Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1878-12-12
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 décembre 1878 12 décembre 1878
Description : 1878/12/12 (N3198). 1878/12/12 (N3198).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75301105
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/08/2012
N" 3198 — Jeudi 12 Décembre 187e - te Auuftére 8 f 0 c» •— f$ëp&rf©aiieiati§ 1 Ils ce 22 Frimaire an 87 - H3 3198
REDACTION
ttkhreser EU Secrétaire de la Rédactîoir
De 4 à 6 heures du soir
18, RUB DE VALOIS, 19
lM Utanusnits non insérés ne scroat pa3 rendus
ANNONCES
MM. Ch. LA G H ANGE, CERF et C-
6, place de lu Bourse, 6
LE RAPPEL
ADMINISTRATION
46, BtJB DE VALOIS, ii
ABosnisn k'.tt v a
PARIS
Trois mois. *0 TI
Six mois. 20 »
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Trois mois.
Six uîoij p A
Adresser lettres et m:nui-,?3\
A M. Elt-NEST LEFÈVftÎN
a u ii î : b x n a i t; u u'-ueu a;< t
L'ŒUVRE SANS Mît >,
Quand Macbeth entre dans la caverne
des trois sorcières et, les trouvant en
train de tournoyer autour de la chau-
dière où bouillonne leur abominable
soupe, leur demande ce qu'elles font,
elles répondent :
— Une œuvre sans nom.
C'est la réponse que pourraient faire
en ce moment les trois sorcières du
parti sans nom.
i H y a des instants où l'on serait
tenté de croire que ce sont les mêmes.
Elles ont changé de nom, mais qu'im-
porte? La première s'appelle la contre-
Révolution ; Graymalkin (la chatte)
s'appelle la royauté constitutionnelle,
et Paddock (le crapaud) s'appelle le
bonapartisme. Mais on reconnaît aisé-
ment les « sœurs fatales » qui « tour-
noient dans le brouillard et dans l'air
impur » en chantant : — a Le beau est
affreux et l'affreux est beau ; » la
République est affreuse et la monarchie
est belle !
Ceux qui les entrevoient dans les
lieux suspects où elles se donnent ren-
dez-vous, s'étonnent de « ces créatures
si désséchées ». Elles n'avouent pas et
ne s'avouent pas à elles-mêmes qu'elles
sont d'horribles stryges qui vont vite
s'évanouir dans la brume. Elles se
croient très présentables et très vivan-
tes. Elles rêvent des vengeances.—Pre-
mière sorcière : « La femme d'un marin
mangeait des châtaignes, je lui en ai
demandé une : Décampe, sorcière!
m'a-t-elle répondu. Bi-en. Son mari
est en mer comme patron d'un navire;
je vais m'embarquer à sa poursuite, et
j'agirai. » - Deuxième sorcière: « Je
te donnerai un vent. » — Première
sorcière: « Tu es bien bonne. » -
Troisième sorcière : « Et môi un-autre, d
— Première sorcière : « Et moi-même
j'ai tous les autres. Je le rendrai sec
comme du foin ; le sommeil ni jour ni
nuit ne fermera les rideaux de sa pau-
pière ; neuf fois neuf semaines de fati-
gue le rendront malingre, hâve, lan-
guissant ; et si sa barque ne peut se
perdre, elle sera du moins secouée par
la tempête. »
N'est-ce pas ëïî propres termes ce
que font les trois sorcières" «s-xquelles
la France a refusé cette châtaigne, la
liste civile? Elles coalisent leurs vents,
empêchent le pays de dormir, le fati-
guent, Fépnisent, retardent le navire
d'arriver au port, font tout ce qu'elles
peuvent pour avoir au moins la tempête
à défaut du naufrage.
Je disais qu'au moment où Macbeth
entre dans là çaverne des trois sor-
cières, il les trouve, faisant une œuvre
sans nom. On sait ce qu'elles jettent
dans leur chaudron : un filet de cou-
leuvre, un orteil de grenouille, du poil
do chauve-souris, une langue de vipère,
une aile de hibou, une dent de loup,
une momie, l'estomac et la gueule d'un
requin, une lèvre de Tartare, un doigt
,. d'un enfant assassiné, des boyaux de
tigre, etc. Elles font de tout cela « une
bouillie épaisse et visqueuse » qu'elles
« refroidissent avec du sang ».
Si l'on entrait dans la caverne où les
trois monarchies font la cuisine du
renouvellement sénatorial, on les trou-
verait composant elles aussi une étrange
soupe. La monarchie du lys jette dans
la marmite l'orteil des grenouilles
qui demandent un roi, la momie du
droit divin, etc.; la monarchie du coq :
du poil de chauve-souris (je suis roya-
liste, voyez mon comte de Paris; je suis
républicaine, voyez mon duc d'Au-
male), etc.; la monarchie de l'aigle:
une aile de hibou pour les nuits de dé-
cembre, l'estomac et la gueule de plu-
sieurs requins, la lèvre du Tartare qui
a annoncé la fausse prise de Sébasto-
pol, le doigt de l'enfant de la rue Tique-
tonne, etc.
Une œuvre sans nom ! Un mélange
d'ingrédients différents, opposés, hos-
tiles, hurlant d'être ensemble, le roya-
lisme des Ordonnances et le royalisme
des Barricades, le règne des voltairiens
et le gouvernement des curés, l'empire
et le vote de déchéance, les balles qui
ont fusillé le duc d'Enghien et celles qui
ont fusillé le maréchal Ney, la paix à
tout prix et la guerre pour l'enfant,
tous les contrastes et touslescontraires,
quel nom cela pourrait-il avoir? Si cela
disait : Je m'appelle le bonapartisme,
Frohsdorff et Chantilly diraient: Ce n'est
pas vrai ! et si cela disait : Je m'appelle
le royalisme, Chislehurst crierait : Tu
mens !
De tous ces ingrédients les sor-
cières des trois monarchies font
« une bouillie épaisse et visqueuse »
qu'elles n'hésiteraient pas, au be-
soin, elles non plus, à « refroidir
avec lé sang » des femmes et des en-
fants sur qui le major Labordère a re-
fusé de tirer. Les chiens de M. Cunéo
d'Ornano s'accommoderaient probable-
ment de cette « pâtée »-là, mais j'ai la
vague conviction que les électeurs séna-
toriaux n'en mangeront pas.
AUGUSTE VACQUERIS.
^)a i.
A VERSAILLES
M, le baron Reille est allé rejoindre
son chef de file, M. de Fourtou. — Bon
voyage, monsieur le baron ! — Cela ne
s'est pas fait sans difficulté. Le bureau, la
commission d'enqnète, proposaient la
vali dation. La Chambre n'a pas été du
même avis.
L'élection contenait tous les scanda-
les. On avait fait du zèle pour M. le
sous-secrétaire. Je ne raconterai pas
l'histoire de cette élection, analogue à
toutes les autres déjà cassées. Il y a là,
pourtant, un détail particulier. M. le
baron avait fait passer un fil de télé-
graphe dans son château, et il y avait ins-
tallé un employé de l'Etat! Je vous re-
commande aussi les exploits du maire
Rossignol. Ce Rossignol, officier minis-
tériel (ô Philomèle !), avait imaginé de
faire voter les électeurs chez lui, dans
son étude. Pour y arriver, il fallait pas-
ser par un long corridor où se tenaient
Mme Rossignol et Mlles Rossignol, jeu-
nes personnes de 16 à 10 ans, les mains
pleines de bulletins conservateurs. C'est
tout un poème !
