Titre : La Lanterne : journal politique quotidien
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1881-05-21
Contributeur : Flachon, Victor. Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 21 mai 1881 21 mai 1881
Description : 1881/05/21 (A5,N1501). 1881/05/21 (A5,N1501).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG33 Collection numérique : BIPFPIG33
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k75009548
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-54
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/08/2012
La Lanterne
ADMINISTRATION, REDACTION ET ANNONCES
A PARIS
< —— Rue coq-uérelm — S
in mUete» mi vùéro tm seront pat rend*
Abonnements : Pari.,.
TROIS MOIS. 5 FR.
VX MOIS**.(«• 9 fB.
M AN. 18 FR.
JOURNAL, POLITIQUE
QUOTIDIEN -'p
01 NUMÉRO : 5 CEIfcIMES
Abonnements : Dépuitemb
Taola MOIS. 6nu
SIS MOIS.i«t 12 n.
OtAW*«*<~t~ - lé Sb
CINQUIÈME ANNEE. — NUMÉRO 1
'.of',
Samedi 21 mai 1831 ( 2 prairial an 89)
LE SCRUTIN DE LISTE
LE SCRUTIN DE LISTE
La grande bataille depuis six mois
engagée entre le scrutin de liste et le
scrutin d'arrondissement s'est terminée
par la victoire du principe républicain.
Malgré la vaillance avec laquelle ils se
iont retranchés derrière le scrutin se-
eret, les virtuoses de l'arrondissement
ont manqué, de huit voix, le succès
qu'ils avaient escompté déjà.
C'en est fait du député de Molinchard,
correspondant universel des notabilités
de canton, commissionnaire attitré des
postulants et des quémandeurs auprès
des ministères, et dont l'épouse, au
besoin, faisait un bon marché des achats
de la clientèle électorale.
Les députés qui composeront la Cham-
bre prochaine. auront cet honneur d'ê-
tre les représentants de la France, et
son plus les mandataires d'une poignée
de solliciteurs. Ce n'est pas que cette
victoire n'ait été disputée. Jusqu'au der-
nier moment, l'incertitude était com-
plète, et les intérêts personnels, tou-
jours âpres dans leur défense, se sont
jusqu'à la fin vigoureusement débat-
tus.
L'aspect même de la séance révélait
suffisamment la portée des débats et
faisait pressentir les résultats électo-
raux que pouvait avoir le vote. C'est sur
les bancs du centre que se trouvaient
surtout, en phalanges serrées, les par-
tisans du scrutin d'arrondissement.
C'est parmi ces notabilités, toutes
particulières, que possède la Charnue,
parmi ces députés dont les noms ne sont
connus que parce qu'on ne connaît pas
leurs personnes, c'est parmi ces illus-
tres obscurs, qui se signalent par leur
silence, que se trouvaient les plus
acharnés défenseurs de la politique de
clocher.
Beaucoup de centre-gauchers et tout
le commun des martyrs, voilà de quoi se
composait l'armée de M. Boysset.
Ceux-là combattaient pour l'existence;
ils savaient d'avance que, dans une élec.
tion vraiment politique, où se manifes-
terait, vraiment et sincèrement, l'opi-
nion vraie du pays, leur candidature
était condamnée. C'est donc, d'après l'a-
veu même qu'implique le vote, la dispa-
rition assurée de ce qu'on appelle, en
argot parlementaire, les modérés, c'est-
à-dire les impuissants.
Les élections prochaines seront radi-
cales : voilà ce que signifie le vote d'au-
jourd'hui. Et c'est la conscience même
que chacun avait de Popinion du pays
qui a fait la victoire du scrutin de liste.
C'est la nécessité de s'accentuer et de
prendre, devant les populations, une at-
titude conforme aux sentiments radicaux
du pays qui a rallié les hésitants.
Il est vrai que pour obtenir ce résultat,
M. Gambetta s'est vu. forcé de prendre
des engagements qu'il est bon de rete-
ir. Il a répudié solennellement toute
pensée d'élections multiples, affectant
un caractère plébiscitaire. Quelle que
peut être, à cet égard, sa pensée intime
il est certain que le sentiment presque
unanime du parti républicain suffirait à
lui - forcer la main.
