Titre : L'Univers
Éditeur : L'Univers (Paris)
Date d'édition : 1897-03-29
Contributeur : Veuillot, Louis (1813-1883). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, Pierre (1859-1907). Rédacteur
Contributeur : Veuillot, François (1870-1952). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34520232c
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 29 mars 1897 29 mars 1897
Description : 1897/03/29 (Numéro 10663). 1897/03/29 (Numéro 10663).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse Collection numérique : Bibliographie de la presse
Description : Collection numérique : BIPFPIG44 Collection numérique : BIPFPIG44
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7094441
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
Lundi 29 Mars 1897
Edition quotidienne. — 10,063
7-
Mars 18Ô7
SDÎTÎOSr QUOTIDIENK»
PARIS ÉTRANGER
. sa! départements (union postale!)
tîn.an»......... 40. ». 51 »
Ôix mois 21 » 26 50
Trois mois.11 » 14 »
Los abonnements partent desr 1« et 16 de ohaque mois
0N NUMÉRO 1 |
Pasis. 0 ,„,
Départements. t , «
10 eent,
15 —
BUREAUX s Paria, rue Cassette, 17
(Sn s'abonne à Rome; place du Gesù, 8
HI T - * '
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jÈDXTÏOïr SEMI-QTJOTIDEËîOTB
PARIS ÉTRANGER -
■ ffit- départements (union : postale)
< Un an. t....... 20 » 2© » ' -,
Six mois...;.; 10 » * 13- »
Trois mois;.5 » @.50
iLes abonnements partent des I er et' ÎÛ de ghaqué sioîgi
L'UNIVERS m répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM: LAGRANGÈ, CERF* et C", 6i place "de la Bourse •
PARIS,; 28 MARS 1897
À'.'ivijjtjj. ^ 'l ! -- ■ '-»■ ■ '■ I f
SOMMAIRE
L'angoisse _ P ierre V euillot. .
Çàetlà : Compen
sation . ;.. .. .. ; Gr. d'azambuja.
A. 1% Chapitre. •. • •. G. de T riors.
Ant ^énat ........... J. M antenaï.
Lj^ÉEaire Ar.ton
Lettres de : Genève.. ZZZ»
Feuilleton» : Quin-
zaine dramatique et .
artistique; . H enri D ac.
A.travers les revues.
Suppression de traitements. — Les scel^
'"lés.. — Madagascar. — L'affaire Arton. —r
La Commission d'enquête. — Chambre des
députés.-— Informations politiques et*
' parlementaires. — Les affaires de" Crète.
— Echos de partout. — Questions et do
cuments sur Jeanne d'Arc. — Biblio
graphie. — Questions ecclésiastiques.
— Tribunaux. — Nouvelles diverses. —
• Revue de' la' Bourse.
L'ANGOISSE
- ■ On ne doit pas 4es-plaindre. Ils
méritent ce qui leur arrive. Et ce-,
pendant;..
' Vous imaginez-vous ce qu'éprou
vent aujourd'hui les députés, les
sénateurs en exercice et les anciens
membres du Parlement qui ont
vendu leur vote favorable au Pa
nama? Quelle intolérable angoisse
dans l'incertitude { Quelle angoisse
plus poignante en'Gore devoir s'ap
procher l'heure où la certitude rem
placera l'anxiété! Quatre sont fixés
depuis hier, < qui. protestent^ d'ail
leurs ; ; cinq, 5 avec r M* Saint-Martin.
Mais les autres ? Rien ne dit que
cette première fournée sera la
seule. Il" est-même annoncé qu'il y
en aura une seconde. Et le groupe
de ceux qui ne siègent plus au
Buxembourg, ni au Palais-Bour
bon?
Parlementaires en activité ou ré
formés, ils sont là, tâchant de se
réconforter un peu, et ne pouvants
y parvenir. On* affirme qu'une dou
zaine, qu'une dizaine, que même
seulement sept ou huit demandes
en autorisation de poursuites se
ront "déposées. C'est par ce chiffre
que lés coupables cherchent à re-
{>rendre assurance. Be nombre de
eurs pareils, faisant , encore partie
de la Chambre ou du Sénat, doit
être plus considérable. Il y en a
donc, qui échapperont. Pourquoi,
Eensent-ils, n'aurais-je pas ce bon-
eur?...
Comme ils fouillènt dans leurs
souvenirs ! Le moment où ils reçu:
rent le prix de leur vote est bien
présent à leur mémoire. Ils le re
vivent, Mais qu'ont-ils fait ensuite ?
Neuf ans déjà passés !... Peuvent-ils
être sûrs de n'avoir commis aucune
imprudence? Démarches, écrits,
paroles, n'ont-ils rien risqué de
compromettant? Chez eux, ils tres
saillent aux coups de sonnetté. Les
vibrations dû timbre semblent se
répercuter dans tout leur être qui
tremble aussi. Ne vient-on pas les
prévenir immédiatement : Qui donc
a sonné ? demandent-ils d'une voix
serrée de peur et vacillante. C'est
l'émotion ressentie quand on at
tend des nouvelles d'un malade bien
cher; mais il y faut ajouter une
surcharge et une sueur de honte
indescriptible. Un panamiste pour
rait seul tracer une peinture exacte.
Et il. ne s'y prêterait pas. .
Dans la rue, le panamiste se re
tourne. Est-il suivi? Cette figure?;..
On dirait quélqùe agent de. police.
Tout a l'heure déjà, ne l'aide point
remarquée ?... Deux, minutes- plus
tard, le malheureux se demande-:
Faut-il, de nouveau, regarder en
arrière, pour m'assùrer si l'on est
ou non à- mes trousses?,.. Mais il
n'ose ; il aime encore mieux dou
ter. Le doute, c'est dé l'espoir.,
A-t-il conserve son faùte.uil de sé
nateur, son siège au Palais-Bour
bon? Exerce-t-il, déchu de son
mandat, une profession quelconque,
l'obligeant à se montrer ? Quelle
existence ! Il faut avoir l'air attentif,
écouter celui-ci, parler à celui-là,
écrire,discourir; demeurer en place
Suand l'âme et le corps sont agités
'une inquiétude mortelle. Il lui
f semble que tout le monde, soupço-n-
; rieux, interroge son visage, et il se
•crispé un sourire sur les lèvres,
i blême et douloureuse grimace,
i - Il a peut-être des enfants, qui
i ne se doutent de rien. Pleins
: d'une joie bruyante, et gaie, lors-
? qu'il rentre chez lui, après s'-être
lune dernière fois 1 retourné sur le
pas de la porte, ils lui sautent au
cou. Chers et pauvres petits, quels
beaux projets a.'avenir et. de félicité
il forgeait pour eux, et- sur ces
i têtes aimées, voi.ci qu'il a, pour la
i vie; attiré le déshonneur.' . Et'il faut
I qu'il se prête à leurs effusions; à
j leurs transports; Il ne doit pas
j pleurer. Ses enfants pourraient
l'aller dire, et ce serait une preuve
qu'ils - auraient fournie contre leur
père... S'ils sont en âge de com
prendre, quel autre genre de tor
ture !
Ce. malheureux - sera-t-il pris ? A
jcoup sûr, il expie déjà, sévère-
i ment. La prison, c'est à peu près
! tout le châtiment pour le mal-
ifaiteur vulgaire, sans notoriété,
-sans relations* souvent presque
; sans famille. Mais l'angoisse et' la
! honte, ces peines morales, sont les
; plus cruelles pour l'homme en vue,
: qu'on saluait, qu'on 'sollicitait, qui
! était ou pouvait se croire estimé. Il
avait des amis et de doux liens que
; voilà tranformés en pesantes chaî
nes. Sous ce fardeau- plieront dé
sormais les êtres qui lui sont ten-
. drement chers. S'il est plus coupa-
: blé que le criminel banal, il est plus
i terriblement puni. Comme deux ou
trois ans de maison centrale lui
semblent pèu" de cho'se à côté de
cela ! Qu'il se . condamnerait volon
tiers au double, au triple, à dispa
raître' même pour jamais, s'il "était
: possible, en échangé, que personne,
au monde, ne connût sa faute !...