L'élection de M. Reille devait être
cassée. Mais, dit-on, il avait une majo-
rité assurée dans l'arrondissement; il
l'aura encore ; les électeurs le renver-
ront. Eh bien! qu'importe?. Il fau-
drait en finir avec cette doctrine, fausse
en théorie, dangereuse en pratique, qui
fait du vote qui suit l'invalidation
l'épreuve, la pierre de touche de cette
invalidation. A-t-on jamais reproché à
une Chambre d'avoir cassé une élection
qui à été confirmée? A-t-on reproché
au Corps législatif d'avoir invalidé la
nabab Bravais?
La seule doctrine morale et efficace,
en pareil cas, est celle-ci : un député
est élu quand il a obtenu la maj orité
dans un scrutin régulier. La pression
opérée par le candidat nommé vicie
radicalement le vote. Si l'épreuve n'a
pas été sincère, il n'y a pas eu d'épreuve.
On peut se croire certain que tel can-
didat l'emportera, comme on pouvait
l'être avant tout scrutin. Mais il n'y a
pas eu le vote légitime, qui seul peut
changer en un C> mandat officiel cette
certitude morale.
On s'est relâché, à tort à mon avis,
de ce principe incontestable (et peut-
être serait-il dangereux qu'à l'avenir
l'examen des pouvoirs, cette sauvegarde
de la loyauté électorale, parût dépendre
du résultat matériel qui suivra). — On
s'en est relâché pour des hommes qui
n'auraient pu répudier la candidature
officielle sans rompre avec la cause à
laquelle ils étaient attachés ; mais la
Chambre n'a pas voulu étendre cette
indulgence à l'un des organisateurs de
la pression et de la corruption qui ont
vicié toutes les élections.
0"1$
M. Joson a commencé par s'expliquer
au nom de la commission d'enquête. Il
a bien fait entendre qu'il ne s'agissait
que de , l'élection du Tarn, réservant
expressément la question de mise en
accusation, sur laquelle, a-t-il dit, la
commission s'expliquera à son heure.
Il esJ; remarquable que. plus on s'é-
loigne du 14 octobre et plus par consé-
quent on envisage l'histoire de cette
période avec sang-froid, plus la mise
en accusation apparaît nécessaire et
certaine. Telle est l'opinion qui se dé-
gage de tous les côtés du Parle-
ment, et qui s'affirme énergiquement. Le
long examen des pouvoirs, qu'on a
dits si fast idieux, que nous avons trou-
vé, pour notre part, si instructif, a été
pour beaucoup dans les progrès de l'i-
dée de mise en accusation. Comment
hésiter après avoir vu les dossiers d'un
Fourtou et d'un Decazes?
M. Gatineau, dont le talent est bien
connu, a répondu par une discussion
fort calme et très probante. Il a fait
rire toute la Chambre avec l'histoire
de la famille Rossignol. Il a gagné sa
cause. M. Reille a discuté fort succinc-
tement, et avec une grande insuffi-
sance, les griefs qu'on lui opposait. Il
a cru devoir se défendre du reproche
de n'avoir pas fait son devoir pendant
la guerre, reproche qui serait immé-
rité. Ce qu'on lui objecte est différent:
il a collaboré à l'organisation de la
violence electorale. C'est de cette accu-
sation qu'il devait se laver, et il a bien
peu répondu;
M. Langlois est intervenu dans le
sens de la commission d'enquête. L'é-
lection n'en a pas moins été cassée à
une vingtaine de voix de majorité. Ce
débat était instructif. M. Jozon, M. Lan-
glois avaient incontestablement raison
quand ils invoquaient les précédentes
décisions de la Chambre, et disaient:
« On a validé beaucoup dlélections dans
les mêmes conditions. » M. Gatineau,
de son côté, démontrait sans peine que
l'élection de M. Reille était radicale-
ment viciée.
Quelle est la conclusion à tirer de ces
deux démonstrations, également incon-
testables, sinon que cette Chambre,
accusée à droite d'une telle rigueur, a
été au contraire, comme nous l'avons
toujours dit, d'une indulgence extra-
ordinaire? On s'en est aperçu trop
tard; et il a fallu, pour cela, que le
suffrage universel instruisît et raffermît
les mandataires. Et c'est ce qui rend
faible, à notre avis, l'argument tiré des
précédents.
3ït
Avant l'examen de cette élection,
M. Dréolle s'était montré. Les lauriers
de M. Gavardie empêchent M. Dréolle
de dormir. La délation est un honneur
à droite. M. Dréolle, qui a tenu une
plume de journaliste (de journaliste- of-
ficieux, il faut le dire),, a trouvé bon de
dénoncer un journal des Hautes-Pyré-
nées. Il parais que les conservateurs
trouvent qu'on ne dénonce jamais
trop.
Un nous a dit que le journal en ques-
tion avait insulté une famille royale
d'Espagne, et particulièrement la reine
Isabelle. Nos lecteurs- savent qu'il n'est
dans nos habitudes d'insulter person-
ne : nous évitons de parler de la reine
très célèbre qui eut François d'Assise
pour mari. M. Dréolle s'est fait aujour-
d'hui son chevalier. Un chevalier qui
signale les articles à la justice.
Il voulait lire l'article. on l'en a em-
pêché. Voyez-vous ce député qui, trou-
vant des insultes tout à fait coupables,
n'a rien de plus pressé que de leur don-
ner la publicité de la tribune! Devant
la fermeté du président, il a dii renon-
cer au scandale qu'il méditait. M. de
Marcère a répondu, en quelques mots,
comme il devait le faire.
Nous regrettons seulement que M.
Dufaure ait cru devoir mettre l'article
sous les yeux de l'ambassadeur d'Espa-
gne. Que celui-ci se plaigne, rien de
plus naturel; qu'on poursuive ensuite,
ainsi le veut la loi. Nous ne connais-
sons pas les phrases incriminées. Si
elles méritent une condamnation, qu'on
les condamne. Mais nous ne savions
pas que le garde des sceaux, obligé
d'avoir une plainte de l'ambassadeur
pour agir, eût en aucun cas à provo-
quer cette plainte.
,.-.
On a discuté ensuite l'élection de M.
Morei, faiblement contestée par M. de
Bouville, victorieusement défendue par
M. Morel lui-même. Puis, n'étant plus
en nombre, on a dû remettre le vote à
demain. Nous regrettons, pour notre
part, que la Chambre n'ait pas été en
mesuro. de se séparer dès aujourd'hui.
Deux rapports d'élections manquaient.
Il nous semble nécessaire d'en finir au
plus vite. Les élections sénatoriales se
préparent, la place des députés est au
milieu de leurs électeurs.
La droite le sent si bien qu'elle es-
saye de traîner en longueur. Il appar-
tient aux républicains de déjouer son
calcul. On est si pressé d'aller en va-
cances, d'ordinaire, quand il reste à
Versailles de la besogne utile à ache-
ver! Voici que cette fois-ci il est urgent,
au contraire, de terminer au plus vite.
La majorité le comprendra certaine-
ment.
CAMILLE PELLETIN.
— ■ ■ i»,-. i i
Par 14 voix sur 19, la commission supé-
rieure des beaux-arts, présidée par M.
Bardoux, s'est prononcée, dans la ques-
tion de l'Opéra, pour la régie par à peu
près, c'est-à-dire pour un régisseur avec un
conseil d'administration.
Reste à prendre l'avis du Parlement,
mais on peut dire que dès aujourd'hui
M. Halanzier est à la porte. Il a dit, assez
spirituellement, que « son crime était de
n'avoir pas fait faillite ». Il n'y a pas de
danger que son successeur fasse faillite
non plus, puisque c'est nous qui paye-
rons.
