Titre : Le Rappel / directeur gérant Albert Barbieux
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1877-05-03
Contributeur : Barbieux, Albert. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328479063
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 03 mai 1877 03 mai 1877
Description : 1877/05/03 (N2610). 1877/05/03 (N2610).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7528927d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-43
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/08/2012
1 Í
N° 2010 Joudi 3 Mai 1877 — fto ikuiicvo î c^-Bé|iifkmeatfl 1 A & 4% -- -----
Tï floréal an 15 — N* XB10
RÉDACTION ..-
L .J - S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
* • Oe 4 A •{» keures é* »mr - ,
II, fgs' »1 TA LOI»» Il ;
Ue manuscrits aolt insérés ne seront pas renda*
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MM. Ch. LAGRANGE. CERF et O
I, place de la Bourse, €
ADMINISTRATION
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Trois mois. 8 a
Six mai* -'w..a
Adresser lettres « fMUdala
À M. ERNEST LEPÈVRE
ADHmisriUTicea-aKttAîrr
LA DÉCLARATION
Lo ministre des affaires étrangères a
ïu, d'abord au'Sênat/ ensuite a^a
Chambre des députés, la déclaration
que nous annoncions hier. ,':
£ Cette déclaration se résume dans ee
mot : — « La France veut la paix, fol
paix avec tous. » ,,:' -
Le gouvernement français s'est asso-
cié à tous les efforts qui avaient pour
but de résoudre par la conciliation les
difficultés pendantes; le succès de la
diplomatie a été celui qu'elle a le mal-
heur d'obtenir généralement, et le pro-
tocole de Londres, notamment, lui a été
, une occasion, dont elle a profitÓ, de
montrer la disproportion qu'il y a entre
ce qu'elle coûte et ce qu'elle rapporte.
Mais au moins, si nos diplomates n'ont
pas-prouvé, plus d'intelligence et ren-
du plus de services que ceux des autres,
le gouvernement français, déclare que
les complications qui viennent d'éclater
« nous trouvent libres de tout engage-
ment ». r ;
Il ne cache pas qu'il serait imprudent
do ne pas « faire la part de l'imprévu »,
mais il signale les symptômes qui con-
seillent d'envisager la situation avec
sang-froid. Les rapports qu'il a eus de-
puis lo commencement de la crise avec
les autres gouvernements lui font croire
qu'il exprime leur désir autant que le
sien en voulant que la guerre soit loca-
- lisée.
1 7 L'opinion s'est émue, la semaine
dernière, de quelques paroles pronon-
cées au Reichstag par le maréchal do
Moltke. Ces paroles ont été atténuées
lo lendemain parle maréchal lui-même.
, C?est sans - doute pour - les. atténuer,
encore que M. Decazes a déclaré que
le langage des puissances qui nous
avoismcnt ne laisse subsister aucun
douto ni sur leurs sentiments pacifiques
'ni gtir le prix qu'clles attachent à l'af-
fermissement de. leurs bons rapports
avec le gouvernement de la République
française M. Le ministre des affaires
étrangères a la conviction que « depuis
: sept ans nos relations avec tous les
Etats étrangers n'ont jamais été meil-
leures-qu'aujourd'hui ».
Ceci n'est qu'une conviction ; il y
a mieux dans la déclaration du gou-
vernement. 11 y a l'engagement formel
de neutralité absolue : « Dans la
question d'Orient, la neutralité la plus
absolue, garantie par l'abstention la
plus scrupuleuse, doit demeurer la base
de notre politique. » Les Chambres
ûitf applaudi, et la France applau-
dira.
:- Neutralité : tel est le mot qui éclate
partout. Nous avons publié hier la pro-
-cIàmnliou par laquelle la reine d'An-
gleterre se déclare « déterminée à
maintenir une neutralité stricte et im-
partiale » et « ordonne à ses sujets d'ob-
servef cette stricte neutralité ) - La Ga:"
zelle officielle d'Jtalio nous apporte au-
jourd'hui une déaJatatioa analogue des
ministres de Victflf-Emnpianuel. L'au-
tre jour, M. de Moltke affirmait « que
les tendances pacifiques de l'Allema-
gne étaient tellement évidentes et tel-
lement commandées par la nécessite,
que le monde entier devrait en être
convaincu ». Voilà certes, de toutes
parts, des paroles excellentes et aux-
quelles on ne peut demander que de se
traduire en faits.
Il y a au moins une nation dont la
sincérité et la T'ésolution ne sont pas
suspectes, C'est la France. a La France
veut la paix, la paix avec tous. » Et son
gouvernement la veut comme elle. Ce
que le ministre des affaires étrangères
a dit à nos représentants, il l'avait déjà
écrit, et dans les mêmes termos, à nos
agents diplomatiques. « La neutralité
la plus absolue, l'abstention la plus
scrupuleuse », telles sont les recom-
man lations expresses de la circulaire
qu'on lira plus loin. Ce programme pa-
triotique et nécessaire, nous ne crai-
gnons pas que le gouvernement l'ou-
blie ; en tout cas, maintenant, la Cham-
bre serait là pour le lui rappeler. ;
AUGUSTE YACQGKRIB.
.9> ---
A VERSAILLES
C'est à peine si les vacances sont
finies, les députés revenus, les portes
de la sal!c des séances rouvortos, et,
dètî la première heure, le gouvernement
faisait sa déclaration; le débat commen-
çait, les positions étaient prises et les
premiers coups portés. Il fallait l'ur-
gence des événements et la force du cri
public, pour que, dès la séance de ren-
trée, consacrée d'habitude aux formalités
préliminaires, les choses s'engageas-
sent de la sorte. ; -
On savait d'avance que M. Decazes
parlerait. Ce duc, assurément, n'aime
pas les questions : il se révoltait, j'al-
lais dire comme un beau diable, à la
seule pensée qu'on le prierait do s'ex-
pliquer; et quand il a vu qu'il serait
interrogé, il a-préféré répondre tout de
suite pour couper court à la demande.
Il paraît que le dialogue n'a rien qui le
charme.
Il diffère, étrangement, sur ce point,
des ministres d'Angleterre, d'Autriciie-
Hongrie et d'Italie, qui, chaque jour,
répondent à toutes les questions qu'on
leur pose, et qui croient devoir aux re-
présentants de lanation des explications
presque quotidiennes. Mais là ne s'ar-
rête pas la différence : les ministres
étrangers parlent, le nôtre lit.
Peut-être n'en pouvait-il pas être
différemment pour ce débris de l'ordre
moral égaré dans le cabinet actuel,
pour ce ministre resté en place après la
curieuse scène parlementaire qu'on n'a
pas oubliée. Une déclaration de lui a
l'avantage d'avoir pu être contrôlée par
le reste du gouvernement. C'est le ca-
., binet qui la présente. M. Decazes ne
peut plus guère prétendre à plus de
confiance; et nous aimons à le voir
réduit, en fait de rôle parlementaire, à
la fonction d'une sorte de greffier,
chargé de lire les documents rédigés
ou revus par l'ensemble du gouverne-
ment.
.4
On venait de procéder au tirage des
bureaux avee l'ingénieux mécanisme
inventé par M. - Tamise, èt inauguré
aujourd'hui à la Chambre, quÀnd le due
Decazes, retour du Séuat, parut à la
tribune, apportait la déclaration du
gouvernement, au sujet de la guerre
d'Orient.
