Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1901-02-14
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 février 1901 14 février 1901
Description : 1901/02/14 (Numéro 12048). 1901/02/14 (Numéro 12048).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Jeudi 14 Février 1901
smassa&s&i sbïss
Bditîott quotidienne. — lSy048
&mmmmsssmnm\
Jeudi d4 Février 1901 V
ÉDITION QUOTIDIENNE
PARIS
SS départements
tJnan......... 40 »
Six mois . 21 »
Trois mois 11 »
ÉTRANGER
(union postale)
51 »
26 50
14 M
lies abonnements partent des 1» et 13 de chaque mois
Paris............... 10
Départements..... 15
UN NUMÉRO | PariS 10 cent *
ET
BUREAUX : Paris, rue Cassette, 17
On s'abonne à Rome, place du Gesù, 8
LE MONDE
ÉDmom SEMI-QUOTIDEEÏS JS^
PARIS . ' ÉTRANGER
et départements (union postale}
tînan .20 » 26 »
Six mois. 10 » 13 ■»
Trois mois....„ 5 » S g©
Les afconnemôats partent âes 1 er et 16 de oïaque mois
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui M sont adressés,
ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et CK 6, place de la Bourse
PARIS, 13 FEVRIER 1801
SOMMAIRE
L'Unité de l'âme
française A. A igueperse.
À. la Chambre G abriel se T riorp.
An Sénat J. M antenay.
Çà et U : Le grand
Pardon des Islan
dais F rançois V euillot.
Lettres de Belgique. L.
L'Union avey ren
naise à Montmar
tre... E dmond T hiriet.
Bulleîir. — Nouvelles de Home. — Un
mouvement oblique. — Le port de la sou
tane. — Les Jésuites. — La liberté d'as-
sociation. — L'élection du il" arrondis
sement.— M. Brunetière à Orléans. —
A Notre-Dame. — Echos 1 de l'affaire Drey
fus. — En Espagne. — En Italie. — La
mort de l'ex-roi Milan. —En Chine. —
La guerre du Transvaal — Dépêche» de
l'étranger. —Chronique. —Lettres, scien
ces et arts. — Les syndicats agricoles. —
Cercle du Luxembourg. — Les grèves. —
Echos de partout. — Les mandements
de carême. — Un catéchiste roi. — Chro
nique religieuse.. — Bibliographie. —
Nécrologie. — Tribunaux. — Un drame
boulevard Saint-Michel. — Nouvelles di
verses. — Jardin d 'acclimatation. — Ca
lendrier.— Bourse et bulletin financier.
— Dernière heure.
L'UNITÉ 1 L'AIR FRANÇAISE
Les auteurs de la loi qui est en
discussion, contre la liberté des
congrégations religieuses en géné
ral et contre l'existence des écoles
chrétiennes en particulier, ne pou
vaient p3,s ne pas invoquer le ^fa
meux argument de l'unité de l'âme
française à reconstituer. Ils n'y ont
pas manqué et on le comprend.
Ceux qui usent de cet argument sa
vent qu'il est de nature à impres
sionner les esprits qui négligent
de l'approfondir et eux-mêmes, en
le produisant, y mettent une cer
taine bonne foi. Assurément, ils ne
prétendent pas réaliser l'unité des
esprits par l'unité d'une doctrine
commune; ils n'ont pas de doc
trine, et l'Université, leur organe
enseignant, n'en' a pas davantage,
où plutôt, elle en a un trop grand
nombre, chaque professeur,ou àpeu
près, ayant la sienne. Nos sectaires
ne comptent pas parvenir à l'unité
par ce procédé positif ; ils rêvent
d'y arriver par une méthode né
gative. Ils se disent que la divi
sion des esprits la plus grave qui
soit en France existe entre les
adeptes de la foi religieuse et les
autres, entre les chrétiens et les
incroyants, et ils trouvent tout
simple de mettre fin à ce désac
cord en transformant les croyants
en libres-penseurs.
Il importe donc de connaître et de
dévoiler le sens que les sectaires
attachent à leurs revendications,
prétendues patriotiques, en faveur
de a l'unité de l'âme française » ; il
faut entendre qu'ils veulent faire
l'unité dans l'incroyance, et que les
mesures qu'ils proposent ont pour
but de faire perdre la foi au plus
grand nombre possible de chrétiens
et d'empêcher le plus grand nombre
possible d'enfants d'être élevés
chrétiennement.
Il va sans dire que ces politiciens
n'ont pas le droit d'édicter de telles
mesures, qu'ils në les prennent,
lorsqu'ils sont les plus forts, qu'au
mépris de la liberté et de la justice,
èt,nous devons ajouter, au grand
préjudice de la patrie. La foi chré
tienne diminuée, c'est la diminution
de cet héroïsme qui enfante les mis
sionnaires par lesquels la^ France
est connue, admirée et bénie des
natiens lointaines ; c'est l'appau
vrissement de cette charité qui se
court tant de misères, qui soigne
tant de maladies, qui éclaire tant
d'ignorance ; c'est encore l'affadis
sement de ce sel moral qui préser
ve de l'entière corruption le corps
social. Qu'ils en aient conscience o*
non, lorsque les Combes, les Ley-
guesoules Waldeck s'attaquent à
la liberté de l'enseignement chré
tien, sous le prétexte de créer l'unité
d'âme entre Français, ils font acte
de mauvais Français, et l'œuvre à
laquelle ils travaillent, en" réalité,
c'est la déchéance et la démoralisa
tion du pays.
Si encore les mesures oppres
sives pour obtenir l'unité d'âme
dans la libre-pensée avaient pour
effet de produire quelque chose qui
ressemble à de l'union! Mais, loin
de là : elles aboutissent au résultat
contraire.Nos jacobins scolaires n'i
gnorent pas totalement la nature
humaine ni totalement l'histoire.
Cette science les condamne à
prévoir que plus ils menaceront
les catholiques dans leur foi, plus
les catholiques mettront de viva
cité dans la résistance. Au lieu
d'amener l'apaisement, c'est donc
la division qu'ils accroissent, la
lutte entre concitoyens qu'ils enve
niment.
Mais, enfin, nous l'avons déjà
« l'unité de l'âme française », au
tant qu'elle puisse exister dans l'é
tat social actuel. Il y a un senti
ment commun à toutes les âmes
françaises, l'amour de la France.
Le patriotisme est capable de faire
l'unité nécessaire et l'union dési
rable. Quel obstacle l'en empêche ?
Précisément, nos prôneurs d'unité
d'âme. Leur régime d'oppression
oblige une partie des Français à
lutter contre l'autre pour conserver
ou reconquérir les droits qui leur
appartiennent. Cette guerre ab
sorbe les préoccupations et les pen
sées, consume les ressources et
épuise les efforts. Tout cela se dé
penserait pour la prospérité et pour
la grandeur du pays, si une vraie
liberté laissait à chacun ce qui lui
est dû.
Mensonge des étiquettes et des
mots. Les prédicants de « l'unité de
l'âme française » sont les premiers
artisans de la division.
A. Aigueperse.
ÏÏULLETI&C
La Chambre a continué hier la dis
cussion du projet de loi relatif aux con
seils de prud'hommes.
Le Sénat a discuté hier le budget du
ministère des travaux publics.
Une dépêche du général Voyron rend
compte de l'inauguration de la ligne
franco-belge de Pékin à Pao-Ting-Fou
et signale l'excellent.état de nosjroupes.
En raison de Vépidémie de peste qui
sévit à Capetown, le gouvernement fran
çais vient de prescrire dans nosports des
mesures de précaution.
L'agitation continue, très vive, en Es
pagne. Le gouvernement vient d'ordon
ner la suppression du journal républi
cain El PaiB qui avait attaqué violem
ment le comte de Caserte et la princesse
des Asturies.
En Italie, M. Zanardelli continue tou
jours ses démarches en vue de constituer
le ministère. D'après les 'dernières in
formations, il serait assuré du concours
de MM. Giolitti et Prinetti. ,
En Roumanie, la crise ministérielle est
loin d'être terminée: M. Cantacùzène n'a
pu parvenir à constituer le cabinet,
aussi a -t-il conseillé au roi de ne p as
accepter la démission de M. Carps et de
ses collègues.
Mgr di Belmon te, qui avait été chargé
par SS. Léon XIII de remettre au roi
Edouard VII une lettre autographe,
vient de quitter Londres.
