Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1877-05-04
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 mai 1877 04 mai 1877
Description : 1877/05/04 (N2611). 1877/05/04 (N2611).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7528928t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/08/2012
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L'INTERPELLATION D'AUJOURD'HUI
Il s'est puné, à la séance de réouver-
ture de la Chambre des députés, un fait
bizarre.
Supposez-vous à une des chambres
de la police correctionnelle. Un accusé
est amené et on lui lit l'acte d'accusa-
tion. Il est prévenu de tapage nocturne,
d'avoir troubliâ la paix publique, d'a-
voir appelé aux armes, d'avoir menacé
les wisins^ d'avoir jeté l'inquiétude
dans tout un quartier. Au moment où le
président va l'interroger, l'accusé se
tourne vers le gendarme, et lui dit :
— Accusé, qu'avez-vous à répon-
drê, ?
C'est l'accusé qui dit cela? Oui, c'est
l'accusé. Au gendarme? oui, au gen-
darme. - .-
Vous demandez quel homme pour-
fait être assez écervelé ou assez farceur
pour se permettre unetelle interversion
des rôles. Uhomme qui pousse jusque-
là la farce ou l'absence de cervelle est
M. l'ex-cuirassier de Mun.
La chose ne s'est pas passée à une
dés chambres de la police correetion-
nelle) mais, ce qui en augmente la gra-
vité, à une des Chambres de la repré-
sentation nationale.
M. Leblond, au nom des trois gau-
ches, et l'on peut dire au nom de la
France, venait de déposer à la tribune
la demande de l'interpellation « sur les
mesures que le gouvernement a prises
et qu'il so propose de prendre pour ré-
menées ultramontainés dont
la recrudescence inquiète le pays ». Le
du conseil avait accepté l'in-
terpellation, et la Chambre en avait fixé
le jour a aujourd'hui. L'ultramonta-
-~ n~BB~ -da&s.- la personne ex-cuirassée
- de M. de Mun, s'est tourné vers le pré-
- sident du conseil, et lui a dit hardi-
ment : — Accusé, qu'avez-vous à
» l'épondre?-
Répondre sur quoi? Ai-je besoin de
vous le dire ? Mais sur les attentats de
la presse républicaine ! Est-ce que la
presse républicaine n'a pas eu l'infamie
de s'indigner des pétitions et des man-
dements par lesquels ceux des Français
qui préfèrent le Syllabus à la Déclara-
tion des droits ont fait ce qui a dépendu
d'eux pour compromettre la France
dans un conflit avec l'Italie ayant der-
rière elle l'Allemagne ? La presse répu-
blicaine a préféré, elle, la France au
Vatican, C'est pourquoi M. Kolb-Ber-
tiard a ordonné, lundi, au gouvernement
de la République, de faire taire la
presse républicaine, à peina de « périr
misérablement dans la fange et dans le
* sang, sous la réprobation et le mépris M.
lit c'est pourquoi M. de Mun a demandé,
mardi, à M. Jules Simon s'il n'allait
pas en finir avec les journaux républi-
cains, dplus vite que ça !
Si Ton prenait au sérieux les dénon-
ciations dé MM. Kolb-Bernard et de
Man, on répondrait au sénateur de nous
aé savons quel département et au dé-
poté de teutes les sacristies que, quand
mêbw-à, presse républicaine, au lieu
d'avoir fait son devoir, aurait commis
tous les attentats qu'ils prétendent, cela
n'absoudrait pas le cléricalisme d'avoir,
dans un moment où le patriotisme doit
mesurer toutes ses paroles, prêché une
croisade qui serait coupable en tout
temps et qui, actuellement, est crimi-
nelle. Tout ce que les journaux répu-
blicains pourraient dire ne changerait
rien à ce que l'ultramontanisme a fait
contre l'intérêt et contre la sécurité de
la France. Un fils se justifierait mé-
diocrement d'avoir frappé sa mère en
répondant que les témoins lui; ont dit
des choses bien désagréables.
Non-seulement MM. de Mun et Kolb-
Bernard n'ont pas atténué le cas du
cléricalisme. mais ils l'ont aggravé. Le
Français et la Défense avaient été plus
habiles en essayant de présenter les
manifestations cléricales qui ont ému
l'opinion comme des imprudences indi-
viduelles et dont le clergé n'acceptait
pas la solidarité. L'intervention des
reprâtentatiLi du clergé au Sénat et à
Chambre fait tout le cléricalisme soli-
daire des évêques et des pétitionnaires
que la Chambre va traiter aujourd'hui
comme ils l'ont mérité.
Le gouvernement et la Chambre se-
ront d'accord contre ceux qui, comme
l'a dit mardi M. Jules Simon, « s £ cou-
vrent du nom de la religion pour atta-
quer les droits imprescriptibles de l'E-
tat et la sécurité du pays ». Le gouver-
nement et la Chambre seront d'accord
pour faire sentir au cléricalisme qu'il
s'agit pour lui, non de questionner,
mais de répondre. M. de Mun aura
perdu sa peine en croyant déplacer la
question. La séance d'aujourd'hui va
remettre chacun à sa vraie place : l'Etat
sur le siège de l'accusateur, le clérica-
lisme sur la sellette de l'accusé.
AUGUSTE VACQUERIE.
— ———————
SITUATION
Hélas ! non, on n'a pas envie de rire.
L'impudence poussée à ce point ex-
trême et incroyable met en colère. Le
ridicule, arrivé à ce degré d'intensité,
est trop grand pour qu'on s'en amuse
beaucoup. Il n'est rien, à mon sens, de
plus triste que de voir des gens provo-
quer pendant deux mois des manifesta-
tions qui pourraient amener des conflits
au dedans et des complications au de-
hors, et que de les entendre ensuite,
tranquillement et feignant l'indignation,
accuser leurs adversaires de vouloir la
guerre civile et de préparer la guerre
extérieure. Cela serait bouffon au théâ-
tre ; cela serait entièrement comique au
Palais-Royal, dans une pièce où il s'a-
girait d'un bon bourgeois et de son
concierge ; dans une scène entre Gil-
Perez et Geoffroy ; dans quelque chose
qui s'appellerait : « Grassot embêté par
Ravel » ; oui, soit, on pourrait se tenir
les côtes. Mais quand cette comédie a
lieu devant le pays tout entier; quand
les spectateurs s'appellent : l'Angle-
terre, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne,
l'Europe ; je prétends que la chose n'a
rien que d'attristant et de mélanco-
lique.
Ces messieurs se croient très spiri-
tuels quand ils viennent accuser les au-
tres de leurs propres pétarades. Ils sènt
fiers. Ils clignent de l'œil en regardant
la galerie. fis se disent entre eux :
Sommes-nous assez malins ! Ils s'ima-
ginent qu'on les trouve charmants, et
que le public européen admire. Eh bien!
ils se trompent abominablement. Lé
public européen est stupéfait. Non-seu-
le mont il n'admira pas, mais il se sont
un peu effrayé. Comment compter sur
la parole de gens qui se livrent à des
sauts de carpe pareils? Ils prétendent
avoir toujours voulu la paix, et ils se
croisaient pour le pape la semaine pas-
sée; ils jurent qu'ils désirent l'apaise-
ment de toutes les haines, et ils dénon-
cent leurs adversaires au ministère ; ils
assurent qu'ils n'ont point de rancune
contre le gouvernement italien, mais ils
proposent de chasser de Rome le roi
d'Italie. C'est, dans un autre genre,
l'histoire de M. Prieur de la Comble,
qui mettait le feu à des immeubles et
qui criait ensuite que les communards
étaient des incendiaires. Mais le public
européen s'étonne que la France ne
mette pas à la raison ces faiseurs de
vaudevilles pieux; il se demande si
nous ne sommes pas dupes, - ce qui
n'est pas flatteur pour notre intelli-
gence, — et il finirait par se demander
si nous sommes complices, ce qui serait
peu flatteur pour notre honnêteté.