Ce document, comme nos lecteurs lo
savent, nous apprend que nos relations
n'ont jamais été meilleures avec les:
gouvernements étrangers. Il exprime:
de vifs regrets au sujet de la guerre qui,
s'est allumée en Orient, et qu'on a eu-
longtemps l'espoir d'éviter. Surtout, et
c'est là le point essentiel, il affirme
hautement, nettement, catégorique-
ment, la conduite à laquelle la France1
doit rester attachée : — neutralité eu
Orient, politique de paix en Europo. i
La Chambre a donne à ce programme
l'adhésion la plus chaleureuse, les dé-
clarations pacifiques ont été soulignée;
de bravos répétés et prolongés, expres-
sion fidèle de l'opinion publique dans
le pays. — La mauvaise foi la plus in-
signe ne pourrait plus méconnaître,
après une manifcstatio 1 si claire, les
sentiments réels du gouvernement, du
parlement et du pays. La République
française est résolue à la paix, le
temps des aventures est passé chez
nous avec le temps des monarchies.
M. Decazes déposait en même temps
le Livre jaune sur le bureau do la
Chambre.
06: - -
ID
Aussitôt après, M. Grévy donnait
lecture de la demande d'interpellation
adressée au gouvernement par la ma-
jorité tout ontière au sujet des insolon-1
ces cléricales et épiscopales dont la liste
grossit chaque jour ; et le débat était
fixé sans opposition à demain jeudi.
Immédiatement, le parti clérical es-
sayait de parer le coup par une ruse do
procédure parlementaire.
On sait que le règlement permet des
« questions », sortes d'interpellations
moins importantes, où un seul orateur,
celui qui interroge, peut parler après le
ministre, et qui so terminent sans vote
ni conclusion aucune. M. de Mun avait
imaginé de poser tout de suite une
« question » à M. Jules Simon sur le
moine sujet que l'interpellation de jeudi :
il devait faire grand bruit à propos des;
a attaques dirigées contre la religion »;
ainsi, il s'emparait d'avance du la
question, la traitait seul avec le minis-
tre, et n'avait pas à craindre le verdict
de la Chambre : le débat n'arriverait,
plus entier, jeudi, et, avant qu'un mem-
bre de la gauche eut parlé au nom d.;
la majorité, deux jours s'écoulaient »ur'
le premier cri poussé par le clérica -
lisme.
Cela n'était pas mal combiné; mais
il fallait, pour qu'elle réussit, un ora-
teur plus fort que M. de Mun et un ad-
versaire moins clairvoyant que M. Ju-
les Simon.
9
M. de Mun avait à peine prononcé
quelques phrases, que les murmures
éclataient dans toute la majorité; à
droite même, on restait un peu froid. A
force d'assurance, M. de Mun avait
complètement perdu la partie. On tom-
bait de son haut, on se tàtait pour s'as-
surer qu'on ne rêvait pas, on se consul-
tait pour s'assurer qu'on avait bien en-
tendu, tant c'était inouï et invraisem-
blable !
Vous connaissez le parti clérical : il
excelle à faire le pauvre, le persécuté,
l'innocent, avec lo talent que lui a lé-
gué son ancêtre Tartuffe. C'est en cu-
vant des millions qu'il a engloutis,
qu'il dit de sa voix la plus dolente : —
Quelle misère est la mienne ! Je meurs
de faim, et j'offre mes souffrances à
Dieu. - Usurpe-t-il le pouvoir bt le
tient-il d«çts tatts ses filets ? - Hélas f
■gjAHffc-iljje rie suis sur celle terre qu'un
pauvre proscrit, et toutes les puissan-
ces sont réunies contre moi ! »:;""C'csf
quand les jésuites sont les plus forts
qu'ils vous disent eux-mêmes : — Vous
croyez encore aux jésuites, vous ? Mais
vous êtes fossile ! Mais vous ressem-
blez à un libéral de 1828 I Mais les jé-
suites n'existent pas] J
Pourtant, si accoutumé qu'on soit à
cette façon d'agir, le discours do M. db;
Mun a stupéfait les m uas naïfs et irrité
les plus calmas. Vous: vous rappelez
tous cos procès faits, ces temps-ci, pour
une plaisanterie sur le catholicisme,
qui ne se gène pas. lui,: avec tes autres;
les lois foulées impunément aux pieds
par les ultramontains; les affaires ju-
diciaires qui ont justement ému l'opi-
nion. l'indulgence à l'égard des écoles
congréganistes, des couvents qui offrent
un asile aux coupables poursuivis par
la justice, les privilèges des Universités
catholiques, dont celle do Lille vient
d'offrir un si curieux exemple. et.
pour couronner le tout, l'audacieuse
campagne entreprise* par les évêques
contre une nation amie.
Après tout cela,— devinez le lan-
gage de M. de^Iu-n. — Le voici
No is qui, seuls, respectons les lois,
- nous qui, seuls, travaillons à l'apai-
se ment intérieur de la Franco, - nous,
qui souhaitons ardemment la paix au
dehors, et qui faisons notre possible
pour la conserver, — on nous persé-
cute, on nous outrage impunément;
nous sommes d'innocentes victimes,
abandonnées à la rage de nos fcnno-
mis, etc., etc. Cola, pendant viugt mi-
nutes !
C'était trop fort : quelques-uns se fà-
chèrent ; nous avions envie de rire.
(B «
Le ton de l'orateur ajoutait encore à
l'audace du fond. M. le comte de Mun
n'a l'air ni d'un martyr, ni d'un ana-
chorète : serré dans une élégante re-
dingote, cambré, avec sus moustaches
et sou assurance, il a l'air de revenir
beaucoup plutôt du boulevard Ilauss-
mann que d'une maison do trappistes.
Son langage, à la fois mystique et vio-
lent, d'étonne étrangement--dans utro
Assemblée.
Imag'nez-vous,. en l'an de grâce 1877,
un député s'éeriant : « ÇJons voulons
venger. le Dieu dc3 chrétiens! » Doux
Jésus ! et de quoi ? Par ce temps de
budget des cultes, de ministère « réso-
lument respectueux de la religion » et
d e poursuites «rontro. les libres-pen-
seurs, on conviendra que ce cri est tout
bonnement bouffon.
En voilà assez sur cette scène étrangc.
Que M. de Mun se souvienne seule-
ment du beau vers de Ponsard :
Omnd la borna est franchie, il n'est plus de limite.
On g.Vtf. les plus belles manœuvres à
ne garder aucune mesure : il ne faut
abuser de rien, même de l'aplomb.
M. Jules Simon n'avait que deux
mots à dire : l'un, pour rappeler à M. do
Mun qu'il empiétait sur une discussion
fixée au surlendemain, et que le minis-
tère aurait alors l'occasion de s'expli-
quer; l'autre, pour lui rappeler que
des devoirs s'imposaient au gouverne-
ment, dans l'intérêt de l'Etat menacé
par les cléricaux. C'est ce qu'il a fait en
trois minutes : et le discours, déjà ridi-
cule de M. de Mun est de plus resté
ridiculement en l'air.
Constatons, pour finir, que toutes
les droites, bonapartiste et royaliste.
sont maintenant menées au combat
par les ultramontains extrêmes. Soit,
c'est plus net.
La fixûIlûA 4fi l'ordmiu joufcâ>*mç» £
une question qui préoccupe, fort la
presse réactionnaire, cello du budget.
Pas de session d'automne! tel est le
cri unanime, furieux, de tout l'ordre
moral. Il paraît que la présence de la
Chambre gèJle ces messieurs. — Un
journal fort ami de M. Decazes avait été
jusqu'à prêter au cabinet les vœux du
Français et autres feuilles de même
nuance. Les ministres devaient s'op- ,
posor'à ce qu'on discutât quoi que ce
fût avant le budget.