Un des membres de la commission,
M. Camille Doucet, avait donné contre la
régie cet argument que l'expérience en a
été faite. M. Emile Perrin a administré
l'Opéra pendant cinq ans (de 1860 à 1865)
comme régisseur, et pendant cinq ans (de
1865 à 1870) à ses risques et périls. Les
cinq ans de regie « ont été ruineux » et
tellement que « c'est pour cela qu'on a
renoncé à l'exploitation par la liste ci-
vile ». Les cinq ans d'exploitation par l'en-
treprise privée ont, au contraire, donné
des bénéfices. 14 voix sur 19 ont préféré
la ruine à la prospérité.
Une autre curiosité du fait, c'est le mo-
ment qu'on choisit pour mettre l'Opéra en
régie. Tant que la nouveauté de son esca-
lier et les innombrables multitudes de l'Ex-
position lui ont assuré de grosses recettes,
on l'a donné à un directeur, mais à pré-
sent qu'il n'y a plus qu'à perdre, 14 voix
sur 19 déclarent que les bénéfices c'est.
bon pour M. Halanzier, mais que les pertes
sont dues aux contribuables.
Et l'on s'attend si bien à des pertes qu'on
parle déjà d'augmenter la subvention de
deux cent mille francs. De fait, l'Opéra ne
coûtait encore que près de quatre millions
par an.
Si le Parlement ratifie la décision de la
commission supérieure des beaux-arts,
l'Opéra nous reviendra à pas mal cher,
mais nous jouirons d'un théâtre où nous
démontrerons d'une façon éclatante que
les plus grands musiciens du monde ne
sont pas Français, et où nous rendrons
hommage à l'Italie dans la personne de
Rossini, à l'Autriche dans la personne de
Mozart et à la Prusse dans la personne de
Meyerbeer. On a dit autrefois que la
France était assez riche pour payer sa
gloire : on dira maintenant qu'elle est as-
sez riche pour payer la gloire de l'étran-
ger.
A. V.
<»■
COULISSES DE VERSAILLES
La question de l'Opéra a reçu avant-
hier un commencement de solution. La
commission supérieure des théâtres réunie
sous la présidence de M. Bardoux a adopté
par 14 voix contre 5, le système de la
régie pour le compte de l'Etat.
Il est intéressant de savoir comment les
votes des membres de la commission se
sont répartis dans le scrutin ouvert sur
cette question. Si nous sommes bien infor-
més, voici comment se seraient partagées
les voix.
Ont voté pour le système de la régie :
MM. Denormaiidie, Hérold, Pelletan,
Edouard Charton et Calmon, sénateurs
Antonin Proust, Paul de Rémusat, Pasca'
Duprat, députés; Gounod, Ambroise Tito-*
mas, Legouvé, Régnier, du Théâtre-Fran-
çais, Albert Gigot, préfet de police el
Langlois de Neuville, directeur des bâtit-
ments civils. „
Ont voté contre le système de la régie :
MM. Duclerc, Foucher de Careil et Lara-
bert-Sainte-Croix, sénateurs, Camille DfJu".
cet et Auguste Maquet, président de 1»
Société des auteurs dramatiques. C"
Se sont abstenus :
MM. Bardoux, ministre des beaux-arts;
Guillaume, directeur général des beaux-
arts, et de Beauplan, chef de la division
des théâtres au ministère.
Etaient absents :
MM. Ferdinand Duval, préfet de ia Seine,
et d'Osmoy, député.
Nous croyons savoir que le ministre ded:
beaux-arts, en présence de l'énorme ma-
jorité qui s'est prononcée pour le système
de la régie, va soumettre la question au.
conseil des ministres. Si le conseil ap-
prouve l'avis de la commission des tbéa.-
très, un projet de loi sera présenté à bref
délai aux Chambres pour les appeler à sta-
tuer sur la question.
Nous sommes curieux de savoir si les
Chambres trouveront que le budget n'est
pas assez lourd et que c'est le mo-
ment pour l'Etat de se charger de l'Opéra
quand l'Opéra va cesser de faire de grosses
recettes et va être forcé d'augmenter ses
dépenses.
La semaine prochaine, la commission
des théâtres sera convoquée pour discuter
la question du Théâtre-Lyrique et de l'CF—
péra-PopuIaire, à propos du vote du con-
seil municipal de Paris.
-o-
Le conseil supérieur de l'instruction pu«'
blique est convoqué pour demain jeutii.
C'est la dernière session qu'il doit tenift
dans sa composition actuelle. Nommé, est
effet, en avril 1873 pour six ans, il doit
être renouvelé intégralement — aux ter-
mes de la loi — en avril 1879.
Il est à espérer qu'à cette époque la
ministre de l'instruction publique s'effor-
cera de corriger la fâcheuse influence de
la loi votée par l'Assemblée nationale et
de choisir, pour les membres qui sont
sa désignation, des personnes qui n'ailler
pas se joindre aux partisans du cléricar-
lisme, et notamment aux évêques, que.
la loi fait entrer de droit dans ce cons&
-D-
En dépit des efforts de M. de Broglie cfc
de ses amis le rapport de M. Varroy SUIT
le budget de i879 pourra être distribué «k „
temps aux sénateurs et la discussion
pourra commencer demain jeudi au S4*
nat. v -
Elle se terminera au plus tard lundi^ 1
prochain, et peut-être même pourra-t-el^*- :
être achevée samedi soir.
-0-
M. Camille Sée a déposé, il y a quelque
temps, une intéressante proposition ten-
dant à organiser l'enseignement secon-
daire des jeunes filles.
D'après cette proposition, il serait créé
pour les jeunes filles des établissements
d'enseignement secondaire analogues aux
lycées entretenus par l'Etat pour les gar-
çons. Ces établissements, au nombre de
onze, seraient installés à Paris, Lyon, Bor-
deaux, Marseille. Lille, Nantes, Dijon,
Rouen, Nancy, Reims et Grenoble.
Des établissements de même nature
pourraient être ouverts par les départe-
ments, les communes et les particuliers.
Ceux créés par l'Etat seraient à sa charge;
les autres pourraient être subventionnés
par l'Etat, au cas où la moitié des dépen-
ses seraient faites par les villes ou dépar-
tements.
Les élèves pourraient être externes ou
internes. Des bourses, données au con-
cours, seraient instituées par l'Etat, lest
départements et les villes.
L'enseignement serait composé d'une
partie obligatoire et d'une partie faculLa.
tive. L'enseignement obligatoire com-
prendrait :
1° La langue française ;
Feuilleton du HAPPEZ.
1H 12 DÉCEMBRE
17
LES
PETITES ÉTOILES
IV
Le pâté de veilles
(Suite) "}
— Un pont! un p'únt! hurlaient de
toutes les fenêtres ces têtes échauffées.
L'idée d'une folie traversant ces cervelles
•les faisait flamber comme le rhum allumé
dans le grand bol d'argent, et, d'une main
à l'autre, de l'appui de la terrasse au re-
bord de la fenêtre de Wepier, Hile planche
était jetée, que deux ou trois hommes,
sur la terrasse, empêchaient de Vôuger en
mettant le pied dessus, pendant que Che-
vrolat, agenouillé su; corniche du res-
mrniche d LI res-
taurant. maintenait la passerelle d'une
Vbir Î3 Rappel du 25. novembre au i 1 dé-
cembre
main, tout en se raccrochant de l'autre
aux rinceaux de fonte du balcon. Et là,
sur cet étroit passage, les chanteurs, en-
jambant, l'un après l'autre, la balustrade
de la terrasse, se jetaient hardiment,
riant, saisissant les mains qu'on leur ten-
dait des fenêiresV et se laissant tirer et
Iri-ser avec de grande rires par des bras
robustes. Au dehors, les badauds, s'amu-
sant de ces fous, applaudissaient à leur
tour cette gymnastique lorsque, après
avoir mis le pied sur la planche, un rîOU-
vean venu sautaitdans le grand salon plein
de bruit.