C'est là un fait dont nous tenons à
prendre acte, ayant nous-mêmes signalé
la nécessité de cette condition, sans la-
quelle, en effet, il pouvait y avoir un
danger dans le scrutin de liste. Cette
nécessité, subie par M: Gambetta, nous
paraît un fait considérable. Cela prouve
qu'il n'est point facile, même au plus
habile des parlementaires, même au plus
audacieux des politiques, d'imposer sa
dominationl et sa dictature à une opi-
nion publique qui se défend.
LES CHAMBRES.
La Journée parlementaire
LA CHAMBRE
La séance d'aujourd'hui, qu'on peut appeler
la grande séance, est sans contredit la plus
importante, non-seulement de la session, mais
encore de toute la législature. -1
Au début, M. Ferry, président du conseil,
a déposé sur le bureau, et lu sur l'invitation
de toute la Chambre, le traité conclu avec le
bey a Tunis, dont nous donnons le texte offi-
ciel dans le corps du journal.
*
* *
Voilà pour la première partie. La seconde a
été amplement remplie par la discussion de la
fameuse proposition de loi de M. Bardoux,
sur le scrutin de liste. Son auteur a pris le
premier la parole.
Le scrutin de liste, dit-il, est par excellence
le scrutin d'une Republique où le Parlement
est tout-puissant; il a pour effet de concentrer
les forces que le scrutin uninominal éparpille.
La force politique réside dans le suffrage
universel; elle représente l'opinion publique,
c'est l'opinion publique qui la dirige.
S'il en est ainsi, il ne peut y avoir une poli-
tique d'intérêts d'arrondissement, il ne peut y
avoir qu'une politique des intérêts de la nation
et les députés ne peuvent être que les repré-
sentants de la nation, en se rapprochant le plus
possible de son unité, et non pas de son émiet-
tement. - ., H
- Le député d'un département entier aura une
mission plus respectable que le député d'une
ville, et s'il pouvait être le député de la nation
tout entière, on serait arrivé au maximum de
la perfection. Voilà l'idée juste.
Le scrutin de liste que nous vous deman-
dons est le moyen le plus sensé, le plus prati-
que de nous rendre compte des vœux du
pays.
Ce que nous voulons, cest créer ici un grand
parti de gouvernement, créer des mœurs politi-
ques qui nous permettent de compléter l'édu-
cation politique du pays; l'heure est venue
d'ouvrir les rangs et de faire appel à tous ceux
qui veulent servir la démocratie et la Républi-
que, sans exception.
* *
M. Roger, un inconnu parlementaire qui ne
manque pas de talent, mais qui apprécie mal ;
plus soucieux de laforme que de l'idée et moins
logique qu'il n'a l'air de l'être, répond à M.
Èardoux.
I! arbore les couleurs du scrutin d'arrondis-
sement. C'est une dette de reconnaissance qu'il
pave à son clocher, évidemment; c'est là sa
seule excuse, car M. Roger vaut mieux que sa
thèse, il est certainement capable de faire
bonne figure sur une liste.
Il se demande s'il y a lieu de remplacer le
scrutin actuel par un autre mode de consulta-
tion électorale.
C'est mesquin comme idée ; nous eussions
préféré voir M. Roger chercher non ce qu'il y
a de moins mauvais, mais ce qu'il y a de bon.
11 essaye de dire que la question dont on s'oc-
cupe n'est qu'une affaire de méthode, que le
principe reste intact.
Le principe pour M. Roger c'est la souverai-
neté du peuple.
S'étant, par cette déclaration plus subtile que
juste, mis un peu a l'abri, M. Roger trouvé lé?
méthode mauvaise; il craint ses résultats, fait
quelques objections plus spécieuses que nou-
~velles, et sans s en apei catewir, temtmmamJiÊM—
série de lieux communs assez habilement ha*
billés.
