Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-05-14
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 mai 1891 14 mai 1891
Description : 1891/05/14 (N487,A8). 1891/05/14 (N487,A8).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7507061g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
Euitième année — N" 487
ABONNEMENTS AU SUPPLÉiEST
PARIS ET DÉPARTEMENTS
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JLcs manuscrits non insérés ne sont
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SUPPLÉMENT LITTERAIRE
PARAISSANT DEUX FOIS PAR SEMAINE
14 Mai 1891
ABOIIEIEITS AU SUPPLÉIEIT
ÉTRANGER (UNION POSTALE UNIVERSELLE
Trois mois 3 fr. »
Six mois o »
Un an. 10 a
le N" cent. 5
Les manuscrits non insérés na sait
pas rendus
SOMMAIRE
ÀKMAND SiLVESTRE : Le Brochet.
RICHARD O'MOÎIROY : Com-pen-sa-tion.
GUIGNOLET Voyages sentimentaux.
L'ABBÉ M: GRECOURT : La Bible de Calvin.
MARIE KRYSINSKA : Souvenir d'Exposition.
MAYNARp : Beautés sans fard.
DANIEL PARU : Miss Cyclamen.
ARMANI* CliARpEx mR : Pas comme les autres.
Causerie financière.
Petite Chronique des Lettres et des Arts.
Problèmes et Jeux d'esprit.
Petite Correspondance.
MAURICE LEBLAKC : La Fortune de M. Fouque (feuil-
to..).
HONORÉ DE BALZAC : Les Célibataires (feuilleton).
GUSTAVE CLAUDIA : Les Femmes jugées par le
diable ifeuilletou)
Fix : La Musique adoucit les mœurs (dessin).
LE BROCHET
l
Et celle-ci me fut contée par un vieux
pêcheur de la Creuse, au pied des ruines
He Crozant, dont l'ombre féodale domine
LE BROCHET
un escarpement d'acacias et de bouleaux
qui descend jusqu'aux eaux claires se
brisant aux pierres dans un éclabousse-
ment d'argent.
G etaii une belle fille, assurément, que
la Jeanne avec ses cheveux noirs remon-
tant en broussaille, de la nuque jusque
par-dessus le front. Son cou aux tons
d'ambre où le vent avait mis des hâles, la
vigoureuse souplesse d'une taille jaillis-
sant librement des hanches et ignorant
l'affront du corset, une gorge ferme qui
faisait péter son méchant corsage : un
ensemble de grâcee^Dobiisies: qu'éclairait
un regard très doux et qu'enveloppait un
avenant sourire. Le gars Remy, son com-
pagnon dans la vie, n'était pas non plus
un vilain garçon, bien découplé qu'il était,
musclé à l'Hercule, une certaine fierté
railleuse sur le visage. Et ils s'aimaient
bravement, étant mari et femme depuis
deux ans déjà, très fidèles l'un à l'autre,
bien que la Jeanne ne manquât pas de
soupirants dans la contrée et que le gars
Rémy fût particulièrement reluqué des
vieilles filles et des dames mûres sensibles
encore. Il ne faut pas rire de ce dernier
hommage, d'autant plus flatteur qu'il est
inspiré par l'expérience.
Le ménage étaitbigrement pauvre, d'ail-
leurs. On s'était épousé sans le moindre
brin de fortune, par honnêteté et par es-
time réciproque. Le seul présent échangé
en cette occurrence, était l'anneau de
fiançailles, un méchant anneau d'argent
bien léger, et qui pouvait bien valoir dix
sous. L'unique ambition de Rémv était
d'en passer, un jour, un plus beau au doigt
de sa femme. Mais l'argent continuait à
manquer pour cette folie. Au fait, de quoi
vivaient-ils ? Il en faut convenir de suite :
de pêche interdite et de chasse prohibée.
Rémy était braconnier de son état, ce qui
n'était pas pour le faire estimer des au-
torités départementales et dos propriétai-
res du pays. Celui, de ces derniers, qui
l'avait le plus particulièrent en horreur
était le vicomte de Mouillefesse dont les
bois et dont les étangs étaient remarqua-
blement peuplés, ceux-ci de lapins, ceux-
là de carpes et de brochets. Le vicomte et
son garde, le père Chaboïseatl;t;avaient tou-
jours l'œil sur leur dangereux voisin. Car,
à quelques centaines demèteesrseulement
du château, se cachait, dans un bouquet
d'arbres, la petite maison très rustique et
très délabrée qu'habitait le couple dont la
rapine était l'unique moyen d'existence.
Quatre murs traversés de larges lézar-
des, un toit de chaume troué, mal assis
comme un bonnet de travers, sur cette
bâtisse surannée. Au dedans, un fusil ac-
croché au mur, des lignes passant par un
trou des combles, un méchant bahut de
bois blanc devenu gris, un lit trop étroit
pour deux, mais qui n'en était que meil-
leur pour les caresses.
Vous n'avez jamais écouté l'unique opé-
rette qui se joue, sur les théâtres de
genre, depuis vingt ans, sous différents
noms il est vrai — mais toujours la même
au fond, — si vous n'avez deviné que ce
ridicule Mouillefesse avait une envie
aussi inconvenante que démesurée de
coucher avec la Jeanne, et que sa mau-
vaise humeur contre Rémy venait tout
autant d'une jalousie amoureuse que du
désir de sauver son gibier.
Plusieurs fois avait il tenté l'aventure
et dirai-je qu'il avait été repoussé avec
perte, si un pareil inconvénient eût été de
son âge. Ce n'était pas qu'il fût vieux, le
Mouillefesse, mais il avait beaucoup nocé
à Paris avant de venir se refaire dans ses
terres. D'ailleurs, il avait toujours été
très gringalet, dernière goutte du sang
des preux dont les héritiers actuels se-
raient obligés de se mettre à quatre pour
emplir les antiques armures, cara soboles
d'une noblesse épuisée, rejetons inutiles
que pousse un dernier frisson de sève
tarie, au pied des grands troncs morts
sans ramures et sans oiseaux. Un souffle
de vanité, de concupiscence et de sottise
fonflait, seul, cette baudruche vivante.
Tout était si maigrelet, dans ce chétif gen-
tilhomme, qu'à son index seulement pou-
vait tenir la bague familiale que son
grand-père portait au petit doigt, laquelle
était enrichie d'une pierre magnifique et
très ancienne que le dernier des Mouille-
fesse avait grand soin de faire scintiller au
soleil, pour éblouir les vilains.
Vous comprendrez maintenant que la
Jeanne, qui était le désintéressement
même, n'eût aucune envie de tromper
Rémy avec ce magot armorié.
II
C'était dans la saison où la truite est
toute à l'amour et plus du tout à la pêche.
