Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1904-05-06
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34520232c
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 06 mai 1904 06 mai 1904
Description : 1904/05/06 (Numéro 13200). 1904/05/06 (Numéro 13200).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k711791k
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Vendredi 6 Mai 1@04
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, ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et C'«, 6, place de la Bourse
sa*
PARIS, 5 MAI 1904
*&s.-
SOMMAIRE
Une épopée F rançois V huiixot.
Domination univer»
selle A. d "0.
Çà et là : Le mar»
chand de bonheur. P rosper G brald.
lie voyagea de M.
Lonbet à Rome... L. G.
Feuilleton :Le mou
vement social...... M ax T uiuumn.
Bulletin. — Nouvelles de Rome. — Au
jotur le jour. — L'enlèvement de» cru
cifix. — Le a congrégations. — Les iêtes
de Jeanne d'Arc. — Les élections muni-
' oipales. — Informations politiques et par
lementaires. — Nominations ecclésiasti
ques.— La grève maritime.— Un scan
dale à Marseille. — La maladie de M.
Waldeck-Rcrasseau.— Un soldat ds Bo
naparte. — L'affaire Dreyfus. La
guerre rasso»]aponaise. — Etranger. —
Les grèves.— Les anarchistes. — Echos
ds partont. — Nécrologie. — Mouvement
dans la magistrature. — Tribunaux. —
Guerre et marine. —• Nouvelles diverses. —
Calendrier. — Dw.iièï» toeur*. — Bourse
et ballotta ânancier.
253S5
UNE EPOPÉE
C'est toute une épopée que la vie
de Mgr Grandin, l'apôtre des mis
sions canadiennes : épopée par la
figure du héros, épopée par le cadre
où s'est déroulée sa carrière et par
les événements qui l'ont remplie.
Le R. P. Jonquet, des Oblats de
Marie, qui naguère avait chanté cet
autre poème, l'érection de la basili
que de Montmartre, était bien de
cœur et de verve à célébrer son il
lustre frère en religion. Le volume
où il a retracé l'histoire de l'évêque
de Saint-Albert se lit avec un intérêt
passionnant. Cette physionomie de
religieux, de pasteur et de conqué
rant s'y détache en traits qui saisis
sent et qui émeuvent. .
• Mais ce qui nous plaît surtout
dans cet ouvrage, à l'heure où il
paraît, c'est qu'en face de persécu
teurs acharnés contre la foi jusqu à
vouloir exterminer ces semeurs
d'Evangile et anéantir leurs œuvres
Incomparables, il dresse un superbe
portrait cl'apôtrè et déploie le ta
bleau des résultats obtenus par les
mis sionnaires. Et cette biographie
de saint devient, sans y avoir pense,
presque un livre de combat. -
D'abord; un portrait d'apotre...
Ah ! comme on comprend bien la
ragé des méchants contre de tels
hommes! Elle jaillit si naturellement
de la nature pervertie et déchue.
C'est toute la basse et haineuse en
vie du vice'contre la vertu, de la
sensualité contre l'héroïsme, de la
brute en un mot contrele saint. La
vie du missionnaire est une con
damnation que certaines vies ne
peuvent pas supporter.
Voyez Mgr Grandin. Il naît dune
famille pauvre, avec un tempérament
maladif.. Au petit séminaire, il est
un client de l 'infirmerie. Jusqu a la
mort, il traînera un boulet de souf
frances et d'infirmités. Dès ses pre
miers pas sur le champ laborieux
vomissements, tels qu'il s'àrreterait
là, s'il n'éooutait que la prudence hu-
îBàine. Plus tard, il est torturé par
des douleurs de tête, intolérables.
Ensuite, il est atteint cruellement
de la pierre. Et; bientôt, c'est l'affai
blissement général d'une vieillesse
prématurée. C'est miracle, en vé
rité que son endurance au milieu des
travaux, des fatigues et des priva
tions, qui l'accablent.
Quelle existence, en effet, que [la
Me qu'il embrasse, et avec passion!
Résider parmi les sauvages, en des
«-épions lointaines et glacées; mar
cher jusqu'à l'épuisement sur la
nfii^e î ignorer la douceur du repos
confortable et réparateur ; souffrir
du froid ; se soutenir par une nour
riture souvent répugnante ; accepter
des contacts dont la seule idée sou
lève et que Louis Veuillot a dépeints,
avec une éloquence à la fois 8i réa
liste et si haute, dans son célébré
article sur VEvêque pouilleux ;
s'exposer à périr gelé, la nuit, dans
les tourmentes de neige; etre cons
tamment obligé de se plier aux ta
ches les plus rudes et de se faire,
«n même temps qu'éveque, maçon,
charpentier, terrassier, tailleur, et
dans des conditions particulière
ment difficiles; affronter et subir,
pendant dix, vingt, trente, quarante
ans, ce martyre perpétuel et obs
cur, telle fut la vie telle est la vie d'un missionnaire ! ^
: Et, non content de ces difficultés,
de e"Tanôtee des sauvages y ajoute, a
chaaue instant, par nne volonté
toujours «a éveil et toujours ten
due l'intime et malaisé combat con
tre 'lui-même, et dans sa chair et
dans son esprit. D'un caractère na-
toelllment vil, Mgr Grandi» se do-
gnine et se refrène, au point de de
venir un modèle de patience au mi
lieu des embarras les plus pénibles
et des douleurs les plus crucifiantes,
En même temps, quelles que soient
les conditions mouvementées de sa
vie parfois si vagabonde, il reste!
toujours un parfait religieux, plein
de piété, de modestie, fidèle a sa
règle; obéissant" à &es supérieurs'; ;
Parmi ses courses à travers les gla
ces et ses travaux multipliés, il prie
comme un Chartreux dans sa cel
lule. - ■ <
Et pourquoi le missionnaire ac-
oepte-t-il, pourquoidésire-t-il une vie!
si âpre et si douloureuse ? Amour;
du lucre? Il vit et* il mourra dans la
pauvreté. Ambition de la gloire et
des honneurs ? Il s'épuise en labeurs
ignorés du monde... Non ! son séiil
but et son unique envie, c'est d'é
clairer ses frères les sauvages. Ils
sont ses frères, en effet, ses frères
en Jésus-Christ, ces hommes dont
il ne connaît ni le nom, ni la figure ;
et il les chérit d'un amour fraternel.
Il les aime, à souffrir de la seule
pensée que ces malheureux n'ont
Eoint la consolation de eroire en
lieu ; Il les aime, au point d'aban
donner patrie et famille, au point
d'affronter tous les maux, pour
leur apporter la lumière et la vé
rité.
Fraternité, lumière et vérité, ce
sont des mots que nous entendons
clamer à toute voix par des hommes
qui, au nom de la fraternité, persé
cutent leurs frères, — au nom de
la lumière et de la vérité, renver
sant le flambeau divin qui à guidé
le monde et bâillonnent les lèvres qui
l'ont instruit... Oui, nous compre
nons que ces hommes haïssent le
missionnaire.
Ils le haïssent avec un tel aveu
glement que, s'ils en avaient le pou
voir, ils anéantiraient les prodiges
accomplis par ces apôtres et les ci
vilisations sorties de leurs mains.
Car, de même que leur vie, l'œu*
vre de ces héros les glorifie, non
seulement devant Dieu, mais devant
les hommes. Et c'est un sujet que
l'auteur de la vie de Mgr Grandin
n'a eu garde de négliger. Dans lé
cadre des régions septentrionales
du Canada, qu'il dépeint à nos yeux;
le R. P. Jonquet a retracé l'histoire
des missions catholiques, en ce pays,
pendant le dix-neuvième siècle. Et
c'est toute l'histoire de la civilisa
tion pénétrant, sur les pas de l'E
vangile, au fond de ces provinces,
naguère à peine explorées, presque
désertes, à peu près incultes. En
1817, on n'y comptait pas un prêtre ;
en 1818, il y en avait deux ; en 1845,
il s'y trouvait un évêque, entouré
de six prêtres, dont les deux pre
miers missionnaires oblats venus de
France. Aujourd'hui, huit évêques,
assistés de trois cent sept prêtres,
dont quatre-vingt-dix-huit séculiers,
y gouvernent une armée de cent
mille fidèles ayant à leur disposi
tion quatre cent huit églises, cent
trente-six écoles,plusieurs hôpitaux,
Où se, déployait, il y a cinquante
ans, l'immensité des forêts, s'épa
nouissent des villes entourées de
moissons ; où le missionnaire élevait,
de ses mains sa modeste cabane, se
dressent une cathédrale, un évêché',
parfois un grand collège. Et, que
ces merveilleuses récoltes aient bien
germe du sillon creusé par les apô
tres, il suffit d'ouvrir les yeux et
l'esprit pour s'en convaincre. Avant
eux, les marchands de pelleteries ne
songeaient à peu près qu'à leur
commerce; ils ne pénétraient pas
les sauvages et, de la civilisation,
ne leur apportaient que l'alcool. Au
surplus, parcourez les cartes nou
velles de ces régions naguère incon
nues du géographe : aux lacs et aux
cités, vous verrez accolés les noms
des Taché, des Grandin, des Rey,
des Fabre, des Légal, des Lacombe,
des Lebret, des Leduc, etc., tous
missionnaires. Les villes sè fondent
autour, des croix qu'ils ont plan
tées.