Maintenait,... nous nous exagé
rons peùt-être bien le niveau du
cœur et de l'âme chez-certains
parlementaires.
- Pierre Veuillot.
'BULLETIN
L'affaireduPanama, a rempli toute la.
journée d'hier et une partie ae la. nuit.
Quatre dema/ndes de poursuites ont été
proposées au Parlement qui a commencé
de les examiner aumilieu d'une agitation
extrême et très naturelle. On s'est éton
né du-petit nombre de personnalités mi
ses en cause. Quatre au- lieu des fameux
cent quatre I Unhorhme d'esprit a dit :
« C'est du 3 0\0 ; et il pourrait être per
pétuel ! »" D'après des renseignements
qui semblent fondés, nous n'en serions
qu'au début d'une nouvelle affaire ; et
il y aurait encore en réserve des émo
tions et des scandales:
Le courrier qui vient d'arriver, de Ma
dagascar apporte la proclamation pu
bliée par le général Gallieni au sujet de
la déposition de la reine et une lettre de
Mgr ■ Gazet adressée aux missionnaires
de l'île. Nous donnons plus loin ces do
cuments.
La Grèce, continue ses manifestations
belliqueuses et ses préparatifs. Le prince
royal est pprii pour Volo. Des engage*
ment£ ont eu lieu sur. la frontière tur-,
que et en Grèce. ,
«y-
Çà et là
■! COMPENSATIONS
L'adjectif « aVeugle » correspond dans
notre langue à deux substantifs : « aveu-
t glement » et « cécité ». Il existe entre ces
i deux infirmités plusieurs différences,
i dont'line des principales est que les vic-
tiriiesde la première ne sont pas moins
i malheureuses aujourd'hui qu'autrefois,
: au lieu que les victimes de la seconde
voient leurs épreuves s'adoucir dé jour
! en jour. Le manque de bon-sens en effet,
| pour parodier le mot de Descartes, est
| peut-être la chose du monde la plus
: répandue, et, quand l'esprit est . aveuglé,
! les conséquences qui en résultent sont
toujours les mêmes. Au contraire, quand
seuls les yeux du corps" sont endomma
gés, rien n'empêche les progrès. de la
science et de la charité humaine,, de cor-i,
riger graduellement la plus grande partie
i des désavantages qui en résultent pour
le patient.
Cette distinction philosophique appa
raît clairement; depuis quelques jours, à,
ceux qui visitent l'Exposition dès aveu
gles, organisée par- le Figaro, et qui
prend fin aujourd'hui. Cette exposition
avait pour but de démontrer à la'masse
du public ce que de nombreux initiés
savaient déjà, à savoir que les aveugles
peuvent très bien être des travailleurs
et gagner leur vie comme tout le monde.
La mendicité est sœur de l'oisiveté, et
l'oisiveté est mauvaise conseillère pour
les aveugles comme pour les clair
voyants. Arracher les aveugles à la men
dicité en leur persuadant, ainsi qu'à leur
entourage, qu'une voie plus noble et plus
lucrative en même temps leur est ou
verte :"i;ellë est la tâche à laquelle se
sont vouées plusieurs œuvres dignes
d'admiration, et en particulier l'Associa
tion Valentin Haiiy, dont nous avons,
à plusieurs reprises, entretenu nos lec
teurs.
Tout est compensation dans la nature.
« Voilà un œil droit que j e. me ferais cre
ver, si j'étais en votre place. Ne voyez-
vous pas qu'il incommode 1 ? autre et lui
dérobe sa nourriture? Croyez-moi, faites-
vous-le crever au plus tôt : vous en ver
rez plus clair de l'œil gauche. » Cette ti
rade de Toinette à Argan n'est que l'exa
gération comique d'une profonde et mys
térieuse vérité. L'homme privé d'un sens
voit généralement ses quatre autres sens
acquérir un développement remarquable.
Beaucoup de nos lecteurs connaissent de
ces sourds qui lisent les phrases sur les
lèvres de leurs interlocuteurs. Ces mê
mes sourds,. par suite de leur infirmité,
deviennent assez ordinairement physio
nomistes. Ils vivent surtout par leurs
yeux.
L'aveugle, lui, vit surtout par le tou
cher et par les oreilles. Ses sensations
tactiles et auditives s'affinent, se subti
lisent. Il distingue au contact, une pièce
d'or d'une pièce d'argent. Mille petites
rugosités, imperceptibles pour nous, le
renseignent sur la nature des corps.- Cer
tains changements de température ou de
courants d'air l'avertissent assez .souvent
de la proximité d'une muraille. D'autre
part, nul n'ignore l'aptitude à peu près
universelle des aveugles pour la musi
que. Cette aptitude, beaucoup ont le tort
de ne pas la cultiver à fond et d'emprun
ter tout juste à l'art musical les notions
rudimentaires qui permettent de jouer
quelques airs de flûte ou d'accordéon.
La musique n'est pas faite pour servir
dlexcuse à la n\eridicité..Mais ce, type.de
-l'aveugle classique., dej'aveugle qui joue
suiv ies ponts un air de Norma, tend,
grâce à Dieu,'à devenir plus rare..
Nous disons: ® grâce à Dieu. » Nous
devons dire aussi; en seconde , ligne :
« grâce à M. Maurice de La Sizeranne »,
l'infatigable secrétaire général et che
ville ouvrière de l'association* Valentin
i Haiiy. Haute intelligence en même*
; temps que cœur .ge'néreux, le zélé, phi-r
; lanthrope s'est d,it qu'il, fallait pour rele-
j ver les aveugles — et: il x en a, quarante
i mille en France, dont trente mille au
moins dans des familles pauvres ou gê
nées—qu'il fallait; disons-nous, utiliser
* leurs aptitudes naturelles et recruter,par
une propagande aussi active que possi
ble, l'armée aveugle du travail. Cette ar
mée se divise en deux contingents : ceux
\ qui gagnent leur vie avec leurs doigts
seulement, et ceux qui la gagnent tant
avec leurs doigts qu'avec leur oreille.
Dans le premier figurent plusieurs mé
tiers : fabrication de brosses, de sacs en
papier, de couronnes funéraires, d'objets
faits au tour, etc. Dans le second se trou
vent les accordeurs de pianos et les mu
siciens.
Cette dernière troupe est naturelle
ment l'élite, et cette élite — nous en
. avons pu en juger plusieurs fois par
nous-même — renferme d'admirables ta
lents"; ' ' ,J
Les concerts donnés par l'Institution
nationale des jeunes aveugles sont cou
rus par le Tout-Paris. C'est l'orgue,
principalement, qui attire l'attention des
éducateurs et fixe le choix des élèves.
Rien n'est épargné pour faire de ceux-ci
des exécutants hors ligne, solfège, har
monie, contre-point, fugue, composition,
improvisation religieuse, chant grégo
rien' : le jeune aveugle apprend tout
cela. II passe des heures entières à faire
revivre, sur l'orgue ou l'harmonium, les
grands maîtres du genre, Bach, Princlc,
Ilaendel, Mendelssohn. Enfin — fait ty
pique— depuis quelques années, quatre
aveugles ont remporté le premier prix
d'orgue au Conservatoire de Paris.
Aussi commence-t-on, de divers côtés^
à s'adresser à M.' de La Sizeranne pour se
procurer des organistes aveugles. Cer
taines grandes paroisses de Paris — no
tamment Saint-Etienne du Mont — ont
déjà eu l'occasion de confier leur orgue à
des virtuoses privés de la vue. Tout
donne à croire que ce mouvement va se
propager de plus en plus. Moins distrait
' par les choses de la terre, l'aveugle est
plus près du ciel. Pendant que ses doigts
errent. sur le clavier, son âme s'élève
sans effort vers l'infini, et sonjeumême —-
on l'a remarqué — se ressent alors de la
religieuse gravité de son âme.
• Nous donnons volontiers nos encoura
gements à cette propagande si méritoire
et dont les résultats sociaux sont loin
d'être à dédaigner. Tout aveugle qui ar-
ive à trouver son pain au bout de ses
dix doigts est en effet un fardeau de
moins pour la société, et les œuvres qui,
à force de soins , ont réussi à le faire vo
ler de ses propres ailes, peuvent désor
mais consacrer leurs ressources à d'au
tres bienfaits (1). -
G. d' A zambuja.
Nous prions instamment ceux de
nos lecteurs dont l'abonnement expire
le 31 mars de ne pas attendre
plus longtemps pour le renouveler.
