Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1901-06-14
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34520232c
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 juin 1901 14 juin 1901
Description : 1901/06/14 (Numéro 12165). 1901/06/14 (Numéro 12165).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k710755f
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Vendredi 14 Juin 1901
ssrtîos? QUOTmosmos
Edition quotidiens». — 12.165
PARIS
È9 DÉPARTEMENTS
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Vendredi 14 Juin 1901 1 uL-
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ET
LE MONDE
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L'OMVEBS S£fi répond pSS dsi E'iûîïStJCfîfe ItSÎ S2"d zdfSStû
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MM. LAGRANGE, CERF eï C is s 6» place de îs Bcurs*
PARIS, 13 JUIN 1901
SOMMAIRE
Le monument de
Spuller.... ....... E ugène T avernier.
La guerre sud-afri
caine............. F. L.
A la Chambra...... G abkiei bs T rioss.
Çà et là : Le songe
de saint Jean . P bosper G erald.
Feuilleton: L'Expo
sition de Sedel
meyer....... H enri D ac.
Bulletin. — Nouvelles de Rome. -- Pour
les congrégations. — Les ennemis des
cafards.— A l'IIôtel de Ville. — Une
conférence à Roanne. — Eu Algérie. —
L'affaire du Figaro. — A travers la
presse. — En Bohême. — La guerre du
Transvaal. —Dépêches de l'étranger.
— Les anarchistes. — Chronique. —
Lettres, sciences et arts. — Echos de
partout. — La Société d'économie so
ciale. — Ligue de Jeanne d'Arc. — No
tre-Dame de Brebières. — Chronique re
ligieuse. — Notre-Dame de France. —
Chambre des députés. — Les obsèques
du capitaine Cazemajou. -— Nécrologie.
— Tribunaux. — A l'Aquarium. — L'af
faire Monnier. — Nouvelles diverses. —
Calendrier. —Bourse et bulletin finan
cier. — Dernière heure.
LE MONUMENT DE SPULLER
On aurait bien dû graver sur le
monument de Spuller la phrase pro
noncée le 3 mars 1894 : « J'appelle
.«■wi esprit nouveau, l'esprit qui
« tend, dans une société aussi pro-
« fondement troublée que la nôtre, à
« ramener tous les Français autour
« des idées du bon sens, de la jus-
« tice et de la charité » ; car c'est
tout ce qui restera des nombreux
discours et des divers écrits compo
sés par l'ami de Gambetta.
•Ces mots eurent un violent et
profond retentissement, d'autant
plus qu'ils formulaient la conclusion
a'une existence mêlée aux luttes des
idées et des faits. Ils avaient le ca
ractère et la portée d'un testament
politique. Ils appelaient un régime
et, dans la pensée de l'©rateur, ils
ouvraient une période où l'on n'en
tendrait plus déclamer contre le
cléricalisme. C'était la fin des con
flits aigus, l'arrêt dans l'oeuvre de
déchristianisation, un effort résolu
vers la vie normale, vers la liberté
paisible.
On ne se représente pas M. Wal-
deck-Rousseau, jacobin de circons
tance, ni M. Rano, jacobin de na
ture, invoquant hier, au Père-La-
chaise, l'autorité du sectaire re
penti pour justifier leur despotisme
impénitent. Toutefois ils ont parlé,
parce que l'heure était aux dis
cours.
^M". Deschanel a expliqué, avec
itne habileté remarquable et non
sans donner certaines bonnes rai
sons, que Spuller, en répudiant le
système d'agression, ne cessait pas
d'être au fond le même hommë. M.
Fallières, bien que toujours épais,
terne et paterne, a cru opportun de
se farder de radicalisme. M. Ranc
a insinué assez clairement que l'an
cien ministre n'eût pas .manqué de
devenir dreyfusard \ M. Waldeck-
Rousseau, volontiers méprisant
même dans la louange, a garanti
qu'un nouveau me a culpa n'aurait
pas tardé à effacer le scandale du
me a cuîpa précédent.
Car c'est bien un mea culpa déplo
rable que les libres-penseurs incor
rigibles ont reproché au « journa
liste-philosophe ». L'accusation fut
tout ae suite proférée par M. Mille-
rand, aujourd'hui collègue de M.
Waldeck-Rousseau.
Parmi les interrupteurs qui", le
3 mars 1894, flétrissaient le vœu
d'un « esprit nouveau » se distin
guait M. Millerand. Il criait à Spul
ler : « Vous venez fairë votre
me a culpa,. » C'était une accusation
très grave puisque, dans ce monde-
là, on a un mépris extrême ' de
l'homme qui s'abaisse jusqu'à se
reconnaître coupable de quelque
chose, fût-ce simplement de s'être
trompé. D'après la belle fierté révo
lutionnaire, nourrie du sophisme
de Rousseau « l'homme est né bon » ,
nous devons toujours nous'croire
innocents ; et les libres-penseurs de
Î)référence, et même exclusivement.
3 our eux, se repentir est une lâ
cheté.
Spuller cependant désavouait avec
une rare énergie la « guerre mes-
« quine et tracassière ».
A la question de M. Goblet : « Qui
« accusez-vous d'avoir fait cette
« guerre ? » il répondait :
« Je m'en accuse moi-même, pour
« ma part. »
Et comme le même M. Goblet
criait :
« Avouez donc le pacte avec l'E-
« glise, cela vaudra mieux. Que fai-
« tes-vous de l'esprit ancien de la
« République? » un député très
gambettiste, important dès la jeu
nesse, animé d'ambition au point
d'aimer mieux être détesté et ridi
culisé que de rester dans l'ombre,
un des individus qui incarnent l'ar
deur de la conquête et de la domi
nation, l'instinct de la juiverie,
ce quelqu'un jeta à M. Goblet une
définition mordante î
« L'esprit ancien, c'est l'esprit de
«Châteauvillain.»
Le compte rendu de la fameuse
séance constate que cette allusion à
la tuerie de Châteauvillain était
faite par... M. Joseph Ileinach!
Au commencement de 1894, en ef
fet, M. Reinach représentait ce qu'on
pourrait appeler Ja droite gambet
tiste. Vivant dans les régions du
pouvoir, il prétendait être la le con
tinuateur de Gambetta dernière ma
nière, voué à la pacification, à une
espèce d'ordre moral, à un véritable
militarisme; car,depuis dix années,
ce juif libre-penseur avait adopté
pour programme « l'édit de Nantes
des partis ». Longtemps avant les
conservateurs, il pratiquait le ral
liement. D'ailleurs, il n'hésitait pas
non plus à s'en moquer; et une
feuille maçonnique l'a montré se
« déshabillant complètement sous
«le cordon maçonnique et se met
«tant nu comme la Vérité » pour
« jeter par-dessus bord les ralliés
« au parti gambettiste ». Est-ce par
métaphore, au propre ou au mal
propre que parlait le Bulletin de la
grande loge maçonnique écossaise ?
Bref, M. Reinach manipulait les
ralliés comme aussi les vieux ré
publicains, à sa guise, les appelant
ou les repoussant suivant les con
jonctures. Après avoir cajolé l'ar
mée et tenté de mettre la main
sur elle, après avoir offert aux ca-
tholiques-un édit de Nantes (car rien
ne lui paraît au-dessus de.sa mis
sion et de ses ressourcés), il a, tou
jours pour se donner un rôle, orga
nisé et lancé l'affaire Dreyfus qui
devait déchaîner sur l'armee un ou
ragan d'outrages et ramener la per
sécution religieuse. Titus se de
mandait tous les soirs quelle bonne
action il avait faite. M. Reinach se
demande tous les matins ce qu'il
pourrait inventer pour étonner la
roule. Il y a en lui de l'Alcibiade et
de l'Erostrate; avec un ventre et
une figure qui sont d'Un autre type ;
tout un monde.
Enfin, au commencement de 1894,
il affirmait la nécessité de « l'esprit
nouveau » et reprochait Chateau-
viljain à M. Goblet. Il aurait parlé
hier, si on le lui avait permis ; et il
aurait offert à la France de la pro
téger encore.
