Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1912-01-06
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 janvier 1912 06 janvier 1912
Description : 1912/01/06 (N3500,A29). 1912/01/06 (N3500,A29).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/07/2012
Vingt-Neuvième Année — N° 3500. - (^J SAMEDI 6 JANVIER 1912
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SOMMAIRE
du samedi 6 janvier 1912
Lionnette. — Le carnet de Lionnette.
Feuilledevigne. — Eolios.
Bobèche. — Mon petit cinématographe.
Maurice Duval. — Denise.
Julien Buat. — Une conquête.
Gaston Gosselin. — Le libre.
Arthur Prémontré. — Relation d'un voyage.
Géo-Klem. — Le Leporido.
André Mialet. — Paternité.
Beguerie. — Souveniais. ',,'
Jean Crèvecœur. — Les tribulations senliiiieiiva-
les du soldat Lacouslille.
Triboulet. — Au théâtre.
P. Vigné d'Octon. - La Gloire (Toman médit
suite).
,..-
Le Carnet de Lionnette
PROFANATION
Les gazettes en ont grossi leurs anecdotes
Trois jours et tout fut dit.
Ce que le poète romantique, Emile
Deschamps, constata jadis, au début de
l'Empire, à propos du suicide d'une fille
galante arrêtée pour avoir fait scandale
au bal de l'Opéra — et alors qu'est-ce
que ce dut être ? — nous devons le cons-
tater bien davantage aujourd'hui où les
événements se multiplient, se précipi-
tent, chevauchent les uns sur les autres
pour nourrir une chronique avide d'iné-
dit, pour les besoins pressants d'une
clientèle blasée de tout ce qui ne tran-
che pas sur le banal, de tout ce qui ren-
tre dans la catégorie des faits naturels.
Car même dans le crime, il y a la mar-
chandise courante dont vous, moi, notre
concierge, notre épicier nous conten-
tons, sans autre désir que celui d'en
avoir été informés. Mais vous, moi,
notre concierge, notre épicier apparte-
nons, quoique à différents degrés de cul-
ture, , à l'espèce normale pour laquelle il
n'est pas nécessaire de forger des dé-
tails répugnants dans le but de nous
rendre plus attrayante la lecture des vi-
lenies par quoi le roi de la création ma-
nifeste sa primauté sur les autres bêtes.
Aussi sommes-nous, nous les attar-
dés, susceptibles de nous arrêter plus
longtemps sur un épisode que ne s'y
arrête le commun des gourmets de sa-
disme et de meurtre dont la pâture doit
être aussi abondante que variée. Ils ou-
blient très vite, ceux-là, ce qui a pu ac-
crocher notre attention, et leur parler
d'une aventure vieille de huit ou quinze
jours, c'est ressusciter presque les pâ-
tres de Chaldée ou les particularités du
Ramayana.
Je n'en reviens pas moins sur l'é-
trange, inexpliqué et peut-être forcé-
ment inexplicable viol de la sépulture où
les conventions sociales avaient fait dé-
poser les restes de cette jeune et mé-
téorique comédienne qu'aura été Lan-
telme, la Ginette heureuse de vivre le
rêve d'une opulence quasi-princière tout
en gardant ses attaches avec le théâtre
où elle puisait un surcroît de rayonne-
ment.
Comme bien on pense, ce ne sont pas
les circonstances de sa mort qui m'oc-
cupent, circonstances précises seule-
ment pour ses intimes et désormais for-
mant la version dont s'emparera l'his-
toire, à supposer que Clio, sur ses ta-
blettes, ménage une marge pour les prê-
tresses de Thalie qui ne firent que pas-
ser pour s'éteindre aussitôt. Mais, cette
- marge, existe-t-elle ? Après tout peu
nous chaut ; ce qui m'importe, à moi,
c'est ce que l'on a appelé « une profana-
tion ».
A n'en pas douter, vu "la majesté gla-
ciale de la mort, celle de l'être physique,
toutes et quantes fois on ouvre une tom-
be, pour quelque motif qu'invoque
l'exhumateur, j'estime qu'il commet une
profanation. Le soin qu'apportent certai-.
nés.gens à leur toilette et leur installa-
tion funèbres, indique surabondam-
ment leur espoir de n'être jamais plus
l'objet d'un dérangement quelconque.
Ne pas tenir compte de cette indica-
tion et, pour quelque mobile auquel on
obéisse, bousculer la rigidité du dor-
meur, c'est lui adresser une injure que
nulle convention ne fait excuser. Main-
tenant, nous basant sur l'évolution des
croyances et sur l'abolition de celle qui
portait les Anciens à s'enfermer avec les
.victuailles indispensables au plus grand
des voyages et avec la monnaie néces-
saire au payement du passage à effec-
tuer sur le Styx où Caron vous refusait
l'entrée dans su barque si l'on manquait
de quoi défrayer l'impitoyable nocher ;
envisageant, dis-je, la conception de
l'au-delà que l'on se fait aujourd'hui,
néant pour les uns, ascension lumineu-
se pour les autres, il est permis de s'é-
tonner que des mortelles — car les fem-
mes uniquement ont de ce,s puériles fan-
taisies — se fassent ensevelir avec les
parures plus ou moins coûteuses que
leur valut l'adoration d'un époux ou
d'un amant. Et si profanation par des
mains étrangères il y eut de la dépouille
de Ginette, ce serait dans la cupidité
qu'avait éveillée le « trésor » de perles
enfoui avec elle, ou plutôt avec ses restes
mal momifiés, qu'il faudrait chercher
la déterminante de la macabre et in-
fructeuse exploration.
Les malfaiteurs n'auraient rien décou-
vert ; du moins, malgré les précautions
prises pour vider le cercueil de son su-
perflu — est-il un mot plus juste ? — ils
n'auraient pu surmonter l'asphyxie
qu'allait amener lellf tentative. Ils au-
raient, bredouilles, battu en retraite de-
•
y
vant les émanations de ce qui avait été
l'une de nos plus élégantes reines du
Tout-Paris ensorceleur.
Ici trouverait place, si ces colonnes
étaient une chaire, un sermon où le
Memento homo quia pulvis es servirait
de thème, et la poussière qu'en effet
nous sommes appelés à devenir, au
moins en tant que corps matériel, me
fournirait de sombres développements.
Mais à quoi bon ? Nous savons tous vers
quelle issue nous nous dirigeons. Se-
rais-je Bossuet, je ne changerais pas les
dispositions de mon époque. Gouailleu-
se, sceptique, brasseuse d'affaires pour
mieux et plus jouir, ce n'est pas la dé-
composition rapide d'une jolie femme
décédée qui empêchera que l'on coure
après les jolies femmes vivantes. De-
mandez plutôt aux médecins, ces tail-
ladeurs de la matière souffrante, si la
matière saine et palpitante ne les attire
pas.
N'empêche qu'au regard de la société,
pour rapiner un lot de diamants, de co-
rindons ou de « larmes d'huîtres » on a
accompli un acte heureusement assez
rare, non que j'applaudisse à l'immobi-
lisation de richesses dont la vente et le
partage soulageraient bien des familles
en détresse, mais parce que, pour moi,
la cité funéraire, le « Campo Santo »,
doit suspendre à son seuil le prurit de la
convoibise.
Et cela, pour ceux que nous avons pu
connaître, nos contemporains, comme,
pour ceux qui, s'étant jadis préparé un
repos qu'ils voulurent définitif, sont au-
jourd'hui, par une science convaincue
peut-être, mais impie, arrachés à ce re-
pos, mis à nu, pillés de leurs derniers
vêtements et, enfin de sacrilège, dispo-
sés sous des vitrines que Dumanet et sa
payse, Pitou, Guibolard et tous les rus-
tauds, tous les badauds ignares contem-
pleront avec des rires animaux et des
allusions dont la grossièreté le dispute à
la sottise.