M. Léon Say a simplement exprimé
le désir qu'on finît cet été, si cela est
possible, ce qui paraît peu probable.
Du reste, les lois sur l'organisation
municipale et sur la presse ont été mises
en tête de l'ordre du jour, sans obstaeio
d'aucune sorte.
© a
Et maintenant, à demain î
- L'opinion publique attend une grande
et sérieuse journée parlementaire. Elle
est nécessaire pour réparer les faibles-
ses passées, pour dégager la France des
ultramontains, pour indiquer nettement
le chemin que doit faire la République
dans la question cléricale. Il faut un
début éclatant. Aussi n'est-ce pas sans
surprise que nous avons vu annoncer
que l'orateur désigné désigné par les
gauches était M. Leblond.
Ce n'est pas que nous tenions en mé-
diocre estime les convictions, le caractère
et lo talent de l'honorable M. Leblond.
On sait qu'il est un républicain éprouvé,
un homme estimé de tous, et un orateur
d'une grande distinction. Mais, assuré-
ment, si quelqu'un était peu l'homme
de la situation, c'était lui. - -
M. Leblond est un orateur fin, sobre,
disert, mais essentiellement dépourvu
de l'énergie nécessaire pour exposer,
au nom du parti républicain, la politi-
que ferme que l'opinion attend contre
les empiétements cléricaux. En outre,
il ne représente qu'un groupe de la
Chambre, et lo groupo le plus ministé-
riel, en sorte qu'ou ne verra qu'une
question posée au président du conseil
par un do ses amis personnels, là où
l'on est en drôit de compter sur une
éclatante déclaration de principes faite
en commun, au nom des représentants
du pays, par un membre de la majo-
rité, et, au nom du gouvernement, par
le premier ministre. ;
Il faut que, dans une semblable occa-
sion, les voix les plus retentissantes du
parti républicain, se fassent entendre au
pays et à l'Europe. Il faut que la Cham-
bre .montre que, pour être fort réser-
vée, elle n'en a pas moins conscience
de son rôle et de ses devoirs.
CAMIlLB PELLETAN.
♦
LA GUERRE
Les principales nouvelles de guerre
aujourd'hui arrivent d'Asie. Il est certain
que, du 28 au 30 avril, Moukhtar-Pacha a
tenté de s'opposer avec toutes ses forces à
la marche des colonnes russes sur Kars et
qu'après une lutte sanglante, qu'on dit
avoir duré quarante-huit heures, il a été
obligé de se réfugier sous le canon de la
ville. C'est le 24 avril que les Russes
avaient quitté Alexandropot (Gumri) pour
envahir l'Arménie turque et ils se sont
avancés en livrant quelques petits com-
bats.
Oa lit dans plusieurs dépêches que les
populations de l'Arménie turque accueil-
lent l'armée russe à bras ouverts. Rien de x
plus probable quand on se rend co
des càwdiiiaaa -â*»slesqwUes
cette province. Le vilayet du gouverne- ;
ment d'Erzeroum compte à peu rès
1,^00,000 habitants. Or, sur ces 1,200a)00
la moitié au moins est chrétienne, e ur
cette moitié Fimmense majorité (près de
580,000) appartient à la communi Ar-
ménienne non unie, dite grégorienne,
le patriarche réside- en territoire russe,
près d'Eriwan. Ces Arméniens t traités
par les Turcs comme le sont les "Bulgares
en Europe.
Les voyageurs s'accordent à les repré-
senter comme terrorisés par les Turcs, qui
jadis les ont, par la main des janissaires,
massacrés à Erzeroum, à Mouch et à Van.
Dans beaucoup de villages, dit M. Ey-
naud qui a été là-bas consul de France,
vingt familles chrétiennes se laissent op-
primer par une ou doux familles turques.
De là, une désaffection à laquelle l'inva-
sion russe ne peut donner qu'un aliment
nouveau. Le pays est très pauvre. Les
chefs-lieux de Sandjaks (division territo-
riale. qui est au vitayet ce que les sous-
préfectures sont au département), Van,
Mouch. Erzinghian, Oltou, Bayarid et
même Kars (malgré sa citadelle et ses rem-
parts) ^ic sont que de grands villages. Les
montagnes sont arides et uuus, le climat
âpre. Le déboisement a été pratiqué sur
une grande échelle. Presque toutes les
habitations des campagnards sont souter-
raines, et cependant, entre des mains in-
telligentes, avec la sécurité des chemins
et quelques capitaux, ce pays deviendrait
un des plus fertiles de l'Asie. Aussi, il est
difficile de croire que les Russes pratiquent
vis-à-vis de l'Arménie turque le principe
du désintéressement tèrritorial.
En Europe, il y a toujours incertitude
sur l'objectif de l'armée russe concentrée
à l'extrémité méridionale de la Moldavie.
Les Turcs semblent croire à l'invasion de
la Dobroudja et à une marche sur Varna,
car ils ramènent en hâte toutes leurs for-
ces des places du Haut-Danube sur Silis-
tria, Choumla et Roustchouck. Et, pour-
tant, voici qu'on signale un mouvement
de l'aile droite des Russes sur Buzeu
(Bouseo), station de chemin de fer de Jassi
à Bucharest, à moitié route de Braïla à
Ploesti. On attend même, pour le 11 mai,
le passage d'une de leurs colonnes au nord
de Bucharest. Leur aile gauche n'a pas dé-
passé Reni. Le grand-duc Nicolas est à
Jassi. llobart-Paeha, après une rapide vi-
site à èonstanlinople, est reparti pour les
bouchés du Danube.
Tant en Asie qu'en Europe, le mauvais
temps entrave toutes les opérations.
LOUIS ASSBLlNJ&..
NOUVELLES DE LA DERNIÈRE HEURE
La déclaration de neutralité de
l'Italie
Nous lisons dans la Gazette officielle :
La guerre @ ayant éclaté entre la Russie et h
Turquie, et l'Italie se trouvant en paix avec ces
deux puissances, le gouvernement du roi et les
citoyens du royaume ont l'obligation d'obser-
ver scrupuleusement les devoirs de la neutra-
lité, conformément aux lois en vigueur et aui
principes généraux du droit des gens.
Ceux qui violeront ces devoirs ne pourront
pas invoquer la protection du gouvernement
royal et de ses agents, et encourront aussi
selon les cas, les peines edictées par les loia
spéciales et générales de l'Etat.
( Dépêches de l'agence Havas )
Londres, t Ir mai.
Chambre des lords. — Lord Derby, répondabl
à lord Gramille, dit qu'une correspondance
additionnelle, relative aux affaires d'Orient,
sera probablement communiquée vendredi.
La réponse à la circulaire russe, approuvée
par la reine, a été expédiée ce soir, et sera
publiée après avoir été remise à Saint-Péters-
bourg.
Feuilleton du RAPPEL
- du 3 MAI
&r - - -
LE COURRIER
DE CABINET
XXXV
Avewrsc. — (Suite)
La hutte s'élevait dans un site charmant
et sauvage, au milieu d'un fouillis incxlri-
cable de ceps de vigne et de figuiers ; plus
- loin des pins allongeaient leur colonnade
sombre. Une belle enfant, dont le visage
; rappelait les peintures du Guide, et dont la
démarche sous ses-haillonsétait celle d'une
'princesse déguisée, apparut à Fergus, ar-
t mée de sa cruche, qu'elle venait de rem-,
plir à lit source prochaine. 1
Voir le Rappel du 11 mars au 2 mai.
t
Elle se vit aborder sans. frayeur et sans
embarras par cet étranger, lui apprit que
son père était aux champs depuis le matin,
et l'assura qu'il était le bienvenu, s'il ne de-
mandait qu'un abri.
