Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1910-12-13
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 décembre 1910 13 décembre 1910
Description : 1910/12/13 (N12287,A33). 1910/12/13 (N12287,A33).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
tE NUMERO
S
CENTIMES
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JOURNAL POLITIQUE QUOTIDIEN
Directeur-Rédacteur en Chef
Victor FLACHON
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TRENTE-TROISIEME ANNEB. ma NUMERO 1 2,287
MARDI 13 DECEMBRE 1910
23 FRIMAIRE. — AN 119
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Les manuscrits, non insérés ne sont pas rendus
LE NUMERO
5
CENTIMES
Où en sommes-nous ?
Le chancelier de l'empire allemand
s'est félicité. devant le Reichstag de l'é-
tat de ses relations avec la Russie. Par-
lant de la récente entrevue des deux em-
pereurs à Potsdam, il aurait dit que son
résultat « a été d'établir à nouveau
qu'aucun des deux gouvernements ne
songe à se laisser entraîner dans une
combinaison quelconque pouvant présen-
ter un caractère agressif à l'égard de
l'autre ».
Voilà, dira-t-on, un excellent état d'es-
prit. Mais la phrase du chancelier ne
dit pas tout. Elle ne dit pas que l'Alle-
magne et la Russie marchent à peu près
d'accord en Orient, eu les intérêts sécu-
laires de la France sont traités en quan-
tité négligeable. Elle ne dit pas que les
deux empereurs se sent reconciliés sur
le dos de la République.
Elle ne le dit pas, mais elle le laisse
entendre. Et les journaux allemands ne
s'y sont pas mépris. Ils triomphent
bruyamment du langage tenu par le
chancelier.
Il semble que l'Allemagne soit en train
de prendre sa revanche de l'isolement
dans lequel l'avait un moment reléguée
la politique outrancière et dangereuse
de M. Delcassé. -..-
Mais entre cette politique et celle
qu'on nous fait, il y a heureusement un
juste milieu.
Or, il est remarquable que notre di-
plomatie en Europe ne brille plus d'un
très vif éclat depuis qu'elle est dirigée
par M. Pichon.Elle n'a connu, en Orient
et ailleurs, que des demi-échecs. Et tan-
dis que notre ministre des affaires étran-
gères sommeillait doucement au quai
d'Orsay, l'Allemagne travaillait à se
rapprocher de la Russie et de l'Angle-
terre.
Le langage même du chancelier alle-
mand montre qu'elle est bien près d'a-
voir réussi. Mais si cette indication pou-
vait paraître insuffisante, nous en ajou-
terions d'autres. C'est ainsi que nous
savons d'une manière certaine que la
Russie, depuis un certain temps, a dé-
garni sa frontière allemande des trou-
pes qu'elle y entretenait naguère en pré-
vision de conflits qui fort heureusement
ne se sont pas produits et qu'elle estime
à présent ne pas devoir se produire.
Voilà qui est assez clair. Mais alors
nous avons le droit de demander à M.
Pichon où en est l'alliance franco-russe
çt si nous n'avons exporté une vingtaine
de milliards à Pétersbourg que pour
aboutir à une - entente russo-allemande,
conclue à nos dépens.
Encore quelques mois et l'activité bien
connue de M. Pichon nous aura isolés
à notre tour, et l'Entente cordiale avec
l'Angleterre subira le même sort que
l'alliance russe.
Il est temps vraiment que le Parle-
ment s'émeuve et qu'il demande des
comptes à un ministre inconscient qui
ne s'éveille que pour soigner ses propres
intérêts et pour faire poser sa candida-
ture à la présidence de la République
par les journaux à sa dévotion.
ENTRE DEUX PERILS
Nous l'avions prévu, les instituteurs syn-
dicalistes ont donné à la réaction l'occasion
d'une campagne nouvelle contre l'école
laïque et ses maîtres. On oppose au mani-
feste du syndicat révolutionnaire les décla-
rations d'un ancien président de la Société
pédagogique des directeurs et directrices
d'écoles de Paris, dans lequel les maîtres
sont invités à se désintéresser « des ques-
tions égoïstes de notre pays M.
Sur des phrases dont la correction est
indiscutable, îles cléricaux s'efforcent de ba-
ser une politique de capitulation. « Pas de
politique ! » nous savons que cela signifie :
m Vive la réaction 1 »
Entre le pacte honteux avec les- ennemis
de la République et l'agitation révolution-
naire, il y a le devoir qui s'impose à tous
les serviteurs dévoues de la démocratie
qui sont l'immense majorité parmi nos
maîtres.
Si l'enseignement de l'instituteur doit
être neutre1 au point de vue confessionnel,
il n'en reste pas moins l'éducateur de la
nation. A ce titre il a l'obligation stricte-de
lutter par tous les moyens contre les in-
fluences redoutables qui s'exercent autour
de lui en vue de gagner la jeunesse fran-
çaise à la cause de la réaction.
Pour cela, il n'a qu'à poursuivre sans
défaillances, sans transaction, la mission
qui lui est confiée. Il doit donner l'ensei-
gnement rationaliste et le dégager de tou-
tes les absurdités confessionnelles, ses le-
çons doivent amener les enfants à la con-
ception magnifique de leur rôle dans une
société vraiment démocratique.
En agissant ainsi, l'instituteur défie les
deux périls. Il a le droit de mépriser les
objurgations et les menaces qui lui viennent
des cléricaux* il peut aussi négliger les ap-
pels véhéments qui lui sont Jaita par les
syndicalistes.
Si respectable que soit l'oeuvré sociale
au travailleur de l'usine on des champs,
elle n'est pas comparable à celle dé l'édu-
cateur qui constitue un véritable sacer-
doce. En -s'affiliant aux Bourses du travail
et à la C. G. T., l'instituteur ne déchoit pas
sans doute mais il songe plus à lui-même
qu'à sa mission et c'est là le danger.
LA PETITE GUERRE
On lit ceci dans Le Pèlerin :
« J'ai entendu dire que M. Boste — il s'agit
d'un quelconque martyr — prit son cœur entre
ses mains.; il était si plein de vie quand on le lui
arracha du corpsJ »
C'est conforme à la physiologie telle que la
comprennent tes gens. qui croient, aux miracles
de Lourdes.
1,/,1*
Style clérical i ,
« Tout ce que je puis posséder d'intelligence, de
dévouement et de foi, je l'ai répandu sur les che-
mins où Dieu m'a conduit, lui demandant à lui
seul ma récompense, et. c'est de pouvoir, servtr
ma cause, je veux dire la sienne, tant qu'un souf-
fle s'agitera dans ma poitrine, qu'un sentiment
fera battre mon cœur et qu'une idée resplendira
dans mon esprit. a.
Nous ne contesterons pas le dévouement ni la
foi de ce calotin ; nous ne parlerons pas de son
inteUigeoçc j mais son éloquence.
LES A. P. F. DEVANT LA LOI
La joie est grande parmi les cléricaux.
Ils viennent en effet de remporter une vic-
toire, il s'est trouvé un tribunal pour ren-
dre encore un de ces jugements qui sem-
blent dictés à des magistrats, pieusement
soumis, - par l'autorité pontificale.
Une association de pères de famille était
poursuivie par le parquet qui en deman-
dait la dissolution. Nous savons depuis
longtemps le rôle jÓué par ces ligues de
calotins, il est le même partout puisqu'il
est imposé par. les mêmes ordres, nous sa-
vons à quels excès le fanatisme pousse ces
groupements qui utilisent abusivement des
libertés concédées par la loi de 1901 à tous
les citoyens français.
Le prétexte est la surveillance de l'édu-
cation donnée aux enfants, l'oeuvre réelle
c'est la lutte ardente et incessante contre
l'école laïque. Or il est évident que la li-
berté d'association n'a pas été proclamée
pour permettre à une certaine catégorie de
Français de conspirer contre l'un des plus
vastes et des plus importants services pu-
blics.
Par leur espionnage constant, par leurs
dénonciations jésuitiques, les associations
de pères de famille s'efforcent de faire
obstacle n la mission patriotique de nos
instituteurs. Jusqu'où les laissera-t-on aller
dans leurs excès ?
On a vu des individus dont les prêtres
excitaient la haine, se livrer aux actes les
plus violents, pénétrer par effraction dans
des écoles, menacer des instituteurs. tels
sont les résultats de l'indulgence cri-
minelle des tribunaux -pour quelques ban-
des d'énergumènes ameutés par les curés.
Légale peut-être dans sa constitution pri-
mitive, l'association de pères de famille de-
vient promptement condamnable tant par
son but véritable que par ses moyens. Dès
lors il est inadmissible qu'elle subsiste et
puisse impunément poursuivre le cours de
ses odieux exploits.
