Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1877-12-30
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 30 décembre 1877 30 décembre 1877
Description : 1877/12/30 (N2851). 1877/12/30 (N2851).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7529168w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/08/2012
No 2 £ 5! — Dimanche 30 Décembre 1877 ILe numéro a SOc. — JDëisiartements 8 a® c. .- 10 Nivôse an 83 -j N* 23&Î
RtD ACTION
s'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soif
18, bus DB VALOIS, il
fil manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGS, CERF el CI ,-
6, place de la Bourse, 6
, LE R' AP.PEL
ADMINISTRATION
ts, • CI DE VALOIS, 11
AB0XïKE:t2«:*T3
PARIS J DÉP.UTBMK»T*
Trois mois. to 1) [ Trois mois 13 5l[
Six mois. 20 11 Six mois. 2J --.
Adresser lettres et mandat»
A M. ERNEST LEFÈVRE
t. ua ::\î=rTa \TK L: U- G E RAST
PAS DE POLITIQUE
Cela m'aurait étonné qu'ils n'eussent
JMS recommencé, à l'occasion du 6 jan-
vier, leur refrain de toutes les élections
municipales: — « Pas de politique! La
politique était à sa place le 14 octobre,
mais le 6 janvier elle ne doit briller que
par son absence. De quoi s'agit-il? des
affaires de la commune. Ce n'est plus
une question d'opinion, c'est une ques-
tion de capacité. Les affaires de la com-
mune gagneront grand'chose à ce que
les conseillers soient républicains, s'ils
sont incapables! » Ceux qui comptent
sur ce raisonnement pour faire nommer
des monarchistes ne s'aperçoivent pas
qu'il n'est pas prouvé que les monar-
chistes soient plus capables que les
républicains.
Ils en sont toujours à cette agréable
Illusion que « tout le savoir du monde
est chez eux retiré ». Royaliste ou im-
périaliste, il faut être l'un des deux
pour avoir du bon sens, pour compren-
dre les intérêts d'une ville ou d'un vil-
lage, pour voter un chemin vicinal,
pour émettre un vœu. Les républicains
sont des êtres sans intelligence et sans
instruction, des idiots, des bêtes bru-
tes. Il y a cinq millions de bêtes brutes
en France, sans compter les femmes.
La majorité de la France étant républi-
caine, la France est une bête brute.
C'est nous cet aspect que les monarchis-
tes voient leur patrie.
Malheureusement pour eux, leur
manière de voir n'est pas universelle-
ment adoptée. Il y a même un certain
nombre de personnes qui ont cru re-
marquer que, orateurs, écrivains, ar-
tistes, etc., les républicains ne sont pas
inférieurs aux monarchistes, et l'on
aurait peut-être quelque peine à con-
vaincre tout le monde que le dernier
des poètes du siècle est Victor Hugo et
que le premier journaliste du temps est
M. Hairdet.
Une chose dont il ne sera pas moins
malaisé de convaincre tout le monde,
c'est que la politique doive et puisse
être absente d'élections qui, munici-
pales à la surface, sont sénatoriales au
fond.
Nous ne saurions trop le répéter
aux électeurs du 6 janvier, ils ne vont
pas seulement nommer des conseillers,
ils vont nommer soixante-quinze séna-
teurs. Ils vont renouveler le quart du
Sénat. Il dépend d'eux que le Sénat
soit conservateur dans le vrai sens du
mot, qu'il ne s'associe plus aux aven-
tures, qu'on ne puisse plus compter sur
lui contre le pays.
Nous venons de voir l'inconvénient
terrible de deux Chambres dont l'une
tire à droite pendant que l'autre tire
à gauche. Puisque la Constitution a
jugé bon d'atteler deux chevaux à la
République, il faut au moins qu'ils ail-
lent tous deux dans le même sens et
que l'un ne tire pas vers la Bastille et
l'autre vers la Madeleine. Le résultat
de ces tiraillements, c'est d'abord qu'on
rostç en place; c'est ensuite que ce 1
duel de l'attelage, ces ruades et ces se-
cousses ne tarderaient pas à faire verser
la voiture et à estropier ceux qui sont
dedans.
Les électeurs qui ont dit le 14 octo-
bre où ils veulent aller s'arrange-
ront le 6 janvier pour avoir un Sénat
qui les y mène.
Et quand on pense que ceux qui de-
mandent à l'élection municipale d'é-
crire sur sa porte : La politique n'entre
pas ici, sont ceux qui ont fait le 16
mai, c'est-à-dire ceux qui voulaient ou-
vrir toute grande à la politique la porte
de l'élection municipale ! Car, qu'était-
ce au fond que le 16 mai, sinon la prise
de possession de l'élection municipale
par la monarchie? Le 14 octobre et le
4 novembre leur ont, depuis, démontré
qu'on ne « fait » plus les élections, que
le suffrage universel a grandi, et qu'on
ne ramène pas un peuple à la monar-
chie comme on mène un troupeau à
l'abattoir. Mais alors ils en étaient en-
core à croire qu' « ils feraient marcher
la France ». Tas de Baragnons!
Et, eux qui n'ont fait le coup du 16
mai que pour « faire » les élections mu-
nicipales, eux pour qui les conseillers
municipaux n'etaient que les électeurs
sénatoriaux, ils viennent dire aujour-
d'hui aux électeurs municipaux : — Pas
de politique !. Ils leur défendent de faire
pour la République ce qu'ils leur enjoi-
gnaient de taire pour la monarchie!
Les électeurs municipaux auraient eu
le devoir de faire de la politique contre
les institutions établies, ils n'ont-pas le
droit d'en faire pour elles ! — Les gens
qui espèrent faire avaler ces choses-là
aux populations prouvent qu'on peut
se croire un profond Tartuffe et n'être
qu'un Jocrisse méconnu.
• AUGUSTE VACQUERI8.
- 4>
L'AFFAIRE DE LIMOGES
M, le général Bressolles a adressé
un télégramme au Moniteur universel au
sujet de sa mise en disponibilité. Le té-
légramme a d'abord été publié par le
Figaro. Nous ne nous arrêterons pas à
nous demander comment un télé-
gramme adressé à M. Dalloz arrive di-
rectement à M. Saint-Genest. L'électri-
cité a ses - mystères.
1 Ce télégramme de M. Bressolles
embrouille encore cette obscure affaire
de Limoges. Les journaux officieux
avaient prétendu, d'abord, que M.
Bressolles, comme le commandant La-
bordère, avait refusé d'obéir à ses su-
périeurs hiérarchiques. M. Bressolles
déclare, dans son télégramme que, loin
de vouloir jamais résister à ses chefs,
il est prêt, toujours, à « exécuter leurs
ordres sans commentaires ». Ce sont
les propres mots dont il se sert, et
comme on verra, ils ne sont point sans
importance. Les journaux officieux ont
prétendu, ensuite, que M. Bressolles
avait accompagné les ordres par lui
reçus de paroles au moins impruden-
tes. Le télégramme de M. Bressolles
dément cette seconde version comme
la première.
