Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1878-12-13
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 79956 Nombre total de vues : 79956
Description : 13 décembre 1878 13 décembre 1878
Description : 1878/12/13 (N3199). 1878/12/13 (N3199).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7530111k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
N* 34 ©9 Vendredi lâ Décembre 1878 Sie illuuéro s lO e* —. llépartenieiite : 18 et 23 Frimaire an 87 - No 31.99 i(|
, RÉDACTION
; P'e&resser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures dû soir
48, BCE DE VALÔ19, ta
Ui manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
lu;. Ch. LAGRANGE, ŒUF et G*
6, place de la Bourse, 6 » -
ADMINISTRATION *
it, EUE DE VALOIR (S * VV.
• s 3 v
ABONNEMENTS
.tAMN
Trois mois 10 »
Six mois. 20 a
DÉPARTEMETS
Trois moi3. IV5I N;
Six mQ1S. 21 a
Adresser lettres et mandata
A M. ERNEST LEFÈYR^
ADmNISTtAIEUR-CHRAKT
.., , DOUBLF,' iù .;
D'une part, ils affectent l'arroganca
et la menace. Car ils ont leurs clients,
les vaincus du 14 octobre, les décavés,
les affamés, auxquels il faut promettre
une revanche et une place à la table du
budget, si l'on ne veut pas être lâché
par ces honnêtes gens dont la convic-
tion est surtout de l'appétit. C'est pour-
quoi l'on a entendu M. do Fourtou, à
la tribune de la Chambre, dire qu'il ne
se repentait que de n'en avoir pas fait
assez, et c'est pourquoi l'on a vu M. de
Broglie, dans un bureau du Sénat, se
faire accusateur, lui l'accusé. Le Seize-
Mai relève la tête, provoque ses vain-
queurs, se déclare prêt à recommencer,
et à aller cette fois jusqu'au bout!
Oui, mais il n'y a pas que les décavés
et les affamés. Il y a le pays, Il y a
ceux qui, au lieu d'être fâchés que le
Seize-Mai n'ait pas réussi, sont indi-
gnés qu'il ait essayé. Il -- y a ceux qui
bondiraient à l'idée qu'il put songer à
récidiver. Pour ceux-ci, on change de
manière. On ne montre plus le poing,
on tend la main. La réaction « fait la
fille douce, innocente et timide i). D'a-
bord, on l'a calomniée. Le Seize-Mai
n'est pas ce qu'un vain peuple pense.
On & parlé de guerre civile ? Parce
qu'un légitimiste a demandé un poste
de combat »? Parce que les ordres du
ministère de la guerre étaient de tirer
sur les femmes et sur les enfants,
comme au boulevard Montmartre? Il n'y
a que les républicains pour être capa-
bles de croire que « poste de combat »
veut dire poste de combat, et que tirer
sur les femmes et sur les enfants c'est
tirer sur les femmes et sur les enfants.
Le Seize-Mai est donc d'une .pureté
immaculée et virginale. S'il reste des
,-. -.
personnes qui n'en soient pas absolu-
ment convaincues, eh bien, quoi! il a
eu tort, il ne le fera plus. Il a eu une
mauvaise pensée, soit, mais il a reçu
une bonne leçon. Elle lui a profité.
Non, certainement, il ne songe plus à
récidiver! Et il y songerait, est-ce que
la récidive lui serait possible? Est-ce
qu'il ne lui a pas fallu, l'année der-
nière la collaboration du maréchal de
Mac-Mahon et est-ce que le maréchal
de Mac-Mahon, cette année, ne colla-
bore pas avec les républicains ? Sans le
maréchal, pas de dissolution, et sans
dissolution, rien. La République est
donc inattaquable dorénavant. Il y a
deux raisons pour que les monarchis-
tes ne lui fassent plus de mal : d'abord
ils ne voudraient pas et ensuite ils
ne pourraient pas.
- C'est en vertu de ce beau raisonne-
ment que ceux des journaux conserva-
teurs qui jouent le jeu du repentir et
de rimpuissance demandent aux élec-
teurs sénatoriaux de ne pas garder
rancune à ces pauvres écloppés du 14
octobre, de fa ire miséricorde à ces pé-
4cheutfs, et de leur donner l'absolution
sous forme de vo.te. Et comme ils
rat ent touchants, s'ils étaient moins
ratent touchants) s'ils étaient moin~ 4
otiiques, ces journaux qui conseillent
iux républicains de voter pour des mo-
narchistes !
Mais qu'est-ce que vous craignez
donc ? Vous ne croyez donc pas les mo-
narchistes repentants et impuissants?
Repentants ? jamais. Impuissants? c'est
selon à quoi. A renverser la Républi-
que, toujours.
Nos lecteurs savent si le Seize-Mai
nous a fait peur. Pas plus que le Vingt-
quatre-Mai. L'année dernière comme
en 1873, nous avons dit, dès le premier
jour, que la République serait plus
forte que les trois partis coalisés contre
elle. Que vouliez-vous qu'elle fît con-
tre trois ? — Qu'ils mourussent ! Et ils
sont morts. Il n'y manque plus que
l'enterrement. Les électeurs du 5 jan-
vier s'en chargeront.
Quand le Seize-Mai aurait pu violenter
et fausser le suffrage universel jusqu'à
lui extorquer des élections réactionnai-
res, et quand il aurait eu la majorité des
députés, comme il avait la majorité des
sénateurs, — et puis? Les deux Cham-
bres auraient pu se réunir en Congrès et
réviser la Constitution, — et puis? Les
monarchistes auraient eu dans le Con-
grès ce .qu'ils ont e ¥ dans l'Assemblée
nationale* et qu'est-ce que l'Assemblée
nationale a fait? la République..
- Pourquoi? Ce n'est certes pas faute
d'avoir eu envie de faire autre chose.
Mais elle a eu beau ,efforcer, intriguer,
conspirer, faire une horrible mixture
de droit divih, de royauté par à peu
près et d'empiré par-, jeter
à la porte, sans lui donner ses huit
jours, tout de suite, la nuit, le prési-
dent de la République, le remplacer
par qui elle a voulu : le résultat de
toutes ces sueurs, de tous ces mélan-
ges, de tous ces complots, de toutes
ces violences, pour tuer la République
et ressusciter .la monarchie, a été que
la République, qui était déjà le droit,
est devenue la loi. Si une Assemblée
qui était monarchiste, qui était unique,
et qui so disait souveraine, n'a réussi
qu'à constituer la République, c'est la
preuve absolue que : désormais en
France la monarchie-est impossible et
la République née essa ire.
Par conséquent, nous accordons plei-
nement aux réactionnaires doux que le
Sénat, si monarchiste, que fut sa majo-
rité, ne tuerait pas la République. Lui.
qui ne serait que la moitié du Parle-
ment et qui aurait en face de lui une
Chambre républicaine* comment pour-
rail-il ce que n'a pas pu une Assemblée
qui était le Parlement tout entier !
Nous n'aurions donc pas la moindre
inquiétude quant au succès. Mais un
Sénat monarchiste, s'il ne peut rien
faire, peut tout empêcher. Un Sénat
monarchiste avec une Chambre répu-
blicaine, c'est le conflit à l'état chroni-
que. Et le conflit à l'état chronique,
c'est le malaise, c'est la fièvre, c'est le
travail qui s'arrête, c'est les affaires
qui ne reprennent pas. Voilà le mal
que peut faire un Sénat réactionnairè
à la République et au: pays.
La question du renouvellement séna-
torial est bien simple. Pour que les
affairog-'TBp'rcnnent, il faut l'accord
entre les pouvoirs. Pour que les pou-
voirs soient d'accord, la majorité de
la Chambre étant républicaine, il faut
que la majorité du Sénat le soit aussi.
