Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1921-01-13
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 janvier 1921 13 janvier 1921
Description : 1921/01/13 (N15874,A45). 1921/01/13 (N15874,A45).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
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Direction et Administration:
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TÊL: : Gotenberg 01-99
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45' ANNEE - N° 15.874
JEUDI
13
JANVIER 1921
Directeur-Rédacteur en chef :
Félix HAUTFORT
Lea manuscrits non insérés
ne sont pasrondus
OU M. MILLERAND DOIT ÊTRE EMBARRASSÉ
: : OOOOOOO :
LE MINISTÈRE LEYGUES A ÉTÉ RENVERSÉ HIER
11
par 463 voix contre 125
LA SÉANCE DE LA CHAMBRE
mi -
La Chambre, qui n'avait pas encore dévoré
de ministère, vient, pour son coup d'essai, de
1airc un coup de maître. En une petite heure,
et sans bavardages inutiles, le jour même de
sa rentrée, elle a renversé le gouvernement
sous une majorité écrasante et sensiblement
égale à celle qui se prononçait en sa faveur
à la veille des vacances.
C'était, à la vérité, M. Raoul Péret qui son-
nait l'hallali. Dans son discours de remercie-
ments, et aussitôt après avoir affirmé son dé-
sir d'impartialité, il lança contre le cabinet
des attaques qui n'étaient déguisées que juste
ce qu'il fallait pour les rendre plus dangereu-
ses. Ce fut le véritable et seul vainqueur de
ia journée. En dehors de lui personne ne par-
la qui vaille-la peine d'être nommé. M. Bon-
nevay lui-même, en avoué retors, se garda de
placer une harangue et se borna à poser des
conclusions demandant acte de ce qu'il se
tiendrait chez lui à la disposition de son pays
aujourd'hui et les jours suivants s'il y avait
lieu.
Quant à M. Leygues, tel un cerf aux abois,
ïl n'offrit aucune résistance et présenta sa
gorge au couteau du piqueur. Puis, ce fut la
curée !
Que le futur Premier y prenne garde. Le
fauve qui a une fois goûté au sang humain,
devient féroce. L'assemblée qui « ibattu un
premier dompteur, aura vite fait d'en abattre
d'autres.
Dès le début de la séance, M. Raoul Péret
prend la parole pour lire son discours de re-
merciements. On l'applaudit d'abord de con-
fiance, en n'écoutant que d'une oreille dis-
traite les formules ordinaires de remercie-
ments. Puis presque tous les députés, y com-
pris certains membres de l'extrême-gauche,
et notamment M. Groussier, acclament au
passage la phrase suivante :
La tolérance doit être ici la règle ; elle ne.
t'arrêterait que devant l'appel à. la guerre ci-
vile, l'outrage aux institutions républicaines, les
blasphèmes contre la patrie.
Ensuite viennent les coutumières exhorta-
tions au travail et à l'union. Mais soudain
l'attention se réveille. L'orateur, en énumé-
rant les tâches qui-doivent être réalisées au
cours de cette session, parle de la « loi de fi-
nances », et il ajouté: « wd-ont nous déplorons
la discussion tardive. » Oes mots, savam-
ment lancés, attaquent droit le ministre des
finances et le gouvernement tout entier. La
Chambre aperçoit l'attaque et s'empresse de.
la souligner ; les applaudissements crépitent
sur tous les bancs.
- Le discours continue et les allusions con-
tre le ministère se succèdent, saisies au vol
et déchaînant chaque fois un enthousiasme
qui va croissant.
Ce passage d'un discours présidentiel, qui
est en même temps une interpellation, vaut
;la peine d'être entièrement cité :
Les allusions de M. Péret
- La session qui commence sera lourde, et
notre activité ne doit ni s'égarer ni se consumer
en des polémiques subalternes. Quel souhait
plus ardent pourrais-je former que celui de
voir s'établir entre tous les représentants de la,
nation, sur quelques bancs qu'ils siègent, l'union
si nécessaire encore à l'accomplissement des
devoirs qui nous pressent ?
Il n'y a pas d'exemple, sans doute, qu'un
Parlementa ait eu à prononcer," en des délais
aussi mesurés, sur tant et de si graves ques-
tions.
Loi de finances — dont nous déplorons la (lis-
cussion tardive, — recherche d'un équilibre
budgétaire indispensable, organisation militaire
adaptée aux possibilités économiques, suffisam-
ment forte, néanmoins, pour écarter tout péril,
règlement des conflits sociaux par l'arbitrage,
problème vital de la natalité, ne seront pas les
seuls objets de nos discussions prochaines. De
grands débats de politique extérieure sont inévi-
tables, et nous ne saurions lo.s suivre avec una
attention trop vigilante. Pourquoi ne pas le
dire ? Le pays témoigne parfois quelque impa-
tience. Il voudrait apercevoir plus nettement
les conséquences positives de la paix victorieuse.
Certes, il comprend que cette victoire n'a pas
créé le droit au repos, et il s'est remis au tra-
vail dans un ordre parfait ; il se rend compte
qUe les ruines accumulées par la guerre ne se
peuvent réparer en un jour, et depuis deux ans
il nous fait un large crédit; il n'ignore pas
non plus que dans tout système d'alliances, la
nécessité de concilier des intérêts divergents
domine parfois les exigences du droit strict.
Mais ce peuple à l'âme fière de vainqueur'
n'accepterait pas l'intolérable humiliation, qui
serait en même temps un défi à la justice, d'un
ennemi vaincu, déchirant les engagements qu'il
a signés ; il ne peut croire que la voix de la
France, réclamant son dû et rien que son dû,
ne sera pas écoutée.
Regardons vers le passé, ce passé de sacri-
fices sanglants et glorieux, souvenons-nous des
souffrances, des deuils et de l'admirable abné-
gation de tous ceux qui, sous notre drapeau,
ont pris part à la lutte gigantesque, et nous
nous affermirons dans la certitude qu'il n'est
pas pour la dette du crime de prescription pos-
sible. Un souffle puissant peut seul chasser les
nuages qui voilent l'horizon. Il faut agir et
apporter dans l'action la méthode, la persévé-
rance et l'esprit de décision sans leëquels notre
effort demeurerait stérile. Agisèons et aboutis-
sons.
La fin- de ce discours est saluée, par une
éclatante ovation qui, plus encore qu'un té-
moignage de sympathie pour l'orateur, ap-
paraît comme une enseigne d'hostilité à
l'égard du gouvernement. Celui-ci est évi-
demment battu à plates coutures avant que
la bataille soit engagée.
Les interpellations
•Cependant, celle-ci va commencer; et le pré-
sident énumère les interpellations qu'il a - re-
çues : il y en a huit, dont les principales sont
celles de M. Bokanowski, sur la politique fi-
nancière du gouvernement ; — de M. Durand-
Bechet, sur le même sujet; — de M. Dey-ris,
sur la politique générale du gouvernement; —
de M. Texier, sur l'instabilité de notre poli-
tique financière ; — de M. Raynaud, sur le
désarmement de l'Allemagne, etc., etc.
et —————————
M. Leygues réclame une confiance entière
———————.---<&--———-————
Aussitôt le président du conseil monte à la
tribune. Il fait contre mauvaise fortune bon
cœur. C'est d'une voix ferme, nette, martelée
qu'il. parte devant une assemblée glacée et
hostile. Il ne recourt à aucune habileté de
langage. Visiblement, il se sent perdu; et il
aime mieux tomber sur une question de date,
à propos de 'laquelle il a sans doute raison,
que sur le fonds même de sa politique qui
pourrait être plus justement critiquée :
Il est des heures, dit-il, où, des interpella-
tions, l'autorité du Gouvernement peut sortir
diminuée. A la. veille du 19 janvier, il s'agit
de savoir si le Gouvernement a conservé la
confiancé de la Chambre et si, depuis 15 jours,
des événements se sont produits de nature à
diminuer cette confiance.
Nous sommes en pleines négociations préli-
minaires pour chercher, avec nos alliés, des so-
lutions aux problèmes qui se posent. A cette
heure, les questions de politique intérieure doi-
vent céder devant les problèmes de la politique
extérieure.
La Chambre répondrait au vœu. du pays si
elle continuait de manifester ce même sang-
froid, cette maîtrise d'elle-même et cet esprit
politique dont elle a donné tant de preuves.