M. Bressolles dit : « Quand je
reçois un ordre, je l'exécute sans com-
mentaires. \n' M. Bressolles n'a donc
pas plus commenté les ordres de ses
chefs qu'il n'a tenté de résister ao$;-scs!
chefs. Il a obéi passivement. Son télé-
gramme signifie que, si on avait fait un
coup d'Etat, il aurait collaboré au coup
d'Etat. Et son télégramme signifie en
même temps que, n'dyant rien ajouté
aux instructions de ses chefs, il n'est
pas plus coupable que ses chefs.
Pourquoi donc est-il seul puni? Cette
réflexion vient naturellement. M. le
général Bressolles commande la 45°
brigade. Il a, au-dessus de lui M. le
général Colin qui commande la division.
Il a encore au-dessus de lui, M. le géné-
ral de Lartigue qui commande le 12"
corps d'armée. M. Bressolles déclare
qu'il exécute sans commentaires les
ordres de ses chefs. Or, est-il admissible
qu'un soldat si discipliné et si scrupu-
leux ait donné des ordres sans l'aveu
de ses supérieurs? Et, s'il n'a fait
qu'exécuter « sans commentaires » les
ordres qui lui étaient donnés, comment
ceux qui lui ont donné ces ordres
n'ont-ils pas encouru la; même peine
disciplinaire? ?r .-
On dit, il est vrai, dans certaines
feuilles, que M. B L'essores a w mal
interprété » les ordres donnés. Nous
nous demandons s il est possible d'in-
terpréter d'une manière équivoque l'or-
dre d'occuper une gnre, une poudrière
et quelques points stratégiques. Est-il
sérieux d'accuser d'un manque complet
d'intelligence un militaire consommé
et rompu au métier? Un général peut-
il interpréter si mai un ordre qu'il en
arrive à se donner les apparences de la
culpabilité? Cette version, qui fait de
M. Bressolles un ahuri, ne nous pa-
raît pas discutable.
Nous revenons donc à notre ques-
tion, et nous nous permettons de de-
mander à M. le ministre de la guerre et
à ses collègues comment M. Bres-
solles, qui exécute sans commentaires
les ordres de ses chefs, peut être puni
sévèrement, alors que M. Colin, qui
commande la division, et M. de Lar-
tigue, qui commande le corps d ar-
mée, n'ont été ni mis en disponibilité,
ni punis ?
Il ne nous paraît pas possible d'ad-
mettre que M. Bressolles a agi sans
ordres. Et, s'il a reçu des ordres, nous
ne comprenons pas qu'il soit cOHpahJc,
et que M. Colin et M. de Lartigue soient
innocents.
Le devoir du conseil des ministres est
de procéder à une enquête. Il faut sa-
voir quels sont les ordres transmis par
M. de Lartigue à M. Colin et par M.
Colin à M. Bressolies. Ces ordres
constituaient-ils un commencement de
coup d'Etat? Etaient-ils imprudent?
Etaient-ils criminels? La sécurité du
pays exige que l'on réponde publique-
ment et officiellement à ces ques-
tions.
Mais il en est de M. le général Colin
et de M. le général de Lartigue comme
de M. le générai Bressolles.
Au moment où les ordres ont été
donnés, ces deux généraux avaient un
supérieur qui s'appelait M. de Roche-
bouët et qui était ministre de la guerre.
Or, nous disons pour ces messieurs ce
que nous avons dit pour M. le générai
Bressolles. Est-il admissible que dos
militaires expérimentés, dont l'un com-
mande une division, dont l'autre com-
mande, un corps d'armée, aient agi sans
ordres ou aient mal interprété les or-
dres reçus? On voit que la question de-
vient tout à coup plus grave. Il faut sa-
voir ce qu'a préparé M. de Rochebouët
dans le temps qu'il a été ministre.
Le conseil a demandé communica-
tion des ordres donnés par M. de Ro-
chebouët, et, s'il faut en croire le Journal
des Débats, il n'a pas encore pu lus ob-
tenir. Nous sommes persuadés que, si
M. le ~genéral Dorel ne les a pas com-
muniqués encore, ce n'est pas avec l'ar-
rière-pensée de les soustraire à ses col-
lègues. Nous aimons à croire qu'il les
montrera. Il importe que ces ordres
soient étudiés de près. Que contenaient-
ils? qu'avaient-ils pour objet de prépa-
rer? Ne suffiraient-ils eas à donner la
preuve de la conspiration militaire?
On a essayé un coup d'Etat; cela pa-
raît démontré. Des officiers d'état-ma-
jor ont été envoyés auprès de certains
généraux, et ils leur ont fait des propo-
sitions. Des chefs de corps ont pro-
noncé des discours factieux, s'il faut en
croire notre confrère du XIXe Siècle.
Des bataillons de marche ont été orga-
nisés. Il nous reste une chose à savoir :
qui était à la iète du complot ?
La conspiration était-elle ourdie par
de simples divisionnaires? Avait-elle à
sa tête des commandants de corps d'ar-
mée? Faut-il chercher les chefs plus
haut encore et jusque parmi les fami-
liers de l'Elysée?
Y a-t-il un lien entre les projets attri-
bués à M. Ducrot par le journal du mi-
nistre des affaires étrangères et ce qui
s'est passé aujourd'hui à Limoges?
Voilà ce que les ministres doivent
apprendre et doivent dire publiquement.
Une fois la. vérité connue, ils devront
sévir. Et, si alors il leur fallait encore
soutenir une lutte contre les rebelles, le
concours du Parlement ne leur man-
querait pas.
PDOUÀRD LOCKROY.
—————————— ——————————
En même temps que les journaux réac-
tionnaires essayent de persuader aux élec-
teurs républicains que les élections du fi
janvier ne doivent pas être des élections
politiques, ils rappellent aux électeurs
réactionnaires que rien ne doit être plus
politique que les élections du 6 janvier.
Par exemple, le Monde fait remarquer à
ses lecteurs que « le 6 janvier sera le cou-
ronnement ou le reniement du 14 octobre,
du 4 novembre et même du 14 décembres.
Ce jour-là, leur dit-il, « la victoire de la
majorité peut être réduite à néant ». Il
s'agit de venir au secours « du dernier
rempart, du palladium de la conservation
socia c, du Sénat ». — « Livrer ce palla-
dium sans combat aux électeurs munici-
paux serait un acte de honteuse apathie
ou de désespoir sans excuse. » Et le pieux
journal conclut: « Payons à cette majorité
sénatoriale, à qui nous devons d'avoir
lutté, notre dette de reconnaissance: »
Et voilà comment les journaux réac-
tionnaires ne veulent pas qu'on fasse de
politique dans les élections communales.
Le Monde nous dira qu'il y a politique
et politique comme il y a fagots et fagots.
Oui. Sgnanarelle. Et si le Monde ne nous
le disait pas, c'est nous qui le lui dirions.
--------. ————————
~,tT~~PT!~
SATISFACTIONS ET GARANTIES
Une partie de la presse républicaine,
et notamment l'éminent écrivain dans
lequel une élection récente a récom-
pensé si justement un des plus vail-
lants du la dernière lutte, nous rap-
pelle avec raison que nous ne sommes
pas au bout de nos peines : qu'on de-
vra encore être fort patient ; qu'on ne
peut pas tout obtenir d'un coup ; qu'il
faut enfin se contenir, se modérer, et
prendre garde de compromettre les
avantages déjà conquis par des exigen-
ces trop turbulentes.