11 est nécessaire de joindre & toute
lettre, quel qu'en soit l'objet, une des
dernières bandes d'adresse imprimées,
rectifiée s'il y a lieu
(1) Les personnes qui désireraient des
renseignements supplémentaires sur cette
œuvre des organistes aveugles peuvent en
demander à M. Maurice de La Sizeranne,
31, avenue de Breteuil, Paris.
A LA CHAMBRE
Demanda
- en autorisation de poursuites. "
Dès le début dé là séance, lé pré
sident annonçait avoir reçu du
garde* des' sceaux une demande de
suspension dç l'immunité parlemen
taire. pour trois députés ; la Cham
bre se réunissait aussitôt dans ses
bureaux pour nommer une commis
sion chargée d'examiner les réqui
sitions du procureur général près
la cour d'appel" et de présenter un ■
rapport.
A sept" heures, les onze commis
saires, désignés ont déj à longuement
délibéré ; la séance est reprisé.
Des trois accusés ,l'un est loin du
Palais-Bourbon, c'est M. Alfred Na-
quet ; les deux autres sont là, sur
les bancs de la gauche et de l'ex
trême gauche : MM. Henry Maret
èt Antide Boyer.
La commission n'a pas été en
mesure de statuer, elle demande
l'ajournement ; un scrutin a lieu sur
la'date de la séance suivante et, jpar
286 voix contre 234, on décide de
siéger le soir même. :
Dix heures ! Séance dé nuit, un
peu lugubre, puisqu'il s'agit d'un
débat sur l'honneur de trois hom
mes — et qui fait songer aux gran
des séances, accusatrices de la Con
vention.
" Les' tribunes sont pleines, on
est venu en foule pour ce speotacle,
Dieu merci! assez rare; — presque
tous les députés sont présents ; le
banc des ministres est au complet ;
il semble qu'on attende déjà un ar
rêt de justice criminelle.
Le -président de la commission
monte à la tribune; le silence se
fait... La commission ne s'est, pasj
encore-prononcée, elle a demandé
à prendre connaissance de certaines
pièces du dossier qui lui seront
transmises parle pouvoir judiciaire ;
elle ne sera point à même dé les
examiner avant le lendemain; ces
documents sont enfermés dans un
coffre-fort, dont la clef reste entre
les mains d'un greffier habitant la
banlieue.
Il est regrettable que le juge d'ins
truction n'ait point lui-même une
clef de ce coffre, et qué ce greffier
n'ait pu être appelé d'urgence...
Ce regret, M. Antide Boyer le
formule aussitôt — profitant du dé
bat ouvert sur la fixation . de la
séance suivante pour présenter, en
quelques mots, et avec émotion, un
commencement de défense. Il de
mande à fournir des explications
immédiates sur la pièce le concer
nant, trouvée dans les papiers
d'Arton,et qui serait une valeur com
merciale, souscrite longtemps après
le vote par la Chambre ae l'em
prunt de Panama, et payée en par
tie par acomptes.
II se plaint de n'avoir pu, malgré
d'inçessantes réclamations depuis
plusieurs jours, être entendu par le
juge d'instruction, et il adjure la
Chambre de se réunir au mus tôt
pour lui permettre de parler et de
se défendre.
Le garde des sceaux prend alors
la parole et explique,au : milieu d'in
cessantes interruptions et des cris
de l'extrême gauche, que le procu
reur général, dans sa lettre au pré
sident de la Chambre, a déclaré sur
quels indices on s'est appuyé pour
demander la suspension de l'immu
nité parlementaire ; il dit que la
commission a désiré examiner le
dossier; on a dû consulter le juge
car toutes les pièces sont entr.e ses
mains, il est seul le maître d« l'ins
truction.
Des, documents d'ordre général
tels que les deux carngts et Fagenda
d'Arton seront communiqués; à* la
commission dèa l"o**c , fcocHP-d.ui:gi>o£ïiei?
qui: les détient. . , ■ .
Le ministre ajoute, aux applau
dissements de la Chambre i avoir
par trois fois refusé de voir, même
en présence du. procureur général
le magistrat chargé de l'instruction^
M. Le Poittevin,—voulant laisser., le
juge en face do sa conscience et du
dossier qu'il est chargé d'étudiér-;-il
répond même à une interruption;;
€ Le juge n'est pas. entre anos
«"mains !... Le. juge est le maître. »
Il rappelle, en terminant, que le
Parlement n'a'point à juger au fond,
et qu'il est des-pièces, qu'on., ne
pourra', faire passer.- sous les yeux
des commissaires ;., elles constitue
raient un préjugé fâcheux alors
qu'il n'en existe aucun contre des
députés appelés simplement à slex-
pliquer.
M. Henry Maret a" voulu 1 aussi
protester contre le réfus du'" jugé
d'instruction de l'entendre ; il n'ad
met point lé scrupule d'orare' juri
dique qui* empêche le magistrat d'in-
térrogér un homme oiii në -peut jias
être un prévenu — puisqu'irest'cou-
vert par l'immunité parlementaire
— et qu'on ne peut -considérer
commë un témoin, sous pëine ,de lui
fournir l'occasion de commettre un
parjure; çe qui est antijuridique, à
son avis, c'est" d'établir une accusa
tion sur de simples - notes et dénon
ciations d'un condamné de droit
commun à une peine infamante;
Lorsqu'on a dû fixer la séance
suivante, M. Viviani a proposé de
siéger aujourd'hui dimanche" à qua
tre heures;.. On a' décidé, par
291 voix contré 221, de s'ajourner
à lundi.
_0n entendra alors les'conclusions
de la commission et aussi lés nou
velles observations de deux des
"députés en cause.
Pour nous — ne voulant pas nous
rappeler les attaques injustes et'
déloyales de M. Henry Maret con
tre tout ce que nous vénérons-et
tout ce que nous aimons ; voulant
oublier que M. Antide I^oyer siège
dans ce coin de la Chambre où le
mépris de la loi divine et la' haine
du prêtre s'affirment chaque jour
comme une doctrine, nous souhai
tons que l'un et l'autre. puissent
établir devant leurs collègues et
.devant la justice leur complète in
nocence.
Quant à M.. Alfred Naquet, l'au
teur-néfaste de la législation anti
chrétienne et antisociale du divorce,
il semble redouter singûlièrément
d'affronter un' verdict judiciaire ou
parlementaire : ce n'est point ainsi,
dans tous les cas, qu'on* peut éviter-
celui de l'opinion publique.
! Gabriel de Triors.
AU SÉNAT
La première « charrette ». — Le retour
du budget.
« Une eharrette ! mais c'est; tout
au- çlus, un petit phaéton ! » s'est
écrié le jovial M. Constans, lorsque
M. Loubet a communiqué au Sénat
la lettre du procureur général « de
mandant la levée de l'immunité par
lementaire en ce qui concerne un
sénateur ».
De fait, on s'attendait à autre
chose... On désignait même si peu
discrètement, dans les couloirs,
certains noms, qu'un sénateur s'é
criait, en voyant entrer, dans la ga-
FEUILLETON Du; l . 'UNIVERS
du 29 mars 1897
QUINZAINES DRAMATIQUES
ET ARTISTIQUES
M. Abel Ilermant a fait représenter, il
y a quelques jours, au théâtre du Gym
nase, une pièce en quatre actes et cinq
tableaux, là. Carrière, qui n'est ni un
drame, ni une comédie. C'est une série
de;tableaux fantaisistes présentés par un
écrivain qui paraît avoir plutôt l'habitude
de la Vie parisienne que du théâtre, car
sa pièce, la Meute, jouée naguère à la Re
naissance',' n'a eu qu'un piètre succès. Je
dois dire tout de suite que la Carrière
contient ;çà et là des SGènes trop sca
breuses pour que je leur consacre une
analyse détaillée. J'ajoute que ces scè
nes, mal présentées et lourdement com
posées, auraient pu disparaître au profit
de tout le monde, mais,alors il ne-serait
pas resté grand'chose de la pièce...