Des problèmes formidables sont posés ; le
Gouvernement français doit, pour travailler à
les résoudre, se présenter à la Conférence dans
da même situation d'égalité que les autres gou-
vernements.
Si les interpellations étaient discutées, il ne
pourrait répondre à beaucoup de questions, et
il devrait se borner à déclarer une fois de plus
qu'il entend poursuivre le désarmement de l'Al-
lemagne et l'exécution intégrale du, traité de
Versailles. Si,' à, la veille de cette Conférence,
l'une des plus importantes depuis la guerre,
aa Chambre persistait à engager un débat de
ce genre, elle commettrait une confusion de
:pouvoirs, dont les conséquences pourraient être
[redoutables.
Il s'agit de savoir si le Gouvernement a la
confiance de la Chambre. Celui-ci n'accepterait
pas une confiance marchandée parce qu'il n'au-
rait, plus qu'une autorité diminuée. Soyons
francs, soyons nets ; ou le Gouvernement ira
& la Conférence avec votre confiance entière ou
Il n'ira pas.
C'est à peine si quelques maigres, très mai-
gres applaudissements d'amis jusqu'au bout
fidèles, saluent ces dernières phrases. Le siè-
ge de la Chambre est fait ; elle ne tient sans
doute pas à discuter les interpellations ;
mais elle a hâte de renverser le ministère en
repoussant l'ajournement que celui-ci récla-
me. Toute discussion est donc inutile ; et
l'on proteste, lorsque, sous prétexte de récla-
mer la discussion immédiate, M. Bokanowski
tente de développer son interpellation. une
si belle interpellation, qui va être perdue.
De toutes parts on demande la clôture.qui
est prononcée après quelques mots de M. Le-
cote, qui se perdent dans le bruit. -
! Cependant, M. Bonnevay désire parler, et,
sous couleur d'expliquer son vote, il fait une
brève déclaration qu'il importe de conserver
pour l'histoire, car l'adjoint et le porte-paroles
de M. Arago est un des maîtres de l'heure,
« Pas de confiance dans la nuit »
dit M. Bonnevay
Il rappelle que le 31 décembre, le président
du Conseil, interpellé siir une question de po-
litique intérieure, est monté à la tribune pour
lire le décret de clôture.
Aujourd'hui, des questions plus graves se
posent. Les questions qui seront discutées et
réglées à la Conférence vont engager toute
notre politique intérieure : diminution des
charges financières et militaires et payement
des réparations.
Au lieu de nous donner des renseignements
sur les directives qu'il entend suivre à la Con-
férence, M. le président pose la question de
confiance.
La Chambre, demain, aura à endosser tout
ce qui aura été fait entre les gouvernements;
et elle se trouvera en présence d'un fait ac-
compli. La confiance sans explications, la
confiance dans la nuit, nous nous y refusons.
M. Deyris ajoute qu'il y a des moments où
le patriotisme consiste à (parler et non à se
taire. Il déclare, qu'avec ses amis, il votera
contre l'ajournement des interpellations.
On passe ensuite au vote. Par 463 voix con-
tre 125, sur 588 votants, l'ajournement est re-
poussé;, le gouvernement est renversé et ses
membres quittent la salle des séances.
Il est 4 heures 20. Ce débat, qui peut chan-
ger l'orientation de notre politique et l'ave-
nir même du ipays, dura à peine une heure.
Dans les couloirs du Sénat
Il n'y avait presque personne dans la salle
des Conférences ; beaucoup de pères cons-
crits étaient allés suivre la discussion de la
Chambre ; mais tout d'un coup arriva M. Mau-
rice Raynaud, député et ancien ministre, qui
annonça le vote à la suite duquel s'était re-
tiré le cabinet. Derrière lui surgirent les sé-
nateurs, retour du Palais-Bourbon, et le tra-
vail des bureaux fut interrompu. L'animation
fut assez vive : comment et par qui rempla-
cer le ministère Leygues ? Le vote de la
Chambre n'est qu'un vote de coalition, on
n'y peut définir aucune majorité sérieuse.
Dans des coins, des personnages consulaires
s'entretenaient. Puis çoudain, ce fut la nuit,
une interruption de cdvrant électrique ayant
amené l'obscurité complète. Quand le per-
sonnel y euf paré au moyen de bougies, de
lampes et des quelques becs de gaz conser-
vés, il n'y avait presque plus personne.
r Lfl CHUTE
ÉCLATANTE
Lorsque un gouvernement-a la volonté de
vivre, il se peut qu'il tienne, un temps, contre
d'inévitables assauts. S'il s'abandonne, il n'y
a pas de miracle qui le maintienne au pou-
voir. Nous parlions hier ici-même d'un « hom-
me malade » ; il nous faut avouer que nous
ne pensions pas qu'il fût alors à l'article de
la mort.
M. Georges Leygues n'avait plus de défen-
se. Manifestement visé dans le discours inau-
gural, véritable discours-programme, de M.
Raoul Péret, il n'a eu ni la force ni le cou-
rage de répondre, en des formes qu'un ora-
teur aussi habile devait trouver, à la critique
présidentielle. Il a posé son ultimatum sans
démasquer ses batteries ; il a succombé.
Si le président n'était plus dans l'état de
combativité nécessaire pour imposer sa vo-
lonté à la Chambre, il faut croire qu'il n'eût
apporté à la cause française, dans une impor-
tante épreuve, qu'une énergie diminuée et in-
suffisante. C'est là ce qui peut consoler de sa
chute ceux qui lui vouaient quelque amitié.
Dès le moment où il ne, sut pas choisir en-
tre la gauche et la- droite, M. Leygues était
condamné. Trop peu papiste pour les modé-
rés, il admettait pourtant que M. Honnorat,
son impayable ministre de l'instruction publi-
que, fût aux ordres des royalistes et que M.
Ricard, son ministre de l'agriculture, se fît
le champion de la réaction cléricale dans le
Finistère. Cela et le gâchis qui allait crois-
sant dans divers départements ministériels
rendaient indésirable la pérennité de « l'in-
térim » du président Georges Leygues.
f
V*
Les considérations que l'on pourrait multi-
plier ici sur Ifes causes de la chute du premier
cabinet du septennat de M. Millerand n'ont
qu'un intérêt rétrospectif. L'événement nous
presse : il faut savoir ce que feront demain
les maîtres de ce pays.
Jamais décision de conjurés ne fut exécutée
avec autant de précision. Un des plus perfi-
des téléphonait avant-hier soir un à ami :
« Venez à la Chambre demain, vous allez
voir ce que vous allez voir. ce sera du beau
travail. un coup sûr et rapide ».
Il en fut ainsi. Brutus et Cassius avaient
tout préparé pour J'escamotage d'une ombre
de Césal. Devant une telle préméditation,
nous devons nous demander pour quelles fins
le sacrifice fut consommé. Quels successeurs
ont été désignés pour remplacer l'équipe con-
damnée.
Certes, nous ne ferons pas à M. Raoul Péret
l'injure de croire qu'il était du complot, mais
son discours servit assurément les desseins des
conspirateurs, ils le lui firent comprendre par
de frénétiques applaudissements.
Si une acclamation doit élire le chef, c'est
M. Raoul Péret que la Chambre désigne.
Certes, le député de la Vienne a fait des
débuts satisfaisants au fauteuil où régna si
longtemps Paul Deschanel ; il fut ministre du
commerce et nous l'avons vu garde des
sceaux.
M. Millerand acceptera-t-il l'indication
d'une assemblée disposée plutôt à démolir qu'à
édifier ? Nous le saurons demain. M. Raoul
Péret, confortablement installé à la Présiden-
ce, sacrifiera-t-il sa quiétude au désir d'une
aventure ministérielle ? C'est encore son se-
cret.
*
⁂
Demain, il faudra discuter avec Simons et
s'entendre avec Lloyd George. Cette nécessité
« conditionne » la formation du cabinet. Elle
impose le choix entre deux combinaisons : ou
bien un ministère présidé par un homme d'E-
tat éprouvé, s'il s'en trouve un qui pousse le
patriotisme jusqu'à l'oubli de ses intérêts per-
sonnels, ou bien un ministère présidé par un
parlementaire encore dépourvu d'auréole, mais
entouré de « grands hommes ».
