Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1902-05-12
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34520232c
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 mai 1902 12 mai 1902
Description : 1902/05/12 (Numéro 12490). 1902/05/12 (Numéro 12490).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k711080p
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Lundi 13 Mai 1002
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Lundi 12 Mai 1902
fe mOig QUOTIDIENNE
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PARIS ÉTRANGER
s9 eé'pahtemensg (union postal^
ÎT e sa..25 » 38 »
Six mois.....« 13 » 48 »
Trois mois....o *7 » i@ ®
£>ss àboaseaie&ts partent des 1" et S® Sa okaque ®,cls
VU NUMÉRO ; Paris & Départements 10 eest
SUREAUX : Paria, me Cassette, T? (VI* an.)
©n s'abonne à Rome, place du Gesù, 8,
E3X
LE MONDE
PARIS, il MAI 1902
60&£&£AJ[E£E2
Le marquis de Sé ■
gtir. .....:. F rançois V euiiao*.
Hiïr et aujourd'hui. P. A.
Lettres de Syrie... U n L ibanais.
Lettres d'Egypte.... A. C ouderc.
Les conférences li
bres de l'Institut
catholique E; A.
Une âme de prêtre. F. V.
Feuilletons : Quin
zaines dramatiques -
et artistiques H enri D a C.
Bulletin bibliographi
que
Bulletin. — Au jour le jour. — Un mis
sionnaire chez les Illinois. — La catas
trophe de Moyenneville. — L'affaire
IIumbert-Grawford. — La catastrophe de
Saint-Pierre. — Etranger. — A travers
la presse. — Le repos du dimanche. —
Lettres, sciences et arts. — Académie
des sciences. — Académie de médecine.
— Echos de partout Les iêtes de
Jeanne d'Arc à Rouen. — L'œuvre de
Sainte-Phllomène. — Cercle d'apologéti-
que.sociale. — Nécrologie. — Nouvelles
diverses. —Revue de la Bourse. —
Calendrier. — Dernière heure.
LE MARQUIS DE SÉGUR
Le collaborateur et l'ami que
nous pleurons consacra jadis à Mgr
de Ségur un monument de dévotion
fraternelle et de vérité; nous sou
haitons ardemment qu'il se trouve
aujourd'hui un cœur aimant et
pieux, pour offrir à la douce et
noble mémoire du marquis de Sé
gur l'hommage qu'il rendit à son
frère. Un si pénétrant souvenir est
de ceux qu'il faut garder ; un si
beau modèle est de ceux qu'il faut
répandre. On viendra, nous l'espé
rons, donner tout son relief à cet
esprit délicat et cultivé, à cet écri
vain qui prenait sa pensée au plus
profond de l'âme et son style au
plus pur du français, à ce chrétien
généreux, tendre et enthousiaste, à
cet apôtre enfin d'une piété si fer
vente, si discrète et si active. ^
Mais, à présent, ce n'est point sa
vie que je veux raconter ; je n'en
connais pas tous les détails et je
craindrais de mal réunir,au plus fort
du chagrin, les détails que j'en con
nais.
Tout simplement, en peu de mots,
je voudrais dire aux lecteurs de ce
journal, dont son affection persé
vérante était l'une des forces et sa
plume un des meilleurs attraits, ce
que fut le marquis de Ségur. Je
voudrais parler de lui, sans mé
thode, au fil du souvenir. A parler
de l'absent qui vient de nous quit
ter, ne semble-t-il pas qu'on pro
longe un instant sa présence à
jamais perdue?
Je le revois assis dans son fau
teuil, au coin de son feu ; je le re
vois, agenouillé devant l'autel, en
ce modeste oratoire de la rue du
Bac, en ce sanctuaire embaumé
par Mgr de Ségur, où il aimait tant
a prier, où. il priait avec tant d'a
mour. On se sentait enveloppé
d'une douceur exquise, en écoutant
ce bon et charmant vieillard, à
l 'âme juvénile, au cœur chaud, à
l 'intelligence ouverte. On se sentait
poussé vers le ciel, en le voyant
abîmé devant Dieu, le visage éclairé
par la flamme intérieure.
Près de lui,ma pensée se reportait
à l'un de ses meilleurs ouvrages et
je songeais quel beau chapitre on
pourrait ajouter, du portrait de son
. âme et du récit de ses œuvres, à La
Bonté chez les saints î
Au surplus, pas n'était besoin de
le connaît re à fond, pour être attiré
par la sympathie qui rayonnait de
sa personne. Il suffisait de le lire,
on ét^it conquis, Nul ne me démen
tira, j'en suis certain, "de tous ceux
qu'il a charmés par la bonne grâce
et le sourire de ses plus aimables
fantaisies, de tous ceux qu'il a émus
par la délicatesse et la pénétra
tion de ses récits les plus tou
chants.
Ses écrits lui gagnaient les
cœurs, parce que son cœur y par
lait. On voyait l'homme à travers
les sujets dont il faisait choix,
tous élevant l'âme à Dieu, presque
tous empruntés à son expérience
charitable et se complaisant à mon
trer de pures et nobles figures. On
le voyait dans les héros qu'il aimait
à peindre, et dans le dernier, no
tamment, cet Henri de Lassus au
quel il consacra ses suprêmes 2a-
beurs. On le voyait enfin jusque
dans son style, expression de son
goût très sûr et très fin. Dans tout
ce qu'il donnait, le marquis de
Ségur était bien lui-même.
Dès ses débuts littéraires, il fut
ainsi jugé par Louis Veuillot, qui
le connut et qui l'aima.
Ce que Louis Veuillot disait, il y
a quarante-cinq ans, des Témoigna
ges et souvenirs , on pourrait l'ap
pliquer, en effet, à l'œuvre tout en
tière.
On pourrait l'appliquer surtout
aux délicieux recueils aont ce livre
a ouvert la série, gerbes formées de
morceaux épars, unis par la com
munauté du but et de l'inspiration :
Les Enfants de Paris, l'Eté de la.
Saint-Martin, Simples histoires,
Histoires vraies, Petits et grands
personnages, Soldats, Personnes et
choses, etc.
Lequel, de ces ouvrages, dont on
ne puisse écrire, avec Louis Veuil
lot: c'est « un livre qui est pure
ment et simplement, mais avec ex
cellence, ce que l'on appelle un bon
livre » ? Lequel, où ne fleurissent
« des pages aimables et qui font du
bien » ? Lequel, où ne soient affir
més « la foi chrétienne la plus pro
fonde, l'amour le plus sincère et le
plus touchant pour l'Eglise de*Jé
sus-Christ » ? Lequel, enfin, où ne
paraisse « un esprit juste et cultivé
qui, néanmoins, sans tomber jamais
dans la déclamation, ne craint pas,
lorsqu'il le faut, de laisser parler le
cœur»?
Ce cœur et cet esprit, nous les re
trouvons également dans les poésies
du marquis de Ségur. Sa bonne hu
meur discrète et enjouée nous sou
rit dans les Fables ; sa délicate et
vraie sensibilité nous ravit dans la
Maison ; son affection très profonde
et tout à la fois très élevée nous
émeut dans les chants consacrés
à sa sœur Sabine ; l'ardeur et le
superbe accent de sa foi nous sou
lèvent, dans l'héroïque épopée de
Sainte Cécile ; l'élan de sa piété
nous entraîne à Dieu, dans ses can
tiques, — tel celui qu'il rima pour
Gounod, son ami : Le ciel a visité la
terre... En un mot, prosateur ou
poète, il nous remue toujours, étant
toujours lui-même.
Non seulement, le marquis de
Ségur a mêlé son âme à tous ses
ouvrages ; mais, bien souvent en
core, il y a mêlé sa vie. On peut re
nouer les principaux événements de
sa carrière, en parcourant ses li
vres.
Le voici, dans l'Eté de la Saint-
Martin, qui repasse, au coin du feu,
les lointains de son enfance. Il nous
confie qu'il dut subir le joug de l'en
seignement universitaire en un
temps ou les « jésuitières » étaient
proscrites ; — il était né le 25 avril
1823. Mais reprenez les Témoi
gnages et souvenirs, et vous le
verrez, jeune homme, aux pieds ;
de Lacordaire, ouvrant son. .âme
enthousiaste à ce verbe enflam
mé, qui détruisait en lui les ger
mes malsains de l'éducation offi
cielle. Et, selon la remarque de
Louis Veuillot, sa fougue à louer
l'orateur montre, en même temps
que son" admiration, « comment
son cœur s'est formé, tel qu'il
nous apparaît dans cette confession
ingénue, plein de ferveur, aimant
Dieu, ardent à toute sorte de bien ».