Voilà pour l'extérieur. Quant h l'in-
térieur, c'est autre chose. L'audace des
cléricaux montre qu'ils sa sentent puis-
sants et bien appuyés et qu'ils se
croient tout permis. Quand on expulse
d'une société d'instruction un homme
aussi modéré que M. Gaulthier de Ru-
milly ; quand on écrit la lettre de M. de
Nevers ; quand on écrit la circulaire de
M. de Nîmes; quand on dénonce les
journaux au garde des sceaux; quand
on insulte, à la tribune, le gouverne-
ment du 4 septembre devant un mem-
bre du gouvernement du 4 septembre,
c'est qu'on se croit assez fort pour se
moquer des Chambres, des ministres et
même du pays. Or, s'il existe un parti
assez fort pour se moquer du pays et
des ministres et du relte, je dis que la
situation est mélancolique et qu'elle ne
prête pas à rire. Et, quand je songe que
ce parti si fort est celui-là même qui a
gouverné sous l'empire ; qui a poussé à
la guerre du Mexique pour créer une
puissance catholique américaine à côté
de la puissance protestante des Etats-
Unis ; qui a poussé à la guerre de 1870,
pour anéantir une puissance protes-
tante européenne ; qui a conspiré de-
puis sept ans pour empêcher l'établis-
sement de la République; alors je dis
que non-seulement la situation me
semble mélancolique, mais encore
qu'elle me parait élégiaque.
Ce n'est pas non plus avec une décla-
ration ou avec un ordre du jour que
nous en sortirons. Les déclarations
sont fort démodées et le publie de-
mande aux ordres du jour d'être mis en
action. Les ordres du jour tout secs ont
juste la valeur des devises qu'on colle
autour des mirlitons de la foire de
Saint-Cloud. Ce qu'il faut, ce sont des
actes. Ça nous fera grand plaisir que la
Chambre vote qu' « elle est convaincue
que le gouvernement réprimera les
menées ultramontaines » ou même
qu' « elle invite le gouvernement à ré-
primer les menées ultramontaines H,--
à la condition que le gouvernement
obéira à l'invitation. L'important pour
nous, c'est que les menées ultramon-
taines soient réprimées. Or, si l'ordre
du jour qui suivra l'interpellation n'é-
tait pas lui-même suivi de mesures sé-
vères, cet ordre du jour nous paraîtrait
aussi important et aussi précieux que
le distique célèbre dont les mirlitons
sont ordinairement ornés :
Belle, aimez-moi tendrement
Je vous jura de Tuue aimer coa#Umcnout.
On prétend, il est vrai, que les A me-
sures sévères » sont impossibles à pren-
dre et qu'en fait do répression le gou-
vernement ne peut pas aller au-delà do
l'acccptalion d'un ordre du jour. C'est
une répression assez douce, on en con-
viendra, et dont les coupables ordinai-
res se contenteraient avec satisfaction.
Au moins j'imagine qu'aucun criminel
ne se plaindrait si on venait lui dire :
La sévérité du tribunal à votre endroit
va jusqu'à un ordre du jour bien ré-
digé. » Mais je ne puis croire, pour ma
part, qu'en présence de la crise euro-
péenne, le gouvernement en soit réduit
à approuver, purement et simplement,
cinq lignes de prose. Si cela était ce-
pendant, c'est qu'il existerait un gou-
vernement occulte, fonctionnant dans
la pénombre d'une antichambre mal
éclairée, et plus puissant que le gou-
vernement réel et légal. Et si cela était;
si derrière le conseil dès ministres il y
avait un conseil des dix ou un conseil
des trois; si, au lieu de vivre à Paris,
nous vivions dans une Venise dont M.
Buffet serait le doge et dont M. de Ger-
miny serait le gondolier; oh! alors, il
ne ponrrait pas y avoir d'hésitation pos-
sible : il faudrait prévenir la France,
mettre le suffrage universel en garde,
et traîner à la lumière d'une séance pu-
blique ce pouvoir chat-huant qui se ca-
cherait depuis si longtemps dans son
trou.
ÉDOUARD LOCKROT
»
C'est aujourd'hui que doit avoir lieu, à
la Chambre des députés, la discussion de
l'interpellation des trois gaucher sur « les
mesures qu'a prises et que compte prendre
le gouvernement contre les menées ultra-
montainesM.
La séance paraît devoir se prolonger
assez tard, en raison du grand nombre
d'orateurs qui se proposent de prendre la
parole. On cite MM. Leblond, Gambetta,
de Mun, Brisson, Floquet, Madier de
Montjau, Jules Ferry, ainsi que MM. Jules
Simon et Martel pour le gouvernement.
En prévision de cet important débat, il
y eu hier réunion des députés de la gau-
che et de l'Union républicaine- Dans les
deux réunions, on s'est occupé des déve-
loppements à donner à la discussion et des
termes dans lesquels devrait être conçu
l'ordre du jour motivé qui devra servir de
sanction au débat.
On n'a pu se livrer qu'à des discussions
assez vagues, réduit qu'on était à prévoir
les éventualités possibles. Toutefois, il y a
eu accord pour demander que le gouver-
nement se montre énergique dans sa ré-
ponse et qu'il fasse connaître catégorique-
ment les lois qu'il entend appliquer pour
faire respecter les droits de l'Etat par le
parti clérical.
Les deux réunions ont examiné diverses
rédactions d'ordre du jour, et finalement
ont confié à leurs bureaux le soin de s'en-
tendre au cours de la séance de demain
pour fixer une rédaction définitive.
On a distribué hier aux députés les rap-
ports de MM. Parent, Varambon et Edouard
Millaud sur le budget de l'intérieur, de la
justice et de l'Imprimerie nationale. Cela
porte à sept le nombre des rapports du
budget qui sont déjà entre les mains des
députés.
Signalons également la distribution aux
députés d'une importante proposition sur
l'enseignement primaire de MM. Leblond,
Dréo et Barni. Cette proposition n'est que
la J*p?odiicl!on deTÀwporUfA projet éla-
boré par 4a Société de l'ineroction été-
mentaire de Paris.
Au Sénat On a distribué. entre autres
documents, un remarquable rapport de
M. Eugène Pelletan sur la proposition
Hérold, relative à la répression du duel.
■\ : ■» -
L-A GUERRE
, Une avant-garde russe est arrivée, à Bu-
zeu (Botizeo des dépêches), station du che-
min de fer de Jassi à Bucharest, à 129 ki-
lomètres de cette dernière ville. Buzeu est
un chef-lieu de district d'une douzaine de
mille habitants, L'armée russe tout entière
va-t-elle ainsi prononcer son mouvement
vers le luut Danube, après avoir attiré
toutes les forces turques dans la Dobroud-
ja? L'état-major russe- a-t-il faussement
accrédité l'idée du passage par lsmaïl ou
par Braïla? Quelques symptômes permet-
traient de le croire, si toute conjecture en
pareille matière n'était téméraire.
