Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1869-12-08
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 08 décembre 1869 08 décembre 1869
Description : 1869/12/08 (N204). 1869/12/08 (N204).
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
N' 204. — Mercredi 8 décembre 1869.
Le numéro : 15 c. « Départements : 20 c.
17 frimaire an 78» — H* 204.
RÉUACTI^r» -.'
S afo&sar au SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION •
De 3 à 5 h. du soir
iO, rue du Faubourg-Montmartre, 10.
Les manuscrits non insérés ne sont pas rmâui,
ANNONCES
MM. CH. LAGRANGE, CERF et G"
ADIDMniAllO»
S'adresser à M. AUGUSTE PANIS.
ABONNEMENTS
PAIUS
Otk moisi. 5 M
Trois mois. 13 50
DKPAaTEMENTS
Un mois. 6 u
Trois mois, 18 »
6, place de la Bourse, 6^^ -
BUREAUX
i3, rue du Faubourg-Montmartre, 13.
LES PROCÈS RECOMMENCENT
Le feu des procès de presse recom-
mence, 'et-c'est le Rappel qui a l'hon-
neur de recevoir le premier coup.
Notre collaborateur Charles Hugo et.
notre gérant Barbieux sont cités à com-
paraître, vendredi prochain 10 décem-
bre, devant la sixième chambre, com-
me prévenus :
« .1° D'avoir commis une. offense pu-
blique envers la personnes de l'empereur;
- « 2° D'avoir provoqué les militaires
des armées de terre dans le but de les
détourner de leurs devoirs militaires et
de l'obéissance qu'ils doivent à leurs
chefs.
« Délits prévus par les articles 86 du
code pénal, 2 de la loi du 27 juillet
1849, 59 et 60 du code pénal. »
L'article incriminé a paru dans le
numéro du 4 décembre, sous ce titre:
Chronique révolutionnaire, LES DEUX
PARIAS. ~'ét,,olittioiiiiazi ,e. LES DEUX
On avait dit. — qui avait dit cela?
M. Rouher, il nous semble : — « Vous
allez assister à la transformation de l'em-
pire autoritaire en empire libéral. »
Les journaux officieux et les journaux
agréables répétaient sur tous les tons la
promesse chaque matin depuis trois
mois, et ne se lassaient pas d'admirer et
de louer la force et la grandeur du ré-
gime impérial qui renonçait ainsi brus-
quement à être la dictature et restait
d'autant plus le pouvoir.
Pour nous, jamais nous n'avons cessé
de croire, jamais nous n'avons cessé de
dire : L'empire est incompatible avec la
liberté ! Cette eau stagnante et noire
craint et craindra toujours le. feu parce
qu'il est le feu et parce qu'il est la lu-
mière.
En conséquence, nous n'avons été nul-
lement surpris de recevoir dans la soirée
d'hier, après quatre jours d'intervalle,
cette double assignation.
Nous n'avons pas même été surpris
de la recevoir directe, et comme brutale,
à bref délai, et sans comparution préala-
ble devant le juge d'instruction, — cet
qui, à la vérité, n'estais contraire à la
loi, mais ce qui est au moins contraire
à l'usage.
Qu'il nous soit seulement permis de re-
marquer une assez curieuse coïncidence.
C'est hier qu'a paru le manifeste de la
future majorité du futur ministère,—la-
quelle, entre autres déclarations, con-
tient celle-ci :
« Considérant que le régime parle-
mentaire implique une presse libre.
« Les députés soussignés déclarent
qu'ils sont d'accord pour vouloir ;
« L'attribution au jury des délits
politiques commis par la voie de la
presse. »
- Parmi les soussignés, voilà les plus
réactionnaires, MM. Delamarre, Pons-
Peyruc, Lafond de Saint-Mur, de Veauce,
Calvet-Rogniat, de Champagny, Dugué
de la Fauconnerie, le général Lebreton,
voilà M. de Mackau, le correspondant
de l'empereur, voilà M. Clément Duver-
nois, son collaborateur, voilà MM. d'Ai-
guesvives, de Bourgoing et de Bulach,
ses chambellans, voilà MM. Murât et de
Mouchy, ses cousins, - qui, tous décla-
rent pour les délits de presse vouloir le
jury.
Ce même jour, nous recevons une cita-
tion à comparaître en police correc-
tionnelle..
Il est bon de noter aussi la raison de
ce procès, et, si l'assignation ne nous
étonne pas, nous sommes obligés d'ad-
mirer l'accusation.
Notre crime est d'avoir défendu l'ar-
mée! Sous l'empire, qui avait affirmé
qu'aujourd'hui l'armée est la vraie no-
blesse, notre crime est d'avoir demandé
que les soldats fussent au moins des ci-
toyens!
1 Nous sommes prévenus d'avoir dé-
tourné les soldats de leurs devoirs, parce
que nous avons réclamé leurs droits.
Nons no sommes pourtant pas les
seuls à avoir cette audace. Espérons que
ceci servira d'occasion à quelque mani-
feste parlementaire qui déclarera voit-
loir, comme pour la presse, le droit com-
mun pour l'armée. Mais dès aujourd'hui
nous avons beaucoup de complices, et
il se pourrait bien qu'à côté de notre
crime qu'en dénonce, il y eùt notre
"Ciijbe qu'on ne dit pas : cette longue
liste de souscription, que nous ne pou-
jfns interrompre, car nous sommes en
,"retard sur elle, et nos colonnes ne suftl-
sent pas à inscrire tous les noms de cette
foule de citoyens de toute classe et de
toute condition, qui viennent protester
pour les deux parias dont ils voudraient,
comme nous, refaire des hommes.
En attendant le jury que « l'empire li-
béral » nous promet, nous allons donc,
vendredi, 10 décembre (anniversaire
d'heureux augure), reprendre le che-
min connu de la police correctionnelle.
Eh bien, puisqu'on nous ramène de-
vant la magistrature, —voyez jusqu'où
va notre témérité, — nous ne haï-
rions pas d'avoir du moins pour juge
cette haute cour de justice qui, le 2 dé-
cembre 1851, a condamné un coupable
accusé, entr'autres crimes, du même
crime que nous, et convaincu d'avoir
non-seulement provoqué, mais entrainé
les militaires des armées de terre à l'ou-
bli de leurs devoirs et à la désobéissance
aux lois.
,- PAUL MEUBlCE.
ÉLECTION DU 6 DÉCEMBRE
QUATRIÈME CIRCONSCRIPTION.
Electeurs inscrits 42,500
Votants 20,904
MM. Glais-Bizoin lU,680
Barbès 3,197
Voix non comptées 1,027
Comme il était facile de le prévoir,
M. Glais-Bizoin est député de la quatrième
circonscription de la Seine.
L'intérêt n'était pas là. il s'agissait de sa-
voir combien d'électeurs s'acharneraient à
voter pour le principe des insermentés,
avec la certitude de ne îïfc pas réussir ma-
tériellement, mais avec la décision de
citoyens pour qui la question de succès
n'existe pas devant la question de cons-
cience.
- Le 22 novembre, Barbès avait eu dix-
huit cents voix. Il en-a eu hier trois mille
deux cents. Quatorze cents de plus.
Il faut ajouter que, le 22 novembre, il y
a eu 29,800 votants, et que, le 6 décembre,
il n'y en a eu que 20,900, neuf mille de
moins.
Sur un nombre de votants réduit d'un
tiers, les votes pour Barbès ont presque
doublé. Et nous ne parlons pas des voix
non comptées ! ■
L'autre fois, Barbès avait eu le seizième
des voix ; cette fois, il en a le sixième.
Par ce progVès fait en quinze jours, on
peut prévoir ce que sera la question des
insermentés aux prochaines élections.
Albert Barbieux.