Le jugement de Pau montre quelle con-
fiance, nous, pouvons avoir dans la magis-
trature. Si nous sommes trahis par les
hommes, il faut renforcer les textes de loi,
c'est l'œuvre que ne manquera pas d'ac-
complir le Parlement déjà saisi des projets
de défense laïque.
Il importe que les pouvoirs publics infor-
més des défaillances de la justice et de
l'audace des calotins, apportent un prompt
remède à une situation qui s'est trop pro-
longée et qui devient chaque jour plus
alarmante.
Les Propos
du Lanternier
Au moment où la lutte scolaire prend chez
nous les proportions d'une vraie bataille en-
tre les libres penseurs et les tenants de la
calotte, il n'est pas inutile de connaître l'as-
pect que prend cette lutte, de l'autre côté
de l'Atlantique.
Il faudra, pour cela, entendre le mot lutte
dans son sens le plus courant, et nullement
métaphorique. Il ne s'agit plus ici de dis-
cours parlementaires ou de mandements
épisoopaux, mais de bons swingst de beaux
directs, d'honnêtes hooks et d'ttpercuts à
flanquer par terre les plus solides champions
de nos music-halls.
Et le match n'est pas entre les maîtres, les
uns combattant au nom de la l'berté, du
progrès, - les autres brandissant des parois-
siens et des catéchismes. En Amérique, la
lutte scolaire se poursuit entre le maître et
l'élève.
Les règles de ce sport nouveaucnt été
inventées et codifiées par une femme, direc-
trice d'une école pour « élèves récalci-
trants », à Jersey-City. Son école commence
à être célèbre dans toutes les villes de l'U-
nion; et sa réputation mérite de passer la
mer.
Miss J3issie Clements — c'est s'.n nom -
procède de la façon suivante: Sans user, à
l'égard de l'élève indocile, de la patience, de
la persuasion, elle commence, boxtuse émé-
rite, par lui flanquer une solide raclée. En
fait d'argument, c'est là, déclare-t-elle, ce
qu'elle a pu trouver de pius frappant,
« Dès qu'un nouveau venu m'est amené,
a déclaré miss Cléments, à un Américain
correspondant des Documents du Progrès,
au cours d'une interwiew, il a hâte de mon-
trer à ses nouveaux camarades qu'il n'a pas
la moindre peur de moi et veut leur montrer
sa force de caractère. Je n'hésite jamais à
relever le gant qui m'est ainsi jeté, et ayant
pu me convaincre de l'inutilité de faire beau-
coup de phrases dans les cas pareils, je con-
vie mon élève à un match de boxe, devant
toute la salle, et une seule leçon suffit géné-
ralement pour, convaincre le jeune rebelle
de l'inutilité de sa résistance. »
C'est une méthode que. je soumets à l'ap-
préciation des parents français. : Evidemment,
elle a. dès avantages.. Mais on peut aussi
craindre qu'un jour cette institutrice belli-
queuse ne trouve, parmi ses élèves sa maî-
Ire..
TRIBUNE LIBRE
RÉFORMES MILITAIRES
Il me faut encore expliquer pourquoi,
moi qui n'ai pas coutume de couvrir de
fleurs les ministres et leurs administra-
tions — les lecteurs de La Lanterne en
savent quelque ohose — je ne cesse
d'applaudir aux réformes que M. le gé-
néral Brun s'efforce, depuis quelques
mois, d'introduire dans l'organisation
de n'otre armée.
Je vois, en effet, que ces réformes de-
meurent imparfaitement comprises, là
même où elles devraient être accueillies
avec le plus de faveur et où ce serait
justice qu'on y reconnût le plus remar-
quable effort accompli, depuis le vote de
la loi de deux ans, pour augmenter la
forcé nationale, tout en modifiant nos
institutions militaires dans le sens de
l'évolution démocratique du pays.
Voici par exemple mon distingué con-
frère Paul Arcey, de la Dépêche de Tou-
louse. La, suppression des comités d'ar-
mes lui paraît être une mesure illusoire,
sinon regrettable.
Il y avait dans ces comités, dit-il, un
grand nombre de généraux qui n'avaient
d'autre occupation que de siéger deux eut
trois fois par an ; la situation s'est amé-
liorée. pour eux, car on ne les a pas re-
placés dans des commandements, de sorte
qu'ils ne font plus rien du tout. Ce que je
n'ai pas dit, c'est que cette situation remon-
te à quatre ou cinq ans seulement, depuis
qu'on a pris l'habitude de confier des com-
mandements à des intérimaires du grade
inférieur pendant que les titulaires se pré-
lassent aux comités.
M. Paul Arcey oublie simplement ceci :
membres d'un comité plus ou moins en
sommeil, les généraux de qui il parle
touchaient la solde d'activité augmen-
tée de l'indemnité de résidence dans Pa-
ris et de diverses autres allocations ;
disponibles, ils ne percevront plus, le
premier semestre écoulé, que la demi-
solde sans accessoires : une économie
assez sérieuse va donc être réalisée du
fait qu'il ne leur est plus permis de faire
semblant de travailler. Quant à l'abus
effectivement déplorable qui consiste à
désigner des brigadiers pour commander
des divisions et des colonels pour com-
mander des brigades, alors qu'il y a
tant de généraux inoccupés, d'où pro-
vient-il en réalité ? De l'impossibilité où
se trouve le ministre d'éliminer de la
première section de l'état-major, tant
qu'ils n'ont pas atteint la limite d'âge,
les généraux incapables, physiquement
ou intellectuellement, d'exercer un com-
mandement actif. Et - aussi de ce que
quelques généraux tire-au-flanc et puis-
samment pistonnés esquivaient, en s'em-
busquant dans un comité, l'obligation,
qu'ils jugeaient trop pénible, de rem-
plir les fonctions de leur grade en pro-
vince. Or, en même temps qu'il a fermé
les comités devenus des asiles vraiment
trop commodes pour l'impotence ou la
paresse de certains grands chefs, M. le
général Brun a déposé un projet de loi
aux termes duquel les généraux, dessai-
sis d'un privilège véritablement indéfen-
dable, pourront être mis à la retraite
d'office,comme tous les autres officiers,
lorsque leur zèle ou leur vigueur laisse-
ront trop à désirer. Les deux réformes
sont conçues pour se compléter l'une
l'autre, et c'est du Parlement seul qu'il
dépend désormais d'assurer, en votant
la seconde, le plein effet de la première.
Mais ce qui m'a le plus surpris dans
l'article de la Dépêche, c'est que l'au-
teur en arrive à prendre la défense de
ces officines d'avortement pour toutes
réformes, qu'étaient les comités. Cela
choque M. Paul Arcey que les sections
techniques, dont ces comités gênaient les
travaux et étouffaient les propositions,
soient désormais rattachées aux direc-
tions du ministère.
Voilà, écrit-il ironiquement, gui en bou-
che un coin à ces routiniers d'industriels
qui ne mettent pas la direction de leur bu-
reau d'études entre les mains de leur cais-
sier.,
Je vous demande si vous avez jamais
vu comparaison plus fausse ! Les direc-
tions sont, il est vrai, des organes ad-
ministratifs, mais cela signifie-t-il qu'el-
les doivent se confiner dans une tâche
de comptabilité subalterne ? L'adminis-
tration est-elle une science purement
abstraite et sans rapports avec les réa-
lités techniques ? Et d'autre part pré-
tendra-t-on que la recherche technique
des améliorations doit être poursuivie
sans tenir compte des possibilités bud-
gétaires, en dehors des directions qui
indiquent les crédits nécessaires et en
règlent la répartition 1 La réalité esi gue
les directions* collaboratrices immédia-
tes du ministre, chargées en même temps
de l'aider dans l'exécution loyale des
volontés du Parlement et de soumettre
à sa décision les mesures, les réformes
de toutes sortes, dont l'étude ~pprofon-
die des affaires leur suggère l'idée, doi-
vent posséder la double compétences
technique et administrative.
« Si les comités, dit encore M. Pauf
Arcey, ne produisaient pas de travaux
fructueux, cela tient -à .ce qu'on ne leur
en -demandait guère. » Hé ! oui, mais
pourquoi en était-on veniv a se passer de
leur concours ? Parce que toute réalisa-
tion devenait impossible, -si on avait le
malheur de les consulter. Pendant com-
bien d'années, pour ne citer Que cet
exemple, le comité technique de l'infan-
terie a-t-il fait traîner sans résultat ap-
préciable l'étude de l'allégement du fan-
tassin ? Pendant dix-sept ans ! -
M. Paul Arcey tire aussi grief de ce
que tous les comités techniques n'ont
pas disparu en même temps. Il est exact
que le décret signé sur la proposition de
M. le général Brun n'a supprimé que les
comités qui existaient seulement en ver-
tu d'un décret, et que ceux du génie et
du service de santé., qui ont été créés
par une loi, subsisteront tant qu'une loi
nouvelle ce les aura pas dissous, et que
c'est là une anomalie. Mais cette loi
nouvelle, il est infiniment vraisemblable
que le Parlement, qui réagit constam.
ment et de son mieux contre les méfaits
de la routine dans l'armée, — ne s'op-
posera pas à la voter, et le ministre
aura eu l'honneur, et le rare mérite, de
deviner ses intentions et de lui montrer
le chemin à prendre pour les réaliser.
Nous avons eu, à la Guerre, assez de
généraux qui abusaient de la confiance
de la République pour empêcher le pro-
grès de pénétrer dans l'armée 1
Enfin, mon distingué confrère critique
le projet ministériel qui tend à renfor-
cer les cadres de l'armée de seconde li-
gne en créant une réserve spéciale d'of-
ficiers qui continueraient de toucher une
certaine solde après avoir quitté les ca-
dres de l'active, à la condition d'accom-
plir un stage tous les deux ans. Il pré-
fèrerait un projeUdont il est l'auteur et
qui se rapproche de celui de mon ca-
marade Messimy. Peut-être bien a-t-il
raison. Mais moi aussi, j'ai étudié un
projet, que je trouve naturellement su-
périeur à tous les autres. Et pourtant,
je l'abandonne, de bon cœur, pour me
rallier sans restrictions aucunes à celui
du général Brun,
L'important n'est pas de faire la meil- -
léure loi, mais de faire une loi qui ap-
porte tout de suite une amélioration
réelle à la législation existante.
Et pour une fois que nous avons un
ministre de la guerre sincèrement ré-
formiste, ne commettons pas la bêtise de
le décourager.,
Charles HUMBERT,
Sénateur.
LE DIX DECEMBRE
Les comités plébiscitaires de la Seine —
ils existent encore, paraît-il — viennent de
se réunir -pour fêter un anniversaire qui
leur est cher, l'anniversaire du 10 décem-
bre 1848, jour où Louis-Napoléon Bonaparte
fut élu président de la République. A cette
occasion, des toasts ont été portés au
prince Victor. C'est dans l'ordre. Et nous
ne nous occuperions pas de cette manifes-
tation, qui n'a, en soi, aucune importance,
si le souvenir ainsi évoqué ne comportait
pas, pour notre génération, ■un certain nom-
bre d'enseignements-
Si Louis-Napoléon Bonaparte a été porté
à la présidence — autant dire, tout de suite,
à l'Empire — ce n'est pas seulement parce
que la légende napoléonienne était encore
vivace, c'est aussi parce que les monarchis-
tes et les cléricaux — persuadés, d'ailleurs,
bien à tort, qu'il leur serait possible, quand
ils le voudraient, d'écarter de l'Elysée le
nouvel élu —avaient favorisé son élévation
à .la présidence. Donnant, donnant ! Les
catholiques apportaient leurs voix. Le prin-
ce-président leur promettait, en échange,
ce que son concurrent, Cavaignac, ne c'é-
tait pas engagé à Jeur offrir : l'expédition
contre la République romaine et « la li-
berté de l'enseignement o. Bonaparte, qui
devait oublier son serment à la Républi-
que, n'oublia pas cette double promesse.
Pie IX fut rétabli dans ses Etats. Et la loi
Falloux fut votée. C'est donc Rome qui, en
partie, est responsable de l'avènement du
second Empire, comme elle est, d'ailleurs,
responsable en partie de sa chute.
Un autre enseignement à tirer du 10 dé-
cembre et des élections tégislatives qui sui-
virent, c'est que, d'une part, des crises so-
ciales très graves avaient affolé une partie
-de la population et que, d'autre part, trop
d'électeurs se laissèrent tromper par le faux
masque républicain dont presque tous les
candidats réactionnaires et modérés s'é-
taient affublés.
Enfin, c'est parce gue l'Assemblée légis-
lative -est entrée - sans raison plausible
— dans la voie -de là réaction à outrance ;
c'est paroe qu'elle-a Voulu - restreindre trop
de libertés; c'est eurtoutparce gu'elle a porté
atteinte ^au suffrage universel lui-méme, en
rendant plus difficiles les conditions de l'o.
Içctorgt i xî'esl, en -yn mot, ^paxee qu'elle n'a
pas eu confiance dans le peuple, désormais
assagi, cependant, que Louis Bonaparte a
pu exploiter contre elle la désaffection po-
pulaire.
Telles sont les leçons principales que les
républicains doivent tirer de la date du 10
décembre. Certes, elles ne sont pas ou-
bliées. Mais soit qu'il s'agisse de l'influence
romaine ; soit qu'il s'agisse de trop grande
facilité avec laquelLe des électeurs peuvent
se laisser tromper ; soit qu'il s'agisse, en-
fin, de certaines entreprises contre 'le suf-
frage -universel, il n'est peut-être pas mau-
vais que cette page d'histoire soit rappelée
une fois de plus.
PROPRIÉTÉ NON BATIE
J *
Il n'est pas inutile de revenir sur l'infor-
mation que nous avons publiée, hier, rela.
tivement aux travaux de l'évaluation nou-
velle de la propriété non bâtie, évaluation
qui, à la fin de la présente annéel sera opé-
rée dans la moitié, environ, de nos commu-
nes et qui sera -terminée en 1912. -
Ce travail qui permettra, enfin, d'établir
une des cédules -de l'impôt sur le revenu,
d'après .-le rendement véritable de la pro-
priété foncière, aurait dû être depuis long-
temps effectué, même dans l'hypothèse —
-aujourd'hui fort heureusement écartée — du
maintien des contributions directes.
Il est même extraordinaire qu'on ait tant
tardé à reviser nos évaluations cadastrales.
La seule explication qu'on puisse fournir
de ce retard, c'est que, jusque dans ces
dernières années, on avait toujours lié ces
deux questions : 1° la réfection des plans
cadastraux, qui demanderait de très lon-
gues ainsi que de très grosses dé-
penses; 2° l'évaluation nouvelle des reve-
nus.
On e fini, fort heureusement, par s'aper-
cevoir — et le mérite en revient surtout aux
promoteurs de l'impôt sur le revenu— qu'il
n'était pas indispensable d'avoir sous les
yeux la figuration exacte d'une parcelle,
d'une propriété, pour se rendre compte de
son revenu. t
Certes, il .serait souhaitable que nous pos-
sédions des plans cadastraux impeccables
et. soit dit en passant, 11 est désolant de
penser que les plans actuels n'aient pas été
continuellement tenus à jour. — Très rares,
en effet, sont les communes qui ont pu
prendre à leur charge des travaux de réfec-
tion cadastrale. — Quant à un nouveau ca-
dastre, pour toute la France, on l'a éva-
lué à un si haut prix — un demi-milliard
environ — que l'idée en a été abandonnée,
du moins momentanément. Mais l'essentiel,
c'est que nous nous soyons mis résolument
à l'œuvre en ce qui touche les évaluations.
Le jour approche donc où L'impôt sur le
revenu foncier sera établi, non plus sur des
évaluations dont la plupart remontent à
plus de trois quarts de siècle, mais sur des
données exactes. La « justice distributive »
gagnera beaucoup. Et comme l'impôt sur
le revenu accorde, on le sait, des exemp-
tions et de larges dégrèvements à la base,
nos cultivateurs — les moyens et les pe-
tits surtout — trouveront, finalement, un
grand avantage à la substitution de la ce.
dule foncière à la contribution directe ac-
tuelle.
Ce dégrèvement de la terre, les modérés,
alors au pouvoir, nous en ont souvent parlé
naguère. Ils n'ont abouti qu'à des mesures
insignifiantes. La vraie réforme, ce sont les
partisans de l'impôt sur le revenu qui la
réaliseront.
UN DE PRIS
On sait que la loi de dévolution attribue
les biens détenus sang droit par les fabri-
s droit par let~ fabri-
ques, aux communes et à l'Etat, pour ser-
vir à des œuvres d'assistance et d'intérêt
public. Or, si les immeubles ne peuvent
être soustraits à ce transfert, nombreux
sont les prêtres qui, avec la complicité des
cahots anciennement préposés à l'adminis-
tration des biens de l'Eglise, détournent les
sommes d'argent au détriment des pauvres
et des - malheureux. i
Ils apportent, à cela faire, une habileté
qui leur vaut presque toujours l'impunité
absolue. Même, lorsque le Parquet dé-
couvre leurs agissements, ils ont, en géné-
ral, pris des précautions telles que le tri-
bunal devant lequel ils sont traduits trouve
toujours un prétexte pour les absoudre.
C'est ainsi que, dans la seule région de
Saint-Jean-de-Maurienne, quarante-deux cu-
rés ont été poursuivis et ont, cependant,
trouvé le moyen d'éluder les sanctions péna-
les applicables à ceux qui détournent les
biens des fabriques.
Un vient enfin d'être pris ! Dans des con-
ditions que nous énumérons d'autre part, le
tribunal de ce chef-lieu d'arrondissement
lui a appliqué deux mois de prison et 200
francs d'amende.
Mais cette condamnation isolée n'est pas
suffisante pour refréner l'audace des curés
spoliateurs des bureaux de bienfaisance.
Une chance d'être frappé sur quarante-deux
chances de rester impuni, voilà, en effet,
qui ne constitue pas Un bien sérdeux pré-
servatif contre la multiplication des délits
de cette espèce.
Il faut donc rechercher, au plus tôt, les
causas qui nuisent à l'application intégrale
de la loi de dévolution. J.es victimes des
agissements des prêtres sont au plus haut
point intéressantes. Les pauvres souffrent
seuls, en effet,des détournements opérés sur
les biens des fabriques. L'argent ainsi sub-
tilisé sert à la. lutte cléricale contre la Répu-
blique. Il y a là plus qu'il n'en faut pour
se montrer vigilant.
Nous n'ignorons pas qu'il y a peut-être
dans cette situation déplorable beaucoup de
la faute des magistrats de nos tribunaux.
Bon nombre parmi eux ne manquent pas
une occasion de manifester leur désir de
plaire à la caste « bien pensante ». Rien
d'étonnant, dès lors, à ce qu'ils acceptent
souvent avec une bienveillance excessive les
arguments des prêtres poursuivis. Quoi
qu'il en soit, du reste, que cette facilité
laissée aux pilleurs des biens des pauvres,
soit due à des lacunes de la loi ou à la
partialité des juges, elle constitue un dan-
ger auquel il est urgent de parer.
Lire à la troisième page: ;..-;
: LES TABLETTES DU PROGRÈS
PAR EMILE GAUTIER •
LE VOTE DES FEMMES
LA FEMME ÉLECTEUR ET ÉLIGIBLE
Un f'app6rf dé M. Ferdinand Buisson. —»
Les revendications féminines. — Dana
les colonies anglaises. — une enquête
- Académiciens et parlementaires
M. Ferdinand Buisson vient de déposer
son rapport sur la proposition tendant èi
accorder le droit de vote aux femmes dans
les élections aux conseils municipaux, au:¡:
conseils d'arrondissement et aux conseil*
généraux,,
En Un exposé des motifs très documen-
té, M. Buisson fait d'abord l'historique dé
la question, rappelle que les premières re-
vendications exprimées en faveur de la re-
présentation féminine datçnt de la Révolu-
tion-— un décret du 10 juin 1793 appelait
les femmes à délibérer sur le partage des
biens communaux — et examine dans quel-
les conditions et quelles proportions le droit
de suffrage fut accordé aux femmes d'ang
les colonies anglaises, en Australie, ert
Nouvelle-Zélande, au Canada, dans l'Afri>
que du Sud, aux Indes, dans les pays scan-
dinaves et dans la plupart des paya d'Eu*
rope, l'Espagne seule fait exception.
Il discute ensuite Ses objections présent
tées par les adversaires du suffrage fémi.
nin, objections physiologiques, intellectuel
les, d'ordre moral, d'ordre politique et
après les avoir réfutées conclut à l'adoption
de aa proposition qui ne comprend qu'un
seul article ainsi rédigé :
Le second paragraphe de Warticle 14 de la
loi Cu 5 avril 1'884 est modifié ainsi qu'il suit i
« Sont électeurs tous les Français des deux
sexes âgés de vingt et un ans accomplis et
n'étant dans aucun des cas d'incapacité pré-
vus par la loi >
Or en même temps qu'était distribué au
Parlement le rapport de M. Ferdinand
Buisson la revue Les Documents du Pro-
grès publiait les résultats d'une enquête;
sur la question ouverte par M. Fernand
Mazade.
M. Mazade avait même élargi la ques-
tion : il ne s'était pas borné à demander
à ses correspondants s'ils jugeaient qua'
« les femmes doivent être électeurs, <
mais aussi si « les femmes ne doivent pas
être éligibles ? à7-
Voici quelques-unes des réponses qu'il
a reçues.
Les académfciena
De M. Maurice Barrés :
Je veux bien que les femmes votent, et Je
crois qu'elles voteront dès qu'elles s'aviseront
de le désirer ; mais je n'y vois pas d'utilité gé..
nerale, puisqu'elles n'ont indiqué jusqu'ici eu*
eune vue politique propre.
Il est toujours juste, le mot fameux qui Jouw
dit que, « sous le règne des femmes, ce sont
les hommes qui gouvernent ».
Je ne connais pas ce conception politique,
proprement féminine.
Certes, les femmes excellent dans l'intrigue
politique, dans le maniement des caractères et
des intérêts ; mais 'est pour servir ou ruiner,
au dernier mot des vues masculines.
Faut-il être franc ? Dans la minute présente.
les femmes qui veulent voter me semblent des
agitées. Leur véritable activité se satisfait de
cent autres manières
Cependant, si les femmes tiennent sérieuse
ment a voter, si elles se croient humiliées de
n'êlre pas électeurs, il n'y a pas d'objection
sérieuse à leur opposer ; et, quand elles au-
ront conquis leur butletin de vole, elles l'au-
ront mérité tout - aussi bien que les trois quarte
des hommes.
De M. Jules Claretîe :
Certes, les femmes peuvent voter.
N'apportent-elles pas au grand Jabeur sociaj
leur part de dévouement, leur collaboration
matérielle et leur collaboration morale ?
Nourrices, éducatrices, ces femmes — en tout
et pour tout — n'ont -elles pas le droit d'être
collaboratrices'
A la Comédie-Française, nous avons résolu
le problème : les sociétaires, hommes ou fem-
mes, émettent leur opinion, leurs vœux, 1-elig
vote.
De M. Marcel Prévost -: ;
La majorité des femmes n'est féministe à peu
près dans aucun pays du monde, cent vingt ana
après la Révolution française. Et parmi les re-
vendications féministes, celle à laquelle les
femmes tiennent peut-être le moins, c'est le
droit de suffrage.
Toutefois, sur ce point spécial, les hommes
disposés à abdiquer leur privilège se comp-
tent encore. Couper son bulletin de vote ect
deux, l'électeur y répugne autant qu'un, roi à)
déléguer la moitié de son pouvoir. Et par là,
en somme, il témoigne d'un sens politique inii-
niment plus avisé que celui des femmes.
Dédaigneuses du droit politique, les femmes
commettent la même erreur que les électeurs
abstentionnistes, qui renoncent à voler ree,
dégoût pour les mesquineries de la politique
régnante. Raisonnement de Gribouille, ~jxiis-*
que chaque abstention méprisante accroît la'
force de ce qu'on méprise !
Le droit de suffrage est celui qui emporte
tous les autres ; les féministes les plus considé-
rables l'ont unanimement reconnu, depuis Con--
dorcet et Sieyès jusqu'à Stuart Mill et Glads-
tone. El c'est aussi la Bastilte que les antifé-
ministes masculins sont résolus à défendre lef
plus âprement, — jusqu'aux dernières cartou-
ches.
Cette Bastille-là sera-t-elle prise, après tant
d'autres ? Elle tient bon, jusqu'ici, à peu près
partout, grâce autant à l'énergie des défenseurs
qu'à la faiblesse numérique des assaillantes.
De M. Alfred Mézières ?
Je ne suis pas opposé, en principe, à l'élec-
torat des femmes ; mais la question me parait
prématurée — et elle me paraîtra prématoree
tant que nous n'aurons pas modifié et amélio-
ré notre système électoral.
D. M. Alfred Fouillée :
Ce qui. dès à présent, serait désirable, c'est
qu'une délégation féminine, nommée par un'
suffrage à deux degrés, comme le Sénat, fût
instituée auprès du Parlement et du Conseil
d'Etat, avec la mission de soutenir les droits
ou intérêts de la femme en matière civile, éco-
nomique, industrielle et commerciale.
De plus, on devra progressivement faire une
place aux femmes dans les conseils locaux ou
régionaux, qui sont des sortes de conseils de
famille agrandis.
De M. Jules Lemaître :
Je vous avoue mon embarras. ,..
En ce moment, je donnerais "volontiers aux
femmes les mêmes droits politiques qu'aux
hommes, parce que je les crois, pour la plu-
part, conservatrices et traditionalistes. Mais, -
d'un autre côté, il me semble que cela ne pour
rait pas se faire nature convenjenter.
Je crois que le suffrage universel serait moins
mauvais, pendant quelque ~lumps, si les tfeew
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Victor FLACHON
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TRENTE-TROISIEME ANNEB. ma NUMERO 1 2,287
MARDI 13 DECEMBRE 1910
23 FRIMAIRE. — AN 119
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Les manuscrits, non insérés ne sont pas rendus
LE NUMERO
5
CENTIMES
Où en sommes-nous ?
Le chancelier de l'empire allemand
s'est félicité. devant le Reichstag de l'é-
tat de ses relations avec la Russie. Par-
lant de la récente entrevue des deux em-
pereurs à Potsdam, il aurait dit que son
résultat « a été d'établir à nouveau
qu'aucun des deux gouvernements ne
songe à se laisser entraîner dans une
combinaison quelconque pouvant présen-
ter un caractère agressif à l'égard de
l'autre ».
Voilà, dira-t-on, un excellent état d'es-
prit. Mais la phrase du chancelier ne
dit pas tout. Elle ne dit pas que l'Alle-
magne et la Russie marchent à peu près
d'accord en Orient, eu les intérêts sécu-
laires de la France sont traités en quan-
tité négligeable. Elle ne dit pas que les
deux empereurs se sent reconciliés sur
le dos de la République.
Elle ne le dit pas, mais elle le laisse
entendre. Et les journaux allemands ne
s'y sont pas mépris. Ils triomphent
bruyamment du langage tenu par le
chancelier.
Il semble que l'Allemagne soit en train
de prendre sa revanche de l'isolement
dans lequel l'avait un moment reléguée
la politique outrancière et dangereuse
de M. Delcassé. -..-
Mais entre cette politique et celle
qu'on nous fait, il y a heureusement un
juste milieu.
Or, il est remarquable que notre di-
plomatie en Europe ne brille plus d'un
très vif éclat depuis qu'elle est dirigée
par M. Pichon.Elle n'a connu, en Orient
et ailleurs, que des demi-échecs. Et tan-
dis que notre ministre des affaires étran-
gères sommeillait doucement au quai
d'Orsay, l'Allemagne travaillait à se
rapprocher de la Russie et de l'Angle-
terre.
Le langage même du chancelier alle-
mand montre qu'elle est bien près d'a-
voir réussi. Mais si cette indication pou-
vait paraître insuffisante, nous en ajou-
terions d'autres. C'est ainsi que nous
savons d'une manière certaine que la
Russie, depuis un certain temps, a dé-
garni sa frontière allemande des trou-
pes qu'elle y entretenait naguère en pré-
vision de conflits qui fort heureusement
ne se sont pas produits et qu'elle estime
à présent ne pas devoir se produire.
Voilà qui est assez clair. Mais alors
nous avons le droit de demander à M.
Pichon où en est l'alliance franco-russe
çt si nous n'avons exporté une vingtaine
de milliards à Pétersbourg que pour
aboutir à une - entente russo-allemande,
conclue à nos dépens.
Encore quelques mois et l'activité bien
connue de M. Pichon nous aura isolés
à notre tour, et l'Entente cordiale avec
l'Angleterre subira le même sort que
l'alliance russe.
Il est temps vraiment que le Parle-
ment s'émeuve et qu'il demande des
comptes à un ministre inconscient qui
ne s'éveille que pour soigner ses propres
intérêts et pour faire poser sa candida-
ture à la présidence de la République
par les journaux à sa dévotion.
ENTRE DEUX PERILS
Nous l'avions prévu, les instituteurs syn-
dicalistes ont donné à la réaction l'occasion
d'une campagne nouvelle contre l'école
laïque et ses maîtres. On oppose au mani-
feste du syndicat révolutionnaire les décla-
rations d'un ancien président de la Société
pédagogique des directeurs et directrices
d'écoles de Paris, dans lequel les maîtres
sont invités à se désintéresser « des ques-
tions égoïstes de notre pays M.
Sur des phrases dont la correction est
indiscutable, îles cléricaux s'efforcent de ba-
ser une politique de capitulation. « Pas de
politique ! » nous savons que cela signifie :
m Vive la réaction 1 »
Entre le pacte honteux avec les- ennemis
de la République et l'agitation révolution-
naire, il y a le devoir qui s'impose à tous
les serviteurs dévoues de la démocratie
qui sont l'immense majorité parmi nos
maîtres.
Si l'enseignement de l'instituteur doit
être neutre1 au point de vue confessionnel,
il n'en reste pas moins l'éducateur de la
nation. A ce titre il a l'obligation stricte-de
lutter par tous les moyens contre les in-
fluences redoutables qui s'exercent autour
de lui en vue de gagner la jeunesse fran-
çaise à la cause de la réaction.
Pour cela, il n'a qu'à poursuivre sans
défaillances, sans transaction, la mission
qui lui est confiée. Il doit donner l'ensei-
gnement rationaliste et le dégager de tou-
tes les absurdités confessionnelles, ses le-
çons doivent amener les enfants à la con-
ception magnifique de leur rôle dans une
société vraiment démocratique.
En agissant ainsi, l'instituteur défie les
deux périls. Il a le droit de mépriser les
objurgations et les menaces qui lui viennent
des cléricaux* il peut aussi négliger les ap-
pels véhéments qui lui sont Jaita par les
syndicalistes.
Si respectable que soit l'oeuvré sociale
au travailleur de l'usine on des champs,
elle n'est pas comparable à celle dé l'édu-
cateur qui constitue un véritable sacer-
doce. En -s'affiliant aux Bourses du travail
et à la C. G. T., l'instituteur ne déchoit pas
sans doute mais il songe plus à lui-même
qu'à sa mission et c'est là le danger.
LA PETITE GUERRE
On lit ceci dans Le Pèlerin :
« J'ai entendu dire que M. Boste — il s'agit
d'un quelconque martyr — prit son cœur entre
ses mains.; il était si plein de vie quand on le lui
arracha du corpsJ »
C'est conforme à la physiologie telle que la
comprennent tes gens. qui croient, aux miracles
de Lourdes.
1,/,1*
Style clérical i ,
« Tout ce que je puis posséder d'intelligence, de
dévouement et de foi, je l'ai répandu sur les che-
mins où Dieu m'a conduit, lui demandant à lui
seul ma récompense, et. c'est de pouvoir, servtr
ma cause, je veux dire la sienne, tant qu'un souf-
fle s'agitera dans ma poitrine, qu'un sentiment
fera battre mon cœur et qu'une idée resplendira
dans mon esprit. a.
Nous ne contesterons pas le dévouement ni la
foi de ce calotin ; nous ne parlerons pas de son
inteUigeoçc j mais son éloquence.
LES A. P. F. DEVANT LA LOI
La joie est grande parmi les cléricaux.
Ils viennent en effet de remporter une vic-
toire, il s'est trouvé un tribunal pour ren-
dre encore un de ces jugements qui sem-
blent dictés à des magistrats, pieusement
soumis, - par l'autorité pontificale.
Une association de pères de famille était
poursuivie par le parquet qui en deman-
dait la dissolution. Nous savons depuis
longtemps le rôle jÓué par ces ligues de
calotins, il est le même partout puisqu'il
est imposé par. les mêmes ordres, nous sa-
vons à quels excès le fanatisme pousse ces
groupements qui utilisent abusivement des
libertés concédées par la loi de 1901 à tous
les citoyens français.
Le prétexte est la surveillance de l'édu-
cation donnée aux enfants, l'oeuvre réelle
c'est la lutte ardente et incessante contre
l'école laïque. Or il est évident que la li-
berté d'association n'a pas été proclamée
pour permettre à une certaine catégorie de
Français de conspirer contre l'un des plus
vastes et des plus importants services pu-
blics.
Par leur espionnage constant, par leurs
dénonciations jésuitiques, les associations
de pères de famille s'efforcent de faire
obstacle n la mission patriotique de nos
instituteurs. Jusqu'où les laissera-t-on aller
dans leurs excès ?
On a vu des individus dont les prêtres
excitaient la haine, se livrer aux actes les
plus violents, pénétrer par effraction dans
des écoles, menacer des instituteurs. tels
sont les résultats de l'indulgence cri-
minelle des tribunaux -pour quelques ban-
des d'énergumènes ameutés par les curés.
Légale peut-être dans sa constitution pri-
mitive, l'association de pères de famille de-
vient promptement condamnable tant par
son but véritable que par ses moyens. Dès
lors il est inadmissible qu'elle subsiste et
puisse impunément poursuivre le cours de
ses odieux exploits.
Le jugement de Pau montre quelle con-
fiance, nous, pouvons avoir dans la magis-
trature. Si nous sommes trahis par les
hommes, il faut renforcer les textes de loi,
c'est l'œuvre que ne manquera pas d'ac-
complir le Parlement déjà saisi des projets
de défense laïque.
Il importe que les pouvoirs publics infor-
més des défaillances de la justice et de
l'audace des calotins, apportent un prompt
remède à une situation qui s'est trop pro-
longée et qui devient chaque jour plus
alarmante.
Les Propos
du Lanternier
Au moment où la lutte scolaire prend chez
nous les proportions d'une vraie bataille en-
tre les libres penseurs et les tenants de la
calotte, il n'est pas inutile de connaître l'as-
pect que prend cette lutte, de l'autre côté
de l'Atlantique.
Il faudra, pour cela, entendre le mot lutte
dans son sens le plus courant, et nullement
métaphorique. Il ne s'agit plus ici de dis-
cours parlementaires ou de mandements
épisoopaux, mais de bons swingst de beaux
directs, d'honnêtes hooks et d'ttpercuts à
flanquer par terre les plus solides champions
de nos music-halls.
Et le match n'est pas entre les maîtres, les
uns combattant au nom de la l'berté, du
progrès, - les autres brandissant des parois-
siens et des catéchismes. En Amérique, la
lutte scolaire se poursuit entre le maître et
l'élève.
Les règles de ce sport nouveaucnt été
inventées et codifiées par une femme, direc-
trice d'une école pour « élèves récalci-
trants », à Jersey-City. Son école commence
à être célèbre dans toutes les villes de l'U-
nion; et sa réputation mérite de passer la
mer.
Miss J3issie Clements — c'est s'.n nom -
procède de la façon suivante: Sans user, à
l'égard de l'élève indocile, de la patience, de
la persuasion, elle commence, boxtuse émé-
rite, par lui flanquer une solide raclée. En
fait d'argument, c'est là, déclare-t-elle, ce
qu'elle a pu trouver de pius frappant,
« Dès qu'un nouveau venu m'est amené,
a déclaré miss Cléments, à un Américain
correspondant des Documents du Progrès,
au cours d'une interwiew, il a hâte de mon-
trer à ses nouveaux camarades qu'il n'a pas
la moindre peur de moi et veut leur montrer
sa force de caractère. Je n'hésite jamais à
relever le gant qui m'est ainsi jeté, et ayant
pu me convaincre de l'inutilité de faire beau-
coup de phrases dans les cas pareils, je con-
vie mon élève à un match de boxe, devant
toute la salle, et une seule leçon suffit géné-
ralement pour, convaincre le jeune rebelle
de l'inutilité de sa résistance. »
C'est une méthode que. je soumets à l'ap-
préciation des parents français. : Evidemment,
elle a. dès avantages.. Mais on peut aussi
craindre qu'un jour cette institutrice belli-
queuse ne trouve, parmi ses élèves sa maî-
Ire..
TRIBUNE LIBRE
RÉFORMES MILITAIRES
Il me faut encore expliquer pourquoi,
moi qui n'ai pas coutume de couvrir de
fleurs les ministres et leurs administra-
tions — les lecteurs de La Lanterne en
savent quelque ohose — je ne cesse
d'applaudir aux réformes que M. le gé-
néral Brun s'efforce, depuis quelques
mois, d'introduire dans l'organisation
de n'otre armée.
Je vois, en effet, que ces réformes de-
meurent imparfaitement comprises, là
même où elles devraient être accueillies
avec le plus de faveur et où ce serait
justice qu'on y reconnût le plus remar-
quable effort accompli, depuis le vote de
la loi de deux ans, pour augmenter la
forcé nationale, tout en modifiant nos
institutions militaires dans le sens de
l'évolution démocratique du pays.
Voici par exemple mon distingué con-
frère Paul Arcey, de la Dépêche de Tou-
louse. La, suppression des comités d'ar-
mes lui paraît être une mesure illusoire,
sinon regrettable.
Il y avait dans ces comités, dit-il, un
grand nombre de généraux qui n'avaient
d'autre occupation que de siéger deux eut
trois fois par an ; la situation s'est amé-
liorée. pour eux, car on ne les a pas re-
placés dans des commandements, de sorte
qu'ils ne font plus rien du tout. Ce que je
n'ai pas dit, c'est que cette situation remon-
te à quatre ou cinq ans seulement, depuis
qu'on a pris l'habitude de confier des com-
mandements à des intérimaires du grade
inférieur pendant que les titulaires se pré-
lassent aux comités.
M. Paul Arcey oublie simplement ceci :
membres d'un comité plus ou moins en
sommeil, les généraux de qui il parle
touchaient la solde d'activité augmen-
tée de l'indemnité de résidence dans Pa-
ris et de diverses autres allocations ;
disponibles, ils ne percevront plus, le
premier semestre écoulé, que la demi-
solde sans accessoires : une économie
assez sérieuse va donc être réalisée du
fait qu'il ne leur est plus permis de faire
semblant de travailler. Quant à l'abus
effectivement déplorable qui consiste à
désigner des brigadiers pour commander
des divisions et des colonels pour com-
mander des brigades, alors qu'il y a
tant de généraux inoccupés, d'où pro-
vient-il en réalité ? De l'impossibilité où
se trouve le ministre d'éliminer de la
première section de l'état-major, tant
qu'ils n'ont pas atteint la limite d'âge,
les généraux incapables, physiquement
ou intellectuellement, d'exercer un com-
mandement actif. Et - aussi de ce que
quelques généraux tire-au-flanc et puis-
samment pistonnés esquivaient, en s'em-
busquant dans un comité, l'obligation,
qu'ils jugeaient trop pénible, de rem-
plir les fonctions de leur grade en pro-
vince. Or, en même temps qu'il a fermé
les comités devenus des asiles vraiment
trop commodes pour l'impotence ou la
paresse de certains grands chefs, M. le
général Brun a déposé un projet de loi
aux termes duquel les généraux, dessai-
sis d'un privilège véritablement indéfen-
dable, pourront être mis à la retraite
d'office,comme tous les autres officiers,
lorsque leur zèle ou leur vigueur laisse-
ront trop à désirer. Les deux réformes
sont conçues pour se compléter l'une
l'autre, et c'est du Parlement seul qu'il
dépend désormais d'assurer, en votant
la seconde, le plein effet de la première.
Mais ce qui m'a le plus surpris dans
l'article de la Dépêche, c'est que l'au-
teur en arrive à prendre la défense de
ces officines d'avortement pour toutes
réformes, qu'étaient les comités. Cela
choque M. Paul Arcey que les sections
techniques, dont ces comités gênaient les
travaux et étouffaient les propositions,
soient désormais rattachées aux direc-
tions du ministère.
Voilà, écrit-il ironiquement, gui en bou-
che un coin à ces routiniers d'industriels
qui ne mettent pas la direction de leur bu-
reau d'études entre les mains de leur cais-
sier.,
Je vous demande si vous avez jamais
vu comparaison plus fausse ! Les direc-
tions sont, il est vrai, des organes ad-
ministratifs, mais cela signifie-t-il qu'el-
les doivent se confiner dans une tâche
de comptabilité subalterne ? L'adminis-
tration est-elle une science purement
abstraite et sans rapports avec les réa-
lités techniques ? Et d'autre part pré-
tendra-t-on que la recherche technique
des améliorations doit être poursuivie
sans tenir compte des possibilités bud-
gétaires, en dehors des directions qui
indiquent les crédits nécessaires et en
règlent la répartition 1 La réalité esi gue
les directions* collaboratrices immédia-
tes du ministre, chargées en même temps
de l'aider dans l'exécution loyale des
volontés du Parlement et de soumettre
à sa décision les mesures, les réformes
de toutes sortes, dont l'étude ~pprofon-
die des affaires leur suggère l'idée, doi-
vent posséder la double compétences
technique et administrative.
« Si les comités, dit encore M. Pauf
Arcey, ne produisaient pas de travaux
fructueux, cela tient -à .ce qu'on ne leur
en -demandait guère. » Hé ! oui, mais
pourquoi en était-on veniv a se passer de
leur concours ? Parce que toute réalisa-
tion devenait impossible, -si on avait le
malheur de les consulter. Pendant com-
bien d'années, pour ne citer Que cet
exemple, le comité technique de l'infan-
terie a-t-il fait traîner sans résultat ap-
préciable l'étude de l'allégement du fan-
tassin ? Pendant dix-sept ans ! -
M. Paul Arcey tire aussi grief de ce
que tous les comités techniques n'ont
pas disparu en même temps. Il est exact
que le décret signé sur la proposition de
M. le général Brun n'a supprimé que les
comités qui existaient seulement en ver-
tu d'un décret, et que ceux du génie et
du service de santé., qui ont été créés
par une loi, subsisteront tant qu'une loi
nouvelle ce les aura pas dissous, et que
c'est là une anomalie. Mais cette loi
nouvelle, il est infiniment vraisemblable
que le Parlement, qui réagit constam.
ment et de son mieux contre les méfaits
de la routine dans l'armée, — ne s'op-
posera pas à la voter, et le ministre
aura eu l'honneur, et le rare mérite, de
deviner ses intentions et de lui montrer
le chemin à prendre pour les réaliser.
Nous avons eu, à la Guerre, assez de
généraux qui abusaient de la confiance
de la République pour empêcher le pro-
grès de pénétrer dans l'armée 1
Enfin, mon distingué confrère critique
le projet ministériel qui tend à renfor-
cer les cadres de l'armée de seconde li-
gne en créant une réserve spéciale d'of-
ficiers qui continueraient de toucher une
certaine solde après avoir quitté les ca-
dres de l'active, à la condition d'accom-
plir un stage tous les deux ans. Il pré-
fèrerait un projeUdont il est l'auteur et
qui se rapproche de celui de mon ca-
marade Messimy. Peut-être bien a-t-il
raison. Mais moi aussi, j'ai étudié un
projet, que je trouve naturellement su-
périeur à tous les autres. Et pourtant,
je l'abandonne, de bon cœur, pour me
rallier sans restrictions aucunes à celui
du général Brun,
L'important n'est pas de faire la meil- -
léure loi, mais de faire une loi qui ap-
porte tout de suite une amélioration
réelle à la législation existante.
Et pour une fois que nous avons un
ministre de la guerre sincèrement ré-
formiste, ne commettons pas la bêtise de
le décourager.,
Charles HUMBERT,
Sénateur.
LE DIX DECEMBRE
Les comités plébiscitaires de la Seine —
ils existent encore, paraît-il — viennent de
se réunir -pour fêter un anniversaire qui
leur est cher, l'anniversaire du 10 décem-
bre 1848, jour où Louis-Napoléon Bonaparte
fut élu président de la République. A cette
occasion, des toasts ont été portés au
prince Victor. C'est dans l'ordre. Et nous
ne nous occuperions pas de cette manifes-
tation, qui n'a, en soi, aucune importance,
si le souvenir ainsi évoqué ne comportait
pas, pour notre génération, ■un certain nom-
bre d'enseignements-
Si Louis-Napoléon Bonaparte a été porté
à la présidence — autant dire, tout de suite,
à l'Empire — ce n'est pas seulement parce
que la légende napoléonienne était encore
vivace, c'est aussi parce que les monarchis-
tes et les cléricaux — persuadés, d'ailleurs,
bien à tort, qu'il leur serait possible, quand
ils le voudraient, d'écarter de l'Elysée le
nouvel élu —avaient favorisé son élévation
à .la présidence. Donnant, donnant ! Les
catholiques apportaient leurs voix. Le prin-
ce-président leur promettait, en échange,
ce que son concurrent, Cavaignac, ne c'é-
tait pas engagé à Jeur offrir : l'expédition
contre la République romaine et « la li-
berté de l'enseignement o. Bonaparte, qui
devait oublier son serment à la Républi-
que, n'oublia pas cette double promesse.
Pie IX fut rétabli dans ses Etats. Et la loi
Falloux fut votée. C'est donc Rome qui, en
partie, est responsable de l'avènement du
second Empire, comme elle est, d'ailleurs,
responsable en partie de sa chute.
Un autre enseignement à tirer du 10 dé-
cembre et des élections tégislatives qui sui-
virent, c'est que, d'une part, des crises so-
ciales très graves avaient affolé une partie
-de la population et que, d'autre part, trop
d'électeurs se laissèrent tromper par le faux
masque républicain dont presque tous les
candidats réactionnaires et modérés s'é-
taient affublés.
Enfin, c'est parce gue l'Assemblée légis-
lative -est entrée - sans raison plausible
— dans la voie -de là réaction à outrance ;
c'est paroe qu'elle-a Voulu - restreindre trop
de libertés; c'est eurtoutparce gu'elle a porté
atteinte ^au suffrage universel lui-méme, en
rendant plus difficiles les conditions de l'o.
Içctorgt i xî'esl, en -yn mot, ^paxee qu'elle n'a
pas eu confiance dans le peuple, désormais
assagi, cependant, que Louis Bonaparte a
pu exploiter contre elle la désaffection po-
pulaire.
Telles sont les leçons principales que les
républicains doivent tirer de la date du 10
décembre. Certes, elles ne sont pas ou-
bliées. Mais soit qu'il s'agisse de l'influence
romaine ; soit qu'il s'agisse de trop grande
facilité avec laquelLe des électeurs peuvent
se laisser tromper ; soit qu'il s'agisse, en-
fin, de certaines entreprises contre 'le suf-
frage -universel, il n'est peut-être pas mau-
vais que cette page d'histoire soit rappelée
une fois de plus.
PROPRIÉTÉ NON BATIE
J *
Il n'est pas inutile de revenir sur l'infor-
mation que nous avons publiée, hier, rela.
tivement aux travaux de l'évaluation nou-
velle de la propriété non bâtie, évaluation
qui, à la fin de la présente annéel sera opé-
rée dans la moitié, environ, de nos commu-
nes et qui sera -terminée en 1912. -
Ce travail qui permettra, enfin, d'établir
une des cédules -de l'impôt sur le revenu,
d'après .-le rendement véritable de la pro-
priété foncière, aurait dû être depuis long-
temps effectué, même dans l'hypothèse —
-aujourd'hui fort heureusement écartée — du
maintien des contributions directes.
Il est même extraordinaire qu'on ait tant
tardé à reviser nos évaluations cadastrales.
La seule explication qu'on puisse fournir
de ce retard, c'est que, jusque dans ces
dernières années, on avait toujours lié ces
deux questions : 1° la réfection des plans
cadastraux, qui demanderait de très lon-
gues ainsi que de très grosses dé-
penses; 2° l'évaluation nouvelle des reve-
nus.
On e fini, fort heureusement, par s'aper-
cevoir — et le mérite en revient surtout aux
promoteurs de l'impôt sur le revenu— qu'il
n'était pas indispensable d'avoir sous les
yeux la figuration exacte d'une parcelle,
d'une propriété, pour se rendre compte de
son revenu. t
Certes, il .serait souhaitable que nous pos-
sédions des plans cadastraux impeccables
et. soit dit en passant, 11 est désolant de
penser que les plans actuels n'aient pas été
continuellement tenus à jour. — Très rares,
en effet, sont les communes qui ont pu
prendre à leur charge des travaux de réfec-
tion cadastrale. — Quant à un nouveau ca-
dastre, pour toute la France, on l'a éva-
lué à un si haut prix — un demi-milliard
environ — que l'idée en a été abandonnée,
du moins momentanément. Mais l'essentiel,
c'est que nous nous soyons mis résolument
à l'œuvre en ce qui touche les évaluations.
Le jour approche donc où L'impôt sur le
revenu foncier sera établi, non plus sur des
évaluations dont la plupart remontent à
plus de trois quarts de siècle, mais sur des
données exactes. La « justice distributive »
gagnera beaucoup. Et comme l'impôt sur
le revenu accorde, on le sait, des exemp-
tions et de larges dégrèvements à la base,
nos cultivateurs — les moyens et les pe-
tits surtout — trouveront, finalement, un
grand avantage à la substitution de la ce.
dule foncière à la contribution directe ac-
tuelle.
Ce dégrèvement de la terre, les modérés,
alors au pouvoir, nous en ont souvent parlé
naguère. Ils n'ont abouti qu'à des mesures
insignifiantes. La vraie réforme, ce sont les
partisans de l'impôt sur le revenu qui la
réaliseront.
UN DE PRIS
On sait que la loi de dévolution attribue
les biens détenus sang droit par les fabri-
s droit par let~ fabri-
ques, aux communes et à l'Etat, pour ser-
vir à des œuvres d'assistance et d'intérêt
public. Or, si les immeubles ne peuvent
être soustraits à ce transfert, nombreux
sont les prêtres qui, avec la complicité des
cahots anciennement préposés à l'adminis-
tration des biens de l'Eglise, détournent les
sommes d'argent au détriment des pauvres
et des - malheureux. i
Ils apportent, à cela faire, une habileté
qui leur vaut presque toujours l'impunité
absolue. Même, lorsque le Parquet dé-
couvre leurs agissements, ils ont, en géné-
ral, pris des précautions telles que le tri-
bunal devant lequel ils sont traduits trouve
toujours un prétexte pour les absoudre.