Il y avait cependant'une satire 'assez
amusante à faire avec les diplomates, car
la Carrière a la prétention de railler les
gens de la carrière diplomatique. On au
rait pu y voir,' par exemple, un. diplo
mate de la force de M. de G... qui, en se
regardant soir et matin devant sa glace,
répétait en présence de son valet de cham
bre stupéfait : a Soyons Talleyrand ! »
ou de la naïveté de cet Italien qui s'é
criait : a Bismarck et moi ! » On aurait
pu nous faire sourire un peu en relevant
l'abus de certains termes diplomatiques
ou l'interprétation bizarre de certains
autres comme ceux que contient i'Anti-
Volhna de Frédéric II,* ou de certaines
chinoiseries qui encombrent un peu
trop le tapis vert des chancelleries; L'é-
goïsme, la cupidité, l'ironie cruelle, la
perfidie de la diplomatie auraient pu
donner lieu à quelque intrigue intéres
sante; Au lieu de cela, nous n'avons que
deux ou trois dialogues assez piquants;je
ne parle, bien entendu, que: de ceux qu'on
peut supporter. Aissi l'ambassadeur, qui
joue un rôle très effacé dans la Carrière,
se targue vis-à-vis de ses secrétaires
d'avoir entendu dire à la fille du souve
rain : « Monsieur l'ambassadeur, quand
nous feréz-vous danser? » Cette demande
qui a été faite sur le ton le plus gracieux,
a le don d'émouvoir tout le personnel de
l'ambassade qui y découvre les. pro
messes non équivoques d'une prochaine
alliance. C'est tout et c'est peu...
Les personnages qu'on nous présente
sont vraiment trop caricaturés. Je ne vois
guère un archiduc ou un grand-duc dans
«e Falstaff épais, aux. épaules carrées,
aux vociférations bruyantes, aux grossiè
res naïvetés, aux audaces populacières.
Le second secrétaire d'ambassade,- le duc
de Xaintrailles, est une tête de linotte à
laquelle un' acteur aimé du public,
M. Noblet;-prête sa vivacité ordinaire; Le
premier secrétaire, Musigny, est plus
.que banaliÇt le troisième, M. de La Mor-
vandière, grotesque. L'ambassadeur a de
beaux favoris èt l'ambassadrice dè belles
épaules.Ce qui se passe dans cette ambas
sade française ne donne pas une idée bien
propre de nos représentants à l'étranger.
Si l'on ajoute à ces fantoches une An
glaise excentrique, une Parisienne facile,
une comtesse d'Eschenbach qui a l'air
d'une marchande à la toilette et trois pe
tites dindes, Marguerite, Victoire et
Amélie, dont le bavardage est insuppor
table, on a toutes les marionnettes que
l'auteur fait mouvoir sans beaucoup de
ficelles... Mais la pièce, demandez-vous,
de quoi traite-t-elle? Un mot, dit avec
prudence, Suffira pour en faire connaître
le sujet.
Le duc de Xaintrailles épouse une jolie'
bourgeoise, nommée Yvonne. A son con
trat vient signer un aTchiduc quis'éprend
de cette jeune femme. Oellp-ci ala male-j
chance de surprendre son mari contant
fleurette à lady Hixley-Stone; ambassa
drice d'Angleterre. Elle veut se venger
et fait semblant d'accueillir les homraa-
ges de l'archiduc. Le duc de Xaintrailles
jaloux, renonce à courtiser lady Hoxley-
Stone et revient à sa chère Yvonne...
Cela est raconté pesamment et parfois
grossièrement.
Je ne pense pas que la Carrière ait une
longue durée... Ce n'est pas moi qui Te
regretterai. Quand donc reverra-t-on au
théâtre de Madame une comédie fine et
gracieuse ? Mais les directeurs n'y son
gent guère. Ils croient plaire au publie
par certaines crudités et avec un luxe
de mise ën scène très somptueuse.Je suis
persuadé qu'en faisant à un auteur la
commande d'une pièce diplomatiqué, le
directeur du Gymnase n'a songé qu'à la
meubler à l'aide des meilleurs tapissiers
de Paris, et il y est arrivé. lia pensé en
suite qu'il pourrait tout à son aise exhi
ber de superbes toilettes, et il y est en
core arrivé. Mais cela ne peut remplacer
ce qui manque à la Carrière, c'est-à-dire
l'intrigue et l'intérêt.
L'Odéon a donné une excellente repri
se de la Maréchale d'Ancre, grand drame
romantique d'Alfred de Vigny. Le poète
a arrangé à sa façon la viê de Concini
Concino; il a même accusé Concini dans
cette pièce d'avoir contribué à l'assâssi-
nat de Henri IV, ce qui n'est aucunement
démontré. Il a créé une bizarre intrigue
avec un Borgia, ancien prétendant à la
main.de Léonore Galigai et amené des ef
fets de scène bruyants et pompeux. Mais
il seraittrès injuste de ne pas reconnaître
que cette œuvre, parue en 1831, a con
servé un intérêt très puissant et est écrite
dans un style qui n'a point faibli. C'est
un vrai régal d'entendre un dialogue
aussi ferme,aussi net, aussi harmonieux.
Le personnage de la maréchale d'Ancre a
été admirablement compris et dans le
procès comme devant la mort, Galigaï
conserve l'attitude hautaine et impa
vide qui surprit et frappa ses bour
reaux.
Ce drame est une étude de caractères
. très soignée : la'maréchale, Borgia, .Isa-
bella, une Italienne jalouse, un juif, un
capitaine de la garde bourgeoise sont
autant de types originaux merveilleuse
ment présentés. Le rôle de Galigaï a été
fort bien joué par Mme Segond-Weber,
mais le succès de la représentation est allé
à une jeune artiste, Mlle Laparcerie, qui
est, à mon avis, appelée à devenir une
tragédienne du premier ordre. Elle en a
tous les dons : la voix, l'ardeur, le geste.
Puisse-t-elle compléter ses talents et se
manifester bientôt dans les beaux rôles de
notre grand répertoire classique !
Le Théâtre-Français a représenté, avec
succès pour le centenaire d'Alfred de Vi
gny un proverbe Quitte pour la peur qui, ;
joué dans les salons du Palais-Royal le ,14t:
janvier 1858,eut ce soir-là une application
sur laquelle l'auteur ne comptait pas.
M. Jules Claretie en a fait, d'après un té
moin, le récit curieux que voici :
« La salle fut comble. Un public ba
riolé, comme l'était en général celui des
deux empires napoléoniens. Au Palais-
Royal, ce public apportait, en outre,
certains éléments que l'on n'eût point
retrouvés aux Tuileries. Sur la masse
obligatoire des fonctionnaires, militaires
ou civils, se détachaient là des figures
dont aucune, certes, n'appartenait à la
race française, et c'est bien ce qui cons
tituait l'originalité du salon du prince;
Des étrangers, pour la plupart très mal
vus de leurs ambassades respectives, et
cela lion sans cause. Les exilés, les ré
fugiés, les épaves des diverses insurrec
tions du vieux continent européen étaient
particulièrement bien reçus au Palais-
Royal. Ils étaient sûrs d'y trouver tou
jours appui, secours et bienveillant ac
cueil. On y aimait à se tenir au courant
des conspirations qui, par des voies sou
terraines, entretenaient l'action perma
nente' du patriotisme italien, hongrois,
polonais, voire du home rule irlan
dais; V
« Tout ce monde ne raffolait pas pré
cisément de l'empire ; il se contentait
d'être bonapartiste à sa .manière et es
pérait," au profit des races opprimées, le
retour des belles tueries de Lodi, d'Ar-
cole, de Marengo. Pour* le moment, il
remisait ses sombres : préoccupations et,
de bonne grâce, se laissait aller à jouir
des splendeurs de la fête. ■ ■ .