LES DEUX MANIFESTES
Le centre droit, enrégimenté par M.
Emile Ollivier, et le centre gauche, présidé
par M. d'Andelarre, oublient, presque au
même moment, leurs programmes politi-
ques. On les lira plus loin. Si pauvres que
soient en eux-mêmes ces deux manifestes,
ils ont une certaine importance, comme
symptômes, : ils attestent la dislocation
profonde, organique, incurable, du régime
,actuel.
Le programme Ollivier prouve quele gou-
vernement du 2 décembre ne pouvant, ni
ne voulant se transformer, est condamné
par ses origines, par son personnel, par ses
instincts les plus intimes, au despotisme à
perpétuité. 1
Le programme de la réunion d'Andelarre
prouve que les esprits les plus optimistes
commencent à comprendre vaguement
cette importante vérité : que la France ne
sortira plus, sans quelque grande revendi-
cation révolutionnaire, du despotisme mêlé
d'anarchie où elle se débat aujourd'hui.
M. Ollivier et ses amis ne semblent s'être
'proposé qu'un but : tromper l'opinion pu-
blique.
Aussi bien, que demande la France, et
nous ne parlons pas ici de notre France,
de la France démocratique, radicale, et
pour tout dire républicaine, que M. Olli-
vier déteste sincèrement, puisqu'il l'a
trahie; nous parlons simplement de la
France libérale, de celle qui peu à peu se
rallie à la République, mais qui se con-
tenterait peut-être encore aujourd'hui d'un
peu d'ordre, de bon sens, de justice, dans
le gouvernement et dans l'administration?
Elle réclame énergiquement trois choses
essentielles :
1° La dissolution du corps législatif ac-
tuel, composé en immense majorité de
candidats officiels, c'est-à-dire des élus de
l'empereur ;
2° Une réforme électorale sérieuse, parce
que, sans cette réforme, on supprimerait
vainement le mot de candidatures officiel-
les : la chose resterait ;
3° Enfio, une réforme administrative,
parce r; • h les maires restent, d'un côté,
lès agiiM a pouvoir, de l'autre, les maî-
tres du scrutin, toute réforme électorale
ne sera qu'une indigne comédie..
Or, ces trois mesures nécessaires et qui
sont le minimum des vœux les plus timi-
des de la France, M. Ollivier les repousse,
les esquive ou les ajourne.
La dissolution ! Tout son programme est
fait pour l'éviter.
La réforme électorale ! Ici; il fallait bien
tenir compte des exigences impérieuses de
la conscience publique; mais on a soin
de ne rien définir; on ne prend aucun en-
gagement précis. On fera quelque chose;
mais que fera-t on? L'empereur, l'impéra-
trice et M. Ollivier aviseront dans leur sa-
gesse.
La réforme administrative ! M. Oliivier
la promet dans un lointain avenir; mais
pour le moment, il n'en veut pas, il la
combat, il demande que lç pouvoir du
Deux-Décembre soit maintenu dans le
droit qu'il s'est arrogé de nommer les
maires de nos communes.
Tout cela peut se résumer en un mot :
Conserver le régins^ personnel en ayant
i^j&r de le détruire. '1
Et cette politique d'apparences hypo-
crites est tissue de fils si grossiers, elle
aboutit si visiblement à la conservation de
l'empire autoritaire, que, parmi les impé-
rialistes les plus dévoués (parmi les impé-
rialistes de la seconde heure, il n'y en a pas
de la première, sauf M. de Persigny et peut-
être M. Belmontet) les plus sincères, ceux
qui croient naïvement à la conciliation pos-
sible de l'empire et de la liberté, ont re-
poussé, avec certains tempéraments com-
mandés par la situation, mais avec une dé-
cision incontestable, le programme que
nous venons d'analyser et que M. Rouher
pourrait signer à là rigueur.
Bien plus, l'obstination despotique qu'il
révèle les a forcés d'aboutir, presque mal-
gré eux, à une sorte de proposition semi-
révolutionnaire qui est le trait caractéristi-
que de leur manifeste.
Ils demandent que le corps législatif soit
associé à la puissance constituante I
Ils acceptent, partiellement du moins,
le pvojet de la gaucher - - —-— - - -
Assurément, ce projet n'a que la valeur
d'une machine de guerre. Une Consti-
tuante qui serait "nommée dans les- condi-
tions actuelles, ne serait qu'une chambre
de parade, et son impuissance éclaterait
bientôt à tous les yeux. Une Constituante
n'est rien, si elle n'est ou l'initiatrice ou
la législatrice d'une révolution. Mais il n'en
est pas moins vrai que ceux qui demandent
une Constituante renversent, qu'ils le sa-
chent ou qu'ils l'ignorent, tout l'édifice
du Dette-Décembre ; et quand on voit des
Latour du Moulin et des d'Andelarre récla-
mer publiquement une loi qui est la con-
damnation du coup d'Etat, on se dit que
les temps sont proches, et que la Révo-
lution apparaît dès maintenant à tous les
esprits, non-seulement comme le gage de
tous les progrès, mais même comme la ga-
rantie suprême de l'ordre véritable, de
l'ordre fondé sur la justice.
Frédéric Morim
LES PROSCRITS
Toast envoyé par F. Pyat au Banquet de St-Mandé.
Citoyens,
Ce banquet offert par vous en décembre
aux exilés de décembre est à la fois une
protestation et une félicitation. Félicita-
tion mêlée de tristesse et protestation
pleine d'espoir ! Car j'ai à vous remercier
au nom des proscrits absents et présents,
au nom des vivants et des morts !
Les absents. il y en a de deux sortes.
Il y a ceux qui n'attendent pour rentrer
que l'heure de la dernière lutte, de la lutte
décisive; réserve que le coup d'Etat mena-
çant ne tient pas sous sa main, réserve qui
l'empêchera peut-être, et le punirait sans
doute, réserve assurée de la liberté ! Il y a
aussi, hélas ! ceux qui ne reverront plus la
France libre, qui l'ont quittée esclave,
morts dans le désespoir de la défaite, non,
je les offense, morts dans leur foi républi-
caine, dans la pleine confiance et la pleine
espérance du retour des trois proscrites :
Liberté, Egalité, Fraternité.
Heureux les morts, a dit Luther, car ils
reposent! Disons : Heureux ceux qui ont
mérité de reposer 1 Or, si la souffrance
pour le droit fait le mérite, les proscrits
morts ont bien gagné leur repos. Je n'ai
pas vu les massacres de Décembre, mais
j'ai vu ses proscriptions, c'est-à-dire ses
meurtres de détail, après ses meurtres en
gros. L'un vaut l'autre. L'histoire du peu-
ple tué en masse et sur place a été faite de
,.n Je maître..
- Cêlte de la France bannie, meurtrie en
exil, reste à faire. Oui, cette seconde his-
toire, aussi sombre que la première, est à
faire, de ces fils enlevés à la mère-patrie,
jetés des quatre coins de la France sur une
terre étrangère, ennemie, où tout les bles-
sait : sol, ciel, langue et peuple! Ah ! le con-
ftable de Londres savait bien où il les en-
voyait. Il y avait passé. Tous les proscrits
feans ressource furent rabattus là de tou-
tes les parties de l'Europe, de la Belgique
peureuse comme de la Suisse avare. Tout
le poids de l'exil retomba à Londres comme
dans la fosse commune. C'était Yin-pace
de l'empire ! la tour d'Ugolin 1
Il faudrait le flambeau du Dante pour
éclairer cet abîme. Regret du droit perdu,
de laRépublique morte,hontes delà défaite,
'transes de la faim, querelles ordinaires de
tout parti déchu: toute chute fractionnée!
