Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1869-07-04
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 juillet 1869 04 juillet 1869
Description : 1869/07/04 (N47). 1869/07/04 (N47).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7529765q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
N- 47. - Dimanche 4 juillet 1869.
Le numéro : 15 o. — Départements : 20 o.
RÉDACTION ¡ j
S'adresser au secrétaire de la rédaction
M. ALBERT BAUME
De 3 à 5 h. du soir
* 10, rue du Faubourg-Montmartre, 10,
* —
Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.
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Les abonnés nouveaux, de trois mois
au moins, à partir du 1er juillet, auront
droit à recevoir tout ce qui aura paru de
f Homme qui Rit, la première partie tout
entière et le commencement de la se-
conde partie. En librairie les volumes de
L'Homme qui Rit ne se vendant pas sépa-
rément, ne peuvent être acquis qu'au
prix de 30 francs.
Les numéros du Rappel ne doivent pas
être vendus plus de 15 centimes.
L'Esprit militaire et la Civilisation.
- Une voix qui, quand elle s'élève, a le
privifége auguste d'affecter les cours de
toutes les Bourses de l'Europe, disait, il y
a quelques jours : « L'histoire de nos
guerres, c'est l'histoire des progrès de la
civilisation. L'esprit militaire, c'est le
triomphe des nobles passions sur les pas-
sions vulgaires, c'est la fidélité au drapeau,
le dévouement à la patrie. »
De pareilles paroles sont-elles justifiées
par les faits? L'histoire de nos guerres se
confond-elle avec l'histoire de la civilisa-
tion, et l'esprit militaire a t-il toujours été
le triomphe des nobles passions sur les
passions vulgaires? C'est là ce que je
voudrais examiner, en rappelant aussi
brièvement que possible les choses accom-
plies par les troupes françaises depuis
quatre vingts ans.
1
De 4792 à 1799, c'est-à-dire depuis la vic-
toire de Valmy qui chasse les Prussiens de
la Champagne jusqu'à la victoire de Zu-
rich qui chasse les Russes de la Suisse,
l'oeuvre de nos soldats est de tout point ad-
mirable. A cette époque, l'esprit militaire
est d'accord avec le génie de la nation. Il
a toute l'abnégation et toute la générosité
du patriotisme. Il ne veut pas conquérir, il
n'aspire qu'à délivrer. L'armée alors ne fait
qu'un avec le peuple. Elle a pour généraux
Jourdan, un mercier; Gouvion-Saint-Cyr,
un comédien; Bessières, un perruquier;
Brune, un typographe; Joubert et Junot,
deux étudiants ; Masséna, le fils d'un mar-
chand ds vin ; Lefebvre, le fils d'un meu-
nier; Augereau, le fils d'un maçon; Hoche,
le fils d'un garde de chenil; Ney, le fils d'un
tonnelier; Murât, le fils d'un aubergiste;
Bonaparte, le fils d'un greffier. L'armée a
pour chant la Marseillaise, pour âme la Ré-
volution, pour drapeau la République.
Provoquée par la coalition qui veut ané-
antir Paris, elle.s'élance aux frontières pour
repousser l'étranger. Elle répond au ma-
nifeste du duc de Brunswick par une série
prodigieuse de victoires. Elle se bat à la
fois contre le roi d'Angleterre, contre le
roi de Prusse, contre le roi de Sardaigne,
contre le roi de Naples, contre le roi de
Suède, contre le roi d'Espagne, contre
l'empereur d'Allemagne, contre le czar de
toutes les Russies. Elle se bat pour tous les
peuples contre tous les tyrans. Ces droits de
l'homme que la Convention a promulgués
à Paris, elle les proclame à Bruxelles, à
Amsterdam, à Mayence, à Cologne, à Ge-
nève, à Turin, à Milan, à Naples et à Rome.
A l'image de la République française, elle
fonde la République batave, la République
cisalpine, la République cispadane, la Ré-
publique ligurienne, la République parthé-
nopéenne. Après avoir sauvé la patrie, elle
tente d'émanciper le monde.
11
A la fin de 1799 éclate le 18 brumaire.
Un soldat de génie qui a fail, au nom de la
République, la merveilleuse campagne
d'Italie, le défenseur de la Convention na-
tionale, le vainqueur d'Arcole, de Monte-
notte, de Rivoli et du 13 vendémiaire, s'em-
pare du gouvernement et emploie au profit
de son ambition personnelle les forces de la
Révolution. Il restaure tout ce qui a été dé-
truit en 92 : la monarchie, l'aristocratie, la
religion d'État. Il fait des légions de la Ré-
publique la vieille garde de l'empire.
Les prodiges que l'armée française ac-
complissait-naguère pour la délivrance des
peuples, elle les renouvelle alors pour leur
asservissement. Chacun de ses pas en avant
est un recuf pour la civilisation. La tribune
est renversée, le journal elle livre sont sou-
mis à la censura ; un corps législatif muet
remplace la Convention. Où il y avait des
hommes, il n'y a plus que dès sujets. La na-
tion expie par la perte de ses droits les ex-
ploits de ses enfants. Elle est la captive de ses
victoires. Marengo, Austerlitz, Iéna, Eylau,
Friediand, Eckmühl etWagramsont les an-
neaux de la chaîne immense qu'elle a forgée
pour le monde et qui pèse sur elle. La France
agrandie démesurément au détriment des
Pays-Bas, de l'Italie, de la Suisse et de
l'Allemagne ; la France, qui a des préfets à
Bruxelles, à Amsterdam, à Hambourg, à
Genève t t à Rome; cette France mons-
trueuse qui s'étend des bords du Tibre aux
rives de l'Elbe, ne domine l'Europe qu'en
la mutilant; avec des lambeaux de peuple,
elle improvise autour d'elle des royautés
vassales et des principautés feudataires.
Elle impose Berthier à Neufebâlel, Talley-
rand à Bénévent, Bernadotte à Pontecorvo.
Elle fait trôner Eugène à Milan, Jérôme en
Westphalie, Murat à Naples, Joseph à Ma-
drid. Après avoir été l'espoir des nations,
la France en est devenue l'épouvante.
A ce moment, l'esprit militaire est con-
tre toutes les idées généreuses pour les-
quelles il combattait naguère. Il fait la
guerre à tous les droits de l'homme. Il a
pour ennemis les principes mêmes de la
société moderne, la liberté de la parole, la
liberté de lapresse, la liberté de la pensée,
la liberté de la conscience, la liberté civile,
la liberté politique, la liberté religieuse,
l'indépendance des peuples. Il blesse la
philosophie, il offense la nature, il outrage
la civilisation, il s'attaque à la destinée, il
livre bataille à l'avenir. Et, comme l'a-
venir est invincible, il faut que l'esprit
militaire succombe. Inexorable fatalité !
pour que le monde asservi respire, pour
que les nations soient rendues à elles-
mêmes, pour que les esprits et les âmes
soient émancipés, pour que le progrès in-
terrompu reprenne sa marche, pour que
l'histoire soit logique, pour que le dix-
neuvième siècle continue le dix-huitième,
pour que la raison ait le dernier mot, pour
que l'humanité triomphe, Waterloo, hélas 1
est nécessaire.