Le cabinet de la deuxième manière n'est le
plus souvent qu'un panier de crabes. Mais il
est encore permis d'espérer que les appétits
se développeront assez lentement pour laisser
à chaque crabe, dans son domaine propre, le
temps d'accomplir l'œuvre immédiatement sa-
lutaire.
Quoi qu'il décide, la responsabilité de M.
Millerand ne peut manquer de lui apparaître
dans toute sa gravité. Nous sommes à un tour-
nant dangereux de notre histoire ; il serait in-
sensé de confier, en ces jours décisifs, le fa-
meux char dé l'ptat à des mains malhabiles
ou inexpertes.
Une chute ministérielle est un malheur ré-
parable, mais il faut sortir de la période des
essais douloureux. Le pays, qui juge sur les
résultats, éprouve de trop .justes alarmes :
Qu'on lui offre un programme de relèvement
politique, économique et financier, qu'on choi-
sisse enfin des hommes capables de l'exécuter.
II n'y a plus une faute à commettre avant la
limite redoutable au bout de laquelle est l'ex-
trême péril. 1
Félix HAUTFORT.
NOUS PUBLIONS A LA 3" PAGE LE BON
N° 13 DONNANT DROIT, SUIVANT NOS
INDICATIONS, A LA PRIME DE LA
«LANTERNE »
LA CRISE MINISTÉRIELLE
—s3o©o3>-
La crise ministérielle est ouverte. La séan-
ce d'hier après-midi ne fut d'ailleurs qu'une
simple formalité finale. --..
Depuis longtemps, la Chambre manifestait
son impatience de renverser le cabinet. Dès
avant-hier, les positions étaient prises par l'as-
semblée qui voulait la discussion immédiate
des interpellations déposées, par le gouverne-
ment qui insistait pour l'ajournement jusqu'a-
près la conférence interalliée. Aucun accord
n'était possible et les événements ont ratifié
nos prévisions, à savoir la chute du cabinet
de M. Georges Leygues.
Donc, aussitôt après le vote. de la Chambre,
vote dans lequel l'énorme majorité que le gou-
vernement avait eue jusqu'à ce jour se dressa
contre lui, les ministres et les sous-secrétaires
d'Etat se rendirent dans la salle de délibéra-
tions, qui leur est réservée au Palais-Bour-
bon et de là au ministère des affaires étran-
gères, où ils rédigèrent leur lettre de démis-
sion.
Celle-ci, nous dit M. Leygues lui-même, est
très courte. Elle ne contient aucun développe-
ment politique (genre démission André Lefè-
vre). Elle dit tout simplement qu'après avoir
été mis en minorité, le ministère se voit dans
la nécessité de se démettre de ses hautes fonc-
tions.
A 4 heures 35, M. Georges Leygues se ren-
dait avec tous ses ministres à l'Elysée, où il
remettait à M. Millerand la démission collec-
tive du cabinet.
« Le président de la République, dit la note
officielle communiquée par l'Elysée, a accepté
cette démission et en remerciant les ministres
du concours qu'ils lui avaient prêté, les pria
d'assurer l'expédition des affaires courantes.»
A 4 heures 50, ministres et sous-Secrétaires
d'Etat quittaient l'Elysée et rentraient à leurs
ministères respectifs procéder au tri de leurs
petits papiers, s'ils n'avaient déjà procédé à
cette opération.
Ce fut tout pour la journée d'hier.
La méthode de M. Millerand
M. Millerand ne procéda hier à aucune con-
sultation. Suivant, une fois de plus, son esprit
méthodique, il voulut examiner avec calme la
situation créée par la séance de la Chambre.
Et c'est seulement ce matin, à 10 heures, qu'il
commencera ses constipations.
C'est M. Raoul Péret qu'if verra, le premier,
puisque l'usage veut qu'en cas de crise minis-
térielle, le président de la République appelle
tout d'abord les présidents des deux Cham-
bres.
M. Millerand ne s'entretiendra que dans la
soirée avec le président du Sénat, celui-ci ne
devant être élu que dans l'après-midi.
Ce qui n'empêchera pas le président de la
République de conférer pendant la journée
avec les personnalités politiques susceptibles
de l'éclairer, et notamment — ce qui est une
innovation — avec des membres de tous les
groupes républicains de la Chambre et flu Sé-
nat.
M. Millerand a l'intention de se livrer à
des consultations aussi nombreuses qu'il le
jugera utile, désireux de s'entourer de tous les
éléments susceptibles de le guider dans bon
choix.
On ne pense généralement pas que ce tra-
vail préparatoire puisse être terminé ce soir.
M. Millerand ne désignera vraisemblable-
ment que demain celui qu'il chargera de la
mission de constituer le nouveau cabinet.
Dans les couloirs de la Chambre
Pourquoi a-t-on renversé le ministère ?
Les couloirs de la Chambre étaient hier ceux
des grands jours. Beaucoup de députés, beau-
coup de journalistss et surtout beaucoup de
-x politiciens » et d'amateurs de politique
qu'on ne voit que dans les grandes occasions.
Peut-être aussi quelques' intéressés qui ve-
naient prendre le vent pour recolter quelque
avantage du cabinet par terre ou de sa suc-
cession.
De nombreux groupes commentaient le vote
que la Chambre venait d'émettre.
— On n'a pas renversé le cabinet, disaient
certains. Il est tombé parce qu'il était mort
depuis 15 jours.,
— J'ai voté contre le gouvernement, décla-
rait M. Herriot, surtout à cause de sa politique
intérieure. Je considère, en effet, que sa. po-
litique extérieure était bonne, car elle tendait,
d'accord avec la politique anglaise de M. Lloyd
George, à maintenir au pouvoir en Allemagne
un gouvernement démocratique et à préparer
pour l'avenir une uùion entre les trois grandes
démocraties d'Europe : anglaise, française et
allemande. Là se trouve, en dehors de toutes
considérations sentimentales — lesquelles
n'ont rien à voir avec la politique extérieure —
la garantie de la paix du monde.
*
de &
Dans un autre groupe, on affhmait qu'en
renversant le cabinet, la Chambre n'avait pas
seulement voulu manifester la fin de sa con-
fiance à M. G. Leygues, mais poser la ques-
tion du contrôle parlementaire.
— Le gouvernement, disait\on, doit-il pren-
dre ses directives de politique extérieure au-
près des groupes parlementaires, ou .doit-il
avoir sa diplomatie ?l Dans le ~second cas, on
apporte au Parlement des engagements pris
envers l'étranger, engagements que la Cham-
bre n'a qu'à entériner. Comment pourrait-il
d'ailleurs les renier ? Et qu'advient-il, s'il ne
dit rien avant ni après ?
Sans doute, les Chambres sont faites pour
légiférer et non pour gouverner. Mais si cette
règle est applicable en temps normal, elle
semble excessive aujourd'hui, alors que la po-
litique extérieure doit influencer gravement
et nos finances et nos lois militaires, et notre
politique intérieure de reconstitution nationa-
le. Il est inadmissible qu'en ce moment, le Par-
lement ne puisse, avant d'assumer une respon-
sabilité, savoir à quoi il s'engage et où on le
mène. »
*
Enfin, d'autres déclaraient qu'hier la Cham-
bre avait surtout manifesté sa volonté non seu-
lement d'agir sur l'Allemagne pour la forcer
à respecter le traité de Versailles, mais d'exi-
ger du gouvernement français une attitude
plus ferme vis-à-vis de l'Angleterre.
Les successeurs éventuels
Comme bien on pense, on ne se borna point
à épiloguer sur le cabinet qui s'en allait. On
se livra aussi au petit jeu des combinaisons.
D'une manière générale, on voyait dans le
débat qui précéda la chute, un « discours-pro-
gramme » de M. Raoul Péret, une indication
en faveur du président de la Chambre. A
quelque groupe qu'on appartînt, on s'accordait
à reconnaître qu'il était le seul désiigné au
choix de M. Millerand, et tout le monde l'ac-
ceptait.
Dans une parlotte où voisinaient M. Arthur
Meyer, directeur du Gaulois, et M. A. Va-
renne, député socialiste,. on envisageait une
combinaison Raoul Péret, président du con-
seil et ministre de la justice, avec divers
hommes notoires, anciens présidents du con-
seil et anciens ministres.