C'est fort bien parler; je crois, du
reste, qu'il est inutile de recommander
la patience aux républicains : il faudrait
désespérer d'eux si une pratique forcée
de sept ans n'avait pas réussi à leur in-
culquer cette précieuse vertu. Aussi
les démocrates se montrent-ils, sans
distinction de nuances, très sympathi-
ques au ministère , très confiants dans
les hommes éprouvés qui sont arri vés
au gouvernement, très désireux de leur
assurer la plus longue possession possi-
ble du pouvoir. On prévoit qu'il fau-
dra, pour cela, faire le sacrifice d'une
partie de ses exigences.
On y est préparé, mais à une condi-
tion, qui doit, du reste, être présente à
l'esprit des ministres : c'est qu'on dis-
tinguera, dans les réclamations des ré-
publicains. celles qu'on peut ajourner
de celles qu'il est impossible de laisser
de côté.
Eu effet, le parti démocratique, qui
aujourd'hui se confond avec le pays
même, formule deux sortes de vœux :
tout d abord, il demande des réformes,
des libertés, des progrès, que l'état de
la législation et le spectacle des abus
ne justifient que trop ; c'est là cc qui
compose son programme permanent.
Mais, dans la situation actuelle, il est
forcé d'avoir des exigences qui tien-
nent particulièrement à la dernière
crise. On a vu le pouvoir personnel ap-
paraître, un beau jour, à l'improviste;
on a vu un coup d'Etat, d'abord ré-
clamé par des condottières de plume,
s'organiser ensuite devant le pays : la
première réclamation du parti républi-
cain et de la nation entière, c'est qu'a-
vant tout, on rende à jamais impos-
sible le retour d'une pareille aventure ;
c'est qu'on désarme et qu'on intimide
les coupables ; c'est qu'enfin, on n'o-
mette rien pour assurer au pays, non
pas une trêve de courte durée, mais
une sécurité réelle et solide.
Ainsi, dans le programme de la ma-
jorité du i4 octobre, il entrait deux
choses : des satisfactions, consistant
dans la réalisation, plus ou moins
franche, plus ou moins hardie, des
réformes réclamées parles républicains,
et des garanties contre une récidive
du 16 mai. Si l'on sait se résigner, pour
le moment, à moins qu'on ne pouvait
espérer en fait de satisfactions, on fera
acte de patience; si l'on demande d'une
part, et si, de l'autre, on accorde trop
de concessions sur le chapitre des ga-
rauties, on fera simplement acte d'im-
prudence. Se contenter de peu, en fait
de précautions, ce n'est pas de la mo-
dération, c'est de la légèreté; et quand
on a la charge des intérêts primordiaux
d'un grand pays, la légèreté mérite un
au Ire nom.
Eu effet, 1a règle unique de la politi-
que républicaine, politique do patriotis-
me avant d'être une politique de parti,
doit être d'épargner au pays les mal-
heurs pur lesquels les hommes du
16 mai l'ont fait passer. Si, par la m3-
sure ia plus juste en elle-même, on
peut provoquer ou préparer une crise
nouvelle, il y a là une responsabilité
qu'aucun républicain no voudra pren-
dre. Mais la raison qui impose la pa-
tience en fait de satisfactions, est pré-
cisément la même qui commande la
plus grande fermeté en fait de ga-
ranties.
Ce n' est p:;s que nous ayons peur do
vaincus du 13 décembre; iiou, ils ne
sont plus à craindre, après leur piteuse
déroute, mais à condition qu'on les dé-
sarmera. IL ne faut pas même qu'ils ten-
tent une nouvelle bataille, si certaine
que soit leur defaite dans ce cas, parce
que le combat seul, si inégal qu'il
puisse être, serait un désastre pour le
pays.
Or, s'il su bsiste encore un danger, il est
dans l'exemple infâme du 2 décembre.
Il paraît que ce crime trouve, dans un
certain parti, plus que de l'indulgence ;
car la presse ultramoutaine a réclamé
un crime semblable; il s'est trouvé,
peut-être jusque dans le dernier minis-
tère, des hommes pour essayer de l'or-
ganiser; et, comme pour mieux nous
ouvrir les yeux, certains tribunaux l'en)
dent, sur des matières qui y touchent
de près, des arrêts étranges.
Assurément, si des républicains libres.
de leur action avaient le pouvoir, après
le 16 mai, pour laisser impuni un coa1:-';
plot qui auraitété conduit presque jus-i
qu'à une explosion, pour confirmer l'idée
qu'on peut, sans courir aucun risque, es-
sayer les coups d'Etat; si ces républicains
ne dégoûtaient pas à tout jamais les co iL; i
pables, non par des représailles, mais
par une justo application des lois, do
courir dorénavant de pareilles aven-
tures; leur imprudence n'aurait pas do
nom , et ceux qui la voudraient couvrir,:
du titre do modération, afficheraient
une prétention bien ridicule. Mais il
n'y a rien à craindre de pareil, nous
l'espérons, et nous gardons toute eau-,
fiance dans les républicains qui sont au
pouvoir.
CAMILLE PELLETAN.
0.
HOMME i^NATION-
-~j!~
Un journal de la droite affirmait
avaut-hiee que le maréchal de Mac-Ma-<
hon s'était fort ému de la nouvelle que,
grâce aux investigations de la commis-
sion d'enquête, plusieurs préfets al-
laient être poursuivis pour abus de pou-
voir. Il aurait eu avec M. Dufaure, à ce
sujet, un entretien où il aurait déclaré
qu'il avait entendu ouvrir au 13 décem-
bre une ère d'apaisement, et qu'il avait
assez fait pour la concorde pour être en
droit d'espérer que la majorité de la
Chambre ne ferait rien de son cùLé pour
ia troubler.
Il nous semble que nous voilà loin de-
la théorie si préconisée dans les mêmes
journaux, laquelle reléguait 31. de Mac-
Mahon dans la sphère calme et silen-
cieuse des souverains constitutionnels.
Le président constitutionnel sort de son
nuage pour s'interposer entre la justice
du pays etles agents du pouvoir person-
nel. Il a fait des sacrifices et il veut.
qu'on lui en fasse aussi; il a daigné ne
pas aller jusqu'au bout, et il ne veut pas-
que la majorité de la représentation
nationale aille jusqu'au bout de la ré-
paration. -
- Un point nous frappe dans celte ar-
gumentation, vin point que nous avons-
d'ailleurs vu sans cesse revenir dans la
polémique des tenants du i8 mai. Il
semblait et il semble encore, à les en-
tendre, que M. de Mac-Mahon d\ia&
part et le pays de l'autre ont un droit
égal, et qu'il s'agit de traiter do
souverain à souverain, en se faisant des
sacrifices mutuels sur le terrain de e.a
droit égal. M. le président, par un
grand effort de condescendance et da
bienveillance, a daigné entrer en ar-
rangement et ouvrir, comme il l'aurait
dit dans son entretien avec M. Dufaure,
une ère d'apaisement et de conciliation.
Mais il entend être payé de réciprocité
et que, s'il a cédé, le pays cède aussi
de soit côté. Voilà, dépouillé de toutes
circonlocutions et de tout ornement, le
fond de presque tous les articles de la
presse officieuse avant la crise, pendant
la crise et après la crise. Et ce fond-là
n'est admissible à aucun prix.