Colonie de victimes se dévorant faute.de
pain. Tous les cris de douleur et de mi-
sère qui peuvent sortir du cœur de l'hom-
me, brisé dans toutes ses cordes, saignant
de toutes ses fibres, souffrant dans tous
ses droits et tous ses biens, patrie, famille
et liberté!
Ce fut un immense Deprofundis répon-
<|ajffc-4e Londres aux Te Deum do Paris.
Dix mille créatures humaines déracinées,
sans distinction d'état, d'âge ni de sexe,
hommes , femmes , enfants , vieillards,
bourgeois, ouvriers, paysans, laboureurs
du Cher, bergers des Landes, vignerons de
Bourgogne, canuts de Lyon et lettrés de
Paris ; cohue qui n'avait de commun que
la foi et la peine, errant sur le pavé de
Londres, affamée, demi-nue, sans abri,
sans argent, sans souliers, sans soleil, au
milieu d'un peuple sans pitié qui lui offrait
quoi? des Bibles pour manger 1 L'homme
ne vit pas que de pain.
Jamais je n'oublierai la Sociale, une salle
d'asile où les plus pauvres étaient logés
aux frais des moins pauvres, bonnes gens!
couchés sur la paille, avec un peu de char-
bon pour se réchauffer, un peu de pain
pour se soutenir. Ce qu'il en est mort,
malades et médecins, à la peine, c'est
effrayant! Les survivants s'exilant .dans
rexil, s'enfonçant dans le second cer-
cle de cet enfer, passant de la pitié
anglaise à,la merci américaine ! Je le dis à
la honte des libéraux anglo-saxons, l'An-
gleterre et l'Amérique n'ont pas eu un
verre d'eau ni un mot de secours pour les
républicains français. L'Américain est
l'Anglais enté sur le sauvage ! Vœ victis !
Ils avaient des millions pour les proscrits
protestants du roi et dés Bibles pour les
proscrits républicains de l'empereur. La
police de Londres, en donnant le transit
aux proscrits pour New-York, rassurait son
allié et soulageait ses cimetières. Voilà
tout! Le premier bateau qui emporta sa
charge de mourants, quelle scène! les
femmes, tenant leurs enfants dans leurs
bras, se tournant vers la France avec une
sorte de fixité magnétique, embarquées de
force, nous criant adieu dans cette langue
natale que leurs enfants ne parleront plus
J'ai vu cela, et j'ai compris la justice !
Et le premier convoi donc, qui porta
notre. premier mort en terre, un jeune
homme dans la fleur de l'âge, un épi vert
mûri par le climat de Londres. Pauvre
Foissy ! quelle journée ! Je m'en souviens.Il
faisait anglais, nuit en plein midi, un jour
éclairé au gaz et aux torches. Quand la
foule nous vit passer comme des spectres
dans l'ombre, avec notre drapeau en deuil,
qui laissait lire sous le crêpe ces deux
grands mots : Hépublique' française, elle
se prit à rire, nous poursuivant de ses
huées et de ces cris : Oui 1 oui! 01.tl! cris
d'insulte qui nous rappelaient les votes de
Décembre, notre humiliation et son
triomphe. -
Et combien d'autres sortes d'injures aux
chiens de Français, aux républicains rou-
ges quL portaient de la barbe et mouraient
sans prêtres ! J:ai vu cela et je n'aime pas
l'Angleterre, — l'Angleterre qui nous a
valu les deux empires, le premier par la
guerre et le second par la paix.
Toutefois, là comme ailleurs, le peuple
valait mieux que le reste. j
A notre seconde procession funèbre, il
fut silencieux. Il salua à la troisième, et
vingt ans plus tard, avant de partir, j'eus
le plaisir, je ne dis pas la vengeanee, ce
plaisir des dieux, j'eus la joie humaine et
française de le voir arborer notre drapeau,
nos principes, notre Marseillaise, de le voir
abattre les grilles du parc. royal et obtenir la
réforme non plus au cri de Oui ! oui 1 mais
au cri de : Vive la République !
Si nous avons eu nos peines, nous avons
eu nos joies.
Les ouvriers de Holborn, le quartier po-
pulaire voisin du nôtre, assistaient à nos
fêtes. Car nous avions nos fêtes même dans
nos plus mauvais jours. Nous avions nos
anniversaires, les grandes dates de nos ré-
volutions, célébrés religieusement. Là,
que d'espérances 1 que d'impatiences ! que
d'illusions et de déceptions ! Les yeux, le
cœur, l'esprit sans cesse tendus vers la
France ! l'idée fixe, unique et folle de pa-
trie et de liberté, nous gardions jalousement
comme un trésor, notre haine du crime
et notre nom de citoyen. Nous pensions,
parlions, rivions avec la République. Je
n'ai jamais trosopâ personne que là, pro-
mettant toujours une victoire qui n'arri-
vait jamais.
Il n'y en a pas pour longtemps, disions-
nous pendant vingt ans ! Pieuse fraude qui
prévenait le désespoir, entretenait foi et
force, faisait reprendre à la vie et au tra-
vail et retrouver le sou quotidien pour la
propagande et l'action. Il y en a qui n'ont
pas défait leur sac jusqu'à l'amnistie, et
qui l'ont rentré comme ils l'avaient sorti,
Jusque-là ils avaient espéré et agi pour la
cause, introduit en France plus de eent
mille brochures dans toutes sortes de trucs.
Je me rappelle dans quels bust&s passè-
rent la Lettre à Marianne etla Lettre à Orsini.
Le plaisant se mêlait au sublimej Un es-
pion original, mort récemment, du nom
de Sablonnier, ancien insurgé de juin, s'é-
tait fait mouchard pour se venger des
bourgeois qu'il dénonçait exclusivement,
sauvant les ouvriers. Averti de cette ma-
nie, un réfugié aussi malin que le traître
lui fit un paquet de brochures à l'adresse
de bourgeois bonapartistes qui furent tous
arrêtés pour quelques jours et suspectés
pour longtemps. La liberté* a ses ruses
comme la tyrannie.
Et pendant que nous faisions notre pro-
pagande en France, nous la faisions aussi
en Angleterre. Point de hasard dans le
monde ! tout s'enchaîne de cause à effet.
Là aussi, nous avons contracté notre al-
liance de peuple, à peuple, notre traité de
commerce, notre libre-échange d'idées, de
principes et de droits ! Nous nous sommes
complétés ainsi, AnglaisetFrançais, les uns
par l'égalité, les autres par la. liberté. Les
fils des Jacobins ont rendu et prêté aux
fils des puritains; nous, fils des juges de
Louis X VI, nous avons redit à l'greille du
peuple anglais ce dernier mot de la justice
de leurs pères àCharles Ier: « Souviens-toi! »
Ce peuple, qui avait perdu sous sa massive
restauration jusqu'à la mémoire de Crom-
well, a retrouvé le nom de la République
au milieu de nous tous, proscrits euro-
péens, proscrits d'empereurs et de rois, de
Bonaparte et d'Isabelle; et même de Maxi-
milien, proscrits de tout grade, depuis
la peine de mort jusqu'à la prison. Voilà ce
que nous avons fait, à nos risques et pé-
rils, pendus, brûlés en effigie, calomniés
par la presse monarchique, menacés d'ex-
tradition, après la Lettre à la reine surtout,
et sauvés enfin par la menace des colonels
de l'empereur. Notre œuvre était faite,
notre mission finie, l'opinion était chan-
gée, et l'amnistie forcée. Tout était dit de
l'exil.
Non, l'exilé n'est pas seul. L'exilé n'est
pas un fardeau inutile et stérile de la terre.
L'exilé a une patrie, s'il a un principe.