II
Sous la Restauration, l'esprit militaire
expie cruellement ses folies. Le maréchal
Brune est assassiné ; Ney, le héros de la
Moskowa, est fusillé comme un trditre;
Napoléon agonise à Sainte-Hélène. L'enne-
mi campe pendant quatre ans sur notre ter-
ritoire. La France est gardée à vue par
l'Europe. Les volontaires de la République,
les vétérans de l'empire vont à confesse et
font pénitence. Les grognards, qui se mo-
quaient des capucinades, implorent à ge-
noux l'absolution. La caserne n'est plus que
l'antichambre de la sacristie. Le jésuitisme
distribue les grades et dresse la liste des
promotions. Le vainqueur du Trocadéro
remplace, comme généralissime, le triom-
phateur d'Austerlitz. Les soldats de la vieil-
le garde exécutent les ordres de la Sainte-
Alliance, et tout à l'heure ils entreront en
Espagne pour - y restaurer -- ce stupide Fer-
dinand VII qu'ils en ont chassé en 1808. La
mesure de l'humiliation est comble. L'ar-
mée s'indigne sourdement. L'esprit mili-
taire, converti, se rapproche du génie ré-
volutionnaire. Des pégiments entiers s'affi-
lient en secret au carbonarisme qui pré-
tend rétablir la Constitution républicaine de
l'an III. Alors éclatent les conspirations de
Béfort, de Saumur, de La Rochelle, et qua-
tre sergents héroïques saluent la mort du
cri de : Vive la libertél
L'heure décisive approche. Attendez les
provocations suprêmes de la cour, atten-
dez que Charles X affolé chasse les 221,
renverse la tribune et suspende la liberté
de la presse; attendez que Paris se soulève
et se hérisse de barricades, et vous verrez
nos soldats, dans un généreux élan, se sous-
traire à l'obéissance passive et laisser le dra-
peau b'anc pour le drapeau tricolore. Vous
verrez le 5e et le 53° de ligne, massés sur la
p^ce Vendôme autour de la colonne, dé-
sobéir fièrement à Marmont et se mettre
aux ordres du gouvernement provisoire.
Défection pathétique qui consommera la
Révolution de 1830, en jetant l'armée dans
les bras de la nation !
III
Les espérances que la Révolution de Juil-
let a fait concevoir aux peuples opprimés
sont bien vite déçues. Les intérêts les plus
élevés de la civilisation1 sont sacrifiés à Une
politique étroitement dynastique. C'est tout
au plus si Louis-Philippe ose porter secouts
à la Belgique soulevée contre la Hollande.
L'armée française assiste, l'arme au bras, à
l'égorgement de la Pologne et à l'écrase-
ment de l'Italie. Ne pouvant faire la grande
guerre, elle doit se contenter de la petite.
On respectera Nicolas, ID ds on combattra
Abd-el Kader. On ne touchera pas à Varso-
vie, mais on prendra Constantine. On con-
cèdera le droit de visite à l'Angleterre, mais
on sera très-hautain avec le Maroc. Et le
butin de la blfa;lle d'Isly devra compenser
l'indemnité Pritchard.
Cependant cette politique mesquine pro-
voque de profonds ressentiments. L'oppo-
sition s'exagère, les attestais se multiplient,
les républicains s'insurgent, les bonapar-
tistes conspirent. Un jeune homme, pros-
crit depu:s vingt-cinq ans par la grandeur
formidable du nom qu'il porte, croit le
moment venu de tenter un soulèvement et,
débarquant à Boulogue par une belle mati-
née d'août, provoque l'armée à l'insurrec-
tion dans une proclamation indignée :
« Soldats ! la France est faite pour com-
» mander, et elle obéit. Vous êtes l'élite du
» peuple, et on vous traite comme un vil
» troupeau. Vous êtes faits pour protéger
» l'honneur national, et c'est contre vos
» frères qu'on tourne vos armes. Ils vou-
» draient, ceux qui vous gouvernent, avilir
» le métier du soldat. Vous vous êtes indi-
» gnés et vous avez cherché ce qu'étaient
» devenues les aigles d'Arcole, d'Auster-
» Iitz, d'Iéna. Ces aigles, les voilà ; je vous
» les rapporte; reprenez-les; avec elles vous
» aurez gloire, honneur, fortune et, ce qui
» est plus que tout cela, la reconnaissance
» et l'estime de'vos concitoyens. Soldats!
» la grande ombre de l'empereur Napoléon
» vous parle par ma voix! Hâtez-vous, pen-
» dant qu'elle traverse l'Océan, de ren-
» voyer les traîtres et les oppresseurs. Mon-
» trez-lui, à son arrivée, que vous êtes les
» dignes fils de la grande armée et que vous
» avez repris ces emblèmes sacrés qui, pen-
» dant quarante ans, onf fait trembler les
» ennemis de la France, parmi lesquels
» étaient ceux qui vous gouvernent aujour-
» d'hui. -
» Soldats ! aux armes ! vive la France ! »
«
L'armée resta sourde à ce chaleureux
appel ; les offres d'avancement, les suppli-
cations, les menaces, les séductions des
plus magiques souvenirs ne purent préva-
loir- contre la discipline militaire. Aux cris
séditieuxde : Vive l'empereur! le 42° de ligne,
malgré la défection d'un de ses lieutenants,
répondit par le cri légal : Vive le rot! vive
la charte! La conspiration avorta et le chef
des conjurés fut condamné à ls prison par
des pairs qui avaient été sénateurs sous le
premier empire et qui le redevinrent sous
le second.
IV
Onze ans après cet événement, le prison.
nier de Ham, appelé par le suffrage univer-
sel à la présidence de la République, re-
nouvelle à Paris la tentative oui a échoué à
Boulogne et à Strasbourg. L'armée, qui lui
a refusé son concours en 1840, le lui prête
en 1851. Cette même armée française, qui
a respecté la charte de 1830 votée par les
députés du suffrage restreint, ne respecte
pas la Constitution de 1848 votée parles élus
du suffrage universel. Elle prête main-forte
au coup d'Etat. Plus de tribune. Plus de
presse libre. Plus d'assemblée souveraine.
La République fait place à l'empire. Les
destinées de la France sont soumises à une
volonté unique.
L'esprit militaire est désormais tout-
puissant. Il ne sera plus gêné par les chi-
canes du parlementarisme. Il ne sera plus
embarrassé par l'opposition mesquine des
idéologues et des avocats. Il a fait table
rase du passé, et il a carte blanche pour
l'avenir. Que va-t-il se passer! Quelles
gloires l'esprit militaire nous réserve-t il
en compensation des libertés qu'il nous a
ravies ?
Les beaux jours du chauvinisme sont
revenus. Nous nous rappelons malgré nous
toutes les grandeurs guerrières d'autrefois.
Nous nous prenons à rêver de Marengo,
d'Austerlitz et d'Iéna. Nous songeons va-
guement à la domination du monde, et
nous entrevoyons en imagination des par-
terres de rois offerts aux comédiens ordi-
naires de l'empereur.
En réalité, que voyons-nous?
C'est d'abord la stérile campagne de Cri-
mée qui sacrifie cent mille braves à là dé-
molition d'une forteresse que la Russie a
déjà rebâtie. Puis l'expédition de 1859,
inaugurée par deux belles victoires, mais
arrêtée à mi-chemin par une paix fatale qui
va jeter l'Italie éperdue dans les bras de la
Prusse. Puis l'expédition de Chine qu'illus-
tre si douloureusement le pillage du palais
d'été de Pékin, ce Versailles de l'Orient.
Puis la désastreuse expédition du Mexique
qui aboutit au deuil de Quérétaro, et au
deuil, plus profond encore du château de
Laeken. Enfin, la lamentable bataille de
Mentana, où les chassepots fusillent ces
vaillants garibaldiens qui, il y a dix ans,
.servaient d'avant garde à nos légions.
Que voyons-nous encore? Nos plus fidè-
les alliés abandonnés ; le Danemark. livré à
l'Allemagne, Rome livrée au pape, la Polo-
gne prostiiuée au czar, la Grèce sacrifiée
au sultan, et la France diminuée de tout le
prodigieux accroissement de la Prusse.
L'amoindrissement de la nation, voilà
l'indemnité offerte par l'esprit militaire à
la nation asservie!
Cette grande armée française, qui jadis
était la terreur de toutes les tyrannies, sert
aujourd'hui de cortège au gouvernement
personnel. Sa bravoure légendaire, sa
loyauté proverbiale, son abnégation stoï.
que, sa discipline inflexible, ses prouesses
passées, ses exploits futurs, ses triomphes
possibles et impossibles, - son histoire, sa
fierté, sa dignité, sa gloire, son honneur,
l'armée française met tout cela au service
d'un caprice souverain. Où est le temps où
elle ne servait que la nation et où elle ne
demandait de mots d'ordre qu'à la liberté!