Il n'y a pas de parité de droit ontro
un homme et la souveraineté nationalo.
Et quand cet homme, après s'être mis eu
opposition avec la souveraineté nationa-
le, après avoir résisté pendant deux mois
à la volonté nettement et légalement
exprimée du pays, finit avec bien de la
peine par obéir à cette volonté, il no
fait que son devoir strict, bien strict, et
on ne lui doit pas do compensation et
de complaisances. Il peut lui être désa-
gréable de voir poursui vre les mi nis-
tres, les préfets, les foncuonnaii'es d6
tout ordre qui so sont faits les agents do
sa tentative de pouvoir personnel, mai?:
Feuilleton du RAPPEL
DU 30 DÉCEMBRE
51
LA
FILLE DU TAILLEUR
CHAPITRE XX
Au voleur! — (Suite)
Dans quel état Paupe allait-il retrouver
Marcienne? Que lui dirait-il? Devant sa
porte, il s'arrêta pour délibérer, et fut sur-
pris de sentir que la sueur lui cou'ait du
front, bien qu'il grelottât.
A quoi bon chercher un mensonge?
Marcienne ne pouvait pas être trompée.
Il ouvrit la porte lentement, mais, sur la
.çJ - •
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 5 novembre au &9 décembre.
première marche du seuil, il se tint tout à
coup immobile, stupéfait.
Marcienne était transfigurée. Débarras-
sée des habits de deuil qu'elle avait pris le
matin, ne gardant qu'une jupe noire,
elle était enveloppée d'une espèce de li-
mousine, dont le capuchon, rabattu sur sa
tête, mettait une ombre sur sa pâleur, et,
la coupant par le milieu, la rendait plus
énergique. <
Ses yeux brillaient extraordinairement.
Elle avait échangé ses souliers de cérémo-
nie contre des sabots pour pouvoir mieux
marcher; droite, légèrement adossée au
poêle, les mains croisées sur sa poitrine,
et ne paraissant garder aucune trace de
son accablement, le regard fixe, les lèvres
serrées sur les dents, elle attendait son
père.
Paupe ne trouva plus les mots du préam-
bule qu'il venait d'improviser ; et, après
une hésitation d'une seconde :
— Ils ne sont pas chez Mme Gautier.
— Je le pensais bien 1
— Ah !
— Partons!
Marcienne dit cela de la voix qu'elle
prenait quand elle voulait être obéie, sans
réplique.
Cependant Paupe lui demanda :
— Tu as appris quelque chose?
— Oui.
— Il est venu quelqu'un?
- Non.
— Alors, tu supposes?.
Tout en se hasardant à faire ces ques-
tions, le tailleur reculait devant sa fille; il
fut bientôt dans la rue.
Marcienne, qui sorlait la dernière de la
maison, s'apprêlait à donner un tour de
clé au volet supérieur de la porte pendant
son absence ; puis, une réflexion, une pré-
caution maternelle la fit changer d'idée.
— Ils n'auraient qu'à revenir avant moi,
murmura-t-elle.
— Il n'y a plus rien à voler! ajouta
Paupe, pour se venger du secret que lui
gardait sa fille.
Dans le milieu de la chaussée, quand
Marcienne, qui ne voulait pas faire une
bravade de son énergie, eut saisi le bras de
son père pour s'y appuyer, et pour mieux
régler sans doute leur marche, Paupe re-
prit un peu d'audace.
- - Où allons-nous? demand'a-t-il.
- Sur la route de Troyes.
- Qui te fait croire?.
- Ils n'ont voulu me quitter que pour
aller rejoindre leur mère.
Marcienne dit cela avec un air de convic-
tion à la fois tendre et douloureuse.
t— Leur mère? mais c'est de la folie 1
— Oui, reprit la jeune fille; mais c'est
une folie que je comprends. Je leur parlais
tant de leur mère!
— Kt tu crois qu'ils ont songé à faire ce
voyage à pied ?
- Je crois qu'ils sont partis ; que Léo,
qui a mangé son morceau de pain et fait
manger sa sœur, a emporté de quoi payer
leurs places dans une voiture ; que si nous
ne nous hâtons pas, nous ne les retrouve-
rons plus.
Elle serra un peu plus fort le bras de
son père, et marcha plus vite.
Paupe, frappé de l'idée de sa fille, qu'il
adopta, et rassuré en même temps, ne put
s'empêcher de dire :
— Eh bien ! bon voyage!
Marcienne crispa ses doigts sur le poi-
gnet de son père.
— Tais-toi! papa, lui dit-elle; nous
sommes déjà assez punis!
- Punis !
— J'irai jusqu'à Troyes, s'il le faut, conti-
nua-t-elle ; — je les rejoindrai, et je les
ramènerai!
- Pourquoi ne supposes- tu pas qu'ils
ont été au château? c'est plus près, et ils
connaissent mieux ce chemin-là.
— Pourquoi auraient-ils pris de l'ar-
gent? l'homme qui garde le château les
eût accueillis sans cela. Le château était
trop près de nous. Je te dis que c'est vers
leur mère qu'ils sont allés. Depuis quel-
que temps elle les attire, j'en suis sûre!
Eile frappait sur sa poitrine pour attes-
ter son cœur.
Paupe ne répliqua pas.
Cette conviction l'intimidait, lui impo-
sait du respect, comme il lui en venait
souvent, par bouffées, toutes les fois que
Marcienne montiait son âme.
Il se permit de caresser timidement la
main de sa fille.
— Tu as froid? lui dit-il.
— Oui, il fait bien froid, répondit-elle ;
les pauvres petits! s'ils sont sur la route!
Elle doubla le pas, en frissonnant de
terreur.
— Tu te rendras malade! dit Paupe.
— Il n'y a pas de danger!
— Tu étais déjà si l'alignée ce matin !
— Je me reposerai ce soir si je les re-
trouve. Sinon.
Elle baissa la tê-te, avec l'abandon d'une
morte.
— Je ne veux pas que tu te fasses tant
de mal pour eux! dit le tailleur.
- Ce n'est pas ma faute, papa !. Regarde
ce qui nous reste à aimer, si je les perds?
Sa voix trembla, et s'éteignit dans sa
gorge.
Paupe ne savait plus que dire. Il mar-
chait en marquant, le pas, pour obliger sa
jambe à ne pas boiter.
Ils furent bientôt sortis du village.
La route s'étendait devant eux, blanche,
et cou verte, par instants, d'un tourbillon
de poussière, sifflante et coupante, que la
rafale soulevait. Le vent, contenu par les
maisons, les granges, les enclos du villag e
débordait, et se dilatait à l'aise, en sem-
blant s'aiguiser sur les tas de pierres cou-
verts de givre.
Paupe, les yeux gonflés, se sentait des
remords.
Marcienne ne tremblait plus, n'hésitait
plus.
C'était elle le soldat; elle avait dépassé
la mesure de son courage de tous les jours.
Elle était dans cette phase cataleptique de
l'héroïsme où tout s'émousse contre rcx-
tase.
Le capuchon de la limousine était re-
tombé sur ses épaules ; elle n'y prenait pas
garde. Bien mieux, tout en marchant, elle
portait la main au ruban qui nouait la pe-
lisse sous le menton, comme si elle avait
eu hâte de la repousser de ses épaules pour
ia jeter sur les petits êtres glacés, endoloris
qu'elle allait retrouver.