Il fait du triomphe des 363 un argument eD
faveur du scrutin d'arrondissement ; mais il 9
la main malheureuse, car c'est justement cette
argumentation qui amène M. Gambetta à de*
mander la parole.
ft *' \*
A partir de ce moment, la Chambre n'écoute
plus. L'élu de Belleville va parler; c'est offi-
ciel. Que va-t-il dire? Tout l'intérêt est là.
M. Roger continue son discours pour la for-
me, tout comme un acteur de troisième or
débite son rôle, en attendant que le ténor e
vedette vienne chanter son grand morceau.
C'est à peine s'il se fait écouter de quelques
uns, lorsqu'il développe un argument un peu
moins démodé que les autres, tendant à établir
que le scrutin de liste pourrait bien amen
dans la Chambre quelques réactionnaires do*
plus. : a
A ce moment, M. Gambetta entre'en scène! Il
quitte la place qu'il occupait depuis le début
de la séance, entre MM. Douville-Maillefeu et
Antonin Dubost, du côte gauche de l'Assem-
blée, et monte à la tribune sans empressement
et sans dignité, en homme convaincu que là
plastique est étrangère à la politique, et que
l'homme le plus antidécoratif peut rewlirnel
comme un gant une assemblée avec certains
arguments, prononcés de certaine façon. v
Discours de M. Gambetta
1
Si j'entre dans ce débat, dit-il, ce n'est pas pour ré-
pondre à des allusions ou à des insinuations person*
nelles, je n'ai pas à me défendre de visées qui se*
raient criminelles ou ridicules, quel que soit le ré-
sultat du vote, et je me garderais de chercher. dans
des conflits électoraux, une satisfaction indigne d*
tout homme politique.
L'orateur continue en affirmant quil a trop bien
montré son respect pour la Constitution pour vou-:
loir jamais chercher à mettre en échec le pouvoir
exécutif, qui est la plus haute représentation du..
pavs; mais les précédents qu'on a invoqués sonti
peut-être l'argument le plus décisif qu'on puisse
fournir à l'appui du scrutin de liste. L'assemblée de
1848, par exemple, contenait tous les hommes emi-
nents de l'époque ; c'est peut-être la plus grande
assemblée qu'il y ait eu eri France .dans le siècle'
lictucî j f
Si l'Assemblée nationale de 1849 a été moins bien
composée et a conduit à la dictature, c'est que la *
scrutin de liste était organisé sur des bases défec-
tueuses ; mais il ne s'agit pas de restaurer ce ré-
gime électoral. Vers la fin de l'empire, un projet da:
scrutin de liste fut élaboré par l'opposition sous la;
présidence de M. Jules Grévy ; tous les républi-
cains étaient alors favorables au scrutin de liste. ;
Imagine-t-on ce qu'eut été l'Assemblée de 1871, si
elle avait été élue au scrutin uninominal ? banal
doute, cette Assemblée n'a pas été telle qu'on pou-
vait la souhaiter ; mais le pays est vite revenu sur.
ses premiers votes, et son verdict, s'il eût été rendu,
par arrondissements, n'aurait pas eu l'autorité qu n
De 187 i à 187j, toutes les fois que le- pays a êti¡
consulté, l'entrée au Parlement d'un député répu-
blicain a pesé sur les affaires publiques de tout la
poids du pays; c'est au scrutin de liste qu'a été au
raffermissement de la République.
C'était alors la réaction qui proposait de substitue?
le scrutin d'arrondissement au scrutin de liste pour
pouvoir pratiquer la candidature officielle; le scru-
tin d'arrondissement a triomphé, et 1 on se proposait1
de s'en servir pour faire ccbec a la République. Lit,
France, encore tout imprégnée de l'esprit du scru-
tin de liste, ne céda pas, et elle envoya siéger dans
cette enceinte ceux qui y sont encore; le pouvoir
FEUILLETON DU U MAI lqgi.
y ■ ■■ ! 1
* 105
BAYONNETTE
HISTOIRE D'UNE JOLIE FILLE
■ i.. • s.
