Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1891-04-23
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 23 avril 1891 23 avril 1891
Description : 1891/04/23 (N481,A8). 1891/04/23 (N481,A8).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7507055r
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
Huitième année. - N° 481
ABONNEMENTS Au SUPPLÉMENT
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Trcïsmois »
Sîxmois a 180
Un M.- e •
5 cent. le NI
LtE manuscrits non insérés ne sont
pas rendus
SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
PARAISSANT DEUX FOIS PAR SEMAINE
23 Avril 1891
ABOIREIEITS AU SUPPLÉIEIT
ÉTRANGER (OTHW POSTAL* UNIVERSELLE
Trois mois. 3fr.
Six mois « *
Un 10 9
le NI cent. 5
Les manuscrits non Insérés ne sont
pas rendus
SOMMAIRE
Rast MALEEROY : Philosophie.
MAURICE WONTÊGUT : Traits pour traits.
QBCAB MÉTÉNIER : Le Testament de la baronne.
Société du journal LA LANTERNE (Assemblée
générale ordinaire des Actionnaires).
GEORGES COURTELINE : Une Envie.
LAUJON 8T Hmi SiMon : La petite Frileu.
GEORGES D'ESPARBÈS : La Chanson.
CAMIILLE DE SAINTK-CROIX : Contes Secs.
Problèmes et Jeux d'Esprit.
MAX Ncm..— Causerie Financière.
Petite Correspondance.
P. VIGNE D'OCTON : L'Éternelle Blessée (feuilleton).
HONORE DE BALZAC : Les Célibataires (feuilleton).
GUSTAVE CLAUDIN : Les femmes jugées par le diable
(feuilleton).
J'ai du bon tabao (musique.)
PHILOSOPHIE
C'était au bout du quartier des Fontai-
nes après des terrains vagues, brûlés de
soleil, où les gitanos errants remisaient
leurs carrioles et où les garçons jouaient
aux boules le dimanche, au delà des jar-
1ins qu'abritent du mistral les cyprès ser-
PHILOSOPHIE
rés les uns contre leg autres en une haie
sombre et mouvante, des fabriques que
domine comme un arbre éhranché quel-
que géante cheminée de briques, des ca-
barets borgnes devant lesquels se balance
un bouquet poussiéreux de genévriers et
Où l'on boit du vin cuit en chantant et en
lutinant les jupes de la servante,—tout
au bout, presque au milieu des champs,—
que demeurait le capitaine Marius Cour-
tebaïsse, en une chartreuse large tout au
plus, avec son enclos, comme quelques
paires de draps qui sèchent étendus parmi
les herbes et les pierrailles.
Cela suffisait à ses goûts simples et ca-
saniers, et il ne s'y trouvait pas à l'étroit,
saniers, qu'il eût roulé aux quatre coins de la
bien
terre, tanné sa peau sous les embruns,
vogué avec de fabuleuses aventures d'o-
céan en océan, de pays en pays.
Ce pan de terre où poussaient de grêles
amandiers, de maladives fleurs, des légu-
mes, des vignes dont s'étalent les grappes
violettes à l'automne, cette tonnelle où
les clématites s'enchevêtraient et où il
dînait par les chaudes soirées, ces trois
chambres meublées de la plus étrange fa-
çon avec des lambeaux d'étoffes d'invrai
semblables meubles, d'exotiques bibelots,
des armes rouillées, lui semblaient un
royaume magnifique.
Il n'avait pas, comme les autres ma-
rins, la nostalgie des vastes horizons,
des étendues bleues, infinies d'où se
dégage on ne sait quelle mystérieuse at-
tirance. Il ne suivait pas d'un long regard
fixe les steamers qui s'en vont là-bas,
rayant le ciel de fumées noires, les trois-
mats qui, avec leurs voiles éployées, se
balancent comme de grands goélands pla-
nant au ras des vagues.
Heureux d'avoir jeté l'ancre, de ne plus
risquer sa vie du matin au soir et du soir
au matin en de continuelles foucades, il
s'accagnardait à la même place comme
un coquillage qui a trouvé quelque trou
de roche tapissé d'algues vertes et s'y
incruste, s'y enfonce, s'y engraisse.
Et ceux qui, sur la route, apercevaient
cette tête de vieux négrier, aux tons
bistreux comme le cuir d'une bourse
qui a traîné dans toutes les mains, les
balafres qui entaillent le front et les
joues, les sourcils en broussailles, les
cheveux qui débordaient en rudes éche-
veaux de laine d'un chapeau de paille
les doigts larges, épais, les yeux allumés
de brusques eclairs de chaleur, le corps
trapu et solide taillé pour les cognades
et les belles saoûleries, étaient éberlués
de le voir tranquillement arroser ses sa-
lades et ses balsamines, fumer sa pipe
avec des gestes de bourgeois paisible,
bavarder en compagnie d'une douzaine
de perruches vertes qui piaillaient sur
leurs perchoirs.
*
* *
Elles étaient alignées à cinq pas les
unes des autres devant la chaise du capi-
taine et les oiseaux ébouriffaient leurs
plumes, secouaient leurs chaînettes, bat-
taient des ailes, claquaient du bec, sif-
flaient, chantaient, radotaient les mêmes
mots, les mêmes phrases en un vacarme
qui eût épouvanté un pitre de foire.
D'autres leur répondaient de la maison.
Et à entendre ces jurons rudes de mathu-
rins, ces bouts de chansons qui traînent
le soir dans les rues diffamées des ports,
ces engueulades rauques qui se dispersent
sous le ciel bleu, ces app3ls libertins
comme il en sorr des lèvres avinées, des
portes qui bâillent sur quelque corridor
noir vaguement éclairé par une lampe fu-
meuse, l'on se serait cru en un bouge où
les rires se heurtent, où les gabiers en
bordée ont des filles sur chaque genou et
les dépoitraillent, les embrassant à pleine
bouche.
Les perruches imitaient à s'y méprendre
les traînantes inflexions, les brusques
éclats, les bégayantes ivresses, les cris
qui s'éteignaient en un hoquet, les rires
qui se déchaînent par saccade.
Elles savaient les couplets salés qui
narguent l'amour, les termes de bord, les
injures furieuses qui précèdent les que-
relles. Elles les répétaient en se dandi-
nant, en virant autour de leurs écuelles,
en clignant leurs rondes prunelies cou-
leur de cuivre, en gonflant la gorge, ma-
chinalement, comme elles auraient na-
sillé: « As-tu déjeuné Jacquot? » et la
ritournelle de « la Mère Michel qu'a perdu
son chat. »
Par instants, Courtebaïsse s'en appro-
chait, en emportait une sur son poing, lui
soufflait patiemment sa leçon, lui criait
durant une heure quelque salauderie im-
pudique, la lui apprenait syllabe par syl-
labe comme on enseigne à lire aux éco-
liers. 11 ne s'interrompait que pour mon-
ter du fond du puits le seau où rafraîchis-
saient sa bouteille d'absinthe et la carafe
et boire à lentes gorgées gourmandes un
breuvage savamment battu.