Avoir été Sésostris, Néchao, Psamme-
tichus, l'un de ces Pharaons qui parti-
cipèrent à la divinité des plus omnipo-
tents maîtres du ciel, avoir régné sur un
peuple prodigieusement civilisé, qui lui-
même régnait de l'Asie-Mineure aux
sources mystérieuses du Nil ; avoir Dâti
des Memphis, des Thèbes aux cent por-
tes par chacune desquelles passait un
contingent de dix mille hommes ; s'être
fait construire par Israël esclave des
tombeaux dont l'énormité projette son
ombre sur le désert ; avoir déterminé,
au fond de ces colosses de pierres amon-
celées et enchâssées pour défier qua-
rante siècles. et bien plus, la chambre
où l'on dormira pour l'éternité, loin de
toute indiscrétion, à l'abri de tous les
bouleversements ethniques, naissance
et chute des empires ; avoir séjourné
quatre mille ans au sein de cet hypogée,
et, tout à coup, se sentir saisi par une
griffe téméraire, dépouillé de son enve-
loppe sacrée, posé sur une table comme
une pièce anatomique et identifié par un
Bertillon de l'archéologie, n'est-ce donc
pas également une profanation, bien
qu'en puissent penser tous les savants
en « us » et les mercantis qui débitent
l'Egypte en parcelles le plus souvent
inauthentiques ?
Et les gracieuses dames d'Antinoé,
déshabillées et démunies de tous les co-
lifichets dont s'adornait leur coquetterie
au temps de l'empereur Hadrien ? N'ont-
elles pas été profanées, et ne pourraient-
cilles protester contre Pintrusion chez
elles des résurrecteurs du Musée Gui-
met ?
Tout est donc relatif, et nous n'aperce-
vons de sacrilège que pour ce qui con-
fine à notre tran-tran quotidien. Tout
de même, causez avec Rhamsès II,
Chéops ou Képhren, vous verrez qu'ils
ne- sont nullement de notre opinion et
que là où ils se couchèrent ils ne se-
raient pas fâchés qu'on les eût laissés
en paix.
LIONNETTE.
.! '
Nous prions nos abonnés de nous adresser
le montant de leurs renouvellements en
mandat-poste; s'ils veulent éviter un retard
ou unœ suspension de l'envoi de leur journal.
I , a, I I I ,„„ ,.
ECHOS
Le flirt avait été exquis et très vif. Si Mme
de P. n'avait, pas été foncièrement honnête,
ma foi, elle sautait le pas et se donnait au
jeune Henri V. qui, là-bas, à Nice, s'était
épris d'elle.
Mais Mme die P. avait pu, au dernier mo-
ment se reprendre et bravement avait résisté.
Le jeune Henri V. était parti, n'osant plus
revoir celle qu'il paraissait tant aimer.
Et une fois parti, Mme de P. se mit à le
regretter; oui, toute sa vertu chavira; elle
se traita de sotte ; il lui sembla quelle avait
manqué le bonheur de sa vie et ses nuits de
veuve furent troublées par des accès de déses-
poifr.
Revenue à Paris, elle vient subitement
d'être guérie de l'amour qui tant la troublait.
Le lendemain de son arrivée, elle recevait
la. visite du jeunie Henri. Oh! quand elle lut
son nom sui la carte qu'il fit passer, elle man-
qua défaillir. Elle a été vite remise de son
émotion.
Le jeune Henri, tout joyeux, venait lui an-
noncer que, grâce à elle, il était enfin le plus
heureux des hommes; oui, en quittant Nice il
avait rencontré une jeune fille délicieuse et
l'avait épousée.
,
La bonne preuve
— J'ai un cœur d'or, Mademoiselle; ainsi, je suis
- tellement sensible qu'il faut m'endormir pour me
couper une manille.
Si Mme de P. avait cédé, il ne quittait
point Nice; partant, il ne rencontrait pas la
jeune fille au buffet et il ratait son bonheur.
Mime de P. a plutôt été outrée de cette ju-
vénile franchise.
-x-
On n'ignore pas que l'auteur de Chantecler
est volontiers malicieux et caustique. Il n'ab-
dique pas son ironie quand il se trouve parmi
les siens.
Il y a quelques semaines, à Cambo, autoiusr
de la table de famille, on parlait de la repré-
sentation dlU" bon petit diable.
M. Edmond Rostand approuva fort l'idée
qu'avaient eue sa femme et son fils de porter à
la scène un conte de Mme de Ségur. Puis il
ajouta :
- Mes chéris, il ne faudra pas vous arrêter
en si beau chemin. Puisez largement dans la
Bibliothèque Rose. Les Deux Nigauds voilà
encore un joli titre de pièce. Qu'en dites-vous?
Ou bien encore, Maurice, tu pourrais signer
les Mémoires d'un Ane.
Et tout le monde rit de cette inoffensive
plaisanterie.
!Il en est arrivé une, mettons bien bonne,
à Mme Silvann au cours de la grande tournée
qu'elle vient de faire avec son mari.
Mme Silvain donnait, avec M. Silvain, une
grandie représentation à Athènes.
Au moment de lever le rideau, on cherche
partout Mme Silvain, dans sa loge, au foyer,
dans les coulisses, dans les combles, partout
enfin.
Mme Louise Silvain restait introuvable.
Après une heure et plus de recherches, on
s'avisa d'aller voir si, d'aventure, Mme Sil-
vain ne se trouvait pas là où Al ces te mettait
le sonnet d'Oronte.
Elle y était, enfermée, le verrou s'était
brisé.
Il fallut appeler un serrurier pour délivrer
Mme Siilvain, et, faire une annonce au public
qui attendait Hécube.
-x-
C'est dans une ville de province, où une
troupe volante qui s'est vouée à la décentra-
lisation du théâtre classique, vient de jouer le
Misanthrope, de moitié avec le souffleur. A la
fin de la représentation, Alceste s'avance et
déclare : « Mesdames et Messieurs, demain,
nous aurons l'honneur de vous donner le Phi-
losophe sans le savoir. »
- Oh ! mais non ! Mais non ! s'écrie le
imaire avec colère, vous venez de saboter au-
jourd'hui le Misanthrope sans le savoir, vous
aurez l'obligeance de savoir demain le Philo-
sophe avant de le jouer.
-x--
Ziem, le peintre orientaliste, mort derniè-
rement, prenait un certain plaisir à se payer la
tête de ses admirateurs.
Il y a quelques années, rencontrant sur les
boulevards, non les grands où il n'allait ja-
mais, mais ceux de la Butte où il aimait à
se promener, un de ses amis qui revenait de
Venise :
— Ah ! Eh bien, lui dit-il, commeftt c'est-il
fait? Je ne serais pas fâché de le. savoir.
- Voyons, maître !
-- Je vous en prie. Rendez-moi ce service,
Je n'y suis jamais allé.
- Mais. oela ressemble assez à vos ta-
bleaux.
Oh ! alors, répondit Ziem à son interlocu-
teur ahuri, cela ne me donne point l'envie d'y
aller voir.
--)( -
Les petits métiers de Paris se modernisent.
Qui ne connaît le traditionnael, le classique
rempailleur de chaises qui se promenait jus-
qu'ici mélancoliquement par les rues, devant
une petite voiture traînée par un- âne ou par.
un cheval, et sur laquelle se dressait l'écha-
faudage des chaises confiées à ses soins ?
Eh bien ! la petite voiture de ce modeste
artisan a vécu : elle est remplacée par une
trépidante automobile.
Dans l'avenue des Ternes, ces derniers
jours, le rempailleur madern-style, tenant en
main le volant de sa voiturette, rasait les
trottoirs à une assez vive allure.
Au cri de la trompette stridente d'autrefois
s'était substitué l'appel hautain de la corne ;
et l'homme lui-même, sur son siège, montrait
une superbe qui contrastait singulièrement
avec son humilité d'autrefois.
Lui, le ténor, n'est pas de Toulouse. Et
comme il arrive dans cette Capitale, un de
ses amis, Toulousain pur sang, lui en fait les
honneurs. On arrive devant une vieille ruine,
aux pierres usées par-le temps. -Et le Toulou-
sain ckerone, dit avec satisfaction :
— Voici, mon bon, un édifice qui a plus de
cent ans d'âge !
A côté d'eux, un peintre en bâtiment, oc-
cupé à quelque travail tranquille et plus
averti, sursaute et à mi-voix. :
— Cent ans ! Eh bien, mon vieux, vous
pouvez ajouter un zéro 1
Alors l'autre, triomphant :
— Tu as entendu : deux cents r
Les romanciers ont vanté souvent, et les
poètes ont chanté aussi souvent la persévé-
rance des 'femmes de marins qui ne sont vrai-
ment mariées que de loin en loin, qu'and le
navire revient en France.
