Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1877-05-10
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 10 mai 1877 10 mai 1877
Description : 1877/05/10 (N2617). 1877/05/10 (N2617).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7528934j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 13/08/2012
Le numéro ~(10) - ~Départemens m êv
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S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
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au manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ADMINISTRATION
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ANNONCES
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6, place de la Bourse, 6
Adresser lettres et mandat»
A M. ERNEST LBPÈVRB
ADMINISTRATEUR-GERANT
LA RÉPONSE DE L'ANGLETERRE
Il serait puéril de se dissimuler la
gravité de la réponse que le comte de
Derby vient de faire à la circulaire du
prince Gortschakoff. Si c'est encore la
neutralité, c'est une neutralité qui
montre les dents. L'épée n'est pas
tirée, mais la main est à la poignée.
La circulaire russe avait essayé de
rejeter sur la ^injuie la responsabilité
de la gutrre et de présenter la Russie
eomrv>« la chargée d'affaires de l'Eu-
rope ci l'exécutrice des volontés géné-
rales en Orient. A ces affirmations, la
réponse anglaise donne deux démentis.
D'après lord Derby, la Porte ne de-
mandait pas mieux que de donner sa-
tisfaction aux légitimes réclamations de
TEurope, et c'est principalement la pré-
sence de forces russes considérables sur
les frontières de la Turquie qui, en lui
rendant le désarmement impouible et
en provoquant un sentiment d'appré-
hension et de fanatisme parmi la popu-
lation musulmane, a constitué un ob-
stacle matériel à la pacification inté-
rieure et aux réformes. Cet obstacle ne
sera pas diminué par rentrée des ar-
mées russes sur le territoire turc. Donc.
ce n'est pas à la Turquie qu'on doit s'en
prendre de la guerre, c'est à la Russie.
Le démenti anglais, très net sur ce
premier point, l'est bien autrement sur
le second. L'Angleterre accepte si peu
le czar pour l'agent exécutif de l'Eu-
rope, qu'elle le dénonce comme violant
la loi européenne. « La ligne de con-
duite adoptée par le gouvernement
russe est une violation de la stipulation
du traité de Paris du 30 mars 1856 par
laquelle la Russie et les autres puis-
sances signataires s'engageaient, cha-
cune pour sa part, à respecter l'indépen-
dance et l'intégrité territoriale de l'em-
pire ottoman. » Cette stipulation fut
confirmée en 1871, à Londres, dans
une conférence où « le plénipotentiaire
russe, concurremment avec ceux des
autres puissances, signa une déclara-
tion affirmant qu'il était de principe es-
sentiel du droit des gens qu'aucune
puissance ne peut se dégager des obli-
gations &za traité, ni en modifier les
stipulations, sans le consentement des
parties contractantes au moyen d'un
arrangemeat amiable ». Le chef du Fo-
reign-Office en conclut qu'« en agis-
sant contre la Turquie pour son propre
tompte, et en ayant recours aux armes
sans avoir consulté ses alliés, l'empe-
reur de Russie est sorti du concert eu-
ropéen qui n'avait pas été troublé jus-
qu'à présent, et s'est départi en même
temps de la règle qu'il s'était engagé
solennellement à suivre ».
Certes, ce sont là des paroles qu'il
serait difficile de ne pas trouver raides,
et, si les phrases étaient des coups de
canon, on pourrait dire que la guerre
est plus que déclarée, qu'elle est com-
mencée, entre l'Angleterre et la Rus-
sie. Mais il faut remarquer que le der-
nier paragraphe est que « le gouverne-
ment de Sa Majesté se serait volontiers
dispensé de faire des observations au
sujet de la circulaire russe » si, en pré-
tendant publiquement que « la Russie
agissait dans l'intérêt de la Grande-
Bretagne », le prince Gortschakoff ne
l'avait pas mis dans l'obligation de dé-
clarer publiquement aussi que « la déci-
sion du gouvernement russe n'était pas
de nature à obtenir son concours ni son
approbation ». La Russie ayant évidem-
ment peu compté sur l'approbation de
l'Angleterre, et encore moins sur son
concours, les optimistes peuvent dire
que les choses sont aujourd'hui ce
que'lles étaient hier, et qu'il n'y a pas
de nouvelle raison pour que la guerre
ne reste pas turco -russe.
Sans être optimistes, nous ne som-
mes pas de ceux qui voient la guerre
partout, qui la voient s'étendre demain
jusqu'à l'Angleterre , après-demain
jusqu'à la France. L'Angleterre s'en
tiendra-t-elle aux paroles, ou sa pro-
testation est-elle la préface de son in-
tervention? Quand même l'Angleterre
ferait la guerre, ce ne serait pas un
motif pour que la France la fît. On nous
a trop donné le droit, en 1870, de n'al-
ler au secours de personne. Mais nous
n'avons pas besoinde faire la guerre pour
l'avoir? Si nous ne la faisons pas, on
peut nous la faire? On ne fait pas la
guerre sans un prétexte. L'Allemagne
avait beau avoir appétit de l'Alsace et
de la Lorraine, il lui a fallu la stupi-
dité de l'ex-empereur, le cléricalisme de
sa femme et une Chambre servante.
La Chambre actuelle mettrait à la porte
un ministère qui voudrait la guerre.
La République peut dire, sans mentir,
elle, qu'elle est la paix.
Mais, ajoutons-le toujours, il faut
tout prévoir. Supposons l'invraisembla-
ble, une agression sans prétexte : eh
bien, nous nous défendrions l Et rude-
ment, cette fois. Devant una agression
pareille, quelle colère au cœur de tous,
quelle fureur de patriotisme, quelle
rage de justice ! La France d'aujourd'hui
n'est plus, d'ailleurs, la France pourrie
par vingt ans d'empire. On peut donc
envisager de sang-froid tous les lende-
mains possibles. H faut se préoccuper
des événements, il ne faut pas s'en
troubler. Notre attitude doit être 'celle
d'un peuple viril qui ne veut pas
la guerre, et qui ne la craint pas.
AUGUSTE VACQUERIE.
> »
LA GUERRE
Le problème : où les Russes passeront-
ils le Danube? est toujours insoluble pour
nous. L'état-major russe seul le sait et ne
juge pas à propos de livrer ce secret à la
publicité, ce dont on ne saurait le blâmer.
Il déploie sa cavalerie nombreuse et ra-
pide en rideau tout le long du Danube; et
derrière ce rideau, il prépare le fou les
points de passage. Les Turcs — à moins
qu'ils n'aient un système d'espionnage
aussi bien organisé que celui des Prussiens
dans la dernière guerre — n'en savent pas
plus que nous et sont tenus en haleine sur
les cinq cent soixante kilomètres où le
cours du grand fleuve forme leur fron-
tière. De fortes colonnes eusses descen-
dent sur Giurgevo, mais d'autres gagnent
la vallée de l'Olto (Aluta). Je crois savoir
que dans l'état-major turc on croit au
passage du côté de Widin. Une dépêche as-
sure que les Turcs ont commencé le bom-
bardement de Kalafat. Leurs irréguliers
tentent de nombreuses incursions sur la
rive roumaine.
Le quartier général russe va être porté à
Ploïesci, à 60 kilomètres de Bucarest, sur
le chemin de fer de Jassy. C'est une
grande ville de 33,000 habitants, la cité de
la Roumanie où il pleut le plus abondam-
ment (en roumain, pluie se dit ploïa, d'où
Ploïesci).