Ajoutons à cela qu'à l'issue de la séance
une importante délégation composée de dé-
putés appartenani à différents groupes se
sont rendus auprès dé M. Raoul Péret pour
l'engager à ne pas se dérober s'il était chargé
de constituer le nouveau cabinet.
Reconnaissons aussi que les amis du pré-
sident de la Chambre affirmaient la volonté
bien arrêtée de M. Raoul Péret de ne pas ac-
cepter cette mission.
On prononçait également le nom de M. Vi-
vi'ani.
— Viviani aurait de l'autorité sur cette
Chambre, disait M. Herriot. Elle aime les
hommes qui parlent bien.
—— A la condition qu'elle les laisse parler,
ajouta quelqu'un ; elle n'écoute que ceux qui
sont toujours de son avis.
La droite pour M. Poincaré
Enfin, notons, pour terminer, la motion
suivante votée par le groupa des députés in-
dépendants, que .préside M. de Gailhard-Ban-
cel :
Etranger à toute combinaison ministérielle
et ne s'inspirant que des intérêts supérieurs
de la France, le groupe a donné mandat à son
bureau de faire une démarche auprès du pré-
sident de la République pour lui demander de
répondre aux vœux du pays en faisa.ti appel,
pour constituer le nouveau cabinet, à M. RAY-
MOND POINCARÉ, personnalité la plus qualifiée
pour défendre énergiquement auprè3 de nos
alliés et en face de nos adversaires d'hier, les
intérêts et les droits de la France^ et pour as-
surer, à l'intérieur, dans l'ordre, et pour la
patrie, la politique nationale d'union sacrée
dont il - a été -- lui-même le promoteur.
— Heureusement, nous autres, on n'sait pas c'que c'est.
LE POINT DE VUE
DE L'EXTÉRIEUR
Nos sentiments sur la politique exté-
rieure suivie par le cabinet défunt, sont trop,
connus pour qu'il soit nécessaire de pro-
noncer sur sa tombe une oraison funèbre.
Ni fleurs , ni couronnes, ni regrets !
Doit-on cependant déplorer le geste par
lequel la Chambre renversa le Gouverne-
ment à la veille des séances que le Conseil
Suprême a décidé de tenir à Paris ? Au fond,
la stabilité gouvernementale était liée à
cette question. Les groupes parlementaires
avaient parfaitement compris la responsabi-
lité qu'ils encouraient.
En vue des prochains grands tournois
internationaux, la Ohambre, après s'être
recueillie, s'est prononcée pour le renouvel-
lement de l'équipe française. Nous lui don-
nons absolument raison, à condition, bien
entendu, qu'on ne remplace pas cette équipe
bancroche par une compagnie de culs-de-
jatte.
La France a besoin d'un peu de lumière,
Jusqu'ici, elle s'est débattue dans une cage
obscure. Il lui faut, impérieusement, l'hom-
me qui l'en fera sortir.
Ni politique ! Ni idéal ! Plus de deux
ans après l'armistice victorieux, voilà où
nous en sommes encore. Nous avons vécu
a la petite semaine, essayant de gagner, au
jour le jour, quelque maigre pain mercan-
tile, ou même, nous contentant d'une vaine
et vague promesse, nous satisfaisant d'un
sourire. Est-ce là es que la France était en
droit d'espéfar ?
Ce serait encore peu que de souhaiter un
affranchissement-, car nous sommes comme
des captifs enchaînés. Ce serait peu d'exiger
que le relèvement du pays se poursuivit à la
faveur d'une politique étrangère robuste et
saine. Si la drachme du bon roi Constantin,
notre débiteur, fait prime sur le franc fran-
çais, nous ne faisons pas que nous étonner :
cela, et bien d'autres choses, doivent finir
sans délai.
Mais il est, en outre, une mission tradi-
tionnelle, à laquelle la France s'est déro-
bée, c'est celle .d'éclairer la chemin des peu-
ples. Qu'on choisisse un guide, et en avant !
ŒDIPE.
UN JOURNALISTE
de 1921 : P.-l Courier
par GEORGES PONSOT.
A Mme COURIER
Saint-Germain, du 15 au 18 juillet 1818.
Je suis allé, comme je te l'ai dit, aux
Français, avec ces jeunes geiïs ; je
croyais qu'ils allaient au parterre ; point
du tout, c'était aux galeries à quatre
francs ; j'y ai eu grand regret. On don-
nait Andromaque. Je n'ai rien vu au
monde de si pitoyable. Tout était révol-
tant : Andromaque avait dix-huit ans,
et Oreste soixante. Tantôt il hurle, il
beugle ; tantôt il parle bas et semble
dire : Nicole, apporte-moi mes pantou-
fles. Tout cela est entremêlé de coups de
poing et dô gestes de laquais dans les
endroits de la plus noble poésie. Je t'as-
sure que celui de la Gaîté, qu'on nomme
le Talma des boulevards, vaut beaucoup
mieux que son modèle. Talma était fa-
gotté on ne peut plus mal : des draperies
si lourdes et. si embarrassantes qu'il ne
pouvait faire un pas : un gros ventre,
un dos rond, une vieille firlure : c'était
un amoureux à faire compassion. Tu
sais que je n'ai pas de prétention : j6
ne demandais pas mieux que de m'arnu.
ser. Je crois d'ailleurs que le parterre,
tout enthousiaste qu'il était, ne s'amusait
pas plus que moi. Le Crispin, c'était
Monrose, ne m'a pas paru merveilleux.
Le fait est, comme je l'ai toujours dit,
que le Théâtre-Français et tous les vieux
théâtres de Paris, à commencer par
l'Opéra, sont excessivement ennuyeux.
Ils ne sont pas plus gais aujourd'hui.
Voulez-vous prendre la peine de faire
des transpositions de noms. Ce comédien
de tragédie : « gros ventre, un dos rond,
une vieille figure », vous l'avez vu hier
sur la scène de M. Fabre. « Ces gestes
de laquais dans les endroits les plus
nobles » sont le régal que donnent, cha-
que soir, les jeunes et les anciens de
notre Première Scène nationale.
Si le Bonhomme Paul revenait sur
iette misérable torre, il ne changerait
pas un mot à sa lettre. Elle est toujours
jeune, aussi jeune que sont vieux les
sociétaires de la Maison de Molière.
* *'
**
Il écrirait, du reste, les mêmes pam-
phlets, le vigneron de la Savonnière.
Relisez le récit de l'élection dans le dé-
partement d'Indre-et-Loire, le 28 no-
vembre 1820. On croirait assister à la
réunion des délégués chargés par le
gouvernement, à Digne,'de chasser le
bon Michel, pour honorer Honnorat qui,
se croyant maître de l'Heure, s'offre le
luxe d'être un républicain indiscipliné et
un ingrat. Les mêmes hommes entou-
raient le grand Auvergnat. Marsal, l'a-
voué honoraire Lhopiteau, le distributeur
de médailles hygiéniques en chocolat
J.-L. Breton, et l'infortuné Ricard, qui
ne laissera rien à l'Histoire, qui ne lé-
guera à ra postérité aucun souvenir,
alors que, -du moiijs, un de ses prédé-
cesseurs médiats, affublé du même nom
que le sien, peuple encore les musics-
halls d'une génération de Belles Fath-
mas.