Notre proscription a été utile comme ses
devancières. Les réfùgiés de la liberté reli-
gieuse avaient apporté à l'Angleterre la ci-
vilisation du temps, arts, industrie, etc. ;
nous en retrouvâmes encore les restes dans
les tisserands de White-Chapel. Les émi-
grés apportèrent la salade, chacun sa parti
Nous, la barricade ! Ce ne fut pas tout. Nos
ouvriers, les meilleurs dans leur métier,
furent employés, obtinrent les médailles
de la grande exposition. Le proscrit répu-
blicain Chalelin a eu le premier prix pour
sa reliure, un chef-d'œuvre, faite sur le
livre d'un tout autre proscrit, le duc d'Au-
male. Il eut le prix malgré le jury français
et son président, le prince Napoléon, qui
eut,.lui, la satisfaction d'examiner le livre
d'un duc et de voter contre la reliure d'un
républicain, Nos médecins honorèrent la
science française dans les hospices, nos ar-
tistes l'art dans les musées, nos professeurs
notre langue dans les écoles, et nos grands
écrivains notre génie partout. Et le peuple
de Paris, par son vote, nous rendit enfin
la patrie.
Il a fallu reconnaissance et devoir envers
la grande France pour me faire quitter la
petite, cette vraie famille de proscrits
- dont j'avais vu mourir les vieillards et
naître les enfants. Je les avais connus, ai-
més tous. J'ai embrassé en partant une de
ces pauvres fleurs d'exil, entamée déjà mal-
gré père et père par le milieu étranger,
perdant déjà l'accent français et me disant
avec l'accent anglais : Citoyen, emmenez-
moi à Péris.
Ah! j'aurais voulu les ramener tous
avec moi et les voir fraterniser tous à votre
table aujourd'hui, tous petits et grands !
La France n'a pas de trop de tous les siens
pour la délivrer.
Assez sur ce que l'exil a souffert et tenté.
Un seul et dernier mot sur ce qu'il a l'an--
porté. l'amour de la France, de la patrie,
de la liberté. Le proscrit n'a rien oublié
de la France ; il n'a appris qu'à l'aimer da-
vantage et à la mieux servir, à reconnaître
de plus en plus son esprit humain, univer-
sel, sociable, généreux comme son vin; sa
libre pensée, sa franchise, sa conscience
et ses principes de 89, par conséquent à
plus haïr la tyrannie. Décembre vient de
dire : « Je réponds de l'ordre ! » Il appelle
ça l'ordre! Soit. Milton dit qu'il y a un or-
dre en enfer! Nous répondons, nous, de la
liberté! Nous sommes rentrés, elle ren-
trera, et jusque-là, à Paris ou à Londres,
je suis. nous sommes tous proscris!^Ci-
toyens, je bois au retour de la prdjferfëp
FÉLIX PYÀ§|kA \"(;
- P. S. — Je vous écriTce toast que^fc^
pérais prononcer au milieu de vous. Mais
l'homme propose, et la police, qui n'est pas
Dieu, dispose. Décembre recommence ou
plutôt continue. Je crains bien de m'être
leurré, à Paris comme à Londres et d'êtie
encore forcé de reprendre le chemin de
l'exil.
Toutefois, après avoir fait répondre au
mandat de comparution, j'attends, pour ré-
pondre moi-même, que le mandat d'ame-
ner m'ait fait connaître mes crimes.
MANDAT DE COMPARUTION
Paris, 5 décembre 186g.
Au citoyen Ferdinand Gambon.
Cher et bon ami,
On répand dans le public des récits d'une
si grave exagération sur mon aventure de
ce jour avec M. de Lurcy, que je crois utile
de vous faire la relation détaillée de toute
cette bouffonnerie judieiaire, afin qu'en-
suite il vous soit possible de relever sciem-
ment les erreurs commises à ce même pro.
pos. --r-
Ce soir, à quatre heures précises, je me suis
rendu au Palais-de-Justice, et m'adressant
à l'huissier audiencier de service, je lui ai
dit, en lui remettait un mandat de com-
parution lancé par M. de Lurcy contre
Félix Pyat : « Remettez cette pièce au juge
d'instruction. » L'huissier lut le nom de
Félix Pyat au haut de la pièce susdite, et
aussitôt : « Monsieur, me rêpliqua-t-il, veuil.
lez attendre ici une minute; j'ai ordre de vous
prier de patienter un instant, tandis que se
terminent les dépositions de vos témoins à
charge. » Puis, il passa dans le cabinet du
juge d'instruction, et, aussitôt, de quatre.
heures précises à quatre heures quarante,
ce fut un va-et-vient de gardes, de com-
missaires, de substituts et d'agents de
police, appelés à tour de rôle auprès.de M.
de Lurcy, tandis que je me chauffais devant
le fourneau de la salle commune, curieuse-
ment dévisagé par chaque passant, à qui
mon pauvre homme d'huissier s'amusait à
crier mystérieusement : « Ce monsieur est
M. Félix Pyat. »
A quatre heures quarante, M. de Lurcy
lui-même parut sur le seuil de la porte de
son cabinet et, courtoisement, pria M. Fé-
lix Pyat d'avancer. A ce moment, un jeune
homme, témoin dans je ne sais plus quelle
affaire et, d'après son dire, habitué des
réunions publiques, devina la nature de ma
situation, et vint me souffler en riant à
l'oreille : « Ma foi, citoyen Gromierje pense
qu'il* ont tous ici besoin de lanternes /» Ce-
pendant, j'entrai chez M. de Lurcy.
Son greffier l'assistait, avec un troisième
personnage, individu à la mine douteuse
et à l'allure policière. A peine avais-je fait
un pas, que ce décoré de Jérusalem se pré-
cipitait sur moi, tout effaré, et s'exclamait
en ces termes : « Mais ce jeune homme
n'est pas Pyat! - Non, ce n'est pas Pyat,
répétait le greffier. — Qui êtes-vous?» me
demandait le juge, dont toute ma vie (et je
n'ai encore pas dépassé la trentaine), oui,
dont, toute ma vie, j'aurai présents à la
mémoire la stupéfaction et l'effarement.
Je suis porteur, répondis-je, de la let-
tre suivante du citoyen Pyat à M. de Lur-
cy: « Monsieur » (je cite de mémoire, mais
en substance je cite avec exactitude),
« Monsieurj je n'ai reçu que ce matin, à
« onze heures, un mandat m'ordonnant de
« comparaître aujourd'hui devant vous, à
« quatre heures précises. Or, comme j'avais
« à l'avance disposé de ma journée pour
« d'autres rendez-vous d'une importance
« tout aussi considérable, je vous prie d'ap-
« prendre au citoyen Gromier, porteur de
« cette lettre^ce que vous avez à me dire.
« Recevez mes salutations. » m
, FÉLIX PYAT.
M. de Lurcy et M. de Jérusalem se con-
sultèrent ; ils me firent asseoir et envoyèrent
le greffier je ne sais où. QuelquEs instants
se passèrent, pendant lesquels M. de Lurcy
chercha vainement à reprendre son sang-
froid. Enfin, après plusieurs messages
reçus et envoyés, après divers conciliabules,
on se décida à m'interroger à nouveau :
M. de Lurcy : - Enfin, monsieur, pour-
riez-vous m'expliquer pour quelle raison
vous ne m'avez point immédiatement pré-
venu de l'absence de M. Pyat?
Moi : — C'est chose facile : vous ne m'a-
vez fait entrer dans votre cabinet qu'après
quarante minutes d'antichambre. Je n'ai
pu vous parler avant de vous voir.
D. — C'est vrai : mais, si vous m'aviea
fait passer votre carte, j'aurais donné ordre
de vous introduire de suite et aurais con-
tremandé tous mes témoins.
R. — Votre huissier m'a dit d'attendre 1
j'ai attendu.
D. — Comment se peut-il faire que
M. Félix Pyat n'ait pas été averti par sa
conscience qu'avant tout il devait se tenir
prêt à comparaître devant moi pour s'y
justifier des choses que je. juge devoir
mettre à sa charge?