En Asie, il est bien difficile de se recon-
naitre au milieu des noms lamentablement
écorchés par le télégraphe. Mais la dési-
gnation de ces petites localités importe
assez peu. Il est certain que le centre de
l'armée russe est devant Kars, et que
Mouktar-Pacha est avec son armée à 01 ti,
dans une forte position, derrière la chaîne
semi-circulaire dont la concavité est tour-
née vers Kars. C'est dans cette chaîne
qu'est le défilé de Saganloug, signalé par
les dépêches, à 60 verstes au sud-ouest de
Kars (65 kilomètres). Vladikars est un vil-
lage à 8 verstes au sud de Kars (8 kilomè-
tres 112) où Mouravieff avait son qnarticr-
général en i854 ; il est évident que les co-
lonnes russes ont investi Kars de tous cô-
tés, aussi bien du côté qui regarde Erze-
roum que de celui qui regarde Alexandro-
pol. Quant aux batailles, assauts, et à for-
tiori quant à la prise ou à la capitulation,
tout est controuvé.
Il semble bien aussi que la colonne russe
qui a cueilli Barjézid en passant, est venue
rejoindre le gros des forces autour de Kars,
ainsi que celle qui a descendu de Tiflis par
Ardahan. Mais celle qui opère aux envi-
rons de Batoum semble n'avoir pu encore
dépasser cette localité. Il y a eu des enga-
gements dans lesquels les navires turcs
sont intervenus. La prise de Batoum serait
un fait d'armes des plus importantes con-
séquences. Un corps russe pourrait être
porté par la vallée du Tchorok-Sou (le
fleuve dont l'embouchure forme le port de
Batoum) à Baïbourt et couper les commu-
nications entre Erzeroum et Trébizonde;
là route d'Erzeroum à Trébizonde est
complètement commandée par cette posi-
tion de Baïbourt.
Le quartier général de l'armée russe qui
assiége Kars est à Zaïm, à 15 verstes (16
kilomètres de Kars) dans la direction du
nord-est.
LOUIS ASSELINK.
Nous publions à la seconde page les der-
nières nouvelles de la guerre et la suite de
la discussion commencée lundi soir à la
Chambre des communes sur la question
d'Orient.
A VERSAILLES
Je doute qu'il y ait jamais eu de
séance d'où les auditeurs aient emporté
une impression telle. Cela se conçoit :
les bonapartistes, si muets dans les der-
niers débats, avaient résolu de se mon-
trer : ils ont occupé toute la séance.
Soyons juste envers les partis réac-
tionnaires : jamais, à aucune époque,
aucun autçe parti n'a donné un pareil
spectacle. On eût dit un carnaval de
barrière égaré dans la Chambre, avec
ses plaisanteries et ses rixes avinées.
En vain on voulait discuter, s'occuper
des affaires du pays ; ces messieurs
étaient là pour autre chose. Ils ont
avoué, à mainte reprise, n'avoir qu'un
but : déconsidérer les débats parle-
mentaires ; cela leur est facile ; ils
n'ont qu'à s'y mêler.
Comment peindre ce genre de scènes :
le capitan du parti, étalant et balançant
la carrure de ses épaules, tout en lâ-
chant des apostrophes dans son style
habituel; M. Tristan Lambert, hurlant
comme un damné, et agitant frénéti-
quement son cuir chevelu sur son crâne
avec une agilité qui me paraît un bien fort
argument en faveur des transformistes ;
M. Janvier de la Motte, père des
pompiers, héros des banquets, victime
des virements, vociférant comme au
sortir de ces petits soupers pour les-
quels le département de l'Eure est en-
core son créancier; — derrière eux, la
foule des comparses imitant des cris d'a-
nimaux, de la première à la dernière
minute; — dans le tumulte général, de
telles violences, de si insupportables
insultes, des grossièretés si énormeJ,
qu'à de certains moments la gauche
descendit tout entière dans l'hémicy-
'cie, et qu'un membre du gouvernement
lui-même, jusqu'au modéré, au calme
M. Méline, s'avancèrent sur les auteurs
du tapage; - au-dessus, M. Grévy,
secouant d'inoffensifs coups de son-
nette et se nerdant en do longues re-
montrances; et à ce sujet, nous sommes
bien obligé do traduire le sentiment
général.
cc.
Nous comprenons la difficulté de la
tâche qui incombe au président de l'As-
semblée; jamais aucun doses prédéces-
seurs ne se trouva dans sa situation ;
car jamais une Assemblée française
n'eut dans son sein une troupe de tapa-
geurs, apportant dans l'enceinte parle-
mentaire des habitudes qui y sont si
peu à leur place. Comment se fait-il
que M. Grévy ait 'justement commencé
par encourager cette cabale par son in-
dulgence, que Nous avons eu tant de
fois à signaler? Il recueille les fruits de
sa faiblesse. Sa voix n'est plus écoutée,
et il ne sait même pas faire usage des
pénalités que le règlement met à sa dis-
position.
C'est ainsi qu'il est réduit à pérorer
des séances entières, gourmandant en
vain des gens qui se moquent de lui et
de la Chambre. Avec son attitude ma-
jestueuse, c'est un Jupiter sans fou-
dres, dont on n'a plus aucun souci. Il
suffit d'une poignée de hurleurs, rési-
gnés à faire bon marché de leur propre
réputation, pour rendre toute délibé-
ration impossible. Que fallait-il donc
pour avertir M. Grévy? Les tapageurs
ont signé dans leurs journaux, ont con-
fessé à la Chambre même, leurs inexcu-
sables intentions ; ils exécutent ouver-
tement leur plan, d'autant plus aisé
à exécuter, pour eux, qu'il n'exige
qu'un seul talent : celui d'être inconve-
nant; et M. Grévy ne sait pas trouver
la rigoureuse fermeté nécessaire pour
les arrêter!
Il faut que cela finisse. Dans la-Cham-
bre, toutes les patiences sont à bout ;
au dehors, avec le profond écœure-
ment causé par de telles scènes, tout le
monde éprouvera une vive surprise à
les voir impunies. M. Grévy lui-même
doit être maintenant outré et écœuré
par la conduite de ceux dont il a, hélas!
trop accepté et trop justifié les compro-
mettants éloges. De pareils scandales,
nous en avons la confiance, seront do-
rénavant impossibles.
• ©
Deux interpellations bonapartistes,
ou plutôt deux « questions » ont servi
de prétexte à ces indécents tumultes.
La première était posée par un député
bonapartiste de l'Yonne, personnage
fort inconnu, nommé Garnier. Nos lec-
teurs n'ont pas oublié la sœur Saint-
Léon, celle qui a trouvé une si jolie fa-
çon de remplacer le martinet par son
poêle. On se souvient que cette sœur
Saint-Louis a obtenu un acquitte-
ment, que nous n'avons ni le droit, ni
le désir de qualifier. Eh bien ! voici
l'aplomb des cléricaux : aujourd'hui,
M. Granier somme le ministre de ren-
dre à la sœur Saint-Léon son école, et
de réinstaller dans la commune le maire
destitué pour sa connivence avec la
« bonne scelle».
M. Garnier arrive les mai as pleines
de pièces de toutes sortes. Eh bien ! le
brait courait à la Chambre qu'hier ma-
tin, dans un restaurant voisin de la
Madeleine, on pouvait voir le susdit
Garnier attablé avec un des plus hauts
employés du ministère de l'intérieur,
ennemi connu de nos institutions et
qu'il a été souvent question de desti-
tuer. L'employé fournissait tous les do-
cuments contre son ministre. — Par-
bleu, il a raison, puisqu'on ne l'a pas
mis à la porte.