Quant aux provisions, elle n'en avait
point d'autres que des gâteaux de millet,
du poisson sec, et le contenu de la cruche,
c'est-à-dire de l'eau pure.
Erceldonne la regardait, ravi de la voir
si alerte et si vive. La jeune fille avait les
jambes et les bras nus, et tout cela sem-
blait coulé en bronze. Elle avait une ado-
rable grâce pensive. L'Italie est toute
pleine de ces belles petites créatures qui
ont l'air de poèmes vivants, et qui ne son-
gent guère moins aux baiocchi que nos pe-
tits pauvres de France aux gros sous. En
Italie comme chez nous, on a faim.
Fergus se hâta d'aller chercher Alba.
— Ce sera pour vous un misérable re-
fuge que cette cabane, dit-il en chemin
à la comtesse.
— Vous voulez dire que c'est un paradis
en friche! répondit Alba, ravie de cette vé-
gétation luxuriante. Oublier le monde dans
un désert comme celui-ci, ce serait le
bonheur.
— Le mal, répondit-il, en la regardant,
c'est qu'on a connu d'autres attraits et
d'autres joies. -
-:- Et puis, dit-elle gravement, on a d'au-
tres devoirs!
Fergus laissa Alba dans la hutte, et s'oc-
cupa de conduire les chevaux à l'ombre
des pins, où il leur donna ce que la fillette
avait pu lui fournir, du riz au lieu d'avoine.
Ce qui lui rappela que les hommes
comme lui et même les déesses comme
elle avaient aussi besoin d'aliments.
Il découvrit des fraises et des groseilles
sauvages, tua quelques becs-figues avec
une de ces frondes qu'il improvisait en dé-
tachant des lamelles de cuir de sa cein-
ture, et ent la chance d'atteindre d'une
balle de son revolver une truite qui venait
chercher le soleil à fleur d'eau. Aussi preste
cuisinier qu'habile chasseur, et malgré la
gène et la douleur que lui causait encore
sa blessure à l'épaule, il fit cuire tout ce
butin dans la première pièce de la cabane,
tandis qu'Alba se reposait encore dans
l'autre chambre.
Il dressa la table, qu'il couvrit de ver-
dure, et il souriait tristement de sa can-
deur en songeant qu'il parait ce couvert
rustique de feuilles de figuier et de vigne
pour celle qui mangeait d'ordinaire dans
un service d'argent repoussé. Il se trompait
s'il croyait que ces attentions charmantes
ne seraient point remarquées par Alba.
Elle sourit à la vue de la table ainsi déco-
rée.
- Quels trésors de tendresse dans co
bon et grand emur 1 se disait-elle.
L'après-midi suivit son cours, chaude et
brillante. Le rêve de Fergus n'était pas
moins radieux que ce beau jour. Il sentait
la jeune femme en sûreté près do lui, au
cœur de cette forôt profonde. Une demi-
obscurité délicieuse régnait dans la ca-
banc, embaumée de la senteur des bran-
ches de pins ; au dehors, c'était la vaste
étendue de la ramure, le ciel bleu par-
dessus la tète des arbres, les rayons d'or
filtrant à travers les branches. Pas d'au-
tre bruit que la cadence des sources.
Leur solitude était d'autant plus com-
plète, que la jeune paysanne, maîtresse du
pauvre logis, s'était enfoncée dans le bois,
à la recherche de sa chèvre égarée.
Ils, parlaient peu ; Fergus jouissait du
présent, Alba avait chassé les ombres du
passé.
Quant à l'avenir, ils n'y songeaient ni
l'un ni l'autre. Oc serait peut-être la pri-
son, peut-être l'échafaud. Qu'importait ?
Ils auraient été heureux un jour!
, Erceldonne, à un moment, se leva de
son lit de feuillage et vint se mettre aux
pieds de la comtesse.
Elle dempura quelques instants pensive,
puis tout à coup lui dit :
— Mon ami, décidément, vous persistez
donc à vouloir me donner votre vie sans
môme avoir demandé à connaître la mienne?
— Je ne vous demande rien que de
vous laisser aimer.
— Je ne peux pourtant pas, jo ne vaux
pas, poursuivit-elle, accepter tout à fait
cette aveugle et généreuse confiance. Ecou-
tez. Je vais vous dire de moi tout ce qu'il
m'est permis de vous apprendre.
— Comme il vous plaii-al d 1 (in
air d'insouciance, et cependant le coeiir lui
battait.
Elle continua :
- Vous savez que je suis née Grecque,
et je pourrais dire, en vérité, comme cer-
tains personnages de l'ancienne tîrèce, que
je descends des dieux. Une tradition fait re-
monter ma famille aux souverains d'Hali-
carnasse. Ne riez point! La fameuse reine Ar-
témisc serait, dit-on, mon annule. Que la
légende soit fausse ou vraie, la race est il-
lustre. Deux représentants seulement en
restaient naguère: mon oncle, le frère de
manière, et moi. C'est par le côté maternel
que je me rattache aux héros athéniens.
Mon oncle était un homme capricieux et
bizarre, qui menait dans son château une
existence vraiment orientale, barbare, ma-
gnifique et touj ours solitaire au milieu d'une
armée de serviteurs. Une terrible aventure,
que je vous raconterai une autre fois, lui
avait inspiré l'aversion et le mépris des hom-
mes. Je ne crois pas qu'il eût renoncé aux
passions en même temps qu'au monde. Je
le connaissais assez mal alors, bien que je
vécusse près de lui et qu'il m'aimât avec
une profonde tendresse.
Cette existence, que je menai jusqu'à
seize ans, était la plus libre qu'on puisse
imaginer. J'errais dans nos vastes jardins,
en face des flots brillants de la mer Egée,
en compagnie d'un vieux moine arménien,
qui était mon seul maître. C'est lui qui
m'apprit la philosophie antique, la seule
religion qu'il voulût reconnaître, en dépit
de son froc et de son crâne iansuré. En-
core incîinait-il do préférence véîtf ceux
des philosophes anciens qui refusaient de
croire à la réalité de quoi que ce fût en ce
monde. A-seize ans, je me berçais de ca
scepticisme amer et dédaigneux que rien
autour de moi n'était fait pour démentir.
A l'intérieur du palais, j'étais servie
par une nuée d'esclaves; flattée, adorée par
toute une troupe hypocrite et rampante.
N'étais-je pas l'héritière unique du comte
Julien Vassalis, celui que toute la Grèce
appelait le grand Julien. Le double em.
vrement de ma descendance glorieuse et
de l'énorme fortune qui m'attendait me
donnait vraiment l'orgueil d'une de ces
impératrices de Byzance dont ma mère
m'avait transmis le sang.
Mais ce que je rêvais, ce n'était pas leur
puissance, c'était d'tabord la liberté recon-
quise pour moi et pour tous les Grecs sur
les Turcs détestés, c'était ensuite l'accom-
plissement d'une mission plus vaste et plus
généreuse, l'affranchissement de tous les
peuples descendant des Hellènes, ou ayant
occupé avec eux une place dans l'histoire
des temps antiques. -
Ainsi, j'ai médité la liberté de HtaUt
quand les Italiens eux-mêmes avaient cessé
de l'espérer. Deux cœurs seulement de-
meuraient alors inébranlables dans cette
foi, celui de Mazzini et le mien. Et, certes,
l'illustre Giuseppe ne se doutait pas, en co
temps-là, que tantôt dans l'ancienne At-
tique, tantôt dans un château de Ro.
mélie, une petite fille de seize ans son*
geait, qui serait plus tard son auxiliaire.
o UJ DA..