François-Viçtor Hugo.
LE FEU EST OUVERT
A la chambre hier, séance terne, au
commencement. Insignifiant défilé de pro-
cès-verbaux d'élections non contestées,
et ritournelle de serments accentués dans
toutes les gammes de la voix humaine.
*.
Haute Loire, M. Guyot de Montpayroux,
secrétaire provisoire. Légère émotion. M.
Guyot a lu comme le public de malveillan-
tes chroniques annonçant que son élection
serait contestée; il sait sans doute à quoi s'en
tenir et connaît les conclusions du rappor-
teur. Son attitude néanmoins trahit des in-
quiétudes dont il ne peut se défendre, et le
secrétaire se sentirait plus à l'aise sur la
banquette du député assermenté.
Aucune protestation ne se produit; voilà
M. Guyot de Moûtpayroux député incontesté.
Reconnaissons que son premier mouve-
mont est d'aller prendre possession de la
place qu'il a retenue dans les rangs de l'ex-
trême gauche. C'est une promesse. La tien-
dra-t-il ?
t
- * *
Après les formalités accomplies, on de-
mande le serment à M. Napoléon Daru.
Nous nous rappelons que, vers 1835, il était
une des espérances du jeune règne; c'était
un des familiers du duc d'Orléans, qui lui
destinait un ministère.
C'est presque un vieillard à cheveux
blancs qui se lève, et qui, d'une voix rési-
gnée, prête le serment obligatoire àvun ré-
gime autre que celui qu'il avait rêvé.
*
* *
L'ordre alphabétique appelle enfin la vé-
rification des élections des Pyrénées-Orien-
tales ; le rapporteur conclut à la validation
en faveur de M. Durand, candidat officiel.
— Mais il y a des protestations et de sérieu-
ses ! s'écrie M. Jules Simon; j'ai entre les
mains tout un dossier qui ne peut être que
le duplicata de celui qui a été remis au bu-
reau. »
Ni le bureau ni le rapporteur n'ont rien
reçu. M. Jules Simon demande un ajourne-
ment; tout ce que la majorité lui accorde,
c'est de discuter au pied levé une élection
qu'il croyait jointe aux élections contestées
et dont il pensait avoir le temps d'étudier
les pièces.
*
C'est une improvisation qu'on exige de
l'orateur démocrate; tant pis pour ceux qui
ont cru le désarçonner ! Il y a un premier
point à relever dans l'ensemble des faits
qui peuvent vicier cette élection; on a évo-
qué le spectre du 2 décembre, et fiux trans-
portés de cette époque, à leurs femmes, à
leurs enfants, on a dit : Souvenez-vous !
Ce que Jules Simon a dit à ce sujet d'une
voix émue presque jusqu'aux sanglots, nous
nous garderons bien de le reproduire; c'est
la sténographie officielle qui en donnera
connaissance à nos lecteurs.
* *
Cette élection des Pyrénées-Orientales,
qui a failli passer sans protestation, est tout
un drame shakespearien, le tragique y
coudoie la comédie. Mais Jules Simon a
toutes les notes, et l'ironie lui est aussi fa-
cile que la colère éloquente. Voilà donc
sur sa sellette M. Durand, le banquier mil-
lionnaire, candidat libéral en 1863, candi-
dat officiel en 1869, mais fidèle à ses procé-
dés de propagande, et pratiquant sous tous
les drapeaux ce que dans le pays on appelle
le râtelier électoral, c'est-à-dire liesse et ri-
paille à tout électeur de bon estomac et de
bonne volonté.
M. Jules Simon n'avait qu'à lire des
protestations et des déclarations ; il les a
lues comme il sait lire.
Msis la rési/tance de.la majorité animant
l'orateur, il s'est vite élevé par l'indignation
à la plus fière éloquence. Il a sommé, à un
moment, le président de faire rendre jus-
tice aux députés; « autrement les députés
seraient obligés de faire justice eux-mêmes.»
Il a déclaré à la majorité qu'entre elle et
l'Opposition « il y avait des abîmes. »
Le centre droit a dû se repentir d'avoir
essayé de classer l'élection de M. Durand
parmi les élections qu'on ne conteste pas.
Que sera-ce donc de celles qui seront con-
testées?
L'enquête régulière eût été à coup sûr
moins passionnée. La suite de la discussion
a dû être remise à demain, l'élection sera
certainement renvoyée au bureau.
En attendant, et pour une rencontre d'es-
carmouche, voilà toujours le feu ouvert.
Paul Meurice.
u
AUTOUR DE LA CHAMBRE
Les pouvoirs de cent cinquante députés
seront probablement vérifiés à la fin de la
séance de samedi.
Par suite, les interpellations pourront se
produire lundi, puisque, par la validation
de la moitié plus une des élections, la
Chambre est légalement constituée.
*
* *
• •
M. Magnin paraît devoir être nommé se-
crétaire de la chambre. Le centre gauche
porte sur sa liste : MM. Bournat, de Dal-
mas, Gorsse, Quesné, Martel et Magnin.
*
* *
Dans la pensée des promoteurs de la de-
mande d'interpellations que signe le centre-
gauche, cette manifestation n'est qu'un pre-
mier pas vers la constitution d'un parti qui,
prenant l'initiative d'un mouvement libéral
peu accéléré, donnant aux aspirations du
pays des semblants de satisfaction, annule-
lerait la véritable opposition, dominerait la
chambre et tiendrait le ministère en échec.
Ces visées sont quelque peu ambitieuses,
mais il y a des gens qui ne doutent de rien ;
M. Ollivier ne se sent pas découragé par les
laborieux efforts qu'a coûtés la simple ré-
daction du texte de sa demande d'interpel-
lations. Il songe à formuler un programme
qui nous promettrait la responsabilité mi-
nistérielle, le droit réel d'interpellations,
l'initiative parlementaire et la suppression
de l'inconciliabilité entre le titre de député
et les fonctions de ministre.
Il est possible que cela suffise à M. Emile
Ollivier et à ses amis, mais le pays trou-
vera-t-il que c'est assez?
*
* *
L'interpellation Brame, panachée de son
adverbe, est à pfeu près sûre d'ouvrir la sé-
rie des interpellations accordées. M. Clé-
ment Duvernois aurait offert sa signa-
ture, mais on l'aurait remercié. On aurait
pourtant accepté celle de M. Nogent-Saint-
Laurens.
*
•* *
Ce sont les neuf députés de la Seine qui
prendront l'initiative des interpellations sur
les troubles de Paris. La presse a fait et
fait chaque jour encore les frais de l'en-
quête. Qu'ils servent du moins à quelque
chose.
* *
*
Il est question aussi d'une demande d'in-
terpellation de la gauche sur les rigueurs
inouïes dont la presse est depuis quelque
temps l'objet, et sur la façon dont la loi
dite libérale de 1868 est tournée et retour-
née.
On prête sur ce sujet à M. Jules Favre
cette réponse à M. Baroche.
Le ministre de la justice disait :
— Nous ne faisons qu'appliquer la loi.
— Oui, comme un soufflet.
«
* *
La gauche ne se bornera pas à réclamer
des explications du gouvernement sur les
affaires publiques à l'intérieur.
Elle demandera aussi à interpeller le
gouvernement sur les affaires extérieures.
♦
* *
M. Jules Simon est chargé de porter la
parole dans la question de l'incompatibilité
des fonctions de gouverneur du Crédit fon-
cier avec le mandat de député.
t
* *
La gauche va Jouer pour ses réunions le
local qu'occupait Berryer, rue Neuve-des-
Petits-Champs, et où siégeait le comité
électoral de M. Thiers.