Les chancelleries sont, paraît-il, en
train d'examiner les contre-propositions
de la Chine. La Grande-Bretagne et
l'Allemagne ne veulent faire aucune
concession.
NOUVELLES DE ROME
ment innové hier au Palais-Bour
bon; reste à savoir si on se montre
ra aussi « progressiste » au Luxem
bourg.
Gabriel de Triors
———; ;—-—«—_—:
ÂU SÉNAT
Rome, H février.
L'Osservatore Romano publie le dé
cret de canonisation du vénérable servi
teur de Dieu J oseph-Benolt Oottolengo,
cliaaoine de Turin.
LA CHAMBRE
Les conseils de prud'hommes.
On poursuit la discussion des
propositions de loi sur les conseils
de prud'hommes, et le texte de la
commission se trouve modifié sur
quelques points essentiels.
C'est ainsi que la Chambre, aune
forte majorité — 367 voix contre
124 — n'a pas voulu s'en tenir à
l'inscription des femmes sur les
listes électorales, qui lui était pro
posée ; elle a proclamé leur éligibi
lité.
Le rapporteur, M. Charles Ferry,
disons-le tout de suite, quoique re
poussant l'innovation réclamée par
M. Groussieir, s'est assez mollement
défendu ; quant au gouvernement,
représenté par M. le ministre du
commerce, il ne nous a pas été don
né de connaître son avis.
D'autre part, il avait été décidé,
lundi, on se le rappelle, que les ou
vriers et employés des industries
publiques seraient, au même titre
que leurs camarades de l'industrie
privée, justiciables des conseils de
prud'hommes. Pour l'affirmer plus
expressément, M. Sibille proposait
de désigner comme pouvant être
électeurs et élus les ouvriers et em
ployés non fonctionnaires des en
treprises de l'Etat, tels que les ou
vriers des arsenaux de la marine.
La commission, non sans em
barras, proclamait inutile de reve
nir sur le vote d'avant-hier. Ce vote
semblait, d'ailleurs, si peu clair,
si peu précis, en ce qui touche les
ouvriers des arsenaux par exem
ple, que M. Guieysse réclamait
encore l'opinion du ministre de la
marine — et que M. Millerand, tout
en affirmant la question tranchée
par l'article I or , prétendait laisser
à un règlement d'administration
publique le soin de désigner les
catégories d'ouvriers devant pro
fiter de la loi.
M. Sibille a naturellement insisté
et son amendement a été adopté
par 242 voix contre 224.
En outre, sur la proposition de
M. Muzet, on a porté de 21 à 25 ans
l'âge de l'électorat, et de 25 à 30 ans
celui de l'éligibilité.
Enfin, tandis que la commission
interdisait la publicité pour toutes
les séances des conseils de prud'
hommes, on a décidé de laisser sur
ce point la plus absolue liber té.
Il fut, on le voit, assez profondé
Le budget des travaux publics.
Le Sénat a adopté sans change
ment le budget des travaux publics
et le budget annexe des chemins de
fer de l'Etat.
M. Gourju a demandé au minis
tre d'améliorer le système de rac
cordement de nos voies fluviales
avec nos voies ferrées. Puis, M.
Raynal a prononcé — ainsi qu'il le
fait chaque année — un plaidoyer
pour les conventions, dont il est l'au
teur. Enfin, M. Prévet a appelé
l'attention du gouvernement sur les
nombreuses grèves qui se produi
sent actuellement. Le sénateur de
la Seine a conseillé au ministre de
calmer au plus tôt ces effervescen
ces ouvrières. Le Sénat a fort ap
plaudi M. Prévet,surtout lorsqu'il a
dit, à propos de la réglementation
du travail, que l'abus ae la protec
tion et de la réglementation entraî
nerait fatalement la mort de la li
berté. '
M. Baudin a promis, d'un ton pé
nétré, de tenir grand compte des
conseils de M. Prévet.
Au début de la séance, M. Ex
pert-Besançon s'était plaint avec
amertume des entraves que le gou
vernement apporte à son industrie.
M. Expert-Besançon est fabricant
de blanc de céruse. Il vivait heu
reux, lorsqu'il se présenta aux élec
tions sénatoriales comme candidat
nationaliste, et fut élu.
Depuis lors, le Radical —journal
de son ancien concurrent, M. Ranc
— mène, paraît-il, une ardente cam
pagne contre M. Expert-Besançon,
lequel reproche au ministre des
travaux publics d'avoir favorisé ses
adversaires en proscrivant le blanc
de céruse dans tous les travaux de
l'Etat.
En terminant, l'orateur critique
vivement les tendances collectivis
tes du cabinet.
M. Baudin a protesté de son in
nocence. Ne sachant si le blanc de
céruse vaut plus ou moins que le
blanc "de zinc, le ministre a invité
le conseil d'hygiène à étudier la
question.
Et qu'a dit ce conseil? Oh ! il n'a
pas terminé son examen. Et quand
se prononcera-t il ? On l'ignore.
Lorsqu'on pose à un ministre une
question genante, il s'abrite tou
jours derrière un comité quelcon
que.
Aujourd'hui ou demain, on ter
minera le budget : et le Sénat s'ac
cordera un congé à l'occasion des
jours gras..
J. Mantenay.
OH mOOVE^EHT OBLIQUE
Ce mouvement c'est autour de
l'encyclique surla démocratie qu'on
le fait. Un religieux de nos amis,
très attentif à la marche des esprits
et qui aime la droiture, nous adresse
à ce sujet l'observation suivante :
Ne vous semble-t-il pas qu'il se fait
(où vous savez) un mouvement tournant
autour delà dernière Encyclique ? Encore
un peH et les démocrates chrétiens se
ront, non pas avertie de quelques périls
et prévenus contre quelques .erreurs,
mais condamnés, exécutés. On commence
à le dire ou à le murmurer. Jusqu'à pré
sent vou? faites semblant de ne rien en
tendre ; c'est peut-être plus sage.
Oui, par amour de la paix, nous
n'avons pas relevé tout de suite
cette nouvelle entreprise contre les
directions pontificales ; mais, ré
flexion faite, il y aurait manque de
sagesse à ne pas la signaler ; c'est
pourquoi, mettant à profit l'avis
ae notre correspondant, nous la si
gnalons.
LE PORT DE LÂ SOUTANE
On célébrait hier, à Montceau-les-
Mines, le mariage'd'un adjoint de l'an
cienne municipalité.
Cet adjoint avait invité à son mariage
nombre de curés des environs, auxquels
on a dressé procès-verbal pour port de
la soutane.
Çà et là
LE GRAND PARDON DES ISLANDAIS
Dans son fameux Pêcheur d'Islande,
où il décrit si merveilleusement,avec une
grâce mélancolique et une admirable in
tensité de vie, le pays dé Paimpol, et la
mer, islandaise et les durs travaux des
pêcheurs de morues, Pierre Loti n'a con
sacré qu'un passage très bref au grand
Pardon des Islandais.
Le grand Pardon des Islandais, c'est
la bénédiction des bateaux qui vont s'é
loigner de la côte bretonne et s'enfoncer
dans les brumes du Nord, — une solen
nité purement religieuse. Aussi le marin
romancier, peintre habile et puissant,
mais dont l'âme est aveugle au surna
turel, n'a-t-il pas dû sentir la gran
deur et l'émotion de la cérémonie paim-
polaise. Il a passé près d'elle... et son re
gard, où la nature se reflète avec tant
de vigueur et de coloris, ne l'a pas
aperçue.
Mais, pour le chrétien, dont la foi pé
nètre et ennoblit la poésie des choses, il
n'est rien déplus'mélancolique et de plus
beau que ce grand Pardon des Islandais,
auquel nous avions le bonheur d'assister
dimanche.
Ces rudes et honnêtes pêcheurs, aux
formes robustes, à l'œil limpide et au
cœur droit, sont prêts à partir pour les
horizons grisâtres et frileux de la mer
lointaine, où les appelle un dur métier.
Pendant sept mois, bien longs, ils vont
rester presque seuls entre les brouillards
du ciel et les profondeurs de l'onde, uni
quement rattachés au pays par des
courriers très rares ou par la brève ap
parition du navire-hôpital et de son brave
aumônier,le P. Yves. Quelques-uns d'en
tre eux, presque certainement, ne revien
dront jamais. Chacun d'eux peut se de
mander,tout bas, avec un frisson dans la
chair et une angoisse au fond de l'âme,
s'il reverra le clocher de Paimpol et si
le baiser qu'il donne à sa femme et à ses
enfants n'est pas le suprême adieu ! Cha
cun d'eux peut se demander si, dans quel
ques semaines, un jour de tempête, il ne
sera. pas.embrassé par l'effroyable et
mortelle étreinte de la mer furieuse. Il
n'est point de matelot si courageux dans
la tourmente et si résolu devant la mort,
il n'en est point de si accoutumé à ces
périls éternellement nouveaux, qu'une
telle pensée n'émeuve et ne secoue.