Donc, les électeurs qui désirent que les
affaires reprennent doivent nommer
des républicains.
AUGUSTE VACQUEIUE.
ge
On prétend que quelques-uns des
sénateurs monarchistes les plus avérés
et les plus enragés auraient fait ce
calcul peu scrupuleux :
- « Si nous nous disons les ennemis de
la République, nous sommes perdus.
Si nous avouons que nous voulons un
monarque, nous n'avons plus d'élec-
teurs. Dissimulons. Déclarons haute-
ment que nous acceptons la Constitu-
tion sans « arrière-pensée ». Dégui-
sons-nous en républicains conserva-
teurs, et le tour sera joué a.
Eh bien ! ils se trompent, le tour ne
serait pas joué du tout, et ils auraient
fait une vilenie pour rien.
Il faut que ces gens-là croient les
électeurs bien sots. Voilà huit ans en-
tiers qu'ils font à la République une
guerre sans trêve. Et ils croient qu'il
leur suffira de mentir pour tromper !
Ils croient qu'on oubliera le Seize-Mai
aggravant le Vingt-quatre-Mai ! Ils
croient qu'on ne connaîtra pas leurs
Votes ! Au lendemain du vote de la Con-
stitution, ils ont pu duper les gens
naïfs. Il y avait un élément nouveau
dans la situation. La France, soumise
jusque-là au provisoire, venait de con-
quérir enfin la République définitive.
ils déclaraient s'incliner devant la loi.
:Quelques-uns les ont crus. Grâce à cette
duperie, et à la presssion exercée par
M. Buffet, ils ont été élus.
Mais aujourd'hui, qui pourrait se
laisser tromper? A peine au Sénat, ils
se groupaient sous les ordres de M. de
Broglie, et pratiquaient la théorie des
« deux horloges », la théorie du-connit,
en vertu de laquelle le Sénat doit être
l'ennemi de la Chambre.
Ils s'engageaient avec ardeur dans
cette campagne furieuse contre la Ré-
publique, contre le r,'pos du pays, pour
la monarchie et le cléricalisme, - cani-
pagne qui a été couronnée par le
16 mai. Ils votaient la dissolution, et
excitaient les Fourtou, les de Broglie,
les Decazes à leurs tristes exploits.
Et maintenant ils diraient : Nous ac-
ceptons la République !— Et qui donc
JS'y laisserait prendre ? -— Comment !
un homme s'embusque au coin d'une
srue, vous saute à la gorge, essaie de
vous tuer, manque son coup, et revient
vous dire : « Vous savez si je suis votre
ami. » Des conspirateurs essaient d'é-
gorger la République, échouent, et
viennent déclarer aux électeurs qu'ils
acceptent le régime échappé à leurs
coups.
Les électeurs seront d'autant moins
crédules qu'ils ont été plus instruits
par l'expérience. En 1876, la Consti-
tution une fois votée et appliquée, on
pouvait croire que le pays aurait un
peu de repos. Et pourtant, dès le pre-
mier mois, le Sénat recommençait la
politique de combat : MM. de Broglie
et Buffet marchaient à la tête ; enfin, le
coup de vigueur arrivait, et la France
était bouleversée par un attentat vio-
lent contre le suffrage universel. A
quoi cela tenait-il ? à une majorité de
quelques voix dans le Sénat. Si, au
début, la gauche avait eu trois ou
quatre membres de plus, la France
aurait vécu en paix et aurait développé
tranquillement ses richesses et ses ins-
titutions. Or, qu lies sont les voix qui
ont fait pencher la balance du Sénat à
droite, amené tous les troubles, rendu
possibles tous les complots? Les voix
de quelques sénateurs réactionnaires
nommés parce qu'ils avaient dit ce
qu'on répète : « Nous sommes conser-
valeurs, mais nous acceptons loyale-
ment la République. » Ainsi avaient
parlé les Bocher, les Boissonnet, les
Paris et tant d'autres.
On va recommencer le même jeu :
il est un peu tard. Et quand des roya-
listes et des bonapartistes avoués es-
sayent de se faire « constitutionnels M,
alors que les vrais constitutionnels ont
si mal tourné, quand un Daru, tout en"
venimé d'une haine implacable contre
la République, promet, pour dissimuler
ses sentiments, d'être aussi attaché à la
Constitution actuelle qu'un Paris ou
qu'un Bocher, la plaisanterie est naïve,
et ne peut pas réussir. Ces messieurs
auront beau forcer le duc de Broglie de
ravaler le discours qu'il allait nous
faire, les électeurs sauront quels candi-
dats ils ont davant eux. Ils se rappelle-
ront qu'il y a une listé irrécusable, où
chacun a écrit lui-même son nom,
parmi les monarchistes ou parmi les
partisans du régime actuel ; et cette
liste, c'est le vote de la dissolution après
le Seize-Mai !
CAMILLE PELLBTAN.
- 4^ —————
LES DROITS DU SÉNAT
S'il y a quelque chose d'étonnant,
c'est la prétention qu'a le Sénat de dis-
cuter le budget, cette année. Il en a le
droit, légalement. Mais moralement?
Qu'est-ce que le 'Sénat, aujourd'hui,
que les délégués sénatoriaux sont nom-
més? Quelle autorité lui reste-il pour
augmenter ou pour refuser ïm crédit?
.Non-seulement rlé mandat d'un tiers
de ses membres va expirer., mais il est
certain que sa majorité va changer; que
les délégués sont en désaccord avec lui;
qu'il ne représente plus le corps électo-
ral. Dès lors, au nom de qui et au nom
de quoi prendrait-il des résolutions ? Au
nom de qui et au nom de quoi se per-
mettrait-il de retrancher ou de rema-
nier l'œuvre de la commission du bud-
get? ,
Le Sénat a perdu toute autorité. Ce
n'est pas notre faute. C'est la faute de
la droite. C'est la faute de ceux qui ont
imposé la Constitution au 'parti répu-
blicain. C'est la faute de ceux qui ont
voulu qu'un loug espace de. temps, sé,.
paràt l'élection des délégués de. l'élec-
tion des sénateurs. Nous aurons ainsi,
pensaient-ils, tout loisir pour intimider
ou corrompre les électeurs. Mais ils
n'ont pas réfléchi qu'un jour viendrait
où ils n'auraient plus le pouvoir et que,
ce jour-là, la simple désignation des
délégués par les conseils municipaux
aurait pour conséquence la déchéance
momentanée du Sénat.
C'est ce qui est arrivé. La majorité
sénatoriale est monarchiste, les délé-
gués sont républicains. Il est évident
que la majorité eesse d'être une majo-
rité parlementaire pour devenir une
simple réunion de personnages politi-
ques dont le tiers environ a perdu son
mandat.
Cette majorité est dans la situation
d'un fonctionnaire révoqué qui expédie
les affaires en attendant son succes-
seur. Beaucoup de fonctionnaires ont
été dans cette situation là depuis sept
ans. Eh bien, jamais aucun d'eux ne
s'est permis de prendre une résolution
importante; jamais aucun d'eux n'a si-
gué une nomination jamais aucun
d'eux n'a mis sa signature au bas d'un
acte qui engageait les finances de sa
commune, de son arrondissement ou de
'son département. Pourquoi donc le
Sénat serait-il moins correct que les
fonctionnaires?
• Comment ! la majorité amenderait le
budget ! Elle nous imposerait des éco-
nomies ou des dépenses! Elle nous don-
nerait son avis sur quelque chose! Mais
ce serait exorbitant! Elle est révoquée,
cette majorité. Les électeurs lui ont si-
gnifié qu'ils n'avaient plus confiance en
elle. Elle a perdu le droit de s'occuper
des affaires de l'Etat.