(A suivre.)
N° 2010 Joudi 3 Mai 1877 — fto ikuiicvo î c^-Bé|iifkmeatfl 1 A & 4% -- -----
Tï floréal an 15 — N* XB10
RÉDACTION ..-
L .J - S'adresser au Secrétaire de la Rédaction
* • Oe 4 A •{» keures é* »mr - ,
II, fgs' »1 TA LOI»» Il ;
Ue manuscrits aolt insérés ne seront pas renda*
';' ANNONCES • ,-^T
1 1 -.
MM. Ch. LAGRANGE. CERF et O
I, place de la Bourse, €
ADMINISTRATION
19, 64 NiAll, de
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Trois mois. 8 a
Six mai* -'w..a
Adresser lettres « fMUdala
À M. ERNEST LEPÈVRE
ADHmisriUTicea-aKttAîrr
LA DÉCLARATION
Lo ministre des affaires étrangères a
ïu, d'abord au'Sênat/ ensuite a^a
Chambre des députés, la déclaration
que nous annoncions hier. ,':
£ Cette déclaration se résume dans ee
mot : — « La France veut la paix, fol
paix avec tous. » ,,:' -
Le gouvernement français s'est asso-
cié à tous les efforts qui avaient pour
but de résoudre par la conciliation les
difficultés pendantes; le succès de la
diplomatie a été celui qu'elle a le mal-
heur d'obtenir généralement, et le pro-
tocole de Londres, notamment, lui a été
, une occasion, dont elle a profitÓ, de
montrer la disproportion qu'il y a entre
ce qu'elle coûte et ce qu'elle rapporte.
Mais au moins, si nos diplomates n'ont
pas-prouvé, plus d'intelligence et ren-
du plus de services que ceux des autres,
le gouvernement français, déclare que
les complications qui viennent d'éclater
« nous trouvent libres de tout engage-
ment ». r ;
Il ne cache pas qu'il serait imprudent
do ne pas « faire la part de l'imprévu »,
mais il signale les symptômes qui con-
seillent d'envisager la situation avec
sang-froid. Les rapports qu'il a eus de-
puis lo commencement de la crise avec
les autres gouvernements lui font croire
qu'il exprime leur désir autant que le
sien en voulant que la guerre soit loca-
- lisée.
1 7 L'opinion s'est émue, la semaine
dernière, de quelques paroles pronon-
cées au Reichstag par le maréchal do
Moltke. Ces paroles ont été atténuées
lo lendemain parle maréchal lui-même.
, C?est sans - doute pour - les. atténuer,
encore que M. Decazes a déclaré que
le langage des puissances qui nous
avoismcnt ne laisse subsister aucun
douto ni sur leurs sentiments pacifiques
'ni gtir le prix qu'clles attachent à l'af-
fermissement de. leurs bons rapports
avec le gouvernement de la République
française M. Le ministre des affaires
étrangères a la conviction que « depuis
: sept ans nos relations avec tous les
Etats étrangers n'ont jamais été meil-
leures-qu'aujourd'hui ».
Ceci n'est qu'une conviction ; il y
a mieux dans la déclaration du gou-
vernement. 11 y a l'engagement formel
de neutralité absolue : « Dans la
question d'Orient, la neutralité la plus
absolue, garantie par l'abstention la
plus scrupuleuse, doit demeurer la base
de notre politique. » Les Chambres
ûitf applaudi, et la France applau-
dira.
:- Neutralité : tel est le mot qui éclate
partout. Nous avons publié hier la pro-
-cIàmnliou par laquelle la reine d'An-
gleterre se déclare « déterminée à
maintenir une neutralité stricte et im-
partiale » et « ordonne à ses sujets d'ob-
servef cette stricte neutralité ) - La Ga:"
zelle officielle d'Jtalio nous apporte au-
jourd'hui une déaJatatioa analogue des
ministres de Victflf-Emnpianuel. L'au-
tre jour, M. de Moltke affirmait « que
les tendances pacifiques de l'Allema-
gne étaient tellement évidentes et tel-
lement commandées par la nécessite,
que le monde entier devrait en être
convaincu ». Voilà certes, de toutes
parts, des paroles excellentes et aux-
quelles on ne peut demander que de se
traduire en faits.
Il y a au moins une nation dont la
sincérité et la T'ésolution ne sont pas
suspectes, C'est la France. a La France
veut la paix, la paix avec tous. » Et son
gouvernement la veut comme elle. Ce
que le ministre des affaires étrangères
a dit à nos représentants, il l'avait déjà
écrit, et dans les mêmes termos, à nos
agents diplomatiques. « La neutralité
la plus absolue, l'abstention la plus
scrupuleuse », telles sont les recom-
man lations expresses de la circulaire
qu'on lira plus loin. Ce programme pa-
triotique et nécessaire, nous ne crai-
gnons pas que le gouvernement l'ou-
blie ; en tout cas, maintenant, la Cham-
bre serait là pour le lui rappeler. ;
AUGUSTE YACQGKRIB.
.9> ---
A VERSAILLES
C'est à peine si les vacances sont
finies, les députés revenus, les portes
de la sal!c des séances rouvortos, et,
dètî la première heure, le gouvernement
faisait sa déclaration; le débat commen-
çait, les positions étaient prises et les
premiers coups portés. Il fallait l'ur-
gence des événements et la force du cri
public, pour que, dès la séance de ren-
trée, consacrée d'habitude aux formalités
préliminaires, les choses s'engageas-
sent de la sorte. ; -
On savait d'avance que M. Decazes
parlerait. Ce duc, assurément, n'aime
pas les questions : il se révoltait, j'al-
lais dire comme un beau diable, à la
seule pensée qu'on le prierait do s'ex-
pliquer; et quand il a vu qu'il serait
interrogé, il a-préféré répondre tout de
suite pour couper court à la demande.
Il paraît que le dialogue n'a rien qui le
charme.
Il diffère, étrangement, sur ce point,
des ministres d'Angleterre, d'Autriciie-
Hongrie et d'Italie, qui, chaque jour,
répondent à toutes les questions qu'on
leur pose, et qui croient devoir aux re-
présentants de lanation des explications
presque quotidiennes. Mais là ne s'ar-
rête pas la différence : les ministres
étrangers parlent, le nôtre lit.
Peut-être n'en pouvait-il pas être
différemment pour ce débris de l'ordre
moral égaré dans le cabinet actuel,
pour ce ministre resté en place après la
curieuse scène parlementaire qu'on n'a
pas oubliée. Une déclaration de lui a
l'avantage d'avoir pu être contrôlée par
le reste du gouvernement. C'est le ca-
., binet qui la présente. M. Decazes ne
peut plus guère prétendre à plus de
confiance; et nous aimons à le voir
réduit, en fait de rôle parlementaire, à
la fonction d'une sorte de greffier,
chargé de lire les documents rédigés
ou revus par l'ensemble du gouverne-
ment.
.4
On venait de procéder au tirage des
bureaux avee l'ingénieux mécanisme
inventé par M. - Tamise, èt inauguré
aujourd'hui à la Chambre, quÀnd le due
Decazes, retour du Séuat, parut à la
tribune, apportait la déclaration du
gouvernement, au sujet de la guerre
d'Orient.