Et que dire des mères, et des épouses,
et des sœurs, et des enfants, qui restent
et qui,pendant sept mois,attendront le re
tour ! Ils ne sauront point si l'être qu'ils
chérissent est vivant ou mort, s'il tra
vaille, actif et laborieux, sur le bateau
qui flotte, ou bien s'il est bercé par l'o
céan, rigide et glacé entre les planches
disjointes et pourries de l'épave...
Et c'est pourquoi tous, les hommes et
les femmeSj avant que la flottille ait pris
la mer, ont voulu se réunir une derniè
re fois aux pieds de la Vierge Marie,
pour implorer sa bénédiction toute-puis
sante et tout aimable et pour lui confier,
les uns ceux qui demeurent, et les autres
ceux qui s'en vont !
C'est le grand Pardon des Islandais, la
cérémonie tout imprégnée de tristesse
et d'espérance.
La solennité avait lieu dimanche, à
Paimpol.
Le ciel était vêtu de ce grand manteau
gris, mélancolique et pénétrant, que con
naît bien la Bretagne et qui s'harmonise
à merveille avec ses landes et ses ro
chers. Cette parure, où ne sourit point
l'éclat du soleil et qu'on dirait gonflée des
larmes de la pluie, convenait à cî jourde
fête et de départ.
Les nuées traînantes et alourdies s'é
tendaient jusqu'aux bouts de l'horizon,
sur les chemias qui roulaient la foule
accourue de toutes parts et sur les
champs bordés d'ajoncs, aux épines ver
doyantes et aux grappes d'or; sur la riviè
re de Paimpol aux flots pâles encadrés de
hautes falaises; et sur la ville aux rues
étroites enserrées de maisons grises, où
le granit sombre est veiné de blanc par
la chaux qui sertit les pierres.
Cependant, pour être encore une fois
gracieuse aux Islandais qui allaient par
tir, et surtout pour rendre hommage à la
Vierge Marie qai allait y passer triom
phante et douce, la cité paimpolaise avait
arboré le charme et l'éclat de ses habits
de fête. Sur tout le parcours de la pro
cession, l'or des inscriptions pieuses; le
chatoiement des oriflammes et l'épa
nouissement des verdures cachaient la
grisaille des murs, ainsi que parfois un
visage riant cache une âme éplore'e. Çà
et là, enjambait la rue quelque arc de
triomphe, où se mariaient, aux plis des
bannières, aux herbes marines et aux ra
meaux touffus, les outils de pêche et
les agrès des bâtiments.
Etpaïmi ces ornementa pittoresque»
et charmants, se pressait le remous des
coiffes bretonnes ! ,
Dans le port, côte à côte, étaient ran
gées les quarante et une goëlettes, aux
pavillons flottants, gracieuses et parées
comme à des fiançailles : la Mouette,
VEtoile-d'Arvor, la Morgane, la Marie-
Madeleine, la, Marivonic,ïa Jolie-Brise,
la Fleur-de-Genêt, la Pervenche, le
Pierre-Loti, la Korrigane, la Mauve, la
Diligente, etc., etc.
Et, devant leurs proues coquettes et
brillantes, un autel se dressait, comme
si le port eût été une église où ces fian
cées de la mer étaient venues prier avant
le mariage. Un fin campanile, habillé de
mousse, avait été jeté vers les cieux par
la main habile et délicate des filles d'ar
mateur ; il émergeait de l'harmonieux
fouillis des ancres et des hameçons, des
chaînes et des avirons, des couteaux et
des cordes ; il abritait un gracieux repo-
soir, où la Vierge Marie, Notre-Dame de
Bonne-Nouvelle, « la patronne des mate
lots, » allait bientôt prendre place et sou
rire la foule...
Tout est prêt, les bateaux à prendre la
mer et là ville à escorter sa reine ; les
navires et les cœurs sont parés p_our le
grand voyage.
■ A deux heures et demie, la procession
sort de l'église et descend par le couloir
étroit des rues pavoisées. Elle est pitto
resque aussi, la procession, elle est ra
dieuse et multicolore ; et cependant,
quand on la regarde à travers les soucis
dont toute la fête est enveloppée, elle a
également sa tristesse et sa mélancolie.
Avec la croix qui se dresse, haute et
droite, toujours souveraine et toujours
salutaire ; avec.la statue de Maij%, parée
de soie blanche aux broderies d'or, qui
marche sur les épaules'de quatre vigou
reux pécheurs ; avec les chantres et la
fanfare, avec les enfants de chœur et le
clergé,—ce sont les fillettes des sœurs qui
suivent leur bannière, voilées de blanc
et couronnées de fleurs, et qui ne songent
pas que leurs robes joyeuses, un jour, se
changeront en vêtements tout noirs, en
souvenir d'un pêcheur islandais qui ne
sera point revenu. Puis, ce sont les gar
çonnets des frères, habillés en matelots,
fiers du joli bateau qu'ils portent ou des
rames qu'ils dressent en guise de fusils,
et qui, bientôt, secoués par la houle et
transpercés par les vagues, accompa
gneront leurB aînés jusqu'aux rives gla
cées du Nord!
Mais la voici sur le quai du port, épa
nouie autour du reposoir, la procession
qu'ont suivie les armateurs, les capitai
nes et les marins. La Vierge Marie rayon
ne au-dessous du campanile. Un reli
gieux gravit les marches de l'estrade,
encadrée de chaînes et tapissée de varech
ou de goëmon. C'est le R. P. Albert, un
des jésuites en mission à Paimpol. —
Est-ce qu'ils ne sont point partout, ces
jésuites l'A tous ces pêcheurs, qui vont
partir au loin, est-ce qu'ils n'ont point
l'audace de jeter les paroles qui récon
fortent et qui relèvent et qui consolent?
Est-ce qu'ils n'ont point la hardiesse de
rendre la vie supportable et douce, aux
exilés de la mer, aux travailleurs de la
pêche ? A coup sûr, on n'est pas plus in
trigant !
Or donc, le P. Albert ouvre la bouche
et sa voix puissante et bien timbrée do
mine la foule. Il dit peu de mots, mais
il pénètre au fond dés cœurs. Après avoir
dépeint les amertumes et les dangers de
là campagne islandaise, il ouvre tout à
coup les nuées du ciel gris, pour mon
trer, aux pêclieurs et à ceux qui vont les
attendre sept mois, la Vierge Marie,
souriante et protectrice, en un rayon de
soleil. Et ce rayon-là ne connaît point de
brumes!
Le discours est fini. Voici la bénédic
tion. Debout aux pieds de la bonne
Mère, le pieux abbé Le Goff, archiprêtre
de Guingamp, couvre la flottille au repos
des paroles sacrées qu'elle attend pour
bondir au ras des vagues. Une détona
tion ponctue sa prière et, immédiate»
ment, les pavillons saluent. On dirait de
grands oiseaux multicolores sur lesquels
un souffle a passé, puis qui se relèvent
joyeux, pour fendre les airs. Et, cepen
dant que les cloches du bord accompa
gnent les drapeaux de leur gai carillon,
la procession se reforme et remonte à
l'église.
L'église est bien petite et l'on dirait
que sa voûte de planches est la carène
renversée de quelque goëlette hors d'u
sage. Aussi, toutdesuite, elle est remplie.
Mais, le'-tris ssëlé curé de Paimpol, a fait
flamber tant de cierges autour de l'autel
que l'humble sanctuaire en reçoit une
parure étincelante.
Là, c'est encore un jésuite qui parle et
qui se permet, — veyez l'intrigant ! —
d'émouvoir profondément l'assemblée
par une éloquence, à la moelle robuste et
aux gracieux atours.
En quelques mots, qui ont été trempés
dans la flamme du cœur, avant de s'ehri-
chir aux harmonies des lèvres, il cueille
et distribue les leçons que portent ces
fêtes, — ainsi qu'à l'automne un verger
porte des fruits murs.