Croyez-vous que les gens de la gau-
che aient dîné chez le préfet avec Hon-
norat, Marsal, Lhopiteau, Breton et Ri-
card ? Si d'aucuns furent priés, on les
relégua au bout de la table, et le con-
cierge, costumé en Maître-Jacques ser-
veur, leur donna les bas morceaux. Les
amis du pouvoir, fils des hobereaux du
Seize Mai, ou petits-fils de M. Poirier,
envoyaient la fumée de leurs cigares au
nez de ces radicaux égarés à la préfec-
ture, en leu-s drsant : « Pla^e-aux hon-
nêtes gens. C'est notre four: » Honno-
rat, Marsal, Lhopiteau, Breton, Ricard,
sont de tous les temps. Courier les §
iwaiHxn «ta «i*u ti«
Setee et s-et-O. M * 11. 7 »
Pruce et Coloa. 28 9 14 » 7 H
Etranger 36 ib la M >
Direction et Administration:
24, si Poissonnière (9e)
TÊL: : Gotenberg 01-99
Après » benes : Roquette 84-03
Publicité el Jtnotm mue Barttxx
dt i Journél
£ »â « Lanterne D- doit • être vendue DIX^ CENTIMES & Paris et en Province
45' ANNEE - N° 15.874
JEUDI
13
JANVIER 1921
Directeur-Rédacteur en chef :
Félix HAUTFORT
Lea manuscrits non insérés
ne sont pasrondus
OU M. MILLERAND DOIT ÊTRE EMBARRASSÉ
: : OOOOOOO :
LE MINISTÈRE LEYGUES A ÉTÉ RENVERSÉ HIER
11
par 463 voix contre 125
LA SÉANCE DE LA CHAMBRE
mi -
La Chambre, qui n'avait pas encore dévoré
de ministère, vient, pour son coup d'essai, de
1airc un coup de maître. En une petite heure,
et sans bavardages inutiles, le jour même de
sa rentrée, elle a renversé le gouvernement
sous une majorité écrasante et sensiblement
égale à celle qui se prononçait en sa faveur
à la veille des vacances.
C'était, à la vérité, M. Raoul Péret qui son-
nait l'hallali. Dans son discours de remercie-
ments, et aussitôt après avoir affirmé son dé-
sir d'impartialité, il lança contre le cabinet
des attaques qui n'étaient déguisées que juste
ce qu'il fallait pour les rendre plus dangereu-
ses. Ce fut le véritable et seul vainqueur de
ia journée. En dehors de lui personne ne par-
la qui vaille-la peine d'être nommé. M. Bon-
nevay lui-même, en avoué retors, se garda de
placer une harangue et se borna à poser des
conclusions demandant acte de ce qu'il se
tiendrait chez lui à la disposition de son pays
aujourd'hui et les jours suivants s'il y avait
lieu.
Quant à M. Leygues, tel un cerf aux abois,
ïl n'offrit aucune résistance et présenta sa
gorge au couteau du piqueur. Puis, ce fut la
curée !
Que le futur Premier y prenne garde. Le
fauve qui a une fois goûté au sang humain,
devient féroce. L'assemblée qui « ibattu un
premier dompteur, aura vite fait d'en abattre
d'autres.
Dès le début de la séance, M. Raoul Péret
prend la parole pour lire son discours de re-
merciements. On l'applaudit d'abord de con-
fiance, en n'écoutant que d'une oreille dis-
traite les formules ordinaires de remercie-
ments. Puis presque tous les députés, y com-
pris certains membres de l'extrême-gauche,
et notamment M. Groussier, acclament au
passage la phrase suivante :
La tolérance doit être ici la règle ; elle ne.
t'arrêterait que devant l'appel à. la guerre ci-
vile, l'outrage aux institutions républicaines, les
blasphèmes contre la patrie.
Ensuite viennent les coutumières exhorta-
tions au travail et à l'union. Mais soudain
l'attention se réveille. L'orateur, en énumé-
rant les tâches qui-doivent être réalisées au
cours de cette session, parle de la « loi de fi-
nances », et il ajouté: « wd-ont nous déplorons
la discussion tardive. » Oes mots, savam-
ment lancés, attaquent droit le ministre des
finances et le gouvernement tout entier. La
Chambre aperçoit l'attaque et s'empresse de.
la souligner ; les applaudissements crépitent
sur tous les bancs.
- Le discours continue et les allusions con-
tre le ministère se succèdent, saisies au vol
et déchaînant chaque fois un enthousiasme
qui va croissant.
Ce passage d'un discours présidentiel, qui
est en même temps une interpellation, vaut
;la peine d'être entièrement cité :
Les allusions de M. Péret
- La session qui commence sera lourde, et
notre activité ne doit ni s'égarer ni se consumer
en des polémiques subalternes. Quel souhait
plus ardent pourrais-je former que celui de
voir s'établir entre tous les représentants de la,
nation, sur quelques bancs qu'ils siègent, l'union
si nécessaire encore à l'accomplissement des
devoirs qui nous pressent ?
Il n'y a pas d'exemple, sans doute, qu'un
Parlementa ait eu à prononcer," en des délais
aussi mesurés, sur tant et de si graves ques-
tions.
Loi de finances — dont nous déplorons la (lis-
cussion tardive, — recherche d'un équilibre
budgétaire indispensable, organisation militaire
adaptée aux possibilités économiques, suffisam-
ment forte, néanmoins, pour écarter tout péril,
règlement des conflits sociaux par l'arbitrage,
problème vital de la natalité, ne seront pas les
seuls objets de nos discussions prochaines. De
grands débats de politique extérieure sont inévi-
tables, et nous ne saurions lo.s suivre avec una
attention trop vigilante. Pourquoi ne pas le
dire ? Le pays témoigne parfois quelque impa-
tience. Il voudrait apercevoir plus nettement
les conséquences positives de la paix victorieuse.
Certes, il comprend que cette victoire n'a pas
créé le droit au repos, et il s'est remis au tra-
vail dans un ordre parfait ; il se rend compte
qUe les ruines accumulées par la guerre ne se
peuvent réparer en un jour, et depuis deux ans
il nous fait un large crédit; il n'ignore pas
non plus que dans tout système d'alliances, la
nécessité de concilier des intérêts divergents
domine parfois les exigences du droit strict.
Mais ce peuple à l'âme fière de vainqueur'
n'accepterait pas l'intolérable humiliation, qui
serait en même temps un défi à la justice, d'un
ennemi vaincu, déchirant les engagements qu'il
a signés ; il ne peut croire que la voix de la
France, réclamant son dû et rien que son dû,
ne sera pas écoutée.
Regardons vers le passé, ce passé de sacri-
fices sanglants et glorieux, souvenons-nous des
souffrances, des deuils et de l'admirable abné-
gation de tous ceux qui, sous notre drapeau,
ont pris part à la lutte gigantesque, et nous
nous affermirons dans la certitude qu'il n'est
pas pour la dette du crime de prescription pos-
sible. Un souffle puissant peut seul chasser les
nuages qui voilent l'horizon. Il faut agir et
apporter dans l'action la méthode, la persévé-
rance et l'esprit de décision sans leëquels notre
effort demeurerait stérile. Agisèons et aboutis-
sons.
La fin- de ce discours est saluée, par une
éclatante ovation qui, plus encore qu'un té-
moignage de sympathie pour l'orateur, ap-
paraît comme une enseigne d'hostilité à
l'égard du gouvernement. Celui-ci est évi-
demment battu à plates coutures avant que
la bataille soit engagée.
Les interpellations
•Cependant, celle-ci va commencer; et le pré-
sident énumère les interpellations qu'il a - re-
çues : il y en a huit, dont les principales sont
celles de M. Bokanowski, sur la politique fi-
nancière du gouvernement ; — de M. Durand-
Bechet, sur le même sujet; — de M. Dey-ris,
sur la politique générale du gouvernement; —
de M. Texier, sur l'instabilité de notre poli-
tique financière ; — de M. Raynaud, sur le
désarmement de l'Allemagne, etc., etc.
et —————————
M. Leygues réclame une confiance entière
———————.---<&--———-————
Aussitôt le président du conseil monte à la
tribune. Il fait contre mauvaise fortune bon
cœur. C'est d'une voix ferme, nette, martelée
qu'il. parte devant une assemblée glacée et
hostile. Il ne recourt à aucune habileté de
langage. Visiblement, il se sent perdu; et il
aime mieux tomber sur une question de date,
à propos de 'laquelle il a sans doute raison,
que sur le fonds même de sa politique qui
pourrait être plus justement critiquée :
Il est des heures, dit-il, où, des interpella-
tions, l'autorité du Gouvernement peut sortir
diminuée. A la. veille du 19 janvier, il s'agit
de savoir si le Gouvernement a conservé la
confiancé de la Chambre et si, depuis 15 jours,
des événements se sont produits de nature à
diminuer cette confiance.
Nous sommes en pleines négociations préli-
minaires pour chercher, avec nos alliés, des so-
lutions aux problèmes qui se posent. A cette
heure, les questions de politique intérieure doi-
vent céder devant les problèmes de la politique
extérieure.