En vain, même au risque d'un procès-
verbal, le pécheur faisait choir une
mouche ou une sauterelle devant le mu-
seau tuméfié de désir de cette bête savou-
reuse que la passion rend rêveuse parti-
culièrement. Il fallait bien cependant
achalander la table des gourmands du
pays, clients ordinaires du braconnier, à
toute époque de l'année. Rémy et la
Jeanne méditaient douloureusement sur
un manque de travail dont s'accroissait
leur misère. Il y avait bien l'étang du vi-
comte, mais le garde, le père Chaboiseau,
se levait de bon matin. Bah ! on risquerait
tout de même. Après tout, on est nourri
en prison! Oui, mais on est nourri tout
seul et le pain noir est bien plus amer
quand on ne le partage pas dans un baiser.
Ce jour-là, la petite aube était comme
un sourire du ciel, à peine rosée à l'hori-
zon, comme une lèvre qui s'entrouvre,
une aube de mai qui met des larmes aux
yeux des volubilis et des roses, glissant
comme une vapeur sur l'herbe mouillée,
secouant des perles aux ailes encore en-
gourdies des oiseaux ; et ce petit brouil-
lard léger, plus dense sur l'eau qu'au
bord, leur parut absolument favorable à
leur dessein de maraude. Jusqu'à mi-
jambes, ils descendirent dans les joncs,
— elle comme lui, ses jupes bien re-
troussées — parmi le tranquille étonne-
ment qui se lisait aux yeux d'or des
nénuphars, et les premières libellules les
effleurant du bourdonnement de leurs
ailei vitrées."
,. - -..-
Dans un oblique rayon de soleil rasant
l'eau et y couchant l'ombre des hautes
herbes, sous la transparence de la calme
surface qu'aucun souffle ne ridait en cet
endroit, un brochet leur apparut bientôt,
dont le dos sombre était presque à l'air,
tout luisant de reflets bleus et dont la tête
allongée et plate s'ouvrait, de temps en
temps, dans un bâillement de bien-être.
Le poisson digérait manifestement son
premier déjeuner. Sans faire le moindre
bruit dans les roseaux, Rémy lui passa
sous le ventre un anneau de racine so-
lide, une façon de lacet pendu au bout
d'une forte gaule. D'un mouvement sec,
il étreignit le brochet sous les nageoires,
et, vigoureusement, par-dessus les joncs
le fit sauter derrière lui sur le gazon. La
Jeanne, qui guettait, sauta sur la proie qui
se débattait furieusement, battant la
terre de sa queue pesante et secouant ses
mâchoires pleines d'aiguilles. Revenu
près d'elle, Rémy assomma la bête de
quelques coups sur le sol, mais de façon à
l'ét' urdir seulement, les clients préférant
généralement le poisson vivant à l'autre.
Ce qu'ils étaient contents de leur capture!
Le soleil avait franchi la première marche
pourprée de son trône, et la grande gaieté
des choses réveillées chantait autour de
leur joie.
— Ah ! mon Dieu ! fit tout à coup la
Jeanne.
* — Juste ciel! fit en même temps son
mari.
D'un côté, ils avaient aperçu, celui-ci
M. le vicomte de Mouillefesse venant par
la droite ; de l'autre côté, celle-là le
garde Chaboiseau s'avançant à leur ren-
contre par la gauche. Avaient-ils été vus?
Dans le doute, ils s'accroupirent tous
deux parmi les hautes pointes verdoyantes
que terminaient des gaînes de velours ou
un bouquet de feuillages menus presque
bleus. La tête dominée par ce voile ver-
doyant, ils étaient ainsi blottis, impos-
sibles à découvrir pour qui ne les aurait
aperçus tout d abord. Mais, eux non plus
ne pouvaient guère observer les mouve-
ments de leur double ennemi.
III
Le petit claquement de bois sec des
cricris troublait seul le silence.
— Il faut pourtant sortir de là? fit Rémy
à qui le temps semblait long, bien que la
Jeanne eût mis très amoureusement à
profit cette heure de captivité dans la plus
riante des prisons.
— Parbleu 1 fit la Jeanne, si nous arri-
vions à cacher assez bien le brochet, nous
n'aurions rien à craindre. Car l'idée de
renoncer à leur conquête ne leur vint pas
à l'esprit un seul instant.
Ecoute, reprit la Jeanne, après un mo-
ment de réflexion, la bête est presque
morte, et tu pourrais me la nouer solide-
ment entre les jambes, dans ma chemise,
la tète en avant. Ce sera un peu gênant
pour marcher, mais je ne suis pas obligée
de courir, et, ainsi cachée sous mes jupes,
on ne se doutera de rien.
Rémy ne répondit pas, mais fit ce que lui
avait proposé sa femme.
— Maintenant, allons chacun de notre
côté, fit-il, et en ayant l'air de nous cher-
cher pour détourner tout soupçon d'en-
tente entre nous.
Ils échangèrent encore, dans l'herbe,
un baiser. Puis il prit à gauche et elle à
droite, ne voyant d'ailleurs rien de me-
naçant, ni l'un ni l'autre sur son che-
min,
Le fnit est que Rémy évita parfaite-
ment le père Chaboiseau qui, après avoir
vidé sa gourde de cognac, s'était endormi
au pied d'un chêne.
Mais le pauvre vicomte, qui peut-être
avait aperçu la Jeanne, ou l'avait simple-
ment pressentie dans une divination mys-
térieusementmagnétique d'amoureux, bon-
dit tout à coup sur celle-ci, d'un petit bois
très touffu d'où il 's'était blotti et où il
tenta de l'entraîner. Mais la Jeanne, qui
était plus forte que lui, après la première
surprise où elle s'était laissé saisir, se dé-
fendait comme une belle diablesse.
— A bas les pattes ! Monsieur le vi-
comte ! cria t-elle. A bas les pattes !
Mais lui n'écoutait rien, jusqu'au mo-
ment où il poussa un cri épouvantable. Et
qui se fût trouvé là d'aventure l'eût vu
s'enfuir du fourré, en geignant comme un
putois, et en secouant, dans l'air, son doigt
tout emperlé de petites gouttes de sang.
rth ! Ah ! mon gaillard. Comme pour les
ivrognes, il y a un Dieu pour les honnêtes
femmes! dirait-on.
IV
Au retour dans la maison, héroïquement
discrète après avoir été sublimement ver-
tueuse, elle ne conta rien à son mari pour
ne le pas ennuyer et ne le pas mettre en
colère. Bel exemple pour les femmes qui
nous assomment du récit de leurs défenses
en pareil cas !
Un coup discret fut frappé à la porte.
C'était M. le procureur Ventasouhait,
défenseur des lois, mais surtout grand
amateur de poisson de rivière, qui venait
demander à Rémy s'il n'avait pas quelque
beau poisson vivant à lui vendre.
La Jeanne lui montra le brochet pante-
lant qu'elle venait de sortir de son en-
viable cachette.