De si graves périls et de si rudes la
beur s, affrontés,...pour quoi? Pour le pain
quotidien !... Et que ferez-vous donc,
armateurs, capitaines et matelots, pour
la vie éternelle ?... C'est tout le fond du
discours prononcé par le Père Le Mares-
cal et que tout l'auditoire écoute avec un
respect mêlé d'émotion.
Que cette pensée salutaire accompa
gne les matelots sur la mer d'Islande !..*
Elle est plus féconde et plus noble,en sa
rude simplicité, que les plus vivantes
peintures exécutées par un Pierre Loti.
Lui, ne sait que charmer les yeux et
laisser dans le cœur une fugitive im
pression. Le jéBuite, au contraire, en in
terprétant la foi, laboure les âmes et y
fait fleurir la veitu !
François V euillot. -
LES JÉSUITES
Lettre de Mgr de Cabrières.
La lettre suivante, adressée par
S. G. Mgr l'évêque de Montpellier
au R. P. directeur des Etudes, a
paru en tête du dernier numéro de
cette excellente revue.
Nous hous faisons un devoir et
nous avons plaisir à la reproduire
in extenso :
Mon révérend Père,
gerez-vous suTpris si je vous assure
que, depuis le commencement des dis
cussions sur la loi contre les associations
religieuses, ma pensée s'est reportée bien
souvent vers vous et vers vos chers com
pagnons de vie ?
Ce n'est pas impunément que l'on re
çoit chea vous une si douce et si gra
cieuse hospitalité. Le cœur accompagne
la mémoire : et tous deux ensemble se
souviennent du charme que vous avez su
répandre sur un séjour rapide, mais dont
les moindres détails sont demeurés pré
cieux.
Je revois vos parloirs inondés de lu
mière, et qui, vraiment, ne se prêteraient
point à abriter de noirs complots. Je re
vois vos larges corridors, blancs et pro
pres, mais ornés de ces belles gravures
de vieilles a Thèses », soutenues jadis par
vos anciens dans les grandes assemblées
académiques. Je revoie la bibliothèque,
vaste, pleine à déborder, ordonnée avec
un art merveilleux, qui permet de s's-
rienter aisément, alors même qu'on n'y
aurait pas le P. Ilippolyte Martin pour
cicerone.
Je revois votre humble et pieuse cha
pelle, où, le soir, après le labeur du
jour, veus reveniez toûs, sous mes yeux,
ainsi que .des abeilles vers la ruche.
Comme on sentait que vous étiez là près
de votre Maître adoré, dont la plus gran
de gloire est votre.plus vive passion ! Et
comme, dans la libre simplicité de vos
attitudes, si dignes et si viriles, on devi
nait tout ensemble l'ardeur et la généro
sité d'un zèle, qui ne refusera jamais
rien à l'amour du Seigneur !
Mais, surtout, je me replace volontiers
au milieu de vous tous, pendant les
courts instants de la récréation com
mune. Quelle ouverture. aisée et encou
rageante, quelle affabilité sans apprêt,
quelle politesse sans fadeur ! Et comme
les moments étaient bien remplis par
des entretiens où se mêlaient, sans ef
fort, les nouvelles du jour, les souvs-
nirs des temps passés, de vives et inté
ressantes incursions dans le domaine de
l'histoire, de la littérature et des scien
ces !
Nous avions là de jeunes hommes, des
vieillards, des missionnaires épuisés de
fatigues et de travaux, des rédacteurs de
vos « Revues » étrangères. Chacun ap
portait son tribut à cette conversation fa
milière, qui reposait l'intelligence, sans
la laisser inactive, et qui permettait de
se préparer à remplir mieux encore l'a
près-midi, ou à entrevoir sans effroi les
occupations du lendemain !
On m'aurait bien étonné, alors que je
goûtais, dans cette oasis du travail et de
la prière, la paix de ces heures, arra
chées au mouvement incessant de notre
existence, si l'on m'avait annoncé que
nous touchions à une période durant la
quelle on ferait revivre contre toutes les
congrégations religieuses, contre le prin
cipe même de leur genre de vie, mais
surtout contre votre compagnie, toutes
les "objections, tous "les. préjugés, toutes
les dénonciations d'autrefois. Et voilà que
cette période est ouverte ! Voilà qu'elle
se continue sans qu'il soit possible en
core de prévoir ce qui l'emportera, ou du
droit imprescriptible de la liberté ou de
l'oppression systématique des sectaires !
Laissez un ami, gagné à votre cause
par l'âge, par les leçons de l'expérience,
par les motifs de la foi, vous apporter,
ainsi qu'à tous vos frères et à toutes vos
sœurs du cloître, l'hommage de son af
fectueuse et respectueuse sympathie.
Faut-il vous plaindre ? Oui, certes, car
il n'y a pas ici-bas d'homme indifférent à
l'injure, à la calomnie, -aux injustes et
criminelles insinuations. Oui, car vos
âmes, — ces âmes, que l'on prétend ab
sorbées, anéanties, perdues dans la vo
lonté indiscutable et indiscutée de leurs
supérieurs, durs eux-mêmes comme l'a
cier, insensibles et froids comme- le
marbre, — ces âmes sont des âmes de
gentilshommes, de soldats, d'ardents ou
vriers de la pensée, d'universitaires con
quis sur l'Ecole normale, d'ingénieurs
enlevés à l'Ecole centrale ou à l'Ecole
polytechnique, d'avocats ravis au bar
reau ! Et comment tous ces hommes,
tous ces prêtres, dont le cœur a vibré
d'un si puissant amour que nul sacrifice
ne leur a paru trop difficile et trop grand,
comment ne seraient-ils pas saisis d'une
indicible douleur, en enteridant les sar
casmes odieux, les ricanements cruels,
les mensonges avérés, par lesquels on
s'efforce de paralyser d'avance les efforts
de leur apostolat, de stériliser le sol qu'ils
rêvent de féconder?
Ah ! sans doute, Jésus-Christ a appelé
« bienheureux ceux qui souffrent persé
cution pour la justice » ; saint Paul a en
tonné, à diverses reprises, le cantique
d'allégresse de ces « persécutés », que
rien ne décourage, que rien n'abat, et
qui, a voulant vivre pieusement dans le
Christ », s'attendent, par cela même, à
« souffrir » et à pleurer ! Mais cette exal
tation momentanée, cet héroïsme su
blime, n'empêchent pas les protestations
intérieures, involontaires et douloureu
ses, de la conscience contre l'injustice.
Et le Sauveur lui-même, après avoir re
proché à Jérusalem de fermer l'oreille à
sa voix, alors qu'il la conjurait de « se
rassembler autour de Lui », de placer
sous sa garde tous les descendants des
patriarches, le Sauveur ne pouvait cepen
dant s'empêcher de pleurer, dès que son
regard se portait sur la ville obstinée et
endurcie !
II
Quand vous seriez d'ailleurs, mon Ré
vérend Père, entièrement oublieux de
vous-mêmes,, quand le malheur de vos
frères et le vôtre vous trouverait tous
stoïques jusqu'à l'indifférence, vous ne
pouvez être indifférent au mal que font,
au sein des multitudes, ces accusations
générales qui semblent vous vouer tous,
et vouer tous les religieux, à la même
réprobation.
Que peuvent éprouver les foules, trop
souvent ignorantes et passionnées, quand
on excite ainsi leur mépris et leur fureur
contre des hommes qui paraissent inof
fensifs, doux et bons, et qu'on leur re
présente comme méchants, artificieux à
l'excès, corrompus et corrupteurs ! Elles
sont tentées de croire qu'on leur dit la vé
rité. Ce contraste entre ce qu'elles enten
dent et ce qu'elles voient les irrite et les
révolte ; il devient une sorte d'acte d'ac
cusation, qui aurait besoin d'être mille et
mille fois réfuté ; et, comme les réfutar
tions n'arrivent pas jusqu'à elles, ou se
perdent dans le bruit, peu à peu les plus
grossières faussetés s'accréditent ; elles
s'enflent et s'enveniment dans l'imagina
tion populaire. Qui pourra détruire cette
moisson de préjugés et de haines semée à
pleines mains ?
Mais, ce me semble, mon Révérend
Père, à ces tristesses trop réelles, trop
profondes, il se mêle aussi quelques con
solations. Dès que la passion élève si
fort la voix, par cela même, elle devient
suspecte ; et les meilleurs esprits se dé
fient, ils tiennent en suspens leur adhé
sion, quand ils constatent qu'on veut
l'emporter d'assaut, en les frappant par
des affirmations audacieuses et cho
quantes.