Les Russes ont fait de Barbosi (Barbocbc)
une position formidable, garnie d'une
puissante artillerie. Ils garnissent l'em-
bouchure du Seret de torpilles. Grâce à
ces précautions, leurs communications
avec les plaines de la Valachie et la vallée
supérieure du Danube sont assurées et ils
peuvent choisir à leur gré le point de pas-
sage le plus favorable sur les 500 kilomè-
Lres qui séparent Galatz de Turno-Seve.,
rin. Ils n'ont à lutter que contre l'inonda-
tion qui couvre une partie du chemin de
fer moldave et qui détrempe les terres
- alluvionales de la - - Roumanie.
Les Turcs se concentrent dans leur qua-
drilatère et attendent à Choumla la visite
de leur sultan. Us n'ont fait aucune tenta-
tive contre la rive roumaine, et la nouvelle
de leur occupation de Guirgevo, — contre
laquelle nous avions mis en garde - es t
démentie officiellement.
Les Russes ont interdit la navigation
sur le bas Danube. Les neutres ont vive-
ment protesté, car c'est la ruine pour une
partie du commerce austro-hongrois et
roumain. On pense que les Russes revien-
dront sur leur décision.
En Asie, il n'est plus question de la
grande bataille en avant de Kars ; cepen-
dant, une dépêche de Saint-Pétersbourg,
du 2 mai, affirme que le général Mélidof a
commencé le siége de cette citadelle, ce
qui expliquerait que les colonnes russes
ont réussi dans leur mouvement concen-
trique, et qu'elles ont refoulé les forces
turques dans cette place, après les avoir
battues sur divers points du cercle d'inves-
tissement. Bayésid serait tombée au pou-
voir des Russes. Cette petite ville, chef-lieu
de Sandjak (sous-prélecture), est située
dans l'angle que le territoire turc avance
entre la frontière de la Perse et celle de la
Russie au pied du mont Ararat; c'est le
lieu de passage des caravanes qui vont de
la mer Noire à Tauris, en Perse. C'est un
succès peu important.
A Constantinople, on attend les contin-
gents des vassaux de la Porte, le khédive,
le bey de Tunis, etc. Pour le khédive,
c'est douteux, bien que l'on signale des
rassemblements de troupes à Alexandrie,
où réside toujours le consul russe. Pour le
bey, on parle d'un contingent de 18,000
fantassins et de 5,000 cavaliers. Attendons
leur arrivée pour être sûrs de ces chif-
fres.
Une nouvelle amusante, c'est que la re-
cette générale roumaine de Galatz a été
autorisée à recevoir la monnaie russe.
Nous sommes sûr même qu'elle la reçoit
avec plaisir et que, plus elle en recevra,
plus elle sera contente.
Une nouvelle fantaisiste, c'est que les
Turcs ont donné un commandement dans
leur armée d'Asie au fils de Schamyl. Le
fils de Schamyl est un gentilhomme très
russifié et qui vit en paix au milieu des
vainqueurs de son père.
LOUIS ASSBLINK.
*lW!lltS M Ift ~BRtâftf MM:
( Depéches de t'agence ffavas )
Londres, 2 mai.
Le consul de la Grande-Bretagne à Galatz, «
informé aujourd'hui te Foreign-Office que,
par ordre du commandant en chef de l'armée
russe, la navigation du Danube est fermée.
Tiflis, Irt mai.
Hier matin, à l'approche de l'avant-garde de
la division d Eriwan, la garnison de Bayazik,
forte de 1,700 hommes s'est retirée sur le som-
met'des monts Aliada, abandonnant une
grande quantité de munitions. Les Russes ont
occupé la ville et la citadelle. -
Bucharest, 2 mai.
Les faubourgs de Jassy sont complètement
inondés, la pluie a cessé.
Un rapport du capitaine du port de Galatt
mentionne le bruit que des Tcherkesses tUtU
auraient incendié un village de la Dobroudja,
et qu'un piquet de Turcs abandonnant son
poste des rives du Danube se serait enfui de-
vant les Cosaques qui approchaient. Les bar-
ques des Cosaques n'ont pas pris possession de
c-2 poste. -
Constantinople, fer mai.
Le généralissime de l'armée du Danube 1
reçu, pour instruction, de prendre, relative-
ment aux navires, les mesures qu'il jugera
utileg; notamment, si cela est nécessaire,
d'interdire la navigation du Danube, et de ré-
quisitionner tM bâtiments.
line dépéche de Batoum, à la date de.-
manche 29 avril, ne signale que des engage-
ments sang importance,
- Vienne, 2 mai.
On mande de Moscou à la Presse qu'un na-
vire à vapeur anglais, étant entré dans le port
de Kertsch, sans prendre les précautions né.
cessaires, a touché une torpille qui a fait ex-
plosion. Le navire a été mis en pièces, l'équi-
page a péri et la cargaison est perdue.
- Saint-Pétersbourg, S mai.
Dimanche dernier, lord Loflus ayant notifié
officiellement au gouvernement russe que la
l'orie avait placé les sujets résidant en Russie
sous la protection de rAngteterrc, le gOttYM.
nement russe avait déclaré-adhértl-r à cet mtatè,
gcmcnt. Mais hier mardi, lord Loft us a fait m
gouvernement russe une notification nouvelle
priant le cabinet russe de considérer comme
nulle et non avenue sa notification de dimanche,
attendu que la Porte, eu égard à son intention
d'expulser tous les sujets russes du teiritoire
ottoman, renonçait pour ses sujets résidant ea
Itussie à la protection de l'Angleterre. Le gou-
vernement russe a répondu que, néanmoins, il
ferait bénéficier de la protection des lois russes
les sujets ottoman* résidant sur son territoire.
L'agence Maclean a reçu les dépêches
qui suivent :
Péra, 2 mai, 9 h. 30.
Un ans de la Sublime-Porte annonce qu'à
partir du 1er mai tous les navires russes sont
avises d'avoir a quitter le littoral de la Turquie
dans un délai de cinq jours.
Cet avis confirme les règles de droit mari-
time énoncées dans le traité de Paris, et ré-
serve aux autorités turques le droit de visiter
les bâtiments en partance.
Saint-Pétersbourg, ! mai.
L'armée du Caucase, sous les ordres du gé-
néral Louis Melikoff, a commencé le siège de
la forteresse de Kars.
+ ———————
« On dit que nous voulons la guerre, et
que nous compromettons notre pairie? di-
sent les cléricaM. Calomnie, invention,
nous voulons la paix. M Et voici comment
ils la veulent. Je cite, d'après l'Officiel, les
propres paroles du comte Albert dtr Mun.
11 parle, comme les évêques, des a entra-
prises qui menacent la liberté do l'Eglise
dans la personne de son chef ». Il affirme
que les cléricaux, révoltés par ces entre-
prises, représentent la France. a Vous re-
connaissez, dans notre voix, les accents du
sentiment national. H Les ultramon-
tains ont « le sentiment profond qu'ils re-
présentent le véritable intérêt national ».
Ainsi, leur façon de vouloir la paix est de
crier que la France, résumée dans leur
personne, mettrait son « honneur Il à com-
battre des « entreprises qui menacent la
liberté de l'Eglise », etc. — Eh bien ! il ne
resterait plus alors qu'à déclarer demain la
guerre a l'Italie. C'est ce que vous voulez?
- Oh! non, cerles, répond M. de Mun.—Et
pourquoi? Ici encore il faut le citer: parce
que « nous savons quelle sagesse nous im-
feuilleton du RAPPEL
1)0 4 MAI
S3
LE COURRIER
Qfi CABINET
XXXV
Aveux. — (Suite)
Alba poursuivit :
— Mon oncle, le fier et généreux Julien
Varssalis m'avèit devinée, il m'avait trouvée
semblable-à lui; il m'ouvrit toutes ses pen-
sées et acheva de former les miennes. Voi-
là ce qui a fait l'honneur et le malheur de
ma vie. Quand il mourut, il me laissa ses
biens immenses.