..1.1 DEUXIÈME PABVlfi
DESHONOREE POUR L'HONNEUR
LX
Ah ? tiRe) plaisir d'être papa!
— Suite —
» Le métayer, gros paysan sans éduca-
tion, passait sa journée à surveiller ses
terres, puis, le soir, il s'enivrâit jusqu'à
n'en plus pouvoir parler, embrassait ses
liQrribles moutards et ne manquait jamais
de me battre. Quant à sa femme, ma nour-
ricière, elle ne s'occupait de moi que pour
me faire ~er. et n'eût pas prison de
ces soins qu'exige constamment le jeune
âge.
» Mon caractère était doux pourtant,
je ne pleurais que lorsque l'on m'avait fait
bien au mal; encore, un instant après, al-
lais-je mendier une caresse qui m était im-
pitoyablement refusée.
» Je quittai cette maison inhospitalière
vers quatre aus, et fus placée pour deux
années chez une femme plus ignoble en-
core.
» Ma petite intelligence commençait à se
développer, et je me rappelle aujourd'hui
même des scènes que je voyais se passer
devant mes yeux.
» J'étais dans un espèce de cabaret bor-
gne, rendez-vous infâme des pins hideuses
prostituées et de leurs souteneurs, où se
buvait du vin à la journée, au milieu des
chansons et des gestes obscènes. Je me
rappelle bien qu'une de ces femmes vouées
à la honte m'avait prise en affection et de-
mandé à m'élever avec elle ; mais on lui
répondit que ma famille était riche et n'y
consentirait jamais.
» Le jour où j'eus mes six ans, une vieille
femme fort laide vint me prendre dans ce
bouge et me fit parer de mes plus beaux
vêtements.
» - Yais-je voir maman? lui demandai-
je.
» Plus tard, fit-elle.
» Pun, sans m'embrasser, sans me rien
dire,elle m'entraîna dansun couvent ou plu-
tôt un pensionnat, où, en arrivant, elle fut
immédiatement reçue chez la supérieure
qui l'attendait.
» Je pleurai beaucoup quand je la vis
s'en retourner, sans me donner un encou-
ragement et sans même me faire un geste
d'adieu.
» f_a supérieure me garda la soirée chez
elle et m'indiqua ma nouvelle ligne de
conduite.
» Avant de me congédier pour aller re-
trouver les autres pensionnaires, elle m'em-
brassa en disant :
» - Bon courage, bébé, il faudra bien
travailler pour devenir bien savante.
» - Ce baiser, qui ne paraissait proba-
blement que peu de chose à celle qui en
était l'auteur, me dilata le cœur et me fit
un bien immense. C'est, je crois, le premier
que j'ai reçu de ma vie. Je la quittai en lui
demandant de vouloir bien me permettre
de l'aimer de tontes mes forces; elle m'em-
brassa encore et me congédia.
» Je me sentais déjà dans un milieu plus
sain, et j'eus vite créé des relations inti-
mes avec mes nouvelles camarade s, aujour-
d'hui pour la plupart grandes dames, et
que je suis obligée de ne plus voir ja-
mais.
» Quand on me vit arrivée à an âge où
te pouvais comprendre les choses les plus
sérieuses, ma bonne supérieure, qui m'af-
fectionnait tendrement, me fit appeler eu*,
me dit : 1
» — Votre famille vous destine à une
carrière pour laquelle vous me semblez
avoir de grandes aptitudes. Une fois vos
études terminées, on vous apprendra le
professorat, ce qui vous permettra de de-i
venir institutrice dans une grande famille,
et plus tard de contracter un mariage digne!
de vous. Allez, ma chère enfant, tout la
monde ici est enchanté de vos bonnes dis-
positions, je vous assure de la réussite. 'j
» De ce jour, je me livrai avec ardeur
aux études les plus difficiles ; aussi, à seize
ans, savais-je déjà tout ce que l'on pouvait
m'apprendre dans mon cher couvent.