Donnons un exemple. Voici M. le
vicomte de Meaux. Je choisis celui-ci,
parce que sa rentrée dans la vie privée
ne peut être niée par personne. Quelle
autorité peut avoir le vote de M. de
Meaux — en supposant qu'il se per-
mette de voter? Depuis que son suc-
cesseur a été choisi et désigné par le
corps électoral, M. de Meaux n'est plus
rien, et c'est ce successeur qui est le
sénateur du département. C'est ce suc-
cesseur qui seul a le droit de voter au
Sénat.
Le suffrage restreint n'est pas comme
le suffrage universel. Avec le suffrage
universel, jusqu'au jour du vote, il y a
incertitude. Avec le suffrage restreint,
sauf de rares exceptions, on sait les
résultats du scrutin à l'avance. Le jour
où les électeurs sont élus, les condam-
nations sont prononcées. Et il y a plus
de quarante sénateurs de la majorité
qui, aujourd'hui, se trouvent dans la
situation de M. de Meaux !
La majorité actuelle du Sénat n'a
donc rien de mieux à faire qu'à enre-
gistrer sans observations les décisions
de la Chambre. C'est seulement à la
majorité du 5 janvier qu'il appartiendra
de nous donner ses avis.
EDOUARD LOCKRGY.
-
Nous avons dit hier la nouvelle mésa-
venture des ennemis de la République.
Sur un mot d'une personne qui leur avait
fait croire que le gouvernement avait in-
terdit l'inauguration d'une statue de Ber-
ryer, ils avaient jeté les hauts cris. Un
d'eux en avait perdu ce qu'il peut avoir
de cervelle jusqu'à comparer M. Dufaure
à don J *an, et a demandai* au ministre de
la justice « s'il avait donc peur que la sta-
tue du Commandeur ne l'entraînât et ne
lui prît la main pour le précipiter au châ-
timent » l;
Là-dessus, toutes les injures de leur vo-
cabulaire. « Félonie » — « prévarication »
—- « apostasie » — « mensonge » — « fa-
conde populacière » — « effronterie que
ne connut jamais l'empire a (c'est un
journal royaliste qui parle) — « Il était
réservé à la troisième République de voi-
ler la statue des grands hommes qui lui
font honte » — « Votre République est
trop petite pour contenir un Berryer »,—
etc., etc., etc.
Et tout à coup les ennemis de la Répu-
blique reçoivent sur la tête la note que
nous av Ins publiée hier. Le bruit que le
gouvernement avait interdit l'inauguration
du monument de Berryer était un faux
bruit Le gouvernement lui donne un dé-
menti formel.
Donc, la République n'est pas trop
petite pour contenir un Berryer; donc,
voila les journaux conservateurs obligés
de ravaler leurs injures; doac, la statue
de Berryer n'est plus la statue du Com-
mandeur, et M. Dufaure cesse d'être don
Juan. -
Quant à nous, nous sommes tellement
opposés à ce qu'on interdise l'inauguration
de la statue de Berfyer que nous alons
indiquer à ses -zim. is deux inscriptions
qu'ils pourront mettre sur le socle. Au-
cu ie autre ne ferait plus dhonneur à
Berryer.
Le 14 janvier 1868, à la tribune du Corps
législatif, Berryer, apostrophant le minis-
tre de la justice de l'elupire, à propos de
certains services et de certaines récom-
penses, a dit :
« La sixième chambre de police correc-
tionnelle est celle à laquelle sont déféré
exclusivement les délits politiques. -
» Eh bien, le magistrat qui présidait la
sixième chambre en 1859 a été nommé
conseiller au commencement de 1860 ;
celui qui présidait la sixième chambre en
1860 a été nommé conseiller en 1861 ï --'
celui qui la présidait en 1861 a été nommé
conseiller en 1862; celui qui la présidait
en 1862 a été nommé conseiller en 1863;
celui qui la présidait en i863 a été ,
nommé conseiller en 1864; tâ-ui -qui la
présidait en 1864 a été nommé eonseillei
à.la fin de 1865 ; celui qui la présidait en
i866 a été nommé conseiller au commen-
cement de 1867.
» Nous attendons le sort de celui qui la
préside en ce moment. a
On pourrait mettre en note que Berryer
n'attendit pas longtemps. Quelques mois
après, le président de la sixième chambre,
lequel était le fameux Delesvaux, fut nom-
mé conseiller.
A cette inscription, nous ajouterions,
la lettre qu'en novembre 1868, Berryer
écrivit à un des journaux qui avaient
ouvert une souscription pour « élever un
monument au glorieux martyr du 3 dé-
cembre t851 1). La voici:
« Le 2 décembre 1851, j'ai provoqué et
obtenu de l'Assemblée natioaale, réunie
dans la mairie du 10e arrondissement, un ,
décret de déchéance et de mise hors la loi
du président de la République, onnyo- -
quant les citoyens à la rêsistauce contre la
violation des lois dont 18 président se ren-
dait coupable. Ce décret a été rendu pu-
blic autant qu'il a été possible.
n Mon collègue, M. Bail tin, a énergi-
quement obéi aux ordres de l'Assemblée.
Il en a été victime, et je me sens obligé
de prendre part à la souscription ouverte
pour l'érection d'un monument expiatoire
sur sa tombe.
» Veuillez agréer mon offrande. »
Rien, nous le répétons. n'est plus hono-
rable pour Berryer que d'avoir dit cela en
face à l'empire et à ses magistrats, et
nous voulons croire que les légitimistes ne
déchireront pas deux des ivlus belles pages
de sa vie de peur de déplaire à leurs alliés
et protecteurs.
A. v.
, COULISSES DE VERSAILLES
-
Les dép ités de la Gau he et de-L'Union -
républicaine ont teau hier, à Paris, leur
dernière réunion de-la session.* :
- L'Union républicaine, qui était présidée
par M. Floquet. a siégé à la salle du Reliro,
rue Boi>sy d'Anglas. La réunion a constaté ,
qu'e i 1 etatlasessi >npo ivaiiètrecoasidérée :,
comme close; qu'il n'y availtuenae tLéllbé. !
raion à engager, toutes les q testions po-
litiques devant être ajournées à la rent ée,
prvchaine. Actuel! m-mt, il n'y a qu'à
laisser la parole aux électeurs sénato-
riaux, qui vont achever la coasalidatiôu:
des institutions républicaines, en mettant
le Sénat en harmonie avec la Ch .mbrù des
députes.
La runim a décidé qu'elle se réunirait
le mercredi 8 janvier, surlendemain des
élections sénatoriales pour eximi er la
situation créée par ces élections et prendre
les mesures qui seraient jugées néces-
saires. En attendant, elle a donné ses
pleins pouvoirs à son bur au qai la repré-
sentera jusqu'à cette époque. 4
La Gauche républicaine a siégé à la -
salle des Conférences du boulevard des
Capucines sous la présidence de M. Le- :
blond. Elle a pris les mêmes détermina- ,'
tiôns que l'Union r publicaine. : :
Au début de la séance,., le président a t
constaté, avec satisfaction sous quels heu- <.
reux auspices allait se clore la session.
Grâce à l'attitude énergique des groupes
de la gauche, la République apparaît au-"
joimi'b si forte et inébranlable, et, dans
q lle!q: ,cs jours, les électeurs sénatoriaui
vont achever par leurs votes de la mettre
hors d' tteinte. Dès aujourd'hui, les ren- i
geignements les plus fondés, a dit l'aono-
rable président, permettent de considérer
comme acquis le succès des républicains
Feuilleton du RAPPEL
Ul 13 DÉCEMBRE
18
LES
PETITES ÉTOILES
Y
lie ménage Vanillier
— Je t'aime! avait dit Maurice à Pau-
-
Oui certes, il l'aimait, et depuis neuf
ans, d'une affection profonde. Son amour
pour elle se doublait d'estime et de recon-
naissance Pauline était, en même temps
que la femme choisie, l'amie sérieuse, la
conseillère, la compagnonnc attelée au.