LOUIS ULBACH.
(A suivre)
RtD ACTION
s'adresser au Secrétaire de la Rédaction
De 4 à 6 heures du soif
18, bus DB VALOIS, il
fil manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ANNONCES
MM. Ch. LAGRANGS, CERF el CI ,-
6, place de la Bourse, 6
, LE R' AP.PEL
ADMINISTRATION
ts, • CI DE VALOIS, 11
AB0XïKE:t2«:*T3
PARIS J DÉP.UTBMK»T*
Trois mois. to 1) [ Trois mois 13 5l[
Six mois. 20 11 Six mois. 2J --.
Adresser lettres et mandat»
A M. ERNEST LEFÈVRE
t. ua ::\î=rTa \TK L: U- G E RAST
PAS DE POLITIQUE
Cela m'aurait étonné qu'ils n'eussent
JMS recommencé, à l'occasion du 6 jan-
vier, leur refrain de toutes les élections
municipales: — « Pas de politique! La
politique était à sa place le 14 octobre,
mais le 6 janvier elle ne doit briller que
par son absence. De quoi s'agit-il? des
affaires de la commune. Ce n'est plus
une question d'opinion, c'est une ques-
tion de capacité. Les affaires de la com-
mune gagneront grand'chose à ce que
les conseillers soient républicains, s'ils
sont incapables! » Ceux qui comptent
sur ce raisonnement pour faire nommer
des monarchistes ne s'aperçoivent pas
qu'il n'est pas prouvé que les monar-
chistes soient plus capables que les
républicains.
Ils en sont toujours à cette agréable
Illusion que « tout le savoir du monde
est chez eux retiré ». Royaliste ou im-
périaliste, il faut être l'un des deux
pour avoir du bon sens, pour compren-
dre les intérêts d'une ville ou d'un vil-
lage, pour voter un chemin vicinal,
pour émettre un vœu. Les républicains
sont des êtres sans intelligence et sans
instruction, des idiots, des bêtes bru-
tes. Il y a cinq millions de bêtes brutes
en France, sans compter les femmes.
La majorité de la France étant républi-
caine, la France est une bête brute.
C'est nous cet aspect que les monarchis-
tes voient leur patrie.
Malheureusement pour eux, leur
manière de voir n'est pas universelle-
ment adoptée. Il y a même un certain
nombre de personnes qui ont cru re-
marquer que, orateurs, écrivains, ar-
tistes, etc., les républicains ne sont pas
inférieurs aux monarchistes, et l'on
aurait peut-être quelque peine à con-
vaincre tout le monde que le dernier
des poètes du siècle est Victor Hugo et
que le premier journaliste du temps est
M. Hairdet.
Une chose dont il ne sera pas moins
malaisé de convaincre tout le monde,
c'est que la politique doive et puisse
être absente d'élections qui, munici-
pales à la surface, sont sénatoriales au
fond.
Nous ne saurions trop le répéter
aux électeurs du 6 janvier, ils ne vont
pas seulement nommer des conseillers,
ils vont nommer soixante-quinze séna-
teurs. Ils vont renouveler le quart du
Sénat. Il dépend d'eux que le Sénat
soit conservateur dans le vrai sens du
mot, qu'il ne s'associe plus aux aven-
tures, qu'on ne puisse plus compter sur
lui contre le pays.
Nous venons de voir l'inconvénient
terrible de deux Chambres dont l'une
tire à droite pendant que l'autre tire
à gauche. Puisque la Constitution a
jugé bon d'atteler deux chevaux à la
République, il faut au moins qu'ils ail-
lent tous deux dans le même sens et
que l'un ne tire pas vers la Bastille et
l'autre vers la Madeleine. Le résultat
de ces tiraillements, c'est d'abord qu'on
rostç en place; c'est ensuite que ce 1
duel de l'attelage, ces ruades et ces se-
cousses ne tarderaient pas à faire verser
la voiture et à estropier ceux qui sont
dedans.
Les électeurs qui ont dit le 14 octo-
bre où ils veulent aller s'arrange-
ront le 6 janvier pour avoir un Sénat
qui les y mène.
Et quand on pense que ceux qui de-
mandent à l'élection municipale d'é-
crire sur sa porte : La politique n'entre
pas ici, sont ceux qui ont fait le 16
mai, c'est-à-dire ceux qui voulaient ou-
vrir toute grande à la politique la porte
de l'élection municipale ! Car, qu'était-
ce au fond que le 16 mai, sinon la prise
de possession de l'élection municipale
par la monarchie? Le 14 octobre et le
4 novembre leur ont, depuis, démontré
qu'on ne « fait » plus les élections, que
le suffrage universel a grandi, et qu'on
ne ramène pas un peuple à la monar-
chie comme on mène un troupeau à
l'abattoir. Mais alors ils en étaient en-
core à croire qu' « ils feraient marcher
la France ». Tas de Baragnons!
Et, eux qui n'ont fait le coup du 16
mai que pour « faire » les élections mu-
nicipales, eux pour qui les conseillers
municipaux n'etaient que les électeurs
sénatoriaux, ils viennent dire aujour-
d'hui aux électeurs municipaux : — Pas
de politique !. Ils leur défendent de faire
pour la République ce qu'ils leur enjoi-
gnaient de taire pour la monarchie!
Les électeurs municipaux auraient eu
le devoir de faire de la politique contre
les institutions établies, ils n'ont-pas le
droit d'en faire pour elles ! — Les gens
qui espèrent faire avaler ces choses-là
aux populations prouvent qu'on peut
se croire un profond Tartuffe et n'être
qu'un Jocrisse méconnu.
• AUGUSTE VACQUERI8.
- 4>
L'AFFAIRE DE LIMOGES
M, le général Bressolles a adressé
un télégramme au Moniteur universel au
sujet de sa mise en disponibilité. Le té-
légramme a d'abord été publié par le
Figaro. Nous ne nous arrêterons pas à
nous demander comment un télé-
gramme adressé à M. Dalloz arrive di-
rectement à M. Saint-Genest. L'électri-
cité a ses - mystères.
1 Ce télégramme de M. Bressolles
embrouille encore cette obscure affaire
de Limoges. Les journaux officieux
avaient prétendu, d'abord, que M.
Bressolles, comme le commandant La-
bordère, avait refusé d'obéir à ses su-
périeurs hiérarchiques. M. Bressolles
déclare, dans son télégramme que, loin
de vouloir jamais résister à ses chefs,
il est prêt, toujours, à « exécuter leurs
ordres sans commentaires ». Ce sont
les propres mots dont il se sert, et
comme on verra, ils ne sont point sans
importance. Les journaux officieux ont
prétendu, ensuite, que M. Bressolles
avait accompagné les ordres par lui
reçus de paroles au moins impruden-
tes. Le télégramme de M. Bressolles
dément cette seconde version comme
la première.
M. Bressolles dit : « Quand je
reçois un ordre, je l'exécute sans com-
mentaires. \n' M. Bressolles n'a donc
pas plus commenté les ordres de ses
chefs qu'il n'a tenté de résister ao$;-scs!
chefs. Il a obéi passivement. Son télé-
gramme signifie que, si on avait fait un
coup d'Etat, il aurait collaboré au coup
d'Etat. Et son télégramme signifie en
même temps que, n'dyant rien ajouté
aux instructions de ses chefs, il n'est
pas plus coupable que ses chefs.