Et ceux-là même qui se sont avan-
césderrière eux,combien defoisn'ont-
ils pas dû leur succès au concours
généreux et désintéressé de ces apô
tres. Il faut lire, sous la plume vi
vante et colorée du P. Jonquet, le
récit de telle révolte ou de tel inci
dent, dont la solution n'a été obtenue
que grâce à leur appui.
Mais, hélas ! si les missionnaires.
— et Mgr Grandin plus que tout
autre, — ont largement ouvert à la
civilisation les tribus indiennes, il
leur a fallu quelquefois protéger ces
tribus contre les civilisateurs. En ;
contact avec ces derniers, l'évêque
de Saint-Albert eut à trancher, sur
la fin de sa vie, des difficultés qu'il
n'avait point connues, chez les sau
vages. A certains jours, il dut re
gretter l'époque où il n'était exposé
qu'à mourir de fatigue ou de froid.
Mais dans ces nouveaux engage
ments, pour défendre ses ouailles et
leur foi, Mgr Grandin fut toujours
l'intrépide. Et là encore, il donna
des exemples, qu'il faut chercher et
méditer dans le livre du Père Jon
quet.
Et, d'ailleurs, on ne quittera point
cet ouvrage, sans se sentir pénétré
d'une invincible confiance en l'ave
nir. Oui, les religieux qu'on persé
cute , auront le dernier mot. De tels
hommes, et qui font de telles œu
vres, peuvent êtres opprimés ; ils ne
gont jamais vaincus.
François V euillot.
VULLETIPC
Partout, on se prépare fiévreusement
*ai4.$erutin : de ballottage de dimanche
prochain; l'opposition antlrévolutlon-
nalre et antiministérielle semble prêté
à l'union parfaite et à une discipline
étroite. >
M. Pelletan continue ses promenades
en Tunisie ; un autre ministre, M.
Vallé, s'y trouve aussi pour voir son
fils, juge à Tunis.
Le roi d'Espagne a été reçu avec en
thousiasme à Cadix.
On n'attache aucune importance au
fait que le souverain n'ait pas été salué,
à Oeuta, par une ambassade maro
caine.
On parle de M. Silvela pour le poste
d'ambassadeur à Paris.
La Chambre des communes a décidé
de nommer une commission chargée de
vérifier les règlements sur les rapports
des navires de commerce étrangers avec
les ports anglais.
L'empereur d'Allemagne, à la suite
d'une conférence avec le chancelier, le
chef d'état-major et le ministre de la
guerre, a décidé l'envol, dans l'Afrique
allemande,-des renforts réclamés par
le colonel Leutwein.
L'incident de Smyrne n'est pas réglé ;
la Porte refuse de faire des excuses et
le gouvernement hellène ne veut pas
reconnaître la commission d'enquête
nommée à Constantinople.
La mobilisation brésilienne se pour
suit; le Pérou n'a pas répondu à la
note du Brésil exigeant l'évacuation
des territoires d'Altopurus et d'Alto-
jwrna.
■ ; —4-
NOUVELLES DE ROME
Urne protestation du Pape.
Notre correspondant nous télé
graphie :
Rome, 5 mai,
11 h. 50 du matin.
. L 'Osservatore k Romano confirme le
brait que, considérant le voyage à Rome
de M. Loubet comme une offense très
grave à Sa dignité et aux droits du
Saint-Siège, Fie X a adressé au gouver
nement français une protestation formelle
eténergique pour l'offense subie ; Sa Sain
teté fait part de Sa protestation,par l'or
gane de ses représentants, aux autres
gouvernements.
D'autre part Y Agence Havas nous
communique les télégrammes sui
vants :
■ Rome, 4 mai.
L 'Osservatore Romano, à propos des
nouvelles publiées sur l'attitude du Vati
can à l'occasion de la visite de M. Loubet
à Rome, déclare que cette attitude fut
telle qu'elle convenait à là dignité du
Pape et à l'affirmation de ses droits.
C'est pourquoi le Saint-Siège adressa
une protestation formelle au gouverne
ment français ; en même temps, il invitait
les nonces à l'étranger & communiquer
cette protestation aux gouvernements de
tous les Etats avec lesquels il se trouve
en rapport direct.
Rome, 4 mai.
La Tribuna dit que la nouvelle de la
protestation du Pape contré le voyage de
M. Loubet à Rome lui est confirmée par
une dépêche de Paris disant que la pro
testation a été remise à l'ambassade de
France près le Saint-Siège le 28 avril au
soir.
La Tribuna ajoute que pendant le sé
jour de M. Loubet à Rome, le Vatican hé
sitait s'il devait envoyer ou ne pas en
voyer cette protestation.
A partir de l'arrivée de M. Loubet à
Rome, le cardinal Merry. de! Val n'est
pas sorti du Vatican. Une longue pro
menade faite par le Pape avec les cardi
naux: Rampolla et Merry del Val dans
les jardins du Vatican a donné lieu aux
bruits les plus étranges. Ni : M. Nisard,
ambassadeur de France près' le Saint-
Siège, ni son secrétaire ne sont allés au
Vatican depuis l'arrivée de M. Loubet à
Rome.
ME ME DE L' « OSSERYATOBIBOIM0 »
Il Osservatore Romano publie la
communication suivante :
Nous avons vu, ces derniers jours, pu
blier à nouveau, dansun opuscule inti
tulé : Les derniers jours de Léon XIII et
le conclave par un témoin, quelques ar
ticles qui avaient déjà paru dans une re
vue française.
Nous n'avons pas l'intention d'entrer
en polémique avec l'auteiir anonyme de
l'opuscule, ni de relever ce'qu'il peut y
avoir d'inexact ou même de moins con
forme à la vérité des choses.
Nous ne pouvons cependant ne pas dé
plorer hautement ce qui, dans une telle
publication, tend directement à blesser
l'éminénte personne du doyen du Sacré-
Collège et la dignité même de l'auguste
assemblée.
OORilNATlOinJNlYEfiSELLE ]
Il paraît, si l'on en croit nos mi-
» nistres, que l'expulsion des congré-
ganistes s'imposait urgente pour
; empêcher l'établissement de la do
mination universelle qu'ils ambi
tionnent. Que nos Sœurs de charité
qui soignent les malades aient une
telle ambition, une semblable ac
cusation ne peut qu'exciter un rire
de pitié. Sans doute il ne s'agit pas
de celles-là, nous dira-t-on; mais
alors pourquoi les chasser?
L'accusation formulée ne vise ap
paremment que les ordres ensei
gnants et ceux pour qui l'on a forgé
le nom nouveau de prédicants. Est
elle plus justifléeà leur égard ? Non,
si l'on entend par là que les ordres
religieux prétendent pour eux-mêmes
au gouvernement du monde. Oui, si
l'on veut dire qu'ils travaillent à la
domination universelle de l'Eglise.
Celle-ci, c'est bien vrai, ne tend à
rien moins qu'à une domination uni
verselle : sans cela, elle ne s'ap
pellerait pas catholique. Cette pré
tention doit-elle être un épouvan-
tail?C'en est un, en effet, pour les
Francs-Maçons, qui prétendent eux-
mêmes à cette domination et voient
dans l'Eglise une rivale redouta
ble.