«La* pièce d'Alfred de Vigny toùchait
à'son dénouement. Le troisième, tableau
était commencé. Le public se. préparait à
saluer d'un tonnerre d'applaudissements
la gloire de l'auteur, enchanté^ lorsqu'une
rumeur étrange qui montait de la rue et
grossissait à chaque instant dans l'inté
rieur du palais, monta, en quelque sorte,
le grand escalier; envahit la , salle d'at
tente et pénétra jusqu'à la rampe du
petit théâtre. ,
v. Des personnages effarés, sans se
faire annoncer,, se précipitaient vers la
grande salle. Les mots : attentat.^ bom
bes lancées sous la péristyle de l'Opéra...
nombreuses victimes*., se heurtaient au
milieu d'un premier effet de consterna
tion.
« Et l'empereur, l'empereur, en cette
tuerie que devenait-il ?
a II n'était pas question de l'impéra
trice.
Edition quotidienne. — 10,063
7-
Mars 18Ô7
SDÎTÎOSr QUOTIDIENK»
PARIS ÉTRANGER
. sa! départements (union postale!)
tîn.an»......... 40. ». 51 »
Ôix mois 21 » 26 50
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jÈDXTÏOïr SEMI-QTJOTIDEËîOTB
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Six mois...;.; 10 » * 13- »
Trois mois;.5 » @.50
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L'UNIVERS m répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
ANNONCES
MM: LAGRANGÈ, CERF* et C", 6i place "de la Bourse •
PARIS,; 28 MARS 1897
À'.'ivijjtjj. ^ 'l ! -- ■ '-»■ ■ '■ I f
SOMMAIRE
L'angoisse _ P ierre V euillot. .
Çàetlà : Compen
sation . ;.. .. .. ; Gr. d'azambuja.
A. 1% Chapitre. •. • •. G. de T riors.
Ant ^énat ........... J. M antenaï.
Lj^ÉEaire Ar.ton
Lettres de : Genève.. ZZZ»
Feuilleton» : Quin-
zaine dramatique et .
artistique; . H enri D ac.
A.travers les revues.
Suppression de traitements. — Les scel^
'"lés.. — Madagascar. — L'affaire Arton. —r
La Commission d'enquête. — Chambre des
députés.-— Informations politiques et*
' parlementaires. — Les affaires de" Crète.
— Echos de partout. — Questions et do
cuments sur Jeanne d'Arc. — Biblio
graphie. — Questions ecclésiastiques.
— Tribunaux. — Nouvelles diverses. —
• Revue de' la' Bourse.
L'ANGOISSE
- ■ On ne doit pas 4es-plaindre. Ils
méritent ce qui leur arrive. Et ce-,
pendant;..
' Vous imaginez-vous ce qu'éprou
vent aujourd'hui les députés, les
sénateurs en exercice et les anciens
membres du Parlement qui ont
vendu leur vote favorable au Pa
nama? Quelle intolérable angoisse
dans l'incertitude { Quelle angoisse
plus poignante en'Gore devoir s'ap
procher l'heure où la certitude rem
placera l'anxiété! Quatre sont fixés
depuis hier, < qui. protestent^ d'ail
leurs ; ; cinq, 5 avec r M* Saint-Martin.
Mais les autres ? Rien ne dit que
cette première fournée sera la
seule. Il" est-même annoncé qu'il y
en aura une seconde. Et le groupe
de ceux qui ne siègent plus au
Buxembourg, ni au Palais-Bour
bon?
Parlementaires en activité ou ré
formés, ils sont là, tâchant de se
réconforter un peu, et ne pouvants
y parvenir. On* affirme qu'une dou
zaine, qu'une dizaine, que même
seulement sept ou huit demandes
en autorisation de poursuites se
ront "déposées. C'est par ce chiffre
que lés coupables cherchent à re-
{>rendre assurance. Be nombre de
eurs pareils, faisant , encore partie
de la Chambre ou du Sénat, doit
être plus considérable. Il y en a
donc, qui échapperont. Pourquoi,
Eensent-ils, n'aurais-je pas ce bon-
eur?...
Comme ils fouillènt dans leurs
souvenirs ! Le moment où ils reçu:
rent le prix de leur vote est bien
présent à leur mémoire. Ils le re
vivent, Mais qu'ont-ils fait ensuite ?
Neuf ans déjà passés !... Peuvent-ils
être sûrs de n'avoir commis aucune
imprudence? Démarches, écrits,
paroles, n'ont-ils rien risqué de
compromettant? Chez eux, ils tres
saillent aux coups de sonnetté. Les
vibrations dû timbre semblent se
répercuter dans tout leur être qui
tremble aussi. Ne vient-on pas les
prévenir immédiatement : Qui donc
a sonné ? demandent-ils d'une voix
serrée de peur et vacillante. C'est
l'émotion ressentie quand on at
tend des nouvelles d'un malade bien
cher; mais il y faut ajouter une
surcharge et une sueur de honte
indescriptible. Un panamiste pour
rait seul tracer une peinture exacte.
Et il. ne s'y prêterait pas. .
Dans la rue, le panamiste se re
tourne. Est-il suivi? Cette figure?;..
On dirait quélqùe agent de. police.
Tout a l'heure déjà, ne l'aide point
remarquée ?... Deux, minutes- plus
tard, le malheureux se demande-:
Faut-il, de nouveau, regarder en
arrière, pour m'assùrer si l'on est
ou non à- mes trousses?,.. Mais il
n'ose ; il aime encore mieux dou
ter. Le doute, c'est dé l'espoir.,
A-t-il conserve son faùte.uil de sé
nateur, son siège au Palais-Bour
bon? Exerce-t-il, déchu de son
mandat, une profession quelconque,
l'obligeant à se montrer ? Quelle
existence ! Il faut avoir l'air attentif,
écouter celui-ci, parler à celui-là,
écrire,discourir; demeurer en place
Suand l'âme et le corps sont agités
'une inquiétude mortelle. Il lui
f semble que tout le monde, soupço-n-
; rieux, interroge son visage, et il se
•crispé un sourire sur les lèvres,
i blême et douloureuse grimace,
i - Il a peut-être des enfants, qui
i ne se doutent de rien. Pleins
: d'une joie bruyante, et gaie, lors-
? qu'il rentre chez lui, après s'-être
lune dernière fois 1 retourné sur le
pas de la porte, ils lui sautent au
cou. Chers et pauvres petits, quels
beaux projets a.'avenir et. de félicité
il forgeait pour eux, et- sur ces
i têtes aimées, voi.ci qu'il a, pour la
i vie; attiré le déshonneur.' . Et'il faut
I qu'il se prête à leurs effusions; à
j leurs transports; Il ne doit pas
j pleurer. Ses enfants pourraient
l'aller dire, et ce serait une preuve
qu'ils - auraient fournie contre leur
père... S'ils sont en âge de com
prendre, quel autre genre de tor
ture !
Ce. malheureux - sera-t-il pris ? A
jcoup sûr, il expie déjà, sévère-
i ment. La prison, c'est à peu près
! tout le châtiment pour le mal-
ifaiteur vulgaire, sans notoriété,
-sans relations* souvent presque
; sans famille. Mais l'angoisse et' la
! honte, ces peines morales, sont les
; plus cruelles pour l'homme en vue,
: qu'on saluait, qu'on 'sollicitait, qui
! était ou pouvait se croire estimé. Il
avait des amis et de doux liens que
; voilà tranformés en pesantes chaî
nes. Sous ce fardeau- plieront dé
sormais les êtres qui lui sont ten-
. drement chers. S'il est plus coupa-
: blé que le criminel banal, il est plus
i terriblement puni. Comme deux ou
trois ans de maison centrale lui
semblent pèu" de cho'se à côté de
cela ! Qu'il se . condamnerait volon
tiers au double, au triple, à dispa
raître' même pour jamais, s'il "était
: possible, en échangé, que personne,
au monde, ne connût sa faute !...
Maintenait,... nous nous exagé
rons peùt-être bien le niveau du
cœur et de l'âme chez-certains
parlementaires.
- Pierre Veuillot.
'BULLETIN
L'affaireduPanama, a rempli toute la.
journée d'hier et une partie ae la. nuit.