D'ailleurs, M. Waldeck-Rous seau
a-t-il une attitude plus étonnante?
Il a été, lui aussi, pour le rallie
ment pratiqué par Gambetta. Il a
prêché la résistance au socialisme,
avant de prendre pour ministre du
commerce M. Millerand, qui lui as
sure l'appui du collectivisme. Le
même Millerand a flétri le Me a culpa
du même Spuller que M. Waldeck-
Rousseau vient à la fois de glorifier
et de désavouer.
La cérémonie d'hier avait donc un
certain caractère de carnaval. Le
carnaval comporte des éléments dé
risoires et piteux. Aussi, en fin de
compte, le pauvre Spuller, bon
homme, laborieux, éclairé sur le
tard, un des rares révolutionnaires
qui aient fait des progrès et appris
vraiment quelque chose, le pauvre
Spuller se trouve avoir été trahi et
berné par la plupart de ses admi
rateurs officiels. Des gens pour qui
la philosophie et la religion sont
des. matières inintelligibles l'ont
loué gravement, et péniblement,
d'avoir eu le souci delà philosophie
religieuse, mais ils ne lui pardonne
ront jamais d'avoir osé dire : « Je
« m'accuse moi-même », la meilleure
parole qu'il ait prononcée pourtant.-
Par elle, et sans y songer, il s'est
mis fort au-dessus de ses anciens
compagnons et peut-être a-t-il sé
paré d'un parti en décomposition
les forces capables encore de vivre
et de se relever.
Eugène Tavernier.
— »-,.••• ■
mLLETMC
La présidence du Sénat a envoyé,
hier, aux sénateurs, les lettres de con
vocation pour la réunion du Sénat en
Haute-Cour de justice, le lundi 2k juin,
à deux heures.
Hier, la Chambre a commencé à dis
cuter les taxes de remplacement pour
Vociroi de Lyon; en a renvoyé à.samedi
prochain la suite du débat.
Cet après midi, suite de Vexamen du
projet de loi sur les retraites ouvrières.
Hier, au conseil général de la Seine,
M. Adrien Veber, socialiste, a été élu
président par kd voix contre k8 données
à M* Galli, nationaliste. Néanmoins la
majorité du bureau est nationaliste.
Hier, inauguration au Père-Lachaise
du monument élevé à M. Spuller. Nous
avons donné en Dernière Heure des ex
traits des principaux discours pronon
cés ; nous les apprécions plus haut.
Hier, le tribunal correctionnel du
Havre a condamné à deux mois de pri
son le garçon boulanger Ernest Parfait
qui tout récemment avait lancé une to
mate sur le président du conseil.
En Espagne, la Chambre a élu son
bureau provisoire dont le président est
le marquis de la Vega di Armijo. L'é
lection a eu lieu sans incident.
L'empereur François-Joseph est ar
rivé hier à Prague où il & reçu de la
population un accueil enthousiaste.
Mme Botha est arrivée hier au soir à
Bruxelles se rendant auprès du prési
dent Kruger.
— ——♦ —
NOUVELLES DE HOME
Rome, 14 juin.
Au Vatican.
Dimanche passé, Léon XIII a reçu en
audience particulière 8. Exc. le baron
d'Erp, ministre de Belgique près du
Saint-Siège, accompagné de sa famille
et de S. Exc. le duc de Cestrando, mi
nistre de Saint-Domingue.
Lundi Sa Sainteté a reçu Mgr Antoine
Polito, évêque de Siva, nommé arche
vêque de Corfou, et Mgr Antoine Valbo-
nesi, évêque de Saint-Ange in Vedo et
Urbanio.
-Àujouri'hul a été .reçu S. Em. le car
dinal Gibbons, archevêque de Balti
more. V
Pour* le jubilé pontifical.
Dimanche passé, à l'église de Saint-
Ignace, a été célébrée une messe solen
nelle dans le but d'obtenir de Dieu la
conservation de la vie précieuse de S. S.
Léon XIII.
La messe a été dite à l'autel de Saint-
Louis de Gonzagiie, par S. Em.je cardinal
vicaire Respighi. Dans le chœur se trou
vait le comité d'organisation des fêtes ju
bilaires composé du prince Camille Ros-
pigliosi, du marquis. Serlupi, du comte
Santucci, des commandeurs Sterbini et
Tolji, et des chevaliers Perpionetti et Si-
monetti.
L'officiant était assisté par Mgr Radini
Tedeschi.
Plus de deux mille personnes reçurent
la sainte communion qui fut distribuée
pendant plus d'une heure par le cardinal
lui-même et par Mgr Radini Tedeschi.
Après une messe d'action de grâces, du
rant laquelle fut récité le rosaire, on a
chanté VOremus Pro Pontifice Nostro
Leone et le3 litanies. Ensuite Son Etni-
nence a donné sa bénédiction.
Avant la communioir le cardinal a pro
noncé une émouvante allocution en pre
nant texte de l'Evangile du jour ; il a vi
vement excité les fidèles à offrir leur
communion pour que Dieu daigne accor
der à l'Eglise la consolation de célébrer
le jubilé de son auguste et bien aimé
Pontife.
LA GUERRE Sl)D-AFR!CAIKE
Mettant de côté, pour le moment,
la série quotidienne des informa
tions plus ou moins exactes que
laisse passer la censure britannique,
l'opinion publique européenne est
tout entière attentive à l'arrivée de
Mme Botha, tant est grande partout
la curiosité de cennaitre le véri
table objet de la .mission dont
on prétend que le général en chef
des Boers a chargé sa femme, au
près du président Kruger.
Mme Botha, qui vient de débar
quer à Ostende, et qui, sans re
tard, s'est mise en route pour
Bruxelles et La Haye, a déjà été
mêlée, comme on sait, aux tentatives
d'§ .pacification, aux négociations
préliminaires qui ont eu lieu entré
lord Kitchener et le général Botha.
Ce précédent donne le droit de sup
poser que la mission actuelle a le
même objet, et que Mme Botha vient
en Europe pour renseigner le pré
sident Kruger sur le véritable état
des choses là-bas, sur les disposi
tions réelles des esprits dans les
deux Républiques et dans la colonie
du Cap,parmi les Burghers comme
parmi les Afrikanders, en même
temps que sur l'étendue des ressour
ces dont peuvent encore disposer les
derniers défenseurs de l'indépen
dance. Suivant ces conjectures, la
mission de Mme Botha serait l'in
dice, sinon la preuve, que la résis
tance des Boers, prolongée si hé
roïquement au delà de toute pré
vision, est enfin à bout, et qu'il ne
s'agit plus que de remettre entre les
mains de qui de droit, la difficile, la
douloureuse tâche des négociations
pour la soumission et la paix. Ce
serait là, en définitive, le réel objet
de la mission de Mme Botha.
Il est vrai que certaines feuilles
contestent vivement cette interpré
tation; mais, il faut bien le recon
naître, elles se basent plutôt sur
des considérations sentimentales
que sur des informations objec
tives. Au surplus, à quoi bon discu
ter sur une question qui sera pro
chainement résolue^ et cette fois,
par des informations aue l'on ne
pourra plus mettre en aoute.
En attendant, il est impossible de
n'être pas frappé de ce fait que la
mission de Mme Botha a été très
courtoisement favorisée par le gou
vernement anglais, ce qui n'eut pas
eu lieu, certainement, s'il la sup
posait contraire à ses vues ; tandis
que tout cela s'explique parfaite
ment, si l'on réfléchit que l'Angle
terre, qui veut la soumission et qui
veut la paix, doit faire en sorte que
le président Kruger perde toute
illusion, désormais, afin que mis en
face de la dure réalité des choses,
il se résigne enfin, de guerre lasse,
c'est le cas de le dire, à signer, et à
imposer par son autorité les su
prêmes resolutions.
F. L.
A LA CHAMBRE
Les octrois de Lyon.
Dès lors que la municipalité très
socialiste de Lyon, présidée par M.