~m lorsqu'il l'avait épousée, lui foI-L jeune
- Voir le Rappel du 2o novembre au 12 dé-
cembre
aussi, ignorant de la vie, sachant seule-
ment qu'il aimait, et l'aimant, cette Pau-
line, de toute son âme. Elle ne lui appor-
tait qu'une dot assez mince, mais la mai-
son Vauthier était riche. Maurice avait
assez pour deux. Ah! comme il s'applau-
dissait de s'être marié assez tôt pour voir, à
trente-six ans, ses enfants déjà grands s'as-
seoir aux côtés de la mère encore jeune! 11
y avait neuf ans que Pauline était sa femme,
et de ces neuf années il n'eût pas voulu
effacer une journée de sa vie. Le long
amour de ce ménage était fait de petits
bonheurs quotidiens, d'une affection sans
fracas, solide et forte, plus raisonnable
peut-être chez Maurice, plus exaltée, plus
nerveuse chez Pauline, dont la passion la-
tente était vive.
Mme Vauthier ne se demandait même
pas comment ces neuf ans avaient passé.
Que d'épreuves de toutes sortes on avait
traversées, en Commun - mais pour se re-
trouver toujours épris* toujours heureux,
après le labsur de chaque jour.. La nais-
sance d'un fils, joie vivante apportée au
l^gis, puis d'un second garçon, à deux an-
nées de distance, resserrait encore le
lien plus étroit de ces deux êtres faits pour
s'aimer. Maurice eût peut-être désiré une
fille lorsqu'après l'aîné le petit Alhert était
venu. Mais, tapageur, courant, eaminant,.
emplissant la maison de son babil et. de ses
trottinements, le petit avait bientôt gagné
sa cause. Pierre rêveur, doux, câlin, collé
aux jupes de sa mère, regardait parfois
avec étonnement ce diablotin révolté qui
lui ressemblait si peu et qui était son
frère.
Ces quatre êtres réunis par une même
affection vivaient tranquilles dans le logis,
arlistement aménagé, que Maurice nom-
mait son nid. Sms luxe tapageur, leur
coin du feu gardait ce rayonnement origi-
nal que donne le goût. A peu de frais,
choisis au hasard des trouvailles, les
bronzes élégants, les faïences rares, les ta-
bleaux intéressants, les esquisses curieu-
ses venaient peu à peu couvrir les étagè-
res ou les murailles. Amoureux de 1 iné-
dit, Maurice était un délicat dans ses
achats. Il disait gaiement qu'il eût aimé à
inveter les peintres. 1
Le ménage sortait peu. Maurice n'avait
plus de parents, et le père de Pauline, le
vieux M. Mercier, qui vivait de ses rentes,
dans sa petite maison de Passy, ne tenait
à voir ses petits-enfants qu'aux jours offi-
ciels des épanchements de famille. Veuf
depuis longtemps, après avoir réalisé, non
pas même une petite fortune, mais une
ponvenable aisance, en vendant des huiles,
M. Mercier, sa fille une fois mariée, casée
avec cinquante mille francs de dot, s'ér
tait dit qu'après tout dix mille francs de
rente lui suffisaient parfaitement pour
vivre et, réalisant son fonds de commerce,
il était allé s'établir dans une maisonnette
bien close, entourée Acl'un petit jardinet
qu'il se plaisait à cuitiver, et" là, loin du
bruit, seul avec une vieille serva nte qui
avait élevé « Mlle Pauline », il vivait heu-
reux, trouvant parfois que cette Géiestme
devenait bien grognonne avec l'âge et dé-
clarant qu'il ne fallait jamais garder les
vieux domestiques, mais n'osant pas ren-
voyer la bonne femme qui lui faisait de
bons laits de poule et soignait bien son
feu. Le souci quotidien de sa personne
ridée déjà et ratatinée était pour le bon-
homme Mercier la grande occupation de
la vie. Il n'en voyait pas de plus intéres-
sante. Tout ce qu'il avait retenu des lu-
gubres épreuves de la guerre, c'est qu'on
l'avait forcé à quitter Passy et qu'il avait
traversé un bien triste hiver, en mangeant
du mauvais pain et du vieux cheval chez
son gendre. Autrement, tout glissait sur
cet homme de soixante-trois ans, maigre,
voûté, préoccupé, de lui-même, passant
son temps à se tâter le pouls et à se re-
garder la langue, et que ses continuelles
alarmes sur sa santé rendaient: certaine-
ment'plus vieux que son âge. .,'
Malgré son égoïsme, M. Mercier, qui
avait de l'esprit et du bon sens, s'était im-
posé jadis de bien élever sa fille. Il la sur-
veillait beaucoup, voulant, se disait-il, en
faire une espèce de créature d'élite, ins-
truite, laborieuse, point coquette, en un
mot charmante, « afin que quelqu'un
l'épousât plus vite ». Il se dévouait pro-
fondément pour avoir le moins de temps
pos.ïble à se dévouer. Quand, à dix-huit
ans, Pauline.avait rencontré Maurice Vau-
thier, déjà à la tête de ce vaste atelier de
peinture sur porcelaine de la rue Paradis,
elle l'aima pour cet air de franchise qui
plaisait en lui, plus séduite par la voix
sympathique, le regard droit, l'accent sin-
cère de cet homme, jeune, joli garçon, un
peu timide, que par sa chevelure et cette
moustache en croc qui lui allait si bien.
Et puis, Maurice lui parlait, avec son
éloquence juvénile, de choses inconnues,
d'aspirations artistiques, toutes nouvelles
pour elle dans le milieu où elle avait vécu.
Le père Mercier n'invitait à sa table que
d'anciens amis, de petits négociants qui
parlaient de leurs fins de mois, des cen-
times de leurs inventaires avec des âpretés
colères. Le cours de l'huile de colza ou de
l'huile de lin, ces chiffres qui revenaient
larit ile fois dans les propos du soir, 85 50
ou 70 50 les 100 kilos, ces nréoccnmtiaua.
mercantiles, éternellement identiques, fi-*
nissaient par écœ irer, par étouffer cette
jeune fille, la' moins rominesque du
monde. Lorsque Maurice lui parh des pro-
grès artistiques qu'il rêvait, d - cet état de
céramiste qui est mieux q l'un métier, de
tout ce qu'il projetait, cherchait et espérait, ,
il lui sesnbla qu'on ouvrait toute grande
devant elle une fenêtre, qu'elle voyait un
ciel bleu et aspirait du dehors des bouffées-
d'air libre,
Maurice n'eut pas grand peine à obtenir
du père Mercier la main de Pauline. Pour
le consentement de la jeune fille, c'était
elle-même qui lui avait dit : « Parlez! à
On ne discuta que sur la dot. Maurice ne
demandait pas un sou, mais le marchand
d'huiles tenait à montrer à son futur gen-
dre qu'il se saig îait aux quatre veines.
— Il ne sera pas dit que je n'ai poin~
donné de dot à ma fiUe! Je n'aurais qu'un
morceau de pain, je lui offrirais. Je ne
suis pas un égdïste 1
Il fallut en passer par là, et Pauline sm.
vit Maurice, devenant pour lui, dès le pre*
mier jour, la fidèle amie, l'épouse exquise
et idéale quelle était encore, après tan,
d'heures écoulées. ,
JULES CLÀRETIE* ;
(A «zVlMMtX
, RÉDACTION
; P'e&resser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures dû soir
48, BCE DE VALÔ19, ta
Ui manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
lu;. Ch. LAGRANGE, ŒUF et G*
6, place de la Bourse, 6 » -
ADMINISTRATION *
it, EUE DE VALOIR (S * VV.