La Chambre répondrait au vœu. du pays si
elle continuait de manifester ce même sang-
froid, cette maîtrise d'elle-même et cet esprit
politique dont elle a donné tant de preuves.
Des problèmes formidables sont posés ; le
Gouvernement français doit, pour travailler à
les résoudre, se présenter à la Conférence dans
da même situation d'égalité que les autres gou-
vernements.
Si les interpellations étaient discutées, il ne
pourrait répondre à beaucoup de questions, et
il devrait se borner à déclarer une fois de plus
qu'il entend poursuivre le désarmement de l'Al-
lemagne et l'exécution intégrale du, traité de
Versailles. Si,' à, la veille de cette Conférence,
l'une des plus importantes depuis la guerre,
aa Chambre persistait à engager un débat de
ce genre, elle commettrait une confusion de
:pouvoirs, dont les conséquences pourraient être
[redoutables.
Il s'agit de savoir si le Gouvernement a la
confiance de la Chambre. Celui-ci n'accepterait
pas une confiance marchandée parce qu'il n'au-
rait, plus qu'une autorité diminuée. Soyons
francs, soyons nets ; ou le Gouvernement ira
& la Conférence avec votre confiance entière ou
Il n'ira pas.
C'est à peine si quelques maigres, très mai-
gres applaudissements d'amis jusqu'au bout
fidèles, saluent ces dernières phrases. Le siè-
ge de la Chambre est fait ; elle ne tient sans
doute pas à discuter les interpellations ;
mais elle a hâte de renverser le ministère en
repoussant l'ajournement que celui-ci récla-
me. Toute discussion est donc inutile ; et
l'on proteste, lorsque, sous prétexte de récla-
mer la discussion immédiate, M. Bokanowski
tente de développer son interpellation. une
si belle interpellation, qui va être perdue.
De toutes parts on demande la clôture.qui
est prononcée après quelques mots de M. Le-
cote, qui se perdent dans le bruit. -
! Cependant, M. Bonnevay désire parler, et,
sous couleur d'expliquer son vote, il fait une
brève déclaration qu'il importe de conserver
pour l'histoire, car l'adjoint et le porte-paroles
de M. Arago est un des maîtres de l'heure,
« Pas de confiance dans la nuit »
dit M. Bonnevay
Il rappelle que le 31 décembre, le président
du Conseil, interpellé siir une question de po-
litique intérieure, est monté à la tribune pour
lire le décret de clôture.
Aujourd'hui, des questions plus graves se
posent. Les questions qui seront discutées et
réglées à la Conférence vont engager toute
notre politique intérieure : diminution des
charges financières et militaires et payement
des réparations.
Au lieu de nous donner des renseignements
sur les directives qu'il entend suivre à la Con-
férence, M. le président pose la question de
confiance.
La Chambre, demain, aura à endosser tout
ce qui aura été fait entre les gouvernements;
et elle se trouvera en présence d'un fait ac-
compli. La confiance sans explications, la
confiance dans la nuit, nous nous y refusons.
M. Deyris ajoute qu'il y a des moments où
le patriotisme consiste à (parler et non à se
taire. Il déclare, qu'avec ses amis, il votera
contre l'ajournement des interpellations.
On passe ensuite au vote. Par 463 voix con-
tre 125, sur 588 votants, l'ajournement est re-
poussé;, le gouvernement est renversé et ses
membres quittent la salle des séances.
Il est 4 heures 20. Ce débat, qui peut chan-
ger l'orientation de notre politique et l'ave-
nir même du ipays, dura à peine une heure.
Dans les couloirs du Sénat
Il n'y avait presque personne dans la salle
des Conférences ; beaucoup de pères cons-
crits étaient allés suivre la discussion de la
Chambre ; mais tout d'un coup arriva M. Mau-
rice Raynaud, député et ancien ministre, qui
annonça le vote à la suite duquel s'était re-
tiré le cabinet. Derrière lui surgirent les sé-
nateurs, retour du Palais-Bourbon, et le tra-
vail des bureaux fut interrompu. L'animation
fut assez vive : comment et par qui rempla-
cer le ministère Leygues ? Le vote de la
Chambre n'est qu'un vote de coalition, on
n'y peut définir aucune majorité sérieuse.
Dans des coins, des personnages consulaires
s'entretenaient. Puis çoudain, ce fut la nuit,
une interruption de cdvrant électrique ayant
amené l'obscurité complète. Quand le per-
sonnel y euf paré au moyen de bougies, de
lampes et des quelques becs de gaz conser-
vés, il n'y avait presque plus personne.
r Lfl CHUTE
ÉCLATANTE
Lorsque un gouvernement-a la volonté de
vivre, il se peut qu'il tienne, un temps, contre
d'inévitables assauts. S'il s'abandonne, il n'y
a pas de miracle qui le maintienne au pou-
voir. Nous parlions hier ici-même d'un « hom-
me malade » ; il nous faut avouer que nous
ne pensions pas qu'il fût alors à l'article de
la mort.
M. Georges Leygues n'avait plus de défen-
se. Manifestement visé dans le discours inau-
gural, véritable discours-programme, de M.
Raoul Péret, il n'a eu ni la force ni le cou-
rage de répondre, en des formes qu'un ora-
teur aussi habile devait trouver, à la critique
présidentielle. Il a posé son ultimatum sans
démasquer ses batteries ; il a succombé.
Si le président n'était plus dans l'état de
combativité nécessaire pour imposer sa vo-
lonté à la Chambre, il faut croire qu'il n'eût
apporté à la cause française, dans une impor-
tante épreuve, qu'une énergie diminuée et in-
suffisante. C'est là ce qui peut consoler de sa
chute ceux qui lui vouaient quelque amitié.
Dès le moment où il ne, sut pas choisir en-
tre la gauche et la- droite, M. Leygues était
condamné. Trop peu papiste pour les modé-
rés, il admettait pourtant que M. Honnorat,
son impayable ministre de l'instruction publi-
que, fût aux ordres des royalistes et que M.
Ricard, son ministre de l'agriculture, se fît
le champion de la réaction cléricale dans le
Finistère. Cela et le gâchis qui allait crois-
sant dans divers départements ministériels
rendaient indésirable la pérennité de « l'in-
térim » du président Georges Leygues.
f
V*
Les considérations que l'on pourrait multi-
plier ici sur Ifes causes de la chute du premier
cabinet du septennat de M. Millerand n'ont
qu'un intérêt rétrospectif. L'événement nous
presse : il faut savoir ce que feront demain
les maîtres de ce pays.
Jamais décision de conjurés ne fut exécutée
avec autant de précision. Un des plus perfi-
des téléphonait avant-hier soir un à ami :
« Venez à la Chambre demain, vous allez
voir ce que vous allez voir. ce sera du beau
travail. un coup sûr et rapide ».
Il en fut ainsi. Brutus et Cassius avaient
tout préparé pour J'escamotage d'une ombre
de Césal. Devant une telle préméditation,
nous devons nous demander pour quelles fins
le sacrifice fut consommé. Quels successeurs
ont été désignés pour remplacer l'équipe con-
damnée.
Certes, nous ne ferons pas à M. Raoul Péret
l'injure de croire qu'il était du complot, mais
son discours servit assurément les desseins des
conspirateurs, ils le lui firent comprendre par
de frénétiques applaudissements.
Si une acclamation doit élire le chef, c'est
M. Raoul Péret que la Chambre désigne.
Certes, le député de la Vienne a fait des
débuts satisfaisants au fauteuil où régna si
longtemps Paul Deschanel ; il fut ministre du
commerce et nous l'avons vu garde des
sceaux.
M. Millerand acceptera-t-il l'indication
d'une assemblée disposée plutôt à démolir qu'à
édifier ? Nous le saurons demain. M. Raoul
Péret, confortablement installé à la Présiden-
ce, sacrifiera-t-il sa quiétude au désir d'une
aventure ministérielle ? C'est encore son se-
cret.
*
⁂
Demain, il faudra discuter avec Simons et
s'entendre avec Lloyd George. Cette nécessité
« conditionne » la formation du cabinet. Elle
impose le choix entre deux combinaisons : ou
bien un ministère présidé par un homme d'E-
tat éprouvé, s'il s'en trouve un qui pousse le
patriotisme jusqu'à l'oubli de ses intérêts per-
sonnels, ou bien un ministère présidé par un
parlementaire encore dépourvu d'auréole, mais
entouré de « grands hommes ».