Le secrétaire de la rédaction :
4 Albert Baume.
ROCHEFORT RESTE ÉLIGIBLE
La lettre suivante est adressée au ré-
dacteur du Temps :
Monsieur,
Je lis dans le Temps, du lor juillet, un arti-
cle de M. Audoy, qui apprécie en termes ex-
cellents le jugement que vient de rendre la
7e chambre du tribunal de la Seine contre
M. Rochefort. Certes, depuis quelques années,
nous assistons à un singulier spectacle juridi-
que, la jurisprudence a fait de curieux pro-
grès : l'affaire des Bulletins électoraux, celle de
l'Histoire du prince de Cçndé, le procès des
Treize, sont là pour nous rappeler que le temps
des interpellations libérales de la loi est passé ;
mais je ne crois pas que jamais on ait fait des
dispositions les plus draconiennes de certains
de nos codes une application plus manifeste-
ment contraire non-seulement à justice, mais
au texte même. Et si nos vieux jurisconsultes
pouvaient sortir de leurs tombes, ils seraient
certainement stupéfaits de la manière dont
nous entendons aujourd'hui la maxime du non
bis in idem.
Ainsi que le fait remarquer M. Audoy, la
poursuite dirigée contre M. Henri Rochefort a
eu pour but, je pourrais dire presque avoué,
si je ne craignais de tomber dans un compte
rendu prohibé des débats, d'empêcher cet écri-
vain de se présenter aux suffrages. Ces' pour
arriver à ce résultat qu'on a fait cette pour-
suite sans exemple, et créé cette jurisprudence
sans précédent. Eh bien ! il faut qu'on le sache,
on n'a rien empêché. Et c'est en vain que l'on
a fait encovrir à la magistrature l'impopularité
d'une mesura sans efficacité.
MALGRÉ LE JUGEMENT DU 26 JUIN, M. ROCHE-
FORT PEUT ÊTRE CANDIDAT A LA PÉPUTATION,
IL PEUT ÊTRE ÉLU.
Juridiquement, cela est incontestable.
Et tout d'abord, pour être valablement, lé-
galement candidat, il suffit, aux termes du sé-
natus-consulte du 7 février 1858, d'avoir, huit
jours au moins avant l'ouverture du scrutin,
déposé à la préfecture du département, dans
lequel se fait l'élection, un écrit contenant le
serment formulé dans l'art. 16 de sénatus-con-
sulte du 25 décembre 1852.
Cette formalité remplie, on est candidat, et
les bulletins à votre nom doivent être Bomptés,
la loi ne permettant d'omettre, dans le compte
des votanta, que les bulletins blancs, ceux qui
ne contiennent pas une désignation suffisante,
ceux dans lesquels les votants se sont fait con-
naître (décret du 2 février 1852, art. 30), enfin
ceux qui portent le nom d'un candidat qui n'a
pas déposé son serment. (Sénatus-consulte du
17 février 1858, art. 4.)
Mais, dit-on, par suite de sa condamnation,
M. Rochefort a cessé d'être éligible, et son ser-
ment ne peut être reçu au secrétariat de la
préfecture.
C'est une erreur et une grosse erreur. Lors-
que le mandataire de M. Rochefort présentera
son serment, M. le préfet de la Seine l'aooeptera
parce qu'il ne pourra pas le refuser. Les préfets
ne sont Dàsîugesderéligibilif^ usairroniome*»*
le corps législatif; c'est lui qui, seul, peut dire
que le candidat choisi ne siégera pas, pour dé-
faut d'âge, incapacité légale ou incompatibilité
de fonctions. C'est là une règle de tout temps
suivie par nos assemblées délibérantes, et con-
sacrée, du reste, formellement par l'art. Sdu
décret du 2 février 1852.
Nous pourrions citer de la jurisprudence sui-
vie à cet égard des exemples nombreux ; il nous
suffira de rappeler le remarquable précédent
créé par l'assemblée constituante.
Aux termes d'une loi de 1832, la famille Bo-
naparte avait été déclarée privée de ses droits
politiques ; en outre, un arrêt criminel, émané
de la cour des pairs, le 6 octobre 1840, avait
condamné pour crime, et par application de ce
même article 86, en vertu duquel on vient de
frapper M. Rochefort, le prince Louis-Napoléon
Bonaparte. Ce dernier était donc, lorsque
éclata la Révolution de 1848, dépouillé de ses
droits d'éligibilité. Aucun acte du gouverne-
ment provisoire, aucun décret de l'assemblée
constituante n'avaient modifié cet état de
choses. Cependant, le même prince Louis-Na-
poléon s'étant présenté aux suffrages des élec-
teurs dans les mois de mai et de juin 1848/
fut choisi, comme représentant du peuple, une
première fois par le département de l'Eure,
une seconde fois par dix départements, au
nombre desquels se trouvait ce même départe-
ment de la Seine, dans lequel on voudrait
présenter M. Henri Rochefort. Malgré l'état
d'inégilibilité flagrant du candidat, la proclama-
tion du scrutin fut faite, et l'assemblée consti-
tuante valida l'élection. (Ch. lég., 17 mai 1848;
id., 13 juin et 14 juin 1848.) Or, ce que l'as-
semblée républicaine de 1848 a fait pour le
prince Louis-Napoléon, La majorité dé la cham-
bre de 1869 le peut faire pour M. Henri Ro-
chefort.
Le serment de M. Rochefort sera donc reçu,
et/le serment reçu, il pourra être élu. Restera
'la question de savoir si la chambre le jugera
indigne de siéger.
Mais nous allons surprendre bien des gens;
et peut-être ceux même qui ont eu l'idée de la
singulière poursuite qui vient d'être faite, non-
seulement M. Rochefort peut être élu, MAIS SI
M. ROCHEFORT EST NOMMÉ, SON ÉLECTION
DEVRA ÊTRE VALIDÉE. — Comment? validée
malgré le jugement du 26 juin? — Oui, va-
lidée.
En effet, M. Rochefort a été privé de sa
droits politiques en vertu de l'art. 86 du Code
pénal. Or que dit cet article ? ,
« Toute offense commise publiquement en-
vers la personne de l'empereur est punie d'un
emprisonnement de six mois à cinq ans, etc.
— Le coupable peut, en outre, être interdit de
tout ou partie des droits mentionnés en
l'art. 42, pendant un temps égal à celui de
l'emprisonnement auquel il a été condamné.
— Ce temps court à compter du jour où il a subi
sa peine. »
La privation des droits d'éligibilité prononcée
contre M. Henri Rochefort ne commencera
donc à courir que du jour oÙ il aura subi sa
peine. — La loi peut paraitre singulière, mais
elle est formelle; et en matière pénale, si l'on
dit dura lex, sed lex, on dit aussi stricta lex est
lex. Ce n'est donc que dans trois ans au plus
tôt, puisqu'il n'aura subi qu'à cette époque la
peine de l'emprisonnement à laquelle il a été
condamné, que M. Rochefort deviendra inca-
pable d'être député. Et la seule satisfaction que
pourront se donner les personnes qui ont voulu
le priver de ses droits politiques, sera, s'il est
détenu, de suspendre momentanément ses droits
d'électeur, en vertu de l'art. 18 du décret ré-
glementaire du 2 février 1852.
Provisoirement, M. Rochefort peut attendre
avec sécurité en Belgique, que le collége de la
ire circonscription de la Seine ait été convo-
qué et l'ait élu, s'il veut l'élire ; que le corps
législatif se soit réuni et ait validé son élection,
et ne rentrer en France que lorsqu'il sera né-
cessaire de demander à la chambre l'autorisa-
tion de l'arrêter.
Election possible, élection valable; voilà la
situation réelle, malgré le jugement du 26 juin
dernier, ce jugement fût-il confirmé sur l'op-
position, confirmé sur l'appel et maintenu en
cassation. :
LÉON BÉQUET,
Avocat à la cour de Paris.
Rien n'est plus net et plus concluant,1
Mais voici qui a une signification toute par-
ticulière ; car cela se lit dans la Patrie :
Un correspondant du Nord, qui traite dans
ce journal, avec une grande compétence, les
questions juridiques, examine les conséquences
de la condamnation prononcée contre M. Ro-
chefort, et conclut en ces termes :
« Beaucoup de .gens, cherchant à expliqaer
les sévérités exceptionnelles déployées dans le
»
Le numéro : 15 o. — Départements : 20 o.