» A cette époque, la même vieille damoi
laide, qui m'avait amenée dix années plufi1
tut, vint me chercher, me dit d'emporter
avec moi tout ce que je pouvais posséder,
me fit monter en voiture et me conduisit
quai Voltaire, dans un appartement qu'elle
avait retenu à mon intèntion.
» Arrivées là, elle me fit signe de m7as-,'
seoir, se mit en face de moi, tira quelques
papiers d'un sachet de cuir de Russie et 2x1*1*
dit ces simples paroles :
ALEXIS BOUVIER
{La suite à (kmairkJ
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CINQUIÈME ANNEE. — NUMÉRO 1
'.of',
Samedi 21 mai 1831 ( 2 prairial an 89)
LE SCRUTIN DE LISTE
LE SCRUTIN DE LISTE
La grande bataille depuis six mois
engagée entre le scrutin de liste et le
scrutin d'arrondissement s'est terminée
par la victoire du principe républicain.
Malgré la vaillance avec laquelle ils se
iont retranchés derrière le scrutin se-
eret, les virtuoses de l'arrondissement
ont manqué, de huit voix, le succès
qu'ils avaient escompté déjà.
C'en est fait du député de Molinchard,
correspondant universel des notabilités
de canton, commissionnaire attitré des
postulants et des quémandeurs auprès
des ministères, et dont l'épouse, au
besoin, faisait un bon marché des achats
de la clientèle électorale.
Les députés qui composeront la Cham-
bre prochaine. auront cet honneur d'ê-
tre les représentants de la France, et
son plus les mandataires d'une poignée
de solliciteurs. Ce n'est pas que cette
victoire n'ait été disputée. Jusqu'au der-
nier moment, l'incertitude était com-
plète, et les intérêts personnels, tou-
jours âpres dans leur défense, se sont
jusqu'à la fin vigoureusement débat-
tus.
L'aspect même de la séance révélait
suffisamment la portée des débats et
faisait pressentir les résultats électo-
raux que pouvait avoir le vote. C'est sur
les bancs du centre que se trouvaient
surtout, en phalanges serrées, les par-
tisans du scrutin d'arrondissement.
C'est parmi ces notabilités, toutes
particulières, que possède la Charnue,
parmi ces députés dont les noms ne sont
connus que parce qu'on ne connaît pas
leurs personnes, c'est parmi ces illus-
tres obscurs, qui se signalent par leur
silence, que se trouvaient les plus
acharnés défenseurs de la politique de
clocher.
Beaucoup de centre-gauchers et tout
le commun des martyrs, voilà de quoi se
composait l'armée de M. Boysset.
Ceux-là combattaient pour l'existence;
ils savaient d'avance que, dans une élec.
tion vraiment politique, où se manifes-
terait, vraiment et sincèrement, l'opi-
nion vraie du pays, leur candidature
était condamnée. C'est donc, d'après l'a-
veu même qu'implique le vote, la dispa-
rition assurée de ce qu'on appelle, en
argot parlementaire, les modérés, c'est-
à-dire les impuissants.
Les élections prochaines seront radi-
cales : voilà ce que signifie le vote d'au-
jourd'hui. Et c'est la conscience même
que chacun avait de Popinion du pays
qui a fait la victoire du scrutin de liste.
C'est la nécessité de s'accentuer et de
prendre, devant les populations, une at-
titude conforme aux sentiments radicaux
du pays qui a rallié les hésitants.
Il est vrai que pour obtenir ce résultat,
M. Gambetta s'est vu. forcé de prendre
des engagements qu'il est bon de rete-
ir. Il a répudié solennellement toute
pensée d'élections multiples, affectant
un caractère plébiscitaire. Quelle que
peut être, à cet égard, sa pensée intime
il est certain que le sentiment presque
unanime du parti républicain suffirait à
lui - forcer la main.
C'est là un fait dont nous tenons à
prendre acte, ayant nous-mêmes signalé
la nécessité de cette condition, sans la-
quelle, en effet, il pouvait y avoir un
danger dans le scrutin de liste. Cette
nécessité, subie par M: Gambetta, nous
paraît un fait considérable. Cela prouve
qu'il n'est point facile, même au plus
habile des parlementaires, même au plus
audacieux des politiques, d'imposer sa
dominationl et sa dictature à une opi-
nion publique qui se défend.