Augagneur, voulant opérer la sup
pression totale des octrois, eut
émis l'odieuse et grotesque préten
tion d'établir, parmi les taxes de
remplacement, un impôt spécial
sur chaque élève interne ou demi-
Eensionnaire des établissements li
res, le gouvernement de « Défense
républicaine » s'empressa de faire
sienne cette trouvaille imprévue,
et de la formuler dans un projet de
loi.
C'est ce texte, adopté par la com
mission parlementaire, qui vient en
discussion devant la Chambre.
• Il s'agit d'autoriser la ville do
Lyon à percevoir un certain nombre
de taxes, notamment : une majora
tion des droits sur l'alcool, qui se
trouvent portés de 41 à 100 francs
par hectolitre; des impôts sur la
propriété immobilière et sur l'habi
tation ; enfin, une redevance fixe de
10 ou 20 francs par élève, dans cha
que institution autre que les éta
blissements d'éducation de l'Etat.
En réalité, quelque justifiées que
puissent être les critiques soulevées
par l'ensemble de ces mesures, c'est
sur la dernière, sur celle qui viole
plus hypocritement peut être qu'on
ne le fit jamais les droits de la cons^
cience et de la liberté, que portera
tout le débat.
C'est pour la faire consacrer au
plus vite par une majorité prête à
toutes les complaisances, qu'on a
siégé extraordinairement hier, et
qu'on siégera non moins extraordi
nairement samedi prochain.
M. Fleury-Ravarin, dans la dis
cussion générale, a protesté contre
les dispositions qui vont frapper, à
son sens trop lourdement, les débi
tants de boissons de Lyon, qui doi
vent faire supporter à la propriété
immobilière une chage de 18 pour
cent, et qui élèveront à 21 pour cent
le taux de l'impôt sur la valeur lo-
cative.
L'extrême-gauche, qui règne en
absolue souveraine, n'a cure des
objections accumulées; elle sem
ble hypnotisée par l'article 9, —
celui qui a trait à la taxe sur les
institutions scolaires, — elle ne
souffrira point qu'on recule, fût-ce
pour mieux étudier le projet, une
décision que déjà elle a escomp
tée.
On a repoussé, par 335 voix con
tre 183, une motion préjudicielle de
M. Castelin tendant à l'ajournement
de la discussion pour examen com
plémentaire au sein de la commis
sion, — et, par 318 voix contre 218,
une autre proposition de M. Leche-
vallier sur le renvoi au conseil mu
nicipal de Lyon.
Bien qu'on n'ait point encore
abordé le débat sur la question qui
tient si vivement à cœur aux jaco
bins, et qui va, si elle est résolue
comme ils l'espèrent, constituer
une abominable violation du prin
cipe de l'égalité devant l'impôt, en
même temps qu'un dangereux pré
cédent, M. Denys Cochin a protesté
en quelques paroles très énergi
ques contre ce délire de l'arbitraire
et de la tyrannie.
Il a élo'quemment mis en lumière
le contraste entre la politique d'in
justice et d'oppression, se pour
suivant plus âpre et plus sectaire
que jamais, et l'hommage que le
chef du gouvernement était con
traint de rendre, au cours de la cé
rémonie d'hier, à la mémoire de
Spuller, assagi et revenu, par clair
voyance patriotique et pratique du
pouvoir, à des idées de tolérance et
d'apaisement.
Au nom de l'ancien lieutenant de
Gambetta, radicaux et socialistes
ont gardé un silence gêné; il faut
pour soulever leur enthousiasme et
mériter leurs applaudissements
n'avoir pas abdiqué un seul ins
tant la haine antireligieuse, ou re
nier les traditions libérales aux
quelles on fut attaché et proclamer,
comme M. Caillàux, que des mesu
res fiscales prescrites par une mu
nicipalité momentanément au pou
voir n'ont rien d'illégal ni a'in?
juste.
Gabriel de Triors.
Çà et là
LE SONGE DE SAINT JEAN
Qu'ils voient de belles choses les ar
tistes chrétiens, et comme parfois leur
pinceau ou leur plume sait exprimer
merveilleusement l'idéal contemplé!
Ce mois de juin, consacré au Sacré-
Cœur, et particulièrement la présente
semaine, noua parait une époque favo
rable entre toutes pour évoquer le souve
nir d'un chef d'œuvre qu'il faudrait citer
intégralement, car résumer certaines
pages, c'est les mutiler, c'est leur enle
ver leur plus bel éclat et leur plus suave
parfum.
L'auteur de ce poème est , Verdaguère,
le grand écrivain catalan du XIX e siè
cle.
A la dernière Cène, le disciple bien-
aimé, saint Jean,s'est endormi sur la poi
trine de Jésus, et, dans un songe mysti
que, il voit naître et grandir la dévotion
au Sacré-Cœur. Tout d'abord apparaît
la vierge Marie, la Mère du pur amour,
que suivent de près saint Paul, saint Au
gustin, saint Bernard, saint François
d'Assise, saint Bonaventure, etc., tous
les chantres et tous les héros de la divine
charité. Nous les voyons passer, nous les
entendons parler de l'amour de Jésus et
du feu qui les consume eux-mêmes.
Dans ce premier groupe, avant-garde
qui ne fait que soupçonner la grande dé
votion des temps modernes, se trouve
sainte Magdeleine de Pazzi. A la vue de
l'autel solitaire, elle ne peut contenir ses
larmes; aussitôt, elle s'en va sonneries
cloches et elle s'écrie : « Venez, venez
voir l'amour, qui se consume, hélas ! de
regrets. » Mais les hommes restent in
sensibles à son appel. Alors elle s'en
plaint doucement aux êtres sans raison,
a Dites-moi, petits oiseaux, dites moi,
fleurettes, pourquoi n'aime-t-on pas l'a
mour ?»
FEUILLETON DE L'UNIVERS
DU 14 JUIN 1901
L'EXPOSITION SEDELHEYER
La célèbre galerie Sedelmeyer, rue de
la Rochefoucauld, vient de s'ouvrir dans
un but charitable — il s'agit de l'Or
phelinat des Arts — pour montrer aux
Parisiens une collection de îableaux de
maîtres des écoleB anciennes. Cette col
lection, que je viens de voir en détail, est
tellement belle que je me permets d'en
gager tous mes lecteurs à la visiter sans
retard. N'y aurait-il seulement que les
cinq pièces suivantes : la Madone de
Saint-Antoine, dePadoue par Raphaël,
la Conversion de saint Paul par Ru-
bena, VApôtre saint Paul par Rembrandt,
la Sainte Famille du Titien, le Portrait
de l'archiduc Ferdinand par Rubens,
que pour elles seules, il faudrait faire
cette visite. Mais à côté de ces véritables
merveilles, l'habile et riche collection
neur a placé des toiles admirables au
nombre de deux cents, toiles dont les
auteurs sont; Fra Angelico, Bronzino,
Palma, Sebastiano del Piombo, Holbein,
Téniers, Watteàu, Constable, Ruysdaël,
Boucher, Gérard Dow, Claude Lorrain,
etc., etc. Tous ces trésors sont installés
avec un soin particulier et dans une
belle lumière. Je vais essayer de vous en
donner un fidèle aperçu.
Dès qu'on a franchi le seuil, on aper
çoit au fond de la première galerie, dans
une salle particulière, la fameuse toile
de Raphaël, qui représente au centre la
Vierge, l'enfant Jésus, le petit saint Jean-
Baptiste, à droite Bainte Cécile et saint
Paul, àgauche sainte Catherine d'Alexan
drie et saint Pierre. Allons immédiate
ment à elle, car c'est l'attraction principa
le. Dans le tympan du tableau, formant ré
table, apparaît Dieu le Père portant le
globe du monde dans sa main gauche et
J)énissant de la droite. Au-dessus de lui,
deux têtes d'anges et à ses côtés deux
anges inclinés, les mains jointes.
Ce célèbre ouvrage, que l'on connaît
aussi sous le titre de la Grande madone
Colonna, avait été commandé à Raphaël
en 1505 par le couvent des religieuses de
Saint-Antoine de Padoue à Pérouse. En
1677, les religieuses furent forcées de le
vendre et le cédèrent à la famille Co
lonna à Rome ; c'est de là que vient la
seconde appellation de ce tableau. Ên
1802, la galerie Colonna consentit à le
vendre à la galerie de Ferdinand I", roi
des Deux-8iciles. Il devint ensuite la
propriété de Ferdinand II, roi de Naples.