Mais quelle est donc cette 1 domina
tion qu'elle ambitionne? C'est celle à
laquelle prétendait son fondateur,
qui disait : « Mon royaume n'est pas
de ce mondé».C'est sur les âmes que
l'Eglise aspire à régner : elle laisse
au pouvoir temporel tous ses droits,
mais elle lui refuse l'empire des
consciences. Il est de la nature de la
vérité d'être universelle : toute doc
trine religieuse ou philosophique
qui se donne comme l'expression de
la vérité, a logiquement l'esprit de
prosélytisme et la prétention de se
répandre en tous pays. Assigner des
limites géographiques à une doc
trine, c'est ne pas croire à sa vé
rité.
. Donc l'Eglise doit prétendre à la
domination universelle, mais à celle
des âmes.
Ses adversaires, eux, y préten
dent tout autant, mais, tandis que
celle de l'Eglise est restreinte au
spirituel, la leur ne connaît aucune
restriction : elle est doublement uni
verselle, l'étant quant à l'espace et
quant à son objet : comme le césa-
risme antique, elle prétend régner
dans l'un et l'autre domaine, le spi
rituel et le temporel, gouverner les
peuples et régenter les consciences.
N'est-ce point là l'ambition de la
franc-maçonnerie ? Est-elle, par suite,
bienvenue à reprocher à l'Eglise
qui, après tout, peut montrer des
titres assez sérieux, une ambition
que la sienne dépasse de beaucoup,
elle qui ne saurait dire de qui elle
tient ses droits, se les étant confé
rés à elle-même dans le secret de
ses loges ?
Mais si l'ambition de l'Eglise doit
plier devant celle de la franc-maçon
nerie, que cette société hypocrite
ne parle plus de l'ambition des con
grégations, mais qu'elle reconnaisse
franchement, si toutefois elle sait ce
que c'est que la franchise, qu'elle
a en vue l'Eglise elle-même.
A. D 'O.
AU JOURLE JOUR
Sous ce titre: « La'Msons la laïque »,
nous lisons dans la Petite République :
« Le jeune enfant de l'un de nos amis
arrive tout joyeux au déjeuner, chez ses
parents. On lui demande la cause de sa
joie...
« — Pensez si nous sommes contents
au lycée du petit Condorcet, répond-il.
A l'occasion delà première communion,
on a enlevé toutes les punitions...
« Et l'on parle de l'école sans Dieu 1 »
Un député de l'extrême-gauche devrait
interpeller pour demander le rétablisse
ment des punitions. Voilà qui-ferait plai
sir aux potaches !
On a fait exécuter dernièrement, à la
caserne des Célestins, par lès cinquante
tambours de la garde républicaine, la
Marche d'Austerlits, qui ne figure plus
dans aucun recueil de musique militaire.
Le gouverneur militaire de Paris, qui
avait voulu l'entendre lui-même, a adressé
au colonel de la légion une lettre où, après
avoir constaté que cette marche, réglée
pour l'ancien pas ordinaire, serait très
difficile à adapter à la cadence actuelle,
il l'invite à conserver ce curieux docu
ment dans les archives de la garde répu
blicaine.
Le « pas ordinaire », en effet, usité
jadis dans les marches d'apparat, n'existe
plus dans l'armée française, où la marche
se fait toujours au pas accéléré.
Les mœurs d'un certain journalisme,
nul ne l'ignore, n'ont avee la bienséance
que des rapports fort éloignés.
Nous ne voulons pas jparler de la por
nographie, mais de la hâte indécente
avec laquelle on fait parfois la nécrologie
des gens qui né sont pas encore morts.
Ainsi a-t-on fait pour Louise Michel qui,
il y a six semaines, était à toute extré
mité. -
La pauvre femme a été « enterrée »
magnifiquement par les journaux socia
listes de diverses nuances,qui se sont dis
puté ce qu'ils croyaient être le cadavre
de la « vierge rouge ».
Or, pendant ce conflit d'oraisons funè-
vbres, Louise Michel guérissait, tout tran
quillement. '
On annonce aujourd'hui qu'elle a pu
sortir et qu'elle va quitter Toulon. r
Tant pis 1 ont dû se dire les bons pané
gyristes.
Les articles nécrologiques, un peu reta
pés, serviront une autre fois.
-* • •.
- - i • »
Les beautés de l'administration de M.
Pelletan fourniraient la matière de nom
breux volumes.
Citons néanmoins l'histoire suivante,
que narre le Figaro :
Il y a dix mois environ, le comman
dant de la marine à Dakar (Sénégal) de
mandait au ministère qu'on lai envoyât,
n'en pouvant trouver sur place, un ou
vrier fondeur des arsenaux.
A l'arrivée de la lettre du commandant
de la marine, la direction du matériel fit
demander,suivant l'usage, dans les ports,
les noms des ouvriers fondeurs « qui se
raient désireux d'aller à Dakar ».
Les réponses parvinrent au ministère
et le directeur du matériel proposa au
ministre d'envoyer l'ouvrier qui, d'après
l'examen de son dossier, lui paraissait
remplir le mieux les conditions de santé
et d aptitudes nécessaires.
La proposition du directeur revint du
cabinet non signée, avec l'ordre de dési
gner le nommé G..., ouvrier tournewr.
Sur quoi le directeur fit observer que le
commandant de Dakar demandait un fon
deur et non un tourneur.
Nouvel ordre d'envoyer le nommé G...;
note de la direction du matériel exposant
les motifs pour lesquels le tourneur ne
peut être envoyé au Sénégal. Bref,
l'affaire alla dormir dans un carton.' 1
Deux mois se passèrent; le comman
dant de la marine réclama de nouveau un
fondeur . Après diverses ehinoiseries
hiérarchiques le dossier de l'affaire fut
renvoyé à la direction, avec ordre, écrit
cette fois, d'envoyer le nommé G..., tour
neur. On se conforma à l'ordre et G... fut
acheminé sur Dakar.
Le commandant de la marine est fu
rieux, et on le comprend. Son tourneur^
en effet, n'a que ses pouces & tourner, et
son fondeur lui manque toujours.
Pendant ce temps, M. Pelletan se pro
mène en Tunisie, aux frais des contribua
bles, et sable le Champagne en écoutant,
d'étape en étape, les éloges pompeux
qu'on fait de son administration.
m
* .•
Quelqu'un fait observer que la Société
centrale de sauvetage des naufragés tien
dra son assemblée générale dimanche
prochain.
— Ça tombe bien, observe un autres
justement le jour où il y a tant de blo-
cards à repêcher !
Çà et là
LE MARCHAND DE BONHEUR
« Mon père, écrit l'auteur des Mortl-
coles, mon père me répétait souvent : « Je
« voudrais, ma tâche achevée, m'établir
«marchand de bonheur. Mon bénéfice
« seraitdans mon succès... »
Alphonse Daudet expliquait ensuite
son idée ; il irait aux infirmes, & tous ; il
gagnerait leur confiance avec de la ten
dresse... Il prêcherait la pitié active et
non les larmes inutiles. Et son dernier
biographe (1), M. Gustave Toudouze,
nous montre, preuves en main, que ce n'é
tait pas là; pour l'incomparable.conteur,
un vain mot, une phrase à effet ou une
théorie purement sentimentale.
« Que d'aveux entendus par lui 1 Que de
douleurs consolées! Que de souffrances
apaisées! Que de malheureux, arrivés
éperdus, honteux, prêts à tout, et qui
sortaient de son cabinet réconfortés, sou
lagés, rassurés, confiants, sauvés d'eux-
mêmes par ce marchand de bonheur... »
■ Suivent, de cette charité compatis
sante, toujours en quête de bien à faire,
des traits vraiment charmants. « Faut-il
rappeler ses joies mystérieuses quand,
caché derrière ses volets, à Champrosay,
il s'amusait à lancer une pièce de cinq
francs à un infortuné chemineau, harassé
de fatigue, écroulé devant sa porte, et
que, sans se montrer, il jouissait delà
surprise et de ce gros plaisir du pauvre
hère ne sachant d'où lui tombait cette au
baine? Ou bien, alors que touchant une
somme de dix mille francs pour une œu
vre, il n'en avouait que huit mille au bud
get familial pour en consacrer deux mille
à de mystérieuses aumônes ? Ou bien en-
■core lorsque, se promenant en* voiture
par la forêt de Sénart, dans les jolies
routes boisées, il avait toujours soin de
se munir d'une provision de monnaie
pour la semer en pluie bienfaisante sur
la tête ou devant les pieds des malheu
reux qu'il rencontrait, et qui n'avaient
même pas le temps de remercier ce mar
chand de bonheur que les chevaux em
portaient à toute vitesse ?»