Anatole de Ségur était donc for
tement chrétien, quand il entra dans
la carrière administrative. Au Con
seil d'Etat, comme à la préfecture
de Chaumont qu'il occupa peu de
temps, il garda le zèle et la fermeté
de sa foi.
Il fit mieux que les maintenir en
lui-même; il les proclama sans fai
blesse au dehors. Il ne- servait pas
un gouvernement, mais la France
et l'Eglise; et, selon le conseil qu'il
avait reçu de Pie IX, en audience
intime, il se maintint fidèlement à
son poste, afin d'y travailler pour les
intérêts de la religion, « Ma seule po
litique, a-t-il écrit plus tard, a tou
jours été de - servir la France et
l'Eglise en dehors de toutes les
considérations de personnes, de
tbutes les formes constitutionnel-,
les. »
Aussi, les fonctions qu'il rem
plissait au Conseil d'Etat impérial
n'empêchaient-elles pas Anatole de
Ségur de batailler ouvertement
peur la cause catholique et, tandis
que la complicité de l'empereur en
gageait peu à peu le Piémont sur
le chemin de Rome, le jeune écri
vain glorifiait hautement les Mar
tyrs de Castelfidardo.
Napoléon III reconnut la juste
fierté de cette indépendance chré
tienne, en nommant enfin conseiller
d'Etat ce bon serviteur du pays,
d'autant plus loyal qu'il était un
Elus ardent serviteur de l'Eglise,
[ais ce qui n'avait point choqué le
monarque offusqua le gouverné-
ment de M. Grévy. Le marquis de
Ségurput compris dans ces révoca
tions violentes et illégales, qui dé
couronnèrent la haute assemblée,
pour la réduire à n'être fplus qu'un
conseil de complaisants.
Révoqué, l'ancien conseiller d'E
tat donna, plus, que jamais, tout son
temps, toutes ses préoccupations,
toute sa vie, tout lui-même, à ses
chers travaux, à ses œuvres plus
chères encore.
Le marquis de Ségur, en effet, ne
fut pas seulement un homme d'étu
des ; il fut un apôtre.
Les œuvres, il les avait toujours
aimées de toute l'effusion d'une
bonté charmante et généreuse. Il
avait été le bras droit de son frère
en maintes circonstances et, notam
ment, dans la fondation de l'œuvre
de Saint-François de Sales ; jusqu'à
l'épuisement de ses forces, il en de
vait rester l'âme et la tête.
Ses journées ne s'enfermaient
point dans son cabinet de travail,
au milieu des livres ; on le rencon
trait dans les patronages et dans
les cercles. Et son cabinet lui-
même était obligé constamment de
subir la souriante et brusque inva
sion de ses jeunes protégés.
Ces adolescents que le marquis
de Ségur a aidés, conseillés, sou
tenus, qui, demain, suivront son
cercueil en lui offrant l'hommage
sacré d'un chagrin sincère et pro
fond, voilà les historiens qui pour
raient conter les plus belles pages
de sa vie, les plus émouvantes et
les plus douces. Combien n'en a-t-
il pas suivis de la petite enfance à
l'âge mûr? Il les aimait si tendre
ment, ces Enfants de Paris, dont il
aiï^âcé le caractère, avec une émo
tion spirituelle et charmante! On
eût dit qu'une singulière affinité
rapprochait ce vieillard ardent et
bienveillant de ces bambins au
cœur vif et généreux. Il les aimait,
d'une affection paternelle ; il leur
prodiguait ses bontés, ses avis, ses
enceuragements ; je dirais volon
tiers qu'il les dirigeait. Oui, pour
beaucoup d'entre eux, sous le vête
ment laïc, il était un véritable et
précieux directeur de conscience.
. Par sa sollicitude et par ses let
tres, il suivait au loin ceux que la
loi militaire arrachait de Paris. Qui
ne se souvient des pages délicieu
ses qu'il a tirées de sa correspon
dance avec ses petits soldats ? Son
culte était si fervent pour l'armée 1
Tout son vieux sang français lui
battait si fort dans les veines à la
vue du drapeau. Dès sa jeunesse, il
avait porté aux œuvres militaires le
premier essor de son dévouement
et ce sont elles aussi qui ont bé
néficié de son dernier labeur. Il y a
quelques semaines, en effet, le mar
quis de Ségur envoyait un article
au modeste bulletin d'un cercle
de soldats...
Quelque temps après, le diman
che £7 avril, il sortait encore une
fois, déjà'malade, épuisé, contraint
de se faire accompagner, presque
soutenir. Il y avait un devoir au
quel, malgré sa faiblesse, il ne vou
lait point faillir. Après avoir en
tendu la messe, il alla voter. Puis il
rentra et la maladie le saisit vio
lemment.
Elle vient de l'abattre, après dix
jours d'une lutte suprême et, ven
dredi soir, un instant avant minuit,
cette belle et sainte âme a paru
devant Dieu.
C'est le cœur oppressé, c'est les
larmes aux yeux,que nous l'accom
pagnons de nos prières au tribunal
divin. Mais, déjà de notre douleur
une espérance éclot, qui, pendant
que nous prions pour lui, nous
porte à le prier d'intereéder pour
nous.
François Veuillot.
— Les funérailles du marquis de Sé
gur seront célébrées, mardi, à onze heu
res, à'l'église Saint-Pierre du Gros-
Caillou.
IL-.—•— • 'iiillnli-
'BULLETIN
Aujourd'hui, second tour de scrutin
dans les 174 circonscriptions où il y a
ballottage. Puissent les électeurs com
prendre leurs devoirs de citoyens et de
patriotes.
A la Martinique, Irruption continue,
et malheureusement on ne peut plus
conserver aucun doute sur l'immensité
du désastre. Toutefois une dépêche an•
nonce que le nombre des survivants se
rait un peu plus élevé qu'on ne l'avait
cru tout d'abord.
Ainsi que nous l'avons dit en Dernière
Heure, le conseil des ministres vient de
décider l'envoi d'une mission chargée
d'apporter les premiers secours : elle
s'embarquera ce soir sur le navire de
guerre le D'Assas.
Aujourd'hui, devait avoir lieu un
ballottagedans la deuxième circonscrip
tion de la Martinique, celle précisément
où est comprise la ville de Saint-Pierre.
Aussi le ministre des colonies a-til si
gné un décret, promulgué immédiate
ment à Fort-de-France, qui ajourne
l'ouverture de ce scrutin.
Les gouvernements étrangers ont
chargé leurs ambassadeurs de trans
mettre à notre gouvernement leurs com
pliments de condoléances k l'occasion du
désastre de la Martinique. Au Sénat
espagnol, le président a prononcé une
allocution dans laquelle il a exprimés se
inmos? SEMï- QTTQTIDXENNS
' —àfceao
PARIS ÉTRANGER
m DÉPARTEMENTS (UNION POSTALE^
(D'n an,.13 » 20 »
Six mois 7 » il » ;
Trois mois..... 4 » 5 5©
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L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits gui lui sont adressée
ANNONCES >
MU. LAGRANGE, CERF et C 1 ", 6, place de la B outés
douloureuses sympathies. Le cabinet
s'est associé à cette manifestation.
Hier, à Prétoria, les Anglais ont ins
tallé solennellement la cour suprême du
Transvaal.
niER ET AUJOURD'HUI
Des Pages d'histoire du vicomte
M. de Vogué j'extrais ces lignes,
laissant aux lecteurs le soin de faire
tous les rapprochements que com
portent les circonstances présen
tes :
En avril 1848, Lamartine avait ré
primé par son seul ascendant la redou
table manifestation du 16 ; il avait rendu
possibles et pacifiques ces élections
du 23, dont chacun désespérait jusqu'à
la dernière heure. Le lendemain du jour
où fut nommée cette assemblée qui de
vait le précipiter du faite, — il ne s'y
trompait point, — le chèf du gouverne
ment provisoire se déroba à ses amis; il
entra furtivement dans une église, se
perdit au milieu des fidèles, et là, il pria
longuement, remerciant la Providence
de l'avoir aidé à sauver son pays. Quelles
que soient nos croyances, nous avons tous
l'instinct qu'il faut beaucoup attendre et
très peu craindre d'une ambition brisée
par ce frein intérieur. Puissent nos des
tinées ne tomber jamais qu'en des mains
assez fortes, assez pures, assez sérieuses
pour aller offrir ainsi, dans le silence du
temple, le fardeau qni leur est confié !