Pourquoi donc est-il seul puni? Cette
réflexion vient naturellement. M. le
général Bressolles commande la 45°
brigade. Il a, au-dessus de lui M. le
général Colin qui commande la division.
Il a encore au-dessus de lui, M. le géné-
ral de Lartigue qui commande le 12"
corps d'armée. M. Bressolles déclare
qu'il exécute sans commentaires les
ordres de ses chefs. Or, est-il admissible
qu'un soldat si discipliné et si scrupu-
leux ait donné des ordres sans l'aveu
de ses supérieurs? Et, s'il n'a fait
qu'exécuter « sans commentaires » les
ordres qui lui étaient donnés, comment
ceux qui lui ont donné ces ordres
n'ont-ils pas encouru la; même peine
disciplinaire? ?r .-
On dit, il est vrai, dans certaines
feuilles, que M. B L'essores a w mal
interprété » les ordres donnés. Nous
nous demandons s il est possible d'in-
terpréter d'une manière équivoque l'or-
dre d'occuper une gnre, une poudrière
et quelques points stratégiques. Est-il
sérieux d'accuser d'un manque complet
d'intelligence un militaire consommé
et rompu au métier? Un général peut-
il interpréter si mai un ordre qu'il en
arrive à se donner les apparences de la
culpabilité? Cette version, qui fait de
M. Bressolles un ahuri, ne nous pa-
raît pas discutable.
Nous revenons donc à notre ques-
tion, et nous nous permettons de de-
mander à M. le ministre de la guerre et
à ses collègues comment M. Bres-
solles, qui exécute sans commentaires
les ordres de ses chefs, peut être puni
sévèrement, alors que M. Colin, qui
commande la division, et M. de Lar-
tigue, qui commande le corps d ar-
mée, n'ont été ni mis en disponibilité,
ni punis ?
Il ne nous paraît pas possible d'ad-
mettre que M. Bressolles a agi sans
ordres. Et, s'il a reçu des ordres, nous
ne comprenons pas qu'il soit cOHpahJc,
et que M. Colin et M. de Lartigue soient
innocents.
Le devoir du conseil des ministres est
de procéder à une enquête. Il faut sa-
voir quels sont les ordres transmis par
M. de Lartigue à M. Colin et par M.
Colin à M. Bressolies. Ces ordres
constituaient-ils un commencement de
coup d'Etat? Etaient-ils imprudent?
Etaient-ils criminels? La sécurité du
pays exige que l'on réponde publique-
ment et officiellement à ces ques-
tions.
Mais il en est de M. le général Colin
et de M. le général de Lartigue comme
de M. le générai Bressolles.
Au moment où les ordres ont été
donnés, ces deux généraux avaient un
supérieur qui s'appelait M. de Roche-
bouët et qui était ministre de la guerre.
Or, nous disons pour ces messieurs ce
que nous avons dit pour M. le générai
Bressolles. Est-il admissible que dos
militaires expérimentés, dont l'un com-
mande une division, dont l'autre com-
mande, un corps d'armée, aient agi sans
ordres ou aient mal interprété les or-
dres reçus? On voit que la question de-
vient tout à coup plus grave. Il faut sa-
voir ce qu'a préparé M. de Rochebouët
dans le temps qu'il a été ministre.
Le conseil a demandé communica-
tion des ordres donnés par M. de Ro-
chebouët, et, s'il faut en croire le Journal
des Débats, il n'a pas encore pu lus ob-
tenir. Nous sommes persuadés que, si
M. le ~genéral Dorel ne les a pas com-
muniqués encore, ce n'est pas avec l'ar-
rière-pensée de les soustraire à ses col-
lègues. Nous aimons à croire qu'il les
montrera. Il importe que ces ordres
soient étudiés de près. Que contenaient-
ils? qu'avaient-ils pour objet de prépa-
rer? Ne suffiraient-ils eas à donner la
preuve de la conspiration militaire?
On a essayé un coup d'Etat; cela pa-
raît démontré. Des officiers d'état-ma-
jor ont été envoyés auprès de certains
généraux, et ils leur ont fait des propo-
sitions. Des chefs de corps ont pro-
noncé des discours factieux, s'il faut en
croire notre confrère du XIXe Siècle.
Des bataillons de marche ont été orga-
nisés. Il nous reste une chose à savoir :
qui était à la iète du complot ?
La conspiration était-elle ourdie par
de simples divisionnaires? Avait-elle à
sa tête des commandants de corps d'ar-
mée? Faut-il chercher les chefs plus
haut encore et jusque parmi les fami-
liers de l'Elysée?
Y a-t-il un lien entre les projets attri-
bués à M. Ducrot par le journal du mi-
nistre des affaires étrangères et ce qui
s'est passé aujourd'hui à Limoges?
Voilà ce que les ministres doivent
apprendre et doivent dire publiquement.
Une fois la. vérité connue, ils devront
sévir. Et, si alors il leur fallait encore
soutenir une lutte contre les rebelles, le
concours du Parlement ne leur man-
querait pas.
PDOUÀRD LOCKROY.
—————————— ——————————
En même temps que les journaux réac-
tionnaires essayent de persuader aux élec-
teurs républicains que les élections du fi
janvier ne doivent pas être des élections
politiques, ils rappellent aux électeurs
réactionnaires que rien ne doit être plus
politique que les élections du 6 janvier.
Par exemple, le Monde fait remarquer à
ses lecteurs que « le 6 janvier sera le cou-
ronnement ou le reniement du 14 octobre,
du 4 novembre et même du 14 décembres.
Ce jour-là, leur dit-il, « la victoire de la
majorité peut être réduite à néant ». Il
s'agit de venir au secours « du dernier
rempart, du palladium de la conservation
socia c, du Sénat ». — « Livrer ce palla-
dium sans combat aux électeurs munici-
paux serait un acte de honteuse apathie
ou de désespoir sans excuse. » Et le pieux
journal conclut: « Payons à cette majorité
sénatoriale, à qui nous devons d'avoir
lutté, notre dette de reconnaissance: »
Et voilà comment les journaux réac-
tionnaires ne veulent pas qu'on fasse de
politique dans les élections communales.
Le Monde nous dira qu'il y a politique
et politique comme il y a fagots et fagots.
Oui. Sgnanarelle. Et si le Monde ne nous
le disait pas, c'est nous qui le lui dirions.
--------. ————————
~,tT~~PT!~
SATISFACTIONS ET GARANTIES
Une partie de la presse républicaine,
et notamment l'éminent écrivain dans
lequel une élection récente a récom-
pensé si justement un des plus vail-
lants du la dernière lutte, nous rap-
pelle avec raison que nous ne sommes
pas au bout de nos peines : qu'on de-
vra encore être fort patient ; qu'on ne
peut pas tout obtenir d'un coup ; qu'il
faut enfin se contenir, se modérer, et
prendre garde de compromettre les
avantages déjà conquis par des exigen-
ces trop turbulentes.