En lisant ces lignes, je me suis dit :
«Quelle belle profession, pour un chré
tien, que de s'établir marchand de bon
heur 1 »
N'avons-nous pas dans l'Evangile un
manuel incomparable ? Le lire, le méditer,
le mettre en pratique, suffirait à rendre
chacun de nous heureux.Par le fait même,
puisque nous vivons en société, conformer
ses actions aux leçons du Saint-Livre, ce
serait faire rayonner autour de soi ces
effluves magiques de douceur, de patience,
de charité, qui purifient et embaument
l'atmosphère et qui font germer la paix
dans lésâmes, la joie dans les cœurs, le
sourire sur les visages : « Bienheureux
les pauvresi en esprit : le royaume des
cieux leur appartient! Bienheureux les
doux, ils posséderont la terre !... Pour
moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, fai
tes du bien à ceux qui vous haïssent, priez
pour qui vous persécute et vous calomnie,
afin que vous soyez vraiment les fils de
votre Père qui est aux cieux : lui, il fait
lever son soleil sur les bons et' sur les
méchants, il envoie sa pluie aux justes
et aux injustes. Soyez donc parfaits
comme votre Père céleste est parfait. »
Tout serait à citer ici, de ce sublime Ser
mon sur la montagne. Mais à quoi bon?
Qui ne l'a lu cent fois, qui ne l'admire,
quel chrétien ne s'y est coinplaisammerit,
religieusement arrêté dans le silence de
l'Eglise, dans le recueillement de l'orai
son?
Que si, pour notre apprentissage dans
un métier qui réclame tant de tact et de
délicatesse, nous avons besoin d'un maî
tre, inutile de l'aller chercher bien loin.
(1) Pages choisies d'Alphonse Daudet.
Armand Colin, éditeur, Paris.
- C'est celui-là même qui exposait si ma
gistralement, 'dans ses discours, la théo
rie du vrai bonheur; du bonheur pour soi
et du bonheur pour les autres. Il parlait
si bien que dans leur enthousiasme, ou
blieuses de tout, du vivre et du couvert,
des foules innombrables le suivaient sans
. jamais se lasser. Mais puissant en œu
vres autant qu'én paroles, depuis le jour
de sa naissance jusqu'à l'heure désa mort
'il a été le plus grand, le seul vrai mar
chand de bonheur que là terre ait connu.
Auprès de sa crèche, son sourire' d'enfant,
ses grâces divines captivèrent les hum
bles et les grands, les bergers et les ma
ges qui, de leur vie, ne devaient plus l'ou
blier. De sa croix, au milieu des affres de
la plus cruelle agonie, il fit une promesse
à un vçleur de grand chemin, pour qui
tout semblait perdu, et auquel il rendit
l'espoir et la joie jusque dgins.les suppli
ces. Et entreces deux moments extrêmes,
que d'heureux n'avait-il point faits, dans
l'atelier de Nazareth?Il avait ravi son
père et sa mère, par son obéissance et sa
tendresse ; bon, doux et charitable pour
tous, il avait conquis ses parents, ses voi-
.sins, ses compagnons de jeux, d'études et
de travail.
Pendant trois ans, il avait vendu, sans
compter, le bonheur le plus pur et le plus
parfait : aux enfants qu'il couvrait de ses
caresses et de ses baisers ; aux malades
qu'il rappelait à la santé ; aux pécheurs à «
qui il rendait la paix avec le. pardon,. De
ses lèvres tombaient, sur des auditoires
variés, des paroles divines, de celles qui
éclairent, qui consolent et qui fortifient.
De ses yeux jaillissaient des sourires aux- t
quels rien n'aurait su résister. Et ses
mains, d'un geste, calmaient la tempête ;
d'une bénédiction, multipliaient ou trans
formaient les substances; d'un contact,
chassaient la souffrance ; d'un signe, pu?
rifiaient les consciences et faisaient le
vide dans les tombeaux. Car la mort elle-
même lui obéissait : il rendait les enfants
à leurs mères, et la joie refleurissait dans
ces âmes én deuil d'où l'espoir semblait
banni à tout jamais.
En remontant vers son Père, sa tâche
achevée, au jour triomphant de son As
cension, il n'a point emporté son secret
avec lui. Ne nous a-t-il pas laissé sou
Eglise immortelle, avec la vieille chant
son, vieille comme l'air pur qui vivifié
nos poitrines, comme les rayons de- soleil
et les gouttes de pluie qui fécondent nos
prairies et nos champs, et qui sèche plus
de larmes en une heure que n'en arrête-»
ront, dans la suite des temps, les phrases
creuses et sonores de tous nos.rhéteurs t
Exemple et prédication des saints, spec
tacle de la Croix et lecture de la Passion,
approche du tabernacle, où Jésus réside
et de la table sacrée où il se donne, espé*
, rance du ciel où' il nous appelle et qu'il
faut mériter, prières que l'on fait à ge-t
noux, d'une âme humble etcrôyante, d'un
cœur aimant, autant de refrains sublimes,
qui feront toujours naître le sourire fsur*
les visages, parce qu'ils répandront paix
et joie au plus sublime de nous-mêmes !
■ A la suite du bon maître, tous les chré
tiens ont le devoir de tendre à devenir<
marchands de bonheur « Je vous ai-
donné l'exemple, nous dit-il, qui m'aima;
me suive I » Et nous devrions tous faire
des heureux de ceux qui nous entourent^
mais nous sommes si peu parfaits et ta :
métier est si délicat, si difficile ! Il y a,
dans chacun de nous, un tel fond d'ê-
,goïsme, tant de défauts, tant de vices qui '
nous portent à empiéter, ouvertement ou >
hypocritement, sur les droits d'autrui, à
oublier tout ce que nous devons à notre pro-
chain. Nous pensons à nous tout d'abord,
et aux autres ensuite, si nous en avons la
temps, et ce temps-là, que réclame la
charité, combien peu le trouvent !
Vous à qui rien ne manque des biens de -
la terre,ô riches,soyez généreux et discrets
dans vos aumônes ; vous pouvez, de la
sorte, guérir tant de plaies secrètes, sou
lager tant d'infortunes, rendre la con
fiance à tant de désespoirs : aux pauvres
et aux malades, la plus petite attention
ne saurait être insensible ; aux humbles >
et aux inférieurs, à vos domestiques, la-
protection que vous leur accorderez, l'in
térêt que vous leur témoignerez, si vous
avez soin d'en écarter tout cè qui senti
rait l'inquisition et l'orgueil protecteur,
feront prendre patience et rendront plus
supportables les fatigues et les ennuis dé
leur charge.
Nous qui vivons au jour le jour, nous
en remettant à Dieu pour le pain de de
main, nous ne laisserons point aux ren
tiers et aux bourgeois, ce précieux mono
pole. Qui ne peut, à l'occasion, par une
bonne parole, par un conseil ami, par un
sourire bien franchement cordial, par usé
chaude poignée de mains, un signe ou un
mot de compassion sincère, faire un peu
de bien autour de lui ? Une démarche mi
faveur d'un malheureux, quelques lignes ,
de recommandation, une lettre de condo
léances, de félicitations, une simple ques
tion, preuve de sympathie, un rien, sur
tout auprès des faibles, auprès de ceux
qui sont seuls, de ceux qui souffrent ou
qui pleurent; est-il quelque chose de
plus facile et de plus producteur? Ah ! si
nous voulions! Mais peu nombreux sont
ceux qui veulent réellement, ceux qui
veulent toujours.
Et pourtant, chaque soir, à l'heure de
l'examen de conscience, quel bon moment
ce devrait être pour le chrétien, que ce
lui, où prenant ses livres. de compte^ il
récapitulerait ses affaires de la journée t
Il n'aurait aucun amour-propre sans
doute pour les succès obtenus, mais il ge
livrerait sans scrupule à la joie bien per
mise du devoir accompli et du bien qu'il
aurait pu faire. Il ne se découragerait
point au souvenir des occasions perdues,
des maladresses commises, des négligen
ces apportées, d§a clients perdes ou ra-
Sâiiiam qmciidiMMt? -■ 11.200
Vendredi 0 Mài 1004
esi
? ÉDITI ON QUOTID IENNB
' ; - PARIS ÉTRANGER
* 7 " ' * ' "• " S», DÉPARTEMENTS (UNION POSTAIS)
Un an..7...... 25 »
Bizmois 13 »:
Trois mois..... t »
36 »
19 n
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Les abonnements partent des 1" et 16 de ohaqtie mole
UN NUMÉRO : Paris & Départements 10 cent.
s SUREAUX : Paris, me Cassette, 17 (VI* arr.)