C'est tout un cours d'histoire et tout un
smassa&s&i sbïss
Bditîott quotidienne. — lSy048
&mmmmsssmnm\
Jeudi d4 Février 1901 V
ÉDITION QUOTIDIENNE
PARIS
SS départements
tJnan......... 40 »
Six mois . 21 »
Trois mois 11 »
ÉTRANGER
(union postale)
51 »
26 50
14 M
lies abonnements partent des 1» et 13 de chaque mois
Paris............... 10
Départements..... 15
UN NUMÉRO | PariS 10 cent *
ET
BUREAUX : Paris, rue Cassette, 17
On s'abonne à Rome, place du Gesù, 8
LE MONDE
ÉDmom SEMI-QUOTIDEEÏS JS^
PARIS . ' ÉTRANGER
et départements (union postale}
tînan .20 » 26 »
Six mois. 10 » 13 ■»
Trois mois....„ 5 » S g©
Les afconnemôats partent âes 1 er et 16 de oïaque mois
L'UNIVERS ne répond pas des manuscrits qui M sont adressés,
ANNONCES
MM. LAGRANGE, CERF et CK 6, place de la Bourse
PARIS, 13 FEVRIER 1801
SOMMAIRE
L'Unité de l'âme
française A. A igueperse.
À. la Chambre G abriel se T riorp.
An Sénat J. M antenay.
Çà et U : Le grand
Pardon des Islan
dais F rançois V euillot.
Lettres de Belgique. L.
L'Union avey ren
naise à Montmar
tre... E dmond T hiriet.
Bulleîir. — Nouvelles de Home. — Un
mouvement oblique. — Le port de la sou
tane. — Les Jésuites. — La liberté d'as-
sociation. — L'élection du il" arrondis
sement.— M. Brunetière à Orléans. —
A Notre-Dame. — Echos 1 de l'affaire Drey
fus. — En Espagne. — En Italie. — La
mort de l'ex-roi Milan. —En Chine. —
La guerre du Transvaal — Dépêche» de
l'étranger. —Chronique. —Lettres, scien
ces et arts. — Les syndicats agricoles. —
Cercle du Luxembourg. — Les grèves. —
Echos de partout. — Les mandements
de carême. — Un catéchiste roi. — Chro
nique religieuse.. — Bibliographie. —
Nécrologie. — Tribunaux. — Un drame
boulevard Saint-Michel. — Nouvelles di
verses. — Jardin d 'acclimatation. — Ca
lendrier.— Bourse et bulletin financier.
— Dernière heure.
L'UNITÉ 1 L'AIR FRANÇAISE
Les auteurs de la loi qui est en
discussion, contre la liberté des
congrégations religieuses en géné
ral et contre l'existence des écoles
chrétiennes en particulier, ne pou
vaient p3,s ne pas invoquer le ^fa
meux argument de l'unité de l'âme
française à reconstituer. Ils n'y ont
pas manqué et on le comprend.
Ceux qui usent de cet argument sa
vent qu'il est de nature à impres
sionner les esprits qui négligent
de l'approfondir et eux-mêmes, en
le produisant, y mettent une cer
taine bonne foi. Assurément, ils ne
prétendent pas réaliser l'unité des
esprits par l'unité d'une doctrine
commune; ils n'ont pas de doc
trine, et l'Université, leur organe
enseignant, n'en' a pas davantage,
où plutôt, elle en a un trop grand
nombre, chaque professeur,ou àpeu
près, ayant la sienne. Nos sectaires
ne comptent pas parvenir à l'unité
par ce procédé positif ; ils rêvent
d'y arriver par une méthode né
gative. Ils se disent que la divi
sion des esprits la plus grave qui
soit en France existe entre les
adeptes de la foi religieuse et les
autres, entre les chrétiens et les
incroyants, et ils trouvent tout
simple de mettre fin à ce désac
cord en transformant les croyants
en libres-penseurs.
Il importe donc de connaître et de
dévoiler le sens que les sectaires
attachent à leurs revendications,
prétendues patriotiques, en faveur
de a l'unité de l'âme française » ; il
faut entendre qu'ils veulent faire
l'unité dans l'incroyance, et que les
mesures qu'ils proposent ont pour
but de faire perdre la foi au plus
grand nombre possible de chrétiens
et d'empêcher le plus grand nombre
possible d'enfants d'être élevés
chrétiennement.
Il va sans dire que ces politiciens
n'ont pas le droit d'édicter de telles
mesures, qu'ils në les prennent,
lorsqu'ils sont les plus forts, qu'au
mépris de la liberté et de la justice,
èt,nous devons ajouter, au grand
préjudice de la patrie. La foi chré
tienne diminuée, c'est la diminution
de cet héroïsme qui enfante les mis
sionnaires par lesquels la^ France
est connue, admirée et bénie des
natiens lointaines ; c'est l'appau
vrissement de cette charité qui se
court tant de misères, qui soigne
tant de maladies, qui éclaire tant
d'ignorance ; c'est encore l'affadis
sement de ce sel moral qui préser
ve de l'entière corruption le corps
social. Qu'ils en aient conscience o*
non, lorsque les Combes, les Ley-
guesoules Waldeck s'attaquent à
la liberté de l'enseignement chré
tien, sous le prétexte de créer l'unité
d'âme entre Français, ils font acte
de mauvais Français, et l'œuvre à
laquelle ils travaillent, en" réalité,
c'est la déchéance et la démoralisa
tion du pays.
Si encore les mesures oppres
sives pour obtenir l'unité d'âme
dans la libre-pensée avaient pour
effet de produire quelque chose qui
ressemble à de l'union! Mais, loin
de là : elles aboutissent au résultat
contraire.Nos jacobins scolaires n'i
gnorent pas totalement la nature
humaine ni totalement l'histoire.
Cette science les condamne à
prévoir que plus ils menaceront
les catholiques dans leur foi, plus
les catholiques mettront de viva
cité dans la résistance. Au lieu
d'amener l'apaisement, c'est donc
la division qu'ils accroissent, la
lutte entre concitoyens qu'ils enve
niment.
Mais, enfin, nous l'avons déjà
« l'unité de l'âme française », au
tant qu'elle puisse exister dans l'é
tat social actuel. Il y a un senti
ment commun à toutes les âmes
françaises, l'amour de la France.
Le patriotisme est capable de faire
l'unité nécessaire et l'union dési
rable. Quel obstacle l'en empêche ?
Précisément, nos prôneurs d'unité
d'âme. Leur régime d'oppression
oblige une partie des Français à
lutter contre l'autre pour conserver
ou reconquérir les droits qui leur
appartiennent. Cette guerre ab
sorbe les préoccupations et les pen
sées, consume les ressources et
épuise les efforts. Tout cela se dé
penserait pour la prospérité et pour
la grandeur du pays, si une vraie
liberté laissait à chacun ce qui lui
est dû.
Mensonge des étiquettes et des
mots. Les prédicants de « l'unité de
l'âme française » sont les premiers
artisans de la division.
A. Aigueperse.
ÏÏULLETI&C
La Chambre a continué hier la dis
cussion du projet de loi relatif aux con
seils de prud'hommes.
Le Sénat a discuté hier le budget du
ministère des travaux publics.
Une dépêche du général Voyron rend
compte de l'inauguration de la ligne
franco-belge de Pékin à Pao-Ting-Fou
et signale l'excellent.état de nosjroupes.
En raison de Vépidémie de peste qui
sévit à Capetown, le gouvernement fran
çais vient de prescrire dans nosports des
mesures de précaution.
L'agitation continue, très vive, en Es
pagne. Le gouvernement vient d'ordon
ner la suppression du journal républi
cain El PaiB qui avait attaqué violem
ment le comte de Caserte et la princesse
des Asturies.
En Italie, M. Zanardelli continue tou
jours ses démarches en vue de constituer
le ministère. D'après les 'dernières in
formations, il serait assuré du concours
de MM. Giolitti et Prinetti. ,
En Roumanie, la crise ministérielle est
loin d'être terminée: M. Cantacùzène n'a
pu parvenir à constituer le cabinet,
aussi a -t-il conseillé au roi de ne p as
accepter la démission de M. Carps et de
ses collègues.
Mgr di Belmon te, qui avait été chargé
par SS. Léon XIII de remettre au roi
Edouard VII une lettre autographe,
vient de quitter Londres.
Les chancelleries sont, paraît-il, en
train d'examiner les contre-propositions
de la Chine. La Grande-Bretagne et
l'Allemagne ne veulent faire aucune
concession.