- Trop tôt sans doute, dit Erceldonne.
— Trop tôt, oui, certes! reprit-elle. Ima-
ginez ce que j'étais il y a dix ans, la maî-
tres.se d\me fortune princlète, armée de
Voir le Rappel du li mars au 3 mai.
passions grandes et rares, mais sans l'ex-
périence qui aurait pu les guider, en proie
à une ambition idéale et par cela même
implacable, en proie à des rêves généreux,
mais sans merci pour ceux qui devaient en
être les instruments. La jeunesse est aisé-
ment sans pitié! Puis j'allais, à mon tour,
être livrée sans défense aux ambitieux vul-
gaires, aux habiles, aux maîtres en intri-
gues, qui me traitaient comme une reine,
mais en se promettant de se faire de ma
personne et de mon bien une arme et une
proie.
— Dites : tous ceux-là sont morts? fit
Erceldonne avec un geste menaçant.
- Ecoutez! écoutez! dit-elle. — Je ne
craignais rien et croyais ne devoir rien
craindre jamais, car je me sentais l'intelli-
gence des hommes et leur courage. Mais
j'étais ambitieuse à ma façon, et ils me ten-
tèrent. J'avais la passion sincère de l'indé-
pendance de nos peuples et de tous les
peuples, et en même temps la soif ardente
d'une renommée héroïque. Eh bien ! je suis
tombée dans de vils et tristes pièges ! Ceux
dont je vous parle, et qui couvraient leur
appétit des couleurs de la liberté que j'a-
dorais, me disaient : Vous serez la libéra-
trice ! — Et ils m'ont liée comme une es-
clave.
Fergus la regardait, ne respirant plus.
— Toute chaîne se brise ! murmura-t-il.
— Non, pas toujours, hélas ! répondit-
elle, quand on a la conscience de l'avoir
soi-même trop complaisamment serrée.
On a commis envers moi un abomina-
ble crime. La puissance qu'on avait mise
dans mes mains n'était rien moins que
pure ; mais je me suis prise à l'aimer,
comme on aime l'opium et le vin. Tout
pouvoir a d'irrésistibles fascinations, et
j'ai trop appris à user du mien sans pitié.
Oui, sans pitié pour personne, une seule
personne exceptée, - vous !
— Pour moi t répéta-t-il, retombant
sous le charme.
— J'ai appris à jouer avec les passions des
hommes jusqu'au moment où j'eh '; avais
obtenu ce que je souhaitais. Si mes instru-
ments se brisaient dans mes mains, je ne
m'en souciais guère. Ils avaient servi ma
cause, qui était belle sans doute ; mais est-
il permis d'employer pour atteindre un but
glorieux des moyens maudits? La vérité
ne m'est apparue que lorsque j'étais
allée trop loin déjà pour reculer; j'étais
avide désormais de mon empire. Qn avait
été bassement coupable envers moi, on m'a-
vait endurci le cœur. Je m'étais vue frap-
pée dans l'ombre par les mains qui avaient
juré de me protéger. Je perdis la pure con-
science, le souci délicat de mes actes, et ne
m'embarraissai plus de ce qu'on disait de
moi. Oh! je ne veux pas me justifier, mais
vous montrer seulement le feu qui m'a
brûlé le cœur. J'ai été as&ociée à tous les
mouvement des partis avancés en Europe,
depuis le jour où je suis devenue comtesse
Vassalis: J'ai été l'inspiratrice de plus
d'efforts, le guide de plus d'intrigues que
je ne pourrais le raconter, si j'étais libre
de tout vous dire. J'ai exercé dans ce siè-
cle un pouvoir plus grand peut-être qu'au-
cun des ministres dont le nom est compté
parmi ceux qui ont dirigé la politique de
leur pays. Le monde ne sait guère com-
ment il est gouverné. Si je vous disais
combien de princes et d'hommes d'Etat
ont essayé de me gagner, moi qui ne suis
qu'une femme!
A une seule chose, je suis restée fidèle,
de cœur et d'âme, à ma cause.
En cela, j'ai été loyale. Voilà ma seule
excuse pour avoir séduit et aveuglé, ceux
dont j'avais résolu de me servir. J'ai allumé
leurs passions, j'en ai fait des épées. J'ai
pris le repos de leurs existences, j'en ai
fait de la poussière. Je les ai envoyés à la
mort et au martyre, sans me soucier du
prÍx de leur vie. Il fallait que ma volonté
fût faite ! J'ai trouvé des sourires menteurs
pour des malheuroux dont je m'a souciais
autant que des cailloux de ce torrent qui
coule là-bas. Je les ai laissé tout espérer,
même d'être aimés, pour m'en faire des
esclaves.
Pergus l'interrompit :
— Au milieu de cette vie, demanda-t-il
d'une voix tremblante, ne vous est-il point
arrivé d'aimer?
Elle soutint si franchement son regard
qu'il ne douta pas de la sincérité de sa ré-
ponse.
— Jamais, dit-elle, je n'avais commis
cette folie, avant de vous connaître.
Il baissa la tête, et, cédant à un retour
d'anxiété :
— Est-ce possible? murmura-t-il.
— Très possible. Les poètes ont beaucoup
divagué sur l'amour des femmes. Il est rare-
ment notre unique souci, comme il arrive
chez vous autres hommes. Ce qui estamou- i
reux en nous, c'est le plus souvent l'imagi-
nation ou la vanité.
— Je le crois, dit-il. Mais quand je songe
que tant de personnages brillants vous ont
entourée.
— Brillants! fit-elle, vous dites bien; ils
étaient surtout cela. Leurs séductions au-
raient pu troubler d'autres cœurs que le
mien; mais je n'étais pas entrée dans la
vie, ignorante comme la plupart des jeunes
filles. Les leçons dq. Julien Vassalis et la
forte éducation qu'il m'avait fait donner 1
devaient me servir, et m'ont servi de lu-
mière et de bouclier.
— Ainsi, balbutia Fergus, ce cœur glacé
ne s'est allumé que par moi! C'est assuré-
ment plus que je ne mérite. Qu'ai-je donc
à vos yeux que les autres n'avaient pas?
- L'amour ne s'explique pas, dit-elle.
Vous avez une simplicité et uue hauteur
d'âme que je n'ai jamais vues chez personne
avant vous. Et puis c'était ma destiné-
Ne me louez pas d'avoir été jusqu'à pré
sent plus froide et plus fière que les autrol
femmes. Je n'en suis que plus coupabl.
peut-être d'avoir fait servir à Môà desseint
l'égarement d'autrui. Il m'aimait ce pau-
vre Viana qui n'est plus ! L'aimable prin-
ce n'avait jamais eu de goût réel Olle nonr
plaisir. Il était né royaliste, il l'aurait
été toute sa vie. Il m'a vue et il a été gagn6
à notre cause. J'ai exalté à plaisir sa bra-
voure chevaleresque. N'est-ce pas un crime
cela, sir Fergus?Ah!je crois le voir encore
étendu mourant à mes pieds, me souriant
encore dans son agonie!.. Mais ces scru-
pules et ces remords me sont nouveaux.
Jusqu'ici, m'enivrer de ma puissance, exer-
cer le charme et la force de mes dons ru.'
nestes, je n'avais point connu d'autns
joie.
(A suivre,)x OUIDA.
ilâ ftooiéro « 10 o. - DÓllartemea. t 15 è»
iSFtoréatMM — Nf 2611.