Il est certain que cette situation exception-
nelles leur crée des devoirs que la plupart res-
pectent scrupuleusement.
Un riche et puissant romancier est passion-
nément épris de la femme d'un lieutenant de
vaisseau, qui est en ce moment dans les mers
de Chine. -
Dans une avant-scène des Variétés, avant-
hier soir, notre fin conteur pressait plus vive-
ment que de coutume sa « folie », quand celle-
ci s'écria avec indignation :
(1 Jamais, monsieur ! mon mari est en mer,
ce serait lâche ! A son retour, je ne dis pas. »
Bismarck croyait beaucoup à l'influence se-
crète du chiffre 3 sur sa destinée. Quand ses
amis s'en étonnaient, il leur tenait ce petit dis-
cours :
« — J'ai servi trois maîtres. J'ai trois
noms ! Dans mes armes, il y a trois feuilles.die
chêne. J'ai provoqué trois guerres. J'ai signé
trois traités de paix. Pendant la guerre avec la
France, j'ai monté trois chevaux qui furent
tués l'un après l'autre, après que j'eusse été
jeté trois fois à bas de ma selle. J'ai préparé
l'entrevue de trois empereurs. J'ai été l'initia-
teur de la Triple-Alliance; j'ai trois enfants.
La devise de ma maison est « Trinitate Ro-
bur » et s'il faut en croire les caricatures et
les feuilles humoristiques je n'ai que trois che-
veux sur le crâne ! »
-x:--
Plus heureuse que Froufrou, elle n'est pas
revenue au logis uniquement pour y mourir;
repentante, elle s'est vu pardonner par son
mari, un brave et honnête homme qui n'avait
jamais cessé de l'aimer.
Mariée à dix-sept ans, elle avait eu la fai-
blesse d'écouter les propos d'un jeune et beau
viveur et, pleine de franchise en-sa folie, ne
voulant pas hypocritement tromper son mari,
un matin elle avait déserté le toit conjugal.
Ce fut un scandale ; puis, peu à peu on n'y
pensa plus.
Elle était partie, croyant à un avenir de
bonheur et d'amour. Au bout de six mois, son
amant la quittait pour se marier.
Alors ce furent des jours de souffrance et
de misère. Seule, abandonnée, pour vivre elle
dut travailler; hélas! que pouvait-elle faire?
Elle tomba dangereusement malade ; alors
elle écrivit à son mari pour, avant de mourir,
implorer' son pardon.
Il accourut, la fit transporter chez lui et
la soigna avec une tendresse pleine de dou-
ceur.
Aujourd'hui, entièrement rétablie, elle a re-
pris sa place au foyer conjugal ; ayant totale-
ment oublié le passé, elle adore son mari et en
fait le bonheur.
-x-
Elle est jolie, elle est adulée ; elle est l'en-
fant chérie du public parisien qui, lorsqu'elle
paraît sur une scène d'un théâtre du boule-
vard, lui fait fête. Hier matin, donc le temps
était serein, la température exquisement
douce. Mlle X., dans sa luxueuse automobile,
alla faire un petit tour au Bois. Et le ciel
était si beau, .le Bois si joli, qu'elle fit arrêter
sa voiture et descendit, heureuse et joyeuse de
pouvoir, par cette aplendide matinée, trotter
un peu. Elle allait, ainsi rêvant à je ne sais
quel beau. rôle, quand, tout à coup, derrière
elle, Mlle X. sentit la présence d'un sui-
veur.
Et bientôt à sa jolie petite oreille retentis-
saient des propos galants et flatteurs « La
jolie nuque ! Les beaux cheveux ! Quel chic !
Quel chien! Exquise! Délicieuse! »
Mlle X. s'arrêta, et se retourna furieuse :
— Oh ! monsieur, mais pour qui me pre-
nez-vous donc? Je suis Mlle.
Et, sans se troubler, le vieux beau de ré-
pondre :
— Un bien joli nom, mademoiselle, un bien
joli nom!
Le journal anglais Science annonce qu'un
statisticien a calculé le nombre exact de traits
d'union employés journellement par tous œux
qui écrivent en langue anglaise. Le total
s'élève à 891.236.460. Tous ces traits d'union,
mis bout à bout, auraient une longueur de
6.182 kilomètres, et une seule personne, tra-
vaillant huit heures par jour, mettrait 74 ans
à les faire.
- Eh bien, moi, je soutiens qu'il vaut mieux
aller au café.
-x-
Selon la nasologie exposée par Théophile
Gautier, le nez est un appendice qui permet
de reconnaître là valeur d'un homme. Grâce à
lui, on peut établir le « diagnostic » de l'es-
prit. Socrate était camus. César et Napoléon
avaient un -bec d'aigle. Un nez crânement éta-
bli n'a jamais trompé personne. Quand on a
un pignon sur figure, on est personnage con-
séquent.
Donc, allongez vos nez, mes amis, allongez-
les.
-x-
L'éditeur L. possédait jadis à Ville-d'Avray
une délicieuse villa. Il s'y rendait le diman-
che et s'y livrait aux salutaires fatigues du
jardinage.
Un samedi soir, il invita ses deux secrétai-
res à y venir passer la journée du lendemain.
Les deux jeunes gens se réjouirent fort de la
politesse que leur faisait leur patron et se
promirent un beau dimanche.
Ils airrivent donc à Ville-d'Avray. Ils trou-
vent l'éditeur culotté d'un pantalon de gros
drap bleu et vêtu d'une chemise au col ou-
vert, aux manches retroussées. Il bêchait, sar-
clait, binait et ruisselait d'une sueur honnête.
Dès qu'il aperçut ses invités :
— Ah 1 vous voilà ! dit-il. Eh bien ! aidez-
moi. Otez vos gants. Accrochez vos jaquettes
à la haie. Ma terre a besoin d'être fumée. AL
lez prendre là-bas dans le petit cabanon les
seaux que vous y trouverez et répandez-en le
contenu sur ces carres.
Les deux secrétaires firent la grimace.
Mais comment refuser ? Ils passèrent. leur
journée à. parfumer le jardin du patron.
L'un d'eux s'appelait Anatole France.
-x-
Mme de K. vit seule en son château avec
son jeune fils, Edouard, âgé de dix-sept ans.
Ne voulait point que cet enfant se com-
promette avec quelque fille de paysan, Mme
de K. a su, avec cette roue nie maternelle qui
ne recule devant rien, s'arranger pour que son
cher enfant trouvât du plaisir tout en restant
à la maison.
Elle a invité la jeune Mme de W. à venir
passer quelque temps au château.
Mm# de W. n'a que peu de fortune et
une telle invitation était pour elle une au-
baine. -
Elle vint donc et ce qu'avait espéré la mère
du jeunie Edouard arriva. -
Ce dernier se prit à aimer Mme de W. et
il put lui faire en toute sûreté la cour.
Tous les jours, il faisait de longues prome-
nades avec elle ; d'abord Mme de K. les
avait accompagnés ; puis, prétextant la fatigue
que lui donnaient ces promenades, ello avait
renoncé à les suivre.
Mme de K. est maintenant la plus heu-
reuse des mères; son fils a une liaison de tout
repos qu'il lui sera facile de rompre quanti elle
le voudra; c'est-à-dire quand elle songera à
marier ce fils.
Il y a des mères habiles.
-x-
Les paysans ont toujours un goût prononcé
pour les prénoms baroques; lorsqu'ils décla-
rent un nouveau-né, ils vont cueillir dans le
calendrier des saints ahurissants ,oubliés, in-
vraisemblables, et en accablent leur malheu-
reux rejeton.
Ainsi, il y a quelque temps, un brave culti-
vateur de Vitry-aux-Loges, commune du Loi-
ret, se présentait à la mairie pour déclarer un
enfant du sexe masculin que sa femme avait
mis au monde le matin même.
— Quel prénom ? interrogea le secrétaire.
— Pivépape, répondit le paysan avec un
sourire de triomphe.
- Comment ? fit l'employé ahuri.
Pivépape, articula l'heureux père.