Le numéro : 15 c. « Départements : 20 c.
17 frimaire an 78» — H* 204.
RÉUACTI^r» -.'
S afo&sar au SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION •
De 3 à 5 h. du soir
iO, rue du Faubourg-Montmartre, 10.
Les manuscrits non insérés ne sont pas rmâui,
ANNONCES
MM. CH. LAGRANGE, CERF et G"
ADIDMniAllO»
S'adresser à M. AUGUSTE PANIS.
ABONNEMENTS
PAIUS
Otk moisi. 5 M
Trois mois. 13 50
DKPAaTEMENTS
Un mois. 6 u
Trois mois, 18 »
6, place de la Bourse, 6^^ -
BUREAUX
i3, rue du Faubourg-Montmartre, 13.
LES PROCÈS RECOMMENCENT
Le feu des procès de presse recom-
mence, 'et-c'est le Rappel qui a l'hon-
neur de recevoir le premier coup.
Notre collaborateur Charles Hugo et.
notre gérant Barbieux sont cités à com-
paraître, vendredi prochain 10 décem-
bre, devant la sixième chambre, com-
me prévenus :
« .1° D'avoir commis une. offense pu-
blique envers la personnes de l'empereur;
- « 2° D'avoir provoqué les militaires
des armées de terre dans le but de les
détourner de leurs devoirs militaires et
de l'obéissance qu'ils doivent à leurs
chefs.
« Délits prévus par les articles 86 du
code pénal, 2 de la loi du 27 juillet
1849, 59 et 60 du code pénal. »
L'article incriminé a paru dans le
numéro du 4 décembre, sous ce titre:
Chronique révolutionnaire, LES DEUX
PARIAS. ~'ét,,olittioiiiiazi ,e. LES DEUX
On avait dit. — qui avait dit cela?
M. Rouher, il nous semble : — « Vous
allez assister à la transformation de l'em-
pire autoritaire en empire libéral. »
Les journaux officieux et les journaux
agréables répétaient sur tous les tons la
promesse chaque matin depuis trois
mois, et ne se lassaient pas d'admirer et
de louer la force et la grandeur du ré-
gime impérial qui renonçait ainsi brus-
quement à être la dictature et restait
d'autant plus le pouvoir.
Pour nous, jamais nous n'avons cessé
de croire, jamais nous n'avons cessé de
dire : L'empire est incompatible avec la
liberté ! Cette eau stagnante et noire
craint et craindra toujours le. feu parce
qu'il est le feu et parce qu'il est la lu-
mière.
En conséquence, nous n'avons été nul-
lement surpris de recevoir dans la soirée
d'hier, après quatre jours d'intervalle,
cette double assignation.
Nous n'avons pas même été surpris
de la recevoir directe, et comme brutale,
à bref délai, et sans comparution préala-
ble devant le juge d'instruction, — cet
qui, à la vérité, n'estais contraire à la
loi, mais ce qui est au moins contraire
à l'usage.
Qu'il nous soit seulement permis de re-
marquer une assez curieuse coïncidence.
C'est hier qu'a paru le manifeste de la
future majorité du futur ministère,—la-
quelle, entre autres déclarations, con-
tient celle-ci :
« Considérant que le régime parle-
mentaire implique une presse libre.
« Les députés soussignés déclarent
qu'ils sont d'accord pour vouloir ;
« L'attribution au jury des délits
politiques commis par la voie de la
presse. »
- Parmi les soussignés, voilà les plus
réactionnaires, MM. Delamarre, Pons-
Peyruc, Lafond de Saint-Mur, de Veauce,
Calvet-Rogniat, de Champagny, Dugué
de la Fauconnerie, le général Lebreton,
voilà M. de Mackau, le correspondant
de l'empereur, voilà M. Clément Duver-
nois, son collaborateur, voilà MM. d'Ai-
guesvives, de Bourgoing et de Bulach,
ses chambellans, voilà MM. Murât et de
Mouchy, ses cousins, - qui, tous décla-
rent pour les délits de presse vouloir le
jury.
Ce même jour, nous recevons une cita-
tion à comparaître en police correc-
tionnelle..
Il est bon de noter aussi la raison de
ce procès, et, si l'assignation ne nous
étonne pas, nous sommes obligés d'ad-
mirer l'accusation.
Notre crime est d'avoir défendu l'ar-
mée! Sous l'empire, qui avait affirmé
qu'aujourd'hui l'armée est la vraie no-
blesse, notre crime est d'avoir demandé
que les soldats fussent au moins des ci-
toyens!
1 Nous sommes prévenus d'avoir dé-
tourné les soldats de leurs devoirs, parce
que nous avons réclamé leurs droits.
Nons no sommes pourtant pas les
seuls à avoir cette audace. Espérons que
ceci servira d'occasion à quelque mani-
feste parlementaire qui déclarera voit-
loir, comme pour la presse, le droit com-
mun pour l'armée. Mais dès aujourd'hui
nous avons beaucoup de complices, et
il se pourrait bien qu'à côté de notre
crime qu'en dénonce, il y eùt notre
"Ciijbe qu'on ne dit pas : cette longue
liste de souscription, que nous ne pou-
jfns interrompre, car nous sommes en
,"retard sur elle, et nos colonnes ne suftl-
sent pas à inscrire tous les noms de cette
foule de citoyens de toute classe et de
toute condition, qui viennent protester
pour les deux parias dont ils voudraient,
comme nous, refaire des hommes.
En attendant le jury que « l'empire li-
béral » nous promet, nous allons donc,
vendredi, 10 décembre (anniversaire
d'heureux augure), reprendre le che-
min connu de la police correctionnelle.
Eh bien, puisqu'on nous ramène de-
vant la magistrature, —voyez jusqu'où
va notre témérité, — nous ne haï-
rions pas d'avoir du moins pour juge
cette haute cour de justice qui, le 2 dé-
cembre 1851, a condamné un coupable
accusé, entr'autres crimes, du même
crime que nous, et convaincu d'avoir
non-seulement provoqué, mais entrainé
les militaires des armées de terre à l'ou-
bli de leurs devoirs et à la désobéissance
aux lois.
,- PAUL MEUBlCE.
ÉLECTION DU 6 DÉCEMBRE
QUATRIÈME CIRCONSCRIPTION.
Electeurs inscrits 42,500
Votants 20,904
MM. Glais-Bizoin lU,680
Barbès 3,197
Voix non comptées 1,027
Comme il était facile de le prévoir,
M. Glais-Bizoin est député de la quatrième
circonscription de la Seine.
L'intérêt n'était pas là. il s'agissait de sa-
voir combien d'électeurs s'acharneraient à
voter pour le principe des insermentés,
avec la certitude de ne îïfc pas réussir ma-
tériellement, mais avec la décision de
citoyens pour qui la question de succès
n'existe pas devant la question de cons-
cience.
- Le 22 novembre, Barbès avait eu dix-
huit cents voix. Il en-a eu hier trois mille
deux cents. Quatorze cents de plus.
Il faut ajouter que, le 22 novembre, il y
a eu 29,800 votants, et que, le 6 décembre,
il n'y en a eu que 20,900, neuf mille de
moins.
Sur un nombre de votants réduit d'un
tiers, les votes pour Barbès ont presque
doublé. Et nous ne parlons pas des voix
non comptées ! ■
L'autre fois, Barbès avait eu le seizième
des voix ; cette fois, il en a le sixième.
Par ce progVès fait en quinze jours, on
peut prévoir ce que sera la question des
insermentés aux prochaines élections.
Albert Barbieux.
LES DEUX MANIFESTES
Le centre droit, enrégimenté par M.