Ce document, comme nos lecteurs lo
savent, nous apprend que nos relations
n'ont jamais été meilleures avec les:
gouvernements étrangers. Il exprime:
de vifs regrets au sujet de la guerre qui,
s'est allumée en Orient, et qu'on a eu-
longtemps l'espoir d'éviter. Surtout, et
c'est là le point essentiel, il affirme
hautement, nettement, catégorique-
ment, la conduite à laquelle la France1
doit rester attachée : — neutralité eu
Orient, politique de paix en Europo. i
La Chambre a donne à ce programme
l'adhésion la plus chaleureuse, les dé-
clarations pacifiques ont été soulignée;
de bravos répétés et prolongés, expres-
sion fidèle de l'opinion publique dans
le pays. — La mauvaise foi la plus in-
signe ne pourrait plus méconnaître,
après une manifcstatio 1 si claire, les
sentiments réels du gouvernement, du
parlement et du pays. La République
française est résolue à la paix, le
temps des aventures est passé chez
nous avec le temps des monarchies.
M. Decazes déposait en même temps
le Livre jaune sur le bureau do la
Chambre.
06: - -
ID
Aussitôt après, M. Grévy donnait
lecture de la demande d'interpellation
adressée au gouvernement par la ma-
jorité tout ontière au sujet des insolon-1
ces cléricales et épiscopales dont la liste
grossit chaque jour ; et le débat était
fixé sans opposition à demain jeudi.
Immédiatement, le parti clérical es-
sayait de parer le coup par une ruse do
procédure parlementaire.
On sait que le règlement permet des
« questions », sortes d'interpellations
moins importantes, où un seul orateur,
celui qui interroge, peut parler après le
ministre, et qui so terminent sans vote
ni conclusion aucune. M. de Mun avait
imaginé de poser tout de suite une
« question » à M. Jules Simon sur le
moine sujet que l'interpellation de jeudi :
il devait faire grand bruit à propos des;
a attaques dirigées contre la religion »;
ainsi, il s'emparait d'avance du la
question, la traitait seul avec le minis-
tre, et n'avait pas à craindre le verdict
de la Chambre : le débat n'arriverait,
plus entier, jeudi, et, avant qu'un mem-
bre de la gauche eut parlé au nom d.;
la majorité, deux jours s'écoulaient »ur'
le premier cri poussé par le clérica -
lisme.
Cela n'était pas mal combiné; mais
il fallait, pour qu'elle réussit, un ora-
teur plus fort que M. de Mun et un ad-
versaire moins clairvoyant que M. Ju-
les Simon.
9
M. de Mun avait à peine prononcé
quelques phrases, que les murmures
éclataient dans toute la majorité; à
droite même, on restait un peu froid. A
force d'assurance, M. de Mun avait
complètement perdu la partie. On tom-
bait de son haut, on se tàtait pour s'as-
surer qu'on ne rêvait pas, on se consul-
tait pour s'assurer qu'on avait bien en-
tendu, tant c'était inouï et invraisem-
blable !
Vous connaissez le parti clérical : il
excelle à faire le pauvre, le persécuté,
l'innocent, avec lo talent que lui a lé-
gué son ancêtre Tartuffe. C'est en cu-
vant des millions qu'il a engloutis,
qu'il dit de sa voix la plus dolente : —
Quelle misère est la mienne ! Je meurs
de faim, et j'offre mes souffrances à
Dieu. - Usurpe-t-il le pouvoir bt le
tient-il d«çts tatts ses filets ? - Hélas f
■gjAHffc-iljje rie suis sur celle terre qu'un
pauvre proscrit, et toutes les puissan-
ces sont réunies contre moi ! »:;""C'csf
quand les jésuites sont les plus forts
qu'ils vous disent eux-mêmes : — Vous
croyez encore aux jésuites, vous ? Mais
vous êtes fossile ! Mais vous ressem-
blez à un libéral de 1828 I Mais les jé-
suites n'existent pas] J
Pourtant, si accoutumé qu'on soit à
cette façon d'agir, le discours do M. db;
Mun a stupéfait les m uas naïfs et irrité
les plus calmas. Vous: vous rappelez
tous cos procès faits, ces temps-ci, pour
une plaisanterie sur le catholicisme,
qui ne se gène pas. lui,: avec tes autres;
les lois foulées impunément aux pieds
par les ultramontains; les affaires ju-
diciaires qui ont justement ému l'opi-
nion. l'indulgence à l'égard des écoles
congréganistes, des couvents qui offrent
un asile aux coupables poursuivis par
la justice, les privilèges des Universités
catholiques, dont celle do Lille vient
d'offrir un si curieux exemple. et.
pour couronner le tout, l'audacieuse
campagne entreprise* par les évêques
contre une nation amie.
Après tout cela,— devinez le lan-
gage de M. de^Iu-n. — Le voici
No is qui, seuls, respectons les lois,
- nous qui, seuls, travaillons à l'apai-
se ment intérieur de la Franco, - nous,
qui souhaitons ardemment la paix au
dehors, et qui faisons notre possible
pour la conserver, — on nous persé-
cute, on nous outrage impunément;
nous sommes d'innocentes victimes,
abandonnées à la rage de nos fcnno-
mis, etc., etc. Cola, pendant viugt mi-
nutes !
C'était trop fort : quelques-uns se fà-
chèrent ; nous avions envie de rire.
(B «
Le ton de l'orateur ajoutait encore à
l'audace du fond. M. le comte de Mun
n'a l'air ni d'un martyr, ni d'un ana-
chorète : serré dans une élégante re-
dingote, cambré, avec sus moustaches
et sou assurance, il a l'air de revenir
beaucoup plutôt du boulevard Ilauss-
mann que d'une maison do trappistes.
Son langage, à la fois mystique et vio-
lent, d'étonne étrangement--dans utro
Assemblée.
Imag'nez-vous,. en l'an de grâce 1877,
un député s'éeriant : « ÇJons voulons
venger. le Dieu dc3 chrétiens! » Doux
Jésus ! et de quoi ? Par ce temps de
budget des cultes, de ministère « réso-
lument respectueux de la religion » et
d e poursuites «rontro. les libres-pen-
seurs, on conviendra que ce cri est tout
bonnement bouffon.
En voilà assez sur cette scène étrangc.
Que M. de Mun se souvienne seule-
ment du beau vers de Ponsard :
Omnd la borna est franchie, il n'est plus de limite.
On g.Vtf. les plus belles manœuvres à
ne garder aucune mesure : il ne faut
abuser de rien, même de l'aplomb.
M. Jules Simon n'avait que deux
mots à dire : l'un, pour rappeler à M. do
Mun qu'il empiétait sur une discussion
fixée au surlendemain, et que le minis-
tère aurait alors l'occasion de s'expli-
quer; l'autre, pour lui rappeler que
des devoirs s'imposaient au gouverne-
ment, dans l'intérêt de l'Etat menacé
par les cléricaux. C'est ce qu'il a fait en
trois minutes : et le discours, déjà ridi-
cule de M. de Mun est de plus resté
ridiculement en l'air.
Constatons, pour finir, que toutes
les droites, bonapartiste et royaliste.
sont maintenant menées au combat
par les ultramontains extrêmes. Soit,
c'est plus net.
La fixûIlûA 4fi l'ordmiu joufcâ>*mç» £
une question qui préoccupe, fort la
presse réactionnaire, cello du budget.
Pas de session d'automne! tel est le
cri unanime, furieux, de tout l'ordre
moral. Il paraît que la présence de la
Chambre gèJle ces messieurs. — Un
journal fort ami de M. Decazes avait été
jusqu'à prêter au cabinet les vœux du
Français et autres feuilles de même
nuance. Les ministres devaient s'op- ,
posor'à ce qu'on discutât quoi que ce
fût avant le budget.
M. Léon Say a simplement exprimé
le désir qu'on finît cet été, si cela est
possible, ce qui paraît peu probable.