Ce prince l'avait en telle admiration
qu'il l'avait fait placer dans sa chambre
à coucher. Il le laissa en 1859 à sa mort,
comme un de ses legs les plus précieux,
à François II son lîls. Celui-ci, lors de la
Révolution de 1860, le fit rouler et em
porter, avec quelques-uns de ses trésors,
à la forteresse de Gaëte qu'il défendit, on
sait avec quelle bravoure.
Après la reddition de Gaëte, Fran
çois II, partant pour l'exil, confia le ta
bleau à un bâtiment de guerre espagnol
et le fît parvenir à Madrid. II autorisa
plus tard l'un de ses plus fidèles servi
teurs, le duc de Ripalda, à vendre la
Madona., et le- duc entra à ce sujet en re
lations avec l'impératrice Eugénie. La
souveraine le fit exposer ea mai 1870 au
Louvre, pour savoir si l'opinion publique
ea ratifierait l'acquisition au prix d'un
million, qui aurait été demandé à titre
de crédit aux Chambres. Les critiques
d'art et le public admirèrent cette grande
œuvre comme elle méritait de l'être, et
la Madona serait depuis longtemps ins
tallée à la première place dans notre
grand musée, si là terrible guerre qui
survint n'avait fait suspendre toutes les
négociations d'achat. Le roi de Naples,
dépossédé de ses Etats et devenu duc de
Castro, reprit la Madona qu'il garda
chez lui, même après avoir réduit son
train de maison. Il voulut bien la prêter
quelque temps au South Kensington Mu
séum, où il fut exposé dans la salle dite
des Raphaël. Enfin, après la mort du roi
survenue en 1895, ses héritiers le vendi
rent à M. Sedelmeyer, qui nous le mon
tre aujourd'hui dan& toute sa splendeur.
J'aime à croire qu'il a déjà attiré l'at
tention si éveillée de l'intelligente et
pratique Société des amis du Louvre, et
que la France entrera en possessiond'une
œuvre splendide, que lui envieront tous
les musées d'Europe.
Arrêtez-vous quelques instants dans
la salle qui lui est consacrée chez M. Se
delmeyer et contemplez ce chef d'œuvre,
comme il mérite de l'être. Sur un trône
que surmonte un baldaquin à festons, la
Vierge est assise tenant son Enfant
sur ses genoux. Elle laisse tomber des
regards pleins de douceur sur le petit
saint Jean qui s'approche gentiment, les
mains jointes, et que bénit le petit Jé
sus. Rien ne peut rendre la ferveur naïve
de saint Jean et la grâce enchanteresse
dep'Enfant divin. Le peintre a concentré
dans les physionomies de la Mère et du
Fils tout ce qu'il a pu imaginer de bonté
et de tendresse. A côté du trône, les deux
saintes, portant des palmes, se tiennent
debout gracieuses et pensives. Les deux
saints, qui figurent au premier plan,
sont représentés avec une majesté, une
ampleur incomparables. Saint Pierre,
qui tient un livre et les clefs de l'Eglise,
regarde les spectateurs avec sévérité.
Saint Paul semble s'absorber tout entier
dans la lecture d'un livre sacré. Le fond
du tableau est occupé par un paysage
d'une grande douceur, avec des monta
gnes légèrement tracées et dont l'une est
surmontée d'une église au fin clocher.
Un ciel bleu, taché de quelques nuages
blancs, apparaît au-dessus des monta
gnes. Dans le tympan, l'Eternel bénit
cette scène avec une majestueuse dou
ceur, tandis que les anges se prosternent
devant lui et l'adorent. Le sentiment
parfait de la Divinité, le sens idéal de la
grandeur, de la beauté et de la grâce
anirhent cette composition superbe dont
le dessin est la perfection, et le coloris
l'harmonie même. Je laisse à tous ceux
qui contempleront cette œuvre sublime
le soin d'ajouter les réflexions que leur
inspireront sans aucun doute leur piété
et leur goût.
Rubens est arrivé à la toute-puissance
dans la Conversion de saint Paul. Au
centre d'une très grande toile on aperçoit
saint Paul renversé à terre, les bras
étendus, les yeux fermés, la face terreuse,
la jambe gauche sur le dos de son cheval,
l'autre sous le cheval lni-même qui s'a
genouille effrayé. Un serviteur essaie de
relever son maître. Auprès de lui, deux
hommes tombés n'osent lever la tête et
un cavalier, la tête casquée, tenant une
lance en main, essaie de retenir son che
val qui rue et s'emporte. A ses côtés un
soldat regarde le ciel et jette un cri de
terreur.Un troisième cavalier, coiffé d'un
turban, est comme renversé sur sa mon-
tuje qui se dresse et fait panache, tandis
qu'un quatrième, le porte-drapeau, lève
et écarte ses bras. Dans le ciel qui s'est
ouvert et d'où sortent des rayons divins,
apparaît le Christ courroucé qui lève la
main droite et semble menacer le groupé
épouvanté. «Une lumière brillante, a dit
le critique Smith, émanant du Sauveur,
tombe sur le groupe du centre et produit
un effet terrifiant et sublime. A quelque
point de vue que l'on considère cette
superbe production, que l'on ait égard à
la composition, au dessin, à la richesse
et à l'éclat des coloris, ou à la hardiesse
magistrale de l'action, l'esprit et l'œil du
spectateur s'y arrêteront avec plaisir et
l'on avouera que c'est une œuvre de la
plus hauteetde lapîusréelle excellence, »
Ce qui me frappe dans cette composition,
c'est l'arrangement admirable des per
sonnages,l'audace de leur pose, la scien
ce inouïe des raccourcis-
Nos artistes contemporains qui cher
chent à nou3 étonner par leur hardiesse
ne sont que des pygmées à côté d'un ar
tiste pareil. Quelle connaissance prodi
gieuse une telle œuvre ne dénote t-elle
pas du corps humain et de ses mou
vements ? Que dire de l'unité et de
l'harmonie d'une action aussi compli
quée et cependant aussi simple ? Quel
savoir des couleur et de leurs
beaux effets, quelle joie pour le regard
que ces tons chauds, riches, puissants,
généreux ! La Conversion de saint Paul
a été possédée jadis par la famille de
Montesquieu,puis par M. Delahante, puis
par sir Philip Miles de Bristol. Elle sera
ardemment convoitée, mais si tentante
qu'elle soit, je la laisserai partir sans
trop de regrets, car notre Louvre est le
musée qui compte le plus de grands et
beaux Rubens. Ce n'est pas que je la
dédaignerais, si quelque amateur fortuné
voulait bien noua l'offrir. En attendant,
que ceux qui ont l'œil attristé par le
gris déplorable dont abuse une école que
je n'ai pas ménagée, aillent voir cette
lumière merveilleuse qui tombe du
Christ sur le centre de la toile et se
répand si justement sur le principal
personnage et de là sur les autres fi
gures et sur les chevaux. A mon avis,
c'est sans contredit une des plus éton
nantes compositions de l'oeuvre im
mense de Rubens qu'il m'a été permis de
contempler à Paris, à Anvers, à Bruxel
les, à Berlin, à Amsterdam, à La Haye,
à Munich, à Vienne...
Du même maître le portrait de l'archi
duc Ferdinand,cardinal infant d'Espagne,
vous attire et vous séduit. L'archiduc
porte une armure d'acier bruni rehaus
sée d'une écharpe rouge, un grand feu
tre aux larges bords, et tient vaillam
ment la main sur l'épée à la garde d'or,
tandis qu'un sourire court sur cette phy
sionomie fine et gracieuse. Là encore le
coloris règne en maître et distribué avec
une science, une adresse sans pareilles.