Les femmes seules poussaient des cris
d'effroi à l'idée de se risquer sur cette
planche, au-dessus de cette espèce de
igouffre noir qui était la rue.
— Figurez-vous que vous êtes en Suisse!
disait Chevrolat. Une petite ascension au
:Monl-Blanc ! Voilà tout ! On demande des
voyageuses !
:. :\loi, je n'aurais pas peur! fit Léa dé-
daigneusement en regardant Germaine et
Mme n é i ui, sur la terrasse, hési-
Mme Régine 4ui> sur la terrasse, hési-
taient, reculaient, Cachaient leur terreur
sous le rire. - ,
Le petit bossu Picarde* trancha la diffi-
culté ! il apportait les manteaux, les four-
rures, les voiles des dames et s'offrait à
les conduire par le chemin le plus long,
mais le plus sûr : les escaliers.
--- Mon arrière-train formera l'arrière-
garde, disait-il en montrant sa bosse dont
il riait pour qu'on n'en rît. pas.
Sur la planche qui remuait, le maigre
et grand garçon qui était le mari de Mme
Régine la chanteuse, Véùait seulement de
poser ses pieds énormes et avançait lente-
ment, se servant de ses longs bras, aux
mains larges, comme de balanciers, et riant
d'un rire un peu inquiet.
— Mais il va se rompre le cou J disait sa
femme qui, tout en s'entortillant le cou
dans les dentelles d'une mantille, le re-
gardait de ses beaux yeux doux.
Et, comme si elle eût prévu la mala-
dresse d'Aristide, le pauvre garçon fit tout
à coup, sur la planche qui parut basculer,
un mouvement de travers, et, se sentant
vaciller, poussa un cri, tandis qu'aux fenê-
tres les femmes se détournaient toutes ter-
rifiées. On te crut perdu.
Chevrolat, appuyant brusquement son
genou sur la planai*";. tendit vers Ger-
baud sa main gauche pCU? le saisir, mais
ses doigts frôlèrent seulement le pantalon
du pauvre garçon, et Aristide, perdant
l'équilibre, allait se casser le front et &'é-
craser sur le trottoir, lorsqu'à travers Î6S
barreaux de la balustrade, rapidement
une main nerveuse le saisit par le collet
de son habit, le ramena brusquement, et
le colla avec force contre les colonnettes
de la terrasse. Le malheureux, à demi
étranglé, instinctivement se raccrochait
aux barreaux, cherchait du pied la planche
qui lui avait manqué, et l'Arabe qui venait
de le rattraper comme au vol, souriant de
son air malin d'oriental parisianisé, le
maintenait toujours, en disant d'une petite
voix d'enfant qui semblait étrange, sortant
de celte face de bronze
— Aie pas peur. Moi te tiens !
Mme Régine était toute pâle, et Picar-
det, dont elle avait saisi la main machina-
lement, la sentait qui tremblait de tousses
nerfs. Mais quand, redressé, sauvé, repre-
nant son chemin, Aristide Gerbaud, à qui
Chevrolat et Morillot tendaient les mains,
gagna la fenêtre, la sueur lui perlant en-
core au front :
— Est-il possible, murmura-t-elle entre
ses lèvres, d'être aussi maladroit et aussi
bête que ça !
Le petit bossu, en conduisant les dames
par les escaliers, ne pouvait s'empêcher de
se dire que si pourtant M. Régine se fût
brisé les os, voilà quelle eût été son orai-
son funèbre, faite par celle qui portait son
nom et lui donnait 1
— C'est gentil, les femmes ! songeait
Picardet.
L'Arabe sauta le dernier è,jj,ns le salon,
montrant sa face maigre et calme, au mi-
lieu de tous ces gens qui le félicitaient, al-
laient à lui, le complimentaient sur une
action qu'il trouvait toute simple. Grêle et
f air ~auche, presque minable, avec le pa-
letot noir qui l'étriquait, cet homme, d'ap-
parence chêtiTe, l'air fatigué, devait être
magnifique. avec son teint de vieux bronze,
sous les plis blancs de son burnous. Le fez
rouge qu'il plantait sur sa têle bru.ne lui
donnait seul un peu de caractère. Léa, qui
le regardait et qui l'avait vu, tout à l'heure,
maintenant -m homme au-dessus du vide,
lui tro., bon air.
On se mit à verser le punch dès que Ré-
gine et la petite Germaine apparurent,
guidées par Picardet, sur le seuil de la
porte. Mme Régine voulait voir de près
celle qui, tout à l'heure, chantait si bien
ses chansons. Léa, la joue rose, ses yeux
vifs pétillant de joie, remerciait de tous
ces compliments, et répondait par des
éclats de rire lorsqu'on lui disait que sa
place n'était pas à l'atelier, mais sur les
planches. Toute rouge, le cœur en feu,
elle sentait gronder en elle les ambitions
profondes qui l'avaient enfiévrée si sou-
vent lorsqu'elle trouvait fatigant le labeur
de l'atelier et l'outil trop dur à ses doigts.
Est-ce qu'il n'y avait pas, d'ailleurs, com-
me une prédestination dans ce hasard qui
mettait ainsi sur sa route ces femmes à la
mode, ces chanteurs, tout ce monde em-
pressé autour d'elle, qui s'amusait à la
complimenter, et, par politesse, lui prédi-
sait un avenir égal à celui de Germaine
ou de Mme Régine?
- A la santé de Mlle Léa, dit Tahourin,
qui avait demandé fè nom. de l'héroïne.
— A ses succès!
— Nous vous baptisons bonne dtsvusç
et bonne chanteuse, dit le petit Picardet,
et Mme Régine sera votre marraine!
Léa ne riait plus. Le désir de toute sa
vie, l'âpre espoir d'une existence pareille
à celle de ces femmes dont les robes élé-
gantes la frôlaient, la rendaient mainte-
Dant toute pâle. Tandis que Mme Régine,
un peu pincée, portait d'assez mauvaise
grâce la santé de cette inconnue, la maî-
tresse de Claude Pascal voyait comme un
horizon vaste, plein de rayons et d'odeurs
capiteuses, s'ouvrir devant elle, semblable
à une route heureuse.
Où Régine, Germaine, où Tabourin ne
trouvaient qu'un aventure amusante, une
fin de souper un peu drôle, avec une!
espèce de sauterie de grisettes pour des-
sert, Léa apercevait une sorte d'occasion
que lui offrait le sort et, tandis qu'avant
un dernier quadrille qu'on allait danser
en commun, elle versait elle-même le
punch, — Chevrolat ayant renvoyé lef
garçons qui gênaient, — il lui semblait
que ces lueurs gaies de l'alcool brûlant au.
fond du vase d'argent étaient une illumi.
nation allumée pour fêter cette date de sa
vie : le jour où elle avait été bien cer-
taine que son talent lui permettait de
quitter son métier.
Et superbe, un beau sourire de certitude
et de bravade montant à ses lèvres hu-
mides, elle regardait tous ces gens as,
semblés, pressés, bruyants, qui, vidant
leurs verres, réclamaient encore une
danse et criaient gaiment : un quadrille 1
un quadrille !
Dans ses yeux blancs, un peu rougis â
la conjonctive, qui brûlaient au milieu de
sa face dont la peau parcheminée faisait
saillir les os, l'Aïssaoua pensif regardait
silencieusement cetie grande Léa, debout,
la cuillère à la main, qui faisait flambe^
le punch et se grisait à l'odeur de cetta
flamme dansante aux languettes bleues «Ç
rouges, qu'elle précipitait du bout de la'
cuillère en minces filets de feu corom.
une cascade chaude qui crépitait ef
grésillait en tombant dans le grand hM-
d'argent.