Quatre dema/ndes de poursuites ont été
proposées au Parlement qui a commencé
de les examiner aumilieu d'une agitation
extrême et très naturelle. On s'est éton
né du-petit nombre de personnalités mi
ses en cause. Quatre au- lieu des fameux
cent quatre I Unhorhme d'esprit a dit :
« C'est du 3 0\0 ; et il pourrait être per
pétuel ! »" D'après des renseignements
qui semblent fondés, nous n'en serions
qu'au début d'une nouvelle affaire ; et
il y aurait encore en réserve des émo
tions et des scandales:
Le courrier qui vient d'arriver, de Ma
dagascar apporte la proclamation pu
bliée par le général Gallieni au sujet de
la déposition de la reine et une lettre de
Mgr ■ Gazet adressée aux missionnaires
de l'île. Nous donnons plus loin ces do
cuments.
La Grèce, continue ses manifestations
belliqueuses et ses préparatifs. Le prince
royal est pprii pour Volo. Des engage*
ment£ ont eu lieu sur. la frontière tur-,
que et en Grèce. ,
«y-
Çà et là
■! COMPENSATIONS
L'adjectif « aVeugle » correspond dans
notre langue à deux substantifs : « aveu-
t glement » et « cécité ». Il existe entre ces
i deux infirmités plusieurs différences,
i dont'line des principales est que les vic-
tiriiesde la première ne sont pas moins
i malheureuses aujourd'hui qu'autrefois,
: au lieu que les victimes de la seconde
voient leurs épreuves s'adoucir dé jour
! en jour. Le manque de bon-sens en effet,
| pour parodier le mot de Descartes, est
| peut-être la chose du monde la plus
: répandue, et, quand l'esprit est . aveuglé,
! les conséquences qui en résultent sont
toujours les mêmes. Au contraire, quand
seuls les yeux du corps" sont endomma
gés, rien n'empêche les progrès. de la
science et de la charité humaine,, de cor-i,
riger graduellement la plus grande partie
i des désavantages qui en résultent pour
le patient.
Cette distinction philosophique appa
raît clairement; depuis quelques jours, à,
ceux qui visitent l'Exposition dès aveu
gles, organisée par- le Figaro, et qui
prend fin aujourd'hui. Cette exposition
avait pour but de démontrer à la'masse
du public ce que de nombreux initiés
savaient déjà, à savoir que les aveugles
peuvent très bien être des travailleurs
et gagner leur vie comme tout le monde.
La mendicité est sœur de l'oisiveté, et
l'oisiveté est mauvaise conseillère pour
les aveugles comme pour les clair
voyants. Arracher les aveugles à la men
dicité en leur persuadant, ainsi qu'à leur
entourage, qu'une voie plus noble et plus
lucrative en même temps leur est ou
verte :"i;ellë est la tâche à laquelle se
sont vouées plusieurs œuvres dignes
d'admiration, et en particulier l'Associa
tion Valentin Haiiy, dont nous avons,
à plusieurs reprises, entretenu nos lec
teurs.
Tout est compensation dans la nature.
« Voilà un œil droit que j e. me ferais cre
ver, si j'étais en votre place. Ne voyez-
vous pas qu'il incommode 1 ? autre et lui
dérobe sa nourriture? Croyez-moi, faites-
vous-le crever au plus tôt : vous en ver
rez plus clair de l'œil gauche. » Cette ti
rade de Toinette à Argan n'est que l'exa
gération comique d'une profonde et mys
térieuse vérité. L'homme privé d'un sens
voit généralement ses quatre autres sens
acquérir un développement remarquable.
Beaucoup de nos lecteurs connaissent de
ces sourds qui lisent les phrases sur les
lèvres de leurs interlocuteurs. Ces mê
mes sourds,. par suite de leur infirmité,
deviennent assez ordinairement physio
nomistes. Ils vivent surtout par leurs
yeux.
L'aveugle, lui, vit surtout par le tou
cher et par les oreilles. Ses sensations
tactiles et auditives s'affinent, se subti
lisent. Il distingue au contact, une pièce
d'or d'une pièce d'argent. Mille petites
rugosités, imperceptibles pour nous, le
renseignent sur la nature des corps.- Cer
tains changements de température ou de
courants d'air l'avertissent assez .souvent
de la proximité d'une muraille. D'autre
part, nul n'ignore l'aptitude à peu près
universelle des aveugles pour la musi
que. Cette aptitude, beaucoup ont le tort
de ne pas la cultiver à fond et d'emprun
ter tout juste à l'art musical les notions
rudimentaires qui permettent de jouer
quelques airs de flûte ou d'accordéon.
La musique n'est pas faite pour servir
dlexcuse à la n\eridicité..Mais ce, type.de
-l'aveugle classique., dej'aveugle qui joue
suiv ies ponts un air de Norma, tend,
grâce à Dieu,'à devenir plus rare..
Nous disons: ® grâce à Dieu. » Nous
devons dire aussi; en seconde , ligne :
« grâce à M. Maurice de La Sizeranne »,
l'infatigable secrétaire général et che
ville ouvrière de l'association* Valentin
i Haiiy. Haute intelligence en même*
; temps que cœur .ge'néreux, le zélé, phi-r
; lanthrope s'est d,it qu'il, fallait pour rele-
j ver les aveugles — et: il x en a, quarante
i mille en France, dont trente mille au
moins dans des familles pauvres ou gê
nées—qu'il fallait; disons-nous, utiliser
* leurs aptitudes naturelles et recruter,par
une propagande aussi active que possi
ble, l'armée aveugle du travail. Cette ar
mée se divise en deux contingents : ceux
\ qui gagnent leur vie avec leurs doigts
seulement, et ceux qui la gagnent tant
avec leurs doigts qu'avec leur oreille.
Dans le premier figurent plusieurs mé
tiers : fabrication de brosses, de sacs en
papier, de couronnes funéraires, d'objets
faits au tour, etc. Dans le second se trou
vent les accordeurs de pianos et les mu
siciens.
Cette dernière troupe est naturelle
ment l'élite, et cette élite — nous en
. avons pu en juger plusieurs fois par
nous-même — renferme d'admirables ta
lents"; ' ' ,J
Les concerts donnés par l'Institution
nationale des jeunes aveugles sont cou
rus par le Tout-Paris. C'est l'orgue,
principalement, qui attire l'attention des
éducateurs et fixe le choix des élèves.
Rien n'est épargné pour faire de ceux-ci
des exécutants hors ligne, solfège, har
monie, contre-point, fugue, composition,
improvisation religieuse, chant grégo
rien' : le jeune aveugle apprend tout
cela. II passe des heures entières à faire
revivre, sur l'orgue ou l'harmonium, les
grands maîtres du genre, Bach, Princlc,
Ilaendel, Mendelssohn. Enfin — fait ty
pique— depuis quelques années, quatre
aveugles ont remporté le premier prix
d'orgue au Conservatoire de Paris.
Aussi commence-t-on, de divers côtés^
à s'adresser à M.' de La Sizeranne pour se
procurer des organistes aveugles. Cer
taines grandes paroisses de Paris — no
tamment Saint-Etienne du Mont — ont
déjà eu l'occasion de confier leur orgue à
des virtuoses privés de la vue. Tout
donne à croire que ce mouvement va se
propager de plus en plus. Moins distrait
' par les choses de la terre, l'aveugle est
plus près du ciel. Pendant que ses doigts
errent. sur le clavier, son âme s'élève
sans effort vers l'infini, et sonjeumême —-
on l'a remarqué — se ressent alors de la
religieuse gravité de son âme.
• Nous donnons volontiers nos encoura
gements à cette propagande si méritoire
et dont les résultats sociaux sont loin
d'être à dédaigner. Tout aveugle qui ar-
ive à trouver son pain au bout de ses
dix doigts est en effet un fardeau de
moins pour la société, et les œuvres qui,
à force de soins , ont réussi à le faire vo
ler de ses propres ailes, peuvent désor
mais consacrer leurs ressources à d'au
tres bienfaits (1). -
G. d' A zambuja.
Nous prions instamment ceux de
nos lecteurs dont l'abonnement expire
le 31 mars de ne pas attendre
plus longtemps pour le renouveler.
11 est nécessaire de joindre & toute
lettre, quel qu'en soit l'objet, une des
dernières bandes d'adresse imprimées,
rectifiée s'il y a lieu
(1) Les personnes qui désireraient des
renseignements supplémentaires sur cette
œuvre des organistes aveugles peuvent en
demander à M. Maurice de La Sizeranne,
31, avenue de Breteuil, Paris.