Si M. Waldeck-Rousseau ' a ja
mais lu ces lignes, comme il a dû
hausser les épaules 1 Les vrais
hommes d'Etat sont ceux qui ne
s'agenouillent jamais et ne savent
plus prier. De même, les vrais ora
teurs. Et pourtant, dût Jules Gau
cher Tourgnol, député de Limoges,
se moquer de nous, nous avons non
moins de plaisir à citer la page sui
vante. Elle est d'un Jésuite et il
s'agit d'un comte, mais qu'im
porte?
Quand Montalembert doit monter à la
tribune, d'ordinaire il communie le ma
tin. En allant au Luxembourg, il s'ar
rête à Saint-Sulpice, et reste longtemps
à genoux devant l'autel de la Sainte
Vierge. Comme Condé sur le champ de
bataille, après ses plus beaux triomphes'
il B'anéantit devant Dieu. Vient-il de
restaurer une seconde fois la royauté
pontificale par son admirablè discours
du 18 octobre 1849 : « En rentrant, dit-il,
je récite le Miserere et le Te Deum. Je
me sens profondément reconnaissant
envers Dieu d'avoir été choisi pour ar
racher à ce pauvre pays un semblable
acte de foi, mais aussi profondément
humilié de mon indignité personnelle.»
Dans l'épreuve comme dans le succès,
la prière est son recours. Quelques jours
après la révolution de février, voyant
arracher du fronton du Luxembourg
l'inscription : Palais de la Chambre des
pairs, il se réfugie encore à Saint-Sul
pice : a Je m'agenouille à cette chapelle
de la Vierge où j'allais toujours faire
l'hommage de mes discours... J'y porte
aujourd'hui ma douleur et ma ruine en
offrande au Seigneur. »
Lamartine et Montalembert, quels
maigres bonshommes, quand on
les compare aux sommités du jour!
Il faut avouer aussi qu'on était pas
mal arriéré encore, au milieu du
siècle qui précéda celui dans lequel
nous vivons !
P. A.
Aïï JOUE LE JOUR
La mer Caspienne n'est pas morte,
mais la mer Caspienne se meurt.
Elle dépérit, victime sans doute, di
ront les âmes sensibles, de cette solitude
pénible qui l'empêche de communiquer
avec les autres mers.
Les géologues, plus positifs, donnent
une autre explication du phénomène, et
l'attribuent aux nuages dépoussiéré sou
levés par le vent dansIeB déserts voisins,
ainsi qu'aux graviers arrachés par les
torrents et les glaciers aux entrailles du
Caucase.
Sables, poussière, cailloux, tout va
B'abattre dans le grand lac, dont une
partie se change peu à peu en terre fer
me. On a calculé que, durant le dix-
neuvième siècle, la mer Caspienne a
ainsi été réduite d'une dizaine de mille
kilomètres carrés.
C'est beaucoup, car cela fait dix mille
hectares par an. Néanmoins, nous ne
vivrons pas assez pour en voir la fin.
m .
m •
M. de Foville, dans la Revue politique
et parlementaire, s'occupe de « la jus
tice dans l'impôt », et préconise un sys
tème qui doit, selon lui, réconcilier les
partisans de l'impôt proportionnel avec
ceux de l'impôt progressif.
Ce système consiste à prendre pour
base de la taxe le revenu de chaque con?
tribuable diminué de la somme rigou
reusement nécessaire à sa subsistance.
Si le contribuable avait des enfants, la
somme à défalquer serait en raison du
nombre de ces enfants.
Si l'on admet, par exemple, qu'une
somme de trois cents francB par an soit
nécessaire en moyenne à une personne
pour ne pas mourir de faim, une famille
de cinq personnes, comprenant le père,
la mère et trois enfants, et jouissant d'un
revenu de quatre mille francs ne serait
imposée que pour un revenu de deux
mille cinq cents. L'impôt serait propor
tionnel pour le revenu taxé, et progres
sif en fait pour le revenu brut. Pour au
cun contribuable, il ne dépasserait le
taux établi à l'intention de tous les ci
toyens sans distinction. Seulement pour
les contribuables riches, le revenu brut
et le revenu net se confondraient sensi
blement.
Les contribuables dont le revenu serait
égal à la somme rigoureusement néces
saire à leur subsistance ne paieraient
pas d'impôt, puisqu'on considérerait
leur revenu imposable comme égal à
zéro.
Enfin, pour les contribuables ne jouis
sant pas même d'un revenu égal à la
somme en question, l'impôt serait néga
tif, c'est-à dire qu'il Berait remplacé par
l'assistance.
Le système de M. de Foville eBt ingé
nieux. Il n'a qu'un défaut, c'est qu'il sup
pose le revenu de chacun connu ou aisé
à connaître. Or, c'est malheureusement
ce qui n'est pas.
•
m *
Dugourdon revient de visiter Bon hé
ritier, qu'une indisposition retient à l'in-
firmerie du lycée. En rentrant, il dit à sa
femme:
— Ils sont encore malins là-dedans I
Ils ont prescrit un médicament pour l'u
sage externe, et Alfred - est pension
naire.
LETTRES DE SYRIE
A Son Excellence Monsieur Constans,
ambassadeurde France à Constantin
nople.
Monsieur,
La France, d'accord avec les autres
grandes puissances, nous avait octroyé
un peu de justice et de liberté, en 1862,
prix inégal du sang de nos pères traîtreu
sement massacrés. Nous étions fiers de
cette ombre de justice et de liberté, et
toutes les autres parties de l'Empire ot
toman nous enviaient notre sort et notre
bonheur apparent. Mais nous qui voyons
et savons tout ce que cache cette appa
rence trompeuse, nous gémissons sans
espoir, et nous levons vers le ciel des
yeux pleins de larmes et des mains liées
par l'iniquité. La liberté qu'on nous a
accordée a consisté à nous planter sur
des roehers stériles, comme dans une
forteresse, dont nous ne pouvons fran
chir les remparts : on ne nous a pas don
né un port de mer, pour nous laisser à
la merci d'un tas de fonctionnaires sans
aveu ; on ne nous a pas laissé un morceau
de plaine, pour nous asservir par la
faim.
Nous avons cultivé les rochers arides ;
FEUILLETON DE L'UNIVERS
du 12 MAI 1902
Il MM DE M SOCIETE MIMAI
DES BEAUX-ARTS
3® WJ.TICLE (*).
Il me reste à parler,gour achever l'exa
men du Salon deB bea, x ar t S} d e quel
ques toiles de valeur puit à examiner la
sculpture, les dessins et le^objets d'art.
Les portraits de Mme 0. foedersteia,
que je n'avais fait qu'indiquer i^ns mon
premier article, sont de ceux qug f au t
considérer avec attention. Cette ar peint de la façon la plus consciencieuse
et la plus élevée. Son portrait du doctes
Winterhalter, du jeune Suisse à l'arbi.
lète, la figure appelée Mélancolie son.
désœuvrés deB plus méritoires. Le des
sin en est agréable et le coloris harmo
nieux. J'ai, chaque année, du plaisir à
louer un talent de plus en plus méritoire.
La jeune femme rieuse de M. Gabriel
Biessy vaut mieux que son couple qu'il
a placé d'une façon par trop bizarre et
qui fait quelque peu sourire.