RÉDACTION ¡ j
S'adresser au secrétaire de la rédaction
M. ALBERT BAUME
De 3 à 5 h. du soir
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* —
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AKSrOBffCES
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Trois mois. 16
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Les abonnés nouveaux, de trois mois
au moins, à partir du 1er juillet, auront
droit à recevoir tout ce qui aura paru de
f Homme qui Rit, la première partie tout
entière et le commencement de la se-
conde partie. En librairie les volumes de
L'Homme qui Rit ne se vendant pas sépa-
rément, ne peuvent être acquis qu'au
prix de 30 francs.
Les numéros du Rappel ne doivent pas
être vendus plus de 15 centimes.
L'Esprit militaire et la Civilisation.
- Une voix qui, quand elle s'élève, a le
privifége auguste d'affecter les cours de
toutes les Bourses de l'Europe, disait, il y
a quelques jours : « L'histoire de nos
guerres, c'est l'histoire des progrès de la
civilisation. L'esprit militaire, c'est le
triomphe des nobles passions sur les pas-
sions vulgaires, c'est la fidélité au drapeau,
le dévouement à la patrie. »
De pareilles paroles sont-elles justifiées
par les faits? L'histoire de nos guerres se
confond-elle avec l'histoire de la civilisa-
tion, et l'esprit militaire a t-il toujours été
le triomphe des nobles passions sur les
passions vulgaires? C'est là ce que je
voudrais examiner, en rappelant aussi
brièvement que possible les choses accom-
plies par les troupes françaises depuis
quatre vingts ans.
1
De 4792 à 1799, c'est-à-dire depuis la vic-
toire de Valmy qui chasse les Prussiens de
la Champagne jusqu'à la victoire de Zu-
rich qui chasse les Russes de la Suisse,
l'oeuvre de nos soldats est de tout point ad-
mirable. A cette époque, l'esprit militaire
est d'accord avec le génie de la nation. Il
a toute l'abnégation et toute la générosité
du patriotisme. Il ne veut pas conquérir, il
n'aspire qu'à délivrer. L'armée alors ne fait
qu'un avec le peuple. Elle a pour généraux
Jourdan, un mercier; Gouvion-Saint-Cyr,
un comédien; Bessières, un perruquier;
Brune, un typographe; Joubert et Junot,
deux étudiants ; Masséna, le fils d'un mar-
chand ds vin ; Lefebvre, le fils d'un meu-
nier; Augereau, le fils d'un maçon; Hoche,
le fils d'un garde de chenil; Ney, le fils d'un
tonnelier; Murât, le fils d'un aubergiste;
Bonaparte, le fils d'un greffier. L'armée a
pour chant la Marseillaise, pour âme la Ré-
volution, pour drapeau la République.
Provoquée par la coalition qui veut ané-
antir Paris, elle.s'élance aux frontières pour
repousser l'étranger. Elle répond au ma-
nifeste du duc de Brunswick par une série
prodigieuse de victoires. Elle se bat à la
fois contre le roi d'Angleterre, contre le
roi de Prusse, contre le roi de Sardaigne,
contre le roi de Naples, contre le roi de
Suède, contre le roi d'Espagne, contre
l'empereur d'Allemagne, contre le czar de
toutes les Russies. Elle se bat pour tous les
peuples contre tous les tyrans. Ces droits de
l'homme que la Convention a promulgués
à Paris, elle les proclame à Bruxelles, à
Amsterdam, à Mayence, à Cologne, à Ge-
nève, à Turin, à Milan, à Naples et à Rome.
A l'image de la République française, elle
fonde la République batave, la République
cisalpine, la République cispadane, la Ré-
publique ligurienne, la République parthé-
nopéenne. Après avoir sauvé la patrie, elle
tente d'émanciper le monde.
11
A la fin de 1799 éclate le 18 brumaire.
Un soldat de génie qui a fail, au nom de la
République, la merveilleuse campagne
d'Italie, le défenseur de la Convention na-
tionale, le vainqueur d'Arcole, de Monte-
notte, de Rivoli et du 13 vendémiaire, s'em-
pare du gouvernement et emploie au profit
de son ambition personnelle les forces de la
Révolution. Il restaure tout ce qui a été dé-
truit en 92 : la monarchie, l'aristocratie, la
religion d'État. Il fait des légions de la Ré-
publique la vieille garde de l'empire.
Les prodiges que l'armée française ac-
complissait-naguère pour la délivrance des
peuples, elle les renouvelle alors pour leur
asservissement. Chacun de ses pas en avant
est un recuf pour la civilisation. La tribune
est renversée, le journal elle livre sont sou-
mis à la censura ; un corps législatif muet
remplace la Convention. Où il y avait des
hommes, il n'y a plus que dès sujets. La na-
tion expie par la perte de ses droits les ex-
ploits de ses enfants. Elle est la captive de ses
victoires. Marengo, Austerlitz, Iéna, Eylau,
Friediand, Eckmühl etWagramsont les an-
neaux de la chaîne immense qu'elle a forgée
pour le monde et qui pèse sur elle. La France
agrandie démesurément au détriment des
Pays-Bas, de l'Italie, de la Suisse et de
l'Allemagne ; la France, qui a des préfets à
Bruxelles, à Amsterdam, à Hambourg, à
Genève t t à Rome; cette France mons-
trueuse qui s'étend des bords du Tibre aux
rives de l'Elbe, ne domine l'Europe qu'en
la mutilant; avec des lambeaux de peuple,
elle improvise autour d'elle des royautés
vassales et des principautés feudataires.
Elle impose Berthier à Neufebâlel, Talley-
rand à Bénévent, Bernadotte à Pontecorvo.
Elle fait trôner Eugène à Milan, Jérôme en
Westphalie, Murat à Naples, Joseph à Ma-
drid. Après avoir été l'espoir des nations,
la France en est devenue l'épouvante.
A ce moment, l'esprit militaire est con-
tre toutes les idées généreuses pour les-
quelles il combattait naguère. Il fait la
guerre à tous les droits de l'homme. Il a
pour ennemis les principes mêmes de la
société moderne, la liberté de la parole, la
liberté de lapresse, la liberté de la pensée,
la liberté de la conscience, la liberté civile,
la liberté politique, la liberté religieuse,
l'indépendance des peuples. Il blesse la
philosophie, il offense la nature, il outrage
la civilisation, il s'attaque à la destinée, il
livre bataille à l'avenir. Et, comme l'a-
venir est invincible, il faut que l'esprit
militaire succombe. Inexorable fatalité !
pour que le monde asservi respire, pour
que les nations soient rendues à elles-
mêmes, pour que les esprits et les âmes
soient émancipés, pour que le progrès in-
terrompu reprenne sa marche, pour que
l'histoire soit logique, pour que le dix-
neuvième siècle continue le dix-huitième,
pour que la raison ait le dernier mot, pour
que l'humanité triomphe, Waterloo, hélas 1
est nécessaire.