Le secrétaire expliqua au père que, s'il te-
nait absolument à ridiculiser son dernier né,
il pouvait l'appeler Lin, Clet, Venant ou
Onéisdiphore, mais non Pivépape, ce nom ne
figurant pas sur le calendrier.
Il n'est pas sur le calendrier ! s'em-
porta le paysan, rouge d'indignation. Regar-
der plutôt.
Le secrétaire regarda et, à la date du 5 mai,
lut : saint Pie V, pape. Après avoir ri, il
inscrivit l'enfant sous le nom de Pie : c'était
suffisant.
""x.
Au coin du feu, le soir, dans la douce inti-
mité.
Monsieur lit le journal à madame, qui est
d'une intelligence rudimentaire et qui, de
temps à autre, interrompt son mari pour pla-
cer une observation.
Monsieur ht à madame un article ou il est
question de déportés.
— Quelle différence, demande-t-elle tout
d'un coup, y a-t-il entre la déportation et la
transportation ?
- Tu m'ennuies. Laisse-moi finar J
- Mais encore.
- Tu veux un exemple. Eh bien! tiens.
Si on t'envoyait à Nouméa, tu serais dépor-
tée.. et moi. je serais transporté. Com-
prends-tu ?
On ne dit pas si madame à compris.
X
MOTS DE LA FIN
— Une fille très bien.
— Bon.
— Pas de dot.
- Diable.
— Mais des espérances.
— Quelles?
— Elle va être mère !.-
-X
Soirée dans le grand monde.
MADAME. — Dis-moi, mon chou, pourquoi
i
retires-tu tous les parapluies du porte-para-
Pl-ui,e ?
MONSIEUR. — Mais, ma chère enfant, poiii
qu'il n'y ait pas, par hasarda un invité qui w*
connaisse le sien.
.y -XI"i!I!t
- Monsieur, ma femme me trompé
- C'est bien possible. y
- Et avec vous, encore!
- Oh t monsieur, « encore » est de trop,,
-x-
- Et puis, je ne suis pas une de - ces vsil*
gaires grues.
- Diable 1. Est-ce que ce sera plus cher.?
Feuilledevigne.,
———————.—— ,
BOH PETIT CINÉMATORGAPHE
Dictionnaire Culinaire
- ENTRECOTE. — Morceau de viande qui rapproche
Bercy de Bordeaux.
ENTRÉE. — Premier service assorti.
ENTRELARDER. - Témoigner d'un grand amour
de lard.
ENTREMETS. - Plat ilont l'appellation insuffi-
sante laisse toujours planer une équivoque.
EMUCLÉATION. — Ablation d'un noyau qui ge
fait le plus souvent à l'œil.
EPAULE. — Morceau de viande qui se hausse et
se désÓsse.
EPERLAN. — Poisson qui n'est jamais pressé de
devenir papa. -
EpI. — Tige de blé mal peignée dont on ee seif
pour briser les lames de la mer.
EPICE. — Aromatdittéraire généralement fre-
laté.
EPICER. — Verbe par quoi commence et &e TER-
mine un assaisonnement.
EPICERIE. — Profession rêvée pour mes fils,
quand ils auront vingt ans.
EPINARD. - Chénopodiacée alimentaire et pic-
lurale.
EPINE-VINETTE. — Berbéridocée qui a préféré
prendre un pseudonyme. On ne saurait l\eu blâ-
mer. :
EPIPLOON. — Fils du père Itoine.
EPLUCHER. — Traiter certains légumes ou cer-
tains lfruits comme les œuvres d'un confrère. i
EPLUCHURE. — Tout ce qui n'est pas signé de ,
moi.
EpURER. — Infinitif pour les huiles ; auxiliaire
et substantif pour le soussigné.
ERGOT. — Patte de coq très utile dans la dis-
cussion.
ERUCTATION. — Soupir rotatif.
ESCALOPE. — Tranche de veau qu'on a l'air de
traiter d'ancienne roulure.
ESCARGOT. — Animal comestible qui. contraire-
ment à bien des hommes, devient aveugle quand
il perd ses cornes.
ÊSCARGOULE. — Champignon qui, avec un nom
pareil, ne peut pousser que dans la Provence.
BSCAROLE. — Salade qui devrait plutôt s'appe-
ler orée, n'étant au fond qu'une chicorée qui
manque de chic.
ESSOURGEON. — Orge dont le nom est si barbare
qu'on dirait de l'orge de Barbarie.
ESSENCE. — Uquide volatile qui fait marcher,
les femmes et les automobiles.
ESTAGNON. — Vase de cuivre étamé où l'on place
beaucoup des huiles du Midi. Les autres sont
placées dans des ministères.
ESTAMINET. — Cabaret avec l'accent du nord et
question indiscrète avec celui du sud.
ESTOMAC. — Viscère qui siège dans le thorax e~ n ?
quelquefois dans les talons.
ESTOUFFADE OU ÉTOUFFÉE. — Mode de-cuisson RE*
nouvelé d'Othello.
ESTRAGON. — Légume qui ressemble à un ca-
valier retraité.
ESTURGEON. — Poisson qui pousse l'amour dei1
l'utilitarisme jusqu'à faire de la matelote avec
sa chair, du caviar avec des œuls et de la CÛUO :
avec sa vessie.
ETAL. — Table à viande que Louis XIV, sa
vantait d'être. -
ETAMAGE. — Revêtement intérieur de casserole
qu'on met à la tête de l'armée quand il est en
or. -
ETHER. - Chef-d'œuvre de Racine employé eQ
pharmacie.
ETIQUE. — Maigre qui continue.
ETRIPER. — Appliquer à un innocent animal
les stupides préjugés humains en ce qui touche
les affaires d'honneur.
ETUVE. — Voyez : Métropolitain.
ETUVER. — Pratiquer le mode de surchauffage
qui stérilise tout ce qu'on met à l'étuve y com-
pris le cerveau des adolescents confiés aux geôles
universitaires.
EUPEPSIE. — Bien joli prénom à offrir à une
jeune fille qui aurait un bon estomac.
EVACUER. - Donner un congé non amiable à
certains déchets qui' se conduisent en locataires
malséants.
EVAPORER. — Transformer en vapeur un liquide
pas sérieux qui bouillonne comme une petite
folle.
EVENTAIRE. — Etalage de fleuriste ambulante
dont il faut se métier quand il s'agit de la mèche.
EVIER. — Pierre pour ^'écoulement des eaux
grasses avec quoi Archimède se flattait de soule.
ver le monde. (N. B. — Il ne faut pas confondre
les eaux d'Evier avec les eaux d'Evian).
(A suivre.) Bobèche.
DENISE
NOUVELLE INEDITE
PAR MAURICE DUVAL
Elle avait 23 ans.
Elle s'était laissé séduire, pauvre Denise*
par un jeune employé. Elle était devenue saf
maîtresse. ,-
En apprenant sa liaison, ses parents, de
braves ouvriers, inébranlables sur le point
d'honneur, l'avaient chassée.
Mais son amant, très épris d'elle, lui avait
meublé une petite chambre et, pour qu'elle
fût plus facilement à sa disposition, il l'avait
obligée à quitter le magasin où elle gagnait
si gentirftient sa vie, où d'ailleurs, il l'avait
vue pour In première fois.
Cela dura quelques mois. Puis, un jour,;
Pierre (c'était le nom du jeune homme) ap-
prit que sa maltresse allait être mère. Il fit
la grimace — naturellement. Le temps passa,
le bébé vînt. Pierre paya les trais et les mois
de nourrice. C'était un bon garçon.
Mais il ne les paya pas longtemps. Cette
liaison, à la fin, llU<Í pesait ; il espaça ses vi-
sitas de plus en plus. Un beau jour, il fit
comprendre à Denise qu'ielle devrait cher-
cher de l'ouvrage, qu'il ne pouvait pas suf-
fire à l'entretien de tout le monde.
Vint l'époque du terme ; il oublia de lais-
ser l'argent du loyer. Denise s'affola, l'at-
tendit, lui écrivit lettre sur lettre. Elle n'eut
ni visite ni réponse. Pierre s'était complète-
ment repris. C'est la vie 1
Que faire ? Elle vendit les meulrtes pour
payer le terme et trouva du travail commo
confectionneuse : 2 fr. 50 par jour.