Le procureur fit une grimace de satis-
faction.
— Faut-il le vider? demanda la Jeanne.
— Certes ! fit le pr 'cureur, maintenant
que sa fraîcheur m'est assurée.
Posant une main sur la tête du monstre
à plat, elle lui promena délicatement un
COM-PEN-SA-TION
couteau dans les entrailles, y plongea
ensuite les doigts et les retira- vivement,
pendant qu'un objet sonore et brillant,
évidemment contenu dans cette urne en-
core vivante, roulait à terre.
Le procureur se baissa, ramassa l'objet
et s'écria :
— Tudieu ! l'admirable bijou ! Com-
ment se trouve-t-il dans le ventre de cette
bête?
Et il regardait la pierre superbe scin-
tiller dans le soleil.
Je vous crois, mon magistrat ! C'était
bel et bien l'anneau familial de M. le vi-
comte de Mouillefesse, une pierre autre-
fois donnée à son aïeul Gaëtan de Mouille-
fesse, par le sultan Saladin, dans un ar-
mistice des Croisades. -..
Jeanne et Rémy regardaient émerveil-
lés. Jeanne devinait cependant la vérité
un peu mieux que Rémy.
— Mes enfants, dit M. le procureur, qui
était un homme intègre ett- de plus, un
collectionneur éclairé, je pourrais vous
dire que ce joyau m'appartient, puisque
je venais de vous acheter le poisson avec
tout ce qu'il contenait, bien entendu. Mais
mon équité naturelle proteste comme
toujours, depuis que je suis dans la ma-
gistrature, contre l'iniquité des lois. D'ail-
leurs, j'ai horreur des procès, dorft je
connais mieux que personne les inconvé-
nients. Partageons donc, en frères, .l'au-
baine. A vous le quart de la valeur db cet
objet, d'après ma propre estimation.
Et il jeta dix loiris sur la table, en met-
tant, de l'autre main, l'anneau dans son
gousset.
C'est Rémy qui a acheté une jolie bague
d'or massif à sa femme, pour remplacer le
vilain anneau d'argent !
Dites donc que la vertu n'est pas quel-
quefois récompensée et qu'une femmes n'a
pas raison de défendre l'honneur de son
mari.
Armand Silvestrei
„ FEUILLETON DU 14 MAI 1891
(2)
LA FORTUNE
DR
M.FOUQUE
PAR
MAURICE LEBLANC
(Suite)
âoeux de ces messieurs jouaient au
piquet; les autres, le gilet déboutonné,
les jambes, allongées la pipe aux lèvres,
causaient gravement de choses sérieu-
ses. La récolte s'annonçait bien cette
année, les pommes donneraient, il y
aurait de la prune. Seulement il fallait
un peu de pluie, car le paysan se plai-
gnait déjà de la sécheresse. Puis on
attaqua la politique. Les avis se parta-
gèrent. La résistance du ministre ne
pouvait durer, on en a assez de lui disait
l'un. — Il y est, qu'il y reste, répliquait
l'autre, on n'aime pas les changements
en France.
Assis dans un coin, M. Fouque contem-
plait d'un regard vague une rangée de
peupliers qui bordait l'autre rive du
fleuve, pendant qu'autour de lui s'égout-
taient lentement les paroles banales et
importantes. 11 n'entendait pas. 11 médi-
tait, le coude appuyé, le meuton sur son
poing, comme un homme assailli d'ennuis
et dont la pensée a besoin de se recueillir.
Soudain une voix le tira de son
engourdissement : '-
— Eh bien, Fouque, qu'y a-t-il? Vous
tvez l'air tout je ne sais quoi.
Il leva la tête brusquement, simulant
à-cette question impatiemment attendue,
un embarras qu'il n'éprouvait pas. Puis
il plissa le iront, fit prendre à son
visage une expression découragée et
soupira :
— Moi? rien, un embêtement.
On se tut de peur d'être indiscret.
Mais lui, fâché qu'on ne l'interrogeât
plus, continua :
— Oui, un embêtement, un gros
embêtement. une lettre.
Quelqu'un demanda, par politesse :
— Ah ! une lettre ?
— Oui, une lettre. une lettre ano-
nyme.
Ces messieurs se tournèrent vers lui,
et l'un d'eux, abandonnant sa pipe,
répéta :
— Anonyme?
— Oui, une lettre anonyme.
— Mais, concernant qui ?
— Concernant. concernant.
Il hésita quelques secondes, quoiqu'il
brûlât de parler; puis, paraissant se
décider tout d'un coup, il acheva résolû-
ment :
— Concernant ma femme.
La partie de piquet fut suspendue.
Boulard, le pharmacien psychologue,
quitta sa chaise et s'installa près de
M. Fouque. Les autres le regardaient
avec cette prière des yeux qui implore
la suite d'un récit.
Fier de la curiosité qu'il inspirait, il
voulut encore l'accroître en différant
ses explications. Il s'éloigna et arpenta
la pièce; les mains derrière le dos, la
tête baissée, les paupières mi-closes,
comme pour s'isoler et n'adopter une
détermination qu'après en avoir mûre-
ment pesé les bons et les mauvais
côtés. Parfois il s'arrêtait court, frappé
sans doute par une idée gênante, fixait
le plancher et repartait d'un pas plus
rapide.
Enfin il s'approcha de ses collègues,
se tint debout contre la fenêtre, dans
l'attitude qui convient aux moments
décisifs, toussa et posément déclara :
— Messieurs, avant tout, j'exige de
vous le secret le plus absolu sur ce que
je vais vous communiquer.
— Parfaitement, nous ne dirons rien,
allez donc. -
— Non, non, je désire un vrai ser-
ment, car il s'agit de mon honneur, il
s'agit de notre honneur à tous, il s'agit
de l'honneur même du cercle de Cau-
debec.
Un silence solennel rég" na, un de ces
silences qui indiquent la gravité d'une
situation. Ils étaient là cinq, Gautier,
Lamotte, Valin, Baril et Boulard, tous
des gens d'un mérite notoire, d'une
capacité incontestable. Et tous les cinq
levèrent la main et répondirent d'une
même voix, en étendant sur leurs glorias
leurs doigts écartés :
— Nous le jurons.
Une joie immense envahit M. Fouque,
il savoura longuement son bonheur, et
ce fut avec un sourire qu'il tira la lettre
et la lut :
« Monsieur, je vous préviens que votre
femme a rendez-vous chaque mercredi,
à trois heures, au carrefour des Ormes.
Son complice est un de vos amis, un de
vos collègues du cercle. »
— C'est tout, il n'y a pas de signa-
ture, et maintenant causons.
Il s'assit. Lamotte affirma :
— C'est une affaire délicate, extrême-
ment délicate. Réfléchissons.
Ils réfléchirent. Du temps s'écoula.