RÉDACTION
S'adresser tu Secrétaire do lt RédaetiM
Di'.-o" heurel du tair
it, tOP ÛÉ f 44.01», tl
- - e—.
1*0 manusrits non j"nsérés na seront pas te.
;: ANNONCES
U. Ch. LAG RANGE, CERF et Qt
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AdrMMr lettres «t avandat*
A M. ERNEST LIÏVÊVM
AbM t* ISTHA.TEC B-CeUA*T
L'INTERPELLATION D'AUJOURD'HUI
Il s'est puné, à la séance de réouver-
ture de la Chambre des députés, un fait
bizarre.
Supposez-vous à une des chambres
de la police correctionnelle. Un accusé
est amené et on lui lit l'acte d'accusa-
tion. Il est prévenu de tapage nocturne,
d'avoir troubliâ la paix publique, d'a-
voir appelé aux armes, d'avoir menacé
les wisins^ d'avoir jeté l'inquiétude
dans tout un quartier. Au moment où le
président va l'interroger, l'accusé se
tourne vers le gendarme, et lui dit :
— Accusé, qu'avez-vous à répon-
drê, ?
C'est l'accusé qui dit cela? Oui, c'est
l'accusé. Au gendarme? oui, au gen-
darme. - .-
Vous demandez quel homme pour-
fait être assez écervelé ou assez farceur
pour se permettre unetelle interversion
des rôles. Uhomme qui pousse jusque-
là la farce ou l'absence de cervelle est
M. l'ex-cuirassier de Mun.
La chose ne s'est pas passée à une
dés chambres de la police correetion-
nelle) mais, ce qui en augmente la gra-
vité, à une des Chambres de la repré-
sentation nationale.
M. Leblond, au nom des trois gau-
ches, et l'on peut dire au nom de la
France, venait de déposer à la tribune
la demande de l'interpellation « sur les
mesures que le gouvernement a prises
et qu'il so propose de prendre pour ré-
menées ultramontainés dont
la recrudescence inquiète le pays ». Le
du conseil avait accepté l'in-
terpellation, et la Chambre en avait fixé
le jour a aujourd'hui. L'ultramonta-
-~ n~BB~ -da&s.- la personne ex-cuirassée
- de M. de Mun, s'est tourné vers le pré-
- sident du conseil, et lui a dit hardi-
ment : — Accusé, qu'avez-vous à
» l'épondre?-
Répondre sur quoi? Ai-je besoin de
vous le dire ? Mais sur les attentats de
la presse républicaine ! Est-ce que la
presse républicaine n'a pas eu l'infamie
de s'indigner des pétitions et des man-
dements par lesquels ceux des Français
qui préfèrent le Syllabus à la Déclara-
tion des droits ont fait ce qui a dépendu
d'eux pour compromettre la France
dans un conflit avec l'Italie ayant der-
rière elle l'Allemagne ? La presse répu-
blicaine a préféré, elle, la France au
Vatican, C'est pourquoi M. Kolb-Ber-
tiard a ordonné, lundi, au gouvernement
de la République, de faire taire la
presse républicaine, à peina de « périr
misérablement dans la fange et dans le
* sang, sous la réprobation et le mépris M.
lit c'est pourquoi M. de Mun a demandé,
mardi, à M. Jules Simon s'il n'allait
pas en finir avec les journaux républi-
cains, dplus vite que ça !
Si Ton prenait au sérieux les dénon-
ciations dé MM. Kolb-Bernard et de
Man, on répondrait au sénateur de nous
aé savons quel département et au dé-
poté de teutes les sacristies que, quand
mêbw-à, presse républicaine, au lieu
d'avoir fait son devoir, aurait commis
tous les attentats qu'ils prétendent, cela
n'absoudrait pas le cléricalisme d'avoir,
dans un moment où le patriotisme doit
mesurer toutes ses paroles, prêché une
croisade qui serait coupable en tout
temps et qui, actuellement, est crimi-
nelle. Tout ce que les journaux répu-
blicains pourraient dire ne changerait
rien à ce que l'ultramontanisme a fait
contre l'intérêt et contre la sécurité de
la France. Un fils se justifierait mé-
diocrement d'avoir frappé sa mère en
répondant que les témoins lui; ont dit
des choses bien désagréables.
Non-seulement MM. de Mun et Kolb-
Bernard n'ont pas atténué le cas du
cléricalisme. mais ils l'ont aggravé. Le
Français et la Défense avaient été plus
habiles en essayant de présenter les
manifestations cléricales qui ont ému
l'opinion comme des imprudences indi-
viduelles et dont le clergé n'acceptait
pas la solidarité. L'intervention des
reprâtentatiLi du clergé au Sénat et à
Chambre fait tout le cléricalisme soli-
daire des évêques et des pétitionnaires
que la Chambre va traiter aujourd'hui
comme ils l'ont mérité.
Le gouvernement et la Chambre se-
ront d'accord contre ceux qui, comme
l'a dit mardi M. Jules Simon, « s £ cou-
vrent du nom de la religion pour atta-
quer les droits imprescriptibles de l'E-
tat et la sécurité du pays ». Le gouver-
nement et la Chambre seront d'accord
pour faire sentir au cléricalisme qu'il
s'agit pour lui, non de questionner,
mais de répondre. M. de Mun aura
perdu sa peine en croyant déplacer la
question. La séance d'aujourd'hui va
remettre chacun à sa vraie place : l'Etat
sur le siège de l'accusateur, le clérica-
lisme sur la sellette de l'accusé.
AUGUSTE VACQUERIE.
— ———————
SITUATION
Hélas ! non, on n'a pas envie de rire.
L'impudence poussée à ce point ex-
trême et incroyable met en colère. Le
ridicule, arrivé à ce degré d'intensité,
est trop grand pour qu'on s'en amuse
beaucoup. Il n'est rien, à mon sens, de
plus triste que de voir des gens provo-
quer pendant deux mois des manifesta-
tions qui pourraient amener des conflits
au dedans et des complications au de-
hors, et que de les entendre ensuite,
tranquillement et feignant l'indignation,
accuser leurs adversaires de vouloir la
guerre civile et de préparer la guerre
extérieure. Cela serait bouffon au théâ-
tre ; cela serait entièrement comique au
Palais-Royal, dans une pièce où il s'a-
girait d'un bon bourgeois et de son
concierge ; dans une scène entre Gil-
Perez et Geoffroy ; dans quelque chose
qui s'appellerait : « Grassot embêté par
Ravel » ; oui, soit, on pourrait se tenir
les côtes. Mais quand cette comédie a
lieu devant le pays tout entier; quand
les spectateurs s'appellent : l'Angle-
terre, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne,
l'Europe ; je prétends que la chose n'a
rien que d'attristant et de mélanco-
lique.
Ces messieurs se croient très spiri-
tuels quand ils viennent accuser les au-
tres de leurs propres pétarades. Ils sènt
fiers. Ils clignent de l'œil en regardant
la galerie. fis se disent entre eux :
Sommes-nous assez malins ! Ils s'ima-
ginent qu'on les trouve charmants, et
que le public européen admire. Eh bien!
ils se trompent abominablement. Lé
public européen est stupéfait. Non-seu-
le mont il n'admira pas, mais il se sont
un peu effrayé. Comment compter sur
la parole de gens qui se livrent à des
sauts de carpe pareils? Ils prétendent
avoir toujours voulu la paix, et ils se
croisaient pour le pape la semaine pas-
sée; ils jurent qu'ils désirent l'apaise-
ment de toutes les haines, et ils dénon-
cent leurs adversaires au ministère ; ils
assurent qu'ils n'ont point de rancune
contre le gouvernement italien, mais ils
proposent de chasser de Rome le roi
d'Italie. C'est, dans un autre genre,
l'histoire de M. Prieur de la Comble,
qui mettait le feu à des immeubles et
qui criait ensuite que les communards
étaient des incendiaires. Mais le public
européen s'étonne que la France ne
mette pas à la raison ces faiseurs de
vaudevilles pieux; il se demande si
nous ne sommes pas dupes, - ce qui
n'est pas flatteur pour notre intelli-
gence, — et il finirait par se demander
si nous sommes complices, ce qui serait
peu flatteur pour notre honnêteté.