On s'abonne & Rome, place du Gesù, 8
ÉDITTÔM S EMI-QUOT IDIENNES ■
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Bï DÉPARTEMENTS (UNION POSTAIS)
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Six mois......
Trois mois.....
11 »
5 SO
ET
JLE MONDE
Les abonnemënts partent des 1" et IQ de opaque mol»
L'UNIVERS ne répond pas clés manuscrits qui lui sont adressé*
, ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et C'«, 6, place de la Bourse
sa*
PARIS, 5 MAI 1904
*&s.-
SOMMAIRE
Une épopée F rançois V huiixot.
Domination univer»
selle A. d "0.
Çà et là : Le mar»
chand de bonheur. P rosper G brald.
lie voyagea de M.
Lonbet à Rome... L. G.
Feuilleton :Le mou
vement social...... M ax T uiuumn.
Bulletin. — Nouvelles de Rome. — Au
jotur le jour. — L'enlèvement de» cru
cifix. — Le a congrégations. — Les iêtes
de Jeanne d'Arc. — Les élections muni-
' oipales. — Informations politiques et par
lementaires. — Nominations ecclésiasti
ques.— La grève maritime.— Un scan
dale à Marseille. — La maladie de M.
Waldeck-Rcrasseau.— Un soldat ds Bo
naparte. — L'affaire Dreyfus. La
guerre rasso»]aponaise. — Etranger. —
Les grèves.— Les anarchistes. — Echos
ds partont. — Nécrologie. — Mouvement
dans la magistrature. — Tribunaux. —
Guerre et marine. —• Nouvelles diverses. —
Calendrier. — Dw.iièï» toeur*. — Bourse
et ballotta ânancier.
253S5
UNE EPOPÉE
C'est toute une épopée que la vie
de Mgr Grandin, l'apôtre des mis
sions canadiennes : épopée par la
figure du héros, épopée par le cadre
où s'est déroulée sa carrière et par
les événements qui l'ont remplie.
Le R. P. Jonquet, des Oblats de
Marie, qui naguère avait chanté cet
autre poème, l'érection de la basili
que de Montmartre, était bien de
cœur et de verve à célébrer son il
lustre frère en religion. Le volume
où il a retracé l'histoire de l'évêque
de Saint-Albert se lit avec un intérêt
passionnant. Cette physionomie de
religieux, de pasteur et de conqué
rant s'y détache en traits qui saisis
sent et qui émeuvent. .
• Mais ce qui nous plaît surtout
dans cet ouvrage, à l'heure où il
paraît, c'est qu'en face de persécu
teurs acharnés contre la foi jusqu à
vouloir exterminer ces semeurs
d'Evangile et anéantir leurs œuvres
Incomparables, il dresse un superbe
portrait cl'apôtrè et déploie le ta
bleau des résultats obtenus par les
mis sionnaires. Et cette biographie
de saint devient, sans y avoir pense,
presque un livre de combat. -
D'abord; un portrait d'apotre...
Ah ! comme on comprend bien la
ragé des méchants contre de tels
hommes! Elle jaillit si naturellement
de la nature pervertie et déchue.
C'est toute la basse et haineuse en
vie du vice'contre la vertu, de la
sensualité contre l'héroïsme, de la
brute en un mot contrele saint. La
vie du missionnaire est une con
damnation que certaines vies ne
peuvent pas supporter.
Voyez Mgr Grandin. Il naît dune
famille pauvre, avec un tempérament
maladif.. Au petit séminaire, il est
un client de l 'infirmerie. Jusqu a la
mort, il traînera un boulet de souf
frances et d'infirmités. Dès ses pre
miers pas sur le champ laborieux
là, s'il n'éooutait que la prudence hu-
îBàine. Plus tard, il est torturé par
des douleurs de tête, intolérables.
Ensuite, il est atteint cruellement
de la pierre. Et; bientôt, c'est l'affai
blissement général d'une vieillesse
prématurée. C'est miracle, en vé
rité que son endurance au milieu des
travaux, des fatigues et des priva
tions, qui l'accablent.
Quelle existence, en effet, que [la
Me qu'il embrasse, et avec passion!
Résider parmi les sauvages, en des
«-épions lointaines et glacées; mar
cher jusqu'à l'épuisement sur la
nfii^e î ignorer la douceur du repos
confortable et réparateur ; souffrir
du froid ; se soutenir par une nour
riture souvent répugnante ; accepter
des contacts dont la seule idée sou
lève et que Louis Veuillot a dépeints,
avec une éloquence à la fois 8i réa
liste et si haute, dans son célébré
article sur VEvêque pouilleux ;
s'exposer à périr gelé, la nuit, dans
les tourmentes de neige; etre cons
tamment obligé de se plier aux ta
ches les plus rudes et de se faire,
«n même temps qu'éveque, maçon,
charpentier, terrassier, tailleur, et
dans des conditions particulière
ment difficiles; affronter et subir,
pendant dix, vingt, trente, quarante
ans, ce martyre perpétuel et obs
cur, telle fut la vie
: Et, non content de ces difficultés,
de e"Tanôtee des sauvages y ajoute, a
chaaue instant, par nne volonté
toujours «a éveil et toujours ten
due l'intime et malaisé combat con
tre 'lui-même, et dans sa chair et
dans son esprit. D'un caractère na-
toelllment vil, Mgr Grandi» se do-
gnine et se refrène, au point de de
venir un modèle de patience au mi
lieu des embarras les plus pénibles
et des douleurs les plus crucifiantes,
En même temps, quelles que soient
les conditions mouvementées de sa
vie parfois si vagabonde, il reste!
toujours un parfait religieux, plein
de piété, de modestie, fidèle a sa
règle; obéissant" à &es supérieurs'; ;
Parmi ses courses à travers les gla
ces et ses travaux multipliés, il prie
comme un Chartreux dans sa cel
lule. - ■ <
Et pourquoi le missionnaire ac-
oepte-t-il, pourquoidésire-t-il une vie!
si âpre et si douloureuse ? Amour;
du lucre? Il vit et* il mourra dans la
pauvreté. Ambition de la gloire et
des honneurs ? Il s'épuise en labeurs
ignorés du monde... Non ! son séiil
but et son unique envie, c'est d'é
clairer ses frères les sauvages. Ils
sont ses frères, en effet, ses frères
en Jésus-Christ, ces hommes dont
il ne connaît ni le nom, ni la figure ;
et il les chérit d'un amour fraternel.
Il les aime, à souffrir de la seule
pensée que ces malheureux n'ont
Eoint la consolation de eroire en
lieu ; Il les aime, au point d'aban
donner patrie et famille, au point
d'affronter tous les maux, pour
leur apporter la lumière et la vé
rité.
Fraternité, lumière et vérité, ce
sont des mots que nous entendons
clamer à toute voix par des hommes
qui, au nom de la fraternité, persé
cutent leurs frères, — au nom de
la lumière et de la vérité, renver
sant le flambeau divin qui à guidé
le monde et bâillonnent les lèvres qui
l'ont instruit... Oui, nous compre
nons que ces hommes haïssent le
missionnaire.
Ils le haïssent avec un tel aveu
glement que, s'ils en avaient le pou
voir, ils anéantiraient les prodiges
accomplis par ces apôtres et les ci
vilisations sorties de leurs mains.