Personne ne prit la parole. Les physio-
nomies étaient imprégnées de pensées
profondes, et les sourcils froncés mar-
quaient l'effort de la méditation.
M. Fouque hasarda :
— Eh bien, Boulard, vous qui pos-
sédez si bien l'âme humaine, qu'est-ce
que vous en dites ?
Boulard, interpellé, vida son verre,
saisit son front et jeta de la lumière
sur la discussion
— En principe, la lettre anonyme est
une infamie. Un homme qui se respecte
la détruit sans la lire. Mais, dans la
pratique, il y a deux cas : ou bien son
contenu est faux et l'affaire est classée,
ou bien il est véridique, et il faut agir.
Etes-vous de mon avis, messieurs ?
Une approbation courut parmi les
assistants.
— Or, ajouta le pharmacien, pour
savoir à quoi s'en tenir, le mieux est de
lire la lettre et de se livrer à une
enquête sur les faits qu'elle avance.
C'est généralement la marche en
pareille matière.
— Très bien raisonné, s'écria Mon-
sieur Fouque. et vous concluez ?
— Je conclus sans conclure. Je cite-
rai simplement le vieux dicton : « Il n'y
a pas de fumée sans feu. »
— Alors vous croyez ?
— Je ne crois rien, j'expose une opi-
nion personnelle.
— Vous êtes dur, mon ami, Madame
Fouque est incapable.
— Il ne faut pas se fier aux femmes,
interrompit sagement Boulard. Je les ai
étudiées de près, quand j'étais interne
à l'hôpital de Rouen, je peux me van-
ter d'avoir poussé mes investigations
jusque dans les replis les plus cachés du
sexe faible. Eh bien, la plus honnête
ne vaut rien. Méfiez-vous, mon cher,
méfiez-vous.
M. Fouque eut un geste désespéré et
l'angoisse la plus vive se peignit sur
son visage.
— Moi, je n'hésiterais pas, articula
nettement le pharmacien. A votre
place, je mettrais mon chapeau, je ga-
gnerais la route d'Yvetot, et j'irais sur-
veiller un peu le carrefour des Ormes.
Il ne vous en coûte rien et, après, vous
serez plus tranquille. Qu'en dites-vous,
messieurs ?
Ces messieurs n'opposèrent aucune
objection. Mais M. Fouque, quoique per-
suadé, se débattit encore pour le plaisir
de discuter. Il lui répugnait d'espionner,
il considérait cet acte comme indigne
de lui. Profitant de l'occasion, il babilla
à tort et à travers, étala les qualités de
sa femme, invoqua son honnêteté, la
droiture de ses instincts, son passé im-
peccable et s'attacha surtout a démon-
trer qu'elle ne lui pardonnerait jamais
un tel manque de confiance.
D'un mot Boulard le convainquit :
— Et l'honneur du Cercle, mon ami ?
Car enfin vous oubliez que si votre
femme est coupable, elle a un complice,
que ce complice est parmi nous, et que,
par conséquent, nous devons nous
mettre sur nos gardes.
Cet argument l'écrasa :
— Mes amis, je m'incline devant vos
bons conseils. Si votre aide m'est néces-
saire dans cette affaire délicate, soyez
sûrs. n'est-ce pas ?.
Il eut un regard fin que les autres ne
remarquèrent pas, distribua des poi-
gnées de main énergiques, et sortit,
l'allure batailleuse.
Derrière lui, Gautier s'écria :
— Ce pauvre Fouque, il en tient.
Cette saillie amusa ces messieurs. Ils
s'égayèrent un moment' aux dépens de
leur infortuné collègue; puis, abordant
un ordre d'idées plus élevé, ils recher-
chèrent les différents moyens de com-
battre l'adultère.
III
Deux heures plus tard, M. Fouque re-
venait du carrefour des Ormes. Il mar-
chait à grands pas rageurs, frappant
des pieds, faisant tournoyer sa canne
avec des gestes de matamore. Son pe-
tit corps gras et rond, pareil sur ses
jambes maigres au corps d'une araignée,
rebondissait d'une cuisse à l'autre com-
me une balle élastique. Sa tête rejetée
en arrière, sa bouche contractée, comme
prête à mordre, son chapeau bosselé mis
sur l'oreille, semblaient provoquer les
arbres du chemin, les gerbes de blé, les
tas de cailloux.
Parfois une exclamation lui échap-
pait : « Trompé, trompé! » et il pronon-
çait ce mot d'une voix étonnée, en
ouvrant les bras et en secouant les
épaules, ainsi qu'un homme incrédule.
Il voulait douter malgré l'évidence,
malgré le témoignage irrécusable de
ses yeux. Mais il reconstitua la scène,
évoqua les deux coupables, et revit
bien sa femme, Julie elle-même, les
vêtements en désordre, et Ferrand,
son meilleur ami.
Ce souvenir l'occupa et il y songea
froidement, sans jalousie. Cette convic-
tion qu'un homme était l'amant de
Mme Fouque, baisait ses lèvres, ca***"*»
sait sa chair, n'éveillait en lui aucune
douleur, aucune amertume. Il s'avoua
même que Julie paraissait auprès de
Ferrand plus tendre qu'auprès de lui,
plus passionnée, et, quoique cela le
vexât, il n'en souffrit point.
Et longtemps pour se distraire, il
força son esprit à se fixer sur cette
scène, il essaya d'étouffer la pensée
qui l'obsédait sous un amoncellement
d'idées futiles, de détails divertissants,
de petits faits grotesques qu'il s'ingé-
niait à reconstruire. Mais soudain son
orgueil blessé se réveillait, comme ces
maux physiques qui [agissent par sac-
cades, et de nouveau sa colère jaillis-
sait.
Trompé, lui, M. Fouque ,l'ancien
manœuvre arrivé à Caudebec en sabots,
puis contremaître, M. Fouque,le fils de
son travail, M. Fouque l'entrepreneur,
le maître de trente ouvriers, le proprié-
taire d'une maison en ville et de trois
fermes à Saint-Vandrille, tout cela
trompé! C'était moins le mari qui se
trouvait atteint que le chef de famille,
le commerçant, le membre du cercle de
l'Union.
Il se sentait humilié comme un enfant
qu'on fouettrait en placepublique. « Moi,
M. Fouque, trompé, moi! » Il répétait
cette phrase sans la comprendre, tant
cela lui semblait une impossibilité !
Qu'un autre le fût, soit, mais lui,
M. Fouque !. Il conçut moins d'estime
pour lui-même et, se jugeant avec plus
de sévérité, il accepta plus facilement
le rang secondaire où le monde le relé-
guait.
Il traversa Caudebec, gagna le bord
de la Seine, mais, préférant éviter le
cercle, il remonta par la place de
l'église jusqu'à la route de Villequier. A
gauche il dominait le fleuve qui coulait
au bas des vergers, à droite des bois
grimpaient sur la colline. Il s'y engagea
pour cacher. *
(Lire la suite "ans le prochain
numéro.)