Elle se levait avec l'aurore et se couchait
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SOMMAIRE
du samedi 6 janvier 1912
Lionnette. — Le carnet de Lionnette.
Feuilledevigne. — Eolios.
Bobèche. — Mon petit cinématographe.
Maurice Duval. — Denise.
Julien Buat. — Une conquête.
Gaston Gosselin. — Le libre.
Arthur Prémontré. — Relation d'un voyage.
Géo-Klem. — Le Leporido.
André Mialet. — Paternité.
Beguerie. — Souveniais. ',,'
Jean Crèvecœur. — Les tribulations senliiiieiiva-
les du soldat Lacouslille.
Triboulet. — Au théâtre.
P. Vigné d'Octon. - La Gloire (Toman médit
suite).
,..-
Le Carnet de Lionnette
PROFANATION
Les gazettes en ont grossi leurs anecdotes
Trois jours et tout fut dit.
Ce que le poète romantique, Emile
Deschamps, constata jadis, au début de
l'Empire, à propos du suicide d'une fille
galante arrêtée pour avoir fait scandale
au bal de l'Opéra — et alors qu'est-ce
que ce dut être ? — nous devons le cons-
tater bien davantage aujourd'hui où les
événements se multiplient, se précipi-
tent, chevauchent les uns sur les autres
pour nourrir une chronique avide d'iné-
dit, pour les besoins pressants d'une
clientèle blasée de tout ce qui ne tran-
che pas sur le banal, de tout ce qui ren-
tre dans la catégorie des faits naturels.
Car même dans le crime, il y a la mar-
chandise courante dont vous, moi, notre
concierge, notre épicier nous conten-
tons, sans autre désir que celui d'en
avoir été informés. Mais vous, moi,
notre concierge, notre épicier apparte-
nons, quoique à différents degrés de cul-
ture, , à l'espèce normale pour laquelle il
n'est pas nécessaire de forger des dé-
tails répugnants dans le but de nous
rendre plus attrayante la lecture des vi-
lenies par quoi le roi de la création ma-
nifeste sa primauté sur les autres bêtes.
Aussi sommes-nous, nous les attar-
dés, susceptibles de nous arrêter plus
longtemps sur un épisode que ne s'y
arrête le commun des gourmets de sa-
disme et de meurtre dont la pâture doit
être aussi abondante que variée. Ils ou-
blient très vite, ceux-là, ce qui a pu ac-
crocher notre attention, et leur parler
d'une aventure vieille de huit ou quinze
jours, c'est ressusciter presque les pâ-
tres de Chaldée ou les particularités du
Ramayana.
Je n'en reviens pas moins sur l'é-
trange, inexpliqué et peut-être forcé-
ment inexplicable viol de la sépulture où
les conventions sociales avaient fait dé-
poser les restes de cette jeune et mé-
téorique comédienne qu'aura été Lan-
telme, la Ginette heureuse de vivre le
rêve d'une opulence quasi-princière tout
en gardant ses attaches avec le théâtre
où elle puisait un surcroît de rayonne-
ment.
Comme bien on pense, ce ne sont pas
les circonstances de sa mort qui m'oc-
cupent, circonstances précises seule-
ment pour ses intimes et désormais for-
mant la version dont s'emparera l'his-
toire, à supposer que Clio, sur ses ta-
blettes, ménage une marge pour les prê-
tresses de Thalie qui ne firent que pas-
ser pour s'éteindre aussitôt. Mais, cette
- marge, existe-t-elle ? Après tout peu
nous chaut ; ce qui m'importe, à moi,
c'est ce que l'on a appelé « une profana-
tion ».
A n'en pas douter, vu "la majesté gla-
ciale de la mort, celle de l'être physique,
toutes et quantes fois on ouvre une tom-
be, pour quelque motif qu'invoque
l'exhumateur, j'estime qu'il commet une
profanation. Le soin qu'apportent certai-.
nés.gens à leur toilette et leur installa-
tion funèbres, indique surabondam-
ment leur espoir de n'être jamais plus
l'objet d'un dérangement quelconque.
Ne pas tenir compte de cette indica-
tion et, pour quelque mobile auquel on
obéisse, bousculer la rigidité du dor-
meur, c'est lui adresser une injure que
nulle convention ne fait excuser. Main-
tenant, nous basant sur l'évolution des
croyances et sur l'abolition de celle qui
portait les Anciens à s'enfermer avec les
.victuailles indispensables au plus grand
des voyages et avec la monnaie néces-
saire au payement du passage à effec-
tuer sur le Styx où Caron vous refusait
l'entrée dans su barque si l'on manquait
de quoi défrayer l'impitoyable nocher ;
envisageant, dis-je, la conception de
l'au-delà que l'on se fait aujourd'hui,
néant pour les uns, ascension lumineu-
se pour les autres, il est permis de s'é-
tonner que des mortelles — car les fem-
mes uniquement ont de ce,s puériles fan-
taisies — se fassent ensevelir avec les
parures plus ou moins coûteuses que
leur valut l'adoration d'un époux ou
d'un amant. Et si profanation par des
mains étrangères il y eut de la dépouille
de Ginette, ce serait dans la cupidité
qu'avait éveillée le « trésor » de perles
enfoui avec elle, ou plutôt avec ses restes
mal momifiés, qu'il faudrait chercher
la déterminante de la macabre et in-
fructeuse exploration.
Les malfaiteurs n'auraient rien décou-
vert ; du moins, malgré les précautions
prises pour vider le cercueil de son su-
perflu — est-il un mot plus juste ? — ils
n'auraient pu surmonter l'asphyxie
qu'allait amener lellf tentative. Ils au-
raient, bredouilles, battu en retraite de-
•
y
vant les émanations de ce qui avait été
l'une de nos plus élégantes reines du
Tout-Paris ensorceleur.
Ici trouverait place, si ces colonnes
étaient une chaire, un sermon où le
Memento homo quia pulvis es servirait
de thème, et la poussière qu'en effet
nous sommes appelés à devenir, au
moins en tant que corps matériel, me
fournirait de sombres développements.
Mais à quoi bon ? Nous savons tous vers
quelle issue nous nous dirigeons. Se-
rais-je Bossuet, je ne changerais pas les
dispositions de mon époque. Gouailleu-
se, sceptique, brasseuse d'affaires pour
mieux et plus jouir, ce n'est pas la dé-
composition rapide d'une jolie femme
décédée qui empêchera que l'on coure
après les jolies femmes vivantes. De-
mandez plutôt aux médecins, ces tail-
ladeurs de la matière souffrante, si la
matière saine et palpitante ne les attire
pas.
N'empêche qu'au regard de la société,
pour rapiner un lot de diamants, de co-
rindons ou de « larmes d'huîtres » on a
accompli un acte heureusement assez
rare, non que j'applaudisse à l'immobi-
lisation de richesses dont la vente et le
partage soulageraient bien des familles
en détresse, mais parce que, pour moi,
la cité funéraire, le « Campo Santo »,
doit suspendre à son seuil le prurit de la
convoibise.
Et cela, pour ceux que nous avons pu
connaître, nos contemporains, comme,
pour ceux qui, s'étant jadis préparé un
repos qu'ils voulurent définitif, sont au-
jourd'hui, par une science convaincue
peut-être, mais impie, arrachés à ce re-
pos, mis à nu, pillés de leurs derniers
vêtements et, enfin de sacrilège, dispo-
sés sous des vitrines que Dumanet et sa
payse, Pitou, Guibolard et tous les rus-
tauds, tous les badauds ignares contem-
pleront avec des rires animaux et des
allusions dont la grossièreté le dispute à
la sottise.