On nous dispensera des développe-
ments auxquels se livre ce Garnier, qui
attaque fort et le préfet et le sous-préfet
intéressés : excellente recommandation
pour ces deux loyaux fonctionnaires. Il
accuse je ne sais plus lequel des deux
d'avoir trop « prêté l'oreille aux arti-
cles du jouma C Yonne o : heureuse lo-
cution, qui nous porte à croire que M.
Garnier lit ua journal avec ses oreilles;;
cela dispense de lunettes.
M. Jules Simon répond par des rai--
sons de bon sens et par des déclara-
tions non équivoques. B lui suffit de-
quelques mots pour réduire à néant les
accusations saugrenues du bonapartiste-
clérical, si zélé défenseur du nouvel
usage que le catholicisme peut faire
des fagots. Mais, à peine le ministre
a-t-il prononcé quelques phrases- que
le tapage commence, comme par l'effet
d'un mot d'ordre.
Dès ce moment, le mieux qu'on
puisse faire est de se boucher les oreil-
les. Pourtant le ministre n'a rien dit qui *
ressemble de près ni de loin à une vio-
lence, même à une attaque. Il se défend
le plus posément du monde. Toute la
droite n'en éclate pas moins en cla-
meurs furieuses, et manifestement dç
parti pris.
Cela dure un grand quart d'heure. M.
Grévy, ne sachant ce que cela veut dire,
essaye de sermonner les tapageurs. M.
Jules Simon s'est adossé à la tribune, &
attend; enfin le bruit cesse, mais c'est
pour reprendre presque aussitôt. La
président déclare qu'il va lever 13
séance; cette menace seule ramène, non
le silence, mais une légère décroise
sance du bruit.
Je le répète : ces clameurs n'avaie
ni motif, ni prétexte, ni explication.
Tout ce qu'on en peut dire, c'est que Ice
bonapartistes posaient une question
pour avoir l'occasion d'étouffer la ré-
ponse sous leurs cris.
s~
Le ministre put cependant faire en-
tendre d'utiles renseignements ; notam-
ment celui-ci : il a entre les mains un
rapport de brigadier de gendarmerie,
attestant, d'après le témoignage du
maire lui-même (du maire qui depuis,
cria si fort pour la sœur Saint-Léon),
que c'était une habitude chez cette
bon ic sœur, de faire asseoir les enfants
sur ie poële chauffé, en manière de pu-
nit on.
On comprend qu'après cela les bona-
partistes n aient pas tenu à en entendre
plus long. C'est à ce moment qu'un bo-
napartiste, sujet à des accès bizarres, et
nommé Tristan Lambert (on le dit,
d'ailleurs, plus à plaindre qu'à blâmer)
se mit à hurler avec persistance :
« L'Internationale ! — l'Internationale 1
— 606 ! » — Cela se rapportait à unj
vieux racontar, d'après lequel M. Julè,S"
Simon aurait porté dans l'Internationale
le n° 606. Ce racontar est tiré de la fa-
meuse enquête sur le 18 mars, ou plu-(
tôt contre la République à propos du 18
mars, conduite, avec les scrupules que
l'on sait, par M. Daru. Il figure dans la
déposition d'un certain Fribourg, qui,
après avoir été l'un des fondateurs de
l'internationale, dénoaça vigoureuse-
ment la fameuse société ouvrière, et
excita de son mieux les méfiances bour-
geoises contre le socialisme, — à là
grande joie de la réaction alors triolll",
phante.
Telle est l'autorité que les bonapr-
tistes ont été heureux de trouver, et
Feuilleton du RAPPEL
DU 10 MAI
58
LE COURRIER
DE CABINET
XXXVIII
Victor Vane dénonce encore
Fergus avait gagné le village. Pas un
lomme dans les chaumières. Les pêcheurs
étaient en mer. L'Ecossais ne put se tenir
de frapper du pied, dans la dernière cabane
où il entra, en n'y voyant, comme dans
toutes les autres, qu'une femme et une
~nichée d'enfants.
La femme, effrayée, se blottit derrière
sa table boiteuse ; les enfants s'enfuirent à
toute volée comme des hirondelles.
Erceldonne revint sur la plage, et demeura
un instant immobile, regardant d'un œil
désespéré l'étendue des ftots.
Tout ce qu'il avait fait serait donc inu-
~le! Pas une voile à l'horizon! Il se voyait,
avec Alba, aussi loin du salut et de la li-
berté qu'au moment où tous deux ils avaient
franchi la porte du monastère, poursuivis
par la meute furieuse des moines. Leur
seule ressource à présent, c était d'aban-
donner la côte et de se rejeter dans l'inté-
jieur du pays. -
La misère au fond £ es bois, les sbires au
ftord des flo^^voilà l'alternative qui se
le Rappel du i i mars au 9 mat.
présentait à la pensée de Fergus. Les fem-
mes dés pêcheurs lui avaient dit que leurs
maris ne rentreraient pas avant la mati-
née du surlendemain. Exposer Alba jus-
que-là aux surprises de la police napoli-
taine, il n'y pouvait songer.
Le mieux était encore de retourner en
arrière ; et il allait se mettre en devoir de
rejoindre Alba pour lui apprendre le triste
résultat de son expédition, quand il enten-
dit un bruit de pas derrière lui.
Un homme descendait avec précaution
de la falaise, par le chemin étroit frayé
entre les roches.
Fergus se demanda si ses yeux ne le
trompaient point. L'homme, arrivé sur la
grève, le salua avec son aisance et sa
grâce accoutumées.
C'était Victor Vane.
— Sir Fergus!.. dit l'élégant aventurier,
ah! vous me voyez charmé de cette rencon-
tre imprévue. Je suis en villégiature sur
cette côte. Et vous aussi, apparemment,
sir Fergus?
Erceldonne le regarda fixement, et ré-
pondit d'un mot : - Non.
— Cependant ce costume?.. reprit Vane,
qui jouait l'étonnement à merveille.
— Je suis ici pour chercher une embar-
cation, dit l'Ecossais.
— Auriez-vous perdu votre chemin par
terre? fit l'Anglo-Vénitien avec un sourire.
Et croyez-vous le mieux retrouver sur
reau?
- Je vous répète, dit Fergus, que je
cherche une barque. C'est vraisemblable-
ment parce que j'en ai besoin. Pourquoi?
Peu importe ! Est-il en votre pouvoir de
m'aider à m'en procurer une ?
— Je regrette de vous dire que non.
L'habitation de l'ami qui m'offre en ce
moment l'hospitalité est assez éloignée de
ce village, et il ne possède pas même un
bateau de plaisance. Mon ami n'a pas le
goût de la mer,
- 11 a peut-être un canot ?
— Un canotl répéta Vane. Vous ne vou-
#
driez point sans doute gagner le large dans
une coquille de noix?
— Pourquoi non?
— Parce que pas un homme sensé ne
tenterait cela, répondit Vane, à moins
d'être bien las de la vie ; ou pis encore, à
moins.
— A moins?. répéta Fergus, regardant
Vane fixement.
— A moins d'avoir à fuir sur terre un
danger pire que les flots.
Erceldonne fit un geste d'impatience.
- Je ne suis pas en humeur d'expliquer
les rébus.
Vane, à son tour, le regarda; mais de
quelle façon caressante !
— Je regrette, dit-il, que vous n'ayez
pas plus de confiance en moi.