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SUPPLÉMENT LITTERAIRE
PARAISSANT DEUX FOIS PAR SEMAINE
14 Mai 1891
ABOIIEIEITS AU SUPPLÉIEIT
ÉTRANGER (UNION POSTALE UNIVERSELLE
Trois mois 3 fr. »
Six mois o »
Un an. 10 a
le N" cent. 5
Les manuscrits non insérés na sait
pas rendus
SOMMAIRE
ÀKMAND SiLVESTRE : Le Brochet.
RICHARD O'MOÎIROY : Com-pen-sa-tion.
GUIGNOLET Voyages sentimentaux.
L'ABBÉ M: GRECOURT : La Bible de Calvin.
MARIE KRYSINSKA : Souvenir d'Exposition.
MAYNARp : Beautés sans fard.
DANIEL PARU : Miss Cyclamen.
ARMANI* CliARpEx mR : Pas comme les autres.
Causerie financière.
Petite Chronique des Lettres et des Arts.
Problèmes et Jeux d'esprit.
Petite Correspondance.
MAURICE LEBLAKC : La Fortune de M. Fouque (feuil-
to..).
HONORÉ DE BALZAC : Les Célibataires (feuilleton).
GUSTAVE CLAUDIA : Les Femmes jugées par le
diable ifeuilletou)
Fix : La Musique adoucit les mœurs (dessin).
LE BROCHET
l
Et celle-ci me fut contée par un vieux
pêcheur de la Creuse, au pied des ruines
He Crozant, dont l'ombre féodale domine
LE BROCHET
un escarpement d'acacias et de bouleaux
qui descend jusqu'aux eaux claires se
brisant aux pierres dans un éclabousse-
ment d'argent.
G etaii une belle fille, assurément, que
la Jeanne avec ses cheveux noirs remon-
tant en broussaille, de la nuque jusque
par-dessus le front. Son cou aux tons
d'ambre où le vent avait mis des hâles, la
vigoureuse souplesse d'une taille jaillis-
sant librement des hanches et ignorant
l'affront du corset, une gorge ferme qui
faisait péter son méchant corsage : un
ensemble de grâcee^Dobiisies: qu'éclairait
un regard très doux et qu'enveloppait un
avenant sourire. Le gars Remy, son com-
pagnon dans la vie, n'était pas non plus
un vilain garçon, bien découplé qu'il était,
musclé à l'Hercule, une certaine fierté
railleuse sur le visage. Et ils s'aimaient
bravement, étant mari et femme depuis
deux ans déjà, très fidèles l'un à l'autre,
bien que la Jeanne ne manquât pas de
soupirants dans la contrée et que le gars
Rémy fût particulièrement reluqué des
vieilles filles et des dames mûres sensibles
encore. Il ne faut pas rire de ce dernier
hommage, d'autant plus flatteur qu'il est
inspiré par l'expérience.
Le ménage étaitbigrement pauvre, d'ail-
leurs. On s'était épousé sans le moindre
brin de fortune, par honnêteté et par es-
time réciproque. Le seul présent échangé
en cette occurrence, était l'anneau de
fiançailles, un méchant anneau d'argent
bien léger, et qui pouvait bien valoir dix
sous. L'unique ambition de Rémv était
d'en passer, un jour, un plus beau au doigt
de sa femme. Mais l'argent continuait à
manquer pour cette folie. Au fait, de quoi
vivaient-ils ? Il en faut convenir de suite :
de pêche interdite et de chasse prohibée.
Rémy était braconnier de son état, ce qui
n'était pas pour le faire estimer des au-
torités départementales et dos propriétai-
res du pays. Celui, de ces derniers, qui
l'avait le plus particulièrent en horreur
était le vicomte de Mouillefesse dont les
bois et dont les étangs étaient remarqua-
blement peuplés, ceux-ci de lapins, ceux-
là de carpes et de brochets. Le vicomte et
son garde, le père Chaboïseatl;t;avaient tou-
jours l'œil sur leur dangereux voisin. Car,
à quelques centaines demèteesrseulement
du château, se cachait, dans un bouquet
d'arbres, la petite maison très rustique et
très délabrée qu'habitait le couple dont la
rapine était l'unique moyen d'existence.
Quatre murs traversés de larges lézar-
des, un toit de chaume troué, mal assis
comme un bonnet de travers, sur cette
bâtisse surannée. Au dedans, un fusil ac-
croché au mur, des lignes passant par un
trou des combles, un méchant bahut de
bois blanc devenu gris, un lit trop étroit
pour deux, mais qui n'en était que meil-
leur pour les caresses.
Vous n'avez jamais écouté l'unique opé-
rette qui se joue, sur les théâtres de
genre, depuis vingt ans, sous différents
noms il est vrai — mais toujours la même
au fond, — si vous n'avez deviné que ce
ridicule Mouillefesse avait une envie
aussi inconvenante que démesurée de
coucher avec la Jeanne, et que sa mau-
vaise humeur contre Rémy venait tout
autant d'une jalousie amoureuse que du
désir de sauver son gibier.
Plusieurs fois avait il tenté l'aventure
et dirai-je qu'il avait été repoussé avec
perte, si un pareil inconvénient eût été de
son âge. Ce n'était pas qu'il fût vieux, le
Mouillefesse, mais il avait beaucoup nocé
à Paris avant de venir se refaire dans ses
terres. D'ailleurs, il avait toujours été
très gringalet, dernière goutte du sang
des preux dont les héritiers actuels se-
raient obligés de se mettre à quatre pour
emplir les antiques armures, cara soboles
d'une noblesse épuisée, rejetons inutiles
que pousse un dernier frisson de sève
tarie, au pied des grands troncs morts
sans ramures et sans oiseaux. Un souffle
de vanité, de concupiscence et de sottise
fonflait, seul, cette baudruche vivante.
Tout était si maigrelet, dans ce chétif gen-
tilhomme, qu'à son index seulement pou-
vait tenir la bague familiale que son
grand-père portait au petit doigt, laquelle
était enrichie d'une pierre magnifique et
très ancienne que le dernier des Mouille-
fesse avait grand soin de faire scintiller au
soleil, pour éblouir les vilains.
Vous comprendrez maintenant que la
Jeanne, qui était le désintéressement
même, n'eût aucune envie de tromper
Rémy avec ce magot armorié.
II
C'était dans la saison où la truite est
toute à l'amour et plus du tout à la pêche.