NOUVELLES DE ROME
ment innové hier au Palais-Bour
bon; reste à savoir si on se montre
ra aussi « progressiste » au Luxem
bourg.
Gabriel de Triors
———; ;—-—«—_—:
ÂU SÉNAT
Rome, H février.
L'Osservatore Romano publie le dé
cret de canonisation du vénérable servi
teur de Dieu J oseph-Benolt Oottolengo,
cliaaoine de Turin.
LA CHAMBRE
Les conseils de prud'hommes.
On poursuit la discussion des
propositions de loi sur les conseils
de prud'hommes, et le texte de la
commission se trouve modifié sur
quelques points essentiels.
C'est ainsi que la Chambre, aune
forte majorité — 367 voix contre
124 — n'a pas voulu s'en tenir à
l'inscription des femmes sur les
listes électorales, qui lui était pro
posée ; elle a proclamé leur éligibi
lité.
Le rapporteur, M. Charles Ferry,
disons-le tout de suite, quoique re
poussant l'innovation réclamée par
M. Groussieir, s'est assez mollement
défendu ; quant au gouvernement,
représenté par M. le ministre du
commerce, il ne nous a pas été don
né de connaître son avis.
D'autre part, il avait été décidé,
lundi, on se le rappelle, que les ou
vriers et employés des industries
publiques seraient, au même titre
que leurs camarades de l'industrie
privée, justiciables des conseils de
prud'hommes. Pour l'affirmer plus
expressément, M. Sibille proposait
de désigner comme pouvant être
électeurs et élus les ouvriers et em
ployés non fonctionnaires des en
treprises de l'Etat, tels que les ou
vriers des arsenaux de la marine.
La commission, non sans em
barras, proclamait inutile de reve
nir sur le vote d'avant-hier. Ce vote
semblait, d'ailleurs, si peu clair,
si peu précis, en ce qui touche les
ouvriers des arsenaux par exem
ple, que M. Guieysse réclamait
encore l'opinion du ministre de la
marine — et que M. Millerand, tout
en affirmant la question tranchée
par l'article I or , prétendait laisser
à un règlement d'administration
publique le soin de désigner les
catégories d'ouvriers devant pro
fiter de la loi.
M. Sibille a naturellement insisté
et son amendement a été adopté
par 242 voix contre 224.
En outre, sur la proposition de
M. Muzet, on a porté de 21 à 25 ans
l'âge de l'électorat, et de 25 à 30 ans
celui de l'éligibilité.
Enfin, tandis que la commission
interdisait la publicité pour toutes
les séances des conseils de prud'
hommes, on a décidé de laisser sur
ce point la plus absolue liber té.
Il fut, on le voit, assez profondé
Le budget des travaux publics.
Le Sénat a adopté sans change
ment le budget des travaux publics
et le budget annexe des chemins de
fer de l'Etat.
M. Gourju a demandé au minis
tre d'améliorer le système de rac
cordement de nos voies fluviales
avec nos voies ferrées. Puis, M.
Raynal a prononcé — ainsi qu'il le
fait chaque année — un plaidoyer
pour les conventions, dont il est l'au
teur. Enfin, M. Prévet a appelé
l'attention du gouvernement sur les
nombreuses grèves qui se produi
sent actuellement. Le sénateur de
la Seine a conseillé au ministre de
calmer au plus tôt ces effervescen
ces ouvrières. Le Sénat a fort ap
plaudi M. Prévet,surtout lorsqu'il a
dit, à propos de la réglementation
du travail, que l'abus ae la protec
tion et de la réglementation entraî
nerait fatalement la mort de la li
berté. '
M. Baudin a promis, d'un ton pé
nétré, de tenir grand compte des
conseils de M. Prévet.
Au début de la séance, M. Ex
pert-Besançon s'était plaint avec
amertume des entraves que le gou
vernement apporte à son industrie.
M. Expert-Besançon est fabricant
de blanc de céruse. Il vivait heu
reux, lorsqu'il se présenta aux élec
tions sénatoriales comme candidat
nationaliste, et fut élu.
Depuis lors, le Radical —journal
de son ancien concurrent, M. Ranc
— mène, paraît-il, une ardente cam
pagne contre M. Expert-Besançon,
lequel reproche au ministre des
travaux publics d'avoir favorisé ses
adversaires en proscrivant le blanc
de céruse dans tous les travaux de
l'Etat.
En terminant, l'orateur critique
vivement les tendances collectivis
tes du cabinet.
M. Baudin a protesté de son in
nocence. Ne sachant si le blanc de
céruse vaut plus ou moins que le
blanc "de zinc, le ministre a invité
le conseil d'hygiène à étudier la
question.
Et qu'a dit ce conseil? Oh ! il n'a
pas terminé son examen. Et quand
se prononcera-t il ? On l'ignore.
Lorsqu'on pose à un ministre une
question genante, il s'abrite tou
jours derrière un comité quelcon
que.
Aujourd'hui ou demain, on ter
minera le budget : et le Sénat s'ac
cordera un congé à l'occasion des
jours gras..
J. Mantenay.
OH mOOVE^EHT OBLIQUE
Ce mouvement c'est autour de
l'encyclique surla démocratie qu'on
le fait. Un religieux de nos amis,
très attentif à la marche des esprits
et qui aime la droiture, nous adresse
à ce sujet l'observation suivante :
Ne vous semble-t-il pas qu'il se fait
(où vous savez) un mouvement tournant
autour delà dernière Encyclique ? Encore
un peH et les démocrates chrétiens se
ront, non pas avertie de quelques périls
et prévenus contre quelques .erreurs,
mais condamnés, exécutés. On commence
à le dire ou à le murmurer. Jusqu'à pré
sent vou? faites semblant de ne rien en
tendre ; c'est peut-être plus sage.
Oui, par amour de la paix, nous
n'avons pas relevé tout de suite
cette nouvelle entreprise contre les
directions pontificales ; mais, ré
flexion faite, il y aurait manque de
sagesse à ne pas la signaler ; c'est
pourquoi, mettant à profit l'avis
ae notre correspondant, nous la si
gnalons.
LE PORT DE LÂ SOUTANE
On célébrait hier, à Montceau-les-
Mines, le mariage'd'un adjoint de l'an
cienne municipalité.
Cet adjoint avait invité à son mariage
nombre de curés des environs, auxquels
on a dressé procès-verbal pour port de
la soutane.
Çà et là
LE GRAND PARDON DES ISLANDAIS
Dans son fameux Pêcheur d'Islande,
où il décrit si merveilleusement,avec une
grâce mélancolique et une admirable in
tensité de vie, le pays dé Paimpol, et la
mer, islandaise et les durs travaux des
pêcheurs de morues, Pierre Loti n'a con
sacré qu'un passage très bref au grand
Pardon des Islandais.
Le grand Pardon des Islandais, c'est
la bénédiction des bateaux qui vont s'é
loigner de la côte bretonne et s'enfoncer
dans les brumes du Nord, — une solen
nité purement religieuse. Aussi le marin
romancier, peintre habile et puissant,
mais dont l'âme est aveugle au surna
turel, n'a-t-il pas dû sentir la gran
deur et l'émotion de la cérémonie paim-
polaise. Il a passé près d'elle... et son re
gard, où la nature se reflète avec tant
de vigueur et de coloris, ne l'a pas
aperçue.
Mais, pour le chrétien, dont la foi pé
nètre et ennoblit la poésie des choses, il
n'est rien déplus'mélancolique et de plus
beau que ce grand Pardon des Islandais,
auquel nous avions le bonheur d'assister
dimanche.
Ces rudes et honnêtes pêcheurs, aux
formes robustes, à l'œil limpide et au
cœur droit, sont prêts à partir pour les
horizons grisâtres et frileux de la mer
lointaine, où les appelle un dur métier.
Pendant sept mois, bien longs, ils vont
rester presque seuls entre les brouillards
du ciel et les profondeurs de l'onde, uni
quement rattachés au pays par des
courriers très rares ou par la brève ap
parition du navire-hôpital et de son brave
aumônier,le P. Yves. Quelques-uns d'en
tre eux, presque certainement, ne revien
dront jamais. Chacun d'eux peut se de
mander,tout bas, avec un frisson dans la
chair et une angoisse au fond de l'âme,
s'il reverra le clocher de Paimpol et si
le baiser qu'il donne à sa femme et à ses
enfants n'est pas le suprême adieu ! Cha
cun d'eux peut se demander si, dans quel
ques semaines, un jour de tempête, il ne
sera. pas.embrassé par l'effroyable et
mortelle étreinte de la mer furieuse. Il
n'est point de matelot si courageux dans
la tourmente et si résolu devant la mort,
il n'en est point de si accoutumé à ces
périls éternellement nouveaux, qu'une
telle pensée n'émeuve et ne secoue.