Car, de même que leur vie, l'œu*
vre de ces héros les glorifie, non
seulement devant Dieu, mais devant
les hommes. Et c'est un sujet que
l'auteur de la vie de Mgr Grandin
n'a eu garde de négliger. Dans lé
cadre des régions septentrionales
du Canada, qu'il dépeint à nos yeux;
le R. P. Jonquet a retracé l'histoire
des missions catholiques, en ce pays,
pendant le dix-neuvième siècle. Et
c'est toute l'histoire de la civilisa
tion pénétrant, sur les pas de l'E
vangile, au fond de ces provinces,
naguère à peine explorées, presque
désertes, à peu près incultes. En
1817, on n'y comptait pas un prêtre ;
en 1818, il y en avait deux ; en 1845,
il s'y trouvait un évêque, entouré
de six prêtres, dont les deux pre
miers missionnaires oblats venus de
France. Aujourd'hui, huit évêques,
assistés de trois cent sept prêtres,
dont quatre-vingt-dix-huit séculiers,
y gouvernent une armée de cent
mille fidèles ayant à leur disposi
tion quatre cent huit églises, cent
trente-six écoles,plusieurs hôpitaux,
Où se, déployait, il y a cinquante
ans, l'immensité des forêts, s'épa
nouissent des villes entourées de
moissons ; où le missionnaire élevait,
de ses mains sa modeste cabane, se
dressent une cathédrale, un évêché',
parfois un grand collège. Et, que
ces merveilleuses récoltes aient bien
germe du sillon creusé par les apô
tres, il suffit d'ouvrir les yeux et
l'esprit pour s'en convaincre. Avant
eux, les marchands de pelleteries ne
songeaient à peu près qu'à leur
commerce; ils ne pénétraient pas
les sauvages et, de la civilisation,
ne leur apportaient que l'alcool. Au
surplus, parcourez les cartes nou
velles de ces régions naguère incon
nues du géographe : aux lacs et aux
cités, vous verrez accolés les noms
des Taché, des Grandin, des Rey,
des Fabre, des Légal, des Lacombe,
des Lebret, des Leduc, etc., tous
missionnaires. Les villes sè fondent
autour, des croix qu'ils ont plan
tées.
Et ceux-là même qui se sont avan-
césderrière eux,combien defoisn'ont-
ils pas dû leur succès au concours
généreux et désintéressé de ces apô
tres. Il faut lire, sous la plume vi
vante et colorée du P. Jonquet, le
récit de telle révolte ou de tel inci
dent, dont la solution n'a été obtenue
que grâce à leur appui.
Mais, hélas ! si les missionnaires.
— et Mgr Grandin plus que tout
autre, — ont largement ouvert à la
civilisation les tribus indiennes, il
leur a fallu quelquefois protéger ces
tribus contre les civilisateurs. En ;
contact avec ces derniers, l'évêque
de Saint-Albert eut à trancher, sur
la fin de sa vie, des difficultés qu'il
n'avait point connues, chez les sau
vages. A certains jours, il dut re
gretter l'époque où il n'était exposé
qu'à mourir de fatigue ou de froid.
Mais dans ces nouveaux engage
ments, pour défendre ses ouailles et
leur foi, Mgr Grandin fut toujours
l'intrépide. Et là encore, il donna
des exemples, qu'il faut chercher et
méditer dans le livre du Père Jon
quet.
Et, d'ailleurs, on ne quittera point
cet ouvrage, sans se sentir pénétré
d'une invincible confiance en l'ave
nir. Oui, les religieux qu'on persé
cute , auront le dernier mot. De tels
hommes, et qui font de telles œu
vres, peuvent êtres opprimés ; ils ne
gont jamais vaincus.
François V euillot.
VULLETIPC
Partout, on se prépare fiévreusement
*ai4.$erutin : de ballottage de dimanche
prochain; l'opposition antlrévolutlon-
nalre et antiministérielle semble prêté
à l'union parfaite et à une discipline
étroite. >
M. Pelletan continue ses promenades
en Tunisie ; un autre ministre, M.
Vallé, s'y trouve aussi pour voir son
fils, juge à Tunis.
Le roi d'Espagne a été reçu avec en
thousiasme à Cadix.
On n'attache aucune importance au
fait que le souverain n'ait pas été salué,
à Oeuta, par une ambassade maro
caine.
On parle de M. Silvela pour le poste
d'ambassadeur à Paris.
La Chambre des communes a décidé
de nommer une commission chargée de
vérifier les règlements sur les rapports
des navires de commerce étrangers avec
les ports anglais.
L'empereur d'Allemagne, à la suite
d'une conférence avec le chancelier, le
chef d'état-major et le ministre de la
guerre, a décidé l'envol, dans l'Afrique
allemande,-des renforts réclamés par
le colonel Leutwein.
L'incident de Smyrne n'est pas réglé ;
la Porte refuse de faire des excuses et
le gouvernement hellène ne veut pas
reconnaître la commission d'enquête
nommée à Constantinople.
La mobilisation brésilienne se pour
suit; le Pérou n'a pas répondu à la
note du Brésil exigeant l'évacuation
des territoires d'Altopurus et d'Alto-
jwrna.
■ ; —4-
NOUVELLES DE ROME
Urne protestation du Pape.
Notre correspondant nous télé
graphie :
Rome, 5 mai,
11 h. 50 du matin.
. L 'Osservatore k Romano confirme le
brait que, considérant le voyage à Rome
de M. Loubet comme une offense très
grave à Sa dignité et aux droits du
Saint-Siège, Fie X a adressé au gouver
nement français une protestation formelle
eténergique pour l'offense subie ; Sa Sain
teté fait part de Sa protestation,par l'or
gane de ses représentants, aux autres
gouvernements.
D'autre part Y Agence Havas nous
communique les télégrammes sui
vants :
■ Rome, 4 mai.
L 'Osservatore Romano, à propos des
nouvelles publiées sur l'attitude du Vati
can à l'occasion de la visite de M. Loubet
à Rome, déclare que cette attitude fut
telle qu'elle convenait à là dignité du
Pape et à l'affirmation de ses droits.
C'est pourquoi le Saint-Siège adressa
une protestation formelle au gouverne
ment français ; en même temps, il invitait
les nonces à l'étranger & communiquer
cette protestation aux gouvernements de
tous les Etats avec lesquels il se trouve
en rapport direct.
Rome, 4 mai.
La Tribuna dit que la nouvelle de la
protestation du Pape contré le voyage de
M. Loubet à Rome lui est confirmée par
une dépêche de Paris disant que la pro
testation a été remise à l'ambassade de
France près le Saint-Siège le 28 avril au
soir.
La Tribuna ajoute que pendant le sé
jour de M. Loubet à Rome, le Vatican hé
sitait s'il devait envoyer ou ne pas en
voyer cette protestation.
A partir de l'arrivée de M. Loubet à
Rome, le cardinal Merry. de! Val n'est
pas sorti du Vatican. Une longue pro
menade faite par le Pape avec les cardi
naux: Rampolla et Merry del Val dans
les jardins du Vatican a donné lieu aux
bruits les plus étranges. Ni : M. Nisard,
ambassadeur de France près' le Saint-
Siège, ni son secrétaire ne sont allés au
Vatican depuis l'arrivée de M. Loubet à
Rome.
ME ME DE L' « OSSERYATOBIBOIM0 »
Il Osservatore Romano publie la
communication suivante :
Nous avons vu, ces derniers jours, pu
blier à nouveau, dansun opuscule inti
tulé : Les derniers jours de Léon XIII et
le conclave par un témoin, quelques ar
ticles qui avaient déjà paru dans une re
vue française.
Nous n'avons pas l'intention d'entrer
en polémique avec l'auteiir anonyme de
l'opuscule, ni de relever ce'qu'il peut y
avoir d'inexact ou même de moins con
forme à la vérité des choses.
Nous ne pouvons cependant ne pas dé
plorer hautement ce qui, dans une telle
publication, tend directement à blesser
l'éminénte personne du doyen du Sacré-
Collège et la dignité même de l'auguste
assemblée.
OORilNATlOinJNlYEfiSELLE ]
Il paraît, si l'on en croit nos mi-
» nistres, que l'expulsion des congré-
ganistes s'imposait urgente pour
; empêcher l'établissement de la do
mination universelle qu'ils ambi
tionnent. Que nos Sœurs de charité
qui soignent les malades aient une
telle ambition, une semblable ac
cusation ne peut qu'exciter un rire
de pitié. Sans doute il ne s'agit pas
de celles-là, nous dira-t-on; mais
alors pourquoi les chasser?
L'accusation formulée ne vise ap
paremment que les ordres ensei
gnants et ceux pour qui l'on a forgé
le nom nouveau de prédicants. Est
elle plus justifléeà leur égard ? Non,
si l'on entend par là que les ordres
religieux prétendent pour eux-mêmes
au gouvernement du monde. Oui, si
l'on veut dire qu'ils travaillent à la
domination universelle de l'Eglise.
Celle-ci, c'est bien vrai, ne tend à
rien moins qu'à une domination uni
verselle : sans cela, elle ne s'ap
pellerait pas catholique. Cette pré
tention doit-elle être un épouvan-
tail?C'en est un, en effet, pour les
Francs-Maçons, qui prétendent eux-
mêmes à cette domination et voient
dans l'Eglise une rivale redouta
ble.