Avoir été Sésostris, Néchao, Psamme-
tichus, l'un de ces Pharaons qui parti-
cipèrent à la divinité des plus omnipo-
tents maîtres du ciel, avoir régné sur un
peuple prodigieusement civilisé, qui lui-
même régnait de l'Asie-Mineure aux
sources mystérieuses du Nil ; avoir Dâti
des Memphis, des Thèbes aux cent por-
tes par chacune desquelles passait un
contingent de dix mille hommes ; s'être
fait construire par Israël esclave des
tombeaux dont l'énormité projette son
ombre sur le désert ; avoir déterminé,
au fond de ces colosses de pierres amon-
celées et enchâssées pour défier qua-
rante siècles. et bien plus, la chambre
où l'on dormira pour l'éternité, loin de
toute indiscrétion, à l'abri de tous les
bouleversements ethniques, naissance
et chute des empires ; avoir séjourné
quatre mille ans au sein de cet hypogée,
et, tout à coup, se sentir saisi par une
griffe téméraire, dépouillé de son enve-
loppe sacrée, posé sur une table comme
une pièce anatomique et identifié par un
Bertillon de l'archéologie, n'est-ce donc
pas également une profanation, bien
qu'en puissent penser tous les savants
en « us » et les mercantis qui débitent
l'Egypte en parcelles le plus souvent
inauthentiques ?
Et les gracieuses dames d'Antinoé,
déshabillées et démunies de tous les co-
lifichets dont s'adornait leur coquetterie
au temps de l'empereur Hadrien ? N'ont-
elles pas été profanées, et ne pourraient-
cilles protester contre Pintrusion chez
elles des résurrecteurs du Musée Gui-
met ?
Tout est donc relatif, et nous n'aperce-
vons de sacrilège que pour ce qui con-
fine à notre tran-tran quotidien. Tout
de même, causez avec Rhamsès II,
Chéops ou Képhren, vous verrez qu'ils
ne- sont nullement de notre opinion et
que là où ils se couchèrent ils ne se-
raient pas fâchés qu'on les eût laissés
en paix.
LIONNETTE.
.! '
Nous prions nos abonnés de nous adresser
le montant de leurs renouvellements en
mandat-poste; s'ils veulent éviter un retard
ou unœ suspension de l'envoi de leur journal.
I , a, I I I ,„„ ,.
ECHOS
Le flirt avait été exquis et très vif. Si Mme
de P. n'avait, pas été foncièrement honnête,
ma foi, elle sautait le pas et se donnait au
jeune Henri V. qui, là-bas, à Nice, s'était
épris d'elle.
Mais Mme die P. avait pu, au dernier mo-
ment se reprendre et bravement avait résisté.
Le jeune Henri V. était parti, n'osant plus
revoir celle qu'il paraissait tant aimer.
Et une fois parti, Mme de P. se mit à le
regretter; oui, toute sa vertu chavira; elle
se traita de sotte ; il lui sembla quelle avait
manqué le bonheur de sa vie et ses nuits de
veuve furent troublées par des accès de déses-
poifr.
Revenue à Paris, elle vient subitement
d'être guérie de l'amour qui tant la troublait.
Le lendemain de son arrivée, elle recevait
la. visite du jeunie Henri. Oh! quand elle lut
son nom sui la carte qu'il fit passer, elle man-
qua défaillir. Elle a été vite remise de son
émotion.
Le jeune Henri, tout joyeux, venait lui an-
noncer que, grâce à elle, il était enfin le plus
heureux des hommes; oui, en quittant Nice il
avait rencontré une jeune fille délicieuse et
l'avait épousée.
,
La bonne preuve
— J'ai un cœur d'or, Mademoiselle; ainsi, je suis
- tellement sensible qu'il faut m'endormir pour me
couper une manille.
Si Mme de P. avait cédé, il ne quittait
point Nice; partant, il ne rencontrait pas la
jeune fille au buffet et il ratait son bonheur.
Mime de P. a plutôt été outrée de cette ju-
vénile franchise.
-x-
On n'ignore pas que l'auteur de Chantecler
est volontiers malicieux et caustique. Il n'ab-
dique pas son ironie quand il se trouve parmi
les siens.
Il y a quelques semaines, à Cambo, autoiusr
de la table de famille, on parlait de la repré-
sentation dlU" bon petit diable.
M. Edmond Rostand approuva fort l'idée
qu'avaient eue sa femme et son fils de porter à
la scène un conte de Mme de Ségur. Puis il
ajouta :
- Mes chéris, il ne faudra pas vous arrêter
en si beau chemin. Puisez largement dans la
Bibliothèque Rose. Les Deux Nigauds voilà
encore un joli titre de pièce. Qu'en dites-vous?
Ou bien encore, Maurice, tu pourrais signer
les Mémoires d'un Ane.
Et tout le monde rit de cette inoffensive
plaisanterie.
!Il en est arrivé une, mettons bien bonne,
à Mme Silvann au cours de la grande tournée
qu'elle vient de faire avec son mari.
Mme Silvain donnait, avec M. Silvain, une
grandie représentation à Athènes.
Au moment de lever le rideau, on cherche
partout Mme Silvain, dans sa loge, au foyer,
dans les coulisses, dans les combles, partout
enfin.
Mme Louise Silvain restait introuvable.
Après une heure et plus de recherches, on
s'avisa d'aller voir si, d'aventure, Mme Sil-
vain ne se trouvait pas là où Al ces te mettait
le sonnet d'Oronte.
Elle y était, enfermée, le verrou s'était
brisé.
Il fallut appeler un serrurier pour délivrer
Mme Siilvain, et, faire une annonce au public
qui attendait Hécube.
-x-
C'est dans une ville de province, où une
troupe volante qui s'est vouée à la décentra-
lisation du théâtre classique, vient de jouer le
Misanthrope, de moitié avec le souffleur. A la
fin de la représentation, Alceste s'avance et
déclare : « Mesdames et Messieurs, demain,
nous aurons l'honneur de vous donner le Phi-
losophe sans le savoir. »
- Oh ! mais non ! Mais non ! s'écrie le
imaire avec colère, vous venez de saboter au-
jourd'hui le Misanthrope sans le savoir, vous
aurez l'obligeance de savoir demain le Philo-
sophe avant de le jouer.
-x--
Ziem, le peintre orientaliste, mort derniè-
rement, prenait un certain plaisir à se payer la
tête de ses admirateurs.
Il y a quelques années, rencontrant sur les
boulevards, non les grands où il n'allait ja-
mais, mais ceux de la Butte où il aimait à
se promener, un de ses amis qui revenait de
Venise :
— Ah ! Eh bien, lui dit-il, commeftt c'est-il
fait? Je ne serais pas fâché de le. savoir.
- Voyons, maître !
-- Je vous en prie. Rendez-moi ce service,
Je n'y suis jamais allé.
- Mais. oela ressemble assez à vos ta-
bleaux.
Oh ! alors, répondit Ziem à son interlocu-
teur ahuri, cela ne me donne point l'envie d'y
aller voir.
--)( -
Les petits métiers de Paris se modernisent.
Qui ne connaît le traditionnael, le classique
rempailleur de chaises qui se promenait jus-
qu'ici mélancoliquement par les rues, devant
une petite voiture traînée par un- âne ou par.
un cheval, et sur laquelle se dressait l'écha-
faudage des chaises confiées à ses soins ?
Eh bien ! la petite voiture de ce modeste
artisan a vécu : elle est remplacée par une
trépidante automobile.
Dans l'avenue des Ternes, ces derniers
jours, le rempailleur madern-style, tenant en
main le volant de sa voiturette, rasait les
trottoirs à une assez vive allure.
Au cri de la trompette stridente d'autrefois
s'était substitué l'appel hautain de la corne ;
et l'homme lui-même, sur son siège, montrait
une superbe qui contrastait singulièrement
avec son humilité d'autrefois.
Lui, le ténor, n'est pas de Toulouse. Et
comme il arrive dans cette Capitale, un de
ses amis, Toulousain pur sang, lui en fait les
honneurs. On arrive devant une vieille ruine,
aux pierres usées par-le temps. -Et le Toulou-
sain ckerone, dit avec satisfaction :
— Voici, mon bon, un édifice qui a plus de
cent ans d'âge !
A côté d'eux, un peintre en bâtiment, oc-
cupé à quelque travail tranquille et plus
averti, sursaute et à mi-voix. :
— Cent ans ! Eh bien, mon vieux, vous
pouvez ajouter un zéro 1
Alors l'autre, triomphant :
— Tu as entendu : deux cents r
Les romanciers ont vanté souvent, et les
poètes ont chanté aussi souvent la persévé-
rance des 'femmes de marins qui ne sont vrai-
ment mariées que de loin en loin, qu'and le
navire revient en France.