Du reste, les lois sur l'organisation
municipale et sur la presse ont été mises
en tête de l'ordre du jour, sans obstaeio
d'aucune sorte.
© a
Et maintenant, à demain î
- L'opinion publique attend une grande
et sérieuse journée parlementaire. Elle
est nécessaire pour réparer les faibles-
ses passées, pour dégager la France des
ultramontains, pour indiquer nettement
le chemin que doit faire la République
dans la question cléricale. Il faut un
début éclatant. Aussi n'est-ce pas sans
surprise que nous avons vu annoncer
que l'orateur désigné désigné par les
gauches était M. Leblond.
Ce n'est pas que nous tenions en mé-
diocre estime les convictions, le caractère
et lo talent de l'honorable M. Leblond.
On sait qu'il est un républicain éprouvé,
un homme estimé de tous, et un orateur
d'une grande distinction. Mais, assuré-
ment, si quelqu'un était peu l'homme
de la situation, c'était lui. - -
M. Leblond est un orateur fin, sobre,
disert, mais essentiellement dépourvu
de l'énergie nécessaire pour exposer,
au nom du parti républicain, la politi-
que ferme que l'opinion attend contre
les empiétements cléricaux. En outre,
il ne représente qu'un groupe de la
Chambre, et lo groupo le plus ministé-
riel, en sorte qu'ou ne verra qu'une
question posée au président du conseil
par un do ses amis personnels, là où
l'on est en drôit de compter sur une
éclatante déclaration de principes faite
en commun, au nom des représentants
du pays, par un membre de la majo-
rité, et, au nom du gouvernement, par
le premier ministre. ;
Il faut que, dans une semblable occa-
sion, les voix les plus retentissantes du
parti républicain, se fassent entendre au
pays et à l'Europe. Il faut que la Cham-
bre .montre que, pour être fort réser-
vée, elle n'en a pas moins conscience
de son rôle et de ses devoirs.
CAMIlLB PELLETAN.
♦
LA GUERRE
Les principales nouvelles de guerre
aujourd'hui arrivent d'Asie. Il est certain
que, du 28 au 30 avril, Moukhtar-Pacha a
tenté de s'opposer avec toutes ses forces à
la marche des colonnes russes sur Kars et
qu'après une lutte sanglante, qu'on dit
avoir duré quarante-huit heures, il a été
obligé de se réfugier sous le canon de la
ville. C'est le 24 avril que les Russes
avaient quitté Alexandropot (Gumri) pour
envahir l'Arménie turque et ils se sont
avancés en livrant quelques petits com-
bats.
Oa lit dans plusieurs dépêches que les
populations de l'Arménie turque accueil-
lent l'armée russe à bras ouverts. Rien de x
plus probable quand on se rend co
des càwdiiiaaa -â*»slesqwUes
cette province. Le vilayet du gouverne- ;
ment d'Erzeroum compte à peu rès
1,^00,000 habitants. Or, sur ces 1,200a)00
la moitié au moins est chrétienne, e ur
cette moitié Fimmense majorité (près de
580,000) appartient à la communi Ar-
ménienne non unie, dite grégorienne,
le patriarche réside- en territoire russe,
près d'Eriwan. Ces Arméniens t traités
par les Turcs comme le sont les "Bulgares
en Europe.
Les voyageurs s'accordent à les repré-
senter comme terrorisés par les Turcs, qui
jadis les ont, par la main des janissaires,
massacrés à Erzeroum, à Mouch et à Van.
Dans beaucoup de villages, dit M. Ey-
naud qui a été là-bas consul de France,
vingt familles chrétiennes se laissent op-
primer par une ou doux familles turques.
De là, une désaffection à laquelle l'inva-
sion russe ne peut donner qu'un aliment
nouveau. Le pays est très pauvre. Les
chefs-lieux de Sandjaks (division territo-
riale. qui est au vitayet ce que les sous-
préfectures sont au département), Van,
Mouch. Erzinghian, Oltou, Bayarid et
même Kars (malgré sa citadelle et ses rem-
parts) ^ic sont que de grands villages. Les
montagnes sont arides et uuus, le climat
âpre. Le déboisement a été pratiqué sur
une grande échelle. Presque toutes les
habitations des campagnards sont souter-
raines, et cependant, entre des mains in-
telligentes, avec la sécurité des chemins
et quelques capitaux, ce pays deviendrait
un des plus fertiles de l'Asie. Aussi, il est
difficile de croire que les Russes pratiquent
vis-à-vis de l'Arménie turque le principe
du désintéressement tèrritorial.
En Europe, il y a toujours incertitude
sur l'objectif de l'armée russe concentrée
à l'extrémité méridionale de la Moldavie.
Les Turcs semblent croire à l'invasion de
la Dobroudja et à une marche sur Varna,
car ils ramènent en hâte toutes leurs for-
ces des places du Haut-Danube sur Silis-
tria, Choumla et Roustchouck. Et, pour-
tant, voici qu'on signale un mouvement
de l'aile droite des Russes sur Buzeu
(Bouseo), station de chemin de fer de Jassi
à Bucharest, à moitié route de Braïla à
Ploesti. On attend même, pour le 11 mai,
le passage d'une de leurs colonnes au nord
de Bucharest. Leur aile gauche n'a pas dé-
passé Reni. Le grand-duc Nicolas est à
Jassi. llobart-Paeha, après une rapide vi-
site à èonstanlinople, est reparti pour les
bouchés du Danube.
Tant en Asie qu'en Europe, le mauvais
temps entrave toutes les opérations.
LOUIS ASSBLlNJ&..
NOUVELLES DE LA DERNIÈRE HEURE
La déclaration de neutralité de
l'Italie
Nous lisons dans la Gazette officielle :
La guerre @ ayant éclaté entre la Russie et h
Turquie, et l'Italie se trouvant en paix avec ces
deux puissances, le gouvernement du roi et les
citoyens du royaume ont l'obligation d'obser-
ver scrupuleusement les devoirs de la neutra-
lité, conformément aux lois en vigueur et aui
principes généraux du droit des gens.
Ceux qui violeront ces devoirs ne pourront
pas invoquer la protection du gouvernement
royal et de ses agents, et encourront aussi
selon les cas, les peines edictées par les loia
spéciales et générales de l'Etat.
( Dépêches de l'agence Havas )
Londres, t Ir mai.
Chambre des lords. — Lord Derby, répondabl
à lord Gramille, dit qu'une correspondance
additionnelle, relative aux affaires d'Orient,
sera probablement communiquée vendredi.
La réponse à la circulaire russe, approuvée
par la reine, a été expédiée ce soir, et sera
publiée après avoir été remise à Saint-Péters-
bourg.
Feuilleton du RAPPEL
- du 3 MAI
&r - - -
LE COURRIER
DE CABINET
XXXV
Avewrsc. — (Suite)
La hutte s'élevait dans un site charmant
et sauvage, au milieu d'un fouillis incxlri-
cable de ceps de vigne et de figuiers ; plus
- loin des pins allongeaient leur colonnade
sombre. Une belle enfant, dont le visage
; rappelait les peintures du Guide, et dont la
démarche sous ses-haillonsétait celle d'une
'princesse déguisée, apparut à Fergus, ar-
t mée de sa cruche, qu'elle venait de rem-,
plir à lit source prochaine. 1
Voir le Rappel du 11 mars au 2 mai.
t
Elle se vit aborder sans. frayeur et sans
embarras par cet étranger, lui apprit que
son père était aux champs depuis le matin,
et l'assura qu'il était le bienvenu, s'il ne de-
mandait qu'un abri.