JULES CLARETIE*
(A swn) A
REDACTION
ttkhreser EU Secrétaire de la Rédactîoir
De 4 à 6 heures du soir
18, RUB DE VALOIS, 19
lM Utanusnits non insérés ne scroat pa3 rendus
ANNONCES
MM. Ch. LA G H ANGE, CERF et C-
6, place de lu Bourse, 6
LE RAPPEL
ADMINISTRATION
46, BtJB DE VALOIS, ii
ABosnisn k'.tt v a
PARIS
Trois mois. *0 TI
Six mois. 20 »
!';n~aT)~)!~
Trois mois.
Six uîoij p A
Adresser lettres et m:nui-,?3\
A M. Elt-NEST LEFÈVftÎN
a u ii î : b x n a i t; u u'-ueu a;< t
L'ŒUVRE SANS Mît >,
Quand Macbeth entre dans la caverne
des trois sorcières et, les trouvant en
train de tournoyer autour de la chau-
dière où bouillonne leur abominable
soupe, leur demande ce qu'elles font,
elles répondent :
— Une œuvre sans nom.
C'est la réponse que pourraient faire
en ce moment les trois sorcières du
parti sans nom.
i H y a des instants où l'on serait
tenté de croire que ce sont les mêmes.
Elles ont changé de nom, mais qu'im-
porte? La première s'appelle la contre-
Révolution ; Graymalkin (la chatte)
s'appelle la royauté constitutionnelle,
et Paddock (le crapaud) s'appelle le
bonapartisme. Mais on reconnaît aisé-
ment les « sœurs fatales » qui « tour-
noient dans le brouillard et dans l'air
impur » en chantant : — a Le beau est
affreux et l'affreux est beau ; » la
République est affreuse et la monarchie
est belle !
Ceux qui les entrevoient dans les
lieux suspects où elles se donnent ren-
dez-vous, s'étonnent de « ces créatures
si désséchées ». Elles n'avouent pas et
ne s'avouent pas à elles-mêmes qu'elles
sont d'horribles stryges qui vont vite
s'évanouir dans la brume. Elles se
croient très présentables et très vivan-
tes. Elles rêvent des vengeances.—Pre-
mière sorcière : « La femme d'un marin
mangeait des châtaignes, je lui en ai
demandé une : Décampe, sorcière!
m'a-t-elle répondu. Bi-en. Son mari
est en mer comme patron d'un navire;
je vais m'embarquer à sa poursuite, et
j'agirai. » - Deuxième sorcière: « Je
te donnerai un vent. » — Première
sorcière: « Tu es bien bonne. » -
Troisième sorcière : « Et môi un-autre, d
— Première sorcière : « Et moi-même
j'ai tous les autres. Je le rendrai sec
comme du foin ; le sommeil ni jour ni
nuit ne fermera les rideaux de sa pau-
pière ; neuf fois neuf semaines de fati-
gue le rendront malingre, hâve, lan-
guissant ; et si sa barque ne peut se
perdre, elle sera du moins secouée par
la tempête. »
N'est-ce pas ëïî propres termes ce
que font les trois sorcières" «s-xquelles
la France a refusé cette châtaigne, la
liste civile? Elles coalisent leurs vents,
empêchent le pays de dormir, le fati-
guent, Fépnisent, retardent le navire
d'arriver au port, font tout ce qu'elles
peuvent pour avoir au moins la tempête
à défaut du naufrage.
Je disais qu'au moment où Macbeth
entre dans là çaverne des trois sor-
cières, il les trouve, faisant une œuvre
sans nom. On sait ce qu'elles jettent
dans leur chaudron : un filet de cou-
leuvre, un orteil de grenouille, du poil
do chauve-souris, une langue de vipère,
une aile de hibou, une dent de loup,
une momie, l'estomac et la gueule d'un
requin, une lèvre de Tartare, un doigt
,. d'un enfant assassiné, des boyaux de
tigre, etc. Elles font de tout cela « une
bouillie épaisse et visqueuse » qu'elles
« refroidissent avec du sang ».
Si l'on entrait dans la caverne où les
trois monarchies font la cuisine du
renouvellement sénatorial, on les trou-
verait composant elles aussi une étrange
soupe. La monarchie du lys jette dans
la marmite l'orteil des grenouilles
qui demandent un roi, la momie du
droit divin, etc.; la monarchie du coq :
du poil de chauve-souris (je suis roya-
liste, voyez mon comte de Paris; je suis
républicaine, voyez mon duc d'Au-
male), etc.; la monarchie de l'aigle:
une aile de hibou pour les nuits de dé-
cembre, l'estomac et la gueule de plu-
sieurs requins, la lèvre du Tartare qui
a annoncé la fausse prise de Sébasto-
pol, le doigt de l'enfant de la rue Tique-
tonne, etc.
Une œuvre sans nom ! Un mélange
d'ingrédients différents, opposés, hos-
tiles, hurlant d'être ensemble, le roya-
lisme des Ordonnances et le royalisme
des Barricades, le règne des voltairiens
et le gouvernement des curés, l'empire
et le vote de déchéance, les balles qui
ont fusillé le duc d'Enghien et celles qui
ont fusillé le maréchal Ney, la paix à
tout prix et la guerre pour l'enfant,
tous les contrastes et touslescontraires,
quel nom cela pourrait-il avoir? Si cela
disait : Je m'appelle le bonapartisme,
Frohsdorff et Chantilly diraient: Ce n'est
pas vrai ! et si cela disait : Je m'appelle
le royalisme, Chislehurst crierait : Tu
mens !
De tous ces ingrédients les sor-
cières des trois monarchies font
« une bouillie épaisse et visqueuse »
qu'elles n'hésiteraient pas, au be-
soin, elles non plus, à « refroidir
avec lé sang » des femmes et des en-
fants sur qui le major Labordère a re-
fusé de tirer. Les chiens de M. Cunéo
d'Ornano s'accommoderaient probable-
ment de cette « pâtée »-là, mais j'ai la
vague conviction que les électeurs séna-
toriaux n'en mangeront pas.
AUGUSTE VACQUERIS.
^)a i.
A VERSAILLES
M, le baron Reille est allé rejoindre
son chef de file, M. de Fourtou. — Bon
voyage, monsieur le baron ! — Cela ne
s'est pas fait sans difficulté. Le bureau, la
commission d'enqnète, proposaient la
vali dation. La Chambre n'a pas été du
même avis.
L'élection contenait tous les scanda-
les. On avait fait du zèle pour M. le
sous-secrétaire. Je ne raconterai pas
l'histoire de cette élection, analogue à
toutes les autres déjà cassées. Il y a là,
pourtant, un détail particulier. M. le
baron avait fait passer un fil de télé-
graphe dans son château, et il y avait ins-
tallé un employé de l'Etat! Je vous re-
commande aussi les exploits du maire
Rossignol. Ce Rossignol, officier minis-
tériel (ô Philomèle !), avait imaginé de
faire voter les électeurs chez lui, dans
son étude. Pour y arriver, il fallait pas-
ser par un long corridor où se tenaient
Mme Rossignol et Mlles Rossignol, jeu-
nes personnes de 16 à 10 ans, les mains
pleines de bulletins conservateurs. C'est
tout un poème !
L'élection de M. Reille devait être
cassée. Mais, dit-on, il avait une majo-
rité assurée dans l'arrondissement; il
l'aura encore ; les électeurs le renver-
ront. Eh bien! qu'importe?. Il fau-
drait en finir avec cette doctrine, fausse
en théorie, dangereuse en pratique, qui
fait du vote qui suit l'invalidation
l'épreuve, la pierre de touche de cette
invalidation. A-t-on jamais reproché à
une Chambre d'avoir cassé une élection
qui à été confirmée? A-t-on reproché
au Corps législatif d'avoir invalidé la
nabab Bravais?