Le temps où il ne dormait pas, n'était
cas à table, ne courait pas derrière les
jupes tTuno gamine, s'écoulait ainsi à
dresser ses oiseaux, à leur enfoncer dans
le N'e JI cleo oH:olcHRA-t.ionR rlA-.Caserne
difficile lui servait à payer ses frais d'a-
mour, à acquitter ses dettes dans les nom-
breuses alcôves où, de ci, de là, il s'attar-
dait comme s il avait eu encore des reins
souples de moussaillon. -
Quand une femme voulait une perruche,
elle n'avait qu'à s'adresser au capitaine
Courtebaïsse, et si elle ne se dérobait pas
si elle consentait à lui donner quelques
heures de rêve, quelques secondes de
jouissance, et si elle lui frôlait le cou de
ses bras nus qui sentaient bon, le vieux
arrivait le lendemain avec, dans une cail,
son aumône accoutumée. Il donnait lui-
même la première représentation, dialo-
guait avec son oiseau, l'excitait, chantait
en même temps que lui, si drôlement que
la femme batlait des mains, se roulait sur
son lit, était plus heureuse d'être payée
en cette monnaie que s'il avait éparpillé
des banknotes sur la cheminée.
Et toujours à la fin, l'on refermait les
volets, l'on recommençait la fête inter-
rompue, l'on s'embrassait avec des rires
fous, tandis que la perruche, effarée par
ces brusques ténèbres sacrait, glapissait
tout son répertoire, vite, vite, comme on
débite les psaumes à vêpres, un dimanche
de printemps où le violonaire rôde sur la
place, son crincrin sous le bras.
*
* *
Il en éleva tant et tant, il en donna aux
blondes, aux rousses et aux brunes de la
ville avec une telle prodigalité que bien-
tôt. par certaines rues, l'on n'osa plus con-
duire en promenade les collégiens et les
petites pensionnaires.
Les ouvrières, les gamines jolies trot-
tant les yeux en l'air et le nez au vent,
s'arrêtaient par groupes, s'esclaffaient
sous les fenetres et les balcons, répon-
daient de leurs voix aiguës aux quolibets
des perruches.
Les dévotes se signaient en rougissant,
se sauvaient comme si elles avaient en-
tendu les clameurs du diable. C'était un
feu roulant qui se heurtait aux façades,
aux volets, qui retentissait dans la paix
silencieuse de ces rues aux galets frangés
de touffes d'herbes.
Il y en avait jusque dans les boutiques
des blanchisseuses, jusque dans les échop-
pes du port, jusque derrière les per-
siennes entre-closes des deux maisons de
la rue Millevierge.
Et le capitaine Marius Courtebaïsse ne
s'en portait pas plus mal, avait l'air crâne
et heureux, se livrait à son innocente ma-
nie avec le calme d'un philosophe qui a
beaucoup vu, beaucoup retenu et trouve
qu'après tout, rien ne vaut de belles lè-
vres rouges et charnues et une croupe de
femme éblouissante, rose et blanche, aux
fraîcheurs de marbre et une petite vigne
où, à pointe d'aube, l'on ramasse des es-
cargots, l'on cueille des grappes humides
de rosée, et une bastide où nul importun
ne vous gêne, où l'on mange sur du linge
qui fleure la lessive, où l'on dort dans de
beaux draps, souvent avec, à côté de soi,
une passagère maîtresse qu'on ne verra
plus le lendemain.
René Maizeroy.
TRAITS POUR TRAITS
Ils étaient seuls ; et les mots diffi-
cilement venus, traînaient entre eux,
vides de sens.
Ils parlaient pour parler, par peur du
silence, mais avec une telle indifférence
du sujet, un tel éloignement des choses
dites, qu'ils se sentaient ridicules et s'em-
barrassaient dans cette poursuite du
bruit.
Et cependant, depuis cinq ans qu'ils se
connaissaient bien, se rencontraient ici
ou la, trois fois la semaine, le champ
devait être vaste, aux cabrioles de l'es-
prit entre une femme jeune et un jeune
homme.
Mais ce soir-là, — soir d'été endormeur,
— les légers potins de leur monde futile
ne suffisaient plus.
Peu à peu, ils en étaient arrivés à
où l'épanchement est proche, la franchise
forcée, l'aveu prêt.
Il l'aimait — ardemment - depuis les
premiers jours. -
L'aimait-elle ? Il se l'était demandé
mille fois sans conclure. — Selon les
événements, les menues observations de
la semaine, tantôt il se répondait : Oui ;
tantôt il se répondait: Non.
Elle avait trente ans au moins, 11 en
comptait vingt-cinq à peine. Elle était
mariée, mais qu'importe 1 l'époux était
vieux, dédaigné, inutile, jamais là.
Au loin, sur les avenues tranquilles, la
nuit tombait, sereine, assourdissant les
rumeurs de la ville, et le vent mou, ber-
ceur, remuait lentement les cimes feuil-.
lues des platanes déjà roux.
Brusquement, il se leva, un peu pâle,—
et, marchant à grands pas au milieu du
salon, il essayait d'avoir du courage,
beaucoup de courage.
Elle le suivait des yeux, très calme en
apparence, et ne disait plus rien, elle
aussi fatiguée par l'effort des phrases ba-
nales.
Enfin, il s'arrêta devant elle; elle assise,
lui debout, la dominant de toute la taille,
plongeant ses yeux dans ses yeux.
— Mais vous savez bien que j'ai autre
chose à vous dire, — murmura-t-il.
Elle ne songea pas à s'étonner.
— Alors parlez. répliqua-t-elle.
— Vous le voulez?.
- Je le veux.
— Prenez garde !
— A quoi?
11 se laissa tomber sur une chaise au-
près d'elle.
Jeanne. fit-il.
C'était la première fois qu'il l'appelait
ainsi, et l'emploi de ce nom intime de la
femme annonçait comme une première
prise de possession.
Elle ne s'émut pas.
— Après.
— Voyons, soyez bonne, écoutez-moi,
vous savez bien que je vous aime, que je
ne pense qu'à vous et cela depuis si long-
temps qu'il me semble que ce fut tou-
jours ainsi. Je n'ai jamais rien osé
oser. Vous me déconcertez avec vos
longs regards, et j'ai cru que je mourrais
sans rien dire. puis, toujours, autour de
TRAITS POUR TRAITS
vous, gravite la myriade des admirateurs
passionnés dont je suis si jaloux et qui
me font tant de mai !. Mais ce soir, par
un hasard béni, une grâce de la Provi-
dence, nous voici seuls, sans yeux mau-
vais qui guettent, sans oreilles perfides
puur surprendre au vol un seul mot
échappé. permettez-moi de me mettre
à genoux, oui, comme cela, devant vous,
de vous prendre les mains — ainsi — et
de vous supplier avec des larmes — cela
m'est facile, hélas ! de m'aimer un peu,
moi qui vous aime tant ?