A LA CHAMBRE
Demanda
- en autorisation de poursuites. "
Dès le début dé là séance, lé pré
sident annonçait avoir reçu du
garde* des' sceaux une demande de
suspension dç l'immunité parlemen
taire. pour trois députés ; la Cham
bre se réunissait aussitôt dans ses
bureaux pour nommer une commis
sion chargée d'examiner les réqui
sitions du procureur général près
la cour d'appel" et de présenter un ■
rapport.
A sept" heures, les onze commis
saires, désignés ont déj à longuement
délibéré ; la séance est reprisé.
Des trois accusés ,l'un est loin du
Palais-Bourbon, c'est M. Alfred Na-
quet ; les deux autres sont là, sur
les bancs de la gauche et de l'ex
trême gauche : MM. Henry Maret
èt Antide Boyer.
La commission n'a pas été en
mesure de statuer, elle demande
l'ajournement ; un scrutin a lieu sur
la'date de la séance suivante et, jpar
286 voix contre 234, on décide de
siéger le soir même. :
Dix heures ! Séance dé nuit, un
peu lugubre, puisqu'il s'agit d'un
débat sur l'honneur de trois hom
mes — et qui fait songer aux gran
des séances, accusatrices de la Con
vention.
" Les' tribunes sont pleines, on
est venu en foule pour ce speotacle,
Dieu merci! assez rare; — presque
tous les députés sont présents ; le
banc des ministres est au complet ;
il semble qu'on attende déjà un ar
rêt de justice criminelle.
Le -président de la commission
monte à la tribune; le silence se
fait... La commission ne s'est, pasj
encore-prononcée, elle a demandé
à prendre connaissance de certaines
pièces du dossier qui lui seront
transmises parle pouvoir judiciaire ;
elle ne sera point à même dé les
examiner avant le lendemain; ces
documents sont enfermés dans un
coffre-fort, dont la clef reste entre
les mains d'un greffier habitant la
banlieue.
Il est regrettable que le juge d'ins
truction n'ait point lui-même une
clef de ce coffre, et qué ce greffier
n'ait pu être appelé d'urgence...
Ce regret, M. Antide Boyer le
formule aussitôt — profitant du dé
bat ouvert sur la fixation . de la
séance suivante pour présenter, en
quelques mots, et avec émotion, un
commencement de défense. Il de
mande à fournir des explications
immédiates sur la pièce le concer
nant, trouvée dans les papiers
d'Arton,et qui serait une valeur com
merciale, souscrite longtemps après
le vote par la Chambre ae l'em
prunt de Panama, et payée en par
tie par acomptes.
II se plaint de n'avoir pu, malgré
d'inçessantes réclamations depuis
plusieurs jours, être entendu par le
juge d'instruction, et il adjure la
Chambre de se réunir au mus tôt
pour lui permettre de parler et de
se défendre.
Le garde des sceaux prend alors
la parole et explique,au : milieu d'in
cessantes interruptions et des cris
de l'extrême gauche, que le procu
reur général, dans sa lettre au pré
sident de la Chambre, a déclaré sur
quels indices on s'est appuyé pour
demander la suspension de l'immu
nité parlementaire ; il dit que la
commission a désiré examiner le
dossier; on a dû consulter le juge
car toutes les pièces sont entr.e ses
mains, il est seul le maître d« l'ins
truction.
Des, documents d'ordre général
tels que les deux carngts et Fagenda
d'Arton seront communiqués; à* la
commission dèa l"o**c , fcocHP-d.ui:gi>o£ïiei?
qui: les détient. . , ■ .
Le ministre ajoute, aux applau
dissements de la Chambre i avoir
par trois fois refusé de voir, même
en présence du. procureur général
le magistrat chargé de l'instruction^
M. Le Poittevin,—voulant laisser., le
juge en face do sa conscience et du
dossier qu'il est chargé d'étudiér-;-il
répond même à une interruption;;
€ Le juge n'est pas. entre anos
«"mains !... Le. juge est le maître. »
Il rappelle, en terminant, que le
Parlement n'a'point à juger au fond,
et qu'il est des-pièces, qu'on., ne
pourra', faire passer.- sous les yeux
des commissaires ;., elles constitue
raient un préjugé fâcheux alors
qu'il n'en existe aucun contre des
députés appelés simplement à slex-
pliquer.
M. Henry Maret a" voulu 1 aussi
protester contre le réfus du'" jugé
d'instruction de l'entendre ; il n'ad
met point lé scrupule d'orare' juri
dique qui* empêche le magistrat d'in-
térrogér un homme oiii në -peut jias
être un prévenu — puisqu'irest'cou-
vert par l'immunité parlementaire
— et qu'on ne peut -considérer
commë un témoin, sous pëine ,de lui
fournir l'occasion de commettre un
parjure; çe qui est antijuridique, à
son avis, c'est" d'établir une accusa
tion sur de simples - notes et dénon
ciations d'un condamné de droit
commun à une peine infamante;
Lorsqu'on a dû fixer la séance
suivante, M. Viviani a proposé de
siéger aujourd'hui dimanche" à qua
tre heures;.. On a' décidé, par
291 voix contré 221, de s'ajourner
à lundi.
_0n entendra alors les'conclusions
de la commission et aussi lés nou
velles observations de deux des
"députés en cause.
Pour nous — ne voulant pas nous
rappeler les attaques injustes et'
déloyales de M. Henry Maret con
tre tout ce que nous vénérons-et
tout ce que nous aimons ; voulant
oublier que M. Antide I^oyer siège
dans ce coin de la Chambre où le
mépris de la loi divine et la' haine
du prêtre s'affirment chaque jour
comme une doctrine, nous souhai
tons que l'un et l'autre. puissent
établir devant leurs collègues et
.devant la justice leur complète in
nocence.
Quant à M.. Alfred Naquet, l'au
teur-néfaste de la législation anti
chrétienne et antisociale du divorce,
il semble redouter singûlièrément
d'affronter un' verdict judiciaire ou
parlementaire : ce n'est point ainsi,
dans tous les cas, qu'on* peut éviter-
celui de l'opinion publique.
! Gabriel de Triors.
AU SÉNAT
La première « charrette ». — Le retour
du budget.
« Une eharrette ! mais c'est; tout
au- çlus, un petit phaéton ! » s'est
écrié le jovial M. Constans, lorsque
M. Loubet a communiqué au Sénat
la lettre du procureur général « de
mandant la levée de l'immunité par
lementaire en ce qui concerne un
sénateur ».
De fait, on s'attendait à autre
chose... On désignait même si peu
discrètement, dans les couloirs,
certains noms, qu'un sénateur s'é
criait, en voyant entrer, dans la ga-
FEUILLETON Du; l . 'UNIVERS
du 29 mars 1897
QUINZAINES DRAMATIQUES
ET ARTISTIQUES
M. Abel Ilermant a fait représenter, il
y a quelques jours, au théâtre du Gym
nase, une pièce en quatre actes et cinq
tableaux, là. Carrière, qui n'est ni un
drame, ni une comédie. C'est une série
de;tableaux fantaisistes présentés par un
écrivain qui paraît avoir plutôt l'habitude
de la Vie parisienne que du théâtre, car
sa pièce, la Meute, jouée naguère à la Re
naissance',' n'a eu qu'un piètre succès. Je
dois dire tout de suite que la Carrière
contient ;çà et là des SGènes trop sca
breuses pour que je leur consacre une
analyse détaillée. J'ajoute que ces scè
nes, mal présentées et lourdement com
posées, auraient pu disparaître au profit
de tout le monde, mais,alors il ne-serait
pas resté grand'chose de la pièce...