Et comme pour nous prouver qu'il peut
nous émouvoir avec quelques notes dis
crètes, il nous offre à côté de ce brillant
portrait la tête robuste du chevalier Cor
neille de Lantschof, dont la silhouette
ssrtîos? QUOTmosmos
Edition quotidiens». — 12.165
PARIS
È9 DÉPARTEMENTS
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Six mois 21 s
Trois mois..... il »
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Vendredi 14 Juin 1901 1 uL-
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Six mois„ 1@ » A8 »
Trois mois.,.., S * 6 gg.
ET
LE MONDE
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L'OMVEBS S£fi répond pSS dsi E'iûîïStJCfîfe ItSÎ S2"d zdfSStû
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MM. LAGRANGE, CERF eï C is s 6» place de îs Bcurs*
PARIS, 13 JUIN 1901
SOMMAIRE
Le monument de
Spuller.... ....... E ugène T avernier.
La guerre sud-afri
caine............. F. L.
A la Chambra...... G abkiei bs T rioss.
Çà et là : Le songe
de saint Jean . P bosper G erald.
Feuilleton: L'Expo
sition de Sedel
meyer....... H enri D ac.
Bulletin. — Nouvelles de Rome. -- Pour
les congrégations. — Les ennemis des
cafards.— A l'IIôtel de Ville. — Une
conférence à Roanne. — Eu Algérie. —
L'affaire du Figaro. — A travers la
presse. — En Bohême. — La guerre du
Transvaal. —Dépêches de l'étranger.
— Les anarchistes. — Chronique. —
Lettres, sciences et arts. — Echos de
partout. — La Société d'économie so
ciale. — Ligue de Jeanne d'Arc. — No
tre-Dame de Brebières. — Chronique re
ligieuse. — Notre-Dame de France. —
Chambre des députés. — Les obsèques
du capitaine Cazemajou. -— Nécrologie.
— Tribunaux. — A l'Aquarium. — L'af
faire Monnier. — Nouvelles diverses. —
Calendrier. —Bourse et bulletin finan
cier. — Dernière heure.
LE MONUMENT DE SPULLER
On aurait bien dû graver sur le
monument de Spuller la phrase pro
noncée le 3 mars 1894 : « J'appelle
.«■wi esprit nouveau, l'esprit qui
« tend, dans une société aussi pro-
« fondement troublée que la nôtre, à
« ramener tous les Français autour
« des idées du bon sens, de la jus-
« tice et de la charité » ; car c'est
tout ce qui restera des nombreux
discours et des divers écrits compo
sés par l'ami de Gambetta.
•Ces mots eurent un violent et
profond retentissement, d'autant
plus qu'ils formulaient la conclusion
a'une existence mêlée aux luttes des
idées et des faits. Ils avaient le ca
ractère et la portée d'un testament
politique. Ils appelaient un régime
et, dans la pensée de l'©rateur, ils
ouvraient une période où l'on n'en
tendrait plus déclamer contre le
cléricalisme. C'était la fin des con
flits aigus, l'arrêt dans l'oeuvre de
déchristianisation, un effort résolu
vers la vie normale, vers la liberté
paisible.
On ne se représente pas M. Wal-
deck-Rousseau, jacobin de circons
tance, ni M. Rano, jacobin de na
ture, invoquant hier, au Père-La-
chaise, l'autorité du sectaire re
penti pour justifier leur despotisme
impénitent. Toutefois ils ont parlé,
parce que l'heure était aux dis
cours.
^M". Deschanel a expliqué, avec
itne habileté remarquable et non
sans donner certaines bonnes rai
sons, que Spuller, en répudiant le
système d'agression, ne cessait pas
d'être au fond le même hommë. M.
Fallières, bien que toujours épais,
terne et paterne, a cru opportun de
se farder de radicalisme. M. Ranc
a insinué assez clairement que l'an
cien ministre n'eût pas .manqué de
devenir dreyfusard \ M. Waldeck-
Rousseau, volontiers méprisant
même dans la louange, a garanti
qu'un nouveau me a culpa n'aurait
pas tardé à effacer le scandale du
me a cuîpa précédent.
Car c'est bien un mea culpa déplo
rable que les libres-penseurs incor
rigibles ont reproché au « journa
liste-philosophe ». L'accusation fut
tout ae suite proférée par M. Mille-
rand, aujourd'hui collègue de M.
Waldeck-Rousseau.
Parmi les interrupteurs qui", le
3 mars 1894, flétrissaient le vœu
d'un « esprit nouveau » se distin
guait M. Millerand. Il criait à Spul
ler : « Vous venez fairë votre
me a culpa,. » C'était une accusation
très grave puisque, dans ce monde-
là, on a un mépris extrême ' de
l'homme qui s'abaisse jusqu'à se
reconnaître coupable de quelque
chose, fût-ce simplement de s'être
trompé. D'après la belle fierté révo
lutionnaire, nourrie du sophisme
de Rousseau « l'homme est né bon » ,
nous devons toujours nous'croire
innocents ; et les libres-penseurs de
Î)référence, et même exclusivement.
3 our eux, se repentir est une lâ
cheté.
Spuller cependant désavouait avec
une rare énergie la « guerre mes-
« quine et tracassière ».
A la question de M. Goblet : « Qui
« accusez-vous d'avoir fait cette
« guerre ? » il répondait :
« Je m'en accuse moi-même, pour
« ma part. »
Et comme le même M. Goblet
criait :
« Avouez donc le pacte avec l'E-
« glise, cela vaudra mieux. Que fai-
« tes-vous de l'esprit ancien de la
« République? » un député très
gambettiste, important dès la jeu
nesse, animé d'ambition au point
d'aimer mieux être détesté et ridi
culisé que de rester dans l'ombre,
un des individus qui incarnent l'ar
deur de la conquête et de la domi
nation, l'instinct de la juiverie,
ce quelqu'un jeta à M. Goblet une
définition mordante î
« L'esprit ancien, c'est l'esprit de
«Châteauvillain.»
Le compte rendu de la fameuse
séance constate que cette allusion à
la tuerie de Châteauvillain était
faite par... M. Joseph Ileinach!
Au commencement de 1894, en ef
fet, M. Reinach représentait ce qu'on
pourrait appeler Ja droite gambet
tiste. Vivant dans les régions du
pouvoir, il prétendait être la le con
tinuateur de Gambetta dernière ma
nière, voué à la pacification, à une
espèce d'ordre moral, à un véritable
militarisme; car,depuis dix années,
ce juif libre-penseur avait adopté
pour programme « l'édit de Nantes
des partis ». Longtemps avant les
conservateurs, il pratiquait le ral
liement. D'ailleurs, il n'hésitait pas
non plus à s'en moquer; et une
feuille maçonnique l'a montré se
« déshabillant complètement sous
«le cordon maçonnique et se met
«tant nu comme la Vérité » pour
« jeter par-dessus bord les ralliés
« au parti gambettiste ». Est-ce par
métaphore, au propre ou au mal
propre que parlait le Bulletin de la
grande loge maçonnique écossaise ?
Bref, M. Reinach manipulait les
ralliés comme aussi les vieux ré
publicains, à sa guise, les appelant
ou les repoussant suivant les con
jonctures. Après avoir cajolé l'ar
mée et tenté de mettre la main
sur elle, après avoir offert aux ca-
tholiques-un édit de Nantes (car rien
ne lui paraît au-dessus de.sa mis
sion et de ses ressourcés), il a, tou
jours pour se donner un rôle, orga
nisé et lancé l'affaire Dreyfus qui
devait déchaîner sur l'armee un ou
ragan d'outrages et ramener la per
sécution religieuse. Titus se de
mandait tous les soirs quelle bonne
action il avait faite. M. Reinach se
demande tous les matins ce qu'il
pourrait inventer pour étonner la
roule. Il y a en lui de l'Alcibiade et
de l'Erostrate; avec un ventre et
une figure qui sont d'Un autre type ;
tout un monde.
Enfin, au commencement de 1894,
il affirmait la nécessité de « l'esprit
nouveau » et reprochait Chateau-
viljain à M. Goblet. Il aurait parlé
hier, si on le lui avait permis ; et il
aurait offert à la France de la pro
téger encore.
D'ailleurs, M. Waldeck-Rous seau
a-t-il une attitude plus étonnante?