Et il était à genoux déjà; et déjà il lui
tenait les mains; et dans ses yeux dévoués
pointaient des brmes.
— Robert, vous êtes fou., oui, un fou,
un grand fou, mais un fou pas méchant,
bien gentil au contraire; vous n'êtes pas
ridicule dans cette pose, ce qui est rare.
Et, pour être sérieux, tel que vous êtes,
vous méritez d'être aimé. Vous voyez que
je suis bonne.
— Oh 1 oui. oui.. il y a si longtemps
que je souffre.
Et Robert cachait sa tête dans les mains,
les genoux de Jeanne, et sanglotait éper-
dûment.
Elle se dégagea sans violence, et, d'une
voix lente, continua :
— Seulement, mon pauvre ami, je ne
comprends pas l'amour comme vous ; et
vous, veut dire : les hommes. S'il vous suf-
fit de me voir, de vivre autour de moi, de
respirer mon air, eh bien, soit ! Cela vous
e:,t permis, je n'y vois pas d'encombre.
Mais pour toute autre chose, je deviens
sourde, je suis de glace, — et vous n'au-
rez pas plus.
Il s'était relevé, et, subitement amer,
tombé de très haut, il interrogea :
— En quoi donc êtes-vous faite ?
- En bois, en pierre, en marbre, en es
que vous vdudrez, mais en matière résis-
tante, mon ami. C'est ainsi.
— Eh bien ! à moi. vous voir, vivre au-
tour de vous, respirer votre air, tout cela.
ne me suffit pas. Je vous veux- tout
entière — à moi, âme et corps, — de l'or-
dinaire façon qu'on possède les femmes :
c'est encore la meilleure, croyez-le. -
— Peut-être, — mais ce n'est pas mon
avis. pour l'instant. Choisissez : ou vo-
tre parole d'être sage, ou l'éternel adieu.
FEUILLETON DU 23 AVRIL 1891
(17)
L'Éternelle Blessée
FAR
P- VXGNÊ D'OCTON
QUATRIÈME PARTIE
(Suite)
La vision rapide du viol traversa son
esprit. Il n'y crut pas ; sans doute
c'était le cauchemar qui le poursuivait
dans sa veille. Il se leva, se frotta les
yeux, fit quelques pas et se heurta à
quelque chose qui roula. C'était le pied
au verre. Il vit aussi la chaise renver-
sée et, sur la table, des assiettes à des-
sert, une coupe à fruits, une tasse à
café et le sucrier autour duquel volaient
des mouches.
Il s'affaissa sur un fauteuil, devant la
cheminée, au-dessous de la pendule
dont le tic-tac l'agaçait.
Comment! c'était lui, Jacques, qui
avait commis cette infamie ; c'était lui
l'auteur de cette turpitude, la brute hi-
deuse qui avait violé cette fille, cette
fille à laquelle jusque-là il n'avait point
fait attention ! Mais non, mille fois non,
il n'était pour rien dans ce crime ; il se
rappelait maintenant ; c'était un autre
que lui, un être sans formes, vague,
imprécis, comme il en voyait dans ses
songes, qui avait enveloppé son néant
de sa chair à lui, avait violemment ex-
pulsé son âme de son corps et, avant
qu'il eût pu l'en empêcher, s'était rué
sur la fille.
Illusion, mensonge que tout cela ;
S'était lui, c'était bien lui ; il sentait
encore, au seul souvenir de cet acte, un
frisson de bestiale volupté lui traverser
les moelles.
Alors il eut peur de ce qui allait sur-
venir ; Marcelle pouvait rentrer, sur-
prendre le désordre de la salle à man-
ger et deviner.
Il s'empressa de desservir la table,
mit les choses en place, et repoussa du
pied sous les meubles ce qui restait du
verre cassé. Tout cela, furtivement,
comme un gamin qui fait disparaître les
traces d'un mauvais coup.
Puis il se rassit et songea : que fe-
rait Françoise ? garderait-elle le si-
lence ? ou bien s'en irait-elle tout con-
ter à sa mère, et peut-être à Marcelle ?
Et il la vit éclatant en sanglots, faisant
au milieu de ses larmes le récit de son
déshonneur. Une image plus effrayante
se présenta. Il se vit pfein de honte,
accablé, balbutiant, sous le regard sé-
vère d'un juge d'instruction; mais aus-
sitôt il se rassura. Il se rappela que
Françoise s'était, avant de s'enfuir, je-
tée avec avidité sur la pièce d'or qu'il
lui avait donnée.
Il se réjouissait de cette impunité;
mais presque aussitôt il pâlit en son-
geant à Marcelle.
Est-ce qu'il ne l'aimait plus ?
Est-ce que la grande passion pour
elle s'était refroidie ? Non, il l'adorait
toujours; il l'affectionnait plus que ja-
mais, et tout à l'heure quand elle ren-
trerait, il lui dirait tout, lui avouerait
son étrange faiblesse.
Elle comprendrait cet accès de dé-
lire, cette folie des sens qui avait subi-
tement aboli sa conscience : on pren-
drait des arrangements nécessaires à
l'égard de Françoise, et on vivrait com-
me par le passé,
Ainsi il n'aurait pas trahi son ser-
ment.
Il se leva, fit quelquès pas dans la
salle, — satisfait. Alors sa pensée se
porta sur Lucienne Bouscarel, et il se
sentit étreint d'une angoisse nouvelle.
Il la voyait comme l'autre soir sur la
terrasse du jardin; sa fine tête brune
éclairée par la lune, le torse droit, les
yeux mi-clos s'ahandonnant langoureu-
sement à la volupté de cette nuit-tran-
quille, tandis que de sa bouche, comme
d'une grenade entr'ouverte, la mélodie
s'envolait vers le ciel lumineux.
Il frissonnait en songeant aux cares-
ses ardentes dont ses grands yeux
noirs étaient pleins.
Non ! puisque c'était là une fatalité à
laquelle nulle créature ne pouvait se
soustraire, mieux valait encore assou-
vir les besoins de sa chair misérable
avec cette fille des champs dont les ca-
resses seraient passives et qui du
moins ne prendrait que son corps et lui
laisserait son cœur.
Ce ne serait point là manquer à la
parole jurée; Marcelle, ignorant tout,
vivrait heureuse, et il aurait la con-
science tranquille.