Les marines de W. Mesdag ont l'am
pleur et la puissance que donne la con-
{*) Voir Y Univers des 20 et 28 avril.
naissance et la pratique de la mer. Voyez
la Marée montante à Scheveningue et ceB
huit bateaux qui partent gaiment pour
la pêche but le flot écumant, précédés de
goëlands joyeux. Voyez encore ces navi
res à l'ancre, le matin, sur la mer cal
me et ces vagues tourmentées sur la ter
rible mer du Nord; vous y retrouverez
le savoir-faire d'un maître. M. Gustave
Albert a su également peindre avec ta
lent Un matin à Dordrecht et trouver
des effets de lumière surprenants. Les
paysages de M. Jo3eph Meslé sont d'un
joli ton. Le Vieux puits, le Coup de vent,
sont traités avec un soin délicat. Les
vues de Venise par M. Alfred Smith ont
beaucoup de relief. Quant au portrai
tiste Frappa, il a reçu du cardinal Gib
bons un éloge peu gommun. Le cardinal
a écrit lui-même au bas de son portrait
ces deux mots qui dispensent de toute
critique : Bene fecisti.
Des cinq envois de M. Aublet, le meil
leur est évidemment le portrait d'une en-
faat qui doit s'appéler Marguerite, car
elle est entourée de ces fleurs; elle en
porte dans ses bras et son costume fait
penser à la fleur elle-même. M. Léon Fré
déric a composé un triptyque étrange avec
'Age d'or : le Matin, le Soir, la Nuit.
t'est un enchevêtrement d'enfants qui
j&ient ou qui dorment. J'avoue n'y com-
pr«adre pas grand'chose, mais le dessin
est'yès habile, quoique un peu dur. Les
admirateurs trouvent là une allégorie à
la Meqling. Je ne la vois pas du tout. M.
Hagboig a peint un joli paysage d'au
tomne tn Dalécarlie, maisons rouges,
. arbres (toés, étang formant miroii. L'Au
be et le Soir de M. Maufra ne manquent
pas de qualités, quoique l'air ne circule
pas assez dans ces toiles. Il y a beau
coup de poésie dans la Chute des feuilles
deM.Osbertet de réalité pittoresque dans
les types hollandais peints par M. Cari
Melchers. M. Aimé Perret a appelé Jean
ne d'Arc une paysanne qui dit « l'Angé
lus » le Boir dans une prairie où paissent
des moutons. Mais qu'elle soit ou non
Jeanne d'Arc, le type de la paysanne est
traité avec beaucoup d'art. On sent que le
peintre a la connaissance particulière et
l'amour inné des champs. La Fête-Dieu
de M. Léon Cassard est une jolie toile.
J'en dirai autant des Ajoncs en fleurs et
deB Bruyères de M. Pierre Damoye qui
est devenu l'un de nos meilleurs paysa
gistes. Les marines de M. Dauphin, pri
ses au port de Toulon et à Villefran-
che, contribueront à agrandir sa réputa
tion.
Quant à M. Iwill, il a envoyé six
toiles remarquables. Rien de plus dé
licieux que ses couchers de soleil sur
Venise et l'art avec lequel il surprend et
reproduit les teintes charmantes du soir.
Il y a là des nuages roses et violets er
rant dans un ciel bleu qu'on ne se lasse
pas d'admirer. La route de Taormine
avec sa vue saisissante sur l'Etna est
une œuvre qui frappera tous ceux qui
aiment le grand paysage. Je me demande
pourquoi on a relégué les deux marines
de M. Le Sénéchal de Kerdréoret dans
les tristes salles du rez-de-chaussée. Ce
peintre de marine qui a envoyé deux
fort jolieB toiles,la Rue de l'Eglise à Vil
le franche et le passage de Kerhuonè.
Plougastel, méritait mieux que cela. On
lui a donné des voisins qui n'ont certai
nement pas le dixième de son talent. M.
Edouard Sain nous a donné deux char
mantes têtes de paysannes prises à Ca-
pri ; M. Deschamps une Première com
munion très touchante, mais d'un colo
ris bien mou ; M. Alaux un très bon
portrait d'aspirant de marine ; M. Le Roy
d'Etiolles une aimable tête de jeune fille,
peinture qui ressemble à un frais pastel.
Les portraits de M. John Sargent ont
beaucoup de pittoresque et attirent l'at
tention par je ne sais quelle hardiesse
qui ne ravit point, mais qui cependant ne
déplaît pas.
Les Vaches au pâturage de M. Jean-
Jacques Rousseau forment le meilleur
tableau de ses cinq envois, par la sim
plicité et le naturel de la composition.
Le Quai de Trouville et la Plage de
Deauville sont d'excellentes petites toiles
qui augmentent la réputation naissante
de M. Maurice Courant. Mlle Nourse re
produit avec talent différents types bre
tons, et M. Willaert des paysages en Ar
tois qui ont vraiment du caractère. Le
Vieux canal de M. Leempoels est une
œuvre de haut intérêt. Auprès d'une eau
tranquille, quelques maisons pittores
ques sont groupées et leurs toits rou
ge vif mettent une note piquante dans
ce tableau de nature. Les moindres
détails sont traités avec un soin qui
étonne en ce Salon des beaux-arts, où en
général le dessin est imprécis et le coloris
vague. Cette petite toile fait penser aux
meilleures compositions de la vieille et
excellente école flamande.
C'est une tout autre impression que
nous donne M. P. Barrau avec ses Rapa
triés de Cuba. Elle est très réaliste,
mais ne manque pas d'intérêt. Le peintre
a évidemment vu et étudié ces malheu
reux soldats qui reviennent brisés,
mourants d'une guerre longue et pénible.
Les portraits de M. Dagnan-Bouveret
sont ceux d'un artiste qui aime passion
nément son métier. S'il y a quelque re
cherche un peu trop accentuée dans le
portrait du peintre-sculpteur Gérôme,
qui n'est pas généralement aussi adonisé
qu'on nous le présente ici, le portrait de
Mme C. B... est d'une grande délicatesse
de touches et d'une grâce non pareille.
Quant à la tête de paysanne bretonne si
grave et si douce, elle mérite bien le titre
de Recueillement que lui a donné l'ar
tiste. Le carton décoratif de M. Victor
Koos, Non omnis moriar, a de fortes
qualités de dessin et une tenue vraiment
magistrale.
M. Friant a renvoyé ici le portrait de
M. Coquelin cadet dans le rôle de l'In
timé des Plaideurs, qu'il exposait jadis
au cercle de l'Epatant, et nous l'avons
revu avec plaisir. C'est bien le quin
zième portrait au moins que je vois de
M. Coquelin et je suis persuadé qu'il en
a chez lui vingt autres au moinB. On
peut assurer que c'est l'artiste de Paris
qui a été le plus croqué. Cela tient sans
aucun doute à la gaîté, à la vivacité, à la
drôlerie de son visage qui séduisent natu
rellement tous les peintres.Ils sont assu
rés que rien que la vue de leur plaisant
modèle déridera le public et fera dire
à tous : < Tiens I c'est Coquelin. Oa croi
rait qu'il va débiter un monologue... » et
chacun B'apprête à rire... Est-on heureux
d'avoir une aussi agréable tête !
Quant aux figures illustres qui déco
rent le Jubilé du Pasteur par M. Rixens,
je concède que quelques-unes sont res
semblantes,mais combien ne le sont guè
re ! Voyez, par exemple, MM. Ferdinand
Brunetière,Wallon, Guillaume et autres,
quels corps, quelles statures ! Et tout
ce public, professeurs et étudiants en
rang d'oignons, applaudissant mécani
quement!... Allons vite voir en face Ië
portrait de Jean-Paul Laurens par son
fils Paul Albert. C'est plus rude, plus
fruste, mais c 'eBt vivant. L'intérieur de
la Bergerie et la Sortie des moutons de
M. Guignard sont les meilleurs de ses
envois. Rien de plus naturel et de plus
saisissant. Cette peinture-là est virile
et je ne saurais assez la louer. Je félicite
aussi M. Hubert Vos de ses types-chinois
reproduits avec une habileté et une sin
cérité merveilleuses. Le dessin de ces
quatre toiles est d'une précision tout à
fait remarquable.