Et que dire des mères, et des épouses,
et des sœurs, et des enfants, qui restent
et qui,pendant sept mois,attendront le re
tour ! Ils ne sauront point si l'être qu'ils
chérissent est vivant ou mort, s'il tra
vaille, actif et laborieux, sur le bateau
qui flotte, ou bien s'il est bercé par l'o
céan, rigide et glacé entre les planches
disjointes et pourries de l'épave...
Et c'est pourquoi tous, les hommes et
les femmeSj avant que la flottille ait pris
la mer, ont voulu se réunir une derniè
re fois aux pieds de la Vierge Marie,
pour implorer sa bénédiction toute-puis
sante et tout aimable et pour lui confier,
les uns ceux qui demeurent, et les autres
ceux qui s'en vont !
C'est le grand Pardon des Islandais, la
cérémonie tout imprégnée de tristesse
et d'espérance.
La solennité avait lieu dimanche, à
Paimpol.
Le ciel était vêtu de ce grand manteau
gris, mélancolique et pénétrant, que con
naît bien la Bretagne et qui s'harmonise
à merveille avec ses landes et ses ro
chers. Cette parure, où ne sourit point
l'éclat du soleil et qu'on dirait gonflée des
larmes de la pluie, convenait à cî jourde
fête et de départ.
Les nuées traînantes et alourdies s'é
tendaient jusqu'aux bouts de l'horizon,
sur les chemias qui roulaient la foule
accourue de toutes parts et sur les
champs bordés d'ajoncs, aux épines ver
doyantes et aux grappes d'or; sur la riviè
re de Paimpol aux flots pâles encadrés de
hautes falaises; et sur la ville aux rues
étroites enserrées de maisons grises, où
le granit sombre est veiné de blanc par
la chaux qui sertit les pierres.
Cependant, pour être encore une fois
gracieuse aux Islandais qui allaient par
tir, et surtout pour rendre hommage à la
Vierge Marie qai allait y passer triom
phante et douce, la cité paimpolaise avait
arboré le charme et l'éclat de ses habits
de fête. Sur tout le parcours de la pro
cession, l'or des inscriptions pieuses; le
chatoiement des oriflammes et l'épa
nouissement des verdures cachaient la
grisaille des murs, ainsi que parfois un
visage riant cache une âme éplore'e. Çà
et là, enjambait la rue quelque arc de
triomphe, où se mariaient, aux plis des
bannières, aux herbes marines et aux ra
meaux touffus, les outils de pêche et
les agrès des bâtiments.
Etpaïmi ces ornementa pittoresque»
et charmants, se pressait le remous des
coiffes bretonnes ! ,
Dans le port, côte à côte, étaient ran
gées les quarante et une goëlettes, aux
pavillons flottants, gracieuses et parées
comme à des fiançailles : la Mouette,
VEtoile-d'Arvor, la Morgane, la Marie-
Madeleine, la, Marivonic,ïa Jolie-Brise,
la Fleur-de-Genêt, la Pervenche, le
Pierre-Loti, la Korrigane, la Mauve, la
Diligente, etc., etc.
Et, devant leurs proues coquettes et
brillantes, un autel se dressait, comme
si le port eût été une église où ces fian
cées de la mer étaient venues prier avant
le mariage. Un fin campanile, habillé de
mousse, avait été jeté vers les cieux par
la main habile et délicate des filles d'ar
mateur ; il émergeait de l'harmonieux
fouillis des ancres et des hameçons, des
chaînes et des avirons, des couteaux et
des cordes ; il abritait un gracieux repo-
soir, où la Vierge Marie, Notre-Dame de
Bonne-Nouvelle, « la patronne des mate
lots, » allait bientôt prendre place et sou
rire la foule...
Tout est prêt, les bateaux à prendre la
mer et là ville à escorter sa reine ; les
navires et les cœurs sont parés p_our le
grand voyage.
■ A deux heures et demie, la procession
sort de l'église et descend par le couloir
étroit des rues pavoisées. Elle est pitto
resque aussi, la procession, elle est ra
dieuse et multicolore ; et cependant,
quand on la regarde à travers les soucis
dont toute la fête est enveloppée, elle a
également sa tristesse et sa mélancolie.
Avec la croix qui se dresse, haute et
droite, toujours souveraine et toujours
salutaire ; avec.la statue de Maij%, parée
de soie blanche aux broderies d'or, qui
marche sur les épaules'de quatre vigou
reux pécheurs ; avec les chantres et la
fanfare, avec les enfants de chœur et le
clergé,—ce sont les fillettes des sœurs qui
suivent leur bannière, voilées de blanc
et couronnées de fleurs, et qui ne songent
pas que leurs robes joyeuses, un jour, se
changeront en vêtements tout noirs, en
souvenir d'un pêcheur islandais qui ne
sera point revenu. Puis, ce sont les gar
çonnets des frères, habillés en matelots,
fiers du joli bateau qu'ils portent ou des
rames qu'ils dressent en guise de fusils,
et qui, bientôt, secoués par la houle et
transpercés par les vagues, accompa
gneront leurB aînés jusqu'aux rives gla
cées du Nord!
Mais la voici sur le quai du port, épa
nouie autour du reposoir, la procession
qu'ont suivie les armateurs, les capitai
nes et les marins. La Vierge Marie rayon
ne au-dessous du campanile. Un reli
gieux gravit les marches de l'estrade,
encadrée de chaînes et tapissée de varech
ou de goëmon. C'est le R. P. Albert, un
des jésuites en mission à Paimpol. —
Est-ce qu'ils ne sont point partout, ces
jésuites l'A tous ces pêcheurs, qui vont
partir au loin, est-ce qu'ils n'ont point
l'audace de jeter les paroles qui récon
fortent et qui relèvent et qui consolent?
Est-ce qu'ils n'ont point la hardiesse de
rendre la vie supportable et douce, aux
exilés de la mer, aux travailleurs de la
pêche ? A coup sûr, on n'est pas plus in
trigant !
Or donc, le P. Albert ouvre la bouche
et sa voix puissante et bien timbrée do
mine la foule. Il dit peu de mots, mais
il pénètre au fond dés cœurs. Après avoir
dépeint les amertumes et les dangers de
là campagne islandaise, il ouvre tout à
coup les nuées du ciel gris, pour mon
trer, aux pêclieurs et à ceux qui vont les
attendre sept mois, la Vierge Marie,
souriante et protectrice, en un rayon de
soleil. Et ce rayon-là ne connaît point de
brumes!
Le discours est fini. Voici la bénédic
tion. Debout aux pieds de la bonne
Mère, le pieux abbé Le Goff, archiprêtre
de Guingamp, couvre la flottille au repos
des paroles sacrées qu'elle attend pour
bondir au ras des vagues. Une détona
tion ponctue sa prière et, immédiate»
ment, les pavillons saluent. On dirait de
grands oiseaux multicolores sur lesquels
un souffle a passé, puis qui se relèvent
joyeux, pour fendre les airs. Et, cepen
dant que les cloches du bord accompa
gnent les drapeaux de leur gai carillon,
la procession se reforme et remonte à
l'église.
L'église est bien petite et l'on dirait
que sa voûte de planches est la carène
renversée de quelque goëlette hors d'u
sage. Aussi, toutdesuite, elle est remplie.
Mais, le'-tris ssëlé curé de Paimpol, a fait
flamber tant de cierges autour de l'autel
que l'humble sanctuaire en reçoit une
parure étincelante.
Là, c'est encore un jésuite qui parle et
qui se permet, — veyez l'intrigant ! —
d'émouvoir profondément l'assemblée
par une éloquence, à la moelle robuste et
aux gracieux atours.
En quelques mots, qui ont été trempés
dans la flamme du cœur, avant de s'ehri-
chir aux harmonies des lèvres, il cueille
et distribue les leçons que portent ces
fêtes, — ainsi qu'à l'automne un verger
porte des fruits murs.