II
Sous la Restauration, l'esprit militaire
expie cruellement ses folies. Le maréchal
Brune est assassiné ; Ney, le héros de la
Moskowa, est fusillé comme un trditre;
Napoléon agonise à Sainte-Hélène. L'enne-
mi campe pendant quatre ans sur notre ter-
ritoire. La France est gardée à vue par
l'Europe. Les volontaires de la République,
les vétérans de l'empire vont à confesse et
font pénitence. Les grognards, qui se mo-
quaient des capucinades, implorent à ge-
noux l'absolution. La caserne n'est plus que
l'antichambre de la sacristie. Le jésuitisme
distribue les grades et dresse la liste des
promotions. Le vainqueur du Trocadéro
remplace, comme généralissime, le triom-
phateur d'Austerlitz. Les soldats de la vieil-
le garde exécutent les ordres de la Sainte-
Alliance, et tout à l'heure ils entreront en
Espagne pour - y restaurer -- ce stupide Fer-
dinand VII qu'ils en ont chassé en 1808. La
mesure de l'humiliation est comble. L'ar-
mée s'indigne sourdement. L'esprit mili-
taire, converti, se rapproche du génie ré-
volutionnaire. Des pégiments entiers s'affi-
lient en secret au carbonarisme qui pré-
tend rétablir la Constitution républicaine de
l'an III. Alors éclatent les conspirations de
Béfort, de Saumur, de La Rochelle, et qua-
tre sergents héroïques saluent la mort du
cri de : Vive la libertél
L'heure décisive approche. Attendez les
provocations suprêmes de la cour, atten-
dez que Charles X affolé chasse les 221,
renverse la tribune et suspende la liberté
de la presse; attendez que Paris se soulève
et se hérisse de barricades, et vous verrez
nos soldats, dans un généreux élan, se sous-
traire à l'obéissance passive et laisser le dra-
peau b'anc pour le drapeau tricolore. Vous
verrez le 5e et le 53° de ligne, massés sur la
p^ce Vendôme autour de la colonne, dé-
sobéir fièrement à Marmont et se mettre
aux ordres du gouvernement provisoire.
Défection pathétique qui consommera la
Révolution de 1830, en jetant l'armée dans
les bras de la nation !
III
Les espérances que la Révolution de Juil-
let a fait concevoir aux peuples opprimés
sont bien vite déçues. Les intérêts les plus
élevés de la civilisation1 sont sacrifiés à Une
politique étroitement dynastique. C'est tout
au plus si Louis-Philippe ose porter secouts
à la Belgique soulevée contre la Hollande.
L'armée française assiste, l'arme au bras, à
l'égorgement de la Pologne et à l'écrase-
ment de l'Italie. Ne pouvant faire la grande
guerre, elle doit se contenter de la petite.
On respectera Nicolas, ID ds on combattra
Abd-el Kader. On ne touchera pas à Varso-
vie, mais on prendra Constantine. On con-
cèdera le droit de visite à l'Angleterre, mais
on sera très-hautain avec le Maroc. Et le
butin de la blfa;lle d'Isly devra compenser
l'indemnité Pritchard.
Cependant cette politique mesquine pro-
voque de profonds ressentiments. L'oppo-
sition s'exagère, les attestais se multiplient,
les républicains s'insurgent, les bonapar-
tistes conspirent. Un jeune homme, pros-
crit depu:s vingt-cinq ans par la grandeur
formidable du nom qu'il porte, croit le
moment venu de tenter un soulèvement et,
débarquant à Boulogue par une belle mati-
née d'août, provoque l'armée à l'insurrec-
tion dans une proclamation indignée :
« Soldats ! la France est faite pour com-
» mander, et elle obéit. Vous êtes l'élite du
» peuple, et on vous traite comme un vil
» troupeau. Vous êtes faits pour protéger
» l'honneur national, et c'est contre vos
» frères qu'on tourne vos armes. Ils vou-
» draient, ceux qui vous gouvernent, avilir
» le métier du soldat. Vous vous êtes indi-
» gnés et vous avez cherché ce qu'étaient
» devenues les aigles d'Arcole, d'Auster-
» Iitz, d'Iéna. Ces aigles, les voilà ; je vous
» les rapporte; reprenez-les; avec elles vous
» aurez gloire, honneur, fortune et, ce qui
» est plus que tout cela, la reconnaissance
» et l'estime de'vos concitoyens. Soldats!
» la grande ombre de l'empereur Napoléon
» vous parle par ma voix! Hâtez-vous, pen-
» dant qu'elle traverse l'Océan, de ren-
» voyer les traîtres et les oppresseurs. Mon-
» trez-lui, à son arrivée, que vous êtes les
» dignes fils de la grande armée et que vous
» avez repris ces emblèmes sacrés qui, pen-
» dant quarante ans, onf fait trembler les
» ennemis de la France, parmi lesquels
» étaient ceux qui vous gouvernent aujour-
» d'hui. -
» Soldats ! aux armes ! vive la France ! »
«
L'armée resta sourde à ce chaleureux
appel ; les offres d'avancement, les suppli-
cations, les menaces, les séductions des
plus magiques souvenirs ne purent préva-
loir- contre la discipline militaire. Aux cris
séditieuxde : Vive l'empereur! le 42° de ligne,
malgré la défection d'un de ses lieutenants,
répondit par le cri légal : Vive le rot! vive
la charte! La conspiration avorta et le chef
des conjurés fut condamné à ls prison par
des pairs qui avaient été sénateurs sous le
premier empire et qui le redevinrent sous
le second.
IV
Onze ans après cet événement, le prison.
nier de Ham, appelé par le suffrage univer-
sel à la présidence de la République, re-
nouvelle à Paris la tentative oui a échoué à
Boulogne et à Strasbourg. L'armée, qui lui
a refusé son concours en 1840, le lui prête
en 1851. Cette même armée française, qui
a respecté la charte de 1830 votée par les
députés du suffrage restreint, ne respecte
pas la Constitution de 1848 votée parles élus
du suffrage universel. Elle prête main-forte
au coup d'Etat. Plus de tribune. Plus de
presse libre. Plus d'assemblée souveraine.
La République fait place à l'empire. Les
destinées de la France sont soumises à une
volonté unique.
L'esprit militaire est désormais tout-
puissant. Il ne sera plus gêné par les chi-
canes du parlementarisme. Il ne sera plus
embarrassé par l'opposition mesquine des
idéologues et des avocats. Il a fait table
rase du passé, et il a carte blanche pour
l'avenir. Que va-t-il se passer! Quelles
gloires l'esprit militaire nous réserve-t il
en compensation des libertés qu'il nous a
ravies ?
Les beaux jours du chauvinisme sont
revenus. Nous nous rappelons malgré nous
toutes les grandeurs guerrières d'autrefois.
Nous nous prenons à rêver de Marengo,
d'Austerlitz et d'Iéna. Nous songeons va-
guement à la domination du monde, et
nous entrevoyons en imagination des par-
terres de rois offerts aux comédiens ordi-
naires de l'empereur.
En réalité, que voyons-nous?
C'est d'abord la stérile campagne de Cri-
mée qui sacrifie cent mille braves à là dé-
molition d'une forteresse que la Russie a
déjà rebâtie. Puis l'expédition de 1859,
inaugurée par deux belles victoires, mais
arrêtée à mi-chemin par une paix fatale qui
va jeter l'Italie éperdue dans les bras de la
Prusse. Puis l'expédition de Chine qu'illus-
tre si douloureusement le pillage du palais
d'été de Pékin, ce Versailles de l'Orient.
Puis la désastreuse expédition du Mexique
qui aboutit au deuil de Quérétaro, et au
deuil, plus profond encore du château de
Laeken. Enfin, la lamentable bataille de
Mentana, où les chassepots fusillent ces
vaillants garibaldiens qui, il y a dix ans,
.servaient d'avant garde à nos légions.
Que voyons-nous encore? Nos plus fidè-
les alliés abandonnés ; le Danemark. livré à
l'Allemagne, Rome livrée au pape, la Polo-
gne prostiiuée au czar, la Grèce sacrifiée
au sultan, et la France diminuée de tout le
prodigieux accroissement de la Prusse.
L'amoindrissement de la nation, voilà
l'indemnité offerte par l'esprit militaire à
la nation asservie!
Cette grande armée française, qui jadis
était la terreur de toutes les tyrannies, sert
aujourd'hui de cortège au gouvernement
personnel. Sa bravoure légendaire, sa
loyauté proverbiale, son abnégation stoï.
que, sa discipline inflexible, ses prouesses
passées, ses exploits futurs, ses triomphes
possibles et impossibles, - son histoire, sa
fierté, sa dignité, sa gloire, son honneur,
l'armée française met tout cela au service
d'un caprice souverain. Où est le temps où
elle ne servait que la nation et où elle ne
demandait de mots d'ordre qu'à la liberté!