C'est ainsi que, dans la seule région de
Saint-Jean-de-Maurienne, quarante-deux cu-
rés ont été poursuivis et ont, cependant,
trouvé le moyen d'éluder les sanctions péna-
les applicables à ceux qui détournent les
biens des fabriques.
Un vient enfin d'être pris ! Dans des con-
ditions que nous énumérons d'autre part, le
tribunal de ce chef-lieu d'arrondissement
lui a appliqué deux mois de prison et 200
francs d'amende.
Mais cette condamnation isolée n'est pas
suffisante pour refréner l'audace des curés
spoliateurs des bureaux de bienfaisance.
Une chance d'être frappé sur quarante-deux
chances de rester impuni, voilà, en effet,
qui ne constitue pas Un bien sérdeux pré-
servatif contre la multiplication des délits
de cette espèce.
Il faut donc rechercher, au plus tôt, les
causas qui nuisent à l'application intégrale
de la loi de dévolution. J.es victimes des
agissements des prêtres sont au plus haut
point intéressantes. Les pauvres souffrent
seuls, en effet,des détournements opérés sur
les biens des fabriques. L'argent ainsi sub-
tilisé sert à la. lutte cléricale contre la Répu-
blique. Il y a là plus qu'il n'en faut pour
se montrer vigilant.
Nous n'ignorons pas qu'il y a peut-être
dans cette situation déplorable beaucoup de
la faute des magistrats de nos tribunaux.
Bon nombre parmi eux ne manquent pas
une occasion de manifester leur désir de
plaire à la caste « bien pensante ». Rien
d'étonnant, dès lors, à ce qu'ils acceptent
souvent avec une bienveillance excessive les
arguments des prêtres poursuivis. Quoi
qu'il en soit, du reste, que cette facilité
laissée aux pilleurs des biens des pauvres,
soit due à des lacunes de la loi ou à la
partialité des juges, elle constitue un dan-
ger auquel il est urgent de parer.
Lire à la troisième page: ;..-;
: LES TABLETTES DU PROGRÈS
PAR EMILE GAUTIER •
LE VOTE DES FEMMES
LA FEMME ÉLECTEUR ET ÉLIGIBLE
Un f'app6rf dé M. Ferdinand Buisson. —»
Les revendications féminines. — Dana
les colonies anglaises. — une enquête
- Académiciens et parlementaires
M. Ferdinand Buisson vient de déposer
son rapport sur la proposition tendant èi
accorder le droit de vote aux femmes dans
les élections aux conseils municipaux, au:¡:
conseils d'arrondissement et aux conseil*
généraux,,
En Un exposé des motifs très documen-
té, M. Buisson fait d'abord l'historique dé
la question, rappelle que les premières re-
vendications exprimées en faveur de la re-
présentation féminine datçnt de la Révolu-
tion-— un décret du 10 juin 1793 appelait
les femmes à délibérer sur le partage des
biens communaux — et examine dans quel-
les conditions et quelles proportions le droit
de suffrage fut accordé aux femmes d'ang
les colonies anglaises, en Australie, ert
Nouvelle-Zélande, au Canada, dans l'Afri>
que du Sud, aux Indes, dans les pays scan-
dinaves et dans la plupart des paya d'Eu*
rope, l'Espagne seule fait exception.
Il discute ensuite Ses objections présent
tées par les adversaires du suffrage fémi.
nin, objections physiologiques, intellectuel
les, d'ordre moral, d'ordre politique et
après les avoir réfutées conclut à l'adoption
de aa proposition qui ne comprend qu'un
seul article ainsi rédigé :
Le second paragraphe de Warticle 14 de la
loi Cu 5 avril 1'884 est modifié ainsi qu'il suit i
« Sont électeurs tous les Français des deux
sexes âgés de vingt et un ans accomplis et
n'étant dans aucun des cas d'incapacité pré-
vus par la loi >
Or en même temps qu'était distribué au
Parlement le rapport de M. Ferdinand
Buisson la revue Les Documents du Pro-
grès publiait les résultats d'une enquête;
sur la question ouverte par M. Fernand
Mazade.
M. Mazade avait même élargi la ques-
tion : il ne s'était pas borné à demander
à ses correspondants s'ils jugeaient qua'
« les femmes doivent être électeurs, <
mais aussi si « les femmes ne doivent pas
être éligibles ? à7-
Voici quelques-unes des réponses qu'il
a reçues.
Les académfciena
De M. Maurice Barrés :
Je veux bien que les femmes votent, et Je
crois qu'elles voteront dès qu'elles s'aviseront
de le désirer ; mais je n'y vois pas d'utilité gé..
nerale, puisqu'elles n'ont indiqué jusqu'ici eu*
eune vue politique propre.
Il est toujours juste, le mot fameux qui Jouw
dit que, « sous le règne des femmes, ce sont
les hommes qui gouvernent ».
Je ne connais pas ce conception politique,
proprement féminine.
Certes, les femmes excellent dans l'intrigue
politique, dans le maniement des caractères et
des intérêts ; mais 'est pour servir ou ruiner,
au dernier mot des vues masculines.
Faut-il être franc ? Dans la minute présente.
les femmes qui veulent voter me semblent des
agitées. Leur véritable activité se satisfait de
cent autres manières
Cependant, si les femmes tiennent sérieuse
ment a voter, si elles se croient humiliées de
n'êlre pas électeurs, il n'y a pas d'objection
sérieuse à leur opposer ; et, quand elles au-
ront conquis leur butletin de vole, elles l'au-
ront mérité tout - aussi bien que les trois quarte
des hommes.
De M. Jules Claretîe :
Certes, les femmes peuvent voter.
N'apportent-elles pas au grand Jabeur sociaj
leur part de dévouement, leur collaboration
matérielle et leur collaboration morale ?
Nourrices, éducatrices, ces femmes — en tout
et pour tout — n'ont -elles pas le droit d'être
collaboratrices'
A la Comédie-Française, nous avons résolu
le problème : les sociétaires, hommes ou fem-
mes, émettent leur opinion, leurs vœux, 1-elig
vote.
De M. Marcel Prévost -: ;
La majorité des femmes n'est féministe à peu
près dans aucun pays du monde, cent vingt ana
après la Révolution française. Et parmi les re-
vendications féministes, celle à laquelle les
femmes tiennent peut-être le moins, c'est le
droit de suffrage.
Toutefois, sur ce point spécial, les hommes
disposés à abdiquer leur privilège se comp-
tent encore. Couper son bulletin de vote ect
deux, l'électeur y répugne autant qu'un, roi à)
déléguer la moitié de son pouvoir. Et par là,
en somme, il témoigne d'un sens politique inii-
niment plus avisé que celui des femmes.
Dédaigneuses du droit politique, les femmes
commettent la même erreur que les électeurs
abstentionnistes, qui renoncent à voler ree,
dégoût pour les mesquineries de la politique
régnante. Raisonnement de Gribouille, ~jxiis-*
que chaque abstention méprisante accroît la'
force de ce qu'on méprise !
Le droit de suffrage est celui qui emporte
tous les autres ; les féministes les plus considé-
rables l'ont unanimement reconnu, depuis Con--
dorcet et Sieyès jusqu'à Stuart Mill et Glads-
tone. El c'est aussi la Bastilte que les antifé-
ministes masculins sont résolus à défendre lef
plus âprement, — jusqu'aux dernières cartou-
ches.
Cette Bastille-là sera-t-elle prise, après tant
d'autres ? Elle tient bon, jusqu'ici, à peu près
partout, grâce autant à l'énergie des défenseurs
qu'à la faiblesse numérique des assaillantes.
De M. Alfred Mézières ?
Je ne suis pas opposé, en principe, à l'élec-
torat des femmes ; mais la question me parait
prématurée — et elle me paraîtra prématoree
tant que nous n'aurons pas modifié et amélio-
ré notre système électoral.
D. M. Alfred Fouillée :
Ce qui. dès à présent, serait désirable, c'est
qu'une délégation féminine, nommée par un'
suffrage à deux degrés, comme le Sénat, fût
instituée auprès du Parlement et du Conseil
d'Etat, avec la mission de soutenir les droits
ou intérêts de la femme en matière civile, éco-
nomique, industrielle et commerciale.
De plus, on devra progressivement faire une
place aux femmes dans les conseils locaux ou
régionaux, qui sont des sortes de conseils de
famille agrandis.
De M. Jules Lemaître :
Je vous avoue mon embarras. ,..
En ce moment, je donnerais "volontiers aux
femmes les mêmes droits politiques qu'aux
hommes, parce que je les crois, pour la plu-
part, conservatrices et traditionalistes. Mais, -
d'un autre côté, il me semble que cela ne pour
rait pas se faire nature convenjenter.
Je crois que le suffrage universel serait moins
mauvais, pendant quelque ~lumps, si les tfeew
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