LES CHAMBRES.
La Journée parlementaire
LA CHAMBRE
La séance d'aujourd'hui, qu'on peut appeler
la grande séance, est sans contredit la plus
importante, non-seulement de la session, mais
encore de toute la législature. -1
Au début, M. Ferry, président du conseil,
a déposé sur le bureau, et lu sur l'invitation
de toute la Chambre, le traité conclu avec le
bey a Tunis, dont nous donnons le texte offi-
ciel dans le corps du journal.
*
* *
Voilà pour la première partie. La seconde a
été amplement remplie par la discussion de la
fameuse proposition de loi de M. Bardoux,
sur le scrutin de liste. Son auteur a pris le
premier la parole.
Le scrutin de liste, dit-il, est par excellence
le scrutin d'une Republique où le Parlement
est tout-puissant; il a pour effet de concentrer
les forces que le scrutin uninominal éparpille.
La force politique réside dans le suffrage
universel; elle représente l'opinion publique,
c'est l'opinion publique qui la dirige.
S'il en est ainsi, il ne peut y avoir une poli-
tique d'intérêts d'arrondissement, il ne peut y
avoir qu'une politique des intérêts de la nation
et les députés ne peuvent être que les repré-
sentants de la nation, en se rapprochant le plus
possible de son unité, et non pas de son émiet-
tement. - ., H
- Le député d'un département entier aura une
mission plus respectable que le député d'une
ville, et s'il pouvait être le député de la nation
tout entière, on serait arrivé au maximum de
la perfection. Voilà l'idée juste.
Le scrutin de liste que nous vous deman-
dons est le moyen le plus sensé, le plus prati-
que de nous rendre compte des vœux du
pays.
Ce que nous voulons, cest créer ici un grand
parti de gouvernement, créer des mœurs politi-
ques qui nous permettent de compléter l'édu-
cation politique du pays; l'heure est venue
d'ouvrir les rangs et de faire appel à tous ceux
qui veulent servir la démocratie et la Républi-
que, sans exception.
* *
M. Roger, un inconnu parlementaire qui ne
manque pas de talent, mais qui apprécie mal ;
plus soucieux de laforme que de l'idée et moins
logique qu'il n'a l'air de l'être, répond à M.
Èardoux.
I! arbore les couleurs du scrutin d'arrondis-
sement. C'est une dette de reconnaissance qu'il
pave à son clocher, évidemment; c'est là sa
seule excuse, car M. Roger vaut mieux que sa
thèse, il est certainement capable de faire
bonne figure sur une liste.
Il se demande s'il y a lieu de remplacer le
scrutin actuel par un autre mode de consulta-
tion électorale.
C'est mesquin comme idée ; nous eussions
préféré voir M. Roger chercher non ce qu'il y
a de moins mauvais, mais ce qu'il y a de bon.
11 essaye de dire que la question dont on s'oc-
cupe n'est qu'une affaire de méthode, que le
principe reste intact.
Le principe pour M. Roger c'est la souverai-
neté du peuple.
S'étant, par cette déclaration plus subtile que
juste, mis un peu a l'abri, M. Roger trouvé lé?
méthode mauvaise; il craint ses résultats, fait
quelques objections plus spécieuses que nou-
~velles, et sans s en apei catewir, temtmmamJiÊM—
série de lieux communs assez habilement ha*
billés.
Il fait du triomphe des 363 un argument eD
faveur du scrutin d'arrondissement ; mais il 9
la main malheureuse, car c'est justement cette
argumentation qui amène M. Gambetta à de*
mander la parole.
ft *' \*
A partir de ce moment, la Chambre n'écoute
plus. L'élu de Belleville va parler; c'est offi-
ciel. Que va-t-il dire? Tout l'intérêt est là.