• s 3 v
ABONNEMENTS
.tAMN
Trois mois 10 »
Six mois. 20 a
DÉPARTEMETS
Trois moi3. IV5I N;
Six mQ1S. 21 a
Adresser lettres et mandata
A M. ERNEST LEFÈYR^
ADmNISTtAIEUR-CHRAKT
.., , DOUBLF,' iù .;
D'une part, ils affectent l'arroganca
et la menace. Car ils ont leurs clients,
les vaincus du 14 octobre, les décavés,
les affamés, auxquels il faut promettre
une revanche et une place à la table du
budget, si l'on ne veut pas être lâché
par ces honnêtes gens dont la convic-
tion est surtout de l'appétit. C'est pour-
quoi l'on a entendu M. do Fourtou, à
la tribune de la Chambre, dire qu'il ne
se repentait que de n'en avoir pas fait
assez, et c'est pourquoi l'on a vu M. de
Broglie, dans un bureau du Sénat, se
faire accusateur, lui l'accusé. Le Seize-
Mai relève la tête, provoque ses vain-
queurs, se déclare prêt à recommencer,
et à aller cette fois jusqu'au bout!
Oui, mais il n'y a pas que les décavés
et les affamés. Il y a le pays, Il y a
ceux qui, au lieu d'être fâchés que le
Seize-Mai n'ait pas réussi, sont indi-
gnés qu'il ait essayé. Il -- y a ceux qui
bondiraient à l'idée qu'il put songer à
récidiver. Pour ceux-ci, on change de
manière. On ne montre plus le poing,
on tend la main. La réaction « fait la
fille douce, innocente et timide i). D'a-
bord, on l'a calomniée. Le Seize-Mai
n'est pas ce qu'un vain peuple pense.
On & parlé de guerre civile ? Parce
qu'un légitimiste a demandé un poste
de combat »? Parce que les ordres du
ministère de la guerre étaient de tirer
sur les femmes et sur les enfants,
comme au boulevard Montmartre? Il n'y
a que les républicains pour être capa-
bles de croire que « poste de combat »
veut dire poste de combat, et que tirer
sur les femmes et sur les enfants c'est
tirer sur les femmes et sur les enfants.
Le Seize-Mai est donc d'une .pureté
immaculée et virginale. S'il reste des
,-. -.
personnes qui n'en soient pas absolu-
ment convaincues, eh bien, quoi! il a
eu tort, il ne le fera plus. Il a eu une
mauvaise pensée, soit, mais il a reçu
une bonne leçon. Elle lui a profité.
Non, certainement, il ne songe plus à
récidiver! Et il y songerait, est-ce que
la récidive lui serait possible? Est-ce
qu'il ne lui a pas fallu, l'année der-
nière la collaboration du maréchal de
Mac-Mahon et est-ce que le maréchal
de Mac-Mahon, cette année, ne colla-
bore pas avec les républicains ? Sans le
maréchal, pas de dissolution, et sans
dissolution, rien. La République est
donc inattaquable dorénavant. Il y a
deux raisons pour que les monarchis-
tes ne lui fassent plus de mal : d'abord
ils ne voudraient pas et ensuite ils
ne pourraient pas.
- C'est en vertu de ce beau raisonne-
ment que ceux des journaux conserva-
teurs qui jouent le jeu du repentir et
de rimpuissance demandent aux élec-
teurs sénatoriaux de ne pas garder
rancune à ces pauvres écloppés du 14
octobre, de fa ire miséricorde à ces pé-
4cheutfs, et de leur donner l'absolution
sous forme de vo.te. Et comme ils
rat ent touchants, s'ils étaient moins
ratent touchants) s'ils étaient moin~ 4
otiiques, ces journaux qui conseillent
iux républicains de voter pour des mo-
narchistes !
Mais qu'est-ce que vous craignez
donc ? Vous ne croyez donc pas les mo-
narchistes repentants et impuissants?
Repentants ? jamais. Impuissants? c'est
selon à quoi. A renverser la Républi-
que, toujours.
Nos lecteurs savent si le Seize-Mai
nous a fait peur. Pas plus que le Vingt-
quatre-Mai. L'année dernière comme
en 1873, nous avons dit, dès le premier
jour, que la République serait plus
forte que les trois partis coalisés contre
elle. Que vouliez-vous qu'elle fît con-
tre trois ? — Qu'ils mourussent ! Et ils
sont morts. Il n'y manque plus que
l'enterrement. Les électeurs du 5 jan-
vier s'en chargeront.
Quand le Seize-Mai aurait pu violenter
et fausser le suffrage universel jusqu'à
lui extorquer des élections réactionnai-
res, et quand il aurait eu la majorité des
députés, comme il avait la majorité des
sénateurs, — et puis? Les deux Cham-
bres auraient pu se réunir en Congrès et
réviser la Constitution, — et puis? Les
monarchistes auraient eu dans le Con-
grès ce .qu'ils ont e ¥ dans l'Assemblée
nationale* et qu'est-ce que l'Assemblée
nationale a fait? la République..
- Pourquoi? Ce n'est certes pas faute
d'avoir eu envie de faire autre chose.
Mais elle a eu beau ,efforcer, intriguer,
conspirer, faire une horrible mixture
de droit divih, de royauté par à peu
près et d'empiré par-, jeter
à la porte, sans lui donner ses huit
jours, tout de suite, la nuit, le prési-
dent de la République, le remplacer
par qui elle a voulu : le résultat de
toutes ces sueurs, de tous ces mélan-
ges, de tous ces complots, de toutes
ces violences, pour tuer la République
et ressusciter .la monarchie, a été que
la République, qui était déjà le droit,
est devenue la loi. Si une Assemblée
qui était monarchiste, qui était unique,
et qui so disait souveraine, n'a réussi
qu'à constituer la République, c'est la
preuve absolue que : désormais en
France la monarchie-est impossible et
la République née essa ire.
Par conséquent, nous accordons plei-
nement aux réactionnaires doux que le
Sénat, si monarchiste, que fut sa majo-
rité, ne tuerait pas la République. Lui.
qui ne serait que la moitié du Parle-
ment et qui aurait en face de lui une
Chambre républicaine* comment pour-
rail-il ce que n'a pas pu une Assemblée
qui était le Parlement tout entier !
Nous n'aurions donc pas la moindre
inquiétude quant au succès. Mais un
Sénat monarchiste, s'il ne peut rien
faire, peut tout empêcher. Un Sénat
monarchiste avec une Chambre répu-
blicaine, c'est le conflit à l'état chroni-
que. Et le conflit à l'état chronique,
c'est le malaise, c'est la fièvre, c'est le
travail qui s'arrête, c'est les affaires
qui ne reprennent pas. Voilà le mal
que peut faire un Sénat réactionnairè
à la République et au: pays.
La question du renouvellement séna-
torial est bien simple. Pour que les
affairog-'TBp'rcnnent, il faut l'accord
entre les pouvoirs. Pour que les pou-
voirs soient d'accord, la majorité de
la Chambre étant républicaine, il faut
que la majorité du Sénat le soit aussi.
Donc, les électeurs qui désirent que les
affaires reprennent doivent nommer
des républicains.
AUGUSTE VACQUEIUE.
ge
On prétend que quelques-uns des
sénateurs monarchistes les plus avérés
et les plus enragés auraient fait ce
calcul peu scrupuleux :
- « Si nous nous disons les ennemis de
la République, nous sommes perdus.