Mais quelle est donc cette 1 domina
tion qu'elle ambitionne? C'est celle à
laquelle prétendait son fondateur,
qui disait : « Mon royaume n'est pas
de ce mondé».C'est sur les âmes que
l'Eglise aspire à régner : elle laisse
au pouvoir temporel tous ses droits,
mais elle lui refuse l'empire des
consciences. Il est de la nature de la
vérité d'être universelle : toute doc
trine religieuse ou philosophique
qui se donne comme l'expression de
la vérité, a logiquement l'esprit de
prosélytisme et la prétention de se
répandre en tous pays. Assigner des
limites géographiques à une doc
trine, c'est ne pas croire à sa vé
rité.
. Donc l'Eglise doit prétendre à la
domination universelle, mais à celle
des âmes.
Ses adversaires, eux, y préten
dent tout autant, mais, tandis que
celle de l'Eglise est restreinte au
spirituel, la leur ne connaît aucune
restriction : elle est doublement uni
verselle, l'étant quant à l'espace et
quant à son objet : comme le césa-
risme antique, elle prétend régner
dans l'un et l'autre domaine, le spi
rituel et le temporel, gouverner les
peuples et régenter les consciences.
N'est-ce point là l'ambition de la
franc-maçonnerie ? Est-elle, par suite,
bienvenue à reprocher à l'Eglise
qui, après tout, peut montrer des
titres assez sérieux, une ambition
que la sienne dépasse de beaucoup,
elle qui ne saurait dire de qui elle
tient ses droits, se les étant confé
rés à elle-même dans le secret de
ses loges ?
Mais si l'ambition de l'Eglise doit
plier devant celle de la franc-maçon
nerie, que cette société hypocrite
ne parle plus de l'ambition des con
grégations, mais qu'elle reconnaisse
franchement, si toutefois elle sait ce
que c'est que la franchise, qu'elle
a en vue l'Eglise elle-même.
A. D 'O.
AU JOURLE JOUR
Sous ce titre: « La'Msons la laïque »,
nous lisons dans la Petite République :
« Le jeune enfant de l'un de nos amis
arrive tout joyeux au déjeuner, chez ses
parents. On lui demande la cause de sa
joie...
« — Pensez si nous sommes contents
au lycée du petit Condorcet, répond-il.
A l'occasion delà première communion,
on a enlevé toutes les punitions...
« Et l'on parle de l'école sans Dieu 1 »
Un député de l'extrême-gauche devrait
interpeller pour demander le rétablisse
ment des punitions. Voilà qui-ferait plai
sir aux potaches !
On a fait exécuter dernièrement, à la
caserne des Célestins, par lès cinquante
tambours de la garde républicaine, la
Marche d'Austerlits, qui ne figure plus
dans aucun recueil de musique militaire.
Le gouverneur militaire de Paris, qui
avait voulu l'entendre lui-même, a adressé
au colonel de la légion une lettre où, après
avoir constaté que cette marche, réglée
pour l'ancien pas ordinaire, serait très
difficile à adapter à la cadence actuelle,
il l'invite à conserver ce curieux docu
ment dans les archives de la garde répu
blicaine.
Le « pas ordinaire », en effet, usité
jadis dans les marches d'apparat, n'existe
plus dans l'armée française, où la marche
se fait toujours au pas accéléré.
Les mœurs d'un certain journalisme,
nul ne l'ignore, n'ont avee la bienséance
que des rapports fort éloignés.
Nous ne voulons pas jparler de la por
nographie, mais de la hâte indécente
avec laquelle on fait parfois la nécrologie
des gens qui né sont pas encore morts.
Ainsi a-t-on fait pour Louise Michel qui,
il y a six semaines, était à toute extré
mité. -
La pauvre femme a été « enterrée »
magnifiquement par les journaux socia
listes de diverses nuances,qui se sont dis
puté ce qu'ils croyaient être le cadavre
de la « vierge rouge ».
Or, pendant ce conflit d'oraisons funè-
vbres, Louise Michel guérissait, tout tran
quillement. '
On annonce aujourd'hui qu'elle a pu
sortir et qu'elle va quitter Toulon. r
Tant pis 1 ont dû se dire les bons pané
gyristes.
Les articles nécrologiques, un peu reta
pés, serviront une autre fois.
-* • •.
- - i • »
Les beautés de l'administration de M.
Pelletan fourniraient la matière de nom
breux volumes.
Citons néanmoins l'histoire suivante,
que narre le Figaro :
Il y a dix mois environ, le comman
dant de la marine à Dakar (Sénégal) de
mandait au ministère qu'on lai envoyât,
n'en pouvant trouver sur place, un ou
vrier fondeur des arsenaux.
A l'arrivée de la lettre du commandant
de la marine, la direction du matériel fit
demander,suivant l'usage, dans les ports,
les noms des ouvriers fondeurs « qui se
raient désireux d'aller à Dakar ».
Les réponses parvinrent au ministère
et le directeur du matériel proposa au
ministre d'envoyer l'ouvrier qui, d'après
l'examen de son dossier, lui paraissait
remplir le mieux les conditions de santé
et d aptitudes nécessaires.
La proposition du directeur revint du
cabinet non signée, avec l'ordre de dési
gner le nommé G..., ouvrier tournewr.
Sur quoi le directeur fit observer que le
commandant de Dakar demandait un fon
deur et non un tourneur.
Nouvel ordre d'envoyer le nommé G...;
note de la direction du matériel exposant
les motifs pour lesquels le tourneur ne
peut être envoyé au Sénégal. Bref,
l'affaire alla dormir dans un carton.' 1
Deux mois se passèrent; le comman
dant de la marine réclama de nouveau un
fondeur . Après diverses ehinoiseries
hiérarchiques le dossier de l'affaire fut
renvoyé à la direction, avec ordre, écrit
cette fois, d'envoyer le nommé G..., tour
neur. On se conforma à l'ordre et G... fut
acheminé sur Dakar.
Le commandant de la marine est fu
rieux, et on le comprend. Son tourneur^
en effet, n'a que ses pouces & tourner, et
son fondeur lui manque toujours.
Pendant ce temps, M. Pelletan se pro
mène en Tunisie, aux frais des contribua
bles, et sable le Champagne en écoutant,
d'étape en étape, les éloges pompeux
qu'on fait de son administration.
m
* .•
Quelqu'un fait observer que la Société
centrale de sauvetage des naufragés tien
dra son assemblée générale dimanche
prochain.
— Ça tombe bien, observe un autres
justement le jour où il y a tant de blo-
cards à repêcher !
Çà et là
LE MARCHAND DE BONHEUR
« Mon père, écrit l'auteur des Mortl-
coles, mon père me répétait souvent : « Je
« voudrais, ma tâche achevée, m'établir
«marchand de bonheur. Mon bénéfice
« seraitdans mon succès... »
Alphonse Daudet expliquait ensuite
son idée ; il irait aux infirmes, & tous ; il
gagnerait leur confiance avec de la ten
dresse... Il prêcherait la pitié active et
non les larmes inutiles. Et son dernier
biographe (1), M. Gustave Toudouze,
nous montre, preuves en main, que ce n'é
tait pas là; pour l'incomparable.conteur,
un vain mot, une phrase à effet ou une
théorie purement sentimentale.
« Que d'aveux entendus par lui 1 Que de
douleurs consolées! Que de souffrances
apaisées! Que de malheureux, arrivés
éperdus, honteux, prêts à tout, et qui
sortaient de son cabinet réconfortés, sou
lagés, rassurés, confiants, sauvés d'eux-
mêmes par ce marchand de bonheur... »
■ Suivent, de cette charité compatis
sante, toujours en quête de bien à faire,
des traits vraiment charmants. « Faut-il
rappeler ses joies mystérieuses quand,
caché derrière ses volets, à Champrosay,
il s'amusait à lancer une pièce de cinq
francs à un infortuné chemineau, harassé
de fatigue, écroulé devant sa porte, et
que, sans se montrer, il jouissait delà
surprise et de ce gros plaisir du pauvre
hère ne sachant d'où lui tombait cette au
baine? Ou bien, alors que touchant une
somme de dix mille francs pour une œu
vre, il n'en avouait que huit mille au bud
get familial pour en consacrer deux mille
à de mystérieuses aumônes ? Ou bien en-
■core lorsque, se promenant en* voiture
par la forêt de Sénart, dans les jolies
routes boisées, il avait toujours soin de
se munir d'une provision de monnaie
pour la semer en pluie bienfaisante sur
la tête ou devant les pieds des malheu
reux qu'il rencontrait, et qui n'avaient
même pas le temps de remercier ce mar
chand de bonheur que les chevaux em
portaient à toute vitesse ?»