M. Roger continue son discours pour la for-
me, tout comme un acteur de troisième or
débite son rôle, en attendant que le ténor e
vedette vienne chanter son grand morceau.
C'est à peine s'il se fait écouter de quelques
uns, lorsqu'il développe un argument un peu
moins démodé que les autres, tendant à établir
que le scrutin de liste pourrait bien amen
dans la Chambre quelques réactionnaires do*
plus. : a
A ce moment, M. Gambetta entre'en scène! Il
quitte la place qu'il occupait depuis le début
de la séance, entre MM. Douville-Maillefeu et
Antonin Dubost, du côte gauche de l'Assem-
blée, et monte à la tribune sans empressement
et sans dignité, en homme convaincu que là
plastique est étrangère à la politique, et que
l'homme le plus antidécoratif peut rewlirnel
comme un gant une assemblée avec certains
arguments, prononcés de certaine façon. v
Discours de M. Gambetta
1
Si j'entre dans ce débat, dit-il, ce n'est pas pour ré-
pondre à des allusions ou à des insinuations person*
nelles, je n'ai pas à me défendre de visées qui se*
raient criminelles ou ridicules, quel que soit le ré-
sultat du vote, et je me garderais de chercher. dans
des conflits électoraux, une satisfaction indigne d*
tout homme politique.
L'orateur continue en affirmant quil a trop bien
montré son respect pour la Constitution pour vou-:
loir jamais chercher à mettre en échec le pouvoir
exécutif, qui est la plus haute représentation du..
pavs; mais les précédents qu'on a invoqués sonti
peut-être l'argument le plus décisif qu'on puisse
fournir à l'appui du scrutin de liste. L'assemblée de
1848, par exemple, contenait tous les hommes emi-
nents de l'époque ; c'est peut-être la plus grande
assemblée qu'il y ait eu eri France .dans le siècle'
lictucî j f
Si l'Assemblée nationale de 1849 a été moins bien
composée et a conduit à la dictature, c'est que la *
scrutin de liste était organisé sur des bases défec-
tueuses ; mais il ne s'agit pas de restaurer ce ré-
gime électoral. Vers la fin de l'empire, un projet da:
scrutin de liste fut élaboré par l'opposition sous la;
présidence de M. Jules Grévy ; tous les républi-
cains étaient alors favorables au scrutin de liste. ;
Imagine-t-on ce qu'eut été l'Assemblée de 1871, si
elle avait été élue au scrutin uninominal ? banal
doute, cette Assemblée n'a pas été telle qu'on pou-
vait la souhaiter ; mais le pays est vite revenu sur.
ses premiers votes, et son verdict, s'il eût été rendu,
par arrondissements, n'aurait pas eu l'autorité qu n
De 187 i à 187j, toutes les fois que le- pays a êti¡
consulté, l'entrée au Parlement d'un député répu-
blicain a pesé sur les affaires publiques de tout la
poids du pays; c'est au scrutin de liste qu'a été au
raffermissement de la République.
C'était alors la réaction qui proposait de substitue?
le scrutin d'arrondissement au scrutin de liste pour
pouvoir pratiquer la candidature officielle; le scru-
tin d'arrondissement a triomphé, et 1 on se proposait1
de s'en servir pour faire ccbec a la République. Lit,
France, encore tout imprégnée de l'esprit du scru-
tin de liste, ne céda pas, et elle envoya siéger dans
cette enceinte ceux qui y sont encore; le pouvoir
FEUILLETON DU U MAI lqgi.
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BAYONNETTE
HISTOIRE D'UNE JOLIE FILLE
■ i.. • s.
..1.1 DEUXIÈME PABVlfi
DESHONOREE POUR L'HONNEUR
LX
Ah ? tiRe) plaisir d'être papa!
— Suite —
» Le métayer, gros paysan sans éduca-
tion, passait sa journée à surveiller ses
terres, puis, le soir, il s'enivrâit jusqu'à
n'en plus pouvoir parler, embrassait ses
liQrribles moutards et ne manquait jamais
de me battre. Quant à sa femme, ma nour-
ricière, elle ne s'occupait de moi que pour
me faire ~er. et n'eût pas prison de
ces soins qu'exige constamment le jeune
âge.