Je ne veux pas, en terminant cette cri
tique de la peinture, oublier les paysages
parisiens de M. Louis Gillot, le portrait
de femme de M. Madrazo, lepanneau dé
coratif de Mlle d'Anethan qui s'inspire
autant qu'elle peut des procédés de Pu-
vis de Chavannes, la Fontaine de Nîmes
par M. Alexis La Haye, les paysages de
MM. Girardot, Léopold Stevens, Fran
çois Alaux et Ulmann. J'ai revu la Cau
serie du soir de M. Lucien Simon, et
tout en reconnaissant dans cette toile
une certaine habileté.je ne puis y décou-
»*■——
£4ïtio& çncîMiemie « £$,490
Lundi 12 Mai 1902
fe mOig QUOTIDIENNE
i-r* ' ■ saBMamÊimBÊ**a—Ê*ama ■
PARIS ÉTRANGER
s9 eé'pahtemensg (union postal^
ÎT e sa..25 » 38 »
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SUREAUX : Paria, me Cassette, T? (VI* an.)
©n s'abonne à Rome, place du Gesù, 8,
E3X
LE MONDE
PARIS, il MAI 1902
60&£&£AJ[E£E2
Le marquis de Sé ■
gtir. .....:. F rançois V euiiao*.
Hiïr et aujourd'hui. P. A.
Lettres de Syrie... U n L ibanais.
Lettres d'Egypte.... A. C ouderc.
Les conférences li
bres de l'Institut
catholique E; A.
Une âme de prêtre. F. V.
Feuilletons : Quin
zaines dramatiques -
et artistiques H enri D a C.
Bulletin bibliographi
que
Bulletin. — Au jour le jour. — Un mis
sionnaire chez les Illinois. — La catas
trophe de Moyenneville. — L'affaire
IIumbert-Grawford. — La catastrophe de
Saint-Pierre. — Etranger. — A travers
la presse. — Le repos du dimanche. —
Lettres, sciences et arts. — Académie
des sciences. — Académie de médecine.
— Echos de partout Les iêtes de
Jeanne d'Arc à Rouen. — L'œuvre de
Sainte-Phllomène. — Cercle d'apologéti-
que.sociale. — Nécrologie. — Nouvelles
diverses. —Revue de la Bourse. —
Calendrier. — Dernière heure.
LE MARQUIS DE SÉGUR
Le collaborateur et l'ami que
nous pleurons consacra jadis à Mgr
de Ségur un monument de dévotion
fraternelle et de vérité; nous sou
haitons ardemment qu'il se trouve
aujourd'hui un cœur aimant et
pieux, pour offrir à la douce et
noble mémoire du marquis de Sé
gur l'hommage qu'il rendit à son
frère. Un si pénétrant souvenir est
de ceux qu'il faut garder ; un si
beau modèle est de ceux qu'il faut
répandre. On viendra, nous l'espé
rons, donner tout son relief à cet
esprit délicat et cultivé, à cet écri
vain qui prenait sa pensée au plus
profond de l'âme et son style au
plus pur du français, à ce chrétien
généreux, tendre et enthousiaste, à
cet apôtre enfin d'une piété si fer
vente, si discrète et si active. ^
Mais, à présent, ce n'est point sa
vie que je veux raconter ; je n'en
connais pas tous les détails et je
craindrais de mal réunir,au plus fort
du chagrin, les détails que j'en con
nais.
Tout simplement, en peu de mots,
je voudrais dire aux lecteurs de ce
journal, dont son affection persé
vérante était l'une des forces et sa
plume un des meilleurs attraits, ce
que fut le marquis de Ségur. Je
voudrais parler de lui, sans mé
thode, au fil du souvenir. A parler
de l'absent qui vient de nous quit
ter, ne semble-t-il pas qu'on pro
longe un instant sa présence à
jamais perdue?
Je le revois assis dans son fau
teuil, au coin de son feu ; je le re
vois, agenouillé devant l'autel, en
ce modeste oratoire de la rue du
Bac, en ce sanctuaire embaumé
par Mgr de Ségur, où il aimait tant
a prier, où. il priait avec tant d'a
mour. On se sentait enveloppé
d'une douceur exquise, en écoutant
ce bon et charmant vieillard, à
l 'âme juvénile, au cœur chaud, à
l 'intelligence ouverte. On se sentait
poussé vers le ciel, en le voyant
abîmé devant Dieu, le visage éclairé
par la flamme intérieure.
Près de lui,ma pensée se reportait
à l'un de ses meilleurs ouvrages et
je songeais quel beau chapitre on
pourrait ajouter, du portrait de son
. âme et du récit de ses œuvres, à La
Bonté chez les saints î
Au surplus, pas n'était besoin de
le connaît re à fond, pour être attiré
par la sympathie qui rayonnait de
sa personne. Il suffisait de le lire,
on ét^it conquis, Nul ne me démen
tira, j'en suis certain, "de tous ceux
qu'il a charmés par la bonne grâce
et le sourire de ses plus aimables
fantaisies, de tous ceux qu'il a émus
par la délicatesse et la pénétra
tion de ses récits les plus tou
chants.
Ses écrits lui gagnaient les
cœurs, parce que son cœur y par
lait. On voyait l'homme à travers
les sujets dont il faisait choix,
tous élevant l'âme à Dieu, presque
tous empruntés à son expérience
charitable et se complaisant à mon
trer de pures et nobles figures. On
le voyait dans les héros qu'il aimait
à peindre, et dans le dernier, no
tamment, cet Henri de Lassus au
quel il consacra ses suprêmes 2a-
beurs. On le voyait enfin jusque
dans son style, expression de son
goût très sûr et très fin. Dans tout
ce qu'il donnait, le marquis de
Ségur était bien lui-même.
Dès ses débuts littéraires, il fut
ainsi jugé par Louis Veuillot, qui
le connut et qui l'aima.
Ce que Louis Veuillot disait, il y
a quarante-cinq ans, des Témoigna
ges et souvenirs , on pourrait l'ap
pliquer, en effet, à l'œuvre tout en
tière.
On pourrait l'appliquer surtout
aux délicieux recueils aont ce livre
a ouvert la série, gerbes formées de
morceaux épars, unis par la com
munauté du but et de l'inspiration :
Les Enfants de Paris, l'Eté de la.
Saint-Martin, Simples histoires,
Histoires vraies, Petits et grands
personnages, Soldats, Personnes et
choses, etc.
Lequel, de ces ouvrages, dont on
ne puisse écrire, avec Louis Veuil
lot: c'est « un livre qui est pure
ment et simplement, mais avec ex
cellence, ce que l'on appelle un bon
livre » ? Lequel, où ne fleurissent
« des pages aimables et qui font du
bien » ? Lequel, où ne soient affir
més « la foi chrétienne la plus pro
fonde, l'amour le plus sincère et le
plus touchant pour l'Eglise de*Jé
sus-Christ » ? Lequel, enfin, où ne
paraisse « un esprit juste et cultivé
qui, néanmoins, sans tomber jamais
dans la déclamation, ne craint pas,
lorsqu'il le faut, de laisser parler le
cœur»?
Ce cœur et cet esprit, nous les re
trouvons également dans les poésies
du marquis de Ségur. Sa bonne hu
meur discrète et enjouée nous sou
rit dans les Fables ; sa délicate et
vraie sensibilité nous ravit dans la
Maison ; son affection très profonde
et tout à la fois très élevée nous
émeut dans les chants consacrés
à sa sœur Sabine ; l'ardeur et le
superbe accent de sa foi nous sou
lèvent, dans l'héroïque épopée de
Sainte Cécile ; l'élan de sa piété
nous entraîne à Dieu, dans ses can
tiques, — tel celui qu'il rima pour
Gounod, son ami : Le ciel a visité la
terre... En un mot, prosateur ou
poète, il nous remue toujours, étant
toujours lui-même.
Non seulement, le marquis de
Ségur a mêlé son âme à tous ses
ouvrages ; mais, bien souvent en
core, il y a mêlé sa vie. On peut re
nouer les principaux événements de
sa carrière, en parcourant ses li
vres.
Le voici, dans l'Eté de la Saint-
Martin, qui repasse, au coin du feu,
les lointains de son enfance. Il nous
confie qu'il dut subir le joug de l'en
seignement universitaire en un
temps ou les « jésuitières » étaient
proscrites ; — il était né le 25 avril
1823. Mais reprenez les Témoi
gnages et souvenirs, et vous le
verrez, jeune homme, aux pieds ;
de Lacordaire, ouvrant son. .âme
enthousiaste à ce verbe enflam
mé, qui détruisait en lui les ger
mes malsains de l'éducation offi
cielle. Et, selon la remarque de
Louis Veuillot, sa fougue à louer
l'orateur montre, en même temps
que son" admiration, « comment
son cœur s'est formé, tel qu'il
nous apparaît dans cette confession
ingénue, plein de ferveur, aimant
Dieu, ardent à toute sorte de bien ».