La simplicité et la franchise de cette ré-
ponse déroutèrent complètement Fergus.
Sa générosité naturelle lui fit honte de la
méfiance que cet homme avait excitée d'a-
bord en lui. Cette question se présentait
bien toujours à son esprit : que savait
donc Victor Vane? Mais la générosité l'em-
porta. ,
— Ce Vane a mangé à la table d'Alba, se
dit-il. Serait-il capable de la trahir? Non ;
on ne joue pas un rôle si odieux envers une
femme 1
— Ne perdons pas de temps en détours
inutiles, sir Vane, dit-il tout à coup. Cha-
que minute a pour moi un prix immense.
Répondez, je vous prie, aux deux questions
que je vais vous adresser: De quoi donc
êtes-vous instruit? et pourquoi vous paraît-
il naturel ou désirable que je prenne con-
fiance en vous?
- Il me semble que la dernière de ces
deux questions ne saurait être posée à un
galant homme.
— C'est possible. Mais, veuillez m'excu-
ser, je ne stfrD pas danç une disposition
d'esprit qui m ergetfe - d'observer les
lois ou les sviitfttihtëv du monde. Je ne vous
connais pas. Je ne sais de vous que ce que
précisément le mondé en dit; et, à vrai
dire, ce n'est pas de quoi m'encoura-
ger à vous faire des confidences et à me
mettre dans vos mains. Pourtant, vous
paraissez connaître le danger que je
cours.
Victor Vane avait pris un air de dignité
compatissante, comme un homme qui sent
l'injure, mais qui ne veut pas s'en trouver
atteint.
— Je ne vous en veux point pour l'amer-
tume de vos paroles, dit-il ; l'agitation où
je vous vois suffit à l'excuser. Et puis, je
sais que le péril dont vous parlez est la
conséquence d'une action hardie et géné-
reuse. En vérité, je ne sais que cela. Mais
je devine le reste, sir Fergus. Hier, juste-
ment, il m'a été raconté que la comtesse
Vassalis avait été délivrée de sa prison par
un inconnu en costume de pêcheur, qui a
fait preuve en cette affaire d'une audace
presque fabuleuse. Seulement, le chevale-
resque pêcheur a eu tort de frapper mon-
seigneur Giulio Villaflor, car c'est un dan-
gereux ennemi. Monseigneur, fort grave-
ment blessé, n'a pas été depuis en état de
sortir du monastère de Taverna. Voilà
ce que l'on m'a conté. Je sais encore
que des soldats et des sbires ont été
lancés sur la trace du fugitif, qui cher-
chait à gagner la mer. Je crois qu'après ce
que je viens de vous dire, il vous devient
inutile de m'attribuer une perspicacité sur-
prenante. Il n'en est plus besoin pour re-
connaitre en sir Fergus Erceldonne le
hardi barcarolle qui a frustré l'Eglise et
l'Etat de leur précieuse et belle captive.
Le malheur, c'est que le premier venu
n'aura pas moins de pénétration. Toute la
côte sera édifiée sur ce qui vous concerne
avant la fin du jour. Ah ! sir Fergus, ce
n'est pas rien que de faire évader une pri-
sonnière politique et que d'assommer un
prélat!.
Tout cela était dit d'un ton aisé, ironi-
que; et les yeux de Yane fixés sur ceux de
Fergus complétaient ce que ne disait
pas sa bouche.
Ces yeux ajoutaient, dans le langage le
plus expressif et le plus clair : — La com-
tesse et vous, êtes en mon pouvoir. Yois
le voyez bien.
Erceldonne respirait à peine. Pour lui,
il ne craignait rien; pour eIJe, il était sans
courage. Cependant la pensée lui vint
qu'au prix même de leur vie à tous deux,
Alba ne souffrirait point qu'il s'humiliât
devant cet homme.
— Je vois, dit-il, que vous êtes bien
instruit. Mais alors, selon vous, que dois-
je faire?
- Cela demanderait des réflexions dont
vous n'avez guère le loisir. Franchement,
l'avenir me paraît pour vous assez hasar-
deux.
- Ce n'est pas sur l'avenir que je vous
interroge, sir Vane, mais sur le présent. En
vous demandant quel est votre avis, je vous
demande quelles sont vos intentions?
Soyons clairs et brefs. Dois-je vous traiter
en ami ou en ennemi?
— Oh ! oh ! sir Fergus, voilà une question
quelque peu sauvage.
— A laquelle vous pourriez répondre
d'un seul mot, et à laquelle vous répon-
dez par une exclamation qui ne veut rien
dire.
— Eh, monsieur, ne vous reconnaissant
pas le droit de m'interroger, je prends ce-
lui de ne pas vous répondre.
- Soit! reprit Fergus. Vous refusez de
vous expliquer; je sais que cela signifie :
Faites donc le mal, si vous n'en avez pas
peur et honte. Perdez une femme qui vous
a reçu sous son toit ! et que votre con-
science vous pardonne 1
— Vous me jugez trop cruellement, re-
prit Vane, s'enveloppant de nouveau dans
sa dignité. Réfléchissez donc avant de m'ac-
cuser. La cause pour laquelle la comtesse
Vassalis a été arrêtée est la mienne. La
comtesse, vous le savez bien, a été la vie
et la flamme de nos projets. N'est-il donc
pas évident que ses amis sont soupçonnés
et d'avance condamnés comme elle dans
les conseils de l'Eglise et de la couronne.
ei je suis libre, c'est qu'on n'a pu encore
m'atteindre. Comment un proscrit pour-
rait-il vous nuire, à moins d'aller vendra
son âme en vendant les siens? Quels qui
soient les mauvais propos que vous avez
entendus contre moi, croyez-vous réeIJ
lement que je sois ce traître infâme?
Erceldonne l'écoutait et commençait
à être persuadé malgré lui. Un invincible
instinct lui disait encore de se méfier de'
l'aventurier, quoi que celui-ci pût faire
pour dissiper cette méfiance ; mais son
grand cœur craignait de commettre une
terrible injustice. Ce dernier sentiment
demeura le plus fort. f »
- Si je vous ai mal jugé, je vous en de^
mande pardon, dit-il. C'est un peu votre
faute. Vos railleries pouvaient bien in'in-
quiéter dans l'état désespéré où je suis. Je
conviens donc que mon existence, et celle
de la comtesse Vassalis sont dans vos
mains. La mienne, c'est peu de chose;
la sienne doit vouswêtre sacrée.
— Vous ne doutez point qu'elle ne soit,'
en effet, telle à mes yeux? s'écria Vane
avec chaleur. i
— Maintenant vous dites ne pouvoir rien'
pour nous, reprit Fergus; le seul secours que
nous puissions attendre de vous, c'est vo-
tre silence; je vous remercie de nous
l'avoir promis. Adieu, sir Vane. Encore;
une fois, oubliez mes paroles si elles vous;
ont offensé. - ;
Il n'y a point d'homme si endurci, que de
certaines grandeurs d'action ou de senti-'
ment ne puissent toucher. Une sorte de
compassion admirative se fit jour dans le!
cœur de Vane. L'aventurier détestait Fer-!
gus, il éprouvait même contre lui une
jalousie furieuse, implacable, pire que la
haine. Et pourtant, pendant quelques se-1
condes, il se sentit vaincu, prêt à s'incli-
ner devant son ennemi.
Mais ce ne fut qu'un éclair dans cette'
âme obscurcie. Aùssitôt il revint à son rOltW
OUIDA.