Si nous avouons que nous voulons un
monarque, nous n'avons plus d'élec-
teurs. Dissimulons. Déclarons haute-
ment que nous acceptons la Constitu-
tion sans « arrière-pensée ». Dégui-
sons-nous en républicains conserva-
teurs, et le tour sera joué a.
Eh bien ! ils se trompent, le tour ne
serait pas joué du tout, et ils auraient
fait une vilenie pour rien.
Il faut que ces gens-là croient les
électeurs bien sots. Voilà huit ans en-
tiers qu'ils font à la République une
guerre sans trêve. Et ils croient qu'il
leur suffira de mentir pour tromper !
Ils croient qu'on oubliera le Seize-Mai
aggravant le Vingt-quatre-Mai ! Ils
croient qu'on ne connaîtra pas leurs
Votes ! Au lendemain du vote de la Con-
stitution, ils ont pu duper les gens
naïfs. Il y avait un élément nouveau
dans la situation. La France, soumise
jusque-là au provisoire, venait de con-
quérir enfin la République définitive.
ils déclaraient s'incliner devant la loi.
:Quelques-uns les ont crus. Grâce à cette
duperie, et à la presssion exercée par
M. Buffet, ils ont été élus.
Mais aujourd'hui, qui pourrait se
laisser tromper? A peine au Sénat, ils
se groupaient sous les ordres de M. de
Broglie, et pratiquaient la théorie des
« deux horloges », la théorie du-connit,
en vertu de laquelle le Sénat doit être
l'ennemi de la Chambre.
Ils s'engageaient avec ardeur dans
cette campagne furieuse contre la Ré-
publique, contre le r,'pos du pays, pour
la monarchie et le cléricalisme, - cani-
pagne qui a été couronnée par le
16 mai. Ils votaient la dissolution, et
excitaient les Fourtou, les de Broglie,
les Decazes à leurs tristes exploits.
Et maintenant ils diraient : Nous ac-
ceptons la République !— Et qui donc
JS'y laisserait prendre ? -— Comment !
un homme s'embusque au coin d'une
srue, vous saute à la gorge, essaie de
vous tuer, manque son coup, et revient
vous dire : « Vous savez si je suis votre
ami. » Des conspirateurs essaient d'é-
gorger la République, échouent, et
viennent déclarer aux électeurs qu'ils
acceptent le régime échappé à leurs
coups.
Les électeurs seront d'autant moins
crédules qu'ils ont été plus instruits
par l'expérience. En 1876, la Consti-
tution une fois votée et appliquée, on
pouvait croire que le pays aurait un
peu de repos. Et pourtant, dès le pre-
mier mois, le Sénat recommençait la
politique de combat : MM. de Broglie
et Buffet marchaient à la tête ; enfin, le
coup de vigueur arrivait, et la France
était bouleversée par un attentat vio-
lent contre le suffrage universel. A
quoi cela tenait-il ? à une majorité de
quelques voix dans le Sénat. Si, au
début, la gauche avait eu trois ou
quatre membres de plus, la France
aurait vécu en paix et aurait développé
tranquillement ses richesses et ses ins-
titutions. Or, qu lies sont les voix qui
ont fait pencher la balance du Sénat à
droite, amené tous les troubles, rendu
possibles tous les complots? Les voix
de quelques sénateurs réactionnaires
nommés parce qu'ils avaient dit ce
qu'on répète : « Nous sommes conser-
valeurs, mais nous acceptons loyale-
ment la République. » Ainsi avaient
parlé les Bocher, les Boissonnet, les
Paris et tant d'autres.
On va recommencer le même jeu :
il est un peu tard. Et quand des roya-
listes et des bonapartistes avoués es-
sayent de se faire « constitutionnels M,
alors que les vrais constitutionnels ont
si mal tourné, quand un Daru, tout en"
venimé d'une haine implacable contre
la République, promet, pour dissimuler
ses sentiments, d'être aussi attaché à la
Constitution actuelle qu'un Paris ou
qu'un Bocher, la plaisanterie est naïve,
et ne peut pas réussir. Ces messieurs
auront beau forcer le duc de Broglie de
ravaler le discours qu'il allait nous
faire, les électeurs sauront quels candi-
dats ils ont davant eux. Ils se rappelle-
ront qu'il y a une listé irrécusable, où
chacun a écrit lui-même son nom,
parmi les monarchistes ou parmi les
partisans du régime actuel ; et cette
liste, c'est le vote de la dissolution après
le Seize-Mai !
CAMILLE PELLBTAN.
- 4^ —————
LES DROITS DU SÉNAT
S'il y a quelque chose d'étonnant,
c'est la prétention qu'a le Sénat de dis-
cuter le budget, cette année. Il en a le
droit, légalement. Mais moralement?
Qu'est-ce que le 'Sénat, aujourd'hui,
que les délégués sénatoriaux sont nom-
més? Quelle autorité lui reste-il pour
augmenter ou pour refuser ïm crédit?
.Non-seulement rlé mandat d'un tiers
de ses membres va expirer., mais il est
certain que sa majorité va changer; que
les délégués sont en désaccord avec lui;
qu'il ne représente plus le corps électo-
ral. Dès lors, au nom de qui et au nom
de quoi prendrait-il des résolutions ? Au
nom de qui et au nom de quoi se per-
mettrait-il de retrancher ou de rema-
nier l'œuvre de la commission du bud-
get? ,
Le Sénat a perdu toute autorité. Ce
n'est pas notre faute. C'est la faute de
la droite. C'est la faute de ceux qui ont
imposé la Constitution au 'parti répu-
blicain. C'est la faute de ceux qui ont
voulu qu'un loug espace de. temps, sé,.
paràt l'élection des délégués de. l'élec-
tion des sénateurs. Nous aurons ainsi,
pensaient-ils, tout loisir pour intimider
ou corrompre les électeurs. Mais ils
n'ont pas réfléchi qu'un jour viendrait
où ils n'auraient plus le pouvoir et que,
ce jour-là, la simple désignation des
délégués par les conseils municipaux
aurait pour conséquence la déchéance
momentanée du Sénat.
C'est ce qui est arrivé. La majorité
sénatoriale est monarchiste, les délé-
gués sont républicains. Il est évident
que la majorité eesse d'être une majo-
rité parlementaire pour devenir une
simple réunion de personnages politi-
ques dont le tiers environ a perdu son
mandat.
Cette majorité est dans la situation
d'un fonctionnaire révoqué qui expédie
les affaires en attendant son succes-
seur. Beaucoup de fonctionnaires ont
été dans cette situation là depuis sept
ans. Eh bien, jamais aucun d'eux ne
s'est permis de prendre une résolution
importante; jamais aucun d'eux n'a si-
gué une nomination jamais aucun
d'eux n'a mis sa signature au bas d'un
acte qui engageait les finances de sa
commune, de son arrondissement ou de
'son département. Pourquoi donc le
Sénat serait-il moins correct que les
fonctionnaires?
• Comment ! la majorité amenderait le
budget ! Elle nous imposerait des éco-
nomies ou des dépenses! Elle nous don-
nerait son avis sur quelque chose! Mais
ce serait exorbitant! Elle est révoquée,
cette majorité. Les électeurs lui ont si-
gnifié qu'ils n'avaient plus confiance en
elle. Elle a perdu le droit de s'occuper
des affaires de l'Etat.
Donnons un exemple. Voici M. le
vicomte de Meaux. Je choisis celui-ci,
parce que sa rentrée dans la vie privée
ne peut être niée par personne. Quelle
autorité peut avoir le vote de M. de
Meaux — en supposant qu'il se per-
mette de voter? Depuis que son suc-
cesseur a été choisi et désigné par le
corps électoral, M. de Meaux n'est plus
rien, et c'est ce successeur qui est le
sénateur du département. C'est ce suc-
cesseur qui seul a le droit de voter au
Sénat.