Il a été, lui aussi, pour le rallie
ment pratiqué par Gambetta. Il a
prêché la résistance au socialisme,
avant de prendre pour ministre du
commerce M. Millerand, qui lui as
sure l'appui du collectivisme. Le
même Millerand a flétri le Me a culpa
du même Spuller que M. Waldeck-
Rousseau vient à la fois de glorifier
et de désavouer.
La cérémonie d'hier avait donc un
certain caractère de carnaval. Le
carnaval comporte des éléments dé
risoires et piteux. Aussi, en fin de
compte, le pauvre Spuller, bon
homme, laborieux, éclairé sur le
tard, un des rares révolutionnaires
qui aient fait des progrès et appris
vraiment quelque chose, le pauvre
Spuller se trouve avoir été trahi et
berné par la plupart de ses admi
rateurs officiels. Des gens pour qui
la philosophie et la religion sont
des. matières inintelligibles l'ont
loué gravement, et péniblement,
d'avoir eu le souci delà philosophie
religieuse, mais ils ne lui pardonne
ront jamais d'avoir osé dire : « Je
« m'accuse moi-même », la meilleure
parole qu'il ait prononcée pourtant.-
Par elle, et sans y songer, il s'est
mis fort au-dessus de ses anciens
compagnons et peut-être a-t-il sé
paré d'un parti en décomposition
les forces capables encore de vivre
et de se relever.
Eugène Tavernier.
— »-,.••• ■
mLLETMC
La présidence du Sénat a envoyé,
hier, aux sénateurs, les lettres de con
vocation pour la réunion du Sénat en
Haute-Cour de justice, le lundi 2k juin,
à deux heures.
Hier, la Chambre a commencé à dis
cuter les taxes de remplacement pour
Vociroi de Lyon; en a renvoyé à.samedi
prochain la suite du débat.
Cet après midi, suite de Vexamen du
projet de loi sur les retraites ouvrières.
Hier, au conseil général de la Seine,
M. Adrien Veber, socialiste, a été élu
président par kd voix contre k8 données
à M* Galli, nationaliste. Néanmoins la
majorité du bureau est nationaliste.
Hier, inauguration au Père-Lachaise
du monument élevé à M. Spuller. Nous
avons donné en Dernière Heure des ex
traits des principaux discours pronon
cés ; nous les apprécions plus haut.
Hier, le tribunal correctionnel du
Havre a condamné à deux mois de pri
son le garçon boulanger Ernest Parfait
qui tout récemment avait lancé une to
mate sur le président du conseil.
En Espagne, la Chambre a élu son
bureau provisoire dont le président est
le marquis de la Vega di Armijo. L'é
lection a eu lieu sans incident.
L'empereur François-Joseph est ar
rivé hier à Prague où il & reçu de la
population un accueil enthousiaste.
Mme Botha est arrivée hier au soir à
Bruxelles se rendant auprès du prési
dent Kruger.
— ——♦ —
NOUVELLES DE HOME
Rome, 14 juin.
Au Vatican.
Dimanche passé, Léon XIII a reçu en
audience particulière 8. Exc. le baron
d'Erp, ministre de Belgique près du
Saint-Siège, accompagné de sa famille
et de S. Exc. le duc de Cestrando, mi
nistre de Saint-Domingue.
Lundi Sa Sainteté a reçu Mgr Antoine
Polito, évêque de Siva, nommé arche
vêque de Corfou, et Mgr Antoine Valbo-
nesi, évêque de Saint-Ange in Vedo et
Urbanio.
-Àujouri'hul a été .reçu S. Em. le car
dinal Gibbons, archevêque de Balti
more. V
Pour* le jubilé pontifical.
Dimanche passé, à l'église de Saint-
Ignace, a été célébrée une messe solen
nelle dans le but d'obtenir de Dieu la
conservation de la vie précieuse de S. S.
Léon XIII.
La messe a été dite à l'autel de Saint-
Louis de Gonzagiie, par S. Em.je cardinal
vicaire Respighi. Dans le chœur se trou
vait le comité d'organisation des fêtes ju
bilaires composé du prince Camille Ros-
pigliosi, du marquis. Serlupi, du comte
Santucci, des commandeurs Sterbini et
Tolji, et des chevaliers Perpionetti et Si-
monetti.
L'officiant était assisté par Mgr Radini
Tedeschi.
Plus de deux mille personnes reçurent
la sainte communion qui fut distribuée
pendant plus d'une heure par le cardinal
lui-même et par Mgr Radini Tedeschi.
Après une messe d'action de grâces, du
rant laquelle fut récité le rosaire, on a
chanté VOremus Pro Pontifice Nostro
Leone et le3 litanies. Ensuite Son Etni-
nence a donné sa bénédiction.
Avant la communioir le cardinal a pro
noncé une émouvante allocution en pre
nant texte de l'Evangile du jour ; il a vi
vement excité les fidèles à offrir leur
communion pour que Dieu daigne accor
der à l'Eglise la consolation de célébrer
le jubilé de son auguste et bien aimé
Pontife.
LA GUERRE Sl)D-AFR!CAIKE
Mettant de côté, pour le moment,
la série quotidienne des informa
tions plus ou moins exactes que
laisse passer la censure britannique,
l'opinion publique européenne est
tout entière attentive à l'arrivée de
Mme Botha, tant est grande partout
la curiosité de cennaitre le véri
table objet de la .mission dont
on prétend que le général en chef
des Boers a chargé sa femme, au
près du président Kruger.
Mme Botha, qui vient de débar
quer à Ostende, et qui, sans re
tard, s'est mise en route pour
Bruxelles et La Haye, a déjà été
mêlée, comme on sait, aux tentatives
d'§ .pacification, aux négociations
préliminaires qui ont eu lieu entré
lord Kitchener et le général Botha.
Ce précédent donne le droit de sup
poser que la mission actuelle a le
même objet, et que Mme Botha vient
en Europe pour renseigner le pré
sident Kruger sur le véritable état
des choses là-bas, sur les disposi
tions réelles des esprits dans les
deux Républiques et dans la colonie
du Cap,parmi les Burghers comme
parmi les Afrikanders, en même
temps que sur l'étendue des ressour
ces dont peuvent encore disposer les
derniers défenseurs de l'indépen
dance. Suivant ces conjectures, la
mission de Mme Botha serait l'in
dice, sinon la preuve, que la résis
tance des Boers, prolongée si hé
roïquement au delà de toute pré
vision, est enfin à bout, et qu'il ne
s'agit plus que de remettre entre les
mains de qui de droit, la difficile, la
douloureuse tâche des négociations
pour la soumission et la paix. Ce
serait là, en définitive, le réel objet
de la mission de Mme Botha.
Il est vrai que certaines feuilles
contestent vivement cette interpré
tation; mais, il faut bien le recon
naître, elles se basent plutôt sur
des considérations sentimentales
que sur des informations objec
tives. Au surplus, à quoi bon discu
ter sur une question qui sera pro
chainement résolue^ et cette fois,
par des informations aue l'on ne
pourra plus mettre en aoute.
En attendant, il est impossible de
n'être pas frappé de ce fait que la
mission de Mme Botha a été très
courtoisement favorisée par le gou
vernement anglais, ce qui n'eut pas
eu lieu, certainement, s'il la sup
posait contraire à ses vues ; tandis
que tout cela s'explique parfaite
ment, si l'on réfléchit que l'Angle
terre, qui veut la soumission et qui
veut la paix, doit faire en sorte que
le président Kruger perde toute
illusion, désormais, afin que mis en
face de la dure réalité des choses,
il se résigne enfin, de guerre lasse,
c'est le cas de le dire, à signer, et à
imposer par son autorité les su
prêmes resolutions.
F. L.
A LA CHAMBRE
Les octrois de Lyon.
Dès lors que la municipalité très
socialiste de Lyon, présidée par M.