(A 5t*u»ae.][
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> ; *ÊP'^ i-
S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
f tk i à 6 heures, du «ou*
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au manuscrits non insérés ne seront pas rendus
ADMINISTRATION
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ANNONCES
MU. Ch. LAGRAiNGE, CERF et O
6, place de la Bourse, 6
Adresser lettres et mandat»
A M. ERNEST LBPÈVRB
ADMINISTRATEUR-GERANT
LA RÉPONSE DE L'ANGLETERRE
Il serait puéril de se dissimuler la
gravité de la réponse que le comte de
Derby vient de faire à la circulaire du
prince Gortschakoff. Si c'est encore la
neutralité, c'est une neutralité qui
montre les dents. L'épée n'est pas
tirée, mais la main est à la poignée.
La circulaire russe avait essayé de
rejeter sur la ^injuie la responsabilité
de la gutrre et de présenter la Russie
eomrv>« la chargée d'affaires de l'Eu-
rope ci l'exécutrice des volontés géné-
rales en Orient. A ces affirmations, la
réponse anglaise donne deux démentis.
D'après lord Derby, la Porte ne de-
mandait pas mieux que de donner sa-
tisfaction aux légitimes réclamations de
TEurope, et c'est principalement la pré-
sence de forces russes considérables sur
les frontières de la Turquie qui, en lui
rendant le désarmement impouible et
en provoquant un sentiment d'appré-
hension et de fanatisme parmi la popu-
lation musulmane, a constitué un ob-
stacle matériel à la pacification inté-
rieure et aux réformes. Cet obstacle ne
sera pas diminué par rentrée des ar-
mées russes sur le territoire turc. Donc.
ce n'est pas à la Turquie qu'on doit s'en
prendre de la guerre, c'est à la Russie.
Le démenti anglais, très net sur ce
premier point, l'est bien autrement sur
le second. L'Angleterre accepte si peu
le czar pour l'agent exécutif de l'Eu-
rope, qu'elle le dénonce comme violant
la loi européenne. « La ligne de con-
duite adoptée par le gouvernement
russe est une violation de la stipulation
du traité de Paris du 30 mars 1856 par
laquelle la Russie et les autres puis-
sances signataires s'engageaient, cha-
cune pour sa part, à respecter l'indépen-
dance et l'intégrité territoriale de l'em-
pire ottoman. » Cette stipulation fut
confirmée en 1871, à Londres, dans
une conférence où « le plénipotentiaire
russe, concurremment avec ceux des
autres puissances, signa une déclara-
tion affirmant qu'il était de principe es-
sentiel du droit des gens qu'aucune
puissance ne peut se dégager des obli-
gations &za traité, ni en modifier les
stipulations, sans le consentement des
parties contractantes au moyen d'un
arrangemeat amiable ». Le chef du Fo-
reign-Office en conclut qu'« en agis-
sant contre la Turquie pour son propre
tompte, et en ayant recours aux armes
sans avoir consulté ses alliés, l'empe-
reur de Russie est sorti du concert eu-
ropéen qui n'avait pas été troublé jus-
qu'à présent, et s'est départi en même
temps de la règle qu'il s'était engagé
solennellement à suivre ».
Certes, ce sont là des paroles qu'il
serait difficile de ne pas trouver raides,
et, si les phrases étaient des coups de
canon, on pourrait dire que la guerre
est plus que déclarée, qu'elle est com-
mencée, entre l'Angleterre et la Rus-
sie. Mais il faut remarquer que le der-
nier paragraphe est que « le gouverne-
ment de Sa Majesté se serait volontiers
dispensé de faire des observations au
sujet de la circulaire russe » si, en pré-
tendant publiquement que « la Russie
agissait dans l'intérêt de la Grande-
Bretagne », le prince Gortschakoff ne
l'avait pas mis dans l'obligation de dé-
clarer publiquement aussi que « la déci-
sion du gouvernement russe n'était pas
de nature à obtenir son concours ni son
approbation ». La Russie ayant évidem-
ment peu compté sur l'approbation de
l'Angleterre, et encore moins sur son
concours, les optimistes peuvent dire
que les choses sont aujourd'hui ce
que'lles étaient hier, et qu'il n'y a pas
de nouvelle raison pour que la guerre
ne reste pas turco -russe.
Sans être optimistes, nous ne som-
mes pas de ceux qui voient la guerre
partout, qui la voient s'étendre demain
jusqu'à l'Angleterre , après-demain
jusqu'à la France. L'Angleterre s'en
tiendra-t-elle aux paroles, ou sa pro-
testation est-elle la préface de son in-
tervention? Quand même l'Angleterre
ferait la guerre, ce ne serait pas un
motif pour que la France la fît. On nous
a trop donné le droit, en 1870, de n'al-
ler au secours de personne. Mais nous
n'avons pas besoinde faire la guerre pour
l'avoir? Si nous ne la faisons pas, on
peut nous la faire? On ne fait pas la
guerre sans un prétexte. L'Allemagne
avait beau avoir appétit de l'Alsace et
de la Lorraine, il lui a fallu la stupi-
dité de l'ex-empereur, le cléricalisme de
sa femme et une Chambre servante.
La Chambre actuelle mettrait à la porte
un ministère qui voudrait la guerre.
La République peut dire, sans mentir,
elle, qu'elle est la paix.
Mais, ajoutons-le toujours, il faut
tout prévoir. Supposons l'invraisembla-
ble, une agression sans prétexte : eh
bien, nous nous défendrions l Et rude-
ment, cette fois. Devant una agression
pareille, quelle colère au cœur de tous,
quelle fureur de patriotisme, quelle
rage de justice ! La France d'aujourd'hui
n'est plus, d'ailleurs, la France pourrie
par vingt ans d'empire. On peut donc
envisager de sang-froid tous les lende-
mains possibles. H faut se préoccuper
des événements, il ne faut pas s'en
troubler. Notre attitude doit être 'celle
d'un peuple viril qui ne veut pas
la guerre, et qui ne la craint pas.
AUGUSTE VACQUERIE.
> »
LA GUERRE
Le problème : où les Russes passeront-
ils le Danube? est toujours insoluble pour
nous. L'état-major russe seul le sait et ne
juge pas à propos de livrer ce secret à la
publicité, ce dont on ne saurait le blâmer.
Il déploie sa cavalerie nombreuse et ra-
pide en rideau tout le long du Danube; et
derrière ce rideau, il prépare le fou les
points de passage. Les Turcs — à moins
qu'ils n'aient un système d'espionnage
aussi bien organisé que celui des Prussiens
dans la dernière guerre — n'en savent pas
plus que nous et sont tenus en haleine sur
les cinq cent soixante kilomètres où le
cours du grand fleuve forme leur fron-
tière. De fortes colonnes eusses descen-
dent sur Giurgevo, mais d'autres gagnent
la vallée de l'Olto (Aluta). Je crois savoir
que dans l'état-major turc on croit au
passage du côté de Widin. Une dépêche as-
sure que les Turcs ont commencé le bom-
bardement de Kalafat. Leurs irréguliers
tentent de nombreuses incursions sur la
rive roumaine.
Le quartier général russe va être porté à
Ploïesci, à 60 kilomètres de Bucarest, sur
le chemin de fer de Jassy. C'est une
grande ville de 33,000 habitants, la cité de
la Roumanie où il pleut le plus abondam-
ment (en roumain, pluie se dit ploïa, d'où
Ploïesci).