Le suffrage restreint n'est pas comme
le suffrage universel. Avec le suffrage
universel, jusqu'au jour du vote, il y a
incertitude. Avec le suffrage restreint,
sauf de rares exceptions, on sait les
résultats du scrutin à l'avance. Le jour
où les électeurs sont élus, les condam-
nations sont prononcées. Et il y a plus
de quarante sénateurs de la majorité
qui, aujourd'hui, se trouvent dans la
situation de M. de Meaux !
La majorité actuelle du Sénat n'a
donc rien de mieux à faire qu'à enre-
gistrer sans observations les décisions
de la Chambre. C'est seulement à la
majorité du 5 janvier qu'il appartiendra
de nous donner ses avis.
EDOUARD LOCKRGY.
-
Nous avons dit hier la nouvelle mésa-
venture des ennemis de la République.
Sur un mot d'une personne qui leur avait
fait croire que le gouvernement avait in-
terdit l'inauguration d'une statue de Ber-
ryer, ils avaient jeté les hauts cris. Un
d'eux en avait perdu ce qu'il peut avoir
de cervelle jusqu'à comparer M. Dufaure
à don J *an, et a demandai* au ministre de
la justice « s'il avait donc peur que la sta-
tue du Commandeur ne l'entraînât et ne
lui prît la main pour le précipiter au châ-
timent » l;
Là-dessus, toutes les injures de leur vo-
cabulaire. « Félonie » — « prévarication »
—- « apostasie » — « mensonge » — « fa-
conde populacière » — « effronterie que
ne connut jamais l'empire a (c'est un
journal royaliste qui parle) — « Il était
réservé à la troisième République de voi-
ler la statue des grands hommes qui lui
font honte » — « Votre République est
trop petite pour contenir un Berryer »,—
etc., etc., etc.
Et tout à coup les ennemis de la Répu-
blique reçoivent sur la tête la note que
nous av Ins publiée hier. Le bruit que le
gouvernement avait interdit l'inauguration
du monument de Berryer était un faux
bruit Le gouvernement lui donne un dé-
menti formel.
Donc, la République n'est pas trop
petite pour contenir un Berryer; donc,
voila les journaux conservateurs obligés
de ravaler leurs injures; doac, la statue
de Berryer n'est plus la statue du Com-
mandeur, et M. Dufaure cesse d'être don
Juan. -
Quant à nous, nous sommes tellement
opposés à ce qu'on interdise l'inauguration
de la statue de Berfyer que nous alons
indiquer à ses -zim. is deux inscriptions
qu'ils pourront mettre sur le socle. Au-
cu ie autre ne ferait plus dhonneur à
Berryer.
Le 14 janvier 1868, à la tribune du Corps
législatif, Berryer, apostrophant le minis-
tre de la justice de l'elupire, à propos de
certains services et de certaines récom-
penses, a dit :
« La sixième chambre de police correc-
tionnelle est celle à laquelle sont déféré
exclusivement les délits politiques. -
» Eh bien, le magistrat qui présidait la
sixième chambre en 1859 a été nommé
conseiller au commencement de 1860 ;
celui qui présidait la sixième chambre en
1860 a été nommé conseiller en 1861 ï --'
celui qui la présidait en 1861 a été nommé
conseiller en 1862; celui qui la présidait
en 1862 a été nommé conseiller en 1863;
celui qui la présidait en i863 a été ,
nommé conseiller en 1864; tâ-ui -qui la
présidait en 1864 a été nommé eonseillei
à.la fin de 1865 ; celui qui la présidait en
i866 a été nommé conseiller au commen-
cement de 1867.
» Nous attendons le sort de celui qui la
préside en ce moment. a
On pourrait mettre en note que Berryer
n'attendit pas longtemps. Quelques mois
après, le président de la sixième chambre,
lequel était le fameux Delesvaux, fut nom-
mé conseiller.
A cette inscription, nous ajouterions,
la lettre qu'en novembre 1868, Berryer
écrivit à un des journaux qui avaient
ouvert une souscription pour « élever un
monument au glorieux martyr du 3 dé-
cembre t851 1). La voici:
« Le 2 décembre 1851, j'ai provoqué et
obtenu de l'Assemblée natioaale, réunie
dans la mairie du 10e arrondissement, un ,
décret de déchéance et de mise hors la loi
du président de la République, onnyo- -
quant les citoyens à la rêsistauce contre la
violation des lois dont 18 président se ren-
dait coupable. Ce décret a été rendu pu-
blic autant qu'il a été possible.
n Mon collègue, M. Bail tin, a énergi-
quement obéi aux ordres de l'Assemblée.
Il en a été victime, et je me sens obligé
de prendre part à la souscription ouverte
pour l'érection d'un monument expiatoire
sur sa tombe.
» Veuillez agréer mon offrande. »
Rien, nous le répétons. n'est plus hono-
rable pour Berryer que d'avoir dit cela en
face à l'empire et à ses magistrats, et
nous voulons croire que les légitimistes ne
déchireront pas deux des ivlus belles pages
de sa vie de peur de déplaire à leurs alliés
et protecteurs.
A. v.
, COULISSES DE VERSAILLES
-
Les dép ités de la Gau he et de-L'Union -
républicaine ont teau hier, à Paris, leur
dernière réunion de-la session.* :
- L'Union républicaine, qui était présidée
par M. Floquet. a siégé à la salle du Reliro,
rue Boi>sy d'Anglas. La réunion a constaté ,
qu'e i 1 etatlasessi >npo ivaiiètrecoasidérée :,
comme close; qu'il n'y availtuenae tLéllbé. !
raion à engager, toutes les q testions po-
litiques devant être ajournées à la rent ée,
prvchaine. Actuel! m-mt, il n'y a qu'à
laisser la parole aux électeurs sénato-
riaux, qui vont achever la coasalidatiôu:
des institutions républicaines, en mettant
le Sénat en harmonie avec la Ch .mbrù des
députes.
La runim a décidé qu'elle se réunirait
le mercredi 8 janvier, surlendemain des
élections sénatoriales pour eximi er la
situation créée par ces élections et prendre
les mesures qui seraient jugées néces-
saires. En attendant, elle a donné ses
pleins pouvoirs à son bur au qai la repré-
sentera jusqu'à cette époque. 4
La Gauche républicaine a siégé à la -
salle des Conférences du boulevard des
Capucines sous la présidence de M. Le- :
blond. Elle a pris les mêmes détermina- ,'
tiôns que l'Union r publicaine. : :
Au début de la séance,., le président a t
constaté, avec satisfaction sous quels heu- <.
reux auspices allait se clore la session.
Grâce à l'attitude énergique des groupes
de la gauche, la République apparaît au-"
joimi'b si forte et inébranlable, et, dans
q lle!q: ,cs jours, les électeurs sénatoriaui
vont achever par leurs votes de la mettre
hors d' tteinte. Dès aujourd'hui, les ren- i
geignements les plus fondés, a dit l'aono-
rable président, permettent de considérer
comme acquis le succès des républicains
Feuilleton du RAPPEL
Ul 13 DÉCEMBRE
18
LES
PETITES ÉTOILES
Y
lie ménage Vanillier
— Je t'aime! avait dit Maurice à Pau-
-
Oui certes, il l'aimait, et depuis neuf
ans, d'une affection profonde. Son amour
pour elle se doublait d'estime et de recon-
naissance Pauline était, en même temps
que la femme choisie, l'amie sérieuse, la
conseillère, la compagnonnc attelée au.