Quant aux provisions, elle n'en avait
point d'autres que des gâteaux de millet,
du poisson sec, et le contenu de la cruche,
c'est-à-dire de l'eau pure.
Erceldonne la regardait, ravi de la voir
si alerte et si vive. La jeune fille avait les
jambes et les bras nus, et tout cela sem-
blait coulé en bronze. Elle avait une ado-
rable grâce pensive. L'Italie est toute
pleine de ces belles petites créatures qui
ont l'air de poèmes vivants, et qui ne son-
gent guère moins aux baiocchi que nos pe-
tits pauvres de France aux gros sous. En
Italie comme chez nous, on a faim.
Fergus se hâta d'aller chercher Alba.
— Ce sera pour vous un misérable re-
fuge que cette cabane, dit-il en chemin
à la comtesse.
— Vous voulez dire que c'est un paradis
en friche! répondit Alba, ravie de cette vé-
gétation luxuriante. Oublier le monde dans
un désert comme celui-ci, ce serait le
bonheur.
— Le mal, répondit-il, en la regardant,
c'est qu'on a connu d'autres attraits et
d'autres joies. -
-:- Et puis, dit-elle gravement, on a d'au-
tres devoirs!
Fergus laissa Alba dans la hutte, et s'oc-
cupa de conduire les chevaux à l'ombre
des pins, où il leur donna ce que la fillette
avait pu lui fournir, du riz au lieu d'avoine.
Ce qui lui rappela que les hommes
comme lui et même les déesses comme
elle avaient aussi besoin d'aliments.
Il découvrit des fraises et des groseilles
sauvages, tua quelques becs-figues avec
une de ces frondes qu'il improvisait en dé-
tachant des lamelles de cuir de sa cein-
ture, et ent la chance d'atteindre d'une
balle de son revolver une truite qui venait
chercher le soleil à fleur d'eau. Aussi preste
cuisinier qu'habile chasseur, et malgré la
gène et la douleur que lui causait encore
sa blessure à l'épaule, il fit cuire tout ce
butin dans la première pièce de la cabane,
tandis qu'Alba se reposait encore dans
l'autre chambre.
Il dressa la table, qu'il couvrit de ver-
dure, et il souriait tristement de sa can-
deur en songeant qu'il parait ce couvert
rustique de feuilles de figuier et de vigne
pour celle qui mangeait d'ordinaire dans
un service d'argent repoussé. Il se trompait
s'il croyait que ces attentions charmantes
ne seraient point remarquées par Alba.
Elle sourit à la vue de la table ainsi déco-
rée.
- Quels trésors de tendresse dans co
bon et grand emur 1 se disait-elle.
L'après-midi suivit son cours, chaude et
brillante. Le rêve de Fergus n'était pas
moins radieux que ce beau jour. Il sentait
la jeune femme en sûreté près do lui, au
cœur de cette forôt profonde. Une demi-
obscurité délicieuse régnait dans la ca-
banc, embaumée de la senteur des bran-
ches de pins ; au dehors, c'était la vaste
étendue de la ramure, le ciel bleu par-
dessus la tète des arbres, les rayons d'or
filtrant à travers les branches. Pas d'au-
tre bruit que la cadence des sources.
Leur solitude était d'autant plus com-
plète, que la jeune paysanne, maîtresse du
pauvre logis, s'était enfoncée dans le bois,
à la recherche de sa chèvre égarée.
Ils, parlaient peu ; Fergus jouissait du
présent, Alba avait chassé les ombres du
passé.
Quant à l'avenir, ils n'y songeaient ni
l'un ni l'autre. Oc serait peut-être la pri-
son, peut-être l'échafaud. Qu'importait ?
Ils auraient été heureux un jour!
, Erceldonne, à un moment, se leva de
son lit de feuillage et vint se mettre aux
pieds de la comtesse.
Elle dempura quelques instants pensive,
puis tout à coup lui dit :
— Mon ami, décidément, vous persistez
donc à vouloir me donner votre vie sans
môme avoir demandé à connaître la mienne?
— Je ne vous demande rien que de
vous laisser aimer.
— Je ne peux pourtant pas, jo ne vaux
pas, poursuivit-elle, accepter tout à fait
cette aveugle et généreuse confiance. Ecou-
tez. Je vais vous dire de moi tout ce qu'il
m'est permis de vous apprendre.
— Comme il vous plaii-al d 1 (in
air d'insouciance, et cependant le coeiir lui
battait.
Elle continua :
- Vous savez que je suis née Grecque,
et je pourrais dire, en vérité, comme cer-
tains personnages de l'ancienne tîrèce, que
je descends des dieux. Une tradition fait re-
monter ma famille aux souverains d'Hali-
carnasse. Ne riez point! La fameuse reine Ar-
témisc serait, dit-on, mon annule. Que la
légende soit fausse ou vraie, la race est il-
lustre. Deux représentants seulement en
restaient naguère: mon oncle, le frère de
manière, et moi. C'est par le côté maternel
que je me rattache aux héros athéniens.
Mon oncle était un homme capricieux et
bizarre, qui menait dans son château une
existence vraiment orientale, barbare, ma-
gnifique et touj ours solitaire au milieu d'une
armée de serviteurs. Une terrible aventure,
que je vous raconterai une autre fois, lui
avait inspiré l'aversion et le mépris des hom-
mes. Je ne crois pas qu'il eût renoncé aux
passions en même temps qu'au monde. Je
le connaissais assez mal alors, bien que je
vécusse près de lui et qu'il m'aimât avec
une profonde tendresse.
Cette existence, que je menai jusqu'à
seize ans, était la plus libre qu'on puisse
imaginer. J'errais dans nos vastes jardins,
en face des flots brillants de la mer Egée,
en compagnie d'un vieux moine arménien,
qui était mon seul maître. C'est lui qui
m'apprit la philosophie antique, la seule
religion qu'il voulût reconnaître, en dépit
de son froc et de son crâne iansuré. En-
core incîinait-il do préférence véîtf ceux
des philosophes anciens qui refusaient de
croire à la réalité de quoi que ce fût en ce
monde. A-seize ans, je me berçais de ca
scepticisme amer et dédaigneux que rien
autour de moi n'était fait pour démentir.
A l'intérieur du palais, j'étais servie
par une nuée d'esclaves; flattée, adorée par
toute une troupe hypocrite et rampante.
N'étais-je pas l'héritière unique du comte
Julien Vassalis, celui que toute la Grèce
appelait le grand Julien. Le double em.
vrement de ma descendance glorieuse et
de l'énorme fortune qui m'attendait me
donnait vraiment l'orgueil d'une de ces
impératrices de Byzance dont ma mère
m'avait transmis le sang.
Mais ce que je rêvais, ce n'était pas leur
puissance, c'était d'tabord la liberté recon-
quise pour moi et pour tous les Grecs sur
les Turcs détestés, c'était ensuite l'accom-
plissement d'une mission plus vaste et plus
généreuse, l'affranchissement de tous les
peuples descendant des Hellènes, ou ayant
occupé avec eux une place dans l'histoire
des temps antiques. -
Ainsi, j'ai médité la liberté de HtaUt
quand les Italiens eux-mêmes avaient cessé
de l'espérer. Deux cœurs seulement de-
meuraient alors inébranlables dans cette
foi, celui de Mazzini et le mien. Et, certes,
l'illustre Giuseppe ne se doutait pas, en co
temps-là, que tantôt dans l'ancienne At-
tique, tantôt dans un château de Ro.
mélie, une petite fille de seize ans son*
geait, qui serait plus tard son auxiliaire.
o UJ DA..
(A suivre.)
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