C'est fort bien parler; je crois, du
reste, qu'il est inutile de recommander
la patience aux républicains : il faudrait
désespérer d'eux si une pratique forcée
de sept ans n'avait pas réussi à leur in-
culquer cette précieuse vertu. Aussi
les démocrates se montrent-ils, sans
distinction de nuances, très sympathi-
ques au ministère , très confiants dans
les hommes éprouvés qui sont arri vés
au gouvernement, très désireux de leur
assurer la plus longue possession possi-
ble du pouvoir. On prévoit qu'il fau-
dra, pour cela, faire le sacrifice d'une
partie de ses exigences.
On y est préparé, mais à une condi-
tion, qui doit, du reste, être présente à
l'esprit des ministres : c'est qu'on dis-
tinguera, dans les réclamations des ré-
publicains. celles qu'on peut ajourner
de celles qu'il est impossible de laisser
de côté.
Eu effet, le parti démocratique, qui
aujourd'hui se confond avec le pays
même, formule deux sortes de vœux :
tout d abord, il demande des réformes,
des libertés, des progrès, que l'état de
la législation et le spectacle des abus
ne justifient que trop ; c'est là cc qui
compose son programme permanent.
Mais, dans la situation actuelle, il est
forcé d'avoir des exigences qui tien-
nent particulièrement à la dernière
crise. On a vu le pouvoir personnel ap-
paraître, un beau jour, à l'improviste;
on a vu un coup d'Etat, d'abord ré-
clamé par des condottières de plume,
s'organiser ensuite devant le pays : la
première réclamation du parti républi-
cain et de la nation entière, c'est qu'a-
vant tout, on rende à jamais impos-
sible le retour d'une pareille aventure ;
c'est qu'on désarme et qu'on intimide
les coupables ; c'est qu'enfin, on n'o-
mette rien pour assurer au pays, non
pas une trêve de courte durée, mais
une sécurité réelle et solide.
Ainsi, dans le programme de la ma-
jorité du i4 octobre, il entrait deux
choses : des satisfactions, consistant
dans la réalisation, plus ou moins
franche, plus ou moins hardie, des
réformes réclamées parles républicains,
et des garanties contre une récidive
du 16 mai. Si l'on sait se résigner, pour
le moment, à moins qu'on ne pouvait
espérer en fait de satisfactions, on fera
acte de patience; si l'on demande d'une
part, et si, de l'autre, on accorde trop
de concessions sur le chapitre des ga-
rauties, on fera simplement acte d'im-
prudence. Se contenter de peu, en fait
de précautions, ce n'est pas de la mo-
dération, c'est de la légèreté; et quand
on a la charge des intérêts primordiaux
d'un grand pays, la légèreté mérite un
au Ire nom.
Eu effet, 1a règle unique de la politi-
que républicaine, politique do patriotis-
me avant d'être une politique de parti,
doit être d'épargner au pays les mal-
heurs pur lesquels les hommes du
16 mai l'ont fait passer. Si, par la m3-
sure ia plus juste en elle-même, on
peut provoquer ou préparer une crise
nouvelle, il y a là une responsabilité
qu'aucun républicain no voudra pren-
dre. Mais la raison qui impose la pa-
tience en fait de satisfactions, est pré-
cisément la même qui commande la
plus grande fermeté en fait de ga-
ranties.
Ce n' est p:;s que nous ayons peur do
vaincus du 13 décembre; iiou, ils ne
sont plus à craindre, après leur piteuse
déroute, mais à condition qu'on les dé-
sarmera. IL ne faut pas même qu'ils ten-
tent une nouvelle bataille, si certaine
que soit leur defaite dans ce cas, parce
que le combat seul, si inégal qu'il
puisse être, serait un désastre pour le
pays.
Or, s'il su bsiste encore un danger, il est
dans l'exemple infâme du 2 décembre.
Il paraît que ce crime trouve, dans un
certain parti, plus que de l'indulgence ;
car la presse ultramoutaine a réclamé
un crime semblable; il s'est trouvé,
peut-être jusque dans le dernier minis-
tère, des hommes pour essayer de l'or-
ganiser; et, comme pour mieux nous
ouvrir les yeux, certains tribunaux l'en)
dent, sur des matières qui y touchent
de près, des arrêts étranges.
Assurément, si des républicains libres.
de leur action avaient le pouvoir, après
le 16 mai, pour laisser impuni un coa1:-';
plot qui auraitété conduit presque jus-i
qu'à une explosion, pour confirmer l'idée
qu'on peut, sans courir aucun risque, es-
sayer les coups d'Etat; si ces républicains
ne dégoûtaient pas à tout jamais les co iL; i
pables, non par des représailles, mais
par une justo application des lois, do
courir dorénavant de pareilles aven-
tures; leur imprudence n'aurait pas do
nom , et ceux qui la voudraient couvrir,:
du titre do modération, afficheraient
une prétention bien ridicule. Mais il
n'y a rien à craindre de pareil, nous
l'espérons, et nous gardons toute eau-,
fiance dans les républicains qui sont au
pouvoir.
CAMILLE PELLETAN.
0.
HOMME i^NATION-
-~j!~
Un journal de la droite affirmait
avaut-hiee que le maréchal de Mac-Ma-<
hon s'était fort ému de la nouvelle que,
grâce aux investigations de la commis-
sion d'enquête, plusieurs préfets al-
laient être poursuivis pour abus de pou-
voir. Il aurait eu avec M. Dufaure, à ce
sujet, un entretien où il aurait déclaré
qu'il avait entendu ouvrir au 13 décem-
bre une ère d'apaisement, et qu'il avait
assez fait pour la concorde pour être en
droit d'espérer que la majorité de la
Chambre ne ferait rien de son cùLé pour
ia troubler.
Il nous semble que nous voilà loin de-
la théorie si préconisée dans les mêmes
journaux, laquelle reléguait 31. de Mac-
Mahon dans la sphère calme et silen-
cieuse des souverains constitutionnels.
Le président constitutionnel sort de son
nuage pour s'interposer entre la justice
du pays etles agents du pouvoir person-
nel. Il a fait des sacrifices et il veut.
qu'on lui en fasse aussi; il a daigné ne
pas aller jusqu'au bout, et il ne veut pas-
que la majorité de la représentation
nationale aille jusqu'au bout de la ré-
paration. -
- Un point nous frappe dans celte ar-
gumentation, vin point que nous avons-
d'ailleurs vu sans cesse revenir dans la
polémique des tenants du i8 mai. Il
semblait et il semble encore, à les en-
tendre, que M. de Mac-Mahon d\ia&
part et le pays de l'autre ont un droit
égal, et qu'il s'agit de traiter do
souverain à souverain, en se faisant des
sacrifices mutuels sur le terrain de e.a
droit égal. M. le président, par un
grand effort de condescendance et da
bienveillance, a daigné entrer en ar-
rangement et ouvrir, comme il l'aurait
dit dans son entretien avec M. Dufaure,
une ère d'apaisement et de conciliation.
Mais il entend être payé de réciprocité
et que, s'il a cédé, le pays cède aussi
de soit côté. Voilà, dépouillé de toutes
circonlocutions et de tout ornement, le
fond de presque tous les articles de la
presse officieuse avant la crise, pendant
la crise et après la crise. Et ce fond-là
n'est admissible à aucun prix.
Il n'y a pas de parité de droit ontro
un homme et la souveraineté nationalo.