~m
- Voir le Rappel du 2o novembre au 12 dé-
cembre
aussi, ignorant de la vie, sachant seule-
ment qu'il aimait, et l'aimant, cette Pau-
line, de toute son âme. Elle ne lui appor-
tait qu'une dot assez mince, mais la mai-
son Vauthier était riche. Maurice avait
assez pour deux. Ah! comme il s'applau-
dissait de s'être marié assez tôt pour voir, à
trente-six ans, ses enfants déjà grands s'as-
seoir aux côtés de la mère encore jeune! 11
y avait neuf ans que Pauline était sa femme,
et de ces neuf années il n'eût pas voulu
effacer une journée de sa vie. Le long
amour de ce ménage était fait de petits
bonheurs quotidiens, d'une affection sans
fracas, solide et forte, plus raisonnable
peut-être chez Maurice, plus exaltée, plus
nerveuse chez Pauline, dont la passion la-
tente était vive.
Mme Vauthier ne se demandait même
pas comment ces neuf ans avaient passé.
Que d'épreuves de toutes sortes on avait
traversées, en Commun - mais pour se re-
trouver toujours épris* toujours heureux,
après le labsur de chaque jour.. La nais-
sance d'un fils, joie vivante apportée au
l^gis, puis d'un second garçon, à deux an-
nées de distance, resserrait encore le
lien plus étroit de ces deux êtres faits pour
s'aimer. Maurice eût peut-être désiré une
fille lorsqu'après l'aîné le petit Alhert était
venu. Mais, tapageur, courant, eaminant,.
emplissant la maison de son babil et. de ses
trottinements, le petit avait bientôt gagné
sa cause. Pierre rêveur, doux, câlin, collé
aux jupes de sa mère, regardait parfois
avec étonnement ce diablotin révolté qui
lui ressemblait si peu et qui était son
frère.
Ces quatre êtres réunis par une même
affection vivaient tranquilles dans le logis,
arlistement aménagé, que Maurice nom-
mait son nid. Sms luxe tapageur, leur
coin du feu gardait ce rayonnement origi-
nal que donne le goût. A peu de frais,
choisis au hasard des trouvailles, les
bronzes élégants, les faïences rares, les ta-
bleaux intéressants, les esquisses curieu-
ses venaient peu à peu couvrir les étagè-
res ou les murailles. Amoureux de 1 iné-
dit, Maurice était un délicat dans ses
achats. Il disait gaiement qu'il eût aimé à
inveter les peintres. 1
Le ménage sortait peu. Maurice n'avait
plus de parents, et le père de Pauline, le
vieux M. Mercier, qui vivait de ses rentes,
dans sa petite maison de Passy, ne tenait
à voir ses petits-enfants qu'aux jours offi-
ciels des épanchements de famille. Veuf
depuis longtemps, après avoir réalisé, non
pas même une petite fortune, mais une
ponvenable aisance, en vendant des huiles,
M. Mercier, sa fille une fois mariée, casée
avec cinquante mille francs de dot, s'ér
tait dit qu'après tout dix mille francs de
rente lui suffisaient parfaitement pour
vivre et, réalisant son fonds de commerce,
il était allé s'établir dans une maisonnette
bien close, entourée Acl'un petit jardinet
qu'il se plaisait à cuitiver, et" là, loin du
bruit, seul avec une vieille serva nte qui
avait élevé « Mlle Pauline », il vivait heu-
reux, trouvant parfois que cette Géiestme
devenait bien grognonne avec l'âge et dé-
clarant qu'il ne fallait jamais garder les
vieux domestiques, mais n'osant pas ren-
voyer la bonne femme qui lui faisait de
bons laits de poule et soignait bien son
feu. Le souci quotidien de sa personne
ridée déjà et ratatinée était pour le bon-
homme Mercier la grande occupation de
la vie. Il n'en voyait pas de plus intéres-
sante. Tout ce qu'il avait retenu des lu-
gubres épreuves de la guerre, c'est qu'on
l'avait forcé à quitter Passy et qu'il avait
traversé un bien triste hiver, en mangeant
du mauvais pain et du vieux cheval chez
son gendre. Autrement, tout glissait sur
cet homme de soixante-trois ans, maigre,
voûté, préoccupé, de lui-même, passant
son temps à se tâter le pouls et à se re-
garder la langue, et que ses continuelles
alarmes sur sa santé rendaient: certaine-
ment'plus vieux que son âge. .,'
Malgré son égoïsme, M. Mercier, qui
avait de l'esprit et du bon sens, s'était im-
posé jadis de bien élever sa fille. Il la sur-
veillait beaucoup, voulant, se disait-il, en
faire une espèce de créature d'élite, ins-
truite, laborieuse, point coquette, en un
mot charmante, « afin que quelqu'un
l'épousât plus vite ». Il se dévouait pro-
fondément pour avoir le moins de temps
pos.ïble à se dévouer. Quand, à dix-huit
ans, Pauline.avait rencontré Maurice Vau-
thier, déjà à la tête de ce vaste atelier de
peinture sur porcelaine de la rue Paradis,
elle l'aima pour cet air de franchise qui
plaisait en lui, plus séduite par la voix
sympathique, le regard droit, l'accent sin-
cère de cet homme, jeune, joli garçon, un
peu timide, que par sa chevelure et cette
moustache en croc qui lui allait si bien.
Et puis, Maurice lui parlait, avec son
éloquence juvénile, de choses inconnues,
d'aspirations artistiques, toutes nouvelles
pour elle dans le milieu où elle avait vécu.
Le père Mercier n'invitait à sa table que
d'anciens amis, de petits négociants qui
parlaient de leurs fins de mois, des cen-
times de leurs inventaires avec des âpretés
colères. Le cours de l'huile de colza ou de
l'huile de lin, ces chiffres qui revenaient
larit ile fois dans les propos du soir, 85 50
ou 70 50 les 100 kilos, ces nréoccnmtiaua.
mercantiles, éternellement identiques, fi-*
nissaient par écœ irer, par étouffer cette
jeune fille, la' moins rominesque du
monde. Lorsque Maurice lui parh des pro-
grès artistiques qu'il rêvait, d - cet état de
céramiste qui est mieux q l'un métier, de
tout ce qu'il projetait, cherchait et espérait, ,
il lui sesnbla qu'on ouvrait toute grande
devant elle une fenêtre, qu'elle voyait un
ciel bleu et aspirait du dehors des bouffées-
d'air libre,
Maurice n'eut pas grand peine à obtenir
du père Mercier la main de Pauline. Pour
le consentement de la jeune fille, c'était
elle-même qui lui avait dit : « Parlez! à
On ne discuta que sur la dot. Maurice ne
demandait pas un sou, mais le marchand
d'huiles tenait à montrer à son futur gen-
dre qu'il se saig îait aux quatre veines.
— Il ne sera pas dit que je n'ai poin~
donné de dot à ma fiUe! Je n'aurais qu'un
morceau de pain, je lui offrirais. Je ne
suis pas un égdïste 1
Il fallut en passer par là, et Pauline sm.
vit Maurice, devenant pour lui, dès le pre*
mier jour, la fidèle amie, l'épouse exquise
et idéale quelle était encore, après tan,
d'heures écoulées. ,
JULES CLÀRETIE* ;
(A «zVlMMtX
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.57%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 98.57%.
- Collections numériques similaires יחיאל בן יקותיאל הרופא יחיאל בן יקותיאל הרופא /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "יחיאל בן יקותיאל הרופא" or dc.contributor adj "יחיאל בן יקותיאל הרופא")
- Auteurs similaires יחיאל בן יקותיאל הרופא יחיאל בן יקותיאל הרופא /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "יחיאל בן יקותיאל הרופא" or dc.contributor adj "יחיאל בן יקותיאל הרופא")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 1/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k7530111k/f1.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k7530111k/f1.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k7530111k/f1.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k7530111k/f1.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k7530111k
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k7530111k
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k7530111k/f1.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest