Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1869-10-05
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 octobre 1869 05 octobre 1869
Description : 1869/10/05 (N140). 1869/10/05 (N140).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7529858x
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/09/2012
1 1
N* 140. z,-- Mardi 5 octobre 1869 Le numéro : 15 c. — Départements : 20 c. 14 vendémiaire an 78. — N* 140.
> RÉDACTION
S'adresser au SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
De 3 h 5 h. du soir
<0, rue du Faubourg-Montmartre, 10
Les manuscritf> non insérés ne sont pas rendus.
ANNONOES"
MM. CH. LAGRANGE, CERF et Ce,
6, place de la Bourse, 6^
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ABMINIgTRATION
S'adresser à M. AUGUSTE PANIS
-
ABONNEMENTS
y PARIS
Un mol*. S »»
Trois mois. 13 50
DÉPARTEMENT
Un mots.
Trois mois.,., il 118
BUREAUX /Jj
43, rue du Faubourg-Mo ntmart
LA POLICE
>*-
DANS LES CONSEILS DE L'EMPIRE
Le complot de décembre 4851 se trou-
vait tout d'abord en présence de grandes
forces morales impossibles à gagner, dif-
ficiles à vaincre. Il avait devant lui, con-
tre lui, obstacles insurmontables , de
hautes illustrations parlementaires et mi-
litaires, des caractères et des gloires.
Parmi ses adversaires et ses ennemis les
plus menaçants et les plus redoutables,
il comptait des généraux, des officiers
supérieurs, victorieux et populaires, Ca-
vaignac, Changarnier, Bedeau, Charras,
Lefiô, Lamoricière. Comment venir à
bout de ces hommes qui ne représen-
taient pas seulement la loi et le droit,
qui étaient aussi des influences et des
puissances ? Pouvait-on, comme le vain-
queur de Marengo au dix-huit brumaire,
-' m .servir contre eux dej'armée? ils étaient
flux-mêmes l'armée ! ils en étaient la tête
et l'honneur ! Que faire ? quelle force ma-
jeure, matérielle et brutale, employer
contre ces autorités et ces renommées ?
Une seule était possible, si honteuse
et si imprévue qu'ils n'y pensaient pas,
qu'ils ne s'en défiaient pas, qu'ils ne s'en
défendaient pas :
La police.
On mit à la préfecture de police le
sieur Maupas ; le sieur Maupas fit la leçon
à ses. commissaires ; les commissaires
'prirent leurs sergents, leurs agents, la
brigade dite de sûreté ; et, de nuit, dans
le sommeil de Paris, en rasant silencie
sement les murailles, ces 'bandes s'en
allèrent s'emparer chez eux, par sur-
prise, des représentants inviolables de
la nation et des chefs illustres de l'ar-
ntée.
Ils étaient plus que désarmés, ces ter-
ribles adversaire, ils étaient endormis.
On força leurs portes, on envahit leurs
domiciles, on les entraîna, on les em-
porta demi-nus.
Les mandats d'arrêt décernés contre
eux par le préfet de police étaient tous
ingénieusement motivés sur l'accusation
de n complot contre la sûretéde l'Etat. »
Le commissaire de police Lerat fut
celui qui « empoigna » le général Chan-
garnier. Ses agents rencontrent dans
l'escalier un domestique, la clé de l'ap-
partement à la main, ils la lui arrachent,
font invasion dans la chambre du géné-
ral, le trouvent un pistolet à la main, se
précipitent sur lui, le désarment, le jet-
tent dans une voiture. A Mazas !
Le commissaire de police Blanchet fit
l'affaire du général Lamoricière. Il le
prend en sursaut dans son sommeil, le
fait porter dans un fiacre, Lamoricière,
sur la route, met la tête à la portière, le
commissaire le rejette en arrière, tire un
bâillon de sa poche. - Au premier mot,
il le bâillonnera!
Le général Cavaignac tomba au com-
missaire de police Colin. Le colonel Char-
ras fut arrêté par le commi&sairs de po-
lice Courteillë, dans les circonstances les
plus douloureuses et les plus tragiques.
Le commissaire de police Hubault
jeune fut chargé de mettre la main sur
le général Bedeau. Ce ne fut pas préci-
sément facile. Le général protesta et ré-
sista. Quand il se fj*t„ lentement. habillé.»»
il se posta debout, contre la cheminée,
et dit : a Je ne sortirai d'ici que si vous
m'en arrachez. Voyons si vous oserez
traiter comme un malfaiteur le général
Bedeau, vice-président de l'assemblée
nationale? » La fière attitude et l'accent
indigné du soldat firent hésiter les
mouchards. Mais le commissaire Hu-
bault leur donna l'exemple, et prit le gé-
néral au collet. Ce fut alors à qui le sai-
sirait, le pousserait, le trainerait, par son
appartement et dans l'escalier, jusqu'à la
rue, jusqu'à la voiture. Il se débattait, il
criait : A la trahison! à l'aide ! Des pas-
sants accoururent pour le délivrer. A ce
moment, toute une escouade de sergents
de ville s'abattit, l'épée à la main, sur
ces courageux citoyens, et dispersa sans
peine et sans risque leur petit nombre.
Et ce fut fini, la résistance n'eut plus
dès lors à s'appuyer sur les troupes ; les
généraux que les soldats connaissaient,
qu'ils auraient entendus et suivis, n'é-
taient plus là pour les éclairer, pour les
•«©«lever,- pour les conduire ; en I~Sdes chefs aimés, la discipline les livrait
aux chefs vendus; le coup était fait ; l'ar-
mée était comme décapitée; sa force aveu-
gle eut aisément raison du peuple.
Qui obtint ce résultat? qui exécuta ce
coup de main, trop noblement peut-être
appelé coup d'Etat? qui vainquit, dans
ses chefs, l'armée?
La police.
La police, par son expédition nocturne,
gagna plus que la victoire, elle empêcha
le combat.
On peut dire que la police, dans cette
nuit là, fit l'empire.
Ce fut le commencement cl uvrègne.
Aujourd'hui, à son autre extrémité, à
celle qui est plus proche et qui nous
touche, il semble que l'empire veuille
encore une fois appeler à son aide la po-
lice, sa premier^auxiliaiEfi et sa bonne
complice,
Aujourd'hui, M. de Maupas s'appelle
Piétri. Il est Corse. Il a, dans ses escoua-
des et dans ses brigades considérable-
ment accrues, enrôlé nombre de Corses.
Cette troupe, composée on sait comment,
seule armée dans la foule sans armes,
se carre et s'étale forte de ses services,
fière de son pouvoir, sûre de son impu-
nité, et, n'ayant conscience, intelligence
et peur de rien, est prête à tout.
Depuis trois ou quatre mois surtout,
la police a la grosse part et le grand
rôle.
Après les élections de juin on sait
quelles furent ses prouesses. Paris fut
pendant plusieurs jours son champ de
bataille et sa proie. Elle éleva le casse-
tête à la hauteur d'une institution. Les
blouses blanches se répandirent par la
ville, brisèrent les devantures, cassèrent
les réverbères, brûlèrent les kiosques.
Après quoi, les sergents de ville, en nom-
bre invraisemblable, firent les charges et
les poussées qu'on se rappelle, fendirent
les têtes, pochèrent les yeux, jetèrent les
citoyens au tas dans les geôles et dans les
casemates, et, avec une brutalité et une
cruauté sans exemple, triomphèrent
sauvagement sur toute la ligne des boule-
vards et des quais.
Si bien que la cavalerie de/Versailles,
Inrrrpi'iia arpiyayink juin; fui»
reçue et acclamée comme le secours et la
délivrance, et que je sais des irréconci-
liables qui battirent des mains à son en-
trée.
En même temps, la tradition de 1851
était renouvelée et renouée, de M. Mau-
pas à M. Piétri, quant aux mandats d'ar-
rêt pour « complot contre la sûreté de
l'Etat. » Les écrivains des journaux dé-
mocratiques, les membres du comité de
l'opposition radicale étaient décrétés d'ar-
restation, mis en cellule et au secret, et,
sans raison, sans but, sans interroga-
toire, détenus à Mazas, qui des jours,
qui des mois, qui des semaines.
Ils réclamaient à grands cris une en-
quête. Ce fut alors qu'on accorda à la
police l'amnistie.
Et maintenant, l'auteur de tous ces
abus de pouvoir, le Maupas de 1869,
croit-on qu'il soit, sinon tombé publique-
ment en disgrâce, du moins terni pru-
dttmannt il iiwIfAfe Bito, oui? •«-.
Quand l'empereur, malade, ne rece-
vait personne, quand les ministres n'é-
taient admis qu'un à un et seulement
pour quelques minutes, quand M. Rouher
lui-même s'en retournait parfois sans
avoir aperçu le maître, les journaux of-
ficiels et officieux n'ont jamais manqué
de nous annoncer chaque matin que le
chef de l'Etat avait « travaillé » avec
qui ?avec le préfet de police, M. Piétri.
Samedi, il se tient à Saint-Cloud un
des plus importants conseils qui aient eu
lieu depuis vingt ans ; tous les ministres
sont présents ; la séance dure cinq heu-
res d'horloge. On n'y a cependant pas
convoqué M. Schneider, le dernier prési-
dent du corps législatif, assez intéressé
pourtant dans la question discutée ; on
n'y a pas même admis M. Rouher, le
président du Sénat. Mais les journaux
dévoués nous apprennent que, par ex-
ception et dérogation, on a eu le soin et
l'attention d'y insdjar <^ii?J^LPiéici, L&
préfet de police.
Eh bien, nous trouvons que le décret
de convocation des chambres était un
défi suffisant sans cette nouvelle menace.
N'était-ce pas assez de dire au suffrage
universel :
« Tu n'es plus rien, et je suis tout. J'in-
terprète et je pratique la loi selon mon
caprice ou mon intérêt sans que tu aies à
t'en occuper. Ton droit même, je te le
mesure comme il me plait, et, quand cela
me convient, je te le retire. Tes manda-
taires, je les appelle et je les renvoie, je
les ajourne et je les chasse à mon gré. »
Cette injure était assez humiliante, il
n'était pas nécessaire d'ajouter :
«Je te conseille cependant, peuple sou-
verain, de ne pas t'irriter, de ne pas te
fâcher. Si tu avais cette velléité impru-
dente, réfléchis, souviens-toi, vois qui
j'ai à mon côté. Je ne rends pas mes dé-
crets sans prendre mes précautions. Je
n'enverrais pas contre toi, comme les
gouvernants de 1830 et de 1848, les sol-
dats, parfois plus à plaindre que les ou-
vriers, et qu'il est possible de tourner et
de toucher. L'armée, c'est trop ou trop
peu; je me contente de la police. Contre
les émeutes je préfère de beaucoup au
sabre qui tue, la canne plombée qui as-
somme, et la présence de M. Piétri te
pourra rappeler que je saurais réprimer
tetentativesde révolte noft à Mups de
feu mais à coups de poings.)
ê
Paul Meuriee.
71e LANTERNE
Les journaux racontent que l'empereur
se fait instruire jour par jour des moindres
incidents de l'affaire Troppmann.
On ne dit pas s'il apporte la même curio-
sité à l'affaire Kératry.
Il est vrai qu'on se sert du bruit que fait
l'une pour étouffer l'autre. Aussi Tropp-
mann peut-il dormir tranquille : il est passé
à l'état d'homme nécessaire.
Si on osait faire durer son procès seule-
ment une quinzaine d'années, ce ne serait
certes pas le pouvoir qui s'y opposerait.
—. Pardon ! fera M. de Kératry en s'adres-
sant aux ministres, je voudrais interpeller
le gouvernement sur les événements du
Mexique auxquels j'ai assisté et qui ont
été mensongèrement racontés à la tribune
par M. Rouher.
— Je vous écouterais avec le plus grand
plaisir, répondra M. Roquet de la Forcade,
mais on m'annonce que M. Troppmann
vient de faire une révélation. Tout s'efface
devant une aussi grave nouvelle.
Alors, veuillez me dire pourquoi nous
avons été si longtemps prorogés sans motif
avouable. Vous avez donc peur du suffrage
universel ?
— Le suffrage universel?. la proroga-
tion?. quoi, qu'est-ce? Vous ne; savez donc
pas que le cadavre de Kinck père vient
d'être découvert dans un champ d'oseille..
Si Troppmann qui paraît tenir à la vie,
Vëttt prolÓngèr indéfiniment la sienne', il
n'a qu'à échelonner ses aveux de façon à
embrouiller la procédure, rétracter le len-
demain ses déclarations de la veille, inven-
ter des complices qu'il n'a pas et dissimuler
ceux qu'il peut avoir. Il n'y a pas de doute
qu'il n'atteigne ainsi en prison les limites
de la plus-extrême vieillesse.
Je n'ai pas à donner de conseils au jeune
assassin d'Aubervilliers, qui paraît assez
résolu pour s'en passer, mais à sa place, je
mènerais l'existenee belle et joyeuse. Je me
ferais servir quatre plats à mon déjeuner,
six Si mon dîner, avec café, pousse-café,
Champagne, liqueurs et des femmes au des-
sert.
Et si on me refusait quoi que ce soit, je
menacerais de mettre subitement fin à l'in-
struction en me suicidant.
Ce qui me frappe dans l'incurie dont la
police a fait preuve à l'égard des coupables
du crime de Pantin, c'est que si les recher-
ches n'ont pas abouti à la découverte de
toutes les victimes, elles ont amené celle de
plusieurs cadavres de gens assassinés et
dont les assassins n'ont jamais été inquiétés.
On sait maintenant que sur dix meurtres,
c'est à peine si M. Pietri met la main sur un
coupable.
Il faut reconnaître aussi qu'il a fait ar-
rêter un si grand nombre d'innocents que
son zèle compense largement son manque
■d'intolligantÉto»"*. ■» m «m 1 "If' If»." oh""-
Notez que l'assassinat de Pantin était
combiné, prémédité et machiné depuis des
mois ; que le meurtrier écrivait des lettres,
en recevait sous un faux nom; allait tou-
cher, au moyen de signatures falsifiées, des
sommes qui appartenaient à ses victimes,
sans que personne se soit seulement ému à
la préfecture de ses marches et contre-
marches.
Ce ne sont pourtant pas les scrupules qui
empêchent les agents d'ouvrir les corres-
pondances.
Quand on passe pour préférer la Répu-
blique à l'empire, le secret de vos missives
est violé comme une simple constitution.
Lorsqu'au contraire on écrit à ses amis pour
les inviter à venir faire la partie d'étrangler
huit personnes, la direction générale des
postes se reprocherait toute sa vie de se
permettre de troubler vos projets.
De sorte qu'à choisir, le gouvernement
préfère de beaucoup un assassin à un ré-
publicain.
Je lis dans un journal que l'empereur a
été, aux courses du bois de Boulogne, ac-
cueilli plutôt par des marques de sympa-
thie que' par des acclamations.
Je serais désireux de savoir en quoi peu-
vent consister des marques de sympathie
adressées à un homme à qui personne ne
peut adresser la parole et de qui personne
ne peut s'approcher, puisqu'il est entouré
d'une nuée d'agents.
J'en conclus que les marques de sympa-
thie ont consisté principalement dans cette
réflexion générale :
u Dieu 1 qu'il a mauvaise mine ! »
Une feuille agréable du soir raconte que
l'empereur dans une promenade qu'il a
faite aux environs de Garches, a cueilli une
grappe de raisins qu'il a mangé séance te-
nante.
A-t-il avalé les peaux ? Cette question est
l'objet d'une enquête.
Moi, qui le connais un peu, je suis con-
vaincu qu'il ne les a pas avalées. Depuis
dix-huit ans, il a l'habitude de prendre tout
ce que nous avons de meilleur à manger et
de nous laisser les épluchures.
S'il faut en croire le bruit public, le
comte de Chambord serait autorisé à fouler
de nouveau le sol français, qu'il a quitté à
l'âge de dix ans.
Pourquoi le comte de Chambord plutôt
que Ledru-Rollin, le comte de Paris ou le
duc d'Aumale? Cette fantaisie de malade
doit avoir été inspirée par l'impératrice,
qui, comme on sait, a voué une sorte de
culte à Marie-Antoinette et à son auguste
famille.
Seulement, le convalescent de Saint-
Cloud n'a pas réfléchi que le trône qu'il oc-
cupe appartient au petit-neveu de cette
même Marie-Antoinette, que les Français
ont eu l'infamie de déposséder de son
trône.
S'il permet à cet héritier légi è
trer en France, il ne peut lui confisq^c^
trône, sans se déclarer moralement le corn-
Louis X @moi qqe4 oM
XVI.
Diapoléon III ne peut justifier la mesure
annoncée qu'en quittant le trône pour y
faire asseoir le duc de Bordeaux.
On parle du remplacement prochain de
M. de La Tour d'Auvergne comme ministre.
L'empereur, qui s'était séparé de M. Rou-
her les larmes aux yeux, avait voulu con-
server un peu d'Auvergne dans son entou-
tourage.
Mais M. Rouher, têtu comme un chancre,
étant rentré clandestinement au pouvoir,
l'Auvergne se trouve aujourd'hui suffisam.
ment représentée dans les conseils du gou-
vernement, et on sacrifie le moins utile.
Cette explication est absurde. Aussi est-
ce la seule qui soit un peu vraisemblable.
La lettre de Raspail, qui le premier au
Corps Législatif a prêché la résistance, pro-
duit une grande sensation.
On sait très-bien que le vieux socialiste
tiendra la promesse qu'il fait de se présen-
ter le 26 octobre, à une heure et demie, à
la porte du Corps législatif. N'est-ce pas
une humiliation cruelle pour les prétendus
revendicateurs de nos libertés, de se voir
devancés par un homme de 76 ans, qui a
passé sa vie dans les prisons et qui se trouve
encore, à l'heure où nous sommes, le plus
énergique de nos représentants.
Les électeurs font en ce moment circuler
une adresse invitant les députés de la Seine
à faire respecter la souveraineté nationale,
c'est-à-dire à se présenter comme Kératry,
Raspail, etc., le 26 octobre, à la grande
porte du Corps législatif.
Si les députés de Paris ne s'y présentent
pas, c'est qu'ils n'osent pas s'exposer aux
conséquences de cet acte important. Or,
comme ils ont été nommés pour s'exposer
à toutes les conséquences possibles du man-
dat qui leur est confié, s'ils ne se sentent
pas le cœur d'aller jusqu'au bout, ils n'ont
qu'un parti à prendre : donner leur démis-
sion.
Sans quoi, ils se trouveront prochaine-
ment dans cette alternative également fâ-
cheuse : ou d'être dissous par un coup d'B-
tat ou d'être cassés par le peuple.
Heuri Rochefort.
Deux manifestes, deux actes : 1
l:AvenÙ' national publie la lettre sui-
vante : *
Bon-Port-sous-Montreux, en Su!:
1" octobre 1869.
Mon cher ami,
Le suffrage universel, ce maître des maîtres,
est déjà depuis trop longtemps tenu en échec
par le pouvoir exécutif, qui n'est en somme que
sa périssable créature.
Il faut en finir.
Il faut que l'ordre véritable issu de la souve-
raineté nationale reprenne l'empire et s'impose
à tous. 11 faut que les députés du peuple met-
tent eux-mêmes un terme à une scandaleuse
prorogation.
Empereur, ministres, sénateurs n'ont ni le
droit ni la faculté de jouer indéfiniment le suf-
68 feuilleton du BAIPPBL
DU OCTOBRE 1869
L HOMME QUI RIT
DEUXIÈME PARTIE
PAR ORDRE DU ROI
LIVRE SIXIEME
ASPECTS V Â RI É S )). U lU;{J S
IV
MfÊutbiis HurillN campa usi muta.
Ursus palpa le feutre du chapeau, le
drap du manteau, la serge du capingot,
le cuir de l'esclavine, ne put douter de
Reproduction interdite.
Voir iee numéros du H mai au. 5 Juin (f volume);
du 30 juin au 14 août (2* volume; ; du 19 août au
30 septembre ^3e volume); des 1er, 2 et 4 octobre
'v4*voli«uj. cl
cette défroque, et d'un geste bref et im-
pératif, sans dire un mot, désigna à
maître Nicless la porte de l'inn.
Maître Nicless ouvrit.
Ursus se précipita hors de la taverne.
Maître Nicless le suivit des yeux, et
vit Ursus courir, autant que le lui per-
mettaient ses vieilles jambes, dans la di-
rection prise le matin par le wapentake
emmenant Gwynplaine.
Un quart d'heure après, Ursus essouf-
flé arrivait dans la petite rue où était
l'arrière-guichet de la geôle de South-
wark et où il avait passé déjà tant
d'heures d'observation.
Cette ruelle n'avait pas besoin de mi-
nuit pour être déserte. Mais, triste le
jour, elle était inquiétante la nuit. Per-
sonne ne s'y hasardait passé une certaine
heure. Il semblait qu'on craignît que les
deux murs ne se rapprochassent, et
qu'dn ett peur, s'il prenait fantaisie à
la prison et au cimetière de s'embrasser,
d'être écrasé par l'embrassement. Effets
nocturnes. Les saules tronqués. de la
ruelle Vauvert à Paris étaient de la sorte
mal famés. On prétendait que la nuit
ces moignons d'arbres se changeaient
en grosses mains et empoignaient les
passants.
D'instinct le peuple de Southwark évi-
tait, nous l'avons dit, cette rue entre
prison et cimetière. Jadis elle avait été
barrée la nuit d'une chaîne de fer. Très
inutile ; car la meilleure chaîne pour fer-
mer cette rue, c'était la peur qu'elle
faisait.
Ursus y entra résolument. ,
Quelle idée avait-il ? Aucune.
Il venait dans cette rue aux informa-
tions. Allait-il frapper à la porte de la
geôle? Non certes. Cet expédient effroya-
ble et vain ne germait pas dans son cer-
veau. Tenter de s'introduire là pour de-
mander un renseignement ? Quelle folie !
Les prisons n'ouvrent pas plus à qui
veut entrer qu'à qui veut sortir. Leurs
gonds ne tournent que sur la loi. Ursus
le savait.
Que venait-il donc faire dans cette
rue? Voir. Voir quoi? Rien. On ne
sait pas. Le possible. Se retrouver en
face de la porte où Gwynplaine avait
disparu, c'était déjà quelque chose. Quel-
quefois le mur le plus noir et le plus
hourru parle, et d'entre les pierres une
lueur sort. Une vague transsudation de
clarté se dégage parfois d'un entasse-
ment fermé et sombre. Examiner l'en-
veloppe d'un fait, c'est être utilement
aux écoutes. Nous avons tous cet instinct
de ne laisser, entre le fait qui nous inté-
resse et nous, que le moins d'épaisseur
possible. C'est pourquoi Ursus était re-
tourné dans la ruelle où était l'entrée
basse de la maison de force.
Au moment où il s'engagea dans la
ruelle, il entendit un coup de cloche,
puis un second.
— Tiens, pensa-t-il, serait-ce déjà
minuit?
Machinalement, il se mit à compter.
— Trois, quatre, cinq.
Il songea :
- Comme les coups de cette cloche
sont espacés! quelle lenteur! — Six.
Sept.
Et il fit cette remarque :
— Quel son lamentable ! — Huit,
neuf. — Ah ! rien de plus simple. Etre
dans une prison, cela attriste une hor-
loge. — Dix. — Et puis, le cimetière
est là. Cette cloche sonne l'heure aux
vivants et l'éternité aux morts. — Onze.
— Hélas ! sonner une heure à qui n'est
pas libre, c'est aussi sonner une éternité !
— Douze.
Il s'arrêta.
— Oui, c'est minuit.
La cloche sonna un treizième coup.
Ursus tressaillit.
— Treize !
Il y eut un quatorzième coup. Puis un
quinzième.
— Qu'est-ce que cela veut dire?
Les coups continuèrent à longs inter-
valles. Ursus écoutait.
— Ce n'est pas une cloche d'horloge.
C'est la cloche Muta. Aussi je disais:
Comme minuit sonne longtemps ! cette
cloche ne sonne pas, elle tinte. Que se
passe-t-il ici de sinistre ?
Toute prison autrefois, comme tout
monastère, avait sa cloche dite Muta,
réservée aux occasions mélancoliques.
La Muta, « la muette », était une cloche
tintant très-bas, qui avait l'air de faire
son possible pour n'être pas entendue.
Ursus" avait regagné l'encoignure
commode au guet, d'où-il avait pu, pen-
dant. une grande partie de la journée,
épier la prison;
Les tintements se suivaient, à une lu-
gubre distance l'un de l'autre.
Un glas fait dans l'espace une vilaine
ponctuation. Il marque dans les préoc-
cupations de tout le monde des alinéas
funèbres. Un glas de cloche ressemble à
un râle d'homme. Annonce d'agonie. Si,
dans les maisons, çà et là, aux environs
de cette cloche en branle, il y a des rê.
veries éparses et en attente, ce glas les
coupe en tronçons rigides. La rêverie
indécise est une sorte de refuge ; on ne
sait quoi de diffus dans l'angoisse permet
à quelque espérance de percer ; le glas,
désolant, précise. Cette diffusion, il la
supprime, et dans ce trouble, où l'in-
quiétude tâche de rester en suspens, il
détermine des précipités. Un glas parle
à chacun dans le sens de son chagrin on
de son effroi. Une cloche tragique, cela
vous regarde. Avertissement. Rien de
sombre comme un monologue sur lequel
tombe cette cadence. Les retours égaux
indiquent une intention. Qu'est-cl' que
ce marteau, la cloche, fovge sur cette en-
clume, la pensée?
Ursus, confusément, Cùltlptait, bien
que cela n'eût aucun but, les tinteruen't,g
N* 140. z,-- Mardi 5 octobre 1869 Le numéro : 15 c. — Départements : 20 c. 14 vendémiaire an 78. — N* 140.
> RÉDACTION
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DANS LES CONSEILS DE L'EMPIRE
Le complot de décembre 4851 se trou-
vait tout d'abord en présence de grandes
forces morales impossibles à gagner, dif-
ficiles à vaincre. Il avait devant lui, con-
tre lui, obstacles insurmontables , de
hautes illustrations parlementaires et mi-
litaires, des caractères et des gloires.
Parmi ses adversaires et ses ennemis les
plus menaçants et les plus redoutables,
il comptait des généraux, des officiers
supérieurs, victorieux et populaires, Ca-
vaignac, Changarnier, Bedeau, Charras,
Lefiô, Lamoricière. Comment venir à
bout de ces hommes qui ne représen-
taient pas seulement la loi et le droit,
qui étaient aussi des influences et des
puissances ? Pouvait-on, comme le vain-
queur de Marengo au dix-huit brumaire,
-' m .servir contre eux dej'armée? ils étaient
flux-mêmes l'armée ! ils en étaient la tête
et l'honneur ! Que faire ? quelle force ma-
jeure, matérielle et brutale, employer
contre ces autorités et ces renommées ?
Une seule était possible, si honteuse
et si imprévue qu'ils n'y pensaient pas,
qu'ils ne s'en défiaient pas, qu'ils ne s'en
défendaient pas :
La police.
On mit à la préfecture de police le
sieur Maupas ; le sieur Maupas fit la leçon
à ses. commissaires ; les commissaires
'prirent leurs sergents, leurs agents, la
brigade dite de sûreté ; et, de nuit, dans
le sommeil de Paris, en rasant silencie
sement les murailles, ces 'bandes s'en
allèrent s'emparer chez eux, par sur-
prise, des représentants inviolables de
la nation et des chefs illustres de l'ar-
ntée.
Ils étaient plus que désarmés, ces ter-
ribles adversaire, ils étaient endormis.
On força leurs portes, on envahit leurs
domiciles, on les entraîna, on les em-
porta demi-nus.
Les mandats d'arrêt décernés contre
eux par le préfet de police étaient tous
ingénieusement motivés sur l'accusation
de n complot contre la sûretéde l'Etat. »
Le commissaire de police Lerat fut
celui qui « empoigna » le général Chan-
garnier. Ses agents rencontrent dans
l'escalier un domestique, la clé de l'ap-
partement à la main, ils la lui arrachent,
font invasion dans la chambre du géné-
ral, le trouvent un pistolet à la main, se
précipitent sur lui, le désarment, le jet-
tent dans une voiture. A Mazas !
Le commissaire de police Blanchet fit
l'affaire du général Lamoricière. Il le
prend en sursaut dans son sommeil, le
fait porter dans un fiacre, Lamoricière,
sur la route, met la tête à la portière, le
commissaire le rejette en arrière, tire un
bâillon de sa poche. - Au premier mot,
il le bâillonnera!
Le général Cavaignac tomba au com-
missaire de police Colin. Le colonel Char-
ras fut arrêté par le commi&sairs de po-
lice Courteillë, dans les circonstances les
plus douloureuses et les plus tragiques.
Le commissaire de police Hubault
jeune fut chargé de mettre la main sur
le général Bedeau. Ce ne fut pas préci-
sément facile. Le général protesta et ré-
sista. Quand il se fj*t„ lentement. habillé.»»
il se posta debout, contre la cheminée,
et dit : a Je ne sortirai d'ici que si vous
m'en arrachez. Voyons si vous oserez
traiter comme un malfaiteur le général
Bedeau, vice-président de l'assemblée
nationale? » La fière attitude et l'accent
indigné du soldat firent hésiter les
mouchards. Mais le commissaire Hu-
bault leur donna l'exemple, et prit le gé-
néral au collet. Ce fut alors à qui le sai-
sirait, le pousserait, le trainerait, par son
appartement et dans l'escalier, jusqu'à la
rue, jusqu'à la voiture. Il se débattait, il
criait : A la trahison! à l'aide ! Des pas-
sants accoururent pour le délivrer. A ce
moment, toute une escouade de sergents
de ville s'abattit, l'épée à la main, sur
ces courageux citoyens, et dispersa sans
peine et sans risque leur petit nombre.
Et ce fut fini, la résistance n'eut plus
dès lors à s'appuyer sur les troupes ; les
généraux que les soldats connaissaient,
qu'ils auraient entendus et suivis, n'é-
taient plus là pour les éclairer, pour les
•«©«lever,- pour les conduire ; en I~S
aux chefs vendus; le coup était fait ; l'ar-
mée était comme décapitée; sa force aveu-
gle eut aisément raison du peuple.
Qui obtint ce résultat? qui exécuta ce
coup de main, trop noblement peut-être
appelé coup d'Etat? qui vainquit, dans
ses chefs, l'armée?
La police.
La police, par son expédition nocturne,
gagna plus que la victoire, elle empêcha
le combat.
On peut dire que la police, dans cette
nuit là, fit l'empire.
Ce fut le commencement cl uvrègne.
Aujourd'hui, à son autre extrémité, à
celle qui est plus proche et qui nous
touche, il semble que l'empire veuille
encore une fois appeler à son aide la po-
lice, sa premier^auxiliaiEfi et sa bonne
complice,
Aujourd'hui, M. de Maupas s'appelle
Piétri. Il est Corse. Il a, dans ses escoua-
des et dans ses brigades considérable-
ment accrues, enrôlé nombre de Corses.
Cette troupe, composée on sait comment,
seule armée dans la foule sans armes,
se carre et s'étale forte de ses services,
fière de son pouvoir, sûre de son impu-
nité, et, n'ayant conscience, intelligence
et peur de rien, est prête à tout.
Depuis trois ou quatre mois surtout,
la police a la grosse part et le grand
rôle.
Après les élections de juin on sait
quelles furent ses prouesses. Paris fut
pendant plusieurs jours son champ de
bataille et sa proie. Elle éleva le casse-
tête à la hauteur d'une institution. Les
blouses blanches se répandirent par la
ville, brisèrent les devantures, cassèrent
les réverbères, brûlèrent les kiosques.
Après quoi, les sergents de ville, en nom-
bre invraisemblable, firent les charges et
les poussées qu'on se rappelle, fendirent
les têtes, pochèrent les yeux, jetèrent les
citoyens au tas dans les geôles et dans les
casemates, et, avec une brutalité et une
cruauté sans exemple, triomphèrent
sauvagement sur toute la ligne des boule-
vards et des quais.
Si bien que la cavalerie de/Versailles,
Inrrrpi'iia arpiyayink juin; fui»
reçue et acclamée comme le secours et la
délivrance, et que je sais des irréconci-
liables qui battirent des mains à son en-
trée.
En même temps, la tradition de 1851
était renouvelée et renouée, de M. Mau-
pas à M. Piétri, quant aux mandats d'ar-
rêt pour « complot contre la sûreté de
l'Etat. » Les écrivains des journaux dé-
mocratiques, les membres du comité de
l'opposition radicale étaient décrétés d'ar-
restation, mis en cellule et au secret, et,
sans raison, sans but, sans interroga-
toire, détenus à Mazas, qui des jours,
qui des mois, qui des semaines.
Ils réclamaient à grands cris une en-
quête. Ce fut alors qu'on accorda à la
police l'amnistie.
Et maintenant, l'auteur de tous ces
abus de pouvoir, le Maupas de 1869,
croit-on qu'il soit, sinon tombé publique-
ment en disgrâce, du moins terni pru-
dttmannt il iiwIfAfe Bito, oui? •«-.
Quand l'empereur, malade, ne rece-
vait personne, quand les ministres n'é-
taient admis qu'un à un et seulement
pour quelques minutes, quand M. Rouher
lui-même s'en retournait parfois sans
avoir aperçu le maître, les journaux of-
ficiels et officieux n'ont jamais manqué
de nous annoncer chaque matin que le
chef de l'Etat avait « travaillé » avec
qui ?avec le préfet de police, M. Piétri.
Samedi, il se tient à Saint-Cloud un
des plus importants conseils qui aient eu
lieu depuis vingt ans ; tous les ministres
sont présents ; la séance dure cinq heu-
res d'horloge. On n'y a cependant pas
convoqué M. Schneider, le dernier prési-
dent du corps législatif, assez intéressé
pourtant dans la question discutée ; on
n'y a pas même admis M. Rouher, le
président du Sénat. Mais les journaux
dévoués nous apprennent que, par ex-
ception et dérogation, on a eu le soin et
l'attention d'y insdjar <^ii?J^LPiéici, L&
préfet de police.
Eh bien, nous trouvons que le décret
de convocation des chambres était un
défi suffisant sans cette nouvelle menace.
N'était-ce pas assez de dire au suffrage
universel :
« Tu n'es plus rien, et je suis tout. J'in-
terprète et je pratique la loi selon mon
caprice ou mon intérêt sans que tu aies à
t'en occuper. Ton droit même, je te le
mesure comme il me plait, et, quand cela
me convient, je te le retire. Tes manda-
taires, je les appelle et je les renvoie, je
les ajourne et je les chasse à mon gré. »
Cette injure était assez humiliante, il
n'était pas nécessaire d'ajouter :
«Je te conseille cependant, peuple sou-
verain, de ne pas t'irriter, de ne pas te
fâcher. Si tu avais cette velléité impru-
dente, réfléchis, souviens-toi, vois qui
j'ai à mon côté. Je ne rends pas mes dé-
crets sans prendre mes précautions. Je
n'enverrais pas contre toi, comme les
gouvernants de 1830 et de 1848, les sol-
dats, parfois plus à plaindre que les ou-
vriers, et qu'il est possible de tourner et
de toucher. L'armée, c'est trop ou trop
peu; je me contente de la police. Contre
les émeutes je préfère de beaucoup au
sabre qui tue, la canne plombée qui as-
somme, et la présence de M. Piétri te
pourra rappeler que je saurais réprimer
tetentativesde révolte noft à Mups de
feu mais à coups de poings.)
ê
Paul Meuriee.
71e LANTERNE
Les journaux racontent que l'empereur
se fait instruire jour par jour des moindres
incidents de l'affaire Troppmann.
On ne dit pas s'il apporte la même curio-
sité à l'affaire Kératry.
Il est vrai qu'on se sert du bruit que fait
l'une pour étouffer l'autre. Aussi Tropp-
mann peut-il dormir tranquille : il est passé
à l'état d'homme nécessaire.
Si on osait faire durer son procès seule-
ment une quinzaine d'années, ce ne serait
certes pas le pouvoir qui s'y opposerait.
—. Pardon ! fera M. de Kératry en s'adres-
sant aux ministres, je voudrais interpeller
le gouvernement sur les événements du
Mexique auxquels j'ai assisté et qui ont
été mensongèrement racontés à la tribune
par M. Rouher.
— Je vous écouterais avec le plus grand
plaisir, répondra M. Roquet de la Forcade,
mais on m'annonce que M. Troppmann
vient de faire une révélation. Tout s'efface
devant une aussi grave nouvelle.
Alors, veuillez me dire pourquoi nous
avons été si longtemps prorogés sans motif
avouable. Vous avez donc peur du suffrage
universel ?
— Le suffrage universel?. la proroga-
tion?. quoi, qu'est-ce? Vous ne; savez donc
pas que le cadavre de Kinck père vient
d'être découvert dans un champ d'oseille..
Si Troppmann qui paraît tenir à la vie,
Vëttt prolÓngèr indéfiniment la sienne', il
n'a qu'à échelonner ses aveux de façon à
embrouiller la procédure, rétracter le len-
demain ses déclarations de la veille, inven-
ter des complices qu'il n'a pas et dissimuler
ceux qu'il peut avoir. Il n'y a pas de doute
qu'il n'atteigne ainsi en prison les limites
de la plus-extrême vieillesse.
Je n'ai pas à donner de conseils au jeune
assassin d'Aubervilliers, qui paraît assez
résolu pour s'en passer, mais à sa place, je
mènerais l'existenee belle et joyeuse. Je me
ferais servir quatre plats à mon déjeuner,
six Si mon dîner, avec café, pousse-café,
Champagne, liqueurs et des femmes au des-
sert.
Et si on me refusait quoi que ce soit, je
menacerais de mettre subitement fin à l'in-
struction en me suicidant.
Ce qui me frappe dans l'incurie dont la
police a fait preuve à l'égard des coupables
du crime de Pantin, c'est que si les recher-
ches n'ont pas abouti à la découverte de
toutes les victimes, elles ont amené celle de
plusieurs cadavres de gens assassinés et
dont les assassins n'ont jamais été inquiétés.
On sait maintenant que sur dix meurtres,
c'est à peine si M. Pietri met la main sur un
coupable.
Il faut reconnaître aussi qu'il a fait ar-
rêter un si grand nombre d'innocents que
son zèle compense largement son manque
■d'intolligantÉto»"*. ■» m «m 1 "If' If»." oh""-
Notez que l'assassinat de Pantin était
combiné, prémédité et machiné depuis des
mois ; que le meurtrier écrivait des lettres,
en recevait sous un faux nom; allait tou-
cher, au moyen de signatures falsifiées, des
sommes qui appartenaient à ses victimes,
sans que personne se soit seulement ému à
la préfecture de ses marches et contre-
marches.
Ce ne sont pourtant pas les scrupules qui
empêchent les agents d'ouvrir les corres-
pondances.
Quand on passe pour préférer la Répu-
blique à l'empire, le secret de vos missives
est violé comme une simple constitution.
Lorsqu'au contraire on écrit à ses amis pour
les inviter à venir faire la partie d'étrangler
huit personnes, la direction générale des
postes se reprocherait toute sa vie de se
permettre de troubler vos projets.
De sorte qu'à choisir, le gouvernement
préfère de beaucoup un assassin à un ré-
publicain.
Je lis dans un journal que l'empereur a
été, aux courses du bois de Boulogne, ac-
cueilli plutôt par des marques de sympa-
thie que' par des acclamations.
Je serais désireux de savoir en quoi peu-
vent consister des marques de sympathie
adressées à un homme à qui personne ne
peut adresser la parole et de qui personne
ne peut s'approcher, puisqu'il est entouré
d'une nuée d'agents.
J'en conclus que les marques de sympa-
thie ont consisté principalement dans cette
réflexion générale :
u Dieu 1 qu'il a mauvaise mine ! »
Une feuille agréable du soir raconte que
l'empereur dans une promenade qu'il a
faite aux environs de Garches, a cueilli une
grappe de raisins qu'il a mangé séance te-
nante.
A-t-il avalé les peaux ? Cette question est
l'objet d'une enquête.
Moi, qui le connais un peu, je suis con-
vaincu qu'il ne les a pas avalées. Depuis
dix-huit ans, il a l'habitude de prendre tout
ce que nous avons de meilleur à manger et
de nous laisser les épluchures.
S'il faut en croire le bruit public, le
comte de Chambord serait autorisé à fouler
de nouveau le sol français, qu'il a quitté à
l'âge de dix ans.
Pourquoi le comte de Chambord plutôt
que Ledru-Rollin, le comte de Paris ou le
duc d'Aumale? Cette fantaisie de malade
doit avoir été inspirée par l'impératrice,
qui, comme on sait, a voué une sorte de
culte à Marie-Antoinette et à son auguste
famille.
Seulement, le convalescent de Saint-
Cloud n'a pas réfléchi que le trône qu'il oc-
cupe appartient au petit-neveu de cette
même Marie-Antoinette, que les Français
ont eu l'infamie de déposséder de son
trône.
S'il permet à cet héritier légi è
trer en France, il ne peut lui confisq^c^
trône, sans se déclarer moralement le corn-
Louis X @moi qqe4 oM
XVI.
Diapoléon III ne peut justifier la mesure
annoncée qu'en quittant le trône pour y
faire asseoir le duc de Bordeaux.
On parle du remplacement prochain de
M. de La Tour d'Auvergne comme ministre.
L'empereur, qui s'était séparé de M. Rou-
her les larmes aux yeux, avait voulu con-
server un peu d'Auvergne dans son entou-
tourage.
Mais M. Rouher, têtu comme un chancre,
étant rentré clandestinement au pouvoir,
l'Auvergne se trouve aujourd'hui suffisam.
ment représentée dans les conseils du gou-
vernement, et on sacrifie le moins utile.
Cette explication est absurde. Aussi est-
ce la seule qui soit un peu vraisemblable.
La lettre de Raspail, qui le premier au
Corps Législatif a prêché la résistance, pro-
duit une grande sensation.
On sait très-bien que le vieux socialiste
tiendra la promesse qu'il fait de se présen-
ter le 26 octobre, à une heure et demie, à
la porte du Corps législatif. N'est-ce pas
une humiliation cruelle pour les prétendus
revendicateurs de nos libertés, de se voir
devancés par un homme de 76 ans, qui a
passé sa vie dans les prisons et qui se trouve
encore, à l'heure où nous sommes, le plus
énergique de nos représentants.
Les électeurs font en ce moment circuler
une adresse invitant les députés de la Seine
à faire respecter la souveraineté nationale,
c'est-à-dire à se présenter comme Kératry,
Raspail, etc., le 26 octobre, à la grande
porte du Corps législatif.
Si les députés de Paris ne s'y présentent
pas, c'est qu'ils n'osent pas s'exposer aux
conséquences de cet acte important. Or,
comme ils ont été nommés pour s'exposer
à toutes les conséquences possibles du man-
dat qui leur est confié, s'ils ne se sentent
pas le cœur d'aller jusqu'au bout, ils n'ont
qu'un parti à prendre : donner leur démis-
sion.
Sans quoi, ils se trouveront prochaine-
ment dans cette alternative également fâ-
cheuse : ou d'être dissous par un coup d'B-
tat ou d'être cassés par le peuple.
Heuri Rochefort.
Deux manifestes, deux actes : 1
l:AvenÙ' national publie la lettre sui-
vante : *
Bon-Port-sous-Montreux, en Su!:
1" octobre 1869.
Mon cher ami,
Le suffrage universel, ce maître des maîtres,
est déjà depuis trop longtemps tenu en échec
par le pouvoir exécutif, qui n'est en somme que
sa périssable créature.
Il faut en finir.
Il faut que l'ordre véritable issu de la souve-
raineté nationale reprenne l'empire et s'impose
à tous. 11 faut que les députés du peuple met-
tent eux-mêmes un terme à une scandaleuse
prorogation.
Empereur, ministres, sénateurs n'ont ni le
droit ni la faculté de jouer indéfiniment le suf-
68 feuilleton du BAIPPBL
DU OCTOBRE 1869
L HOMME QUI RIT
DEUXIÈME PARTIE
PAR ORDRE DU ROI
LIVRE SIXIEME
ASPECTS V Â RI É S )). U lU;{J S
IV
MfÊutbiis HurillN campa usi muta.
Ursus palpa le feutre du chapeau, le
drap du manteau, la serge du capingot,
le cuir de l'esclavine, ne put douter de
Reproduction interdite.
Voir iee numéros du H mai au. 5 Juin (f volume);
du 30 juin au 14 août (2* volume; ; du 19 août au
30 septembre ^3e volume); des 1er, 2 et 4 octobre
'v4*voli«uj. cl
cette défroque, et d'un geste bref et im-
pératif, sans dire un mot, désigna à
maître Nicless la porte de l'inn.
Maître Nicless ouvrit.
Ursus se précipita hors de la taverne.
Maître Nicless le suivit des yeux, et
vit Ursus courir, autant que le lui per-
mettaient ses vieilles jambes, dans la di-
rection prise le matin par le wapentake
emmenant Gwynplaine.
Un quart d'heure après, Ursus essouf-
flé arrivait dans la petite rue où était
l'arrière-guichet de la geôle de South-
wark et où il avait passé déjà tant
d'heures d'observation.
Cette ruelle n'avait pas besoin de mi-
nuit pour être déserte. Mais, triste le
jour, elle était inquiétante la nuit. Per-
sonne ne s'y hasardait passé une certaine
heure. Il semblait qu'on craignît que les
deux murs ne se rapprochassent, et
qu'dn ett peur, s'il prenait fantaisie à
la prison et au cimetière de s'embrasser,
d'être écrasé par l'embrassement. Effets
nocturnes. Les saules tronqués. de la
ruelle Vauvert à Paris étaient de la sorte
mal famés. On prétendait que la nuit
ces moignons d'arbres se changeaient
en grosses mains et empoignaient les
passants.
D'instinct le peuple de Southwark évi-
tait, nous l'avons dit, cette rue entre
prison et cimetière. Jadis elle avait été
barrée la nuit d'une chaîne de fer. Très
inutile ; car la meilleure chaîne pour fer-
mer cette rue, c'était la peur qu'elle
faisait.
Ursus y entra résolument. ,
Quelle idée avait-il ? Aucune.
Il venait dans cette rue aux informa-
tions. Allait-il frapper à la porte de la
geôle? Non certes. Cet expédient effroya-
ble et vain ne germait pas dans son cer-
veau. Tenter de s'introduire là pour de-
mander un renseignement ? Quelle folie !
Les prisons n'ouvrent pas plus à qui
veut entrer qu'à qui veut sortir. Leurs
gonds ne tournent que sur la loi. Ursus
le savait.
Que venait-il donc faire dans cette
rue? Voir. Voir quoi? Rien. On ne
sait pas. Le possible. Se retrouver en
face de la porte où Gwynplaine avait
disparu, c'était déjà quelque chose. Quel-
quefois le mur le plus noir et le plus
hourru parle, et d'entre les pierres une
lueur sort. Une vague transsudation de
clarté se dégage parfois d'un entasse-
ment fermé et sombre. Examiner l'en-
veloppe d'un fait, c'est être utilement
aux écoutes. Nous avons tous cet instinct
de ne laisser, entre le fait qui nous inté-
resse et nous, que le moins d'épaisseur
possible. C'est pourquoi Ursus était re-
tourné dans la ruelle où était l'entrée
basse de la maison de force.
Au moment où il s'engagea dans la
ruelle, il entendit un coup de cloche,
puis un second.
— Tiens, pensa-t-il, serait-ce déjà
minuit?
Machinalement, il se mit à compter.
— Trois, quatre, cinq.
Il songea :
- Comme les coups de cette cloche
sont espacés! quelle lenteur! — Six.
Sept.
Et il fit cette remarque :
— Quel son lamentable ! — Huit,
neuf. — Ah ! rien de plus simple. Etre
dans une prison, cela attriste une hor-
loge. — Dix. — Et puis, le cimetière
est là. Cette cloche sonne l'heure aux
vivants et l'éternité aux morts. — Onze.
— Hélas ! sonner une heure à qui n'est
pas libre, c'est aussi sonner une éternité !
— Douze.
Il s'arrêta.
— Oui, c'est minuit.
La cloche sonna un treizième coup.
Ursus tressaillit.
— Treize !
Il y eut un quatorzième coup. Puis un
quinzième.
— Qu'est-ce que cela veut dire?
Les coups continuèrent à longs inter-
valles. Ursus écoutait.
— Ce n'est pas une cloche d'horloge.
C'est la cloche Muta. Aussi je disais:
Comme minuit sonne longtemps ! cette
cloche ne sonne pas, elle tinte. Que se
passe-t-il ici de sinistre ?
Toute prison autrefois, comme tout
monastère, avait sa cloche dite Muta,
réservée aux occasions mélancoliques.
La Muta, « la muette », était une cloche
tintant très-bas, qui avait l'air de faire
son possible pour n'être pas entendue.
Ursus" avait regagné l'encoignure
commode au guet, d'où-il avait pu, pen-
dant. une grande partie de la journée,
épier la prison;
Les tintements se suivaient, à une lu-
gubre distance l'un de l'autre.
Un glas fait dans l'espace une vilaine
ponctuation. Il marque dans les préoc-
cupations de tout le monde des alinéas
funèbres. Un glas de cloche ressemble à
un râle d'homme. Annonce d'agonie. Si,
dans les maisons, çà et là, aux environs
de cette cloche en branle, il y a des rê.
veries éparses et en attente, ce glas les
coupe en tronçons rigides. La rêverie
indécise est une sorte de refuge ; on ne
sait quoi de diffus dans l'angoisse permet
à quelque espérance de percer ; le glas,
désolant, précise. Cette diffusion, il la
supprime, et dans ce trouble, où l'in-
quiétude tâche de rester en suspens, il
détermine des précipités. Un glas parle
à chacun dans le sens de son chagrin on
de son effroi. Une cloche tragique, cela
vous regarde. Avertissement. Rien de
sombre comme un monologue sur lequel
tombe cette cadence. Les retours égaux
indiquent une intention. Qu'est-cl' que
ce marteau, la cloche, fovge sur cette en-
clume, la pensée?
Ursus, confusément, Cùltlptait, bien
que cela n'eût aucun but, les tinteruen't,g
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