Il est certain que cette situation exception-
nelles leur crée des devoirs que la plupart res-
pectent scrupuleusement.
Un riche et puissant romancier est passion-
nément épris de la femme d'un lieutenant de
vaisseau, qui est en ce moment dans les mers
de Chine. -
Dans une avant-scène des Variétés, avant-
hier soir, notre fin conteur pressait plus vive-
ment que de coutume sa « folie », quand celle-
ci s'écria avec indignation :
(1 Jamais, monsieur ! mon mari est en mer,
ce serait lâche ! A son retour, je ne dis pas. »
Bismarck croyait beaucoup à l'influence se-
crète du chiffre 3 sur sa destinée. Quand ses
amis s'en étonnaient, il leur tenait ce petit dis-
cours :
« — J'ai servi trois maîtres. J'ai trois
noms ! Dans mes armes, il y a trois feuilles.die
chêne. J'ai provoqué trois guerres. J'ai signé
trois traités de paix. Pendant la guerre avec la
France, j'ai monté trois chevaux qui furent
tués l'un après l'autre, après que j'eusse été
jeté trois fois à bas de ma selle. J'ai préparé
l'entrevue de trois empereurs. J'ai été l'initia-
teur de la Triple-Alliance; j'ai trois enfants.
La devise de ma maison est « Trinitate Ro-
bur » et s'il faut en croire les caricatures et
les feuilles humoristiques je n'ai que trois che-
veux sur le crâne ! »
-x:--
Plus heureuse que Froufrou, elle n'est pas
revenue au logis uniquement pour y mourir;
repentante, elle s'est vu pardonner par son
mari, un brave et honnête homme qui n'avait
jamais cessé de l'aimer.
Mariée à dix-sept ans, elle avait eu la fai-
blesse d'écouter les propos d'un jeune et beau
viveur et, pleine de franchise en-sa folie, ne
voulant pas hypocritement tromper son mari,
un matin elle avait déserté le toit conjugal.
Ce fut un scandale ; puis, peu à peu on n'y
pensa plus.
Elle était partie, croyant à un avenir de
bonheur et d'amour. Au bout de six mois, son
amant la quittait pour se marier.
Alors ce furent des jours de souffrance et
de misère. Seule, abandonnée, pour vivre elle
dut travailler; hélas! que pouvait-elle faire?
Elle tomba dangereusement malade ; alors
elle écrivit à son mari pour, avant de mourir,
implorer' son pardon.
Il accourut, la fit transporter chez lui et
la soigna avec une tendresse pleine de dou-
ceur.
Aujourd'hui, entièrement rétablie, elle a re-
pris sa place au foyer conjugal ; ayant totale-
ment oublié le passé, elle adore son mari et en
fait le bonheur.
-x-
Elle est jolie, elle est adulée ; elle est l'en-
fant chérie du public parisien qui, lorsqu'elle
paraît sur une scène d'un théâtre du boule-
vard, lui fait fête. Hier matin, donc le temps
était serein, la température exquisement
douce. Mlle X., dans sa luxueuse automobile,
alla faire un petit tour au Bois. Et le ciel
était si beau, .le Bois si joli, qu'elle fit arrêter
sa voiture et descendit, heureuse et joyeuse de
pouvoir, par cette aplendide matinée, trotter
un peu. Elle allait, ainsi rêvant à je ne sais
quel beau. rôle, quand, tout à coup, derrière
elle, Mlle X. sentit la présence d'un sui-
veur.
Et bientôt à sa jolie petite oreille retentis-
saient des propos galants et flatteurs « La
jolie nuque ! Les beaux cheveux ! Quel chic !
Quel chien! Exquise! Délicieuse! »
Mlle X. s'arrêta, et se retourna furieuse :
— Oh ! monsieur, mais pour qui me pre-
nez-vous donc? Je suis Mlle.
Et, sans se troubler, le vieux beau de ré-
pondre :
— Un bien joli nom, mademoiselle, un bien
joli nom!
Le journal anglais Science annonce qu'un
statisticien a calculé le nombre exact de traits
d'union employés journellement par tous œux
qui écrivent en langue anglaise. Le total
s'élève à 891.236.460. Tous ces traits d'union,
mis bout à bout, auraient une longueur de
6.182 kilomètres, et une seule personne, tra-
vaillant huit heures par jour, mettrait 74 ans
à les faire.
- Eh bien, moi, je soutiens qu'il vaut mieux
aller au café.
-x-
Selon la nasologie exposée par Théophile
Gautier, le nez est un appendice qui permet
de reconnaître là valeur d'un homme. Grâce à
lui, on peut établir le « diagnostic » de l'es-
prit. Socrate était camus. César et Napoléon
avaient un -bec d'aigle. Un nez crânement éta-
bli n'a jamais trompé personne. Quand on a
un pignon sur figure, on est personnage con-
séquent.
Donc, allongez vos nez, mes amis, allongez-
les.
-x-
L'éditeur L. possédait jadis à Ville-d'Avray
une délicieuse villa. Il s'y rendait le diman-
che et s'y livrait aux salutaires fatigues du
jardinage.
Un samedi soir, il invita ses deux secrétai-
res à y venir passer la journée du lendemain.
Les deux jeunes gens se réjouirent fort de la
politesse que leur faisait leur patron et se
promirent un beau dimanche.
Ils airrivent donc à Ville-d'Avray. Ils trou-
vent l'éditeur culotté d'un pantalon de gros
drap bleu et vêtu d'une chemise au col ou-
vert, aux manches retroussées. Il bêchait, sar-
clait, binait et ruisselait d'une sueur honnête.
Dès qu'il aperçut ses invités :
— Ah 1 vous voilà ! dit-il. Eh bien ! aidez-
moi. Otez vos gants. Accrochez vos jaquettes
à la haie. Ma terre a besoin d'être fumée. AL
lez prendre là-bas dans le petit cabanon les
seaux que vous y trouverez et répandez-en le
contenu sur ces carres.
Les deux secrétaires firent la grimace.
Mais comment refuser ? Ils passèrent. leur
journée à. parfumer le jardin du patron.
L'un d'eux s'appelait Anatole France.
-x-
Mme de K. vit seule en son château avec
son jeune fils, Edouard, âgé de dix-sept ans.
Ne voulait point que cet enfant se com-
promette avec quelque fille de paysan, Mme
de K. a su, avec cette roue nie maternelle qui
ne recule devant rien, s'arranger pour que son
cher enfant trouvât du plaisir tout en restant
à la maison.
Elle a invité la jeune Mme de W. à venir
passer quelque temps au château.
Mm# de W. n'a que peu de fortune et
une telle invitation était pour elle une au-
baine. -
Elle vint donc et ce qu'avait espéré la mère
du jeunie Edouard arriva. -
Ce dernier se prit à aimer Mme de W. et
il put lui faire en toute sûreté la cour.
Tous les jours, il faisait de longues prome-
nades avec elle ; d'abord Mme de K. les
avait accompagnés ; puis, prétextant la fatigue
que lui donnaient ces promenades, ello avait
renoncé à les suivre.
Mme de K. est maintenant la plus heu-
reuse des mères; son fils a une liaison de tout
repos qu'il lui sera facile de rompre quanti elle
le voudra; c'est-à-dire quand elle songera à
marier ce fils.
Il y a des mères habiles.
-x-
Les paysans ont toujours un goût prononcé
pour les prénoms baroques; lorsqu'ils décla-
rent un nouveau-né, ils vont cueillir dans le
calendrier des saints ahurissants ,oubliés, in-
vraisemblables, et en accablent leur malheu-
reux rejeton.
Ainsi, il y a quelque temps, un brave culti-
vateur de Vitry-aux-Loges, commune du Loi-
ret, se présentait à la mairie pour déclarer un
enfant du sexe masculin que sa femme avait
mis au monde le matin même.
— Quel prénom ? interrogea le secrétaire.
— Pivépape, répondit le paysan avec un
sourire de triomphe.
- Comment ? fit l'employé ahuri.
Pivépape, articula l'heureux père.
Le secrétaire expliqua au père que, s'il te-
nait absolument à ridiculiser son dernier né,
il pouvait l'appeler Lin, Clet, Venant ou
Onéisdiphore, mais non Pivépape, ce nom ne
figurant pas sur le calendrier.