En vain, même au risque d'un procès-
verbal, le pécheur faisait choir une
mouche ou une sauterelle devant le mu-
seau tuméfié de désir de cette bête savou-
reuse que la passion rend rêveuse parti-
culièrement. Il fallait bien cependant
achalander la table des gourmands du
pays, clients ordinaires du braconnier, à
toute époque de l'année. Rémy et la
Jeanne méditaient douloureusement sur
un manque de travail dont s'accroissait
leur misère. Il y avait bien l'étang du vi-
comte, mais le garde, le père Chaboiseau,
se levait de bon matin. Bah ! on risquerait
tout de même. Après tout, on est nourri
en prison! Oui, mais on est nourri tout
seul et le pain noir est bien plus amer
quand on ne le partage pas dans un baiser.
Ce jour-là, la petite aube était comme
un sourire du ciel, à peine rosée à l'hori-
zon, comme une lèvre qui s'entrouvre,
une aube de mai qui met des larmes aux
yeux des volubilis et des roses, glissant
comme une vapeur sur l'herbe mouillée,
secouant des perles aux ailes encore en-
gourdies des oiseaux ; et ce petit brouil-
lard léger, plus dense sur l'eau qu'au
bord, leur parut absolument favorable à
leur dessein de maraude. Jusqu'à mi-
jambes, ils descendirent dans les joncs,
— elle comme lui, ses jupes bien re-
troussées — parmi le tranquille étonne-
ment qui se lisait aux yeux d'or des
nénuphars, et les premières libellules les
effleurant du bourdonnement de leurs
ailei vitrées."
,. - -..-
Dans un oblique rayon de soleil rasant
l'eau et y couchant l'ombre des hautes
herbes, sous la transparence de la calme
surface qu'aucun souffle ne ridait en cet
endroit, un brochet leur apparut bientôt,
dont le dos sombre était presque à l'air,
tout luisant de reflets bleus et dont la tête
allongée et plate s'ouvrait, de temps en
temps, dans un bâillement de bien-être.
Le poisson digérait manifestement son
premier déjeuner. Sans faire le moindre
bruit dans les roseaux, Rémy lui passa
sous le ventre un anneau de racine so-
lide, une façon de lacet pendu au bout
d'une forte gaule. D'un mouvement sec,
il étreignit le brochet sous les nageoires,
et, vigoureusement, par-dessus les joncs
le fit sauter derrière lui sur le gazon. La
Jeanne, qui guettait, sauta sur la proie qui
se débattait furieusement, battant la
terre de sa queue pesante et secouant ses
mâchoires pleines d'aiguilles. Revenu
près d'elle, Rémy assomma la bête de
quelques coups sur le sol, mais de façon à
l'ét' urdir seulement, les clients préférant
généralement le poisson vivant à l'autre.
Ce qu'ils étaient contents de leur capture!
Le soleil avait franchi la première marche
pourprée de son trône, et la grande gaieté
des choses réveillées chantait autour de
leur joie.
— Ah ! mon Dieu ! fit tout à coup la
Jeanne.
* — Juste ciel! fit en même temps son
mari.
D'un côté, ils avaient aperçu, celui-ci
M. le vicomte de Mouillefesse venant par
la droite ; de l'autre côté, celle-là le
garde Chaboiseau s'avançant à leur ren-
contre par la gauche. Avaient-ils été vus?
Dans le doute, ils s'accroupirent tous
deux parmi les hautes pointes verdoyantes
que terminaient des gaînes de velours ou
un bouquet de feuillages menus presque
bleus. La tête dominée par ce voile ver-
doyant, ils étaient ainsi blottis, impos-
sibles à découvrir pour qui ne les aurait
aperçus tout d abord. Mais, eux non plus
ne pouvaient guère observer les mouve-
ments de leur double ennemi.
III
Le petit claquement de bois sec des
cricris troublait seul le silence.
— Il faut pourtant sortir de là? fit Rémy
à qui le temps semblait long, bien que la
Jeanne eût mis très amoureusement à
profit cette heure de captivité dans la plus
riante des prisons.
— Parbleu 1 fit la Jeanne, si nous arri-
vions à cacher assez bien le brochet, nous
n'aurions rien à craindre. Car l'idée de
renoncer à leur conquête ne leur vint pas
à l'esprit un seul instant.
Ecoute, reprit la Jeanne, après un mo-
ment de réflexion, la bête est presque
morte, et tu pourrais me la nouer solide-
ment entre les jambes, dans ma chemise,
la tète en avant. Ce sera un peu gênant
pour marcher, mais je ne suis pas obligée
de courir, et, ainsi cachée sous mes jupes,
on ne se doutera de rien.
Rémy ne répondit pas, mais fit ce que lui
avait proposé sa femme.
— Maintenant, allons chacun de notre
côté, fit-il, et en ayant l'air de nous cher-
cher pour détourner tout soupçon d'en-
tente entre nous.
Ils échangèrent encore, dans l'herbe,
un baiser. Puis il prit à gauche et elle à
droite, ne voyant d'ailleurs rien de me-
naçant, ni l'un ni l'autre sur son che-
min,
Le fnit est que Rémy évita parfaite-
ment le père Chaboiseau qui, après avoir
vidé sa gourde de cognac, s'était endormi
au pied d'un chêne.
Mais le pauvre vicomte, qui peut-être
avait aperçu la Jeanne, ou l'avait simple-
ment pressentie dans une divination mys-
térieusementmagnétique d'amoureux, bon-
dit tout à coup sur celle-ci, d'un petit bois
très touffu d'où il 's'était blotti et où il
tenta de l'entraîner. Mais la Jeanne, qui
était plus forte que lui, après la première
surprise où elle s'était laissé saisir, se dé-
fendait comme une belle diablesse.
— A bas les pattes ! Monsieur le vi-
comte ! cria t-elle. A bas les pattes !
Mais lui n'écoutait rien, jusqu'au mo-
ment où il poussa un cri épouvantable. Et
qui se fût trouvé là d'aventure l'eût vu
s'enfuir du fourré, en geignant comme un
putois, et en secouant, dans l'air, son doigt
tout emperlé de petites gouttes de sang.
rth ! Ah ! mon gaillard. Comme pour les
ivrognes, il y a un Dieu pour les honnêtes
femmes! dirait-on.
IV
Au retour dans la maison, héroïquement
discrète après avoir été sublimement ver-
tueuse, elle ne conta rien à son mari pour
ne le pas ennuyer et ne le pas mettre en
colère. Bel exemple pour les femmes qui
nous assomment du récit de leurs défenses
en pareil cas !
Un coup discret fut frappé à la porte.
C'était M. le procureur Ventasouhait,
défenseur des lois, mais surtout grand
amateur de poisson de rivière, qui venait
demander à Rémy s'il n'avait pas quelque
beau poisson vivant à lui vendre.
La Jeanne lui montra le brochet pante-
lant qu'elle venait de sortir de son en-
viable cachette.
Le procureur fit une grimace de satis-
faction.
— Faut-il le vider? demanda la Jeanne.