» Mon caractère était doux pourtant,
je ne pleurais que lorsque l'on m'avait fait
bien au mal; encore, un instant après, al-
lais-je mendier une caresse qui m était im-
pitoyablement refusée.
» Je quittai cette maison inhospitalière
vers quatre aus, et fus placée pour deux
années chez une femme plus ignoble en-
core.
» Ma petite intelligence commençait à se
développer, et je me rappelle aujourd'hui
même des scènes que je voyais se passer
devant mes yeux.
» J'étais dans un espèce de cabaret bor-
gne, rendez-vous infâme des pins hideuses
prostituées et de leurs souteneurs, où se
buvait du vin à la journée, au milieu des
chansons et des gestes obscènes. Je me
rappelle bien qu'une de ces femmes vouées
à la honte m'avait prise en affection et de-
mandé à m'élever avec elle ; mais on lui
répondit que ma famille était riche et n'y
consentirait jamais.
» Le jour où j'eus mes six ans, une vieille
femme fort laide vint me prendre dans ce
bouge et me fit parer de mes plus beaux
vêtements.
» - Yais-je voir maman? lui demandai-
je.
» Plus tard, fit-elle.
» Pun, sans m'embrasser, sans me rien
dire,elle m'entraîna dansun couvent ou plu-
tôt un pensionnat, où, en arrivant, elle fut
immédiatement reçue chez la supérieure
qui l'attendait.
» Je pleurai beaucoup quand je la vis
s'en retourner, sans me donner un encou-
ragement et sans même me faire un geste
d'adieu.
» f_a supérieure me garda la soirée chez
elle et m'indiqua ma nouvelle ligne de
conduite.
» Avant de me congédier pour aller re-
trouver les autres pensionnaires, elle m'em-
brassa en disant :
» - Bon courage, bébé, il faudra bien
travailler pour devenir bien savante.
» - Ce baiser, qui ne paraissait proba-
blement que peu de chose à celle qui en
était l'auteur, me dilata le cœur et me fit
un bien immense. C'est, je crois, le premier
que j'ai reçu de ma vie. Je la quittai en lui
demandant de vouloir bien me permettre
de l'aimer de tontes mes forces; elle m'em-
brassa encore et me congédia.
» Je me sentais déjà dans un milieu plus
sain, et j'eus vite créé des relations inti-
mes avec mes nouvelles camarade s, aujour-
d'hui pour la plupart grandes dames, et
que je suis obligée de ne plus voir ja-
mais.
» Quand on me vit arrivée à an âge où
te pouvais comprendre les choses les plus
sérieuses, ma bonne supérieure, qui m'af-
fectionnait tendrement, me fit appeler eu*,
me dit : 1
» — Votre famille vous destine à une
carrière pour laquelle vous me semblez
avoir de grandes aptitudes. Une fois vos
études terminées, on vous apprendra le
professorat, ce qui vous permettra de de-i
venir institutrice dans une grande famille,
et plus tard de contracter un mariage digne!
de vous. Allez, ma chère enfant, tout la
monde ici est enchanté de vos bonnes dis-
positions, je vous assure de la réussite. 'j
» De ce jour, je me livrai avec ardeur
aux études les plus difficiles ; aussi, à seize
ans, savais-je déjà tout ce que l'on pouvait
m'apprendre dans mon cher couvent.
» A cette époque, la même vieille damoi
laide, qui m'avait amenée dix années plufi1
tut, vint me chercher, me dit d'emporter
avec moi tout ce que je pouvais posséder,
me fit monter en voiture et me conduisit
quai Voltaire, dans un appartement qu'elle
avait retenu à mon intèntion.
» Arrivées là, elle me fit signe de m7as-,'
seoir, se mit en face de moi, tira quelques
papiers d'un sachet de cuir de Russie et 2x1*1*
dit ces simples paroles :
ALEXIS BOUVIER
{La suite à (kmairkJ
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