Voilà pour l'extérieur. Quant h l'in-
térieur, c'est autre chose. L'audace des
cléricaux montre qu'ils sa sentent puis-
sants et bien appuyés et qu'ils se
croient tout permis. Quand on expulse
d'une société d'instruction un homme
aussi modéré que M. Gaulthier de Ru-
milly ; quand on écrit la lettre de M. de
Nevers ; quand on écrit la circulaire de
M. de Nîmes; quand on dénonce les
journaux au garde des sceaux; quand
on insulte, à la tribune, le gouverne-
ment du 4 septembre devant un mem-
bre du gouvernement du 4 septembre,
c'est qu'on se croit assez fort pour se
moquer des Chambres, des ministres et
même du pays. Or, s'il existe un parti
assez fort pour se moquer du pays et
des ministres et du relte, je dis que la
situation est mélancolique et qu'elle ne
prête pas à rire. Et, quand je songe que
ce parti si fort est celui-là même qui a
gouverné sous l'empire ; qui a poussé à
la guerre du Mexique pour créer une
puissance catholique américaine à côté
de la puissance protestante des Etats-
Unis ; qui a poussé à la guerre de 1870,
pour anéantir une puissance protes-
tante européenne ; qui a conspiré de-
puis sept ans pour empêcher l'établis-
sement de la République; alors je dis
que non-seulement la situation me
semble mélancolique, mais encore
qu'elle me parait élégiaque.
Ce n'est pas non plus avec une décla-
ration ou avec un ordre du jour que
nous en sortirons. Les déclarations
sont fort démodées et le publie de-
mande aux ordres du jour d'être mis en
action. Les ordres du jour tout secs ont
juste la valeur des devises qu'on colle
autour des mirlitons de la foire de
Saint-Cloud. Ce qu'il faut, ce sont des
actes. Ça nous fera grand plaisir que la
Chambre vote qu' « elle est convaincue
que le gouvernement réprimera les
menées ultramontaines » ou même
qu' « elle invite le gouvernement à ré-
primer les menées ultramontaines H,--
à la condition que le gouvernement
obéira à l'invitation. L'important pour
nous, c'est que les menées ultramon-
taines soient réprimées. Or, si l'ordre
du jour qui suivra l'interpellation n'é-
tait pas lui-même suivi de mesures sé-
vères, cet ordre du jour nous paraîtrait
aussi important et aussi précieux que
le distique célèbre dont les mirlitons
sont ordinairement ornés :
Belle, aimez-moi tendrement
Je vous jura de Tuue aimer coa#Umcnout.
On prétend, il est vrai, que les A me-
sures sévères » sont impossibles à pren-
dre et qu'en fait do répression le gou-
vernement ne peut pas aller au-delà do
l'acccptalion d'un ordre du jour. C'est
une répression assez douce, on en con-
viendra, et dont les coupables ordinai-
res se contenteraient avec satisfaction.
Au moins j'imagine qu'aucun criminel
ne se plaindrait si on venait lui dire :
La sévérité du tribunal à votre endroit
va jusqu'à un ordre du jour bien ré-
digé. » Mais je ne puis croire, pour ma
part, qu'en présence de la crise euro-
péenne, le gouvernement en soit réduit
à approuver, purement et simplement,
cinq lignes de prose. Si cela était ce-
pendant, c'est qu'il existerait un gou-
vernement occulte, fonctionnant dans
la pénombre d'une antichambre mal
éclairée, et plus puissant que le gou-
vernement réel et légal. Et si cela était;
si derrière le conseil dès ministres il y
avait un conseil des dix ou un conseil
des trois; si, au lieu de vivre à Paris,
nous vivions dans une Venise dont M.
Buffet serait le doge et dont M. de Ger-
miny serait le gondolier; oh! alors, il
ne ponrrait pas y avoir d'hésitation pos-
sible : il faudrait prévenir la France,
mettre le suffrage universel en garde,
et traîner à la lumière d'une séance pu-
blique ce pouvoir chat-huant qui se ca-
cherait depuis si longtemps dans son
trou.
ÉDOUARD LOCKROT
»
C'est aujourd'hui que doit avoir lieu, à
la Chambre des députés, la discussion de
l'interpellation des trois gaucher sur « les
mesures qu'a prises et que compte prendre
le gouvernement contre les menées ultra-
montainesM.
La séance paraît devoir se prolonger
assez tard, en raison du grand nombre
d'orateurs qui se proposent de prendre la
parole. On cite MM. Leblond, Gambetta,
de Mun, Brisson, Floquet, Madier de
Montjau, Jules Ferry, ainsi que MM. Jules
Simon et Martel pour le gouvernement.
En prévision de cet important débat, il
y eu hier réunion des députés de la gau-
che et de l'Union républicaine- Dans les
deux réunions, on s'est occupé des déve-
loppements à donner à la discussion et des
termes dans lesquels devrait être conçu
l'ordre du jour motivé qui devra servir de
sanction au débat.
On n'a pu se livrer qu'à des discussions
assez vagues, réduit qu'on était à prévoir
les éventualités possibles. Toutefois, il y a
eu accord pour demander que le gouver-
nement se montre énergique dans sa ré-
ponse et qu'il fasse connaître catégorique-
ment les lois qu'il entend appliquer pour
faire respecter les droits de l'Etat par le
parti clérical.
Les deux réunions ont examiné diverses
rédactions d'ordre du jour, et finalement
ont confié à leurs bureaux le soin de s'en-
tendre au cours de la séance de demain
pour fixer une rédaction définitive.
On a distribué hier aux députés les rap-
ports de MM. Parent, Varambon et Edouard
Millaud sur le budget de l'intérieur, de la
justice et de l'Imprimerie nationale. Cela
porte à sept le nombre des rapports du
budget qui sont déjà entre les mains des
députés.
Signalons également la distribution aux
députés d'une importante proposition sur
l'enseignement primaire de MM. Leblond,
Dréo et Barni. Cette proposition n'est que
la J*p?odiicl!on deTÀwporUfA projet éla-
boré par 4a Société de l'ineroction été-
mentaire de Paris.
Au Sénat On a distribué. entre autres
documents, un remarquable rapport de
M. Eugène Pelletan sur la proposition
Hérold, relative à la répression du duel.
■\ : ■» -
L-A GUERRE
, Une avant-garde russe est arrivée, à Bu-
zeu (Botizeo des dépêches), station du che-
min de fer de Jassi à Bucharest, à 129 ki-
lomètres de cette dernière ville. Buzeu est
un chef-lieu de district d'une douzaine de
mille habitants, L'armée russe tout entière
va-t-elle ainsi prononcer son mouvement
vers le luut Danube, après avoir attiré
toutes les forces turques dans la Dobroud-
ja? L'état-major russe- a-t-il faussement
accrédité l'idée du passage par lsmaïl ou
par Braïla? Quelques symptômes permet-
traient de le croire, si toute conjecture en
pareille matière n'était téméraire.