- Un remords pourtant le torturait en-
core, il se rappelait avec tristesse tous
les beaux serments, de jadis : fidélité
absolue jusqu'à la mort. Alors il ouvrit
14chement son esprit à ce honteux rai-
sonnement : En s'en tenant à cette
paysanne, son rôle était encore bien
beau et son mérite très grand, car en-
fin Marcelle ne pouvait lui donner ce
que la loi des hommes considère comme
l'essence et la condition indispensable
du mariage. Et, malgré cela, non seu-
lement il n'avait pas demandé, quand
il le pouvait, à cette loi de rompre ce
contrat sans valeur, mais encore il
continuait à l'aimer et l'aimerait tou-
jours. Elle n'aurait jamais de rivale
dans son cœur.
Alors il songea à Françoise Souley-
rol, et ses sens excités par la récente
possession, s'allumant d'un nouveau
désir, il réfléchit aux moyens qu'il
pourrait employer pour la revoir au
plus tôt.
Gagnée par l'appât de l'or, elle fut à
partir de ce jour sa maîtresse, une
maîtresse passive et discrète.
III
En même temps commença pour Mar-
celle la période la plus heureuse de sa
vie. Jacques, complètement rétabli, re-
doublaitpour elle d'affection et d'em-
pressement; il était redevenu aussi
tendre, aussi aimant que jadis, et elle
se laissait vivre bercée par sa conti-
nuelle caresse, enveloppée par la cha-
leur de cette passion généreuse qui pa-
raissait désormais résignée.
Si elle avait atrocement souffert jus-
que-là de l'inexprimable fatalité qui
pesait sur sa vie, ce n'était pas pour
elle, ce nétait pas pour le regret du
plaisir d'amour qu'elle n'avait" jamais
goûté et dont elle n'avait que la très
vague intuition laissée par ses rêves
lascifs qui la faisait rougir encore;
non ! c'était pour lui, pour lui qu'elle se
désespérait de ne pouvoir rendre com-
plètement heureux.
Si elle avait vivement désiré l'é-
treinte qui de leurs deux corps n'en eût
fait qu'un, c'est qu'elle la croyait néces-
saire à la pénétration de leurs deux
âmes, et si elle avait obstinément rêvé
aux délirantes caresses en lesquelles
la raison se noie comme emportée
dans un torrent d'amour, c'est parce
que, pensait-elle, elle aurait emporté
aussi la tristesse de Jacques, cette tris-
tesse qui lui fit tant de mal.
Que lui importait à elle toutes ces
misères de notre pauvre humanité !
L'avoir toujours à ses côtés, se mirer
dans ses yeux, se griser de sa parole
harmonieuse et douce, il n'y avait pour
elle sur terrre de plus ardente volupté.
Et puisque lui, maintenant, pensait5
comme elle, son bonheur serait sans
mélange.
Quelle félicité de femme pouvait être
égale à la sienne? Y en avait-il une sur
terre, aimée de cet amour idéal extra-
humain si ardemment et si vainement
souhaité des âmes très tendres et très
pures ?
Jacques aussi était heureux et il
croyait à la sincérité de son amour
parce que, durant les caresses furtives
que Françoise recevait avec l'indiffé-
rence d'une courtisane, il fermait les
yeux et croyait posséder Marcelle.
Maintes fois hanté par la pensée de
Lucienne, un remords l'efneurait ; alors
il éprouvait le besoin de donner à sa
femme une preuve matérielle, palpable
de son amour :
— « Chère, » lui dit-il un jour en lui
montrant du doigt la colline de Roubi-
gnac qui bleuissait au soleil couchant,
avant que la brise d'automne ait doré
les ramures des frênes et des rouvres,
« que je serais heureux de revoir avec
toi ce coin de nos montagnes où, pour
la première fois, les yeux de nos ames
s'étant ouverts, nous comprîmes que
nous nous aimions; si tu veux, demain,
seuls comme deux fiancés, nous irons
revivre là-haut cette inoubliable jour-
née. »
Marcelle rougit de plaisir et répondit
par un baiser.
Pour n'être pas incommodés par la
chaleur, ils montèrent à l'aube; la jour-
née s'annonçait très belle, une journée
de fin d'été. Tous les parfums de la
nuit flottaient dans l'air, et des goutte-
lettes de rosée s évaporaient aux pre-
miers rayons de soleil. ----
Des deux côtés de l'étroit sentier, du
milieu des aubépins neigeux, montaient
des gazouillements, des pépiements et
des trilles sonores, tandis que des bruis-
sements d'ailes faisaient palpiter les
églantiers en fleur. Des rouges-gorges
se poursuivaient en picorant d'un bec
hardi les mûres brunissantes; dans la
mélancolique grisaille des ronciers, les
chardonnerets, par deux, se balançant,
jetaient la note éclatante de leurs mul-
ticolores plumules.
Il faisait très doux respirer et mar-
cher, et ils cheminaient enlacés, silen-
cieux, frémissants dans la griserie de
leur tendresse.
Ils arrivèrent sur le plateau, non loin
de l'ermitage, tout près d'une église
croulante dont les ruines étaient ense-
velies sous des fougères et des chévre-
feuilles; et, çà et làf comme jadis, ils
se mirent à cueillir des clochettes et
des campanules sauvages aux pistils
argentés, trébuchant, les pieds entor-
tillés dans les lambrusques, troublant
la picorée des merles et des grives qui
répondaient en sifflant aux éclats re-
tentissants de leur rire.
Soudain le rire de Jacques sonna
faux, car il venait de s'apercevoir qu'ils
étaient trois; l'image de Lucienne en-
fant avait surgi du milieu des chers
souvenirs évoqués. Comme autrefois il
la rudoyait, la chassait, mais comme
autrefois elle revenait, enjôleuse et câ-
line.
Ils étaient sous le châtaignier sécu-
laire qui avait abrité de son ombre leur
première rougeur d'amour.
Dans la niche d'écorce, comme jadis,
la Madone de bois leur souriait; com-
me jadis elle les regardait, et le temps,
en polissant ses yeux de verre, avait
élargi son regard.
Alors Marcelle, très émue, appuya sa
tête contre la poitrine de Jacques, et,
cherchant avidement ses lèvres, mur-
mura:
— « Que je suis heureuse et que je
t'aime! »
Et lui, très pâle se détourna de la
Vierge dont les traits grossièrement
sculptés avaient soudainement pris
l'expression des traits de Lucienne et
dont les yeux, comme les siens, lui ap-
paraissaient très grands, très noirs,
troublants et chargés de désir.
IV
Sur ces entrefaites, Françoise Sou-
leyrol se déclarait malade et deman-
dait, en pleurant, à sa maîtresse, l'au-
torisation d'aller quelque temps chez sa
mère pour s'y reposer et se rétablir.
Marcelle, qui, pour la première fois,
remarquait sa pâleur, la consola, lui
faisant entendre qu'il valait mieux
pour elle ne pas quitter la maison, ou
elle serait mieux soignée et plus vite
guérie.
