qui la menaçait.
Germain allait la quitter. Ces choses-là
arrivent à toutes les maîtresses. Elle n'é-
tait pas de celles qui s'accrochent à un
homme comme à une proie. Et pourtant
elle n'avait pas plus de titre à l'amour
éternel de Gecmain que cette Léa n'en
avait à celui de M. Vauthier. Elles por-
taient le même nom, l'une et l'autre : la
maîtresse. Elle se demandait seulement si
elle attendrait que Germain se séparât
d'elle pour en finir. C'est vrai, elle avait
eu, une après-midi, l'idée de se jeter à
l'eau, ou de monter au haut des Buttes et
de se laisser tomber dans quelque trou.
Des folies! EL puis, elle ne voulait pas
qu'il y eût une mort sur le bonheur de
Germain. Il gavait trop aimée pour l'oublier
jamais tout à fait. C'était pour Morillot,
pour lui épargner des larmes, un remords,
qu'elle se résignait à vjvre.
Il rentra, un matin, à l'heure du dé-
jeuner, les yeux allumés, presque gai,
mais d'une gaîté nerveuse, fouettée et
factice. Depuis qu'il lui avait lu, montré
la lettre de son père, il y avait quinze jours
de cela, elle ne l'avait jamais vu aussi
animé. Touten mangeantunpeude bouilli,
quelques pommes de terre frites et du
fromage, il dit à Marguerite :
— Il y a du nouveau, ma pauvre fille !
— Ah ! fit-elle en le regardant d'un air
effaré, comme si la minute de la sentence
était venue.
— Oui, je suis las, vois-tu, de patauger
comme je le fais. J'ai trouvé une place,
rue des Vinaigriers, dans un petit atelier
de camelotte. Ça m'humilie un peu de tra-
vailler chez des margoulins. Mais bah ! ce
n'est que pour un temps. Le nouveau que
je t'annonce, tu dois t'en douter : je me
marie !
- Ah! tu. te.
Assise en face de lui, Marguerite avait
laissé tomber sa fourchette d'étain et, la
bouche ouverte, les yeux agrandis, elle le
regardait avec l'expression hagarde de la
brebis sous le couteau du boucher.
— Oui, dit Germain. C'est résolu. Voilà
trop longtemps que le père me tracasse.
Il n'est pas bon de ne pas faire comme
tout le monde. C'est le pont d'Avignon, le
mariage. Eh ! bien, tant pis pour moi, je
vais y passer 1 — Qu'est-ce que tu en dis?
Elle ne répondait pas; les lèvresblémies
comme celles d'une morte, elle essayail
de sourire, d'approuver, avec ce coup de
couteau dans le cœur.
— Comprends bien une chose, Margue
rite, je ne veux pas te chagriner, mah,
vivre comme nous vivons, ce n'était pas
une position. Il faut que tout finisse. Et
puis, pour une maîtresse, dame! tu es
mûre, ma fille, et avec ça, cette petite
vérole, ce n'est pas ça qui t'a arrangée.
C'est bien ton avis ?
Il lui disait ces choses-là, tout naturel-
lement, n osant pourtant pas la regarder
en face, et elle se demandait, l'entendant
parler, s'il était fou ou s'il était ivre. Il
n'était pas méchant pourtant, Morillot.
Pourquoi prenait-il donc comme ça plaisir
à lui tordre le cœur? Est-ce qu'elle lui
avait fait quelque chose? Est-ce qu'elle
s'était mal conduite? Est-ce qu'elle ne l'a-
vait pas assez aimé?
Elle comprit tout bien vite, d'ailleurs,
lorsque Morillot ajouta qu'il épousait
quelqu'un qu'il aimait. Il fallait donc le
dire ! un amour nouveau, cela vous rend
implacable pour l'ancien! Il s'était laissé
prendre, ce Germain, aux beaux yeux de
celle qu'on lui voulait donner pour fian-
cée, et alors.
— Oui, ma fille, oui, j'épouse quelqu'un
qui me plaît, et je crois que je serai heu-
reux. Tu ne m'en veux pas? Je ne de-
mande qu'une chose au sort, c'est que les
années qui vont suivre soient aussi bonnéf
à vivre que celles que nous avons traver..
sées ensembles.
— Alors, Germain, tu reconnais quej'ai*
été une bonne fille?
Elle parlait avec des efforts tragiques,
comme si une angine l'eût serrée h la
gorge.
— Une bonne fille et une brave fille,
dit Germain. C'est bien pourquoi je te dis
tout ça. Tu me le pardonnes?
— Qu'est-ce que tu veux que je te par-
donne? Tu ne me dois rien! Je t'ai
aimé, tu m'as aimée. Oh 1 tu m'aimais,
je le sais bien, va! Je t'ai empêché de vi..
vre heureux chez ton père ; j'ai peut-être
gâché ta vie. En bas comme en haut, ça
arrive, ça. Maintenant, tu trouves Focca-
sion de te raccommoder. Tu rentres chez
toi, tu me laisses, tu es dans ton droit.
Je dirai même que tu fais bien, mon pau-
vre Germain. Et je ne te souhaite qu'une
chose, c'est que, bon et honnête et fraac
et confiant comme tu l'es, tu trouves une
femme digne de toi. Mais tu la trouveras.
Ce sont les hommes qui font les femmesI
— Ta main, Marguerite, dit Germaâtt
très ému, gagné par l'émotion qui éton
fait la brave fille, et qu'elle surrûontait
cependant pour parler.
JULES C L A, Rr, e t T&%,.
(A suivre^
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