Les Russes ont fait de Barbosi (Barbocbc)
une position formidable, garnie d'une
puissante artillerie. Ils garnissent l'em-
bouchure du Seret de torpilles. Grâce à
ces précautions, leurs communications
avec les plaines de la Valachie et la vallée
supérieure du Danube sont assurées et ils
peuvent choisir à leur gré le point de pas-
sage le plus favorable sur les 500 kilomè-
Lres qui séparent Galatz de Turno-Seve.,
rin. Ils n'ont à lutter que contre l'inonda-
tion qui couvre une partie du chemin de
fer moldave et qui détrempe les terres
- alluvionales de la - - Roumanie.
Les Turcs se concentrent dans leur qua-
drilatère et attendent à Choumla la visite
de leur sultan. Us n'ont fait aucune tenta-
tive contre la rive roumaine, et la nouvelle
de leur occupation de Guirgevo, — contre
laquelle nous avions mis en garde - es t
démentie officiellement.
Les Russes ont interdit la navigation
sur le bas Danube. Les neutres ont vive-
ment protesté, car c'est la ruine pour une
partie du commerce austro-hongrois et
roumain. On pense que les Russes revien-
dront sur leur décision.
En Asie, il n'est plus question de la
grande bataille en avant de Kars ; cepen-
dant, une dépêche de Saint-Pétersbourg,
du 2 mai, affirme que le général Mélidof a
commencé le siége de cette citadelle, ce
qui expliquerait que les colonnes russes
ont réussi dans leur mouvement concen-
trique, et qu'elles ont refoulé les forces
turques dans cette place, après les avoir
battues sur divers points du cercle d'inves-
tissement. Bayésid serait tombée au pou-
voir des Russes. Cette petite ville, chef-lieu
de Sandjak (sous-prélecture), est située
dans l'angle que le territoire turc avance
entre la frontière de la Perse et celle de la
Russie au pied du mont Ararat; c'est le
lieu de passage des caravanes qui vont de
la mer Noire à Tauris, en Perse. C'est un
succès peu important.
A Constantinople, on attend les contin-
gents des vassaux de la Porte, le khédive,
le bey de Tunis, etc. Pour le khédive,
c'est douteux, bien que l'on signale des
rassemblements de troupes à Alexandrie,
où réside toujours le consul russe. Pour le
bey, on parle d'un contingent de 18,000
fantassins et de 5,000 cavaliers. Attendons
leur arrivée pour être sûrs de ces chif-
fres.
Une nouvelle amusante, c'est que la re-
cette générale roumaine de Galatz a été
autorisée à recevoir la monnaie russe.
Nous sommes sûr même qu'elle la reçoit
avec plaisir et que, plus elle en recevra,
plus elle sera contente.
Une nouvelle fantaisiste, c'est que les
Turcs ont donné un commandement dans
leur armée d'Asie au fils de Schamyl. Le
fils de Schamyl est un gentilhomme très
russifié et qui vit en paix au milieu des
vainqueurs de son père.
LOUIS ASSBLINK.
*lW!lltS M Ift ~BRtâftf MM:
( Depéches de t'agence ffavas )
Londres, 2 mai.
Le consul de la Grande-Bretagne à Galatz, «
informé aujourd'hui te Foreign-Office que,
par ordre du commandant en chef de l'armée
russe, la navigation du Danube est fermée.
Tiflis, Irt mai.
Hier matin, à l'approche de l'avant-garde de
la division d Eriwan, la garnison de Bayazik,
forte de 1,700 hommes s'est retirée sur le som-
met'des monts Aliada, abandonnant une
grande quantité de munitions. Les Russes ont
occupé la ville et la citadelle. -
Bucharest, 2 mai.
Les faubourgs de Jassy sont complètement
inondés, la pluie a cessé.
Un rapport du capitaine du port de Galatt
mentionne le bruit que des Tcherkesses tUtU
auraient incendié un village de la Dobroudja,
et qu'un piquet de Turcs abandonnant son
poste des rives du Danube se serait enfui de-
vant les Cosaques qui approchaient. Les bar-
ques des Cosaques n'ont pas pris possession de
c-2 poste. -
Constantinople, fer mai.
Le généralissime de l'armée du Danube 1
reçu, pour instruction, de prendre, relative-
ment aux navires, les mesures qu'il jugera
utileg; notamment, si cela est nécessaire,
d'interdire la navigation du Danube, et de ré-
quisitionner tM bâtiments.
line dépéche de Batoum, à la date de.-
manche 29 avril, ne signale que des engage-
ments sang importance,
- Vienne, 2 mai.
On mande de Moscou à la Presse qu'un na-
vire à vapeur anglais, étant entré dans le port
de Kertsch, sans prendre les précautions né.
cessaires, a touché une torpille qui a fait ex-
plosion. Le navire a été mis en pièces, l'équi-
page a péri et la cargaison est perdue.
- Saint-Pétersbourg, S mai.
Dimanche dernier, lord Loflus ayant notifié
officiellement au gouvernement russe que la
l'orie avait placé les sujets résidant en Russie
sous la protection de rAngteterrc, le gOttYM.
nement russe avait déclaré-adhértl-r à cet mtatè,
gcmcnt. Mais hier mardi, lord Loft us a fait m
gouvernement russe une notification nouvelle
priant le cabinet russe de considérer comme
nulle et non avenue sa notification de dimanche,
attendu que la Porte, eu égard à son intention
d'expulser tous les sujets russes du teiritoire
ottoman, renonçait pour ses sujets résidant ea
Itussie à la protection de l'Angleterre. Le gou-
vernement russe a répondu que, néanmoins, il
ferait bénéficier de la protection des lois russes
les sujets ottoman* résidant sur son territoire.
L'agence Maclean a reçu les dépêches
qui suivent :
Péra, 2 mai, 9 h. 30.
Un ans de la Sublime-Porte annonce qu'à
partir du 1er mai tous les navires russes sont
avises d'avoir a quitter le littoral de la Turquie
dans un délai de cinq jours.
Cet avis confirme les règles de droit mari-
time énoncées dans le traité de Paris, et ré-
serve aux autorités turques le droit de visiter
les bâtiments en partance.
Saint-Pétersbourg, ! mai.
L'armée du Caucase, sous les ordres du gé-
néral Louis Melikoff, a commencé le siège de
la forteresse de Kars.
+ ———————
« On dit que nous voulons la guerre, et
que nous compromettons notre pairie? di-
sent les cléricaM. Calomnie, invention,
nous voulons la paix. M Et voici comment
ils la veulent. Je cite, d'après l'Officiel, les
propres paroles du comte Albert dtr Mun.
11 parle, comme les évêques, des a entra-
prises qui menacent la liberté do l'Eglise
dans la personne de son chef ». Il affirme
que les cléricaux, révoltés par ces entre-
prises, représentent la France. a Vous re-
connaissez, dans notre voix, les accents du
sentiment national. H Les ultramon-
tains ont « le sentiment profond qu'ils re-
présentent le véritable intérêt national ».
Ainsi, leur façon de vouloir la paix est de
crier que la France, résumée dans leur
personne, mettrait son « honneur Il à com-
battre des « entreprises qui menacent la
liberté de l'Eglise », etc. — Eh bien ! il ne
resterait plus alors qu'à déclarer demain la
guerre a l'Italie. C'est ce que vous voulez?
- Oh! non, cerles, répond M. de Mun.—Et
pourquoi? Ici encore il faut le citer: parce
que « nous savons quelle sagesse nous im-
feuilleton du RAPPEL
1)0 4 MAI
S3
LE COURRIER
Qfi CABINET
XXXV
Aveux. — (Suite)
Alba poursuivit :
— Mon oncle, le fier et généreux Julien
Varssalis m'avèit devinée, il m'avait trouvée
semblable-à lui; il m'ouvrit toutes ses pen-
sées et acheva de former les miennes. Voi-
là ce qui a fait l'honneur et le malheur de
ma vie. Quand il mourut, il me laissa ses
biens immenses.