Et, comme la petite insistait pour
s'en aller, elle la regarda et fut pénible-
ment étonnée de la bouffissure de ses
traits et des tâches brunâtres qui mar*
braient sa peau fine de blonde. -
(Lire la suite dans le prochain -- ,
numéro.)
ABONNEMENTS Au SUPPLÉMENT
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Trcïsmois »
Sîxmois a 180
Un M.- e •
5 cent. le NI
LtE manuscrits non insérés ne sont
pas rendus
SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE
PARAISSANT DEUX FOIS PAR SEMAINE
23 Avril 1891
ABOIREIEITS AU SUPPLÉIEIT
ÉTRANGER (OTHW POSTAL* UNIVERSELLE
Trois mois. 3fr.
Six mois « *
Un 10 9
le NI cent. 5
Les manuscrits non Insérés ne sont
pas rendus
SOMMAIRE
Rast MALEEROY : Philosophie.
MAURICE WONTÊGUT : Traits pour traits.
QBCAB MÉTÉNIER : Le Testament de la baronne.
Société du journal LA LANTERNE (Assemblée
générale ordinaire des Actionnaires).
GEORGES COURTELINE : Une Envie.
LAUJON 8T Hmi SiMon : La petite Frileu.
GEORGES D'ESPARBÈS : La Chanson.
CAMIILLE DE SAINTK-CROIX : Contes Secs.
Problèmes et Jeux d'Esprit.
MAX Ncm..— Causerie Financière.
Petite Correspondance.
P. VIGNE D'OCTON : L'Éternelle Blessée (feuilleton).
HONORE DE BALZAC : Les Célibataires (feuilleton).
GUSTAVE CLAUDIN : Les femmes jugées par le diable
(feuilleton).
J'ai du bon tabao (musique.)
PHILOSOPHIE
C'était au bout du quartier des Fontai-
nes après des terrains vagues, brûlés de
soleil, où les gitanos errants remisaient
leurs carrioles et où les garçons jouaient
aux boules le dimanche, au delà des jar-
1ins qu'abritent du mistral les cyprès ser-
PHILOSOPHIE
rés les uns contre leg autres en une haie
sombre et mouvante, des fabriques que
domine comme un arbre éhranché quel-
que géante cheminée de briques, des ca-
barets borgnes devant lesquels se balance
un bouquet poussiéreux de genévriers et
Où l'on boit du vin cuit en chantant et en
lutinant les jupes de la servante,—tout
au bout, presque au milieu des champs,—
que demeurait le capitaine Marius Cour-
tebaïsse, en une chartreuse large tout au
plus, avec son enclos, comme quelques
paires de draps qui sèchent étendus parmi
les herbes et les pierrailles.
Cela suffisait à ses goûts simples et ca-
saniers, et il ne s'y trouvait pas à l'étroit,
saniers, qu'il eût roulé aux quatre coins de la
bien
terre, tanné sa peau sous les embruns,
vogué avec de fabuleuses aventures d'o-
céan en océan, de pays en pays.
Ce pan de terre où poussaient de grêles
amandiers, de maladives fleurs, des légu-
mes, des vignes dont s'étalent les grappes
violettes à l'automne, cette tonnelle où
les clématites s'enchevêtraient et où il
dînait par les chaudes soirées, ces trois
chambres meublées de la plus étrange fa-
çon avec des lambeaux d'étoffes d'invrai
semblables meubles, d'exotiques bibelots,
des armes rouillées, lui semblaient un
royaume magnifique.
Il n'avait pas, comme les autres ma-
rins, la nostalgie des vastes horizons,
des étendues bleues, infinies d'où se
dégage on ne sait quelle mystérieuse at-
tirance. Il ne suivait pas d'un long regard
fixe les steamers qui s'en vont là-bas,
rayant le ciel de fumées noires, les trois-
mats qui, avec leurs voiles éployées, se
balancent comme de grands goélands pla-
nant au ras des vagues.
Heureux d'avoir jeté l'ancre, de ne plus
risquer sa vie du matin au soir et du soir
au matin en de continuelles foucades, il
s'accagnardait à la même place comme
un coquillage qui a trouvé quelque trou
de roche tapissé d'algues vertes et s'y
incruste, s'y enfonce, s'y engraisse.
Et ceux qui, sur la route, apercevaient
cette tête de vieux négrier, aux tons
bistreux comme le cuir d'une bourse
qui a traîné dans toutes les mains, les
balafres qui entaillent le front et les
joues, les sourcils en broussailles, les
cheveux qui débordaient en rudes éche-
veaux de laine d'un chapeau de paille
les doigts larges, épais, les yeux allumés
de brusques eclairs de chaleur, le corps
trapu et solide taillé pour les cognades
et les belles saoûleries, étaient éberlués
de le voir tranquillement arroser ses sa-
lades et ses balsamines, fumer sa pipe
avec des gestes de bourgeois paisible,
bavarder en compagnie d'une douzaine
de perruches vertes qui piaillaient sur
leurs perchoirs.
*
* *
Elles étaient alignées à cinq pas les
unes des autres devant la chaise du capi-
taine et les oiseaux ébouriffaient leurs
plumes, secouaient leurs chaînettes, bat-
taient des ailes, claquaient du bec, sif-
flaient, chantaient, radotaient les mêmes
mots, les mêmes phrases en un vacarme
qui eût épouvanté un pitre de foire.
D'autres leur répondaient de la maison.
Et à entendre ces jurons rudes de mathu-
rins, ces bouts de chansons qui traînent
le soir dans les rues diffamées des ports,
ces engueulades rauques qui se dispersent
sous le ciel bleu, ces app3ls libertins
comme il en sorr des lèvres avinées, des
portes qui bâillent sur quelque corridor
noir vaguement éclairé par une lampe fu-
meuse, l'on se serait cru en un bouge où
les rires se heurtent, où les gabiers en
bordée ont des filles sur chaque genou et
les dépoitraillent, les embrassant à pleine
bouche.
Les perruches imitaient à s'y méprendre
les traînantes inflexions, les brusques
éclats, les bégayantes ivresses, les cris
qui s'éteignaient en un hoquet, les rires
qui se déchaînent par saccade.
Elles savaient les couplets salés qui
narguent l'amour, les termes de bord, les
injures furieuses qui précèdent les que-
relles. Elles les répétaient en se dandi-
nant, en virant autour de leurs écuelles,
en clignant leurs rondes prunelies cou-
leur de cuivre, en gonflant la gorge, ma-
chinalement, comme elles auraient na-
sillé: « As-tu déjeuné Jacquot? » et la
ritournelle de « la Mère Michel qu'a perdu
son chat. »
Par instants, Courtebaïsse s'en appro-
chait, en emportait une sur son poing, lui
soufflait patiemment sa leçon, lui criait
durant une heure quelque salauderie im-
pudique, la lui apprenait syllabe par syl-
labe comme on enseigne à lire aux éco-
liers. 11 ne s'interrompait que pour mon-
ter du fond du puits le seau où rafraîchis-
saient sa bouteille d'absinthe et la carafe
et boire à lentes gorgées gourmandes un
breuvage savamment battu.