Anatole de Ségur était donc for
tement chrétien, quand il entra dans
la carrière administrative. Au Con
seil d'Etat, comme à la préfecture
de Chaumont qu'il occupa peu de
temps, il garda le zèle et la fermeté
de sa foi.
Il fit mieux que les maintenir en
lui-même; il les proclama sans fai
blesse au dehors. Il ne- servait pas
un gouvernement, mais la France
et l'Eglise; et, selon le conseil qu'il
avait reçu de Pie IX, en audience
intime, il se maintint fidèlement à
son poste, afin d'y travailler pour les
intérêts de la religion, « Ma seule po
litique, a-t-il écrit plus tard, a tou
jours été de - servir la France et
l'Eglise en dehors de toutes les
considérations de personnes, de
tbutes les formes constitutionnel-,
les. »
Aussi, les fonctions qu'il rem
plissait au Conseil d'Etat impérial
n'empêchaient-elles pas Anatole de
Ségur de batailler ouvertement
peur la cause catholique et, tandis
que la complicité de l'empereur en
gageait peu à peu le Piémont sur
le chemin de Rome, le jeune écri
vain glorifiait hautement les Mar
tyrs de Castelfidardo.
Napoléon III reconnut la juste
fierté de cette indépendance chré
tienne, en nommant enfin conseiller
d'Etat ce bon serviteur du pays,
d'autant plus loyal qu'il était un
Elus ardent serviteur de l'Eglise,
[ais ce qui n'avait point choqué le
monarque offusqua le gouverné-
ment de M. Grévy. Le marquis de
Ségurput compris dans ces révoca
tions violentes et illégales, qui dé
couronnèrent la haute assemblée,
pour la réduire à n'être fplus qu'un
conseil de complaisants.
Révoqué, l'ancien conseiller d'E
tat donna, plus, que jamais, tout son
temps, toutes ses préoccupations,
toute sa vie, tout lui-même, à ses
chers travaux, à ses œuvres plus
chères encore.
Le marquis de Ségur, en effet, ne
fut pas seulement un homme d'étu
des ; il fut un apôtre.
Les œuvres, il les avait toujours
aimées de toute l'effusion d'une
bonté charmante et généreuse. Il
avait été le bras droit de son frère
en maintes circonstances et, notam
ment, dans la fondation de l'œuvre
de Saint-François de Sales ; jusqu'à
l'épuisement de ses forces, il en de
vait rester l'âme et la tête.
Ses journées ne s'enfermaient
point dans son cabinet de travail,
au milieu des livres ; on le rencon
trait dans les patronages et dans
les cercles. Et son cabinet lui-
même était obligé constamment de
subir la souriante et brusque inva
sion de ses jeunes protégés.
Ces adolescents que le marquis
de Ségur a aidés, conseillés, sou
tenus, qui, demain, suivront son
cercueil en lui offrant l'hommage
sacré d'un chagrin sincère et pro
fond, voilà les historiens qui pour
raient conter les plus belles pages
de sa vie, les plus émouvantes et
les plus douces. Combien n'en a-t-
il pas suivis de la petite enfance à
l'âge mûr? Il les aimait si tendre
ment, ces Enfants de Paris, dont il
aiï^âcé le caractère, avec une émo
tion spirituelle et charmante! On
eût dit qu'une singulière affinité
rapprochait ce vieillard ardent et
bienveillant de ces bambins au
cœur vif et généreux. Il les aimait,
d'une affection paternelle ; il leur
prodiguait ses bontés, ses avis, ses
enceuragements ; je dirais volon
tiers qu'il les dirigeait. Oui, pour
beaucoup d'entre eux, sous le vête
ment laïc, il était un véritable et
précieux directeur de conscience.
. Par sa sollicitude et par ses let
tres, il suivait au loin ceux que la
loi militaire arrachait de Paris. Qui
ne se souvient des pages délicieu
ses qu'il a tirées de sa correspon
dance avec ses petits soldats ? Son
culte était si fervent pour l'armée 1
Tout son vieux sang français lui
battait si fort dans les veines à la
vue du drapeau. Dès sa jeunesse, il
avait porté aux œuvres militaires le
premier essor de son dévouement
et ce sont elles aussi qui ont bé
néficié de son dernier labeur. Il y a
quelques semaines, en effet, le mar
quis de Ségur envoyait un article
au modeste bulletin d'un cercle
de soldats...
Quelque temps après, le diman
che £7 avril, il sortait encore une
fois, déjà'malade, épuisé, contraint
de se faire accompagner, presque
soutenir. Il y avait un devoir au
quel, malgré sa faiblesse, il ne vou
lait point faillir. Après avoir en
tendu la messe, il alla voter. Puis il
rentra et la maladie le saisit vio
lemment.
Elle vient de l'abattre, après dix
jours d'une lutte suprême et, ven
dredi soir, un instant avant minuit,
cette belle et sainte âme a paru
devant Dieu.
C'est le cœur oppressé, c'est les
larmes aux yeux,que nous l'accom
pagnons de nos prières au tribunal
divin. Mais, déjà de notre douleur
une espérance éclot, qui, pendant
que nous prions pour lui, nous
porte à le prier d'intereéder pour
nous.
François Veuillot.
— Les funérailles du marquis de Sé
gur seront célébrées, mardi, à onze heu
res, à'l'église Saint-Pierre du Gros-
Caillou.
IL-.—•— • 'iiillnli-
'BULLETIN
Aujourd'hui, second tour de scrutin
dans les 174 circonscriptions où il y a
ballottage. Puissent les électeurs com
prendre leurs devoirs de citoyens et de
patriotes.
A la Martinique, Irruption continue,
et malheureusement on ne peut plus
conserver aucun doute sur l'immensité
du désastre. Toutefois une dépêche an•
nonce que le nombre des survivants se
rait un peu plus élevé qu'on ne l'avait
cru tout d'abord.
Ainsi que nous l'avons dit en Dernière
Heure, le conseil des ministres vient de
décider l'envoi d'une mission chargée
d'apporter les premiers secours : elle
s'embarquera ce soir sur le navire de
guerre le D'Assas.
Aujourd'hui, devait avoir lieu un
ballottagedans la deuxième circonscrip
tion de la Martinique, celle précisément
où est comprise la ville de Saint-Pierre.
Aussi le ministre des colonies a-til si
gné un décret, promulgué immédiate
ment à Fort-de-France, qui ajourne
l'ouverture de ce scrutin.
Les gouvernements étrangers ont
chargé leurs ambassadeurs de trans
mettre à notre gouvernement leurs com
pliments de condoléances k l'occasion du
désastre de la Martinique. Au Sénat
espagnol, le président a prononcé une
allocution dans laquelle il a exprimés se
inmos? SEMï- QTTQTIDXENNS
' —àfceao
PARIS ÉTRANGER
m DÉPARTEMENTS (UNION POSTALE^
(D'n an,.13 » 20 »
Six mois 7 » il » ;
Trois mois..... 4 » 5 5©
Esèa abonsemiata partent des 2" et 16 de chaque saoïs
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits gui lui sont adressée
ANNONCES >
MU. LAGRANGE, CERF et C 1 ", 6, place de la B outés
douloureuses sympathies. Le cabinet
s'est associé à cette manifestation.
Hier, à Prétoria, les Anglais ont ins
tallé solennellement la cour suprême du
Transvaal.
niER ET AUJOURD'HUI
Des Pages d'histoire du vicomte
M. de Vogué j'extrais ces lignes,
laissant aux lecteurs le soin de faire
tous les rapprochements que com
portent les circonstances présen
tes :
En avril 1848, Lamartine avait ré
primé par son seul ascendant la redou
table manifestation du 16 ; il avait rendu
possibles et pacifiques ces élections
du 23, dont chacun désespérait jusqu'à
la dernière heure. Le lendemain du jour
où fut nommée cette assemblée qui de
vait le précipiter du faite, — il ne s'y
trompait point, — le chèf du gouverne
ment provisoire se déroba à ses amis; il
entra furtivement dans une église, se
perdit au milieu des fidèles, et là, il pria
longuement, remerciant la Providence
de l'avoir aidé à sauver son pays. Quelles
que soient nos croyances, nous avons tous
l'instinct qu'il faut beaucoup attendre et
très peu craindre d'une ambition brisée
par ce frein intérieur. Puissent nos des
tinées ne tomber jamais qu'en des mains
assez fortes, assez pures, assez sérieuses
pour aller offrir ainsi, dans le silence du
temple, le fardeau qni leur est confié !