En Asie, il est bien difficile de se recon-
naitre au milieu des noms lamentablement
écorchés par le télégraphe. Mais la dési-
gnation de ces petites localités importe
assez peu. Il est certain que le centre de
l'armée russe est devant Kars, et que
Mouktar-Pacha est avec son armée à 01 ti,
dans une forte position, derrière la chaîne
semi-circulaire dont la concavité est tour-
née vers Kars. C'est dans cette chaîne
qu'est le défilé de Saganloug, signalé par
les dépêches, à 60 verstes au sud-ouest de
Kars (65 kilomètres). Vladikars est un vil-
lage à 8 verstes au sud de Kars (8 kilomè-
tres 112) où Mouravieff avait son qnarticr-
général en i854 ; il est évident que les co-
lonnes russes ont investi Kars de tous cô-
tés, aussi bien du côté qui regarde Erze-
roum que de celui qui regarde Alexandro-
pol. Quant aux batailles, assauts, et à for-
tiori quant à la prise ou à la capitulation,
tout est controuvé.
Il semble bien aussi que la colonne russe
qui a cueilli Barjézid en passant, est venue
rejoindre le gros des forces autour de Kars,
ainsi que celle qui a descendu de Tiflis par
Ardahan. Mais celle qui opère aux envi-
rons de Batoum semble n'avoir pu encore
dépasser cette localité. Il y a eu des enga-
gements dans lesquels les navires turcs
sont intervenus. La prise de Batoum serait
un fait d'armes des plus importantes con-
séquences. Un corps russe pourrait être
porté par la vallée du Tchorok-Sou (le
fleuve dont l'embouchure forme le port de
Batoum) à Baïbourt et couper les commu-
nications entre Erzeroum et Trébizonde;
là route d'Erzeroum à Trébizonde est
complètement commandée par cette posi-
tion de Baïbourt.
Le quartier général de l'armée russe qui
assiége Kars est à Zaïm, à 15 verstes (16
kilomètres de Kars) dans la direction du
nord-est.
LOUIS ASSELINK.
Nous publions à la seconde page les der-
nières nouvelles de la guerre et la suite de
la discussion commencée lundi soir à la
Chambre des communes sur la question
d'Orient.
A VERSAILLES
Je doute qu'il y ait jamais eu de
séance d'où les auditeurs aient emporté
une impression telle. Cela se conçoit :
les bonapartistes, si muets dans les der-
niers débats, avaient résolu de se mon-
trer : ils ont occupé toute la séance.
Soyons juste envers les partis réac-
tionnaires : jamais, à aucune époque,
aucun autçe parti n'a donné un pareil
spectacle. On eût dit un carnaval de
barrière égaré dans la Chambre, avec
ses plaisanteries et ses rixes avinées.
En vain on voulait discuter, s'occuper
des affaires du pays ; ces messieurs
étaient là pour autre chose. Ils ont
avoué, à mainte reprise, n'avoir qu'un
but : déconsidérer les débats parle-
mentaires ; cela leur est facile ; ils
n'ont qu'à s'y mêler.
Comment peindre ce genre de scènes :
le capitan du parti, étalant et balançant
la carrure de ses épaules, tout en lâ-
chant des apostrophes dans son style
habituel; M. Tristan Lambert, hurlant
comme un damné, et agitant frénéti-
quement son cuir chevelu sur son crâne
avec une agilité qui me paraît un bien fort
argument en faveur des transformistes ;
M. Janvier de la Motte, père des
pompiers, héros des banquets, victime
des virements, vociférant comme au
sortir de ces petits soupers pour les-
quels le département de l'Eure est en-
core son créancier; — derrière eux, la
foule des comparses imitant des cris d'a-
nimaux, de la première à la dernière
minute; — dans le tumulte général, de
telles violences, de si insupportables
insultes, des grossièretés si énormeJ,
qu'à de certains moments la gauche
descendit tout entière dans l'hémicy-
'cie, et qu'un membre du gouvernement
lui-même, jusqu'au modéré, au calme
M. Méline, s'avancèrent sur les auteurs
du tapage; - au-dessus, M. Grévy,
secouant d'inoffensifs coups de son-
nette et se nerdant en do longues re-
montrances; et à ce sujet, nous sommes
bien obligé do traduire le sentiment
général.
cc.
Nous comprenons la difficulté de la
tâche qui incombe au président de l'As-
semblée; jamais aucun doses prédéces-
seurs ne se trouva dans sa situation ;
car jamais une Assemblée française
n'eut dans son sein une troupe de tapa-
geurs, apportant dans l'enceinte parle-
mentaire des habitudes qui y sont si
peu à leur place. Comment se fait-il
que M. Grévy ait 'justement commencé
par encourager cette cabale par son in-
dulgence, que Nous avons eu tant de
fois à signaler? Il recueille les fruits de
sa faiblesse. Sa voix n'est plus écoutée,
et il ne sait même pas faire usage des
pénalités que le règlement met à sa dis-
position.
C'est ainsi qu'il est réduit à pérorer
des séances entières, gourmandant en
vain des gens qui se moquent de lui et
de la Chambre. Avec son attitude ma-
jestueuse, c'est un Jupiter sans fou-
dres, dont on n'a plus aucun souci. Il
suffit d'une poignée de hurleurs, rési-
gnés à faire bon marché de leur propre
réputation, pour rendre toute délibé-
ration impossible. Que fallait-il donc
pour avertir M. Grévy? Les tapageurs
ont signé dans leurs journaux, ont con-
fessé à la Chambre même, leurs inexcu-
sables intentions ; ils exécutent ouver-
tement leur plan, d'autant plus aisé
à exécuter, pour eux, qu'il n'exige
qu'un seul talent : celui d'être inconve-
nant; et M. Grévy ne sait pas trouver
la rigoureuse fermeté nécessaire pour
les arrêter!
Il faut que cela finisse. Dans la-Cham-
bre, toutes les patiences sont à bout ;
au dehors, avec le profond écœure-
ment causé par de telles scènes, tout le
monde éprouvera une vive surprise à
les voir impunies. M. Grévy lui-même
doit être maintenant outré et écœuré
par la conduite de ceux dont il a, hélas!
trop accepté et trop justifié les compro-
mettants éloges. De pareils scandales,
nous en avons la confiance, seront do-
rénavant impossibles.
• ©
Deux interpellations bonapartistes,
ou plutôt deux « questions » ont servi
de prétexte à ces indécents tumultes.
La première était posée par un député
bonapartiste de l'Yonne, personnage
fort inconnu, nommé Garnier. Nos lec-
teurs n'ont pas oublié la sœur Saint-
Léon, celle qui a trouvé une si jolie fa-
çon de remplacer le martinet par son
poêle. On se souvient que cette sœur
Saint-Louis a obtenu un acquitte-
ment, que nous n'avons ni le droit, ni
le désir de qualifier. Eh bien ! voici
l'aplomb des cléricaux : aujourd'hui,
M. Granier somme le ministre de ren-
dre à la sœur Saint-Léon son école, et
de réinstaller dans la commune le maire
destitué pour sa connivence avec la
« bonne scelle».
M. Garnier arrive les mai as pleines
de pièces de toutes sortes. Eh bien ! le
brait courait à la Chambre qu'hier ma-
tin, dans un restaurant voisin de la
Madeleine, on pouvait voir le susdit
Garnier attablé avec un des plus hauts
employés du ministère de l'intérieur,
ennemi connu de nos institutions et
qu'il a été souvent question de desti-
tuer. L'employé fournissait tous les do-
cuments contre son ministre. — Par-
bleu, il a raison, puisqu'on ne l'a pas
mis à la porte.