Il y avait cependant'une satire 'assez
amusante à faire avec les diplomates, car
la Carrière a la prétention de railler les
gens de la carrière diplomatique. On au
rait pu y voir,' par exemple, un. diplo
mate de la force de M. de G... qui, en se
regardant soir et matin devant sa glace,
répétait en présence de son valet de cham
bre stupéfait : a Soyons Talleyrand ! »
ou de la naïveté de cet Italien qui s'é
criait : a Bismarck et moi ! » On aurait
pu nous faire sourire un peu en relevant
l'abus de certains termes diplomatiques
ou l'interprétation bizarre de certains
autres comme ceux que contient i'Anti-
Volhna de Frédéric II,* ou de certaines
chinoiseries qui encombrent un peu
trop le tapis vert des chancelleries; L'é-
goïsme, la cupidité, l'ironie cruelle, la
perfidie de la diplomatie auraient pu
donner lieu à quelque intrigue intéres
sante; Au lieu de cela, nous n'avons que
deux ou trois dialogues assez piquants;je
ne parle, bien entendu, que: de ceux qu'on
peut supporter. Aissi l'ambassadeur, qui
joue un rôle très effacé dans la Carrière,
se targue vis-à-vis de ses secrétaires
d'avoir entendu dire à la fille du souve
rain : « Monsieur l'ambassadeur, quand
nous feréz-vous danser? » Cette demande
qui a été faite sur le ton le plus gracieux,
a le don d'émouvoir tout le personnel de
l'ambassade qui y découvre les. pro
messes non équivoques d'une prochaine
alliance. C'est tout et c'est peu...
Les personnages qu'on nous présente
sont vraiment trop caricaturés. Je ne vois
guère un archiduc ou un grand-duc dans
«e Falstaff épais, aux. épaules carrées,
aux vociférations bruyantes, aux grossiè
res naïvetés, aux audaces populacières.
Le second secrétaire d'ambassade,- le duc
de Xaintrailles, est une tête de linotte à
laquelle un' acteur aimé du public,
M. Noblet;-prête sa vivacité ordinaire; Le
premier secrétaire, Musigny, est plus
.que banaliÇt le troisième, M. de La Mor-
vandière, grotesque. L'ambassadeur a de
beaux favoris èt l'ambassadrice dè belles
épaules.Ce qui se passe dans cette ambas
sade française ne donne pas une idée bien
propre de nos représentants à l'étranger.
Si l'on ajoute à ces fantoches une An
glaise excentrique, une Parisienne facile,
une comtesse d'Eschenbach qui a l'air
d'une marchande à la toilette et trois pe
tites dindes, Marguerite, Victoire et
Amélie, dont le bavardage est insuppor
table, on a toutes les marionnettes que
l'auteur fait mouvoir sans beaucoup de
ficelles... Mais la pièce, demandez-vous,
de quoi traite-t-elle? Un mot, dit avec
prudence, Suffira pour en faire connaître
le sujet.
Le duc de Xaintrailles épouse une jolie'
bourgeoise, nommée Yvonne. A son con
trat vient signer un aTchiduc quis'éprend
de cette jeune femme. Oellp-ci ala male-j
chance de surprendre son mari contant
fleurette à lady Hixley-Stone; ambassa
drice d'Angleterre. Elle veut se venger
et fait semblant d'accueillir les homraa-
ges de l'archiduc. Le duc de Xaintrailles
jaloux, renonce à courtiser lady Hoxley-
Stone et revient à sa chère Yvonne...
Cela est raconté pesamment et parfois
grossièrement.
Je ne pense pas que la Carrière ait une
longue durée... Ce n'est pas moi qui Te
regretterai. Quand donc reverra-t-on au
théâtre de Madame une comédie fine et
gracieuse ? Mais les directeurs n'y son
gent guère. Ils croient plaire au publie
par certaines crudités et avec un luxe
de mise ën scène très somptueuse.Je suis
persuadé qu'en faisant à un auteur la
commande d'une pièce diplomatiqué, le
directeur du Gymnase n'a songé qu'à la
meubler à l'aide des meilleurs tapissiers
de Paris, et il y est arrivé. lia pensé en
suite qu'il pourrait tout à son aise exhi
ber de superbes toilettes, et il y est en
core arrivé. Mais cela ne peut remplacer
ce qui manque à la Carrière, c'est-à-dire
l'intrigue et l'intérêt.
L'Odéon a donné une excellente repri
se de la Maréchale d'Ancre, grand drame
romantique d'Alfred de Vigny. Le poète
a arrangé à sa façon la viê de Concini
Concino; il a même accusé Concini dans
cette pièce d'avoir contribué à l'assâssi-
nat de Henri IV, ce qui n'est aucunement
démontré. Il a créé une bizarre intrigue
avec un Borgia, ancien prétendant à la
main.de Léonore Galigai et amené des ef
fets de scène bruyants et pompeux. Mais
il seraittrès injuste de ne pas reconnaître
que cette œuvre, parue en 1831, a con
servé un intérêt très puissant et est écrite
dans un style qui n'a point faibli. C'est
un vrai régal d'entendre un dialogue
aussi ferme,aussi net, aussi harmonieux.
Le personnage de la maréchale d'Ancre a
été admirablement compris et dans le
procès comme devant la mort, Galigaï
conserve l'attitude hautaine et impa
vide qui surprit et frappa ses bour
reaux.
Ce drame est une étude de caractères
. très soignée : la'maréchale, Borgia, .Isa-
bella, une Italienne jalouse, un juif, un
capitaine de la garde bourgeoise sont
autant de types originaux merveilleuse
ment présentés. Le rôle de Galigaï a été
fort bien joué par Mme Segond-Weber,
mais le succès de la représentation est allé
à une jeune artiste, Mlle Laparcerie, qui
est, à mon avis, appelée à devenir une
tragédienne du premier ordre. Elle en a
tous les dons : la voix, l'ardeur, le geste.
Puisse-t-elle compléter ses talents et se
manifester bientôt dans les beaux rôles de
notre grand répertoire classique !
Le Théâtre-Français a représenté, avec
succès pour le centenaire d'Alfred de Vi
gny un proverbe Quitte pour la peur qui, ;
joué dans les salons du Palais-Royal le ,14t:
janvier 1858,eut ce soir-là une application
sur laquelle l'auteur ne comptait pas.
M. Jules Claretie en a fait, d'après un té
moin, le récit curieux que voici :
« La salle fut comble. Un public ba
riolé, comme l'était en général celui des
deux empires napoléoniens. Au Palais-
Royal, ce public apportait, en outre,
certains éléments que l'on n'eût point
retrouvés aux Tuileries. Sur la masse
obligatoire des fonctionnaires, militaires
ou civils, se détachaient là des figures
dont aucune, certes, n'appartenait à la
race française, et c'est bien ce qui cons
tituait l'originalité du salon du prince;
Des étrangers, pour la plupart très mal
vus de leurs ambassades respectives, et
cela lion sans cause. Les exilés, les ré
fugiés, les épaves des diverses insurrec
tions du vieux continent européen étaient
particulièrement bien reçus au Palais-
Royal. Ils étaient sûrs d'y trouver tou
jours appui, secours et bienveillant ac
cueil. On y aimait à se tenir au courant
des conspirations qui, par des voies sou
terraines, entretenaient l'action perma
nente' du patriotisme italien, hongrois,
polonais, voire du home rule irlan
dais; V
« Tout ce monde ne raffolait pas pré
cisément de l'empire ; il se contentait
d'être bonapartiste à sa .manière et es
pérait," au profit des races opprimées, le
retour des belles tueries de Lodi, d'Ar-
cole, de Marengo. Pour* le moment, il
remisait ses sombres : préoccupations et,
de bonne grâce, se laissait aller à jouir
des splendeurs de la fête. ■ ■ .
«La* pièce d'Alfred de Vigny toùchait
à'son dénouement. Le troisième, tableau
était commencé. Le public se. préparait à
saluer d'un tonnerre d'applaudissements
la gloire de l'auteur, enchanté^ lorsqu'une
rumeur étrange qui montait de la rue et
grossissait à chaque instant dans l'inté
rieur du palais, monta, en quelque sorte,
le grand escalier; envahit la , salle d'at
tente et pénétra jusqu'à la rampe du
petit théâtre. ,
v. Des personnages effarés, sans se
faire annoncer,, se précipitaient vers la
grande salle. Les mots : attentat.^ bom
bes lancées sous la péristyle de l'Opéra...
nombreuses victimes*., se heurtaient au
milieu d'un premier effet de consterna
tion.
« Et l'empereur, l'empereur, en cette
tuerie que devenait-il ?
a II n'était pas question de l'impéra
trice.
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