Si M. Waldeck-Rousseau ' a ja
mais lu ces lignes, comme il a dû
hausser les épaules 1 Les vrais
hommes d'Etat sont ceux qui ne
s'agenouillent jamais et ne savent
plus prier. De même, les vrais ora
teurs. Et pourtant, dût Jules Gau
cher Tourgnol, député de Limoges,
se moquer de nous, nous avons non
moins de plaisir à citer la page sui
vante. Elle est d'un Jésuite et il
s'agit d'un comte, mais qu'im
porte?
Quand Montalembert doit monter à la
tribune, d'ordinaire il communie le ma
tin. En allant au Luxembourg, il s'ar
rête à Saint-Sulpice, et reste longtemps
à genoux devant l'autel de la Sainte
Vierge. Comme Condé sur le champ de
bataille, après ses plus beaux triomphes'
il B'anéantit devant Dieu. Vient-il de
restaurer une seconde fois la royauté
pontificale par son admirablè discours
du 18 octobre 1849 : « En rentrant, dit-il,
je récite le Miserere et le Te Deum. Je
me sens profondément reconnaissant
envers Dieu d'avoir été choisi pour ar
racher à ce pauvre pays un semblable
acte de foi, mais aussi profondément
humilié de mon indignité personnelle.»
Dans l'épreuve comme dans le succès,
la prière est son recours. Quelques jours
après la révolution de février, voyant
arracher du fronton du Luxembourg
l'inscription : Palais de la Chambre des
pairs, il se réfugie encore à Saint-Sul
pice : a Je m'agenouille à cette chapelle
de la Vierge où j'allais toujours faire
l'hommage de mes discours... J'y porte
aujourd'hui ma douleur et ma ruine en
offrande au Seigneur. »
Lamartine et Montalembert, quels
maigres bonshommes, quand on
les compare aux sommités du jour!
Il faut avouer aussi qu'on était pas
mal arriéré encore, au milieu du
siècle qui précéda celui dans lequel
nous vivons !
P. A.
Aïï JOUE LE JOUR
La mer Caspienne n'est pas morte,
mais la mer Caspienne se meurt.
Elle dépérit, victime sans doute, di
ront les âmes sensibles, de cette solitude
pénible qui l'empêche de communiquer
avec les autres mers.
Les géologues, plus positifs, donnent
une autre explication du phénomène, et
l'attribuent aux nuages dépoussiéré sou
levés par le vent dansIeB déserts voisins,
ainsi qu'aux graviers arrachés par les
torrents et les glaciers aux entrailles du
Caucase.
Sables, poussière, cailloux, tout va
B'abattre dans le grand lac, dont une
partie se change peu à peu en terre fer
me. On a calculé que, durant le dix-
neuvième siècle, la mer Caspienne a
ainsi été réduite d'une dizaine de mille
kilomètres carrés.
C'est beaucoup, car cela fait dix mille
hectares par an. Néanmoins, nous ne
vivrons pas assez pour en voir la fin.
m .
m •
M. de Foville, dans la Revue politique
et parlementaire, s'occupe de « la jus
tice dans l'impôt », et préconise un sys
tème qui doit, selon lui, réconcilier les
partisans de l'impôt proportionnel avec
ceux de l'impôt progressif.
Ce système consiste à prendre pour
base de la taxe le revenu de chaque con?
tribuable diminué de la somme rigou
reusement nécessaire à sa subsistance.
Si le contribuable avait des enfants, la
somme à défalquer serait en raison du
nombre de ces enfants.
Si l'on admet, par exemple, qu'une
somme de trois cents francB par an soit
nécessaire en moyenne à une personne
pour ne pas mourir de faim, une famille
de cinq personnes, comprenant le père,
la mère et trois enfants, et jouissant d'un
revenu de quatre mille francs ne serait
imposée que pour un revenu de deux
mille cinq cents. L'impôt serait propor
tionnel pour le revenu taxé, et progres
sif en fait pour le revenu brut. Pour au
cun contribuable, il ne dépasserait le
taux établi à l'intention de tous les ci
toyens sans distinction. Seulement pour
les contribuables riches, le revenu brut
et le revenu net se confondraient sensi
blement.
Les contribuables dont le revenu serait
égal à la somme rigoureusement néces
saire à leur subsistance ne paieraient
pas d'impôt, puisqu'on considérerait
leur revenu imposable comme égal à
zéro.
Enfin, pour les contribuables ne jouis
sant pas même d'un revenu égal à la
somme en question, l'impôt serait néga
tif, c'est-à dire qu'il Berait remplacé par
l'assistance.
Le système de M. de Foville eBt ingé
nieux. Il n'a qu'un défaut, c'est qu'il sup
pose le revenu de chacun connu ou aisé
à connaître. Or, c'est malheureusement
ce qui n'est pas.
•
m *
Dugourdon revient de visiter Bon hé
ritier, qu'une indisposition retient à l'in-
firmerie du lycée. En rentrant, il dit à sa
femme:
— Ils sont encore malins là-dedans I
Ils ont prescrit un médicament pour l'u
sage externe, et Alfred - est pension
naire.
LETTRES DE SYRIE
A Son Excellence Monsieur Constans,
ambassadeurde France à Constantin
nople.
Monsieur,
La France, d'accord avec les autres
grandes puissances, nous avait octroyé
un peu de justice et de liberté, en 1862,
prix inégal du sang de nos pères traîtreu
sement massacrés. Nous étions fiers de
cette ombre de justice et de liberté, et
toutes les autres parties de l'Empire ot
toman nous enviaient notre sort et notre
bonheur apparent. Mais nous qui voyons
et savons tout ce que cache cette appa
rence trompeuse, nous gémissons sans
espoir, et nous levons vers le ciel des
yeux pleins de larmes et des mains liées
par l'iniquité. La liberté qu'on nous a
accordée a consisté à nous planter sur
des roehers stériles, comme dans une
forteresse, dont nous ne pouvons fran
chir les remparts : on ne nous a pas don
né un port de mer, pour nous laisser à
la merci d'un tas de fonctionnaires sans
aveu ; on ne nous a pas laissé un morceau
de plaine, pour nous asservir par la
faim.
Nous avons cultivé les rochers arides ;
FEUILLETON DE L'UNIVERS
du 12 MAI 1902
Il MM DE M SOCIETE MIMAI
DES BEAUX-ARTS
3® WJ.TICLE (*).
Il me reste à parler,gour achever l'exa
men du Salon deB bea, x ar t S} d e quel
ques toiles de valeur puit à examiner la
sculpture, les dessins et le^objets d'art.
Les portraits de Mme 0. foedersteia,
que je n'avais fait qu'indiquer i^ns mon
premier article, sont de ceux qug f au t
considérer avec attention. Cette ar
et la plus élevée. Son portrait du doctes
Winterhalter, du jeune Suisse à l'arbi.
lète, la figure appelée Mélancolie son.
désœuvrés deB plus méritoires. Le des
sin en est agréable et le coloris harmo
nieux. J'ai, chaque année, du plaisir à
louer un talent de plus en plus méritoire.
La jeune femme rieuse de M. Gabriel
Biessy vaut mieux que son couple qu'il
a placé d'une façon par trop bizarre et
qui fait quelque peu sourire.
Les marines de W. Mesdag ont l'am
pleur et la puissance que donne la con-
{*) Voir Y Univers des 20 et 28 avril.
naissance et la pratique de la mer. Voyez
la Marée montante à Scheveningue et ceB
huit bateaux qui partent gaiment pour
la pêche but le flot écumant, précédés de
goëlands joyeux. Voyez encore ces navi
res à l'ancre, le matin, sur la mer cal
me et ces vagues tourmentées sur la ter
rible mer du Nord; vous y retrouverez
le savoir-faire d'un maître. M. Gustave
Albert a su également peindre avec ta
lent Un matin à Dordrecht et trouver
des effets de lumière surprenants. Les
paysages de M. Jo3eph Meslé sont d'un
joli ton. Le Vieux puits, le Coup de vent,
sont traités avec un soin délicat. Les
vues de Venise par M. Alfred Smith ont
beaucoup de relief. Quant au portrai
tiste Frappa, il a reçu du cardinal Gib
bons un éloge peu gommun. Le cardinal
a écrit lui-même au bas de son portrait
ces deux mots qui dispensent de toute
critique : Bene fecisti.