- Trop tôt sans doute, dit Erceldonne.
— Trop tôt, oui, certes! reprit-elle. Ima-
ginez ce que j'étais il y a dix ans, la maî-
tres.se d\me fortune princlète, armée de
Voir le Rappel du li mars au 3 mai.
passions grandes et rares, mais sans l'ex-
périence qui aurait pu les guider, en proie
à une ambition idéale et par cela même
implacable, en proie à des rêves généreux,
mais sans merci pour ceux qui devaient en
être les instruments. La jeunesse est aisé-
ment sans pitié! Puis j'allais, à mon tour,
être livrée sans défense aux ambitieux vul-
gaires, aux habiles, aux maîtres en intri-
gues, qui me traitaient comme une reine,
mais en se promettant de se faire de ma
personne et de mon bien une arme et une
proie.
— Dites : tous ceux-là sont morts? fit
Erceldonne avec un geste menaçant.
- Ecoutez! écoutez! dit-elle. — Je ne
craignais rien et croyais ne devoir rien
craindre jamais, car je me sentais l'intelli-
gence des hommes et leur courage. Mais
j'étais ambitieuse à ma façon, et ils me ten-
tèrent. J'avais la passion sincère de l'indé-
pendance de nos peuples et de tous les
peuples, et en même temps la soif ardente
d'une renommée héroïque. Eh bien ! je suis
tombée dans de vils et tristes pièges ! Ceux
dont je vous parle, et qui couvraient leur
appétit des couleurs de la liberté que j'a-
dorais, me disaient : Vous serez la libéra-
trice ! — Et ils m'ont liée comme une es-
clave.
Fergus la regardait, ne respirant plus.
— Toute chaîne se brise ! murmura-t-il.
— Non, pas toujours, hélas ! répondit-
elle, quand on a la conscience de l'avoir
soi-même trop complaisamment serrée.
On a commis envers moi un abomina-
ble crime. La puissance qu'on avait mise
dans mes mains n'était rien moins que
pure ; mais je me suis prise à l'aimer,
comme on aime l'opium et le vin. Tout
pouvoir a d'irrésistibles fascinations, et
j'ai trop appris à user du mien sans pitié.
Oui, sans pitié pour personne, une seule
personne exceptée, - vous !
— Pour moi t répéta-t-il, retombant
sous le charme.
— J'ai appris à jouer avec les passions des
hommes jusqu'au moment où j'eh '; avais
obtenu ce que je souhaitais. Si mes instru-
ments se brisaient dans mes mains, je ne
m'en souciais guère. Ils avaient servi ma
cause, qui était belle sans doute ; mais est-
il permis d'employer pour atteindre un but
glorieux des moyens maudits? La vérité
ne m'est apparue que lorsque j'étais
allée trop loin déjà pour reculer; j'étais
avide désormais de mon empire. Qn avait
été bassement coupable envers moi, on m'a-
vait endurci le cœur. Je m'étais vue frap-
pée dans l'ombre par les mains qui avaient
juré de me protéger. Je perdis la pure con-
science, le souci délicat de mes actes, et ne
m'embarraissai plus de ce qu'on disait de
moi. Oh! je ne veux pas me justifier, mais
vous montrer seulement le feu qui m'a
brûlé le cœur. J'ai été as&ociée à tous les
mouvement des partis avancés en Europe,
depuis le jour où je suis devenue comtesse
Vassalis: J'ai été l'inspiratrice de plus
d'efforts, le guide de plus d'intrigues que
je ne pourrais le raconter, si j'étais libre
de tout vous dire. J'ai exercé dans ce siè-
cle un pouvoir plus grand peut-être qu'au-
cun des ministres dont le nom est compté
parmi ceux qui ont dirigé la politique de
leur pays. Le monde ne sait guère com-
ment il est gouverné. Si je vous disais
combien de princes et d'hommes d'Etat
ont essayé de me gagner, moi qui ne suis
qu'une femme!
A une seule chose, je suis restée fidèle,
de cœur et d'âme, à ma cause.
En cela, j'ai été loyale. Voilà ma seule
excuse pour avoir séduit et aveuglé, ceux
dont j'avais résolu de me servir. J'ai allumé
leurs passions, j'en ai fait des épées. J'ai
pris le repos de leurs existences, j'en ai
fait de la poussière. Je les ai envoyés à la
mort et au martyre, sans me soucier du
prÍx de leur vie. Il fallait que ma volonté
fût faite ! J'ai trouvé des sourires menteurs
pour des malheuroux dont je m'a souciais
autant que des cailloux de ce torrent qui
coule là-bas. Je les ai laissé tout espérer,
même d'être aimés, pour m'en faire des
esclaves.
Pergus l'interrompit :
— Au milieu de cette vie, demanda-t-il
d'une voix tremblante, ne vous est-il point
arrivé d'aimer?
Elle soutint si franchement son regard
qu'il ne douta pas de la sincérité de sa ré-
ponse.
— Jamais, dit-elle, je n'avais commis
cette folie, avant de vous connaître.
Il baissa la tête, et, cédant à un retour
d'anxiété :
— Est-ce possible? murmura-t-il.
— Très possible. Les poètes ont beaucoup
divagué sur l'amour des femmes. Il est rare-
ment notre unique souci, comme il arrive
chez vous autres hommes. Ce qui estamou- i
reux en nous, c'est le plus souvent l'imagi-
nation ou la vanité.
— Je le crois, dit-il. Mais quand je songe
que tant de personnages brillants vous ont
entourée.
— Brillants! fit-elle, vous dites bien; ils
étaient surtout cela. Leurs séductions au-
raient pu troubler d'autres cœurs que le
mien; mais je n'étais pas entrée dans la
vie, ignorante comme la plupart des jeunes
filles. Les leçons dq. Julien Vassalis et la
forte éducation qu'il m'avait fait donner 1
devaient me servir, et m'ont servi de lu-
mière et de bouclier.
— Ainsi, balbutia Fergus, ce cœur glacé
ne s'est allumé que par moi! C'est assuré-
ment plus que je ne mérite. Qu'ai-je donc
à vos yeux que les autres n'avaient pas?
- L'amour ne s'explique pas, dit-elle.
Vous avez une simplicité et uue hauteur
d'âme que je n'ai jamais vues chez personne
avant vous. Et puis c'était ma destiné-
Ne me louez pas d'avoir été jusqu'à pré
sent plus froide et plus fière que les autrol
femmes. Je n'en suis que plus coupabl.
peut-être d'avoir fait servir à Môà desseint
l'égarement d'autrui. Il m'aimait ce pau-
vre Viana qui n'est plus ! L'aimable prin-
ce n'avait jamais eu de goût réel Olle nonr
plaisir. Il était né royaliste, il l'aurait
été toute sa vie. Il m'a vue et il a été gagn6
à notre cause. J'ai exalté à plaisir sa bra-
voure chevaleresque. N'est-ce pas un crime
cela, sir Fergus?Ah!je crois le voir encore
étendu mourant à mes pieds, me souriant
encore dans son agonie!.. Mais ces scru-
pules et ces remords me sont nouveaux.
Jusqu'ici, m'enivrer de ma puissance, exer-
cer le charme et la force de mes dons ru.'
nestes, je n'avais point connu d'autns
joie.
(A suivre,)x OUIDA.
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