François-Viçtor Hugo.
LE FEU EST OUVERT
A la chambre hier, séance terne, au
commencement. Insignifiant défilé de pro-
cès-verbaux d'élections non contestées,
et ritournelle de serments accentués dans
toutes les gammes de la voix humaine.
*.
Haute Loire, M. Guyot de Montpayroux,
secrétaire provisoire. Légère émotion. M.
Guyot a lu comme le public de malveillan-
tes chroniques annonçant que son élection
serait contestée; il sait sans doute à quoi s'en
tenir et connaît les conclusions du rappor-
teur. Son attitude néanmoins trahit des in-
quiétudes dont il ne peut se défendre, et le
secrétaire se sentirait plus à l'aise sur la
banquette du député assermenté.
Aucune protestation ne se produit; voilà
M. Guyot de Moûtpayroux député incontesté.
Reconnaissons que son premier mouve-
mont est d'aller prendre possession de la
place qu'il a retenue dans les rangs de l'ex-
trême gauche. C'est une promesse. La tien-
dra-t-il ?
t
- * *
Après les formalités accomplies, on de-
mande le serment à M. Napoléon Daru.
Nous nous rappelons que, vers 1835, il était
une des espérances du jeune règne; c'était
un des familiers du duc d'Orléans, qui lui
destinait un ministère.
C'est presque un vieillard à cheveux
blancs qui se lève, et qui, d'une voix rési-
gnée, prête le serment obligatoire àvun ré-
gime autre que celui qu'il avait rêvé.
*
* *
L'ordre alphabétique appelle enfin la vé-
rification des élections des Pyrénées-Orien-
tales ; le rapporteur conclut à la validation
en faveur de M. Durand, candidat officiel.
— Mais il y a des protestations et de sérieu-
ses ! s'écrie M. Jules Simon; j'ai entre les
mains tout un dossier qui ne peut être que
le duplicata de celui qui a été remis au bu-
reau. »
Ni le bureau ni le rapporteur n'ont rien
reçu. M. Jules Simon demande un ajourne-
ment; tout ce que la majorité lui accorde,
c'est de discuter au pied levé une élection
qu'il croyait jointe aux élections contestées
et dont il pensait avoir le temps d'étudier
les pièces.
*
C'est une improvisation qu'on exige de
l'orateur démocrate; tant pis pour ceux qui
ont cru le désarçonner ! Il y a un premier
point à relever dans l'ensemble des faits
qui peuvent vicier cette élection; on a évo-
qué le spectre du 2 décembre, et fiux trans-
portés de cette époque, à leurs femmes, à
leurs enfants, on a dit : Souvenez-vous !
Ce que Jules Simon a dit à ce sujet d'une
voix émue presque jusqu'aux sanglots, nous
nous garderons bien de le reproduire; c'est
la sténographie officielle qui en donnera
connaissance à nos lecteurs.
* *
Cette élection des Pyrénées-Orientales,
qui a failli passer sans protestation, est tout
un drame shakespearien, le tragique y
coudoie la comédie. Mais Jules Simon a
toutes les notes, et l'ironie lui est aussi fa-
cile que la colère éloquente. Voilà donc
sur sa sellette M. Durand, le banquier mil-
lionnaire, candidat libéral en 1863, candi-
dat officiel en 1869, mais fidèle à ses procé-
dés de propagande, et pratiquant sous tous
les drapeaux ce que dans le pays on appelle
le râtelier électoral, c'est-à-dire liesse et ri-
paille à tout électeur de bon estomac et de
bonne volonté.
M. Jules Simon n'avait qu'à lire des
protestations et des déclarations ; il les a
lues comme il sait lire.
Msis la rési/tance de.la majorité animant
l'orateur, il s'est vite élevé par l'indignation
à la plus fière éloquence. Il a sommé, à un
moment, le président de faire rendre jus-
tice aux députés; « autrement les députés
seraient obligés de faire justice eux-mêmes.»
Il a déclaré à la majorité qu'entre elle et
l'Opposition « il y avait des abîmes. »
Le centre droit a dû se repentir d'avoir
essayé de classer l'élection de M. Durand
parmi les élections qu'on ne conteste pas.
Que sera-ce donc de celles qui seront con-
testées?
L'enquête régulière eût été à coup sûr
moins passionnée. La suite de la discussion
a dû être remise à demain, l'élection sera
certainement renvoyée au bureau.
En attendant, et pour une rencontre d'es-
carmouche, voilà toujours le feu ouvert.
Paul Meurice.
u
AUTOUR DE LA CHAMBRE
Les pouvoirs de cent cinquante députés
seront probablement vérifiés à la fin de la
séance de samedi.
Par suite, les interpellations pourront se
produire lundi, puisque, par la validation
de la moitié plus une des élections, la
Chambre est légalement constituée.
*
* *
• •
M. Magnin paraît devoir être nommé se-
crétaire de la chambre. Le centre gauche
porte sur sa liste : MM. Bournat, de Dal-
mas, Gorsse, Quesné, Martel et Magnin.
*
* *
Dans la pensée des promoteurs de la de-
mande d'interpellations que signe le centre-
gauche, cette manifestation n'est qu'un pre-
mier pas vers la constitution d'un parti qui,
prenant l'initiative d'un mouvement libéral
peu accéléré, donnant aux aspirations du
pays des semblants de satisfaction, annule-
lerait la véritable opposition, dominerait la
chambre et tiendrait le ministère en échec.
Ces visées sont quelque peu ambitieuses,
mais il y a des gens qui ne doutent de rien ;
M. Ollivier ne se sent pas découragé par les
laborieux efforts qu'a coûtés la simple ré-
daction du texte de sa demande d'interpel-
lations. Il songe à formuler un programme
qui nous promettrait la responsabilité mi-
nistérielle, le droit réel d'interpellations,
l'initiative parlementaire et la suppression
de l'inconciliabilité entre le titre de député
et les fonctions de ministre.
Il est possible que cela suffise à M. Emile
Ollivier et à ses amis, mais le pays trou-
vera-t-il que c'est assez?
*
* *
L'interpellation Brame, panachée de son
adverbe, est à pfeu près sûre d'ouvrir la sé-
rie des interpellations accordées. M. Clé-
ment Duvernois aurait offert sa signa-
ture, mais on l'aurait remercié. On aurait
pourtant accepté celle de M. Nogent-Saint-
Laurens.
*
•* *
Ce sont les neuf députés de la Seine qui
prendront l'initiative des interpellations sur
les troubles de Paris. La presse a fait et
fait chaque jour encore les frais de l'en-
quête. Qu'ils servent du moins à quelque
chose.
* *
*
Il est question aussi d'une demande d'in-
terpellation de la gauche sur les rigueurs
inouïes dont la presse est depuis quelque
temps l'objet, et sur la façon dont la loi
dite libérale de 1868 est tournée et retour-
née.
On prête sur ce sujet à M. Jules Favre
cette réponse à M. Baroche.
Le ministre de la justice disait :
— Nous ne faisons qu'appliquer la loi.
— Oui, comme un soufflet.
«
* *
La gauche ne se bornera pas à réclamer
des explications du gouvernement sur les
affaires publiques à l'intérieur.
Elle demandera aussi à interpeller le
gouvernement sur les affaires extérieures.
♦
* *
M. Jules Simon est chargé de porter la
parole dans la question de l'incompatibilité
des fonctions de gouverneur du Crédit fon-
cier avec le mandat de député.
t
* *
La gauche va Jouer pour ses réunions le
local qu'occupait Berryer, rue Neuve-des-
Petits-Champs, et où siégeait le comité
électoral de M. Thiers.