Emile Ollivier, et le centre gauche, présidé
par M. d'Andelarre, oublient, presque au
même moment, leurs programmes politi-
ques. On les lira plus loin. Si pauvres que
soient en eux-mêmes ces deux manifestes,
ils ont une certaine importance, comme
symptômes, : ils attestent la dislocation
profonde, organique, incurable, du régime
,actuel.
Le programme Ollivier prouve quele gou-
vernement du 2 décembre ne pouvant, ni
ne voulant se transformer, est condamné
par ses origines, par son personnel, par ses
instincts les plus intimes, au despotisme à
perpétuité. 1
Le programme de la réunion d'Andelarre
prouve que les esprits les plus optimistes
commencent à comprendre vaguement
cette importante vérité : que la France ne
sortira plus, sans quelque grande revendi-
cation révolutionnaire, du despotisme mêlé
d'anarchie où elle se débat aujourd'hui.
M. Ollivier et ses amis ne semblent s'être
'proposé qu'un but : tromper l'opinion pu-
blique.
Aussi bien, que demande la France, et
nous ne parlons pas ici de notre France,
de la France démocratique, radicale, et
pour tout dire républicaine, que M. Olli-
vier déteste sincèrement, puisqu'il l'a
trahie; nous parlons simplement de la
France libérale, de celle qui peu à peu se
rallie à la République, mais qui se con-
tenterait peut-être encore aujourd'hui d'un
peu d'ordre, de bon sens, de justice, dans
le gouvernement et dans l'administration?
Elle réclame énergiquement trois choses
essentielles :
1° La dissolution du corps législatif ac-
tuel, composé en immense majorité de
candidats officiels, c'est-à-dire des élus de
l'empereur ;
2° Une réforme électorale sérieuse, parce
que, sans cette réforme, on supprimerait
vainement le mot de candidatures officiel-
les : la chose resterait ;
3° Enfio, une réforme administrative,
parce r; • h les maires restent, d'un côté,
lès agiiM a pouvoir, de l'autre, les maî-
tres du scrutin, toute réforme électorale
ne sera qu'une indigne comédie..
Or, ces trois mesures nécessaires et qui
sont le minimum des vœux les plus timi-
des de la France, M. Ollivier les repousse,
les esquive ou les ajourne.
La dissolution ! Tout son programme est
fait pour l'éviter.
La réforme électorale ! Ici; il fallait bien
tenir compte des exigences impérieuses de
la conscience publique; mais on a soin
de ne rien définir; on ne prend aucun en-
gagement précis. On fera quelque chose;
mais que fera-t on? L'empereur, l'impéra-
trice et M. Ollivier aviseront dans leur sa-
gesse.
La réforme administrative ! M. Oliivier
la promet dans un lointain avenir; mais
pour le moment, il n'en veut pas, il la
combat, il demande que lç pouvoir du
Deux-Décembre soit maintenu dans le
droit qu'il s'est arrogé de nommer les
maires de nos communes.
Tout cela peut se résumer en un mot :
Conserver le régins^ personnel en ayant
i^j&r de le détruire. '1
Et cette politique d'apparences hypo-
crites est tissue de fils si grossiers, elle
aboutit si visiblement à la conservation de
l'empire autoritaire, que, parmi les impé-
rialistes les plus dévoués (parmi les impé-
rialistes de la seconde heure, il n'y en a pas
de la première, sauf M. de Persigny et peut-
être M. Belmontet) les plus sincères, ceux
qui croient naïvement à la conciliation pos-
sible de l'empire et de la liberté, ont re-
poussé, avec certains tempéraments com-
mandés par la situation, mais avec une dé-
cision incontestable, le programme que
nous venons d'analyser et que M. Rouher
pourrait signer à là rigueur.
Bien plus, l'obstination despotique qu'il
révèle les a forcés d'aboutir, presque mal-
gré eux, à une sorte de proposition semi-
révolutionnaire qui est le trait caractéristi-
que de leur manifeste.
Ils demandent que le corps législatif soit
associé à la puissance constituante I
Ils acceptent, partiellement du moins,
le pvojet de la gaucher - - —-— - - -
Assurément, ce projet n'a que la valeur
d'une machine de guerre. Une Consti-
tuante qui serait "nommée dans les- condi-
tions actuelles, ne serait qu'une chambre
de parade, et son impuissance éclaterait
bientôt à tous les yeux. Une Constituante
n'est rien, si elle n'est ou l'initiatrice ou
la législatrice d'une révolution. Mais il n'en
est pas moins vrai que ceux qui demandent
une Constituante renversent, qu'ils le sa-
chent ou qu'ils l'ignorent, tout l'édifice
du Dette-Décembre ; et quand on voit des
Latour du Moulin et des d'Andelarre récla-
mer publiquement une loi qui est la con-
damnation du coup d'Etat, on se dit que
les temps sont proches, et que la Révo-
lution apparaît dès maintenant à tous les
esprits, non-seulement comme le gage de
tous les progrès, mais même comme la ga-
rantie suprême de l'ordre véritable, de
l'ordre fondé sur la justice.
Frédéric Morim
LES PROSCRITS
Toast envoyé par F. Pyat au Banquet de St-Mandé.
Citoyens,
Ce banquet offert par vous en décembre
aux exilés de décembre est à la fois une
protestation et une félicitation. Félicita-
tion mêlée de tristesse et protestation
pleine d'espoir ! Car j'ai à vous remercier
au nom des proscrits absents et présents,
au nom des vivants et des morts !
Les absents. il y en a de deux sortes.
Il y a ceux qui n'attendent pour rentrer
que l'heure de la dernière lutte, de la lutte
décisive; réserve que le coup d'Etat mena-
çant ne tient pas sous sa main, réserve qui
l'empêchera peut-être, et le punirait sans
doute, réserve assurée de la liberté ! Il y a
aussi, hélas ! ceux qui ne reverront plus la
France libre, qui l'ont quittée esclave,
morts dans le désespoir de la défaite, non,
je les offense, morts dans leur foi républi-
caine, dans la pleine confiance et la pleine
espérance du retour des trois proscrites :
Liberté, Egalité, Fraternité.
Heureux les morts, a dit Luther, car ils
reposent! Disons : Heureux ceux qui ont
mérité de reposer 1 Or, si la souffrance
pour le droit fait le mérite, les proscrits
morts ont bien gagné leur repos. Je n'ai
pas vu les massacres de Décembre, mais
j'ai vu ses proscriptions, c'est-à-dire ses
meurtres de détail, après ses meurtres en
gros. L'un vaut l'autre. L'histoire du peu-
ple tué en masse et sur place a été faite de
,.n Je maître..
- Cêlte de la France bannie, meurtrie en
exil, reste à faire. Oui, cette seconde his-
toire, aussi sombre que la première, est à
faire, de ces fils enlevés à la mère-patrie,
jetés des quatre coins de la France sur une
terre étrangère, ennemie, où tout les bles-
sait : sol, ciel, langue et peuple! Ah ! le con-
ftable de Londres savait bien où il les en-
voyait. Il y avait passé. Tous les proscrits
feans ressource furent rabattus là de tou-
tes les parties de l'Europe, de la Belgique
peureuse comme de la Suisse avare. Tout
le poids de l'exil retomba à Londres comme
dans la fosse commune. C'était Yin-pace
de l'empire ! la tour d'Ugolin 1
Il faudrait le flambeau du Dante pour
éclairer cet abîme. Regret du droit perdu,
de laRépublique morte,hontes delà défaite,
'transes de la faim, querelles ordinaires de
tout parti déchu: toute chute fractionnée!
Colonie de victimes se dévorant faute.de
pain. Tous les cris de douleur et de mi-
sère qui peuvent sortir du cœur de l'hom-
me, brisé dans toutes ses cordes, saignant
de toutes ses fibres, souffrant dans tous
ses droits et tous ses biens, patrie, famille
et liberté!