La seule doctrine morale et efficace,
en pareil cas, est celle-ci : un député
est élu quand il a obtenu la maj orité
dans un scrutin régulier. La pression
opérée par le candidat nommé vicie
radicalement le vote. Si l'épreuve n'a
pas été sincère, il n'y a pas eu d'épreuve.
On peut se croire certain que tel can-
didat l'emportera, comme on pouvait
l'être avant tout scrutin. Mais il n'y a
pas eu le vote légitime, qui seul peut
changer en un C> mandat officiel cette
certitude morale.
On s'est relâché, à tort à mon avis,
de ce principe incontestable (et peut-
être serait-il dangereux qu'à l'avenir
l'examen des pouvoirs, cette sauvegarde
de la loyauté électorale, parût dépendre
du résultat matériel qui suivra). — On
s'en est relâché pour des hommes qui
n'auraient pu répudier la candidature
officielle sans rompre avec la cause à
laquelle ils étaient attachés ; mais la
Chambre n'a pas voulu étendre cette
indulgence à l'un des organisateurs de
la pression et de la corruption qui ont
vicié toutes les élections.
0"1$
M. Joson a commencé par s'expliquer
au nom de la commission d'enquête. Il
a bien fait entendre qu'il ne s'agissait
que de , l'élection du Tarn, réservant
expressément la question de mise en
accusation, sur laquelle, a-t-il dit, la
commission s'expliquera à son heure.
Il esJ; remarquable que. plus on s'é-
loigne du 14 octobre et plus par consé-
quent on envisage l'histoire de cette
période avec sang-froid, plus la mise
en accusation apparaît nécessaire et
certaine. Telle est l'opinion qui se dé-
gage de tous les côtés du Parle-
ment, et qui s'affirme énergiquement. Le
long examen des pouvoirs, qu'on a
dits si fast idieux, que nous avons trou-
vé, pour notre part, si instructif, a été
pour beaucoup dans les progrès de l'i-
dée de mise en accusation. Comment
hésiter après avoir vu les dossiers d'un
Fourtou et d'un Decazes?
M. Gatineau, dont le talent est bien
connu, a répondu par une discussion
fort calme et très probante. Il a fait
rire toute la Chambre avec l'histoire
de la famille Rossignol. Il a gagné sa
cause. M. Reille a discuté fort succinc-
tement, et avec une grande insuffi-
sance, les griefs qu'on lui opposait. Il
a cru devoir se défendre du reproche
de n'avoir pas fait son devoir pendant
la guerre, reproche qui serait immé-
rité. Ce qu'on lui objecte est différent:
il a collaboré à l'organisation de la
violence electorale. C'est de cette accu-
sation qu'il devait se laver, et il a bien
peu répondu;
M. Langlois est intervenu dans le
sens de la commission d'enquête. L'é-
lection n'en a pas moins été cassée à
une vingtaine de voix de majorité. Ce
débat était instructif. M. Jozon, M. Lan-
glois avaient incontestablement raison
quand ils invoquaient les précédentes
décisions de la Chambre, et disaient:
« On a validé beaucoup dlélections dans
les mêmes conditions. » M. Gatineau,
de son côté, démontrait sans peine que
l'élection de M. Reille était radicale-
ment viciée.
Quelle est la conclusion à tirer de ces
deux démonstrations, également incon-
testables, sinon que cette Chambre,
accusée à droite d'une telle rigueur, a
été au contraire, comme nous l'avons
toujours dit, d'une indulgence extra-
ordinaire? On s'en est aperçu trop
tard; et il a fallu, pour cela, que le
suffrage universel instruisît et raffermît
les mandataires. Et c'est ce qui rend
faible, à notre avis, l'argument tiré des
précédents.
3ït
Avant l'examen de cette élection,
M. Dréolle s'était montré. Les lauriers
de M. Gavardie empêchent M. Dréolle
de dormir. La délation est un honneur
à droite. M. Dréolle, qui a tenu une
plume de journaliste (de journaliste- of-
ficieux, il faut le dire),, a trouvé bon de
dénoncer un journal des Hautes-Pyré-
nées. Il parais que les conservateurs
trouvent qu'on ne dénonce jamais
trop.
Un nous a dit que le journal en ques-
tion avait insulté une famille royale
d'Espagne, et particulièrement la reine
Isabelle. Nos lecteurs- savent qu'il n'est
dans nos habitudes d'insulter person-
ne : nous évitons de parler de la reine
très célèbre qui eut François d'Assise
pour mari. M. Dréolle s'est fait aujour-
d'hui son chevalier. Un chevalier qui
signale les articles à la justice.
Il voulait lire l'article. on l'en a em-
pêché. Voyez-vous ce député qui, trou-
vant des insultes tout à fait coupables,
n'a rien de plus pressé que de leur don-
ner la publicité de la tribune! Devant
la fermeté du président, il a dii renon-
cer au scandale qu'il méditait. M. de
Marcère a répondu, en quelques mots,
comme il devait le faire.
Nous regrettons seulement que M.
Dufaure ait cru devoir mettre l'article
sous les yeux de l'ambassadeur d'Espa-
gne. Que celui-ci se plaigne, rien de
plus naturel; qu'on poursuive ensuite,
ainsi le veut la loi. Nous ne connais-
sons pas les phrases incriminées. Si
elles méritent une condamnation, qu'on
les condamne. Mais nous ne savions
pas que le garde des sceaux, obligé
d'avoir une plainte de l'ambassadeur
pour agir, eût en aucun cas à provo-
quer cette plainte.
,.-.
On a discuté ensuite l'élection de M.
Morei, faiblement contestée par M. de
Bouville, victorieusement défendue par
M. Morel lui-même. Puis, n'étant plus
en nombre, on a dû remettre le vote à
demain. Nous regrettons, pour notre
part, que la Chambre n'ait pas été en
mesuro. de se séparer dès aujourd'hui.
Deux rapports d'élections manquaient.
Il nous semble nécessaire d'en finir au
plus vite. Les élections sénatoriales se
préparent, la place des députés est au
milieu de leurs électeurs.
La droite le sent si bien qu'elle es-
saye de traîner en longueur. Il appar-
tient aux républicains de déjouer son
calcul. On est si pressé d'aller en va-
cances, d'ordinaire, quand il reste à
Versailles de la besogne utile à ache-
ver! Voici que cette fois-ci il est urgent,
au contraire, de terminer au plus vite.
La majorité le comprendra certaine-
ment.
CAMILLE PELLETIN.
— ■ ■ i»,-. i i
Par 14 voix sur 19, la commission supé-
rieure des beaux-arts, présidée par M.
Bardoux, s'est prononcée, dans la ques-
tion de l'Opéra, pour la régie par à peu
près, c'est-à-dire pour un régisseur avec un
conseil d'administration.
Reste à prendre l'avis du Parlement,
mais on peut dire que dès aujourd'hui
M. Halanzier est à la porte. Il a dit, assez
spirituellement, que « son crime était de
n'avoir pas fait faillite ». Il n'y a pas de
danger que son successeur fasse faillite
non plus, puisque c'est nous qui paye-
rons.
Un des membres de la commission,
M. Camille Doucet, avait donné contre la
régie cet argument que l'expérience en a
été faite. M. Emile Perrin a administré
l'Opéra pendant cinq ans (de 1860 à 1865)
comme régisseur, et pendant cinq ans (de
1865 à 1870) à ses risques et périls. Les
cinq ans de regie « ont été ruineux » et
tellement que « c'est pour cela qu'on a
renoncé à l'exploitation par la liste ci-
vile ». Les cinq ans d'exploitation par l'en-
treprise privée ont, au contraire, donné
des bénéfices. 14 voix sur 19 ont préféré
la ruine à la prospérité.