On nous dispensera des développe-
ments auxquels se livre ce Garnier, qui
attaque fort et le préfet et le sous-préfet
intéressés : excellente recommandation
pour ces deux loyaux fonctionnaires. Il
accuse je ne sais plus lequel des deux
d'avoir trop « prêté l'oreille aux arti-
cles du jouma C Yonne o : heureuse lo-
cution, qui nous porte à croire que M.
Garnier lit ua journal avec ses oreilles;;
cela dispense de lunettes.
M. Jules Simon répond par des rai--
sons de bon sens et par des déclara-
tions non équivoques. B lui suffit de-
quelques mots pour réduire à néant les
accusations saugrenues du bonapartiste-
clérical, si zélé défenseur du nouvel
usage que le catholicisme peut faire
des fagots. Mais, à peine le ministre
a-t-il prononcé quelques phrases- que
le tapage commence, comme par l'effet
d'un mot d'ordre.
Dès ce moment, le mieux qu'on
puisse faire est de se boucher les oreil-
les. Pourtant le ministre n'a rien dit qui *
ressemble de près ni de loin à une vio-
lence, même à une attaque. Il se défend
le plus posément du monde. Toute la
droite n'en éclate pas moins en cla-
meurs furieuses, et manifestement dç
parti pris.
Cela dure un grand quart d'heure. M.
Grévy, ne sachant ce que cela veut dire,
essaye de sermonner les tapageurs. M.
Jules Simon s'est adossé à la tribune, &
attend; enfin le bruit cesse, mais c'est
pour reprendre presque aussitôt. La
président déclare qu'il va lever 13
séance; cette menace seule ramène, non
le silence, mais une légère décroise
sance du bruit.
Je le répète : ces clameurs n'avaie
ni motif, ni prétexte, ni explication.
Tout ce qu'on en peut dire, c'est que Ice
bonapartistes posaient une question
pour avoir l'occasion d'étouffer la ré-
ponse sous leurs cris.
s~
Le ministre put cependant faire en-
tendre d'utiles renseignements ; notam-
ment celui-ci : il a entre les mains un
rapport de brigadier de gendarmerie,
attestant, d'après le témoignage du
maire lui-même (du maire qui depuis,
cria si fort pour la sœur Saint-Léon),
que c'était une habitude chez cette
bon ic sœur, de faire asseoir les enfants
sur ie poële chauffé, en manière de pu-
nit on.
On comprend qu'après cela les bona-
partistes n aient pas tenu à en entendre
plus long. C'est à ce moment qu'un bo-
napartiste, sujet à des accès bizarres, et
nommé Tristan Lambert (on le dit,
d'ailleurs, plus à plaindre qu'à blâmer)
se mit à hurler avec persistance :
« L'Internationale ! — l'Internationale 1
— 606 ! » — Cela se rapportait à unj
vieux racontar, d'après lequel M. Julè,S"
Simon aurait porté dans l'Internationale
le n° 606. Ce racontar est tiré de la fa-
meuse enquête sur le 18 mars, ou plu-(
tôt contre la République à propos du 18
mars, conduite, avec les scrupules que
l'on sait, par M. Daru. Il figure dans la
déposition d'un certain Fribourg, qui,
après avoir été l'un des fondateurs de
l'internationale, dénoaça vigoureuse-
ment la fameuse société ouvrière, et
excita de son mieux les méfiances bour-
geoises contre le socialisme, — à là
grande joie de la réaction alors triolll",
phante.
Telle est l'autorité que les bonapr-
tistes ont été heureux de trouver, et
Feuilleton du RAPPEL
DU 10 MAI
58
LE COURRIER
DE CABINET
XXXVIII
Victor Vane dénonce encore
Fergus avait gagné le village. Pas un
lomme dans les chaumières. Les pêcheurs
étaient en mer. L'Ecossais ne put se tenir
de frapper du pied, dans la dernière cabane
où il entra, en n'y voyant, comme dans
toutes les autres, qu'une femme et une
~nichée d'enfants.
La femme, effrayée, se blottit derrière
sa table boiteuse ; les enfants s'enfuirent à
toute volée comme des hirondelles.
Erceldonne revint sur la plage, et demeura
un instant immobile, regardant d'un œil
désespéré l'étendue des ftots.
Tout ce qu'il avait fait serait donc inu-
~le! Pas une voile à l'horizon! Il se voyait,
avec Alba, aussi loin du salut et de la li-
berté qu'au moment où tous deux ils avaient
franchi la porte du monastère, poursuivis
par la meute furieuse des moines. Leur
seule ressource à présent, c était d'aban-
donner la côte et de se rejeter dans l'inté-
jieur du pays. -
La misère au fond £ es bois, les sbires au
ftord des flo^^voilà l'alternative qui se
le Rappel du i i mars au 9 mat.
présentait à la pensée de Fergus. Les fem-
mes dés pêcheurs lui avaient dit que leurs
maris ne rentreraient pas avant la mati-
née du surlendemain. Exposer Alba jus-
que-là aux surprises de la police napoli-
taine, il n'y pouvait songer.
Le mieux était encore de retourner en
arrière ; et il allait se mettre en devoir de
rejoindre Alba pour lui apprendre le triste
résultat de son expédition, quand il enten-
dit un bruit de pas derrière lui.
Un homme descendait avec précaution
de la falaise, par le chemin étroit frayé
entre les roches.
Fergus se demanda si ses yeux ne le
trompaient point. L'homme, arrivé sur la
grève, le salua avec son aisance et sa
grâce accoutumées.
C'était Victor Vane.
— Sir Fergus!.. dit l'élégant aventurier,
ah! vous me voyez charmé de cette rencon-
tre imprévue. Je suis en villégiature sur
cette côte. Et vous aussi, apparemment,
sir Fergus?
Erceldonne le regarda fixement, et ré-
pondit d'un mot : - Non.
— Cependant ce costume?.. reprit Vane,
qui jouait l'étonnement à merveille.
— Je suis ici pour chercher une embar-
cation, dit l'Ecossais.
— Auriez-vous perdu votre chemin par
terre? fit l'Anglo-Vénitien avec un sourire.
Et croyez-vous le mieux retrouver sur
reau?
- Je vous répète, dit Fergus, que je
cherche une barque. C'est vraisemblable-
ment parce que j'en ai besoin. Pourquoi?
Peu importe ! Est-il en votre pouvoir de
m'aider à m'en procurer une ?
— Je regrette de vous dire que non.
L'habitation de l'ami qui m'offre en ce
moment l'hospitalité est assez éloignée de
ce village, et il ne possède pas même un
bateau de plaisance. Mon ami n'a pas le
goût de la mer,
- 11 a peut-être un canot ?
— Un canotl répéta Vane. Vous ne vou-
#
driez point sans doute gagner le large dans
une coquille de noix?
— Pourquoi non?
— Parce que pas un homme sensé ne
tenterait cela, répondit Vane, à moins
d'être bien las de la vie ; ou pis encore, à
moins.
— A moins?. répéta Fergus, regardant
Vane fixement.
— A moins d'avoir à fuir sur terre un
danger pire que les flots.
Erceldonne fit un geste d'impatience.
- Je ne suis pas en humeur d'expliquer
les rébus.
Vane, à son tour, le regarda; mais de
quelle façon caressante !
— Je regrette, dit-il, que vous n'ayez
pas plus de confiance en moi.