Augagneur, voulant opérer la sup
pression totale des octrois, eut
émis l'odieuse et grotesque préten
tion d'établir, parmi les taxes de
remplacement, un impôt spécial
sur chaque élève interne ou demi-
Eensionnaire des établissements li
res, le gouvernement de « Défense
républicaine » s'empressa de faire
sienne cette trouvaille imprévue,
et de la formuler dans un projet de
loi.
C'est ce texte, adopté par la com
mission parlementaire, qui vient en
discussion devant la Chambre.
• Il s'agit d'autoriser la ville do
Lyon à percevoir un certain nombre
de taxes, notamment : une majora
tion des droits sur l'alcool, qui se
trouvent portés de 41 à 100 francs
par hectolitre; des impôts sur la
propriété immobilière et sur l'habi
tation ; enfin, une redevance fixe de
10 ou 20 francs par élève, dans cha
que institution autre que les éta
blissements d'éducation de l'Etat.
En réalité, quelque justifiées que
puissent être les critiques soulevées
par l'ensemble de ces mesures, c'est
sur la dernière, sur celle qui viole
plus hypocritement peut être qu'on
ne le fit jamais les droits de la cons^
cience et de la liberté, que portera
tout le débat.
C'est pour la faire consacrer au
plus vite par une majorité prête à
toutes les complaisances, qu'on a
siégé extraordinairement hier, et
qu'on siégera non moins extraordi
nairement samedi prochain.
M. Fleury-Ravarin, dans la dis
cussion générale, a protesté contre
les dispositions qui vont frapper, à
son sens trop lourdement, les débi
tants de boissons de Lyon, qui doi
vent faire supporter à la propriété
immobilière une chage de 18 pour
cent, et qui élèveront à 21 pour cent
le taux de l'impôt sur la valeur lo-
cative.
L'extrême-gauche, qui règne en
absolue souveraine, n'a cure des
objections accumulées; elle sem
ble hypnotisée par l'article 9, —
celui qui a trait à la taxe sur les
institutions scolaires, — elle ne
souffrira point qu'on recule, fût-ce
pour mieux étudier le projet, une
décision que déjà elle a escomp
tée.
On a repoussé, par 335 voix con
tre 183, une motion préjudicielle de
M. Castelin tendant à l'ajournement
de la discussion pour examen com
plémentaire au sein de la commis
sion, — et, par 318 voix contre 218,
une autre proposition de M. Leche-
vallier sur le renvoi au conseil mu
nicipal de Lyon.
Bien qu'on n'ait point encore
abordé le débat sur la question qui
tient si vivement à cœur aux jaco
bins, et qui va, si elle est résolue
comme ils l'espèrent, constituer
une abominable violation du prin
cipe de l'égalité devant l'impôt, en
même temps qu'un dangereux pré
cédent, M. Denys Cochin a protesté
en quelques paroles très énergi
ques contre ce délire de l'arbitraire
et de la tyrannie.
Il a élo'quemment mis en lumière
le contraste entre la politique d'in
justice et d'oppression, se pour
suivant plus âpre et plus sectaire
que jamais, et l'hommage que le
chef du gouvernement était con
traint de rendre, au cours de la cé
rémonie d'hier, à la mémoire de
Spuller, assagi et revenu, par clair
voyance patriotique et pratique du
pouvoir, à des idées de tolérance et
d'apaisement.
Au nom de l'ancien lieutenant de
Gambetta, radicaux et socialistes
ont gardé un silence gêné; il faut
pour soulever leur enthousiasme et
mériter leurs applaudissements
n'avoir pas abdiqué un seul ins
tant la haine antireligieuse, ou re
nier les traditions libérales aux
quelles on fut attaché et proclamer,
comme M. Caillàux, que des mesu
res fiscales prescrites par une mu
nicipalité momentanément au pou
voir n'ont rien d'illégal ni a'in?
juste.
Gabriel de Triors.
Çà et là
LE SONGE DE SAINT JEAN
Qu'ils voient de belles choses les ar
tistes chrétiens, et comme parfois leur
pinceau ou leur plume sait exprimer
merveilleusement l'idéal contemplé!
Ce mois de juin, consacré au Sacré-
Cœur, et particulièrement la présente
semaine, noua parait une époque favo
rable entre toutes pour évoquer le souve
nir d'un chef d'œuvre qu'il faudrait citer
intégralement, car résumer certaines
pages, c'est les mutiler, c'est leur enle
ver leur plus bel éclat et leur plus suave
parfum.
L'auteur de ce poème est , Verdaguère,
le grand écrivain catalan du XIX e siè
cle.
A la dernière Cène, le disciple bien-
aimé, saint Jean,s'est endormi sur la poi
trine de Jésus, et, dans un songe mysti
que, il voit naître et grandir la dévotion
au Sacré-Cœur. Tout d'abord apparaît
la vierge Marie, la Mère du pur amour,
que suivent de près saint Paul, saint Au
gustin, saint Bernard, saint François
d'Assise, saint Bonaventure, etc., tous
les chantres et tous les héros de la divine
charité. Nous les voyons passer, nous les
entendons parler de l'amour de Jésus et
du feu qui les consume eux-mêmes.
Dans ce premier groupe, avant-garde
qui ne fait que soupçonner la grande dé
votion des temps modernes, se trouve
sainte Magdeleine de Pazzi. A la vue de
l'autel solitaire, elle ne peut contenir ses
larmes; aussitôt, elle s'en va sonneries
cloches et elle s'écrie : « Venez, venez
voir l'amour, qui se consume, hélas ! de
regrets. » Mais les hommes restent in
sensibles à son appel. Alors elle s'en
plaint doucement aux êtres sans raison,
a Dites-moi, petits oiseaux, dites moi,
fleurettes, pourquoi n'aime-t-on pas l'a
mour ?»
FEUILLETON DE L'UNIVERS
DU 14 JUIN 1901
L'EXPOSITION SEDELHEYER
La célèbre galerie Sedelmeyer, rue de
la Rochefoucauld, vient de s'ouvrir dans
un but charitable — il s'agit de l'Or
phelinat des Arts — pour montrer aux
Parisiens une collection de îableaux de
maîtres des écoleB anciennes. Cette col
lection, que je viens de voir en détail, est
tellement belle que je me permets d'en
gager tous mes lecteurs à la visiter sans
retard. N'y aurait-il seulement que les
cinq pièces suivantes : la Madone de
Saint-Antoine, dePadoue par Raphaël,
la Conversion de saint Paul par Ru-
bena, VApôtre saint Paul par Rembrandt,
la Sainte Famille du Titien, le Portrait
de l'archiduc Ferdinand par Rubens,
que pour elles seules, il faudrait faire
cette visite. Mais à côté de ces véritables
merveilles, l'habile et riche collection
neur a placé des toiles admirables au
nombre de deux cents, toiles dont les
auteurs sont; Fra Angelico, Bronzino,
Palma, Sebastiano del Piombo, Holbein,
Téniers, Watteàu, Constable, Ruysdaël,
Boucher, Gérard Dow, Claude Lorrain,
etc., etc. Tous ces trésors sont installés
avec un soin particulier et dans une
belle lumière. Je vais essayer de vous en
donner un fidèle aperçu.
Dès qu'on a franchi le seuil, on aper
çoit au fond de la première galerie, dans
une salle particulière, la fameuse toile
de Raphaël, qui représente au centre la
Vierge, l'enfant Jésus, le petit saint Jean-
Baptiste, à droite Bainte Cécile et saint
Paul, àgauche sainte Catherine d'Alexan
drie et saint Pierre. Allons immédiate
ment à elle, car c'est l'attraction principa
le. Dans le tympan du tableau, formant ré
table, apparaît Dieu le Père portant le
globe du monde dans sa main gauche et
J)énissant de la droite. Au-dessus de lui,
deux têtes d'anges et à ses côtés deux
anges inclinés, les mains jointes.
Ce célèbre ouvrage, que l'on connaît
aussi sous le titre de la Grande madone
Colonna, avait été commandé à Raphaël
en 1505 par le couvent des religieuses de
Saint-Antoine de Padoue à Pérouse. En
1677, les religieuses furent forcées de le
vendre et le cédèrent à la famille Co
lonna à Rome ; c'est de là que vient la
seconde appellation de ce tableau. Ên
1802, la galerie Colonna consentit à le
vendre à la galerie de Ferdinand I", roi
des Deux-8iciles. Il devint ensuite la
propriété de Ferdinand II, roi de Naples.