Une autre curiosité du fait, c'est le mo-
ment qu'on choisit pour mettre l'Opéra en
régie. Tant que la nouveauté de son esca-
lier et les innombrables multitudes de l'Ex-
position lui ont assuré de grosses recettes,
on l'a donné à un directeur, mais à pré-
sent qu'il n'y a plus qu'à perdre, 14 voix
sur 19 déclarent que les bénéfices c'est.
bon pour M. Halanzier, mais que les pertes
sont dues aux contribuables.
Et l'on s'attend si bien à des pertes qu'on
parle déjà d'augmenter la subvention de
deux cent mille francs. De fait, l'Opéra ne
coûtait encore que près de quatre millions
par an.
Si le Parlement ratifie la décision de la
commission supérieure des beaux-arts,
l'Opéra nous reviendra à pas mal cher,
mais nous jouirons d'un théâtre où nous
démontrerons d'une façon éclatante que
les plus grands musiciens du monde ne
sont pas Français, et où nous rendrons
hommage à l'Italie dans la personne de
Rossini, à l'Autriche dans la personne de
Mozart et à la Prusse dans la personne de
Meyerbeer. On a dit autrefois que la
France était assez riche pour payer sa
gloire : on dira maintenant qu'elle est as-
sez riche pour payer la gloire de l'étran-
ger.
A. V.
<»■
COULISSES DE VERSAILLES
La question de l'Opéra a reçu avant-
hier un commencement de solution. La
commission supérieure des théâtres réunie
sous la présidence de M. Bardoux a adopté
par 14 voix contre 5, le système de la
régie pour le compte de l'Etat.
Il est intéressant de savoir comment les
votes des membres de la commission se
sont répartis dans le scrutin ouvert sur
cette question. Si nous sommes bien infor-
més, voici comment se seraient partagées
les voix.
Ont voté pour le système de la régie :
MM. Denormaiidie, Hérold, Pelletan,
Edouard Charton et Calmon, sénateurs
Antonin Proust, Paul de Rémusat, Pasca'
Duprat, députés; Gounod, Ambroise Tito-*
mas, Legouvé, Régnier, du Théâtre-Fran-
çais, Albert Gigot, préfet de police el
Langlois de Neuville, directeur des bâtit-
ments civils. „
Ont voté contre le système de la régie :
MM. Duclerc, Foucher de Careil et Lara-
bert-Sainte-Croix, sénateurs, Camille DfJu".
cet et Auguste Maquet, président de 1»
Société des auteurs dramatiques. C"
Se sont abstenus :
MM. Bardoux, ministre des beaux-arts;
Guillaume, directeur général des beaux-
arts, et de Beauplan, chef de la division
des théâtres au ministère.
Etaient absents :
MM. Ferdinand Duval, préfet de ia Seine,
et d'Osmoy, député.
Nous croyons savoir que le ministre ded:
beaux-arts, en présence de l'énorme ma-
jorité qui s'est prononcée pour le système
de la régie, va soumettre la question au.
conseil des ministres. Si le conseil ap-
prouve l'avis de la commission des tbéa.-
très, un projet de loi sera présenté à bref
délai aux Chambres pour les appeler à sta-
tuer sur la question.
Nous sommes curieux de savoir si les
Chambres trouveront que le budget n'est
pas assez lourd et que c'est le mo-
ment pour l'Etat de se charger de l'Opéra
quand l'Opéra va cesser de faire de grosses
recettes et va être forcé d'augmenter ses
dépenses.
La semaine prochaine, la commission
des théâtres sera convoquée pour discuter
la question du Théâtre-Lyrique et de l'CF—
péra-PopuIaire, à propos du vote du con-
seil municipal de Paris.
-o-
Le conseil supérieur de l'instruction pu«'
blique est convoqué pour demain jeutii.
C'est la dernière session qu'il doit tenift
dans sa composition actuelle. Nommé, est
effet, en avril 1873 pour six ans, il doit
être renouvelé intégralement — aux ter-
mes de la loi — en avril 1879.
Il est à espérer qu'à cette époque la
ministre de l'instruction publique s'effor-
cera de corriger la fâcheuse influence de
la loi votée par l'Assemblée nationale et
de choisir, pour les membres qui sont
sa désignation, des personnes qui n'ailler
pas se joindre aux partisans du cléricar-
lisme, et notamment aux évêques, que.
la loi fait entrer de droit dans ce cons&
-D-
En dépit des efforts de M. de Broglie cfc
de ses amis le rapport de M. Varroy SUIT
le budget de i879 pourra être distribué «k „
temps aux sénateurs et la discussion
pourra commencer demain jeudi au S4*
nat. v -
Elle se terminera au plus tard lundi^ 1
prochain, et peut-être même pourra-t-el^*- :
être achevée samedi soir.
-0-
M. Camille Sée a déposé, il y a quelque
temps, une intéressante proposition ten-
dant à organiser l'enseignement secon-
daire des jeunes filles.
D'après cette proposition, il serait créé
pour les jeunes filles des établissements
d'enseignement secondaire analogues aux
lycées entretenus par l'Etat pour les gar-
çons. Ces établissements, au nombre de
onze, seraient installés à Paris, Lyon, Bor-
deaux, Marseille. Lille, Nantes, Dijon,
Rouen, Nancy, Reims et Grenoble.
Des établissements de même nature
pourraient être ouverts par les départe-
ments, les communes et les particuliers.
Ceux créés par l'Etat seraient à sa charge;
les autres pourraient être subventionnés
par l'Etat, au cas où la moitié des dépen-
ses seraient faites par les villes ou dépar-
tements.
Les élèves pourraient être externes ou
internes. Des bourses, données au con-
cours, seraient instituées par l'Etat, lest
départements et les villes.
L'enseignement serait composé d'une
partie obligatoire et d'une partie faculLa.
tive. L'enseignement obligatoire com-
prendrait :
1° La langue française ;
Feuilleton du HAPPEZ.
1H 12 DÉCEMBRE
17
LES
PETITES ÉTOILES
IV
Le pâté de veilles
(Suite) "}
— Un pont! un p'únt! hurlaient de
toutes les fenêtres ces têtes échauffées.
L'idée d'une folie traversant ces cervelles
•les faisait flamber comme le rhum allumé
dans le grand bol d'argent, et, d'une main
à l'autre, de l'appui de la terrasse au re-
bord de la fenêtre de Wepier, Hile planche
était jetée, que deux ou trois hommes,
sur la terrasse, empêchaient de Vôuger en
mettant le pied dessus, pendant que Che-
vrolat, agenouillé su; corniche du res-
mrniche d LI res-
taurant. maintenait la passerelle d'une
Vbir Î3 Rappel du 25. novembre au i 1 dé-
cembre
main, tout en se raccrochant de l'autre
aux rinceaux de fonte du balcon. Et là,
sur cet étroit passage, les chanteurs, en-
jambant, l'un après l'autre, la balustrade
de la terrasse, se jetaient hardiment,
riant, saisissant les mains qu'on leur ten-
dait des fenêiresV et se laissant tirer et
Iri-ser avec de grande rires par des bras
robustes. Au dehors, les badauds, s'amu-
sant de ces fous, applaudissaient à leur
tour cette gymnastique lorsque, après
avoir mis le pied sur la planche, un rîOU-
vean venu sautaitdans le grand salon plein
de bruit.