Il n'est pas sur le calendrier ! s'em-
porta le paysan, rouge d'indignation. Regar-
der plutôt.
Le secrétaire regarda et, à la date du 5 mai,
lut : saint Pie V, pape. Après avoir ri, il
inscrivit l'enfant sous le nom de Pie : c'était
suffisant.
""x.
Au coin du feu, le soir, dans la douce inti-
mité.
Monsieur lit le journal à madame, qui est
d'une intelligence rudimentaire et qui, de
temps à autre, interrompt son mari pour pla-
cer une observation.
Monsieur ht à madame un article ou il est
question de déportés.
— Quelle différence, demande-t-elle tout
d'un coup, y a-t-il entre la déportation et la
transportation ?
- Tu m'ennuies. Laisse-moi finar J
- Mais encore.
- Tu veux un exemple. Eh bien! tiens.
Si on t'envoyait à Nouméa, tu serais dépor-
tée.. et moi. je serais transporté. Com-
prends-tu ?
On ne dit pas si madame à compris.
X
MOTS DE LA FIN
— Une fille très bien.
— Bon.
— Pas de dot.
- Diable.
— Mais des espérances.
— Quelles?
— Elle va être mère !.-
-X
Soirée dans le grand monde.
MADAME. — Dis-moi, mon chou, pourquoi
i
retires-tu tous les parapluies du porte-para-
Pl-ui,e ?
MONSIEUR. — Mais, ma chère enfant, poiii
qu'il n'y ait pas, par hasarda un invité qui w*
connaisse le sien.
.y -XI"i!I!t
- Monsieur, ma femme me trompé
- C'est bien possible. y
- Et avec vous, encore!
- Oh t monsieur, « encore » est de trop,,
-x-
- Et puis, je ne suis pas une de - ces vsil*
gaires grues.
- Diable 1. Est-ce que ce sera plus cher.?
Feuilledevigne.,
———————.—— ,
BOH PETIT CINÉMATORGAPHE
Dictionnaire Culinaire
- ENTRECOTE. — Morceau de viande qui rapproche
Bercy de Bordeaux.
ENTRÉE. — Premier service assorti.
ENTRELARDER. - Témoigner d'un grand amour
de lard.
ENTREMETS. - Plat ilont l'appellation insuffi-
sante laisse toujours planer une équivoque.
EMUCLÉATION. — Ablation d'un noyau qui ge
fait le plus souvent à l'œil.
EPAULE. — Morceau de viande qui se hausse et
se désÓsse.
EPERLAN. — Poisson qui n'est jamais pressé de
devenir papa. -
EpI. — Tige de blé mal peignée dont on ee seif
pour briser les lames de la mer.
EPICE. — Aromatdittéraire généralement fre-
laté.
EPICER. — Verbe par quoi commence et &e TER-
mine un assaisonnement.
EPICERIE. — Profession rêvée pour mes fils,
quand ils auront vingt ans.
EPINARD. - Chénopodiacée alimentaire et pic-
lurale.
EPINE-VINETTE. — Berbéridocée qui a préféré
prendre un pseudonyme. On ne saurait l\eu blâ-
mer. :
EPIPLOON. — Fils du père Itoine.
EPLUCHER. — Traiter certains légumes ou cer-
tains lfruits comme les œuvres d'un confrère. i
EPLUCHURE. — Tout ce qui n'est pas signé de ,
moi.
EpURER. — Infinitif pour les huiles ; auxiliaire
et substantif pour le soussigné.
ERGOT. — Patte de coq très utile dans la dis-
cussion.
ERUCTATION. — Soupir rotatif.
ESCALOPE. — Tranche de veau qu'on a l'air de
traiter d'ancienne roulure.
ESCARGOT. — Animal comestible qui. contraire-
ment à bien des hommes, devient aveugle quand
il perd ses cornes.
ÊSCARGOULE. — Champignon qui, avec un nom
pareil, ne peut pousser que dans la Provence.
BSCAROLE. — Salade qui devrait plutôt s'appe-
ler orée, n'étant au fond qu'une chicorée qui
manque de chic.
ESSOURGEON. — Orge dont le nom est si barbare
qu'on dirait de l'orge de Barbarie.
ESSENCE. — Uquide volatile qui fait marcher,
les femmes et les automobiles.
ESTAGNON. — Vase de cuivre étamé où l'on place
beaucoup des huiles du Midi. Les autres sont
placées dans des ministères.
ESTAMINET. — Cabaret avec l'accent du nord et
question indiscrète avec celui du sud.
ESTOMAC. — Viscère qui siège dans le thorax e~ n ?
quelquefois dans les talons.
ESTOUFFADE OU ÉTOUFFÉE. — Mode de-cuisson RE*
nouvelé d'Othello.
ESTRAGON. — Légume qui ressemble à un ca-
valier retraité.
ESTURGEON. — Poisson qui pousse l'amour dei1
l'utilitarisme jusqu'à faire de la matelote avec
sa chair, du caviar avec des œuls et de la CÛUO :
avec sa vessie.
ETAL. — Table à viande que Louis XIV, sa
vantait d'être. -
ETAMAGE. — Revêtement intérieur de casserole
qu'on met à la tête de l'armée quand il est en
or. -
ETHER. - Chef-d'œuvre de Racine employé eQ
pharmacie.
ETIQUE. — Maigre qui continue.
ETRIPER. — Appliquer à un innocent animal
les stupides préjugés humains en ce qui touche
les affaires d'honneur.
ETUVE. — Voyez : Métropolitain.
ETUVER. — Pratiquer le mode de surchauffage
qui stérilise tout ce qu'on met à l'étuve y com-
pris le cerveau des adolescents confiés aux geôles
universitaires.
EUPEPSIE. — Bien joli prénom à offrir à une
jeune fille qui aurait un bon estomac.
EVACUER. - Donner un congé non amiable à
certains déchets qui' se conduisent en locataires
malséants.
EVAPORER. — Transformer en vapeur un liquide
pas sérieux qui bouillonne comme une petite
folle.
EVENTAIRE. — Etalage de fleuriste ambulante
dont il faut se métier quand il s'agit de la mèche.
EVIER. — Pierre pour ^'écoulement des eaux
grasses avec quoi Archimède se flattait de soule.
ver le monde. (N. B. — Il ne faut pas confondre
les eaux d'Evier avec les eaux d'Evian).
(A suivre.) Bobèche.
DENISE
NOUVELLE INEDITE
PAR MAURICE DUVAL
Elle avait 23 ans.
Elle s'était laissé séduire, pauvre Denise*
par un jeune employé. Elle était devenue saf
maîtresse. ,-
En apprenant sa liaison, ses parents, de
braves ouvriers, inébranlables sur le point
d'honneur, l'avaient chassée.
Mais son amant, très épris d'elle, lui avait
meublé une petite chambre et, pour qu'elle
fût plus facilement à sa disposition, il l'avait
obligée à quitter le magasin où elle gagnait
si gentirftient sa vie, où d'ailleurs, il l'avait
vue pour In première fois.
Cela dura quelques mois. Puis, un jour,;
Pierre (c'était le nom du jeune homme) ap-
prit que sa maltresse allait être mère. Il fit
la grimace — naturellement. Le temps passa,
le bébé vînt. Pierre paya les trais et les mois
de nourrice. C'était un bon garçon.
Mais il ne les paya pas longtemps. Cette
liaison, à la fin, llU<Í pesait ; il espaça ses vi-
sitas de plus en plus. Un beau jour, il fit
comprendre à Denise qu'ielle devrait cher-
cher de l'ouvrage, qu'il ne pouvait pas suf-
fire à l'entretien de tout le monde.
Vint l'époque du terme ; il oublia de lais-
ser l'argent du loyer. Denise s'affola, l'at-
tendit, lui écrivit lettre sur lettre. Elle n'eut
ni visite ni réponse. Pierre s'était complète-
ment repris. C'est la vie 1
Que faire ? Elle vendit les meulrtes pour
payer le terme et trouva du travail commo
confectionneuse : 2 fr. 50 par jour.
Elle se levait avec l'aurore et se couchait
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