En lisant ces lignes, je me suis dit :
«Quelle belle profession, pour un chré
tien, que de s'établir marchand de bon
heur 1 »
N'avons-nous pas dans l'Evangile un
manuel incomparable ? Le lire, le méditer,
le mettre en pratique, suffirait à rendre
chacun de nous heureux.Par le fait même,
puisque nous vivons en société, conformer
ses actions aux leçons du Saint-Livre, ce
serait faire rayonner autour de soi ces
effluves magiques de douceur, de patience,
de charité, qui purifient et embaument
l'atmosphère et qui font germer la paix
dans lésâmes, la joie dans les cœurs, le
sourire sur les visages : « Bienheureux
les pauvresi en esprit : le royaume des
cieux leur appartient! Bienheureux les
doux, ils posséderont la terre !... Pour
moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, fai
tes du bien à ceux qui vous haïssent, priez
pour qui vous persécute et vous calomnie,
afin que vous soyez vraiment les fils de
votre Père qui est aux cieux : lui, il fait
lever son soleil sur les bons et' sur les
méchants, il envoie sa pluie aux justes
et aux injustes. Soyez donc parfaits
comme votre Père céleste est parfait. »
Tout serait à citer ici, de ce sublime Ser
mon sur la montagne. Mais à quoi bon?
Qui ne l'a lu cent fois, qui ne l'admire,
quel chrétien ne s'y est coinplaisammerit,
religieusement arrêté dans le silence de
l'Eglise, dans le recueillement de l'orai
son?
Que si, pour notre apprentissage dans
un métier qui réclame tant de tact et de
délicatesse, nous avons besoin d'un maî
tre, inutile de l'aller chercher bien loin.
(1) Pages choisies d'Alphonse Daudet.
Armand Colin, éditeur, Paris.
- C'est celui-là même qui exposait si ma
gistralement, 'dans ses discours, la théo
rie du vrai bonheur; du bonheur pour soi
et du bonheur pour les autres. Il parlait
si bien que dans leur enthousiasme, ou
blieuses de tout, du vivre et du couvert,
des foules innombrables le suivaient sans
. jamais se lasser. Mais puissant en œu
vres autant qu'én paroles, depuis le jour
de sa naissance jusqu'à l'heure désa mort
'il a été le plus grand, le seul vrai mar
chand de bonheur que là terre ait connu.
Auprès de sa crèche, son sourire' d'enfant,
ses grâces divines captivèrent les hum
bles et les grands, les bergers et les ma
ges qui, de leur vie, ne devaient plus l'ou
blier. De sa croix, au milieu des affres de
la plus cruelle agonie, il fit une promesse
à un vçleur de grand chemin, pour qui
tout semblait perdu, et auquel il rendit
l'espoir et la joie jusque dgins.les suppli
ces. Et entreces deux moments extrêmes,
que d'heureux n'avait-il point faits, dans
l'atelier de Nazareth?Il avait ravi son
père et sa mère, par son obéissance et sa
tendresse ; bon, doux et charitable pour
tous, il avait conquis ses parents, ses voi-
.sins, ses compagnons de jeux, d'études et
de travail.
Pendant trois ans, il avait vendu, sans
compter, le bonheur le plus pur et le plus
parfait : aux enfants qu'il couvrait de ses
caresses et de ses baisers ; aux malades
qu'il rappelait à la santé ; aux pécheurs à «
qui il rendait la paix avec le. pardon,. De
ses lèvres tombaient, sur des auditoires
variés, des paroles divines, de celles qui
éclairent, qui consolent et qui fortifient.
De ses yeux jaillissaient des sourires aux- t
quels rien n'aurait su résister. Et ses
mains, d'un geste, calmaient la tempête ;
d'une bénédiction, multipliaient ou trans
formaient les substances; d'un contact,
chassaient la souffrance ; d'un signe, pu?
rifiaient les consciences et faisaient le
vide dans les tombeaux. Car la mort elle-
même lui obéissait : il rendait les enfants
à leurs mères, et la joie refleurissait dans
ces âmes én deuil d'où l'espoir semblait
banni à tout jamais.
En remontant vers son Père, sa tâche
achevée, au jour triomphant de son As
cension, il n'a point emporté son secret
avec lui. Ne nous a-t-il pas laissé sou
Eglise immortelle, avec la vieille chant
son, vieille comme l'air pur qui vivifié
nos poitrines, comme les rayons de- soleil
et les gouttes de pluie qui fécondent nos
prairies et nos champs, et qui sèche plus
de larmes en une heure que n'en arrête-»
ront, dans la suite des temps, les phrases
creuses et sonores de tous nos.rhéteurs t
Exemple et prédication des saints, spec
tacle de la Croix et lecture de la Passion,
approche du tabernacle, où Jésus réside
et de la table sacrée où il se donne, espé*
, rance du ciel où' il nous appelle et qu'il
faut mériter, prières que l'on fait à ge-t
noux, d'une âme humble etcrôyante, d'un
cœur aimant, autant de refrains sublimes,
qui feront toujours naître le sourire fsur*
les visages, parce qu'ils répandront paix
et joie au plus sublime de nous-mêmes !
■ A la suite du bon maître, tous les chré
tiens ont le devoir de tendre à devenir<
marchands de bonheur « Je vous ai-
donné l'exemple, nous dit-il, qui m'aima;
me suive I » Et nous devrions tous faire
des heureux de ceux qui nous entourent^
mais nous sommes si peu parfaits et ta :
métier est si délicat, si difficile ! Il y a,
dans chacun de nous, un tel fond d'ê-
,goïsme, tant de défauts, tant de vices qui '
nous portent à empiéter, ouvertement ou >
hypocritement, sur les droits d'autrui, à
oublier tout ce que nous devons à notre pro-
chain. Nous pensons à nous tout d'abord,
et aux autres ensuite, si nous en avons la
temps, et ce temps-là, que réclame la
charité, combien peu le trouvent !
Vous à qui rien ne manque des biens de -
la terre,ô riches,soyez généreux et discrets
dans vos aumônes ; vous pouvez, de la
sorte, guérir tant de plaies secrètes, sou
lager tant d'infortunes, rendre la con
fiance à tant de désespoirs : aux pauvres
et aux malades, la plus petite attention
ne saurait être insensible ; aux humbles >
et aux inférieurs, à vos domestiques, la-
protection que vous leur accorderez, l'in
térêt que vous leur témoignerez, si vous
avez soin d'en écarter tout cè qui senti
rait l'inquisition et l'orgueil protecteur,
feront prendre patience et rendront plus
supportables les fatigues et les ennuis dé
leur charge.
Nous qui vivons au jour le jour, nous
en remettant à Dieu pour le pain de de
main, nous ne laisserons point aux ren
tiers et aux bourgeois, ce précieux mono
pole. Qui ne peut, à l'occasion, par une
bonne parole, par un conseil ami, par un
sourire bien franchement cordial, par usé
chaude poignée de mains, un signe ou un
mot de compassion sincère, faire un peu
de bien autour de lui ? Une démarche mi
faveur d'un malheureux, quelques lignes ,
de recommandation, une lettre de condo
léances, de félicitations, une simple ques
tion, preuve de sympathie, un rien, sur
tout auprès des faibles, auprès de ceux
qui sont seuls, de ceux qui souffrent ou
qui pleurent; est-il quelque chose de
plus facile et de plus producteur? Ah ! si
nous voulions! Mais peu nombreux sont
ceux qui veulent réellement, ceux qui
veulent toujours.
Et pourtant, chaque soir, à l'heure de
l'examen de conscience, quel bon moment
ce devrait être pour le chrétien, que ce
lui, où prenant ses livres. de compte^ il
récapitulerait ses affaires de la journée t
Il n'aurait aucun amour-propre sans
doute pour les succès obtenus, mais il ge
livrerait sans scrupule à la joie bien per
mise du devoir accompli et du bien qu'il
aurait pu faire. Il ne se découragerait
point au souvenir des occasions perdues,
des maladresses commises, des négligen
ces apportées, d§a clients perdes ou ra-
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