Le temps où il ne dormait pas, n'était
cas à table, ne courait pas derrière les
jupes tTuno gamine, s'écoulait ainsi à
dresser ses oiseaux, à leur enfoncer dans
le N'e JI cleo oH:olcHRA-t.ionR rlA-.Caserne
difficile lui servait à payer ses frais d'a-
mour, à acquitter ses dettes dans les nom-
breuses alcôves où, de ci, de là, il s'attar-
dait comme s il avait eu encore des reins
souples de moussaillon. -
Quand une femme voulait une perruche,
elle n'avait qu'à s'adresser au capitaine
Courtebaïsse, et si elle ne se dérobait pas
si elle consentait à lui donner quelques
heures de rêve, quelques secondes de
jouissance, et si elle lui frôlait le cou de
ses bras nus qui sentaient bon, le vieux
arrivait le lendemain avec, dans une cail,
son aumône accoutumée. Il donnait lui-
même la première représentation, dialo-
guait avec son oiseau, l'excitait, chantait
en même temps que lui, si drôlement que
la femme batlait des mains, se roulait sur
son lit, était plus heureuse d'être payée
en cette monnaie que s'il avait éparpillé
des banknotes sur la cheminée.
Et toujours à la fin, l'on refermait les
volets, l'on recommençait la fête inter-
rompue, l'on s'embrassait avec des rires
fous, tandis que la perruche, effarée par
ces brusques ténèbres sacrait, glapissait
tout son répertoire, vite, vite, comme on
débite les psaumes à vêpres, un dimanche
de printemps où le violonaire rôde sur la
place, son crincrin sous le bras.
*
* *
Il en éleva tant et tant, il en donna aux
blondes, aux rousses et aux brunes de la
ville avec une telle prodigalité que bien-
tôt. par certaines rues, l'on n'osa plus con-
duire en promenade les collégiens et les
petites pensionnaires.
Les ouvrières, les gamines jolies trot-
tant les yeux en l'air et le nez au vent,
s'arrêtaient par groupes, s'esclaffaient
sous les fenetres et les balcons, répon-
daient de leurs voix aiguës aux quolibets
des perruches.
Les dévotes se signaient en rougissant,
se sauvaient comme si elles avaient en-
tendu les clameurs du diable. C'était un
feu roulant qui se heurtait aux façades,
aux volets, qui retentissait dans la paix
silencieuse de ces rues aux galets frangés
de touffes d'herbes.
Il y en avait jusque dans les boutiques
des blanchisseuses, jusque dans les échop-
pes du port, jusque derrière les per-
siennes entre-closes des deux maisons de
la rue Millevierge.
Et le capitaine Marius Courtebaïsse ne
s'en portait pas plus mal, avait l'air crâne
et heureux, se livrait à son innocente ma-
nie avec le calme d'un philosophe qui a
beaucoup vu, beaucoup retenu et trouve
qu'après tout, rien ne vaut de belles lè-
vres rouges et charnues et une croupe de
femme éblouissante, rose et blanche, aux
fraîcheurs de marbre et une petite vigne
où, à pointe d'aube, l'on ramasse des es-
cargots, l'on cueille des grappes humides
de rosée, et une bastide où nul importun
ne vous gêne, où l'on mange sur du linge
qui fleure la lessive, où l'on dort dans de
beaux draps, souvent avec, à côté de soi,
une passagère maîtresse qu'on ne verra
plus le lendemain.
René Maizeroy.
TRAITS POUR TRAITS
Ils étaient seuls ; et les mots diffi-
cilement venus, traînaient entre eux,
vides de sens.
Ils parlaient pour parler, par peur du
silence, mais avec une telle indifférence
du sujet, un tel éloignement des choses
dites, qu'ils se sentaient ridicules et s'em-
barrassaient dans cette poursuite du
bruit.
Et cependant, depuis cinq ans qu'ils se
connaissaient bien, se rencontraient ici
ou la, trois fois la semaine, le champ
devait être vaste, aux cabrioles de l'es-
prit entre une femme jeune et un jeune
homme.
Mais ce soir-là, — soir d'été endormeur,
— les légers potins de leur monde futile
ne suffisaient plus.
Peu à peu, ils en étaient arrivés à
où l'épanchement est proche, la franchise
forcée, l'aveu prêt.
Il l'aimait — ardemment - depuis les
premiers jours. -
L'aimait-elle ? Il se l'était demandé
mille fois sans conclure. — Selon les
événements, les menues observations de
la semaine, tantôt il se répondait : Oui ;
tantôt il se répondait: Non.
Elle avait trente ans au moins, 11 en
comptait vingt-cinq à peine. Elle était
mariée, mais qu'importe 1 l'époux était
vieux, dédaigné, inutile, jamais là.
Au loin, sur les avenues tranquilles, la
nuit tombait, sereine, assourdissant les
rumeurs de la ville, et le vent mou, ber-
ceur, remuait lentement les cimes feuil-.
lues des platanes déjà roux.
Brusquement, il se leva, un peu pâle,—
et, marchant à grands pas au milieu du
salon, il essayait d'avoir du courage,
beaucoup de courage.
Elle le suivait des yeux, très calme en
apparence, et ne disait plus rien, elle
aussi fatiguée par l'effort des phrases ba-
nales.
Enfin, il s'arrêta devant elle; elle assise,
lui debout, la dominant de toute la taille,
plongeant ses yeux dans ses yeux.
— Mais vous savez bien que j'ai autre
chose à vous dire, — murmura-t-il.
Elle ne songea pas à s'étonner.
— Alors parlez. répliqua-t-elle.
— Vous le voulez?.
- Je le veux.
— Prenez garde !
— A quoi?
11 se laissa tomber sur une chaise au-
près d'elle.
Jeanne. fit-il.
C'était la première fois qu'il l'appelait
ainsi, et l'emploi de ce nom intime de la
femme annonçait comme une première
prise de possession.
Elle ne s'émut pas.
— Après.
— Voyons, soyez bonne, écoutez-moi,
vous savez bien que je vous aime, que je
ne pense qu'à vous et cela depuis si long-
temps qu'il me semble que ce fut tou-
jours ainsi. Je n'ai jamais rien osé
oser. Vous me déconcertez avec vos
longs regards, et j'ai cru que je mourrais
sans rien dire. puis, toujours, autour de
TRAITS POUR TRAITS
vous, gravite la myriade des admirateurs
passionnés dont je suis si jaloux et qui
me font tant de mai !. Mais ce soir, par
un hasard béni, une grâce de la Provi-
dence, nous voici seuls, sans yeux mau-
vais qui guettent, sans oreilles perfides
puur surprendre au vol un seul mot
échappé. permettez-moi de me mettre
à genoux, oui, comme cela, devant vous,
de vous prendre les mains — ainsi — et
de vous supplier avec des larmes — cela
m'est facile, hélas ! de m'aimer un peu,
moi qui vous aime tant ?