Des cinq envois de M. Aublet, le meil
leur est évidemment le portrait d'une en-
faat qui doit s'appéler Marguerite, car
elle est entourée de ces fleurs; elle en
porte dans ses bras et son costume fait
penser à la fleur elle-même. M. Léon Fré
déric a composé un triptyque étrange avec
'Age d'or : le Matin, le Soir, la Nuit.
t'est un enchevêtrement d'enfants qui
j&ient ou qui dorment. J'avoue n'y com-
pr«adre pas grand'chose, mais le dessin
est'yès habile, quoique un peu dur. Les
admirateurs trouvent là une allégorie à
la Meqling. Je ne la vois pas du tout. M.
Hagboig a peint un joli paysage d'au
tomne tn Dalécarlie, maisons rouges,
. arbres (toés, étang formant miroii. L'Au
be et le Soir de M. Maufra ne manquent
pas de qualités, quoique l'air ne circule
pas assez dans ces toiles. Il y a beau
coup de poésie dans la Chute des feuilles
deM.Osbertet de réalité pittoresque dans
les types hollandais peints par M. Cari
Melchers. M. Aimé Perret a appelé Jean
ne d'Arc une paysanne qui dit « l'Angé
lus » le Boir dans une prairie où paissent
des moutons. Mais qu'elle soit ou non
Jeanne d'Arc, le type de la paysanne est
traité avec beaucoup d'art. On sent que le
peintre a la connaissance particulière et
l'amour inné des champs. La Fête-Dieu
de M. Léon Cassard est une jolie toile.
J'en dirai autant des Ajoncs en fleurs et
deB Bruyères de M. Pierre Damoye qui
est devenu l'un de nos meilleurs paysa
gistes. Les marines de M. Dauphin, pri
ses au port de Toulon et à Villefran-
che, contribueront à agrandir sa réputa
tion.
Quant à M. Iwill, il a envoyé six
toiles remarquables. Rien de plus dé
licieux que ses couchers de soleil sur
Venise et l'art avec lequel il surprend et
reproduit les teintes charmantes du soir.
Il y a là des nuages roses et violets er
rant dans un ciel bleu qu'on ne se lasse
pas d'admirer. La route de Taormine
avec sa vue saisissante sur l'Etna est
une œuvre qui frappera tous ceux qui
aiment le grand paysage. Je me demande
pourquoi on a relégué les deux marines
de M. Le Sénéchal de Kerdréoret dans
les tristes salles du rez-de-chaussée. Ce
peintre de marine qui a envoyé deux
fort jolieB toiles,la Rue de l'Eglise à Vil
le franche et le passage de Kerhuonè.
Plougastel, méritait mieux que cela. On
lui a donné des voisins qui n'ont certai
nement pas le dixième de son talent. M.
Edouard Sain nous a donné deux char
mantes têtes de paysannes prises à Ca-
pri ; M. Deschamps une Première com
munion très touchante, mais d'un colo
ris bien mou ; M. Alaux un très bon
portrait d'aspirant de marine ; M. Le Roy
d'Etiolles une aimable tête de jeune fille,
peinture qui ressemble à un frais pastel.
Les portraits de M. John Sargent ont
beaucoup de pittoresque et attirent l'at
tention par je ne sais quelle hardiesse
qui ne ravit point, mais qui cependant ne
déplaît pas.
Les Vaches au pâturage de M. Jean-
Jacques Rousseau forment le meilleur
tableau de ses cinq envois, par la sim
plicité et le naturel de la composition.
Le Quai de Trouville et la Plage de
Deauville sont d'excellentes petites toiles
qui augmentent la réputation naissante
de M. Maurice Courant. Mlle Nourse re
produit avec talent différents types bre
tons, et M. Willaert des paysages en Ar
tois qui ont vraiment du caractère. Le
Vieux canal de M. Leempoels est une
œuvre de haut intérêt. Auprès d'une eau
tranquille, quelques maisons pittores
ques sont groupées et leurs toits rou
ge vif mettent une note piquante dans
ce tableau de nature. Les moindres
détails sont traités avec un soin qui
étonne en ce Salon des beaux-arts, où en
général le dessin est imprécis et le coloris
vague. Cette petite toile fait penser aux
meilleures compositions de la vieille et
excellente école flamande.
C'est une tout autre impression que
nous donne M. P. Barrau avec ses Rapa
triés de Cuba. Elle est très réaliste,
mais ne manque pas d'intérêt. Le peintre
a évidemment vu et étudié ces malheu
reux soldats qui reviennent brisés,
mourants d'une guerre longue et pénible.
Les portraits de M. Dagnan-Bouveret
sont ceux d'un artiste qui aime passion
nément son métier. S'il y a quelque re
cherche un peu trop accentuée dans le
portrait du peintre-sculpteur Gérôme,
qui n'est pas généralement aussi adonisé
qu'on nous le présente ici, le portrait de
Mme C. B... est d'une grande délicatesse
de touches et d'une grâce non pareille.
Quant à la tête de paysanne bretonne si
grave et si douce, elle mérite bien le titre
de Recueillement que lui a donné l'ar
tiste. Le carton décoratif de M. Victor
Koos, Non omnis moriar, a de fortes
qualités de dessin et une tenue vraiment
magistrale.
M. Friant a renvoyé ici le portrait de
M. Coquelin cadet dans le rôle de l'In
timé des Plaideurs, qu'il exposait jadis
au cercle de l'Epatant, et nous l'avons
revu avec plaisir. C'est bien le quin
zième portrait au moins que je vois de
M. Coquelin et je suis persuadé qu'il en
a chez lui vingt autres au moinB. On
peut assurer que c'est l'artiste de Paris
qui a été le plus croqué. Cela tient sans
aucun doute à la gaîté, à la vivacité, à la
drôlerie de son visage qui séduisent natu
rellement tous les peintres.Ils sont assu
rés que rien que la vue de leur plaisant
modèle déridera le public et fera dire
à tous : < Tiens I c'est Coquelin. Oa croi
rait qu'il va débiter un monologue... » et
chacun B'apprête à rire... Est-on heureux
d'avoir une aussi agréable tête !
Quant aux figures illustres qui déco
rent le Jubilé du Pasteur par M. Rixens,
je concède que quelques-unes sont res
semblantes,mais combien ne le sont guè
re ! Voyez, par exemple, MM. Ferdinand
Brunetière,Wallon, Guillaume et autres,
quels corps, quelles statures ! Et tout
ce public, professeurs et étudiants en
rang d'oignons, applaudissant mécani
quement!... Allons vite voir en face Ië
portrait de Jean-Paul Laurens par son
fils Paul Albert. C'est plus rude, plus
fruste, mais c 'eBt vivant. L'intérieur de
la Bergerie et la Sortie des moutons de
M. Guignard sont les meilleurs de ses
envois. Rien de plus naturel et de plus
saisissant. Cette peinture-là est virile
et je ne saurais assez la louer. Je félicite
aussi M. Hubert Vos de ses types-chinois
reproduits avec une habileté et une sin
cérité merveilleuses. Le dessin de ces
quatre toiles est d'une précision tout à
fait remarquable.
Je ne veux pas, en terminant cette cri
tique de la peinture, oublier les paysages
parisiens de M. Louis Gillot, le portrait
de femme de M. Madrazo, lepanneau dé
coratif de Mlle d'Anethan qui s'inspire
autant qu'elle peut des procédés de Pu-
vis de Chavannes, la Fontaine de Nîmes
par M. Alexis La Haye, les paysages de
MM. Girardot, Léopold Stevens, Fran
çois Alaux et Ulmann. J'ai revu la Cau
serie du soir de M. Lucien Simon, et
tout en reconnaissant dans cette toile
une certaine habileté.je ne puis y décou-
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