Ce fut un immense Deprofundis répon-
<|ajffc-4e Londres aux Te Deum do Paris.
Dix mille créatures humaines déracinées,
sans distinction d'état, d'âge ni de sexe,
hommes , femmes , enfants , vieillards,
bourgeois, ouvriers, paysans, laboureurs
du Cher, bergers des Landes, vignerons de
Bourgogne, canuts de Lyon et lettrés de
Paris ; cohue qui n'avait de commun que
la foi et la peine, errant sur le pavé de
Londres, affamée, demi-nue, sans abri,
sans argent, sans souliers, sans soleil, au
milieu d'un peuple sans pitié qui lui offrait
quoi? des Bibles pour manger 1 L'homme
ne vit pas que de pain.
Jamais je n'oublierai la Sociale, une salle
d'asile où les plus pauvres étaient logés
aux frais des moins pauvres, bonnes gens!
couchés sur la paille, avec un peu de char-
bon pour se réchauffer, un peu de pain
pour se soutenir. Ce qu'il en est mort,
malades et médecins, à la peine, c'est
effrayant! Les survivants s'exilant .dans
rexil, s'enfonçant dans le second cer-
cle de cet enfer, passant de la pitié
anglaise à,la merci américaine ! Je le dis à
la honte des libéraux anglo-saxons, l'An-
gleterre et l'Amérique n'ont pas eu un
verre d'eau ni un mot de secours pour les
républicains français. L'Américain est
l'Anglais enté sur le sauvage ! Vœ victis !
Ils avaient des millions pour les proscrits
protestants du roi et dés Bibles pour les
proscrits républicains de l'empereur. La
police de Londres, en donnant le transit
aux proscrits pour New-York, rassurait son
allié et soulageait ses cimetières. Voilà
tout! Le premier bateau qui emporta sa
charge de mourants, quelle scène! les
femmes, tenant leurs enfants dans leurs
bras, se tournant vers la France avec une
sorte de fixité magnétique, embarquées de
force, nous criant adieu dans cette langue
natale que leurs enfants ne parleront plus
J'ai vu cela, et j'ai compris la justice !
Et le premier convoi donc, qui porta
notre. premier mort en terre, un jeune
homme dans la fleur de l'âge, un épi vert
mûri par le climat de Londres. Pauvre
Foissy ! quelle journée ! Je m'en souviens.Il
faisait anglais, nuit en plein midi, un jour
éclairé au gaz et aux torches. Quand la
foule nous vit passer comme des spectres
dans l'ombre, avec notre drapeau en deuil,
qui laissait lire sous le crêpe ces deux
grands mots : Hépublique' française, elle
se prit à rire, nous poursuivant de ses
huées et de ces cris : Oui 1 oui! 01.tl! cris
d'insulte qui nous rappelaient les votes de
Décembre, notre humiliation et son
triomphe. -
Et combien d'autres sortes d'injures aux
chiens de Français, aux républicains rou-
ges quL portaient de la barbe et mouraient
sans prêtres ! J:ai vu cela et je n'aime pas
l'Angleterre, — l'Angleterre qui nous a
valu les deux empires, le premier par la
guerre et le second par la paix.
Toutefois, là comme ailleurs, le peuple
valait mieux que le reste. j
A notre seconde procession funèbre, il
fut silencieux. Il salua à la troisième, et
vingt ans plus tard, avant de partir, j'eus
le plaisir, je ne dis pas la vengeanee, ce
plaisir des dieux, j'eus la joie humaine et
française de le voir arborer notre drapeau,
nos principes, notre Marseillaise, de le voir
abattre les grilles du parc. royal et obtenir la
réforme non plus au cri de Oui ! oui 1 mais
au cri de : Vive la République !
Si nous avons eu nos peines, nous avons
eu nos joies.
Les ouvriers de Holborn, le quartier po-
pulaire voisin du nôtre, assistaient à nos
fêtes. Car nous avions nos fêtes même dans
nos plus mauvais jours. Nous avions nos
anniversaires, les grandes dates de nos ré-
volutions, célébrés religieusement. Là,
que d'espérances 1 que d'impatiences ! que
d'illusions et de déceptions ! Les yeux, le
cœur, l'esprit sans cesse tendus vers la
France ! l'idée fixe, unique et folle de pa-
trie et de liberté, nous gardions jalousement
comme un trésor, notre haine du crime
et notre nom de citoyen. Nous pensions,
parlions, rivions avec la République. Je
n'ai jamais trosopâ personne que là, pro-
mettant toujours une victoire qui n'arri-
vait jamais.
Il n'y en a pas pour longtemps, disions-
nous pendant vingt ans ! Pieuse fraude qui
prévenait le désespoir, entretenait foi et
force, faisait reprendre à la vie et au tra-
vail et retrouver le sou quotidien pour la
propagande et l'action. Il y en a qui n'ont
pas défait leur sac jusqu'à l'amnistie, et
qui l'ont rentré comme ils l'avaient sorti,
Jusque-là ils avaient espéré et agi pour la
cause, introduit en France plus de eent
mille brochures dans toutes sortes de trucs.
Je me rappelle dans quels bust&s passè-
rent la Lettre à Marianne etla Lettre à Orsini.
Le plaisant se mêlait au sublimej Un es-
pion original, mort récemment, du nom
de Sablonnier, ancien insurgé de juin, s'é-
tait fait mouchard pour se venger des
bourgeois qu'il dénonçait exclusivement,
sauvant les ouvriers. Averti de cette ma-
nie, un réfugié aussi malin que le traître
lui fit un paquet de brochures à l'adresse
de bourgeois bonapartistes qui furent tous
arrêtés pour quelques jours et suspectés
pour longtemps. La liberté* a ses ruses
comme la tyrannie.
Et pendant que nous faisions notre pro-
pagande en France, nous la faisions aussi
en Angleterre. Point de hasard dans le
monde ! tout s'enchaîne de cause à effet.
Là aussi, nous avons contracté notre al-
liance de peuple, à peuple, notre traité de
commerce, notre libre-échange d'idées, de
principes et de droits ! Nous nous sommes
complétés ainsi, AnglaisetFrançais, les uns
par l'égalité, les autres par la. liberté. Les
fils des Jacobins ont rendu et prêté aux
fils des puritains; nous, fils des juges de
Louis X VI, nous avons redit à l'greille du
peuple anglais ce dernier mot de la justice
de leurs pères àCharles Ier: « Souviens-toi! »
Ce peuple, qui avait perdu sous sa massive
restauration jusqu'à la mémoire de Crom-
well, a retrouvé le nom de la République
au milieu de nous tous, proscrits euro-
péens, proscrits d'empereurs et de rois, de
Bonaparte et d'Isabelle; et même de Maxi-
milien, proscrits de tout grade, depuis
la peine de mort jusqu'à la prison. Voilà ce
que nous avons fait, à nos risques et pé-
rils, pendus, brûlés en effigie, calomniés
par la presse monarchique, menacés d'ex-
tradition, après la Lettre à la reine surtout,
et sauvés enfin par la menace des colonels
de l'empereur. Notre œuvre était faite,
notre mission finie, l'opinion était chan-
gée, et l'amnistie forcée. Tout était dit de
l'exil.
Non, l'exilé n'est pas seul. L'exilé n'est
pas un fardeau inutile et stérile de la terre.
L'exilé a une patrie, s'il a un principe.