Le cabinet de la deuxième manière n'est le
plus souvent qu'un panier de crabes. Mais il
est encore permis d'espérer que les appétits
se développeront assez lentement pour laisser
à chaque crabe, dans son domaine propre, le
temps d'accomplir l'œuvre immédiatement sa-
lutaire.
Quoi qu'il décide, la responsabilité de M.
Millerand ne peut manquer de lui apparaître
dans toute sa gravité. Nous sommes à un tour-
nant dangereux de notre histoire ; il serait in-
sensé de confier, en ces jours décisifs, le fa-
meux char dé l'ptat à des mains malhabiles
ou inexpertes.
Une chute ministérielle est un malheur ré-
parable, mais il faut sortir de la période des
essais douloureux. Le pays, qui juge sur les
résultats, éprouve de trop .justes alarmes :
Qu'on lui offre un programme de relèvement
politique, économique et financier, qu'on choi-
sisse enfin des hommes capables de l'exécuter.
II n'y a plus une faute à commettre avant la
limite redoutable au bout de laquelle est l'ex-
trême péril. 1
Félix HAUTFORT.
NOUS PUBLIONS A LA 3" PAGE LE BON
N° 13 DONNANT DROIT, SUIVANT NOS
INDICATIONS, A LA PRIME DE LA
«LANTERNE »
LA CRISE MINISTÉRIELLE
—s3o©o3>-
La crise ministérielle est ouverte. La séan-
ce d'hier après-midi ne fut d'ailleurs qu'une
simple formalité finale. --..
Depuis longtemps, la Chambre manifestait
son impatience de renverser le cabinet. Dès
avant-hier, les positions étaient prises par l'as-
semblée qui voulait la discussion immédiate
des interpellations déposées, par le gouverne-
ment qui insistait pour l'ajournement jusqu'a-
près la conférence interalliée. Aucun accord
n'était possible et les événements ont ratifié
nos prévisions, à savoir la chute du cabinet
de M. Georges Leygues.
Donc, aussitôt après le vote. de la Chambre,
vote dans lequel l'énorme majorité que le gou-
vernement avait eue jusqu'à ce jour se dressa
contre lui, les ministres et les sous-secrétaires
d'Etat se rendirent dans la salle de délibéra-
tions, qui leur est réservée au Palais-Bour-
bon et de là au ministère des affaires étran-
gères, où ils rédigèrent leur lettre de démis-
sion.
Celle-ci, nous dit M. Leygues lui-même, est
très courte. Elle ne contient aucun développe-
ment politique (genre démission André Lefè-
vre). Elle dit tout simplement qu'après avoir
été mis en minorité, le ministère se voit dans
la nécessité de se démettre de ses hautes fonc-
tions.
A 4 heures 35, M. Georges Leygues se ren-
dait avec tous ses ministres à l'Elysée, où il
remettait à M. Millerand la démission collec-
tive du cabinet.
« Le président de la République, dit la note
officielle communiquée par l'Elysée, a accepté
cette démission et en remerciant les ministres
du concours qu'ils lui avaient prêté, les pria
d'assurer l'expédition des affaires courantes.»
A 4 heures 50, ministres et sous-Secrétaires
d'Etat quittaient l'Elysée et rentraient à leurs
ministères respectifs procéder au tri de leurs
petits papiers, s'ils n'avaient déjà procédé à
cette opération.
Ce fut tout pour la journée d'hier.
La méthode de M. Millerand
M. Millerand ne procéda hier à aucune con-
sultation. Suivant, une fois de plus, son esprit
méthodique, il voulut examiner avec calme la
situation créée par la séance de la Chambre.
Et c'est seulement ce matin, à 10 heures, qu'il
commencera ses constipations.
C'est M. Raoul Péret qu'if verra, le premier,
puisque l'usage veut qu'en cas de crise minis-
térielle, le président de la République appelle
tout d'abord les présidents des deux Cham-
bres.
M. Millerand ne s'entretiendra que dans la
soirée avec le président du Sénat, celui-ci ne
devant être élu que dans l'après-midi.
Ce qui n'empêchera pas le président de la
République de conférer pendant la journée
avec les personnalités politiques susceptibles
de l'éclairer, et notamment — ce qui est une
innovation — avec des membres de tous les
groupes républicains de la Chambre et flu Sé-
nat.
M. Millerand a l'intention de se livrer à
des consultations aussi nombreuses qu'il le
jugera utile, désireux de s'entourer de tous les
éléments susceptibles de le guider dans bon
choix.
On ne pense généralement pas que ce tra-
vail préparatoire puisse être terminé ce soir.
M. Millerand ne désignera vraisemblable-
ment que demain celui qu'il chargera de la
mission de constituer le nouveau cabinet.
Dans les couloirs de la Chambre
Pourquoi a-t-on renversé le ministère ?
Les couloirs de la Chambre étaient hier ceux
des grands jours. Beaucoup de députés, beau-
coup de journalistss et surtout beaucoup de
-x politiciens » et d'amateurs de politique
qu'on ne voit que dans les grandes occasions.
Peut-être aussi quelques' intéressés qui ve-
naient prendre le vent pour recolter quelque
avantage du cabinet par terre ou de sa suc-
cession.
De nombreux groupes commentaient le vote
que la Chambre venait d'émettre.
— On n'a pas renversé le cabinet, disaient
certains. Il est tombé parce qu'il était mort
depuis 15 jours.,
— J'ai voté contre le gouvernement, décla-
rait M. Herriot, surtout à cause de sa politique
intérieure. Je considère, en effet, que sa. po-
litique extérieure était bonne, car elle tendait,
d'accord avec la politique anglaise de M. Lloyd
George, à maintenir au pouvoir en Allemagne
un gouvernement démocratique et à préparer
pour l'avenir une uùion entre les trois grandes
démocraties d'Europe : anglaise, française et
allemande. Là se trouve, en dehors de toutes
considérations sentimentales — lesquelles
n'ont rien à voir avec la politique extérieure —
la garantie de la paix du monde.
*
de &
Dans un autre groupe, on affhmait qu'en
renversant le cabinet, la Chambre n'avait pas
seulement voulu manifester la fin de sa con-
fiance à M. G. Leygues, mais poser la ques-
tion du contrôle parlementaire.
— Le gouvernement, disait\on, doit-il pren-
dre ses directives de politique extérieure au-
près des groupes parlementaires, ou .doit-il
avoir sa diplomatie ?l Dans le ~second cas, on
apporte au Parlement des engagements pris
envers l'étranger, engagements que la Cham-
bre n'a qu'à entériner. Comment pourrait-il
d'ailleurs les renier ? Et qu'advient-il, s'il ne
dit rien avant ni après ?
Sans doute, les Chambres sont faites pour
légiférer et non pour gouverner. Mais si cette
règle est applicable en temps normal, elle
semble excessive aujourd'hui, alors que la po-
litique extérieure doit influencer gravement
et nos finances et nos lois militaires, et notre
politique intérieure de reconstitution nationa-
le. Il est inadmissible qu'en ce moment, le Par-
lement ne puisse, avant d'assumer une respon-
sabilité, savoir à quoi il s'engage et où on le
mène. »
*
Enfin, d'autres déclaraient qu'hier la Cham-
bre avait surtout manifesté sa volonté non seu-
lement d'agir sur l'Allemagne pour la forcer
à respecter le traité de Versailles, mais d'exi-
ger du gouvernement français une attitude
plus ferme vis-à-vis de l'Angleterre.
Les successeurs éventuels
Comme bien on pense, on ne se borna point
à épiloguer sur le cabinet qui s'en allait. On
se livra aussi au petit jeu des combinaisons.
D'une manière générale, on voyait dans le
débat qui précéda la chute, un « discours-pro-
gramme » de M. Raoul Péret, une indication
en faveur du président de la Chambre. A
quelque groupe qu'on appartînt, on s'accordait
à reconnaître qu'il était le seul désiigné au
choix de M. Millerand, et tout le monde l'ac-
ceptait.