Et il était à genoux déjà; et déjà il lui
tenait les mains; et dans ses yeux dévoués
pointaient des brmes.
— Robert, vous êtes fou., oui, un fou,
un grand fou, mais un fou pas méchant,
bien gentil au contraire; vous n'êtes pas
ridicule dans cette pose, ce qui est rare.
Et, pour être sérieux, tel que vous êtes,
vous méritez d'être aimé. Vous voyez que
je suis bonne.
— Oh 1 oui. oui.. il y a si longtemps
que je souffre.
Et Robert cachait sa tête dans les mains,
les genoux de Jeanne, et sanglotait éper-
dûment.
Elle se dégagea sans violence, et, d'une
voix lente, continua :
— Seulement, mon pauvre ami, je ne
comprends pas l'amour comme vous ; et
vous, veut dire : les hommes. S'il vous suf-
fit de me voir, de vivre autour de moi, de
respirer mon air, eh bien, soit ! Cela vous
e:,t permis, je n'y vois pas d'encombre.
Mais pour toute autre chose, je deviens
sourde, je suis de glace, — et vous n'au-
rez pas plus.
Il s'était relevé, et, subitement amer,
tombé de très haut, il interrogea :
— En quoi donc êtes-vous faite ?
- En bois, en pierre, en marbre, en es
que vous vdudrez, mais en matière résis-
tante, mon ami. C'est ainsi.
— Eh bien ! à moi. vous voir, vivre au-
tour de vous, respirer votre air, tout cela.
ne me suffit pas. Je vous veux- tout
entière — à moi, âme et corps, — de l'or-
dinaire façon qu'on possède les femmes :
c'est encore la meilleure, croyez-le. -
— Peut-être, — mais ce n'est pas mon
avis. pour l'instant. Choisissez : ou vo-
tre parole d'être sage, ou l'éternel adieu.
FEUILLETON DU 23 AVRIL 1891
(17)
L'Éternelle Blessée
FAR
P- VXGNÊ D'OCTON
QUATRIÈME PARTIE
(Suite)
La vision rapide du viol traversa son
esprit. Il n'y crut pas ; sans doute
c'était le cauchemar qui le poursuivait
dans sa veille. Il se leva, se frotta les
yeux, fit quelques pas et se heurta à
quelque chose qui roula. C'était le pied
au verre. Il vit aussi la chaise renver-
sée et, sur la table, des assiettes à des-
sert, une coupe à fruits, une tasse à
café et le sucrier autour duquel volaient
des mouches.
Il s'affaissa sur un fauteuil, devant la
cheminée, au-dessous de la pendule
dont le tic-tac l'agaçait.
Comment! c'était lui, Jacques, qui
avait commis cette infamie ; c'était lui
l'auteur de cette turpitude, la brute hi-
deuse qui avait violé cette fille, cette
fille à laquelle jusque-là il n'avait point
fait attention ! Mais non, mille fois non,
il n'était pour rien dans ce crime ; il se
rappelait maintenant ; c'était un autre
que lui, un être sans formes, vague,
imprécis, comme il en voyait dans ses
songes, qui avait enveloppé son néant
de sa chair à lui, avait violemment ex-
pulsé son âme de son corps et, avant
qu'il eût pu l'en empêcher, s'était rué
sur la fille.
Illusion, mensonge que tout cela ;
S'était lui, c'était bien lui ; il sentait
encore, au seul souvenir de cet acte, un
frisson de bestiale volupté lui traverser
les moelles.
Alors il eut peur de ce qui allait sur-
venir ; Marcelle pouvait rentrer, sur-
prendre le désordre de la salle à man-
ger et deviner.
Il s'empressa de desservir la table,
mit les choses en place, et repoussa du
pied sous les meubles ce qui restait du
verre cassé. Tout cela, furtivement,
comme un gamin qui fait disparaître les
traces d'un mauvais coup.
Puis il se rassit et songea : que fe-
rait Françoise ? garderait-elle le si-
lence ? ou bien s'en irait-elle tout con-
ter à sa mère, et peut-être à Marcelle ?
Et il la vit éclatant en sanglots, faisant
au milieu de ses larmes le récit de son
déshonneur. Une image plus effrayante
se présenta. Il se vit pfein de honte,
accablé, balbutiant, sous le regard sé-
vère d'un juge d'instruction; mais aus-
sitôt il se rassura. Il se rappela que
Françoise s'était, avant de s'enfuir, je-
tée avec avidité sur la pièce d'or qu'il
lui avait donnée.
Il se réjouissait de cette impunité;
mais presque aussitôt il pâlit en son-
geant à Marcelle.
Est-ce qu'il ne l'aimait plus ?
Est-ce que la grande passion pour
elle s'était refroidie ? Non, il l'adorait
toujours; il l'affectionnait plus que ja-
mais, et tout à l'heure quand elle ren-
trerait, il lui dirait tout, lui avouerait
son étrange faiblesse.
Elle comprendrait cet accès de dé-
lire, cette folie des sens qui avait subi-
tement aboli sa conscience : on pren-
drait des arrangements nécessaires à
l'égard de Françoise, et on vivrait com-
me par le passé,
Ainsi il n'aurait pas trahi son ser-
ment.
Il se leva, fit quelquès pas dans la
salle, — satisfait. Alors sa pensée se
porta sur Lucienne Bouscarel, et il se
sentit étreint d'une angoisse nouvelle.
Il la voyait comme l'autre soir sur la
terrasse du jardin; sa fine tête brune
éclairée par la lune, le torse droit, les
yeux mi-clos s'ahandonnant langoureu-
sement à la volupté de cette nuit-tran-
quille, tandis que de sa bouche, comme
d'une grenade entr'ouverte, la mélodie
s'envolait vers le ciel lumineux.
Il frissonnait en songeant aux cares-
ses ardentes dont ses grands yeux
noirs étaient pleins.
Non ! puisque c'était là une fatalité à
laquelle nulle créature ne pouvait se
soustraire, mieux valait encore assou-
vir les besoins de sa chair misérable
avec cette fille des champs dont les ca-
resses seraient passives et qui du
moins ne prendrait que son corps et lui
laisserait son cœur.
Ce ne serait point là manquer à la
parole jurée; Marcelle, ignorant tout,
vivrait heureuse, et il aurait la con-
science tranquille.