La simplicité et la franchise de cette ré-
ponse déroutèrent complètement Fergus.
Sa générosité naturelle lui fit honte de la
méfiance que cet homme avait excitée d'a-
bord en lui. Cette question se présentait
bien toujours à son esprit : que savait
donc Victor Vane? Mais la générosité l'em-
porta. ,
— Ce Vane a mangé à la table d'Alba, se
dit-il. Serait-il capable de la trahir? Non ;
on ne joue pas un rôle si odieux envers une
femme 1
— Ne perdons pas de temps en détours
inutiles, sir Vane, dit-il tout à coup. Cha-
que minute a pour moi un prix immense.
Répondez, je vous prie, aux deux questions
que je vais vous adresser: De quoi donc
êtes-vous instruit? et pourquoi vous paraît-
il naturel ou désirable que je prenne con-
fiance en vous?
- Il me semble que la dernière de ces
deux questions ne saurait être posée à un
galant homme.
— C'est possible. Mais, veuillez m'excu-
ser, je ne stfrD pas danç une disposition
d'esprit qui m ergetfe - d'observer les
lois ou les sviitfttihtëv du monde. Je ne vous
connais pas. Je ne sais de vous que ce que
précisément le mondé en dit; et, à vrai
dire, ce n'est pas de quoi m'encoura-
ger à vous faire des confidences et à me
mettre dans vos mains. Pourtant, vous
paraissez connaître le danger que je
cours.
Victor Vane avait pris un air de dignité
compatissante, comme un homme qui sent
l'injure, mais qui ne veut pas s'en trouver
atteint.
— Je ne vous en veux point pour l'amer-
tume de vos paroles, dit-il ; l'agitation où
je vous vois suffit à l'excuser. Et puis, je
sais que le péril dont vous parlez est la
conséquence d'une action hardie et géné-
reuse. En vérité, je ne sais que cela. Mais
je devine le reste, sir Fergus. Hier, juste-
ment, il m'a été raconté que la comtesse
Vassalis avait été délivrée de sa prison par
un inconnu en costume de pêcheur, qui a
fait preuve en cette affaire d'une audace
presque fabuleuse. Seulement, le chevale-
resque pêcheur a eu tort de frapper mon-
seigneur Giulio Villaflor, car c'est un dan-
gereux ennemi. Monseigneur, fort grave-
ment blessé, n'a pas été depuis en état de
sortir du monastère de Taverna. Voilà
ce que l'on m'a conté. Je sais encore
que des soldats et des sbires ont été
lancés sur la trace du fugitif, qui cher-
chait à gagner la mer. Je crois qu'après ce
que je viens de vous dire, il vous devient
inutile de m'attribuer une perspicacité sur-
prenante. Il n'en est plus besoin pour re-
connaitre en sir Fergus Erceldonne le
hardi barcarolle qui a frustré l'Eglise et
l'Etat de leur précieuse et belle captive.
Le malheur, c'est que le premier venu
n'aura pas moins de pénétration. Toute la
côte sera édifiée sur ce qui vous concerne
avant la fin du jour. Ah ! sir Fergus, ce
n'est pas rien que de faire évader une pri-
sonnière politique et que d'assommer un
prélat!.
Tout cela était dit d'un ton aisé, ironi-
que; et les yeux de Yane fixés sur ceux de
Fergus complétaient ce que ne disait
pas sa bouche.
Ces yeux ajoutaient, dans le langage le
plus expressif et le plus clair : — La com-
tesse et vous, êtes en mon pouvoir. Yois
le voyez bien.
Erceldonne respirait à peine. Pour lui,
il ne craignait rien; pour eIJe, il était sans
courage. Cependant la pensée lui vint
qu'au prix même de leur vie à tous deux,
Alba ne souffrirait point qu'il s'humiliât
devant cet homme.
— Je vois, dit-il, que vous êtes bien
instruit. Mais alors, selon vous, que dois-
je faire?
- Cela demanderait des réflexions dont
vous n'avez guère le loisir. Franchement,
l'avenir me paraît pour vous assez hasar-
deux.
- Ce n'est pas sur l'avenir que je vous
interroge, sir Vane, mais sur le présent. En
vous demandant quel est votre avis, je vous
demande quelles sont vos intentions?
Soyons clairs et brefs. Dois-je vous traiter
en ami ou en ennemi?
— Oh ! oh ! sir Fergus, voilà une question
quelque peu sauvage.
— A laquelle vous pourriez répondre
d'un seul mot, et à laquelle vous répon-
dez par une exclamation qui ne veut rien
dire.
— Eh, monsieur, ne vous reconnaissant
pas le droit de m'interroger, je prends ce-
lui de ne pas vous répondre.
- Soit! reprit Fergus. Vous refusez de
vous expliquer; je sais que cela signifie :
Faites donc le mal, si vous n'en avez pas
peur et honte. Perdez une femme qui vous
a reçu sous son toit ! et que votre con-
science vous pardonne 1
— Vous me jugez trop cruellement, re-
prit Vane, s'enveloppant de nouveau dans
sa dignité. Réfléchissez donc avant de m'ac-
cuser. La cause pour laquelle la comtesse
Vassalis a été arrêtée est la mienne. La
comtesse, vous le savez bien, a été la vie
et la flamme de nos projets. N'est-il donc
pas évident que ses amis sont soupçonnés
et d'avance condamnés comme elle dans
les conseils de l'Eglise et de la couronne.
ei je suis libre, c'est qu'on n'a pu encore
m'atteindre. Comment un proscrit pour-
rait-il vous nuire, à moins d'aller vendra
son âme en vendant les siens? Quels qui
soient les mauvais propos que vous avez
entendus contre moi, croyez-vous réeIJ
lement que je sois ce traître infâme?
Erceldonne l'écoutait et commençait
à être persuadé malgré lui. Un invincible
instinct lui disait encore de se méfier de'
l'aventurier, quoi que celui-ci pût faire
pour dissiper cette méfiance ; mais son
grand cœur craignait de commettre une
terrible injustice. Ce dernier sentiment
demeura le plus fort. f »
- Si je vous ai mal jugé, je vous en de^
mande pardon, dit-il. C'est un peu votre
faute. Vos railleries pouvaient bien in'in-
quiéter dans l'état désespéré où je suis. Je
conviens donc que mon existence, et celle
de la comtesse Vassalis sont dans vos
mains. La mienne, c'est peu de chose;
la sienne doit vouswêtre sacrée.
— Vous ne doutez point qu'elle ne soit,'
en effet, telle à mes yeux? s'écria Vane
avec chaleur. i
— Maintenant vous dites ne pouvoir rien'
pour nous, reprit Fergus; le seul secours que
nous puissions attendre de vous, c'est vo-
tre silence; je vous remercie de nous
l'avoir promis. Adieu, sir Vane. Encore;
une fois, oubliez mes paroles si elles vous;
ont offensé. - ;
Il n'y a point d'homme si endurci, que de
certaines grandeurs d'action ou de senti-'
ment ne puissent toucher. Une sorte de
compassion admirative se fit jour dans le!
cœur de Vane. L'aventurier détestait Fer-!
gus, il éprouvait même contre lui une
jalousie furieuse, implacable, pire que la
haine. Et pourtant, pendant quelques se-1
condes, il se sentit vaincu, prêt à s'incli-
ner devant son ennemi.
Mais ce ne fut qu'un éclair dans cette'
âme obscurcie. Aùssitôt il revint à son rOltW
OUIDA.
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