Et quand cet homme, après s'être mis eu
opposition avec la souveraineté nationa-
le, après avoir résisté pendant deux mois
à la volonté nettement et légalement
exprimée du pays, finit avec bien de la
peine par obéir à cette volonté, il no
fait que son devoir strict, bien strict, et
on ne lui doit pas do compensation et
de complaisances. Il peut lui être désa-
gréable de voir poursui vre les mi nis-
tres, les préfets, les foncuonnaii'es d6
tout ordre qui so sont faits les agents do
sa tentative de pouvoir personnel, mai?:
Feuilleton du RAPPEL
DU 30 DÉCEMBRE
51
LA
FILLE DU TAILLEUR
CHAPITRE XX
Au voleur! — (Suite)
Dans quel état Paupe allait-il retrouver
Marcienne? Que lui dirait-il? Devant sa
porte, il s'arrêta pour délibérer, et fut sur-
pris de sentir que la sueur lui cou'ait du
front, bien qu'il grelottât.
A quoi bon chercher un mensonge?
Marcienne ne pouvait pas être trompée.
Il ouvrit la porte lentement, mais, sur la
.çJ - •
Reproduction interdite.
Voir le Rappel du 5 novembre au &9 décembre.
première marche du seuil, il se tint tout à
coup immobile, stupéfait.
Marcienne était transfigurée. Débarras-
sée des habits de deuil qu'elle avait pris le
matin, ne gardant qu'une jupe noire,
elle était enveloppée d'une espèce de li-
mousine, dont le capuchon, rabattu sur sa
tête, mettait une ombre sur sa pâleur, et,
la coupant par le milieu, la rendait plus
énergique. <
Ses yeux brillaient extraordinairement.
Elle avait échangé ses souliers de cérémo-
nie contre des sabots pour pouvoir mieux
marcher; droite, légèrement adossée au
poêle, les mains croisées sur sa poitrine,
et ne paraissant garder aucune trace de
son accablement, le regard fixe, les lèvres
serrées sur les dents, elle attendait son
père.
Paupe ne trouva plus les mots du préam-
bule qu'il venait d'improviser ; et, après
une hésitation d'une seconde :
— Ils ne sont pas chez Mme Gautier.
— Je le pensais bien 1
— Ah !
— Partons!
Marcienne dit cela de la voix qu'elle
prenait quand elle voulait être obéie, sans
réplique.
Cependant Paupe lui demanda :
— Tu as appris quelque chose?
— Oui.
— Il est venu quelqu'un?
- Non.
— Alors, tu supposes?.
Tout en se hasardant à faire ces ques-
tions, le tailleur reculait devant sa fille; il
fut bientôt dans la rue.
Marcienne, qui sorlait la dernière de la
maison, s'apprêlait à donner un tour de
clé au volet supérieur de la porte pendant
son absence ; puis, une réflexion, une pré-
caution maternelle la fit changer d'idée.
— Ils n'auraient qu'à revenir avant moi,
murmura-t-elle.
— Il n'y a plus rien à voler! ajouta
Paupe, pour se venger du secret que lui
gardait sa fille.
Dans le milieu de la chaussée, quand
Marcienne, qui ne voulait pas faire une
bravade de son énergie, eut saisi le bras de
son père pour s'y appuyer, et pour mieux
régler sans doute leur marche, Paupe re-
prit un peu d'audace.
- - Où allons-nous? demand'a-t-il.
- Sur la route de Troyes.
- Qui te fait croire?.
- Ils n'ont voulu me quitter que pour
aller rejoindre leur mère.
Marcienne dit cela avec un air de convic-
tion à la fois tendre et douloureuse.
t— Leur mère? mais c'est de la folie 1
— Oui, reprit la jeune fille; mais c'est
une folie que je comprends. Je leur parlais
tant de leur mère!
— Kt tu crois qu'ils ont songé à faire ce
voyage à pied ?
- Je crois qu'ils sont partis ; que Léo,
qui a mangé son morceau de pain et fait
manger sa sœur, a emporté de quoi payer
leurs places dans une voiture ; que si nous
ne nous hâtons pas, nous ne les retrouve-
rons plus.
Elle serra un peu plus fort le bras de
son père, et marcha plus vite.
Paupe, frappé de l'idée de sa fille, qu'il
adopta, et rassuré en même temps, ne put
s'empêcher de dire :
— Eh bien ! bon voyage!
Marcienne crispa ses doigts sur le poi-
gnet de son père.
— Tais-toi! papa, lui dit-elle; nous
sommes déjà assez punis!
- Punis !
— J'irai jusqu'à Troyes, s'il le faut, conti-
nua-t-elle ; — je les rejoindrai, et je les
ramènerai!
- Pourquoi ne supposes- tu pas qu'ils
ont été au château? c'est plus près, et ils
connaissent mieux ce chemin-là.
— Pourquoi auraient-ils pris de l'ar-
gent? l'homme qui garde le château les
eût accueillis sans cela. Le château était
trop près de nous. Je te dis que c'est vers
leur mère qu'ils sont allés. Depuis quel-
que temps elle les attire, j'en suis sûre!
Eile frappait sur sa poitrine pour attes-
ter son cœur.
Paupe ne répliqua pas.
Cette conviction l'intimidait, lui impo-
sait du respect, comme il lui en venait
souvent, par bouffées, toutes les fois que
Marcienne montiait son âme.
Il se permit de caresser timidement la
main de sa fille.
— Tu as froid? lui dit-il.
— Oui, il fait bien froid, répondit-elle ;
les pauvres petits! s'ils sont sur la route!
Elle doubla le pas, en frissonnant de
terreur.
— Tu te rendras malade! dit Paupe.
— Il n'y a pas de danger!
— Tu étais déjà si l'alignée ce matin !
— Je me reposerai ce soir si je les re-
trouve. Sinon.
Elle baissa la tê-te, avec l'abandon d'une
morte.
— Je ne veux pas que tu te fasses tant
de mal pour eux! dit le tailleur.
- Ce n'est pas ma faute, papa !. Regarde
ce qui nous reste à aimer, si je les perds?
Sa voix trembla, et s'éteignit dans sa
gorge.
Paupe ne savait plus que dire. Il mar-
chait en marquant, le pas, pour obliger sa
jambe à ne pas boiter.
Ils furent bientôt sortis du village.
La route s'étendait devant eux, blanche,
et cou verte, par instants, d'un tourbillon
de poussière, sifflante et coupante, que la
rafale soulevait. Le vent, contenu par les
maisons, les granges, les enclos du villag e
débordait, et se dilatait à l'aise, en sem-
blant s'aiguiser sur les tas de pierres cou-
verts de givre.
Paupe, les yeux gonflés, se sentait des
remords.
Marcienne ne tremblait plus, n'hésitait
plus.
C'était elle le soldat; elle avait dépassé
la mesure de son courage de tous les jours.
Elle était dans cette phase cataleptique de
l'héroïsme où tout s'émousse contre rcx-
tase.
Le capuchon de la limousine était re-
tombé sur ses épaules ; elle n'y prenait pas
garde. Bien mieux, tout en marchant, elle
portait la main au ruban qui nouait la pe-
lisse sous le menton, comme si elle avait
eu hâte de la repousser de ses épaules pour
ia jeter sur les petits êtres glacés, endoloris
qu'elle allait retrouver.
LOUIS ULBACH.
(A suivre)
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