- Un remords pourtant le torturait en-
core, il se rappelait avec tristesse tous
les beaux serments, de jadis : fidélité
absolue jusqu'à la mort. Alors il ouvrit
14chement son esprit à ce honteux rai-
sonnement : En s'en tenant à cette
paysanne, son rôle était encore bien
beau et son mérite très grand, car en-
fin Marcelle ne pouvait lui donner ce
que la loi des hommes considère comme
l'essence et la condition indispensable
du mariage. Et, malgré cela, non seu-
lement il n'avait pas demandé, quand
il le pouvait, à cette loi de rompre ce
contrat sans valeur, mais encore il
continuait à l'aimer et l'aimerait tou-
jours. Elle n'aurait jamais de rivale
dans son cœur.
Alors il songea à Françoise Souley-
rol, et ses sens excités par la récente
possession, s'allumant d'un nouveau
désir, il réfléchit aux moyens qu'il
pourrait employer pour la revoir au
plus tôt.
Gagnée par l'appât de l'or, elle fut à
partir de ce jour sa maîtresse, une
maîtresse passive et discrète.
III
En même temps commença pour Mar-
celle la période la plus heureuse de sa
vie. Jacques, complètement rétabli, re-
doublaitpour elle d'affection et d'em-
pressement; il était redevenu aussi
tendre, aussi aimant que jadis, et elle
se laissait vivre bercée par sa conti-
nuelle caresse, enveloppée par la cha-
leur de cette passion généreuse qui pa-
raissait désormais résignée.
Si elle avait atrocement souffert jus-
que-là de l'inexprimable fatalité qui
pesait sur sa vie, ce n'était pas pour
elle, ce nétait pas pour le regret du
plaisir d'amour qu'elle n'avait" jamais
goûté et dont elle n'avait que la très
vague intuition laissée par ses rêves
lascifs qui la faisait rougir encore;
non ! c'était pour lui, pour lui qu'elle se
désespérait de ne pouvoir rendre com-
plètement heureux.
Si elle avait vivement désiré l'é-
treinte qui de leurs deux corps n'en eût
fait qu'un, c'est qu'elle la croyait néces-
saire à la pénétration de leurs deux
âmes, et si elle avait obstinément rêvé
aux délirantes caresses en lesquelles
la raison se noie comme emportée
dans un torrent d'amour, c'est parce
que, pensait-elle, elle aurait emporté
aussi la tristesse de Jacques, cette tris-
tesse qui lui fit tant de mal.
Que lui importait à elle toutes ces
misères de notre pauvre humanité !
L'avoir toujours à ses côtés, se mirer
dans ses yeux, se griser de sa parole
harmonieuse et douce, il n'y avait pour
elle sur terrre de plus ardente volupté.
Et puisque lui, maintenant, pensait5
comme elle, son bonheur serait sans
mélange.
Quelle félicité de femme pouvait être
égale à la sienne? Y en avait-il une sur
terre, aimée de cet amour idéal extra-
humain si ardemment et si vainement
souhaité des âmes très tendres et très
pures ?
Jacques aussi était heureux et il
croyait à la sincérité de son amour
parce que, durant les caresses furtives
que Françoise recevait avec l'indiffé-
rence d'une courtisane, il fermait les
yeux et croyait posséder Marcelle.
Maintes fois hanté par la pensée de
Lucienne, un remords l'efneurait ; alors
il éprouvait le besoin de donner à sa
femme une preuve matérielle, palpable
de son amour :
— « Chère, » lui dit-il un jour en lui
montrant du doigt la colline de Roubi-
gnac qui bleuissait au soleil couchant,
avant que la brise d'automne ait doré
les ramures des frênes et des rouvres,
« que je serais heureux de revoir avec
toi ce coin de nos montagnes où, pour
la première fois, les yeux de nos ames
s'étant ouverts, nous comprîmes que
nous nous aimions; si tu veux, demain,
seuls comme deux fiancés, nous irons
revivre là-haut cette inoubliable jour-
née. »
Marcelle rougit de plaisir et répondit
par un baiser.
Pour n'être pas incommodés par la
chaleur, ils montèrent à l'aube; la jour-
née s'annonçait très belle, une journée
de fin d'été. Tous les parfums de la
nuit flottaient dans l'air, et des goutte-
lettes de rosée s évaporaient aux pre-
miers rayons de soleil. ----
Des deux côtés de l'étroit sentier, du
milieu des aubépins neigeux, montaient
des gazouillements, des pépiements et
des trilles sonores, tandis que des bruis-
sements d'ailes faisaient palpiter les
églantiers en fleur. Des rouges-gorges
se poursuivaient en picorant d'un bec
hardi les mûres brunissantes; dans la
mélancolique grisaille des ronciers, les
chardonnerets, par deux, se balançant,
jetaient la note éclatante de leurs mul-
ticolores plumules.
Il faisait très doux respirer et mar-
cher, et ils cheminaient enlacés, silen-
cieux, frémissants dans la griserie de
leur tendresse.
Ils arrivèrent sur le plateau, non loin
de l'ermitage, tout près d'une église
croulante dont les ruines étaient ense-
velies sous des fougères et des chévre-
feuilles; et, çà et làf comme jadis, ils
se mirent à cueillir des clochettes et
des campanules sauvages aux pistils
argentés, trébuchant, les pieds entor-
tillés dans les lambrusques, troublant
la picorée des merles et des grives qui
répondaient en sifflant aux éclats re-
tentissants de leur rire.
Soudain le rire de Jacques sonna
faux, car il venait de s'apercevoir qu'ils
étaient trois; l'image de Lucienne en-
fant avait surgi du milieu des chers
souvenirs évoqués. Comme autrefois il
la rudoyait, la chassait, mais comme
autrefois elle revenait, enjôleuse et câ-
line.
Ils étaient sous le châtaignier sécu-
laire qui avait abrité de son ombre leur
première rougeur d'amour.
Dans la niche d'écorce, comme jadis,
la Madone de bois leur souriait; com-
me jadis elle les regardait, et le temps,
en polissant ses yeux de verre, avait
élargi son regard.
Alors Marcelle, très émue, appuya sa
tête contre la poitrine de Jacques, et,
cherchant avidement ses lèvres, mur-
mura:
— « Que je suis heureuse et que je
t'aime! »
Et lui, très pâle se détourna de la
Vierge dont les traits grossièrement
sculptés avaient soudainement pris
l'expression des traits de Lucienne et
dont les yeux, comme les siens, lui ap-
paraissaient très grands, très noirs,
troublants et chargés de désir.
IV
Sur ces entrefaites, Françoise Sou-
leyrol se déclarait malade et deman-
dait, en pleurant, à sa maîtresse, l'au-
torisation d'aller quelque temps chez sa
mère pour s'y reposer et se rétablir.
Marcelle, qui, pour la première fois,
remarquait sa pâleur, la consola, lui
faisant entendre qu'il valait mieux
pour elle ne pas quitter la maison, ou
elle serait mieux soignée et plus vite
guérie.
Et, comme la petite insistait pour
s'en aller, elle la regarda et fut pénible-
ment étonnée de la bouffissure de ses
traits et des tâches brunâtres qui mar*
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