Les femmes seules poussaient des cris
d'effroi à l'idée de se risquer sur cette
planche, au-dessus de cette espèce de
igouffre noir qui était la rue.
— Figurez-vous que vous êtes en Suisse!
disait Chevrolat. Une petite ascension au
:Monl-Blanc ! Voilà tout ! On demande des
voyageuses !
:. :\loi, je n'aurais pas peur! fit Léa dé-
daigneusement en regardant Germaine et
Mme n é i ui, sur la terrasse, hési-
Mme Régine 4ui> sur la terrasse, hési-
taient, reculaient, Cachaient leur terreur
sous le rire. - ,
Le petit bossu Picarde* trancha la diffi-
culté ! il apportait les manteaux, les four-
rures, les voiles des dames et s'offrait à
les conduire par le chemin le plus long,
mais le plus sûr : les escaliers.
--- Mon arrière-train formera l'arrière-
garde, disait-il en montrant sa bosse dont
il riait pour qu'on n'en rît. pas.
Sur la planche qui remuait, le maigre
et grand garçon qui était le mari de Mme
Régine la chanteuse, Véùait seulement de
poser ses pieds énormes et avançait lente-
ment, se servant de ses longs bras, aux
mains larges, comme de balanciers, et riant
d'un rire un peu inquiet.
— Mais il va se rompre le cou J disait sa
femme qui, tout en s'entortillant le cou
dans les dentelles d'une mantille, le re-
gardait de ses beaux yeux doux.
Et, comme si elle eût prévu la mala-
dresse d'Aristide, le pauvre garçon fit tout
à coup, sur la planche qui parut basculer,
un mouvement de travers, et, se sentant
vaciller, poussa un cri, tandis qu'aux fenê-
tres les femmes se détournaient toutes ter-
rifiées. On te crut perdu.
Chevrolat, appuyant brusquement son
genou sur la planai*";. tendit vers Ger-
baud sa main gauche pCU? le saisir, mais
ses doigts frôlèrent seulement le pantalon
du pauvre garçon, et Aristide, perdant
l'équilibre, allait se casser le front et &'é-
craser sur le trottoir, lorsqu'à travers Î6S
barreaux de la balustrade, rapidement
une main nerveuse le saisit par le collet
de son habit, le ramena brusquement, et
le colla avec force contre les colonnettes
de la terrasse. Le malheureux, à demi
étranglé, instinctivement se raccrochait
aux barreaux, cherchait du pied la planche
qui lui avait manqué, et l'Arabe qui venait
de le rattraper comme au vol, souriant de
son air malin d'oriental parisianisé, le
maintenait toujours, en disant d'une petite
voix d'enfant qui semblait étrange, sortant
de celte face de bronze
— Aie pas peur. Moi te tiens !
Mme Régine était toute pâle, et Picar-
det, dont elle avait saisi la main machina-
lement, la sentait qui tremblait de tousses
nerfs. Mais quand, redressé, sauvé, repre-
nant son chemin, Aristide Gerbaud, à qui
Chevrolat et Morillot tendaient les mains,
gagna la fenêtre, la sueur lui perlant en-
core au front :
— Est-il possible, murmura-t-elle entre
ses lèvres, d'être aussi maladroit et aussi
bête que ça !
Le petit bossu, en conduisant les dames
par les escaliers, ne pouvait s'empêcher de
se dire que si pourtant M. Régine se fût
brisé les os, voilà quelle eût été son orai-
son funèbre, faite par celle qui portait son
nom et lui donnait 1
— C'est gentil, les femmes ! songeait
Picardet.
L'Arabe sauta le dernier è,jj,ns le salon,
montrant sa face maigre et calme, au mi-
lieu de tous ces gens qui le félicitaient, al-
laient à lui, le complimentaient sur une
action qu'il trouvait toute simple. Grêle et
f air ~auche, presque minable, avec le pa-
letot noir qui l'étriquait, cet homme, d'ap-
parence chêtiTe, l'air fatigué, devait être
magnifique. avec son teint de vieux bronze,
sous les plis blancs de son burnous. Le fez
rouge qu'il plantait sur sa têle bru.ne lui
donnait seul un peu de caractère. Léa, qui
le regardait et qui l'avait vu, tout à l'heure,
maintenant -m homme au-dessus du vide,
lui tro., bon air.
On se mit à verser le punch dès que Ré-
gine et la petite Germaine apparurent,
guidées par Picardet, sur le seuil de la
porte. Mme Régine voulait voir de près
celle qui, tout à l'heure, chantait si bien
ses chansons. Léa, la joue rose, ses yeux
vifs pétillant de joie, remerciait de tous
ces compliments, et répondait par des
éclats de rire lorsqu'on lui disait que sa
place n'était pas à l'atelier, mais sur les
planches. Toute rouge, le cœur en feu,
elle sentait gronder en elle les ambitions
profondes qui l'avaient enfiévrée si sou-
vent lorsqu'elle trouvait fatigant le labeur
de l'atelier et l'outil trop dur à ses doigts.
Est-ce qu'il n'y avait pas, d'ailleurs, com-
me une prédestination dans ce hasard qui
mettait ainsi sur sa route ces femmes à la
mode, ces chanteurs, tout ce monde em-
pressé autour d'elle, qui s'amusait à la
complimenter, et, par politesse, lui prédi-
sait un avenir égal à celui de Germaine
ou de Mme Régine?
- A la santé de Mlle Léa, dit Tahourin,
qui avait demandé fè nom. de l'héroïne.
— A ses succès!
— Nous vous baptisons bonne dtsvusç
et bonne chanteuse, dit le petit Picardet,
et Mme Régine sera votre marraine!
Léa ne riait plus. Le désir de toute sa
vie, l'âpre espoir d'une existence pareille
à celle de ces femmes dont les robes élé-
gantes la frôlaient, la rendaient mainte-
Dant toute pâle. Tandis que Mme Régine,
un peu pincée, portait d'assez mauvaise
grâce la santé de cette inconnue, la maî-
tresse de Claude Pascal voyait comme un
horizon vaste, plein de rayons et d'odeurs
capiteuses, s'ouvrir devant elle, semblable
à une route heureuse.
Où Régine, Germaine, où Tabourin ne
trouvaient qu'un aventure amusante, une
fin de souper un peu drôle, avec une!
espèce de sauterie de grisettes pour des-
sert, Léa apercevait une sorte d'occasion
que lui offrait le sort et, tandis qu'avant
un dernier quadrille qu'on allait danser
en commun, elle versait elle-même le
punch, — Chevrolat ayant renvoyé lef
garçons qui gênaient, — il lui semblait
que ces lueurs gaies de l'alcool brûlant au.
fond du vase d'argent étaient une illumi.
nation allumée pour fêter cette date de sa
vie : le jour où elle avait été bien cer-
taine que son talent lui permettait de
quitter son métier.
Et superbe, un beau sourire de certitude
et de bravade montant à ses lèvres hu-
mides, elle regardait tous ces gens as,
semblés, pressés, bruyants, qui, vidant
leurs verres, réclamaient encore une
danse et criaient gaiment : un quadrille 1
un quadrille !
Dans ses yeux blancs, un peu rougis â
la conjonctive, qui brûlaient au milieu de
sa face dont la peau parcheminée faisait
saillir les os, l'Aïssaoua pensif regardait
silencieusement cetie grande Léa, debout,
la cuillère à la main, qui faisait flambe^
le punch et se grisait à l'odeur de cetta
flamme dansante aux languettes bleues «Ç
rouges, qu'elle précipitait du bout de la'
cuillère en minces filets de feu corom.
une cascade chaude qui crépitait ef
grésillait en tombant dans le grand hM-
d'argent.
JULES CLARETIE*
(A swn) A
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