— Certes ! fit le pr 'cureur, maintenant
que sa fraîcheur m'est assurée.
Posant une main sur la tête du monstre
à plat, elle lui promena délicatement un
COM-PEN-SA-TION
couteau dans les entrailles, y plongea
ensuite les doigts et les retira- vivement,
pendant qu'un objet sonore et brillant,
évidemment contenu dans cette urne en-
core vivante, roulait à terre.
Le procureur se baissa, ramassa l'objet
et s'écria :
— Tudieu ! l'admirable bijou ! Com-
ment se trouve-t-il dans le ventre de cette
bête?
Et il regardait la pierre superbe scin-
tiller dans le soleil.
Je vous crois, mon magistrat ! C'était
bel et bien l'anneau familial de M. le vi-
comte de Mouillefesse, une pierre autre-
fois donnée à son aïeul Gaëtan de Mouille-
fesse, par le sultan Saladin, dans un ar-
mistice des Croisades. -..
Jeanne et Rémy regardaient émerveil-
lés. Jeanne devinait cependant la vérité
un peu mieux que Rémy.
— Mes enfants, dit M. le procureur, qui
était un homme intègre ett- de plus, un
collectionneur éclairé, je pourrais vous
dire que ce joyau m'appartient, puisque
je venais de vous acheter le poisson avec
tout ce qu'il contenait, bien entendu. Mais
mon équité naturelle proteste comme
toujours, depuis que je suis dans la ma-
gistrature, contre l'iniquité des lois. D'ail-
leurs, j'ai horreur des procès, dorft je
connais mieux que personne les inconvé-
nients. Partageons donc, en frères, .l'au-
baine. A vous le quart de la valeur db cet
objet, d'après ma propre estimation.
Et il jeta dix loiris sur la table, en met-
tant, de l'autre main, l'anneau dans son
gousset.
C'est Rémy qui a acheté une jolie bague
d'or massif à sa femme, pour remplacer le
vilain anneau d'argent !
Dites donc que la vertu n'est pas quel-
quefois récompensée et qu'une femmes n'a
pas raison de défendre l'honneur de son
mari.
Armand Silvestrei
„ FEUILLETON DU 14 MAI 1891
(2)
LA FORTUNE
DR
M.FOUQUE
PAR
MAURICE LEBLANC
(Suite)
âoeux de ces messieurs jouaient au
piquet; les autres, le gilet déboutonné,
les jambes, allongées la pipe aux lèvres,
causaient gravement de choses sérieu-
ses. La récolte s'annonçait bien cette
année, les pommes donneraient, il y
aurait de la prune. Seulement il fallait
un peu de pluie, car le paysan se plai-
gnait déjà de la sécheresse. Puis on
attaqua la politique. Les avis se parta-
gèrent. La résistance du ministre ne
pouvait durer, on en a assez de lui disait
l'un. — Il y est, qu'il y reste, répliquait
l'autre, on n'aime pas les changements
en France.
Assis dans un coin, M. Fouque contem-
plait d'un regard vague une rangée de
peupliers qui bordait l'autre rive du
fleuve, pendant qu'autour de lui s'égout-
taient lentement les paroles banales et
importantes. 11 n'entendait pas. 11 médi-
tait, le coude appuyé, le meuton sur son
poing, comme un homme assailli d'ennuis
et dont la pensée a besoin de se recueillir.
Soudain une voix le tira de son
engourdissement : '-
— Eh bien, Fouque, qu'y a-t-il? Vous
tvez l'air tout je ne sais quoi.
Il leva la tête brusquement, simulant
à-cette question impatiemment attendue,
un embarras qu'il n'éprouvait pas. Puis
il plissa le iront, fit prendre à son
visage une expression découragée et
soupira :
— Moi? rien, un embêtement.
On se tut de peur d'être indiscret.
Mais lui, fâché qu'on ne l'interrogeât
plus, continua :
— Oui, un embêtement, un gros
embêtement. une lettre.
Quelqu'un demanda, par politesse :
— Ah ! une lettre ?
— Oui, une lettre. une lettre ano-
nyme.
Ces messieurs se tournèrent vers lui,
et l'un d'eux, abandonnant sa pipe,
répéta :
— Anonyme?
— Oui, une lettre anonyme.
— Mais, concernant qui ?
— Concernant. concernant.
Il hésita quelques secondes, quoiqu'il
brûlât de parler; puis, paraissant se
décider tout d'un coup, il acheva résolû-
ment :
— Concernant ma femme.
La partie de piquet fut suspendue.
Boulard, le pharmacien psychologue,
quitta sa chaise et s'installa près de
M. Fouque. Les autres le regardaient
avec cette prière des yeux qui implore
la suite d'un récit.
Fier de la curiosité qu'il inspirait, il
voulut encore l'accroître en différant
ses explications. Il s'éloigna et arpenta
la pièce; les mains derrière le dos, la
tête baissée, les paupières mi-closes,
comme pour s'isoler et n'adopter une
détermination qu'après en avoir mûre-
ment pesé les bons et les mauvais
côtés. Parfois il s'arrêtait court, frappé
sans doute par une idée gênante, fixait
le plancher et repartait d'un pas plus
rapide.
Enfin il s'approcha de ses collègues,
se tint debout contre la fenêtre, dans
l'attitude qui convient aux moments
décisifs, toussa et posément déclara :
— Messieurs, avant tout, j'exige de
vous le secret le plus absolu sur ce que
je vais vous communiquer.
— Parfaitement, nous ne dirons rien,
allez donc. -
— Non, non, je désire un vrai ser-
ment, car il s'agit de mon honneur, il
s'agit de notre honneur à tous, il s'agit
de l'honneur même du cercle de Cau-
debec.
Un silence solennel rég" na, un de ces
silences qui indiquent la gravité d'une
situation. Ils étaient là cinq, Gautier,
Lamotte, Valin, Baril et Boulard, tous
des gens d'un mérite notoire, d'une
capacité incontestable. Et tous les cinq
levèrent la main et répondirent d'une
même voix, en étendant sur leurs glorias
leurs doigts écartés :
— Nous le jurons.
Une joie immense envahit M. Fouque,
il savoura longuement son bonheur, et
ce fut avec un sourire qu'il tira la lettre
et la lut :
« Monsieur, je vous préviens que votre
femme a rendez-vous chaque mercredi,
à trois heures, au carrefour des Ormes.
Son complice est un de vos amis, un de
vos collègues du cercle. »
— C'est tout, il n'y a pas de signa-
ture, et maintenant causons.
Il s'assit. Lamotte affirma :
— C'est une affaire délicate, extrême-
ment délicate. Réfléchissons.
Ils réfléchirent. Du temps s'écoula.
Personne ne prit la parole. Les physio-
nomies étaient imprégnées de pensées
profondes, et les sourcils froncés mar-
quaient l'effort de la méditation.