De si graves périls et de si rudes la
beur s, affrontés,...pour quoi? Pour le pain
quotidien !... Et que ferez-vous donc,
armateurs, capitaines et matelots, pour
la vie éternelle ?... C'est tout le fond du
discours prononcé par le Père Le Mares-
cal et que tout l'auditoire écoute avec un
respect mêlé d'émotion.
Que cette pensée salutaire accompa
gne les matelots sur la mer d'Islande !..*
Elle est plus féconde et plus noble,en sa
rude simplicité, que les plus vivantes
peintures exécutées par un Pierre Loti.
Lui, ne sait que charmer les yeux et
laisser dans le cœur une fugitive im
pression. Le jéBuite, au contraire, en in
terprétant la foi, laboure les âmes et y
fait fleurir la veitu !
François V euillot. -
LES JÉSUITES
Lettre de Mgr de Cabrières.
La lettre suivante, adressée par
S. G. Mgr l'évêque de Montpellier
au R. P. directeur des Etudes, a
paru en tête du dernier numéro de
cette excellente revue.
Nous hous faisons un devoir et
nous avons plaisir à la reproduire
in extenso :
Mon révérend Père,
gerez-vous suTpris si je vous assure
que, depuis le commencement des dis
cussions sur la loi contre les associations
religieuses, ma pensée s'est reportée bien
souvent vers vous et vers vos chers com
pagnons de vie ?
Ce n'est pas impunément que l'on re
çoit chea vous une si douce et si gra
cieuse hospitalité. Le cœur accompagne
la mémoire : et tous deux ensemble se
souviennent du charme que vous avez su
répandre sur un séjour rapide, mais dont
les moindres détails sont demeurés pré
cieux.
Je revois vos parloirs inondés de lu
mière, et qui, vraiment, ne se prêteraient
point à abriter de noirs complots. Je re
vois vos larges corridors, blancs et pro
pres, mais ornés de ces belles gravures
de vieilles a Thèses », soutenues jadis par
vos anciens dans les grandes assemblées
académiques. Je revoie la bibliothèque,
vaste, pleine à déborder, ordonnée avec
un art merveilleux, qui permet de s's-
rienter aisément, alors même qu'on n'y
aurait pas le P. Ilippolyte Martin pour
cicerone.
Je revois votre humble et pieuse cha
pelle, où, le soir, après le labeur du
jour, veus reveniez toûs, sous mes yeux,
ainsi que .des abeilles vers la ruche.
Comme on sentait que vous étiez là près
de votre Maître adoré, dont la plus gran
de gloire est votre.plus vive passion ! Et
comme, dans la libre simplicité de vos
attitudes, si dignes et si viriles, on devi
nait tout ensemble l'ardeur et la généro
sité d'un zèle, qui ne refusera jamais
rien à l'amour du Seigneur !
Mais, surtout, je me replace volontiers
au milieu de vous tous, pendant les
courts instants de la récréation com
mune. Quelle ouverture. aisée et encou
rageante, quelle affabilité sans apprêt,
quelle politesse sans fadeur ! Et comme
les moments étaient bien remplis par
des entretiens où se mêlaient, sans ef
fort, les nouvelles du jour, les souvs-
nirs des temps passés, de vives et inté
ressantes incursions dans le domaine de
l'histoire, de la littérature et des scien
ces !
Nous avions là de jeunes hommes, des
vieillards, des missionnaires épuisés de
fatigues et de travaux, des rédacteurs de
vos « Revues » étrangères. Chacun ap
portait son tribut à cette conversation fa
milière, qui reposait l'intelligence, sans
la laisser inactive, et qui permettait de
se préparer à remplir mieux encore l'a
près-midi, ou à entrevoir sans effroi les
occupations du lendemain !
On m'aurait bien étonné, alors que je
goûtais, dans cette oasis du travail et de
la prière, la paix de ces heures, arra
chées au mouvement incessant de notre
existence, si l'on m'avait annoncé que
nous touchions à une période durant la
quelle on ferait revivre contre toutes les
congrégations religieuses, contre le prin
cipe même de leur genre de vie, mais
surtout contre votre compagnie, toutes
les "objections, tous "les. préjugés, toutes
les dénonciations d'autrefois. Et voilà que
cette période est ouverte ! Voilà qu'elle
se continue sans qu'il soit possible en
core de prévoir ce qui l'emportera, ou du
droit imprescriptible de la liberté ou de
l'oppression systématique des sectaires !
Laissez un ami, gagné à votre cause
par l'âge, par les leçons de l'expérience,
par les motifs de la foi, vous apporter,
ainsi qu'à tous vos frères et à toutes vos
sœurs du cloître, l'hommage de son af
fectueuse et respectueuse sympathie.
Faut-il vous plaindre ? Oui, certes, car
il n'y a pas ici-bas d'homme indifférent à
l'injure, à la calomnie, -aux injustes et
criminelles insinuations. Oui, car vos
âmes, — ces âmes, que l'on prétend ab
sorbées, anéanties, perdues dans la vo
lonté indiscutable et indiscutée de leurs
supérieurs, durs eux-mêmes comme l'a
cier, insensibles et froids comme- le
marbre, — ces âmes sont des âmes de
gentilshommes, de soldats, d'ardents ou
vriers de la pensée, d'universitaires con
quis sur l'Ecole normale, d'ingénieurs
enlevés à l'Ecole centrale ou à l'Ecole
polytechnique, d'avocats ravis au bar
reau ! Et comment tous ces hommes,
tous ces prêtres, dont le cœur a vibré
d'un si puissant amour que nul sacrifice
ne leur a paru trop difficile et trop grand,
comment ne seraient-ils pas saisis d'une
indicible douleur, en enteridant les sar
casmes odieux, les ricanements cruels,
les mensonges avérés, par lesquels on
s'efforce de paralyser d'avance les efforts
de leur apostolat, de stériliser le sol qu'ils
rêvent de féconder?
Ah ! sans doute, Jésus-Christ a appelé
« bienheureux ceux qui souffrent persé
cution pour la justice » ; saint Paul a en
tonné, à diverses reprises, le cantique
d'allégresse de ces « persécutés », que
rien ne décourage, que rien n'abat, et
qui, a voulant vivre pieusement dans le
Christ », s'attendent, par cela même, à
« souffrir » et à pleurer ! Mais cette exal
tation momentanée, cet héroïsme su
blime, n'empêchent pas les protestations
intérieures, involontaires et douloureu
ses, de la conscience contre l'injustice.
Et le Sauveur lui-même, après avoir re
proché à Jérusalem de fermer l'oreille à
sa voix, alors qu'il la conjurait de « se
rassembler autour de Lui », de placer
sous sa garde tous les descendants des
patriarches, le Sauveur ne pouvait cepen
dant s'empêcher de pleurer, dès que son
regard se portait sur la ville obstinée et
endurcie !
II
Quand vous seriez d'ailleurs, mon Ré
vérend Père, entièrement oublieux de
vous-mêmes,, quand le malheur de vos
frères et le vôtre vous trouverait tous
stoïques jusqu'à l'indifférence, vous ne
pouvez être indifférent au mal que font,
au sein des multitudes, ces accusations
générales qui semblent vous vouer tous,
et vouer tous les religieux, à la même
réprobation.
Que peuvent éprouver les foules, trop
souvent ignorantes et passionnées, quand
on excite ainsi leur mépris et leur fureur
contre des hommes qui paraissent inof
fensifs, doux et bons, et qu'on leur re
présente comme méchants, artificieux à
l'excès, corrompus et corrupteurs ! Elles
sont tentées de croire qu'on leur dit la vé
rité. Ce contraste entre ce qu'elles enten
dent et ce qu'elles voient les irrite et les
révolte ; il devient une sorte d'acte d'ac
cusation, qui aurait besoin d'être mille et
mille fois réfuté ; et, comme les réfutar
tions n'arrivent pas jusqu'à elles, ou se
perdent dans le bruit, peu à peu les plus
grossières faussetés s'accréditent ; elles
s'enflent et s'enveniment dans l'imagina
tion populaire. Qui pourra détruire cette
moisson de préjugés et de haines semée à
pleines mains ?
Mais, ce me semble, mon Révérend
Père, à ces tristesses trop réelles, trop
profondes, il se mêle aussi quelques con
solations. Dès que la passion élève si
fort la voix, par cela même, elle devient
suspecte ; et les meilleurs esprits se dé
fient, ils tiennent en suspens leur adhé
sion, quand ils constatent qu'on veut
l'emporter d'assaut, en les frappant par
des affirmations audacieuses et cho
quantes.
C'est tout un cours d'histoire et tout un
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