Le secrétaire de la rédaction :
4 Albert Baume.
ROCHEFORT RESTE ÉLIGIBLE
La lettre suivante est adressée au ré-
dacteur du Temps :
Monsieur,
Je lis dans le Temps, du lor juillet, un arti-
cle de M. Audoy, qui apprécie en termes ex-
cellents le jugement que vient de rendre la
7e chambre du tribunal de la Seine contre
M. Rochefort. Certes, depuis quelques années,
nous assistons à un singulier spectacle juridi-
que, la jurisprudence a fait de curieux pro-
grès : l'affaire des Bulletins électoraux, celle de
l'Histoire du prince de Cçndé, le procès des
Treize, sont là pour nous rappeler que le temps
des interpellations libérales de la loi est passé ;
mais je ne crois pas que jamais on ait fait des
dispositions les plus draconiennes de certains
de nos codes une application plus manifeste-
ment contraire non-seulement à justice, mais
au texte même. Et si nos vieux jurisconsultes
pouvaient sortir de leurs tombes, ils seraient
certainement stupéfaits de la manière dont
nous entendons aujourd'hui la maxime du non
bis in idem.
Ainsi que le fait remarquer M. Audoy, la
poursuite dirigée contre M. Henri Rochefort a
eu pour but, je pourrais dire presque avoué,
si je ne craignais de tomber dans un compte
rendu prohibé des débats, d'empêcher cet écri-
vain de se présenter aux suffrages. Ces' pour
arriver à ce résultat qu'on a fait cette pour-
suite sans exemple, et créé cette jurisprudence
sans précédent. Eh bien ! il faut qu'on le sache,
on n'a rien empêché. Et c'est en vain que l'on
a fait encovrir à la magistrature l'impopularité
d'une mesura sans efficacité.
MALGRÉ LE JUGEMENT DU 26 JUIN, M. ROCHE-
FORT PEUT ÊTRE CANDIDAT A LA PÉPUTATION,
IL PEUT ÊTRE ÉLU.
Juridiquement, cela est incontestable.
Et tout d'abord, pour être valablement, lé-
galement candidat, il suffit, aux termes du sé-
natus-consulte du 7 février 1858, d'avoir, huit
jours au moins avant l'ouverture du scrutin,
déposé à la préfecture du département, dans
lequel se fait l'élection, un écrit contenant le
serment formulé dans l'art. 16 de sénatus-con-
sulte du 25 décembre 1852.
Cette formalité remplie, on est candidat, et
les bulletins à votre nom doivent être Bomptés,
la loi ne permettant d'omettre, dans le compte
des votanta, que les bulletins blancs, ceux qui
ne contiennent pas une désignation suffisante,
ceux dans lesquels les votants se sont fait con-
naître (décret du 2 février 1852, art. 30), enfin
ceux qui portent le nom d'un candidat qui n'a
pas déposé son serment. (Sénatus-consulte du
17 février 1858, art. 4.)
Mais, dit-on, par suite de sa condamnation,
M. Rochefort a cessé d'être éligible, et son ser-
ment ne peut être reçu au secrétariat de la
préfecture.
C'est une erreur et une grosse erreur. Lors-
que le mandataire de M. Rochefort présentera
son serment, M. le préfet de la Seine l'aooeptera
parce qu'il ne pourra pas le refuser. Les préfets
ne sont Dàsîugesderéligibilif^ usairroniome*»*
le corps législatif; c'est lui qui, seul, peut dire
que le candidat choisi ne siégera pas, pour dé-
faut d'âge, incapacité légale ou incompatibilité
de fonctions. C'est là une règle de tout temps
suivie par nos assemblées délibérantes, et con-
sacrée, du reste, formellement par l'art. Sdu
décret du 2 février 1852.
Nous pourrions citer de la jurisprudence sui-
vie à cet égard des exemples nombreux ; il nous
suffira de rappeler le remarquable précédent
créé par l'assemblée constituante.
Aux termes d'une loi de 1832, la famille Bo-
naparte avait été déclarée privée de ses droits
politiques ; en outre, un arrêt criminel, émané
de la cour des pairs, le 6 octobre 1840, avait
condamné pour crime, et par application de ce
même article 86, en vertu duquel on vient de
frapper M. Rochefort, le prince Louis-Napoléon
Bonaparte. Ce dernier était donc, lorsque
éclata la Révolution de 1848, dépouillé de ses
droits d'éligibilité. Aucun acte du gouverne-
ment provisoire, aucun décret de l'assemblée
constituante n'avaient modifié cet état de
choses. Cependant, le même prince Louis-Na-
poléon s'étant présenté aux suffrages des élec-
teurs dans les mois de mai et de juin 1848/
fut choisi, comme représentant du peuple, une
première fois par le département de l'Eure,
une seconde fois par dix départements, au
nombre desquels se trouvait ce même départe-
ment de la Seine, dans lequel on voudrait
présenter M. Henri Rochefort. Malgré l'état
d'inégilibilité flagrant du candidat, la proclama-
tion du scrutin fut faite, et l'assemblée consti-
tuante valida l'élection. (Ch. lég., 17 mai 1848;
id., 13 juin et 14 juin 1848.) Or, ce que l'as-
semblée républicaine de 1848 a fait pour le
prince Louis-Napoléon, La majorité dé la cham-
bre de 1869 le peut faire pour M. Henri Ro-
chefort.
Le serment de M. Rochefort sera donc reçu,
et/le serment reçu, il pourra être élu. Restera
'la question de savoir si la chambre le jugera
indigne de siéger.
Mais nous allons surprendre bien des gens;
et peut-être ceux même qui ont eu l'idée de la
singulière poursuite qui vient d'être faite, non-
seulement M. Rochefort peut être élu, MAIS SI
M. ROCHEFORT EST NOMMÉ, SON ÉLECTION
DEVRA ÊTRE VALIDÉE. — Comment? validée
malgré le jugement du 26 juin? — Oui, va-
lidée.
En effet, M. Rochefort a été privé de sa
droits politiques en vertu de l'art. 86 du Code
pénal. Or que dit cet article ? ,
« Toute offense commise publiquement en-
vers la personne de l'empereur est punie d'un
emprisonnement de six mois à cinq ans, etc.
— Le coupable peut, en outre, être interdit de
tout ou partie des droits mentionnés en
l'art. 42, pendant un temps égal à celui de
l'emprisonnement auquel il a été condamné.
— Ce temps court à compter du jour où il a subi
sa peine. »
La privation des droits d'éligibilité prononcée
contre M. Henri Rochefort ne commencera
donc à courir que du jour oÙ il aura subi sa
peine. — La loi peut paraitre singulière, mais
elle est formelle; et en matière pénale, si l'on
dit dura lex, sed lex, on dit aussi stricta lex est
lex. Ce n'est donc que dans trois ans au plus
tôt, puisqu'il n'aura subi qu'à cette époque la
peine de l'emprisonnement à laquelle il a été
condamné, que M. Rochefort deviendra inca-
pable d'être député. Et la seule satisfaction que
pourront se donner les personnes qui ont voulu
le priver de ses droits politiques, sera, s'il est
détenu, de suspendre momentanément ses droits
d'électeur, en vertu de l'art. 18 du décret ré-
glementaire du 2 février 1852.
Provisoirement, M. Rochefort peut attendre
avec sécurité en Belgique, que le collége de la
ire circonscription de la Seine ait été convo-
qué et l'ait élu, s'il veut l'élire ; que le corps
législatif se soit réuni et ait validé son élection,
et ne rentrer en France que lorsqu'il sera né-
cessaire de demander à la chambre l'autorisa-
tion de l'arrêter.
Election possible, élection valable; voilà la
situation réelle, malgré le jugement du 26 juin
dernier, ce jugement fût-il confirmé sur l'op-
position, confirmé sur l'appel et maintenu en
cassation. :
LÉON BÉQUET,
Avocat à la cour de Paris.
Rien n'est plus net et plus concluant,1
Mais voici qui a une signification toute par-
ticulière ; car cela se lit dans la Patrie :
Un correspondant du Nord, qui traite dans
ce journal, avec une grande compétence, les
questions juridiques, examine les conséquences
de la condamnation prononcée contre M. Ro-
chefort, et conclut en ces termes :
« Beaucoup de .gens, cherchant à expliqaer
les sévérités exceptionnelles déployées dans le
»
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