M. Fouque hasarda :
— Eh bien, Boulard, vous qui pos-
sédez si bien l'âme humaine, qu'est-ce
que vous en dites ?
Boulard, interpellé, vida son verre,
saisit son front et jeta de la lumière
sur la discussion
— En principe, la lettre anonyme est
une infamie. Un homme qui se respecte
la détruit sans la lire. Mais, dans la
pratique, il y a deux cas : ou bien son
contenu est faux et l'affaire est classée,
ou bien il est véridique, et il faut agir.
Etes-vous de mon avis, messieurs ?
Une approbation courut parmi les
assistants.
— Or, ajouta le pharmacien, pour
savoir à quoi s'en tenir, le mieux est de
lire la lettre et de se livrer à une
enquête sur les faits qu'elle avance.
C'est généralement la marche en
pareille matière.
— Très bien raisonné, s'écria Mon-
sieur Fouque. et vous concluez ?
— Je conclus sans conclure. Je cite-
rai simplement le vieux dicton : « Il n'y
a pas de fumée sans feu. »
— Alors vous croyez ?
— Je ne crois rien, j'expose une opi-
nion personnelle.
— Vous êtes dur, mon ami, Madame
Fouque est incapable.
— Il ne faut pas se fier aux femmes,
interrompit sagement Boulard. Je les ai
étudiées de près, quand j'étais interne
à l'hôpital de Rouen, je peux me van-
ter d'avoir poussé mes investigations
jusque dans les replis les plus cachés du
sexe faible. Eh bien, la plus honnête
ne vaut rien. Méfiez-vous, mon cher,
méfiez-vous.
M. Fouque eut un geste désespéré et
l'angoisse la plus vive se peignit sur
son visage.
— Moi, je n'hésiterais pas, articula
nettement le pharmacien. A votre
place, je mettrais mon chapeau, je ga-
gnerais la route d'Yvetot, et j'irais sur-
veiller un peu le carrefour des Ormes.
Il ne vous en coûte rien et, après, vous
serez plus tranquille. Qu'en dites-vous,
messieurs ?
Ces messieurs n'opposèrent aucune
objection. Mais M. Fouque, quoique per-
suadé, se débattit encore pour le plaisir
de discuter. Il lui répugnait d'espionner,
il considérait cet acte comme indigne
de lui. Profitant de l'occasion, il babilla
à tort et à travers, étala les qualités de
sa femme, invoqua son honnêteté, la
droiture de ses instincts, son passé im-
peccable et s'attacha surtout a démon-
trer qu'elle ne lui pardonnerait jamais
un tel manque de confiance.
D'un mot Boulard le convainquit :
— Et l'honneur du Cercle, mon ami ?
Car enfin vous oubliez que si votre
femme est coupable, elle a un complice,
que ce complice est parmi nous, et que,
par conséquent, nous devons nous
mettre sur nos gardes.
Cet argument l'écrasa :
— Mes amis, je m'incline devant vos
bons conseils. Si votre aide m'est néces-
saire dans cette affaire délicate, soyez
sûrs. n'est-ce pas ?.
Il eut un regard fin que les autres ne
remarquèrent pas, distribua des poi-
gnées de main énergiques, et sortit,
l'allure batailleuse.
Derrière lui, Gautier s'écria :
— Ce pauvre Fouque, il en tient.
Cette saillie amusa ces messieurs. Ils
s'égayèrent un moment' aux dépens de
leur infortuné collègue; puis, abordant
un ordre d'idées plus élevé, ils recher-
chèrent les différents moyens de com-
battre l'adultère.
III
Deux heures plus tard, M. Fouque re-
venait du carrefour des Ormes. Il mar-
chait à grands pas rageurs, frappant
des pieds, faisant tournoyer sa canne
avec des gestes de matamore. Son pe-
tit corps gras et rond, pareil sur ses
jambes maigres au corps d'une araignée,
rebondissait d'une cuisse à l'autre com-
me une balle élastique. Sa tête rejetée
en arrière, sa bouche contractée, comme
prête à mordre, son chapeau bosselé mis
sur l'oreille, semblaient provoquer les
arbres du chemin, les gerbes de blé, les
tas de cailloux.
Parfois une exclamation lui échap-
pait : « Trompé, trompé! » et il pronon-
çait ce mot d'une voix étonnée, en
ouvrant les bras et en secouant les
épaules, ainsi qu'un homme incrédule.
Il voulait douter malgré l'évidence,
malgré le témoignage irrécusable de
ses yeux. Mais il reconstitua la scène,
évoqua les deux coupables, et revit
bien sa femme, Julie elle-même, les
vêtements en désordre, et Ferrand,
son meilleur ami.
Ce souvenir l'occupa et il y songea
froidement, sans jalousie. Cette convic-
tion qu'un homme était l'amant de
Mme Fouque, baisait ses lèvres, ca***"*»
sait sa chair, n'éveillait en lui aucune
douleur, aucune amertume. Il s'avoua
même que Julie paraissait auprès de
Ferrand plus tendre qu'auprès de lui,
plus passionnée, et, quoique cela le
vexât, il n'en souffrit point.
Et longtemps pour se distraire, il
força son esprit à se fixer sur cette
scène, il essaya d'étouffer la pensée
qui l'obsédait sous un amoncellement
d'idées futiles, de détails divertissants,
de petits faits grotesques qu'il s'ingé-
niait à reconstruire. Mais soudain son
orgueil blessé se réveillait, comme ces
maux physiques qui [agissent par sac-
cades, et de nouveau sa colère jaillis-
sait.
Trompé, lui, M. Fouque ,l'ancien
manœuvre arrivé à Caudebec en sabots,
puis contremaître, M. Fouque,le fils de
son travail, M. Fouque l'entrepreneur,
le maître de trente ouvriers, le proprié-
taire d'une maison en ville et de trois
fermes à Saint-Vandrille, tout cela
trompé! C'était moins le mari qui se
trouvait atteint que le chef de famille,
le commerçant, le membre du cercle de
l'Union.
Il se sentait humilié comme un enfant
qu'on fouettrait en placepublique. « Moi,
M. Fouque, trompé, moi! » Il répétait
cette phrase sans la comprendre, tant
cela lui semblait une impossibilité !
Qu'un autre le fût, soit, mais lui,
M. Fouque !. Il conçut moins d'estime
pour lui-même et, se jugeant avec plus
de sévérité, il accepta plus facilement
le rang secondaire où le monde le relé-
guait.
Il traversa Caudebec, gagna le bord
de la Seine, mais, préférant éviter le
cercle, il remonta par la place de
l'église jusqu'à la route de Villequier. A
gauche il dominait le fleuve qui coulait
au bas des vergers, à droite des bois
grimpaient sur la colline. Il s'y engagea
pour cacher. *
(Lire la suite "ans le prochain
numéro.)
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