Ce prince l'avait en telle admiration
qu'il l'avait fait placer dans sa chambre
à coucher. Il le laissa en 1859 à sa mort,
comme un de ses legs les plus précieux,
à François II son lîls. Celui-ci, lors de la
Révolution de 1860, le fit rouler et em
porter, avec quelques-uns de ses trésors,
à la forteresse de Gaëte qu'il défendit, on
sait avec quelle bravoure.
Après la reddition de Gaëte, Fran
çois II, partant pour l'exil, confia le ta
bleau à un bâtiment de guerre espagnol
et le fît parvenir à Madrid. II autorisa
plus tard l'un de ses plus fidèles servi
teurs, le duc de Ripalda, à vendre la
Madona., et le- duc entra à ce sujet en re
lations avec l'impératrice Eugénie. La
souveraine le fit exposer ea mai 1870 au
Louvre, pour savoir si l'opinion publique
ea ratifierait l'acquisition au prix d'un
million, qui aurait été demandé à titre
de crédit aux Chambres. Les critiques
d'art et le public admirèrent cette grande
œuvre comme elle méritait de l'être, et
la Madona serait depuis longtemps ins
tallée à la première place dans notre
grand musée, si là terrible guerre qui
survint n'avait fait suspendre toutes les
négociations d'achat. Le roi de Naples,
dépossédé de ses Etats et devenu duc de
Castro, reprit la Madona qu'il garda
chez lui, même après avoir réduit son
train de maison. Il voulut bien la prêter
quelque temps au South Kensington Mu
séum, où il fut exposé dans la salle dite
des Raphaël. Enfin, après la mort du roi
survenue en 1895, ses héritiers le vendi
rent à M. Sedelmeyer, qui nous le mon
tre aujourd'hui dan& toute sa splendeur.
J'aime à croire qu'il a déjà attiré l'at
tention si éveillée de l'intelligente et
pratique Société des amis du Louvre, et
que la France entrera en possessiond'une
œuvre splendide, que lui envieront tous
les musées d'Europe.
Arrêtez-vous quelques instants dans
la salle qui lui est consacrée chez M. Se
delmeyer et contemplez ce chef d'œuvre,
comme il mérite de l'être. Sur un trône
que surmonte un baldaquin à festons, la
Vierge est assise tenant son Enfant
sur ses genoux. Elle laisse tomber des
regards pleins de douceur sur le petit
saint Jean qui s'approche gentiment, les
mains jointes, et que bénit le petit Jé
sus. Rien ne peut rendre la ferveur naïve
de saint Jean et la grâce enchanteresse
dep'Enfant divin. Le peintre a concentré
dans les physionomies de la Mère et du
Fils tout ce qu'il a pu imaginer de bonté
et de tendresse. A côté du trône, les deux
saintes, portant des palmes, se tiennent
debout gracieuses et pensives. Les deux
saints, qui figurent au premier plan,
sont représentés avec une majesté, une
ampleur incomparables. Saint Pierre,
qui tient un livre et les clefs de l'Eglise,
regarde les spectateurs avec sévérité.
Saint Paul semble s'absorber tout entier
dans la lecture d'un livre sacré. Le fond
du tableau est occupé par un paysage
d'une grande douceur, avec des monta
gnes légèrement tracées et dont l'une est
surmontée d'une église au fin clocher.
Un ciel bleu, taché de quelques nuages
blancs, apparaît au-dessus des monta
gnes. Dans le tympan, l'Eternel bénit
cette scène avec une majestueuse dou
ceur, tandis que les anges se prosternent
devant lui et l'adorent. Le sentiment
parfait de la Divinité, le sens idéal de la
grandeur, de la beauté et de la grâce
anirhent cette composition superbe dont
le dessin est la perfection, et le coloris
l'harmonie même. Je laisse à tous ceux
qui contempleront cette œuvre sublime
le soin d'ajouter les réflexions que leur
inspireront sans aucun doute leur piété
et leur goût.
Rubens est arrivé à la toute-puissance
dans la Conversion de saint Paul. Au
centre d'une très grande toile on aperçoit
saint Paul renversé à terre, les bras
étendus, les yeux fermés, la face terreuse,
la jambe gauche sur le dos de son cheval,
l'autre sous le cheval lni-même qui s'a
genouille effrayé. Un serviteur essaie de
relever son maître. Auprès de lui, deux
hommes tombés n'osent lever la tête et
un cavalier, la tête casquée, tenant une
lance en main, essaie de retenir son che
val qui rue et s'emporte. A ses côtés un
soldat regarde le ciel et jette un cri de
terreur.Un troisième cavalier, coiffé d'un
turban, est comme renversé sur sa mon-
tuje qui se dresse et fait panache, tandis
qu'un quatrième, le porte-drapeau, lève
et écarte ses bras. Dans le ciel qui s'est
ouvert et d'où sortent des rayons divins,
apparaît le Christ courroucé qui lève la
main droite et semble menacer le groupé
épouvanté. «Une lumière brillante, a dit
le critique Smith, émanant du Sauveur,
tombe sur le groupe du centre et produit
un effet terrifiant et sublime. A quelque
point de vue que l'on considère cette
superbe production, que l'on ait égard à
la composition, au dessin, à la richesse
et à l'éclat des coloris, ou à la hardiesse
magistrale de l'action, l'esprit et l'œil du
spectateur s'y arrêteront avec plaisir et
l'on avouera que c'est une œuvre de la
plus hauteetde lapîusréelle excellence, »
Ce qui me frappe dans cette composition,
c'est l'arrangement admirable des per
sonnages,l'audace de leur pose, la scien
ce inouïe des raccourcis-
Nos artistes contemporains qui cher
chent à nou3 étonner par leur hardiesse
ne sont que des pygmées à côté d'un ar
tiste pareil. Quelle connaissance prodi
gieuse une telle œuvre ne dénote t-elle
pas du corps humain et de ses mou
vements ? Que dire de l'unité et de
l'harmonie d'une action aussi compli
quée et cependant aussi simple ? Quel
savoir des couleur et de leurs
beaux effets, quelle joie pour le regard
que ces tons chauds, riches, puissants,
généreux ! La Conversion de saint Paul
a été possédée jadis par la famille de
Montesquieu,puis par M. Delahante, puis
par sir Philip Miles de Bristol. Elle sera
ardemment convoitée, mais si tentante
qu'elle soit, je la laisserai partir sans
trop de regrets, car notre Louvre est le
musée qui compte le plus de grands et
beaux Rubens. Ce n'est pas que je la
dédaignerais, si quelque amateur fortuné
voulait bien noua l'offrir. En attendant,
que ceux qui ont l'œil attristé par le
gris déplorable dont abuse une école que
je n'ai pas ménagée, aillent voir cette
lumière merveilleuse qui tombe du
Christ sur le centre de la toile et se
répand si justement sur le principal
personnage et de là sur les autres fi
gures et sur les chevaux. A mon avis,
c'est sans contredit une des plus éton
nantes compositions de l'oeuvre im
mense de Rubens qu'il m'a été permis de
contempler à Paris, à Anvers, à Bruxel
les, à Berlin, à Amsterdam, à La Haye,
à Munich, à Vienne...
Du même maître le portrait de l'archi
duc Ferdinand,cardinal infant d'Espagne,
vous attire et vous séduit. L'archiduc
porte une armure d'acier bruni rehaus
sée d'une écharpe rouge, un grand feu
tre aux larges bords, et tient vaillam
ment la main sur l'épée à la garde d'or,
tandis qu'un sourire court sur cette phy
sionomie fine et gracieuse. Là encore le
coloris règne en maître et distribué avec
une science, une adresse sans pareilles.
Et comme pour nous prouver qu'il peut
nous émouvoir avec quelques notes dis
crètes, il nous offre à côté de ce brillant
portrait la tête robuste du chevalier Cor
neille de Lantschof, dont la silhouette
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