Notre proscription a été utile comme ses
devancières. Les réfùgiés de la liberté reli-
gieuse avaient apporté à l'Angleterre la ci-
vilisation du temps, arts, industrie, etc. ;
nous en retrouvâmes encore les restes dans
les tisserands de White-Chapel. Les émi-
grés apportèrent la salade, chacun sa parti
Nous, la barricade ! Ce ne fut pas tout. Nos
ouvriers, les meilleurs dans leur métier,
furent employés, obtinrent les médailles
de la grande exposition. Le proscrit répu-
blicain Chalelin a eu le premier prix pour
sa reliure, un chef-d'œuvre, faite sur le
livre d'un tout autre proscrit, le duc d'Au-
male. Il eut le prix malgré le jury français
et son président, le prince Napoléon, qui
eut,.lui, la satisfaction d'examiner le livre
d'un duc et de voter contre la reliure d'un
républicain, Nos médecins honorèrent la
science française dans les hospices, nos ar-
tistes l'art dans les musées, nos professeurs
notre langue dans les écoles, et nos grands
écrivains notre génie partout. Et le peuple
de Paris, par son vote, nous rendit enfin
la patrie.
Il a fallu reconnaissance et devoir envers
la grande France pour me faire quitter la
petite, cette vraie famille de proscrits
- dont j'avais vu mourir les vieillards et
naître les enfants. Je les avais connus, ai-
més tous. J'ai embrassé en partant une de
ces pauvres fleurs d'exil, entamée déjà mal-
gré père et père par le milieu étranger,
perdant déjà l'accent français et me disant
avec l'accent anglais : Citoyen, emmenez-
moi à Péris.
Ah! j'aurais voulu les ramener tous
avec moi et les voir fraterniser tous à votre
table aujourd'hui, tous petits et grands !
La France n'a pas de trop de tous les siens
pour la délivrer.
Assez sur ce que l'exil a souffert et tenté.
Un seul et dernier mot sur ce qu'il a l'an--
porté. l'amour de la France, de la patrie,
de la liberté. Le proscrit n'a rien oublié
de la France ; il n'a appris qu'à l'aimer da-
vantage et à la mieux servir, à reconnaître
de plus en plus son esprit humain, univer-
sel, sociable, généreux comme son vin; sa
libre pensée, sa franchise, sa conscience
et ses principes de 89, par conséquent à
plus haïr la tyrannie. Décembre vient de
dire : « Je réponds de l'ordre ! » Il appelle
ça l'ordre! Soit. Milton dit qu'il y a un or-
dre en enfer! Nous répondons, nous, de la
liberté! Nous sommes rentrés, elle ren-
trera, et jusque-là, à Paris ou à Londres,
je suis. nous sommes tous proscris!^Ci-
toyens, je bois au retour de la prdjferfëp
FÉLIX PYÀ§|kA \"(;
- P. S. — Je vous écriTce toast que^fc^
pérais prononcer au milieu de vous. Mais
l'homme propose, et la police, qui n'est pas
Dieu, dispose. Décembre recommence ou
plutôt continue. Je crains bien de m'être
leurré, à Paris comme à Londres et d'êtie
encore forcé de reprendre le chemin de
l'exil.
Toutefois, après avoir fait répondre au
mandat de comparution, j'attends, pour ré-
pondre moi-même, que le mandat d'ame-
ner m'ait fait connaître mes crimes.
MANDAT DE COMPARUTION
Paris, 5 décembre 186g.
Au citoyen Ferdinand Gambon.
Cher et bon ami,
On répand dans le public des récits d'une
si grave exagération sur mon aventure de
ce jour avec M. de Lurcy, que je crois utile
de vous faire la relation détaillée de toute
cette bouffonnerie judieiaire, afin qu'en-
suite il vous soit possible de relever sciem-
ment les erreurs commises à ce même pro.
pos. --r-
Ce soir, à quatre heures précises, je me suis
rendu au Palais-de-Justice, et m'adressant
à l'huissier audiencier de service, je lui ai
dit, en lui remettait un mandat de com-
parution lancé par M. de Lurcy contre
Félix Pyat : « Remettez cette pièce au juge
d'instruction. » L'huissier lut le nom de
Félix Pyat au haut de la pièce susdite, et
aussitôt : « Monsieur, me rêpliqua-t-il, veuil.
lez attendre ici une minute; j'ai ordre de vous
prier de patienter un instant, tandis que se
terminent les dépositions de vos témoins à
charge. » Puis, il passa dans le cabinet du
juge d'instruction, et, aussitôt, de quatre.
heures précises à quatre heures quarante,
ce fut un va-et-vient de gardes, de com-
missaires, de substituts et d'agents de
police, appelés à tour de rôle auprès.de M.
de Lurcy, tandis que je me chauffais devant
le fourneau de la salle commune, curieuse-
ment dévisagé par chaque passant, à qui
mon pauvre homme d'huissier s'amusait à
crier mystérieusement : « Ce monsieur est
M. Félix Pyat. »
A quatre heures quarante, M. de Lurcy
lui-même parut sur le seuil de la porte de
son cabinet et, courtoisement, pria M. Fé-
lix Pyat d'avancer. A ce moment, un jeune
homme, témoin dans je ne sais plus quelle
affaire et, d'après son dire, habitué des
réunions publiques, devina la nature de ma
situation, et vint me souffler en riant à
l'oreille : « Ma foi, citoyen Gromierje pense
qu'il* ont tous ici besoin de lanternes /» Ce-
pendant, j'entrai chez M. de Lurcy.
Son greffier l'assistait, avec un troisième
personnage, individu à la mine douteuse
et à l'allure policière. A peine avais-je fait
un pas, que ce décoré de Jérusalem se pré-
cipitait sur moi, tout effaré, et s'exclamait
en ces termes : « Mais ce jeune homme
n'est pas Pyat! - Non, ce n'est pas Pyat,
répétait le greffier. — Qui êtes-vous?» me
demandait le juge, dont toute ma vie (et je
n'ai encore pas dépassé la trentaine), oui,
dont, toute ma vie, j'aurai présents à la
mémoire la stupéfaction et l'effarement.
Je suis porteur, répondis-je, de la let-
tre suivante du citoyen Pyat à M. de Lur-
cy: « Monsieur » (je cite de mémoire, mais
en substance je cite avec exactitude),
« Monsieurj je n'ai reçu que ce matin, à
« onze heures, un mandat m'ordonnant de
« comparaître aujourd'hui devant vous, à
« quatre heures précises. Or, comme j'avais
« à l'avance disposé de ma journée pour
« d'autres rendez-vous d'une importance
« tout aussi considérable, je vous prie d'ap-
« prendre au citoyen Gromier, porteur de
« cette lettre^ce que vous avez à me dire.
« Recevez mes salutations. » m
, FÉLIX PYAT.
M. de Lurcy et M. de Jérusalem se con-
sultèrent ; ils me firent asseoir et envoyèrent
le greffier je ne sais où. QuelquEs instants
se passèrent, pendant lesquels M. de Lurcy
chercha vainement à reprendre son sang-
froid. Enfin, après plusieurs messages
reçus et envoyés, après divers conciliabules,
on se décida à m'interroger à nouveau :
M. de Lurcy : - Enfin, monsieur, pour-
riez-vous m'expliquer pour quelle raison
vous ne m'avez point immédiatement pré-
venu de l'absence de M. Pyat?
Moi : — C'est chose facile : vous ne m'a-
vez fait entrer dans votre cabinet qu'après
quarante minutes d'antichambre. Je n'ai
pu vous parler avant de vous voir.
D. — C'est vrai : mais, si vous m'aviea
fait passer votre carte, j'aurais donné ordre
de vous introduire de suite et aurais con-
tremandé tous mes témoins.
R. — Votre huissier m'a dit d'attendre 1
j'ai attendu.
D. — Comment se peut-il faire que
M. Félix Pyat n'ait pas été averti par sa
conscience qu'avant tout il devait se tenir
prêt à comparaître devant moi pour s'y
justifier des choses que je. juge devoir
mettre à sa charge?
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