Dans une parlotte où voisinaient M. Arthur
Meyer, directeur du Gaulois, et M. A. Va-
renne, député socialiste,. on envisageait une
combinaison Raoul Péret, président du con-
seil et ministre de la justice, avec divers
hommes notoires, anciens présidents du con-
seil et anciens ministres.
Ajoutons à cela qu'à l'issue de la séance
une importante délégation composée de dé-
putés appartenani à différents groupes se
sont rendus auprès dé M. Raoul Péret pour
l'engager à ne pas se dérober s'il était chargé
de constituer le nouveau cabinet.
Reconnaissons aussi que les amis du pré-
sident de la Chambre affirmaient la volonté
bien arrêtée de M. Raoul Péret de ne pas ac-
cepter cette mission.
On prononçait également le nom de M. Vi-
vi'ani.
— Viviani aurait de l'autorité sur cette
Chambre, disait M. Herriot. Elle aime les
hommes qui parlent bien.
—— A la condition qu'elle les laisse parler,
ajouta quelqu'un ; elle n'écoute que ceux qui
sont toujours de son avis.
La droite pour M. Poincaré
Enfin, notons, pour terminer, la motion
suivante votée par le groupa des députés in-
dépendants, que .préside M. de Gailhard-Ban-
cel :
Etranger à toute combinaison ministérielle
et ne s'inspirant que des intérêts supérieurs
de la France, le groupe a donné mandat à son
bureau de faire une démarche auprès du pré-
sident de la République pour lui demander de
répondre aux vœux du pays en faisa.ti appel,
pour constituer le nouveau cabinet, à M. RAY-
MOND POINCARÉ, personnalité la plus qualifiée
pour défendre énergiquement auprè3 de nos
alliés et en face de nos adversaires d'hier, les
intérêts et les droits de la France^ et pour as-
surer, à l'intérieur, dans l'ordre, et pour la
patrie, la politique nationale d'union sacrée
dont il - a été -- lui-même le promoteur.
— Heureusement, nous autres, on n'sait pas c'que c'est.
LE POINT DE VUE
DE L'EXTÉRIEUR
Nos sentiments sur la politique exté-
rieure suivie par le cabinet défunt, sont trop,
connus pour qu'il soit nécessaire de pro-
noncer sur sa tombe une oraison funèbre.
Ni fleurs , ni couronnes, ni regrets !
Doit-on cependant déplorer le geste par
lequel la Chambre renversa le Gouverne-
ment à la veille des séances que le Conseil
Suprême a décidé de tenir à Paris ? Au fond,
la stabilité gouvernementale était liée à
cette question. Les groupes parlementaires
avaient parfaitement compris la responsabi-
lité qu'ils encouraient.
En vue des prochains grands tournois
internationaux, la Ohambre, après s'être
recueillie, s'est prononcée pour le renouvel-
lement de l'équipe française. Nous lui don-
nons absolument raison, à condition, bien
entendu, qu'on ne remplace pas cette équipe
bancroche par une compagnie de culs-de-
jatte.
La France a besoin d'un peu de lumière,
Jusqu'ici, elle s'est débattue dans une cage
obscure. Il lui faut, impérieusement, l'hom-
me qui l'en fera sortir.
Ni politique ! Ni idéal ! Plus de deux
ans après l'armistice victorieux, voilà où
nous en sommes encore. Nous avons vécu
a la petite semaine, essayant de gagner, au
jour le jour, quelque maigre pain mercan-
tile, ou même, nous contentant d'une vaine
et vague promesse, nous satisfaisant d'un
sourire. Est-ce là es que la France était en
droit d'espéfar ?
Ce serait encore peu que de souhaiter un
affranchissement-, car nous sommes comme
des captifs enchaînés. Ce serait peu d'exiger
que le relèvement du pays se poursuivit à la
faveur d'une politique étrangère robuste et
saine. Si la drachme du bon roi Constantin,
notre débiteur, fait prime sur le franc fran-
çais, nous ne faisons pas que nous étonner :
cela, et bien d'autres choses, doivent finir
sans délai.
Mais il est, en outre, une mission tradi-
tionnelle, à laquelle la France s'est déro-
bée, c'est celle .d'éclairer la chemin des peu-
ples. Qu'on choisisse un guide, et en avant !
ŒDIPE.
UN JOURNALISTE
de 1921 : P.-l Courier
par GEORGES PONSOT.
A Mme COURIER
Saint-Germain, du 15 au 18 juillet 1818.
Je suis allé, comme je te l'ai dit, aux
Français, avec ces jeunes geiïs ; je
croyais qu'ils allaient au parterre ; point
du tout, c'était aux galeries à quatre
francs ; j'y ai eu grand regret. On don-
nait Andromaque. Je n'ai rien vu au
monde de si pitoyable. Tout était révol-
tant : Andromaque avait dix-huit ans,
et Oreste soixante. Tantôt il hurle, il
beugle ; tantôt il parle bas et semble
dire : Nicole, apporte-moi mes pantou-
fles. Tout cela est entremêlé de coups de
poing et dô gestes de laquais dans les
endroits de la plus noble poésie. Je t'as-
sure que celui de la Gaîté, qu'on nomme
le Talma des boulevards, vaut beaucoup
mieux que son modèle. Talma était fa-
gotté on ne peut plus mal : des draperies
si lourdes et. si embarrassantes qu'il ne
pouvait faire un pas : un gros ventre,
un dos rond, une vieille firlure : c'était
un amoureux à faire compassion. Tu
sais que je n'ai pas de prétention : j6
ne demandais pas mieux que de m'arnu.
ser. Je crois d'ailleurs que le parterre,
tout enthousiaste qu'il était, ne s'amusait
pas plus que moi. Le Crispin, c'était
Monrose, ne m'a pas paru merveilleux.
Le fait est, comme je l'ai toujours dit,
que le Théâtre-Français et tous les vieux
théâtres de Paris, à commencer par
l'Opéra, sont excessivement ennuyeux.
Ils ne sont pas plus gais aujourd'hui.
Voulez-vous prendre la peine de faire
des transpositions de noms. Ce comédien
de tragédie : « gros ventre, un dos rond,
une vieille figure », vous l'avez vu hier
sur la scène de M. Fabre. « Ces gestes
de laquais dans les endroits les plus
nobles » sont le régal que donnent, cha-
que soir, les jeunes et les anciens de
notre Première Scène nationale.
Si le Bonhomme Paul revenait sur
iette misérable torre, il ne changerait
pas un mot à sa lettre. Elle est toujours
jeune, aussi jeune que sont vieux les
sociétaires de la Maison de Molière.
* *'
**
Il écrirait, du reste, les mêmes pam-
phlets, le vigneron de la Savonnière.
Relisez le récit de l'élection dans le dé-
partement d'Indre-et-Loire, le 28 no-
vembre 1820. On croirait assister à la
réunion des délégués chargés par le
gouvernement, à Digne,'de chasser le
bon Michel, pour honorer Honnorat qui,
se croyant maître de l'Heure, s'offre le
luxe d'être un républicain indiscipliné et
un ingrat. Les mêmes hommes entou-
raient le grand Auvergnat. Marsal, l'a-
voué honoraire Lhopiteau, le distributeur
de médailles hygiéniques en chocolat
J.-L. Breton, et l'infortuné Ricard, qui
ne laissera rien à l'Histoire, qui ne lé-
guera à ra postérité aucun souvenir,
alors que, -du moiijs, un de ses prédé-
cesseurs médiats, affublé du même nom
que le sien, peuple encore les musics-
halls d'une génération de Belles Fath-
mas.
Croyez-vous que les gens de la gau-
che aient dîné chez le préfet avec Hon-
norat, Marsal, Lhopiteau, Breton et Ri-
card ? Si d'aucuns furent priés, on les
relégua au bout de la table, et le con-
cierge, costumé en Maître-Jacques ser-
veur, leur donna les bas morceaux. Les
amis du pouvoir, fils des hobereaux du
Seize Mai, ou petits-fils de M. Poirier,
envoyaient la fumée de leurs cigares au
nez de ces radicaux égarés à la préfec-
ture, en leu-s drsant : « Pla^e-aux hon-
nêtes gens. C'est notre four: » Honno-
rat, Marsal, Lhopiteau, Breton, Ricard,
sont de tous les temps. Courier les §
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